Version classiqueVersion mobile

La persistance du Midi blanc

 | 
Philippe Secondy

Deuxième partie. Une nébuleuse partisane initiée par « Monseigneur de Montpellier »

Chapitre 4 : De nouvelles pratiques électorales

Texte intégral

  • 1 André Siegfried, Tableau politique..., op. cit. p. 40.
  • 2 Philippe Veitl, « Territoires du politique. Lectures du Tableau politique d’André Siegfried », Pol (...)
  • 3 Pierre Trinquier, Trente élections. Un siècle de “politique” héraultaise (1893-1993), Nîmes, Lacou (...)

1Dès les premières pages du Tableau politique de la France de l’Ouest, André Siegfried se pose une question qui tourmente tous les analystes curieux de comprendre le choix électoral : « quel est donc le secret de cette géographie électorale, où l’histoire -une histoire peut-être singulièrement lointaine- a dessiné des rivages, tracé des frontières et laissé subsister des massifs résistants qu’aucune tempête n’ébranle »1 ? Persuadé, dans sa théorie des faits électoraux, de l’existence de « liens intimes » entre un sol et les phénomènes humains, l’auteur du Tableau se laisse trop souvent emporter par cette « mystique du sol »2 ; ce qui ternit un travail d’envergure toujours incontournable. Nous n’avons ni l’ambition, ni les moyens de suivre une telle voie. Elle a été partiellement entrouverte par Pierre Trinquier, un géographe montpelliérain à l’origine d’un travail resté au stade synthétique. Il nous offre un coup de projecteur sur « un siècle de “politique” héraultaise »3 en abordant toutes les élections législatives entre 1893 et 1993. Il présente pour chacun des scrutins les forces en présence, un commentaire très général afin de situer les enjeux locaux et une palette très complète de résultats par cantons.

  • 4 Gérard Cholvy, Géographie électorale de l’Hérault contemporain, op. cit. , p. 275 et s.
  • 5 Ibidem.

2Le traitement des données électorales nous livre une excellente visualisation des zones d’influence. L’évolution politique entre 1900 et 1940 dénote un affaiblissement quasi-continu des « conservateurs ». Leur résistance s’établit de façon permanente, depuis les premières lueurs du suffrage universel, dans la partie Est du département. Une mise en parallèle de différentes cartes électorales entre 1849 et 1936 dégage des poches compactes autour de Montpellier, dans la garrigue, en bordure des Cévennes gangeoises et de façon plus diffuse en direction du littoral. Il s’agit ici d’une orientation très générale qui subit des modulations au fil des scrutins. Ce panorama très sommaire mériterait d’être affiné. Sans prétendre résoudre le « secret » qui enveloppe l’équation électorale, Gérard Cholvy dès 1968 démontre une corrélation majeure qui résiste à l’usure du temps. Jusqu’en 1936, toutes les cartes dressées les lendemains du scrutin rendent éclatante la concordance entre les secteurs catholiques et « conservateurs ». Ce spécialiste de l’histoire religieuse s’appuie pour construire son raisonnement sur les cartes de la pratique pascale4. Il reconnaît que les « organes officieux de la presse catholique sinon l’évêque lui-même »5 donnent des consignes de vote, ce qui le pousse à reprendre pour notre département une conclusion d’André Siegfried, tirée de sa somme sur l’Ouest, selon laquelle les catholiques appartiennent massivement à la coalition de droite qui se soumet à l’Église et au château. Ces considérations sont cependant loin d’épuiser la question du choix électoral. Elles n’ouvrent que quelques hypothèses qui nécessiteraient de plus amples approfondissements.

  • 6 Ce type de situation peut être fréquent dans certaines zones rurales. Les grandes villes sont auss (...)

3Quoi qu’il en soit l’affaiblissement électoral constaté ne se traduit pas par une disparition politique. L’influence électorale des conservateurs s’amenuise dès les années 1880 parce qu’ils se heurtent à un courant républicain particulièrement vif, avec lequel toutefois il pourra exister des arrangements ou des alliances échappant aux regards politiques basés sur une séparation absolue entre les fractions en compétition. Par exemple, au niveau municipal, il n’est pas rare de rencontrer dans le cadre des « listes de défense des intérêts communaux » des ententes entre les radicaux et les défenseurs du trône6. Afin de prendre au sérieux les imbrications électoralistes, le « conservatisme républicain » proclamé et les positionnements hétérodoxes par rapport au champ politique national, une excursion rapide dans les mouvances radicales, socialistes et au cœur du « bloc socialiste-clérical » se révèle un passage obligé. Nous verrons par la suite que le schéma tendant à insister sur l’effondrement général de l’emprise notabiliaire de la droite demeure peu opératoire. Une recomposition interne voit le jour grâce à un processus d’adaptation et même des phases innovatrices étonnantes principalement aux alentours de Montpellier.

La Belle Époque de l’électoralisme

  • 7 Nous nous appuierons essentiellement sur les travaux de Jean Sagnes : Midi rouge. Mythe et réalité (...)
  • 8 Ce programme formulé en 1869 par un comité « démocratique radical » favorable à Gambetta lors des (...)

4Les régions de la façade méridionale, du Languedoc et à la Provence, tout comme l’Aquitaine, symbolisent un courant républicain dynamique réuni autour d’un attrait quotidien pour la politique et porteur d’un anticléricalisme notoire. Dans l’Hérault, les radicaux des années 1880 à la Première Guerre mondiale occupent des positions, surtout sur le plan électoral, quasi-hégémonique. Ils ont émergé au sein du mouvement républicain7 en s’appuyant sur le programme de Belleville8 qui prône notamment une amélioration du niveau de vie de la population, la suppression des monopoles, une réforme générale de l’impôt, la séparation des Églises et de l’État. Ce programme inspire en 1870 Jules Guesde, rédacteur du journal montpelliérain : Les Droits de l’Homme. Soutenus par les couches populaires, les premiers radicaux se heurtent aux dirigeants du parti républicain d’extraction bourgeoise préconisant une vision plus assagie de la République. Ils repoussent Guesde et ses amis vers les courants anarchistes.

  • 9 Jean Sagnes, « Aspects... », op. cit. , p. 68.
  • 10 On le trouvera entre 1877 et 1895 à la tête du conseil d’arrondissement puis à la présidence du co (...)

5Les équipes municipales concoctées par le grand propriétaire terrien Alexandre Laissac, maire de Montpellier durant les deux dernières décennies du siècle, représentent bien cette ligne. Les professions libérales et les négociants y sont majoritaires. Alexandre Laissac revendique, dès sa première campagne électorale, l’étiquette radicale « en raison de la popularité que ce terme a auprès des éléments ouvriers »9. Le leader radical, qui accumule les positions électives10, est victime de la concurrence, à partir de 1892, de Michel Vernière. Cet industriel, par ailleurs administrateur de la Banque de France, fut longtemps sur la liste de Laissac avant de constituer un groupe de « radicaux-progressistes » se situant plus à droite que les « radicaux-socialistes » rassemblés autour du maire sortant. La scission, à l’origine de débats houleux, ne sera que partielle puisque entre deux tours de scrutin, afin d’éviter la victoire des monarchistes, ils se rapprochent. C’est ainsi que Michel Vernière, député dans une circonscription du Biterrois de 1882 à 1893, conseiller général du canton d’Aniane à partir de 1893 devint maire de 1897 à 1901 et président du conseil général au moment du premier conflit mondial. On remarque également que le secteur proche de Sète est dominé par une autre figure de cette mouvance, Jacques Salis : premier député radical dont l’élection remonte à 1881. Avec l’arrivée d’Alphonse Mas à la tête de la municipalité de Béziers en 1888, une autre grande ville tombe aux mains des radicaux. Cette mainmise s’étend à l’arrondissement de Saint-Pons où les Razimbaud, père et fils, se succèdent à la mairie de Saint-Chinian, à l’assemblée départementale et siègent concomitamment au Parlement entre 1885 et 1914. À la fin du siècle, vingt-six conseillers généraux sur trente-six appartiennent à la mouvance radicale et cinq députés sur sept en 1906.

  • 11 Gérard Baal, Histoire du radicalisme, Paris, La Découverte, 1994, p. 27 et s.
  • 12 Au scrutin législatif de 1902, dans la première circonscription de Béziers, cinq candidats revendi (...)
  • 13 Voir Paul Pistre, Francs-maçons du Midi. Maçonnerie biterroise et sociabilité urbaine du xviiie si (...)
  • 14 Louis Lafferre (1861-1929) est incontestablement le plus connu des maçons biterrois. Ministre à de (...)
  • 15 Madeleine Rebérioux dresse les pourcentages des maçons dans les différents gouvernements : 1877-18 (...)
  • 16 « Le maire dispose de réelles chasses gardées, c’est-à-dire d’organismes dépendant de la franc-maç (...)
  • 17 Antonin Moulin, conseiller général de Béziers, s’inscrit bien dans ce courant. Daniel Cordier prés (...)
  • 18 Jean Sagnes estime que la récupération du terme socialiste s’explique par le fait que « les radica (...)
  • 19 Le directeur du « grand journal quotidien du Languedoc », Jules Gariel est vénérable de la loge Ég (...)

6Inorganisé jusqu’en 1904, trois ans après sa fondation au plan national11, le parti radical est dans une situation particulièrement confuse avec ses multiples branches partisanes (« radicaux », « radicaux-socialistes », « républicains-radicaux »...)12. Une partie de la myriade radicale s’appuie sur la franc-maçonnerie avec laquelle elle partage la fibre laïque. Grâce au réseau des loges, les sympathisants nouent des liens de solidarité et dans les débats des convents approfondissent la doctrine. L’influence maçonnique connaît son apogée autour des années 1900, par l’intermédiaire à la fois de fortes personnalités et d’un tissu de sociétés de pensée particulièrement actives. La ville de Béziers en constitue une place forte depuis 175013. Sous la Troisième République, la permanence des députés et sénateurs républicains rattachés aux loges est prégnante : Émile Vernhes (député de 1876 à 1890) ; le sénateur Perréal, ancien maire de Béziers ; Louis Lafferre (député de 1898 à 1919, sénateur de 1920 à 1924, qui occupera des fonctions ministérielles14) ; Justin Augé (député de 1897 à 1910) en sont quelques exemples. Jouant le rôle d’intermédiaire entre l’électeur et les sphères gouvernementales, au cœur desquelles leurs « frères maçons » étaient bien implantés15, ils multiplient les démarches en faveur d’une « clientèle inféodée » qui bénéficie par ailleurs de l’ancrage municipal visible autour de la capitale viticole16. La principale tendance radicale17 regroupe les représentants des loges dans la Fédération républicaine-radicale, radical-socialiste et socialiste18. Le Petit Méridional, « une feuille vraiment maçonnique »19, soutient son action. Dans le Biterrois, le journal L’Union républicaine ne manque jamais de zèle pour appuyer un courant qui bénéficie, d’autre part, des faveurs de l’administration préfectorale. À noter enfin que son assise électorale touche aussi les cantons de Gignac, Olonzac, Lunel et Mauguio.

  • 20 Jean Sagnes, Le mouvement ouvrier, op. cit. , p. 44.
  • 21 Jean Sagnes, « Aspects du radicalisme... », op. cit. , p. 44.

7Opposée au « pouvoir des maçons », l’autre grande ramification radicale rassemble, au sein du Parti radical indépendant, les parlementaires Laissac, Vigné d’Octon ou Razimbaud. Il s’agit d’une organisation peu stable reposant sur la confiance de la clientèle notabiliaire du Saint-Ponais et du Lodèvois, relayée par La Dépêche de Toulouse. Son audience décroît à chaque élection de 1906 à 191420. Ce déclin résulte aussi des luttes intestines. On trouve ainsi le « parti Laissac » qui passe des alliances avec les socialistes alors que la famille Razimbaud adopte une tactique plus étonnante. Jules-Antoine, le père, domine l’arrondissement de Saint-Pons grâce à l’aide des conservateurs, du moins jusqu’en 1906 ; date à laquelle il sera élu sénateur avec l’appui des socialistes et de la droite anti-maçonne21. Son fils, Jules, brigue alors, à trente et un ans, le siège de député laissé vacant par son père. Élu à la Chambre jusqu’en 1914, ce militant radical et radical socialiste semble davantage se rapprocher des socialistes même s’il est toujours difficile de faire ressortir ce type de nuance dans la galaxie radicale. Largement enracinée dans le département, la vraie puissance du radicalisme repose sur les élus et les comités (fédérations, sociétés de propagande...). Sa présence déjà indiquée dans les rouages de l’État central mais aussi dans les milieux d’affaires constitue un autre atout indéniable.

  • 22 Jean Sagnes, Le mouvement ouvrier..., op. cit. et Le Midi rouge..., op. cit. , p. 278 et s.
  • 23 Michel Augé-Laribé, Le problème agraire du socialisme : la viticulture industrielle du Midi de la (...)
  • 24 Jean Sagnes, op. cit.
  • 25 Yolande Silva, La viticulture languedocienne de 1900 à 1914 vue à travers L’Éclair, Mémoire de maî (...)

8Progressivement, l’électorat départemental se détourne de la tiédeur politique incarnée par le radicalisme au profit de voies plus réformatrices. Il faut toutefois attendre les années 1890 pour assister à la naissance des premières Bourses du travail et à l’affirmation des groupes socialistes marqués par la doctrine de Jules Guesde22. Proches dans un premier temps des radicaux, les militants du Parti ouvrier français se rangent à leurs côtés pendant les luttes électorales. La réciprocité permet en 1898 à l’ouvrier typographe Jean-Baptiste Bénézech de siéger au Parlement. La « viticulture industrielle »23, née de la crise phylloxérique, accroît la main-d’œuvre ouvrière. Celle-ci bénéficie de la prospérité viticole. Avec en 1900, l’effondrement du prix du vin et la crise économique qui s’ensuit les conditions de vie du prolétariat s’aggravent. Un tel marasme favorise l’organisation ouvrière dominée par des dirigeants d’idéologie syndicaliste révolutionnaire dont l’objectif est « l’affranchissement des travailleurs et l’anéantissement de la classe capitaliste »24. Les propriétaires réagissent en incriminant la fraude à la suite surtout de l’adoption de la loi du 29 janvier 1903 qui abaisse le taux de la taxe sur les sucres. La plupart des parlementaires méridionaux reprennent à leur compte cette explication ainsi que L'Éclair qui porte la voix des grands propriétaires25. La combativité ouvrière s’effiloche alors notablement.

  • 26 Madeleine Rebérioux, La République radicale ? (1898-1914), Paris, Seuil, 1975, p. 56.
  • 27 Elle ne comptera qu’un maire et douze sections.
  • 28 L’examen des votes des députés socialistes héraultais entre 1905 et 1914 sur les grandes questions (...)
  • 29 Cité par Jean Sagnes, Le mouvement ouvrier..., op. cit. , p. 100.

9La Fédération socialiste révolutionnaire de l’Hérault rattachée au parti socialiste de France (« parti de révolution et par conséquent d’opposition à l’État bourgeois »26) qui émerge en 1902 n’attire guère27. La majorité des militants se trouve dans la Fédération socialiste autonome et indépendante. Très actif à travers la presse, les réunions, le parti socialiste héraultais se distingue par son électoralisme. De 1905 au début de la Grande Guerre, cinq parlementaires y appartiennent. Devenus des professionnels de la politique, ils impriment leur marque à un courant politique qui cesse alors d’être la force d’appoint des radicaux orthodoxes. Les querelles internes entre les défenseurs d’un certain nombre de thèmes marxistes et ceux plutôt favorables à la ligne républicaine classique, tournent à l’avantage des seconds. Fin 1913, l’influence de la droite du parti représente 84 % des militants, rapporte Jean Sagnes. Elle affiche son appui à la « République démocratique et sociale »28. Cette fraction se montre très hostile aux radicaux défendus par Le Petit Méridional, assimilés à une « secte manipulée par la franc-maçonnerie ». Les radicaux indépendants deviennent alors les partenaires privilégiés. En règle générale, le courant socialiste majoritaire dans l’Hérault évite de s’adjoindre aux menées anticléricales qui restent l’apanage des radicaux. Devant cette situation originale, le représentant du courant favorable au Bloc des gauches (le dénommé Lacroix) dénonce le « bloc socialiste-clérical » qui joue un « jeu répugnant » et regrette que la « propagande vraiment socialiste » soit négligée29.

  • 30 L’Éclair, 4 janvier 1907.
  • 31 Plus de trois cents ouvrages, articles ou films abordent cette crise. Voir François Pic, Jean Sagn (...)
  • 32 Jean Sagnes, Monique Pech, Rémy Pech, 1907 en Languedoc et en Roussillon, Montpellier, Éd. Espace (...)

10Au moment de la crise viticole, le clivage prend une ampleur particulière. Le mois de juin 1907 constitue le point culminant d’une crise qui remonte au début de la décennie. Quelques mois auparavant les tragiques événements, un journaliste de L’Éclair faisait ce diagnostic : « Dans le Midi, où affaires publiques et affaires privées depuis longtemps vont de pair, deux mots résument la situation : misère et désordre. Et le mal ne fait qu’empirer, car le gouvernement, avec une obstination criminelle, refuse de s’occuper des intérêts des pays viticoles »30. Le 9 juin 1907, 600 000 manifestants envahissent les rues de Montpellier en hurlant : « À mort les fraudeurs », « Clemenceau au poteau »... Les 20 et 21 juin à Narbonne les meneurs sont arrêtés, la troupe tire sur la foule. La préfecture de Perpignan est incendiée, le sous-préfet de Paulhan est pris en otage par les émeutiers, tandis que le 17ème Régiment d’infanterie se mutine à Béziers. La flambée de violence résulte de longues années de souffrance depuis l’effondrement des cours du vin et touche l’Aude, l’Hérault, le Gard et les Pyrénées-Orientales31. Devant un tel mouvement social, Clemenceau privilégie la répression tout comme lors de la grève des mineurs du Pas-de-Calais, ce qui lui attire les foudres des socialistes. La crise de 1907 met en cause le gouvernement radical accusé de clémence à l’égard des fraudeurs. Elle exprime également un sentiment d’oppression du Midi par le Nord et donne lieu à une exploitation politique dans laquelle la droite régionale et l’extrême gauche pourront avoir un comportement identique32.

  • 33 Marcelin Albert, prédicateur passionné et obstiné du Midi viticole, écrit dans L’Éveil démocratiqu (...)
  • 34 Le nombre de suffrages donné aux viticulteurs membres de la Confédération générale des vignerons e (...)
  • 35 Robert Laurent, « Droite et gauche en Languedoc. Mythe ou réalité » in Droite et gauche en Langued (...)
  • 36 Yvette et Jules Maurin, « L’insurrection du Midi (1907) », L’Histoire, n° 20, 1980.
  • 37 Jean Sagnes, « Le mouvement paysan de 1907 en Languedoc-Roussillon : révolte viticole, révolte rég (...)
  • 38 Pierre Leroy-Beaulieu a un positionnement compliqué au sein du camp conservateur comme nous avons (...)
  • 39 Rapport du commissaire spécial (2 août 1907). ADH 3 M 1688.
  • 40 Même si l’examen attentif de sa trajectoire a permis de déceler les ambiguïtés permanentes et les (...)
  • 41 Rapport…, op. cit.
  • 42 La Dépêche, 3 août 1907.

11Jusqu’en 1910, les conflits de classe sont partiellement oubliés, une union sacrée existe entre ouvriers agricoles et grands propriétaires33. Ces derniers prônaient depuis longtemps la solidarité dans l’espoir de créer des syndicats mixtes. La Confédération générale des vignerons (fondée entre juillet et septembre 1907) dont les grands propriétaires tenaient les rênes34, malgré la présence à sa tête d’Ernest Ferroul, le maire socialiste de Narbonne, sera le symbole de l’union contre le gouvernement35. Elle se traduit sur le plan électoral par des rapprochements. Les adeptes de la Tradition se servent de la popularité acquise par certains socialistes lors de « l’insurrection du Midi »36 pour chasser de l’arène électorale les radicaux-socialistes affiliés à la « Petite Chapelle » avec le secret espoir de « porter un coup au régime républicain »37. Pour accomplir la « besogne », ils reçoivent l’appui des radicaux-indépendants dont La Dépêche est le porte-parole. C’est ainsi qu’en août 1907, Pierre Leroy-Beaulieu, nouvellement réélu au Palais-Bourbon avec le soutien des monarchistes38, intervient auprès des forces conservatrices au cours d’une réunion pour proposer l’investiture d’Ernest Ferroul, face à l’ancien maire de Montpellier, le docteur Pezet, candidat du parti radical-socialiste dans le troisième canton. À ses yeux, il devait être le « candidat de protestation contre les massacres de Narbonne »39. Le soir même dans un café du quartier Figuerolles, devant plus de deux cents personnes et en présence de Marcellin Albert, Ferroul se déclare candidat, tout en revendiquant son appartenance au socialisme révolutionnaire40. Face aux contradicteurs qui lui reprochent de faire le jeu du parti « réactionnaire », il rétorque en appelant tous les défenseurs de la viticulture à « marcher la main dans la main sans s’occuper des partis politiques ». Répondant à une observation au sujet des « gros propriétaires fraudeurs » qui même lors des bonnes récoltes rémunèrent mal leur main-d’œuvre, Ernest Ferroul récuse en bloc l’accusation et rassure l’auditoire en affirmant que lorsque le Midi aura reçu satisfaction, il sera le premier à organiser les grèves contre les propriétaires viticulteurs qui ne paieraient pas convenablement. À la suite à cette annonce, le marquis de Rovira et d’autres personnalités royalistes parcourent les communes du canton en y laissant des affiches et des bulletins de vote au nom de Ferroul41. La Dépêche entre dans le jeu en multipliant les articles contre Pezet : « l’homme qui, dans un but personnel, a failli par des démarches vaines. Il a humilié le Midi viticole auprès de Clemenceau, l’auteur responsable des fusillades de Narbonne ». Alors que le socialiste narbonnais est salué comme « celui qui a payé de sa liberté son dévouement à la cause du Midi »42. Ce soutien croisé facilite le succès d’Ernest Ferroul.

  • 43 Il avait cette fonction depuis 1889.
  • 44 Paul Alliès, « Les élections législatives du 24 avril 1910 dans la circonscription de Pézenas-Béda (...)
  • 45 Pierre Barrai, Les agrariens français de Méline à Pisani, Paris, Armand Colin, 1968.
  • 46 Jean Sagnes, « Viticulture et politique : Édouard Barthe député de l’Hérault (1882-1949) », in Mél (...)
  • 47 Il entre à la Chambre avec deux autres socialistes (Reboul et Molle), déplore Louis Lafferre, grâc (...)

12Une autre notabilité socialiste, Édouard Barthe en bénéficie régulièrement. Pharmacien de profession, ce jeune socialiste unifié (SFIO), ardent adversaire de la franc-maçonnerie, s’illustre à vingt-huit ans au cours des élections législatives d’avril 1910 en devançant le radical et radical-socialiste Justin Augé, conseiller général43 et député de la deuxième circonscription (Pézenas-Bédarieux). Le scrutin de 1910 dans l’Hérault incarne un tournant44. Il sonne le glas de la suprématie du courant représenté par Augé et met au jour les traits du « socialisme barthien » qui s’affirme jusqu’au lendemain de la Libération. De sa longue carrière, fortement marquée par le clientélisme parlementaire, il ressort un engagement constant en faveur de la viticulture. Ce qui lui vaut de multiples surnoms : le « pape du vin », « l’apôtre mondial du vin », « l’empereur du vin »... Fidèle à la fibre agrarienne45, il considère la paysannerie comme une entité et nie les distinctions entre les classes et les groupes qui peuvent la composer46. Édouard Barthe défend avec ferveur la Confédération générale des vignerons, condamnée dès le début par les socialistes héraultais. L’Éclair s’en réjouit et lui accorde un appui pouvant aboutir à un soutien public. En 1910, après sa première élection à la Chambre des députés47, il entre en lice dans un scrutin cantonal. Lors d’un meeting à Pézenas, le député Pierre Leroy-Beaulieu et le conseiller général monarchiste Henri de Rodez-Bénavent interviennent en sa faveur. Cette convergence hétéroclite lui assure la victoire.

  • 48 . L’Éclair, 3 août 1907.
  • 49 La Dépêche, 4 octobre 1907.

13Durant cette période de conflits internes au camp républicain, les partisans de la droite jouent un rôle d’arbitre. Ils choisissent les candidats de « protestation viticole » contre les candidats « purement politiques »48, dénommés par La Dépêche, « la candidature officielle et chapelarde »49. Sur ce point, au moins, l’aversion pour la franc-maçonnerie est aussi comparable avec ce que l’on peut lire dans L’Éclair. Un extrait du Télégramme, le journal financé par la famille Leroy-Beaulieu, qui prétend défendre les « républicains modérés » d’où le sous-titre « Journal quotidien de la démocratie du Midi », confirmera notre propos. Il concerne les élections cantonales de 1907 :

  • 50 Son grand-père, Eugène Lisbonne, est l’ancien député de la circonscription.
  • 51 Le Télégramme, 7 décembre 1907.

« C’est demain dimanche que les électeurs du canton de Mèze sont appelés à élire un conseiller général en remplacement de Bonbeil fils, décédé. Briguent leurs suffrages : Maurice Lisbonne50 avocat à Montpellier, radical-socialiste ; Allègre, ancien maire de Mèze, représentant de commerce, radical-socialiste et Guitard, maire actuel de Mèze, pâtissier, socialiste unifié et candidat de défense viticole. Tous trois sont radicaux ou socialistes. Aucun ne représente nos idées, l’opposition ayant jugé inutile de lancer un candidat dans la mêlée. Mais Maurice Lisbonne est le candidat de la Petite Chapelle et de la Préfecture, avec Allègre, sa doublure, qui lui emboîte le pas - on ne peut mieux dire -allégrement, c’est-à-dire dans le seul but de faire son jeu. Reste Guitard, maire socialiste républicain de Mèze, qui n’a pas été désigné par le congrès chapelard de Poussan, qui combat la Petite Chapelle et se place aussi sur le terrain de défense viticole. Dans ses conditions, nous estimons que nos amis doivent faire échec au chapelard Lisbonne et à sa doublure Allègre. Sans hésiter, ils doivent voter pour le maire de Mèze, Guitard, le seul qui puisse défendre avec indépendance leurs intérêts viticoles menacés »51.

14Le quotidien L’Éclair stigmatise encore plus les « mauvais candidats » et rejoint les vues exposées dans Le Télégramme :

  • 52 L’Éclair, 7 décembre 1907.

« Une élection au conseil général aura lieu demain dans le canton de Mèze. Les conservateurs, les libéraux du canton ne présentent aucun candidat. Ils ne doivent pas cependant se désintéresser de l’élection. Au contraire, ils doivent prendre position dans la lutte et y jouer le rôle que leur permettent leur nombre et leur union parfaite. Le parti républicain présente trois candidats : Allègre, Lisbonne et Guitard. Allègre est l’homme du bloc qui, accumule dans notre pays les misères sur les ruines (...). Lisbonne est le candidat de la préfecture. Il est aussi celui de la Petite Chapelle. Il est juif. De plus, Lisbonne est secrétaire de la section montpelliéraine de la ligue des droits de l’homme. En cette qualité, il a communiqué, le 29 juillet dernier, aux journaux, un ordre du jour voté par cette section où dans un pathos quelque peu filandreux, étaient blâmés les manifestations des viticulteurs. Guitard, le troisième qui sollicite les suffrages est maire de Mèze. En cette qualité, il a pris part au mouvement viticole. Il est de ceux qui ont donné leur démission après le 10 juin et qui sont restés fidèles à la ligne de conduite tracée par le comité d’Argeliers d’accord avec le comité de défense viticole. Tels sont les trois candidats en présence. Le devoir de nos amis est tout tracé : ils doivent assurer la défaite des candidats guidés uniquement par des préoccupations politiques et soutenus par l’odieuse Petite Chapelle »52.

  • 53 Alexandre de Vichet, dans ses éditoriaux, regroupe sous cette appellation générale les sympathisan (...)
  • 54 L’Éclair, 10 avril 1910.
  • 55 Rémy Pech, « 1907 : Révolte contre Marianne ou Marianne en révolte », in Per Robert Lafont. Estudi (...)

15Le résultat donne dès le premier tour l’avantage à Guitard. Il est élu par 1 680 voix contre 729 à Lisbonne et 709 à Allègre. L’attitude des « amis »53 de la droite durant ce scrutin exemplaire sera rééditée maintes fois. Les consignes de vote données par ses relais lui permettent d’être souvent, pour reprendre une expression d’Alexandre de Vichet, « les maîtres du scrutin : en ce sens que (ses électeurs) peuvent faire élire le blocard qu’ils veulent »54. Jusqu’à l’aube de la Grande Guerre, les signes du mouvement interclassiste perdurent. Néanmoins, l’idéologie d’union viticole n’a pas engendré un projet politique précis, malgré des soubresauts qui parurent ébranler la République55.

  • 56 Michel Offerlé, dir., La profession politique xixe-xxe siècles, Paris, Belin, 1999, p. 12.

16Cette longue parenthèse nous semblait primordiale. On perçoit, à travers les exemples pris, le rôle de la tactique électorale qui accapare une grande partie du temps du personnel politique issu du suffrage universel, voué entièrement à l’exercice d’une tâche politique partisane de plus en plus spécialisée. Devant une telle évolution, les défenseurs du « Midi blanc » et leurs alliés hostiles à l’émancipation républicaine et aux principes de la démocratie représentative se trouvent face à un dilemme. Faut-il intégrer le système afin de le contester ou de le saborder de l’intérieur ? Ou faut-il s’employer à le détruire de l’extérieur ? La seconde solution reste le domaine d’une frange des activistes de l’Action française. Des « grands » aux « petits notables », beaucoup s’accommodent de la réforme de 1848. Tout en brandissant dans leur péroraison la « figure de l’amateur », en dénonçant la politique « dévoyée » depuis sa transformation en « métier », ils s’intéressent aux nouvelles règles en vigueur. Certains font même preuve d’une imagination électorale surprenante et deviennent des spécialistes de « l’extraction des suffrages »56.

La transfiguration des notables : l’exemple d’Henri de Rodez-Bénavent

  • 57 Pour un excellent exemple de cette incorporation des règles du jeu politique dans le camp conserva (...)

17C’est en suivant cette piste que nous examinerons le « métier »57 déployé par une partie du personnel nobiliaire qui a choisi de relever le défi du suffrage universel. À partir de l’examen attentif de tous les candidats ayant la caution de L’Éclair, durant les scrutins législatifs au lendemain des années 1900, deux personnalités laissent une trace profonde : Pierre Leroy-Beaulieu et Henri de Rodez-Bénavent. Parmi les autres individualités de la mouvance qui nous préoccupe, Louis Guibal élu à la Chambre en 1919 pourrait leur être comparé, même si son investissement politique est d’une nature différente. Quant à Paul de Girard et à André Vincent, après quelques insuccès à la députation, ils ont décidé de tourner le dos à l’épreuve électorale. C’est, pour eux, une position de principe. Ils refusent de cautionner un jeu électoral impliquant une acceptation préalable de normes fixées par un régime qu’ils jugent exécrable. Le premier prend du recul en se drapant dans la « figure du sage » et le second se plonge dans des activités militantes et éditoriales en s’efforçant de faire le lien entre le projet de société des maurrassiens et les derniers impétueux « royalistes de tradition ».

  • 58 À la veille des années 1900, Pierre Leroy-Beaulieu est très fortement marqué par son séjour aux Ét (...)

18Entre les Cévennes et la garrigue montpelliéraine, les deux acteurs de la scène électorale ayant retenu notre intérêt se distinguent par leur « professionnalisme ». Chacun y apporte une touche spécifique. Pierre Leroy-Beaulieu, qui est toujours resté dans l’expectative sur la question du régime, bénéficie d’un appui sans faille de L’Éclair et des réseaux « blancs ». Celui qui appartient à une lignée politique et académique de premier plan occupe le devant de la scène parlementaire durant la Belle Époque avant de mourir au combat en 1915. Son engagement est exemplaire comme nous l’avons largement démontré dans une autre contribution. Il fait figure de pionnier à l’échelle nationale en construisant une entreprise politique façonnée par les modèles anglo-saxons de « machines électorales »58 décrits par Moisei Ostrogorski dans son étude classique sur La démocratie et l’organisation des partis politiques (1903). Celui que l’on surnomme parfois « le petit Roy Beaulieu » se distingue d’Henri de Rodez-Bénavent qui applique avec une grande réussite un autre type de savoir-faire. En l’adaptant aux exigences contemporaines, ce propriétaire terrien reprend un rapport notabiliaire tissé par ses ascendants dans un espace politique marqué par les affrontements religieux. Nous allons suivre pas à pas sa transfiguration en découpant trois périodes électorales.

1904 : la campagne électorale d’un « réactionnaire »

  • 59 Le travail de l’administration sur le corps électoral par le biais des « soldats de l’ordre » (c’e (...)
  • 60 Rapport du 3 août 1904. ADH 3 M 1669.
  • 61 Ibidem.
  • 62 « Le comité cantonal libéral catholique, dans une réunion plénière tenue hier dimanche, a acclamé (...)
  • 63 Alain Garrigou, Le vote et la vertu. Comment les français sont devenus électeurs, Paris, Presses d (...)

19Au milieu de l’été 1904, le commissaire de police de la ville de Ganges chargé de la sûreté générale et plus précisément du soutien aux « bons candidats »59 se montre dépité après la victoire d’Henri de Rodez-Bénavent dans un scrutin pouvant paraître anodin. « J’ai l’honneur de vous adresser sous ce pli, écrit-il au préfet, quelques renseignements au sujet de la désastreuse élection au conseil général, qui vient d’aboutir pour le canton au succès bien fâcheux de la plus pure candidature royaliste qu’on puisse imaginer »60. Le résultat le froisse parce qu’il remet en scène l’héritier d’une des plus grandes lignées légitimistes. En cherchant à pointer du doigt les responsables du « désastre », il critique en premier lieu Émile Carrière, le candidat républicain, ancien maire de Ganges et ancien vice-président du conseil général, pour son inactivité au cours de la campagne. « Il eut pu faire un peu plus de propagande personnelle. Sa seule présence dans les communes eut suffit pour lui faire gagner de nombreuses voix. Et qui sait, si en présence d’un mouvement favorable que M. Carrière eut ainsi provoqué en sa faveur M. de Rodez eût accepté la lutte »61. Son attitude apparaît d’autant plus condamnable que son adversaire n’a déclaré ouvertement sa candidature, par l’intermédiaire de L’Éclair, que six jours avant le scrutin62. À partir de rapports électoraux et de quelques coupures de presse, nous retracerons un travail électoral revêtant toujours une part de mystère63.

  • 64 André Siegfried, « Le groupe protestant cévenol sous la Troisième République », Collectif, Protest (...)

20L’essentiel de l’argumentation d’Henri de Rodez-Bénavent porte sur la « défense religieuse ». L’affirmation de l’anticléricalisme sur le plan national prend une connotation spécifique dans un canton où trois communes (Ganges, Cazilhac et Gorniès) sont majoritairement protestantes. On se trouve au cœur des Basses-Cévennes où depuis le xvie siècle, les Réformés avaient établi leurs principales places fortes. Au temps des Valois, le protestantisme s’était implanté dans tout le bassin de l’Hérault, en particulier depuis Ganges jusqu’à Saint-Guilhem-le-Désert. Les guerres religieuses ensanglantèrent ces régions et y laissèrent des plaies ouvertes toujours vives à la veille de la Première Guerre mondiale. André Siegfried présente ainsi les lieux : « L’atmosphère de ce Midi qui n’est ni le Midi provençal, ni le Midi albigeois, mais un Midi languedocien appuyé sur la montagne et distinct de la plaine viticole, se caractérise par la persistance et la passion des luttes religieuses : elles sortent directement d’un passé de persécutions et de guerres qui n’est pas oublié, qui conditionnent l’économie, la politique et jusqu’à la géographie »64.

  • 65 Ils représentent environ entre 3 % et 5 % de la population départementale au cours du xixsiècle. (...)
  • 66 Émile Appolis, « Un épisode du Réveil protestant : l’offensive méthodiste à Ganges (1842-1858) », (...)
  • 67 Gérard Cholvy, ibidem
  • 68 La population se situe autour de 4 500 habitants entre la fin du siècle et les années 1910. Voir R (...)
  • 69 On compte à Ganges en 1914, dix-huit filatures employant plus de six cents fileuses.

21Au milieu du xixe siècle, cette communauté représente 30 % au moins de la population dans le canton de Ganges ainsi que dans celui de Lunel. Les positions sociales élevées des protestants font que l’opinion tend à surévaluer leur importance numérique65. La ferveur religieuse renaît avec les mouvements de Réveil à l’origine de quelques controverses internes, mais qui ne diminuent en rien, bien au contraire, la cohésion des attaques journalières contre les catholiques66. Au début des années 1900, on accuse les pasteurs de Ganges de contribuer aux souscriptions en faveur de la propagande électorale radicale et le clergé se montre inquiet devant le nombre croissant de protestants ruraux qui embrassent la carrière d’instituteur. Enfin, les positions bien tranchées de l’évêque opposant de la première heure à la Réforme ne permettent pas d’envisager une évolution dans le sens d’un rapprochement des deux cultes67. Le chef-lieu du canton constitue une ville attractive. Le développement de l’économie manufacturière (filature et production de bas de soie) y est pour beaucoup68. Lorsque survient la crise de la sériciculture vers 1850, elle se cantonne dans la plupart des bourgs du Vivarais. La ville de Ganges est moins nettement touchée et les usines se maintiennent jusqu’en 192569.

  • 70 L’indiscipline a fait le jeu de Granier, le candidat conservateur.
  • 71 Notes d’ensemble sur la situation des partis du canton de Ganges au 1er avril 1905. ADH 1 M 1102.

22Les caractéristiques de cette cité, en partie protestante et ouvrière, la séparent politiquement des autres localités du canton. Les forces républicaines y sont largement majoritaires. En moyenne radicaux, radicaux-socialistes et socialistes forment un bloc de 650 voix et les « réactionnaires » -pour reprendre la dénomination donnée par les autorités officielles- ne mobilisent que 480 suffrages. Le commissaire spécial se montre optimiste en 1905 : « Rien ne fait présager jusqu’ici que cette situation de supériorité républicaine puisse être entamée. Au contraire, il y a tout lieu de compter que cette situation (même après la séparation des Églises et de l’État) ira plutôt s’accroissant... Que la fraction socialiste -environ 80 voix- persévère dans son attitude de bonne discipline républicaine (dont l’inobservation fut en 1895 lors de élection au conseil d’arrondissement si funeste au parti cantonal70) et la sérieuse majorité actuelle sera pour longtemps encore parfaitement assurée. Cela, malgré tous les efforts des comités de défense religieuse ou d’études... sociales ? de la Réaction »71. Une autre localité à majorité protestante, Gorniès, ne pose pas de problèmes. Avec 110 républicains contre 15 réactionnaires, elle est qualifiée de « meilleure du canton, après Ganges » par le représentant du préfet. Quant aux républicains de Cazilhac, troisième bastion des tenants de la Réforme, ils se sont retrouvés comme en 1902 pour combattre le maire et châtelain de la commune, Henri de Rodez-Bénavent, briguant le mandat de conseiller général. Le candidat de « concentration républicaine » n’obtient pourtant que 75 voix contre 136 pour le premier magistrat. Dans toutes les autres (sauf le petit bourg de Montoulieu), le candidat royaliste est arrivé en tête.

23Dans la zone Sub-Cévenique comme dans les garrigues qui constituent un ensemble homogène, à l’écart de l’influence de la ville, un profond attachement à la foi catholique subsiste. L’Éclair ne manque pas de le saluer.

« Un canton vendéen dans l’Hérault » (L’Éclair, 2 avril 1906)
« C’est celui de Ganges. Aucune des paroisses qui le composent n’a failli à son devoir, à l’occasion des inventaires, et l’agent du fisc a dû se retirer honteux sous les huées de la foule. Si des huit paroisses, seule l’église de Ganges étale sur sa porte ses glorieuses cicatrices, c’est que, le 9 février, dans cette cité, la force a eu raison du droit, mais seulement après un déploiement considérable de troupes, aussi inutile que ridicule. Dans les autres communes, quand l’agent désigné à cet effet se présenta, flanqué de quelques gendarmes devant la foule prête à le recevoir, il ne put accomplir sa mission. Dans ce canton foncièrement catholique, les habitants profondément attachés à la foi de leurs pères, et qui se sont appelés “les églantinards du Bon Dieu”, étaient résolus à lutter jusqu’à la mort ; ils ont montré que rien : ni le froid, ni la neige, ni la pluie, ni le vent, qui certes ne leur ont pas manqué, n’étaient capables d’atténuer un instant leur zèle religieux. Ils ont compris, ces habitants de nos Cévennes, que l’inventaire était le prélude d’actes plus arbitraires encore, se préparant dans les officines maçonniques et dont le but est de détruire ces églises, ces antiques clochers, à l’ombre desquels ils veulent dormir leur dernier sommeil (...). Ah ! Ils le savent maintenant ce que vaut la loi inique de séparation, ces hommes simples qui ne connaissent ni les artifices de la diplomatie, ni les ruses hypocrites des loges. Ils l’ont jugée cette loi néfaste qui a déchaîné la guerre religieuse, et demain peut-être la guerre civile. Ils les ont jugés ces politiciens vendus qui ont trahi leurs intérêts en les trompant honteusement, promettant toujours une liberté qui n’exista jamais que pour eux ! Oui, ils l’ont jugée cette loi, ces paysans sans instruction qui vivent de la tradition et du passé ; ils l’ont jugée et ils se souviendront de leurs auteurs, au jour de la revanche »!

  • 72 Nous pouvons remarquer l’importance de ce lieu dans l’imaginaire des catholiques à partir de l’his (...)

24C’est au centre de ce canton sur la commune de Brissac que se trouve un haut lieu spirituel qui rassemble régulièrement tous les catholiques du secteur. On évoque ici le sanctuaire de Notre-Dame du Suc72. Les monts touffus qui partent du confluent de la Vis et de l’Hérault, poursuivent leur marche ascendante, au Sud, entre Cazilhac, Brissac et les agglomérations de la Buèges. Les villages de Gorniès et Madières, au Nord, forment le premier contrefort du Larzac et constituent la chaîne de la Séranne. C’est sur le flanc d’une colline de celle-ci que se trouve le Suc, c’est-à-dire le sommet des terres labourables. Sur le versant méridional du mont s’élève une église depuis que « Marie daigna un jour montrer Son Image sur les rochers de la colline du Suc ». Le récit de l’apparition se raconte, de génération en génération, dans toutes les familles catholiques héraultaises encore de nos jours :

  • 73 Fabre, Mémoire des faits merveilleux qui sont arrivés à Notre-Dame du Suc, 1709. Cité par le chano (...)

« Vers la fin du viiie siècle, rapporte en 1709 l’abbé Fabre curé de Brissac, un bouvier menait paître son troupeau sur les flancs de la montagne. Un des bœufs confiés à sa garde allait, tous les jours, s’accroupir devant un roc qui couvrait une touffe de buis, et il se tenait là, à genoux, dans la posture de l’adoration et de la prière. Chassé de cet endroit, l’animal ne s’en éloignait qu’à regret et y revenait bientôt. Frappé de la singularité du fait et, sans doute aussi docile à un avertissement intérieur, le bouvier s’approche, et, se penchant, avec un religieux saisissement, sur la touffe de buis, il en écarte de sa main tremblante l’épaisse verdure ; tout à coup, ô merveille ! au milieu d’une clarté éblouissante, apparaît à son regard ravi une blanche madone portant sur son bras l’Enfant-Jésus. L’heureux berger prend la miraculeuse Image et la porte à ses maîtres. Ceux-ci la remettent pieusement au prieur des Bénédictins de Brissac (...). Bâtir une chapelle en ce lieu plus commode pour la dévotion des fidèles, y déposer la douce image, telle fut l’œuvre rapidement exécutée par le prieur de Brissac. Mais la statue abandonne l’autel qu’on voulait lui imposer, pour venir reprendre sa place première sur la roche du Suc. Deux nouvelles tentatives amènent le même résultat. La Vierge indiquait clairement qu’elle voulait son temple et son autel sur son aride rocher. C’est alors qu’une modeste chapelle s’éleva sur l’endroit même de l’invention miraculeuse. La Statue de Marie resta sur son rocher. Elle repose encore sur cette pierre vénérable. Aux jours de fête, les pèlerins, depuis onze cents ans, appliquent leurs lèvres brûlantes là où la Vierge a daigné manifester sa gracieuse Image »73.

  • 74 Philippe Dujardin, « La mémoire édifiante. La chapelle expiatoire des Brotteaux à Lyon », in André (...)
  • 75 Pierre Nora, « Entre Mémoire et Histoire. La problématique des lieux », in Pierre Nora, dir., Les (...)
  • 76 René Louis, « Des points d’ancrage », Autrement. Hauts lieux. Une quête de racines, de sacré, de s (...)
  • 77 Encore aujourd’hui, malgré le déclin de la foi catholique, des pèlerinages sont régulièrement orga (...)

25L’érection de la chapelle et de la statue signifie qu’ici quelque chose de grand a commencé. Le haut lieu désigne un endroit qui a fait mal, qui fait mal encore et qui résiste face au temps ; de là cette contrainte de la monumentalisation : la dureté des matériaux suppose la durabilité du souvenir74. Ce récit fonde un lieu de mémoire c’est-à-dire un « reste »75, un « point d’ancrage »76 où les catholiques trouvent de quoi s’assurer, malgré les bouleversements, de la continuité de leur foi77. Dès l’apparition, de nombreuses processions sont organisées. Ce mouvement loin de se ralentir prit une grande extension. Le Suc s’inscrit depuis sur la route officielle des pèlerinages. On le visitait en allant à Rome, à Saint-Jacques-de-Compostelle, à Notre-Dame du Puy... Le lieu a conservé son caractère austère. Faire Notre-Dame du Suc représente toujours un acte de pénitence, de mortification, de sacrifice. Durant son épiscopat Mgr de Cabrières, pour lequel Notre-Dame du Suc représente « quelque chose de surnaturel (propre) à vous élever », confie le sanctuaire aux missionnaires de Notre-Dame de Sainte Garde d’Orange. En juillet 1901, ils subissent le sort commun de nombreux religieux et abandonnent leur « chère chapelle » quand, envoyés par le préfet, le commissaire de police et le juge de paix de Ganges, escortés par une brigade de gendarmerie à cheval, apposent des scellés sur les portes du sanctuaire. Pour l’abbé Poitevin, cette œuvre ne peut émaner que des « agents dociles de Satan, des sectes impies qui conspirent dans l’ombre contre Dieu et son Christ ». Il l’assimile à une « persécution raffinée, qui, sous le masque de la légalité, assouvit les haines les plus implacables ». À ses yeux, les autorités décident de frapper tout spécialement ce lieu car il incarne « la tête de la Sainte Église dans les Cévennes ». Cet acte fut assimilé par les milieux catholiques à un sacrilège et souleva de vives réactions.

26L’atteinte portée à ce haut lieu de la mémoire qui renferme le maximum de sens dans l’imaginaire des catholiques du secteur, et bien au-delà, sera parfaitement exploité par Henri de Rodez-Bénavent qui en fait quasiment son seul cheval de bataille dans sa très courte campagne électorale. Profondément ancré dans le territoire, il perçoit l’impact du « sacrilège » perpétré par les partisans de la République et l’exploite au maximum dans la seule affiche électorale signée par son comité de soutien. Elle vise surtout les électeurs de Brissac qui, selon tous les observateurs, peuvent jouer un rôle décisif.

  • 78 Il vise son opposant, le conseiller général sortant, Émile Carrière qui se présente comme catholiq (...)
  • 79 ADH 3 M 1669.

« Aux électeurs de Brissac,
Souvenez-vous que de toutes les nombreuses chapelles existant sur le territoire des trente six cantons de l’Hérault, SEULE la chapelle du Suc a été fermée par arrêté préfectoral. Est-ce imprévoyance, insouciance ou trahison ? Quoi qu’il en soit ceux qui ont coopéré à cette œuvre de haine ne peuvent plus posséder votre confiance. Ceux qui se targuent d’avoir du sang catholique dans les veines78 n’auraient pas dû laisser outrager nos droits de catholiques en ne faisant même pas entendre une seule protestation contre la fermeture de la chapelle séculaire du Suc. Leur intervention aurait pu reporter cette mesure aussi odieuse qu’impie, car d’autres conseillers généraux l’ont fait dans leur canton en faveur d’autres chapelles. Eh bien ! Electeurs de Brissac, vous montrerez Dimanche que vous avez ressenti l’outrage. Vous voterez contre le candidat cher au cœur du gouvernement qui a ordonné la fermeture de la chapelle du Suc. Catholiques, que votre vote de Dimanche soit le cri éloquent de votre conscience opprimée et de vos croyances outragées. Électeurs indépendants, que votre vote de Dimanche soit un acte vengeur de votre liberté ravie et de vos intérêts lésés. Que votre vote soit un vote de protestation.
Vive Notre-Dame du Suc !
Vive Brissac !
Vive la liberté »79 !

  • 80 Parmi les autres secteurs, on note que la majorité des femmes restait pratiquante parmi les popula (...)
  • 81 Marc Abélès, Jours tranquilles en 89. Ethnologie politique d’un département français, Paris, Odile (...)
  • 82 Michel Pinçon, Monique Pinçon-Chariot, « Le nom de la lignée comme garantie de l’excellence social (...)
  • 83 Au début du siècle, dans la nomenclature élaborée par le service des affaires politiques de la pré (...)

27Le « sacrilège » perpétré par les envoyés du préfet, dans un secteur où « presque toutes les femmes et parfois les trois-quarts des hommes accomplissent le devoir pascal »80, a servi de détonateur à la mobilisation autour de celui qui se présente comme l’unique opposant au gouvernement responsable de la « guerre » contre la religion. On ne saurait cependant expliquer le succès d’Henri de Rodez-Bénavent en ne retenant que cet élément. Son renom familial a aussi joué. Dans des circonstances aussi difficiles, sa candidature apparaît pour une partie de l’électorat comme un gage de sécurité, de respect de certaines traditions aujourd’hui « piétinées ». « Le choix des électeurs est guidé, parfois même à leur insu, par cette référence à des traces »81, note Marc Abélès. Au sein du canton, Henri de Rodez-Bénavent, en raison de l’inscription ancienne de sa famille, se trouve tout naturellement placé au cœur d’un réseau relationnel qui perdure depuis des générations. Sans faire campagne, du moins en apparence, juste par l’évocation de son nom, il représente un repère. Ce qui lui permet de renouer et de fortifier les liens affectifs, mais aussi partisans. Il dispose ainsi d’un avantage supplémentaire par rapport à son adversaire : c’est un éligible. En outre, son patronyme, par sa forme même, accompagné du titre nobiliaire de vicomte, exprime l’excellence sociale de sa personne82. Toute l’habileté d’Henri de Rodez-Bénavent sera d’utiliser à bon escient la référence familiale dans la compétition électorale. Dans la profession de foi, publiée par L’Éclair le 27 juillet, il affirme avoir répondu positivement à la demande du bien énigmatique « comité cantonal libéral et catholique » car écrit-il : « Dans les circonstances actuelles, j’ai considéré comme un devoir d’accepter cette mission ». Il précise que ce choix ne s’est fait qu’après les « très vifs encouragements » du Docteur Granier, le conseiller d’arrondissement un moment pressenti pour livrer la lutte politique. Face à Émile Carrière, le conseiller sortant très âgé, classé dans les rapports officiels sous l’étiquette de « républicain progressiste »83, le représentant du « comité cantonal libéral et catholique » clame sa jeunesse dans toutes ses déclarations. Il n’a en effet que vingt-sept ans : « Si j’ai l’honneur d’accepter vos suffrages, c’est pour défendre avec toute l’énergie de ma jeunesse, nos libertés publiques et sociales et les intérêts particuliers de notre canton ». Hormis la « défense religieuse », la référence « aux intérêts agricoles de notre région » et à l’amélioration du « sort des petits et des humbles par les œuvres de mutualité et de protection de la vieillesse », Henri de Rodez-Bénavent résume son ambition en l’inscrivant ouvertement dans la continuité familiale. « En un mot, explique-t-il, je continuerai les anciennes traditions de ma famille, en me dévouant comme ceux des miens que vous avez jadis honorés de vos suffrages ».

  • 84 Cet ouvrier-typographe, conseiller municipal de Montpellier dès 1892, devient député en 1898, en b (...)

28La déclaration de candidature et les déclamations tapageuses du jeune vicomte n’inquiètent guère. Dans la trame quotidienne des relations sociales et durant la campagne, les prétendants ou leurs intermédiaires cherchent à influer sur son acte. À côté des discours de « bonnes intentions » ou des polémiques générales évoquées par les journaux, le citoyen se voit enserré dans un tissu relationnel qui met son bulletin sous influence. Dans le cadre familier des relations quotidiennes, l’un des rouages essentiels de la conquête électorale résulte dans l’intervention d’intermédiaires politiques dévoués et plus spécifiquement dans celle des agents électoraux. Le travail, de ce second groupe d’intervenant, demeure fort méconnu. Ils agissent directement sur la sphère privée et le résultat de leurs actions n’apparaît presque jamais dans les rapports de police ou dans la presse. Ancrés au cœur de la circonscription électorale, ils se veulent bien informés. Avant le scrutin qui nous intéresse, les agents fidèles à la cause républicaine ne craignent pas de Rodez. Nous avons retrouvé deux lettres qui vont dans ce sens. La première est envoyée par un habitant de Ganges, que nous ne pouvons identifier, au député du secteur le socialiste Jean-Baptiste Bénézech84, avec lequel il entretient une certaine familiarité. Elle fait ressortir tout l’intérêt que ce parlementaire porte au vote puisque son passage récent est évoqué et on l’invite à se mobiliser :

  • 85 Lettre en date du 20 juillet 1904. ADH 3 M 1669.

« Mon cher député,
Depuis votre départ, la situation s’est modifiée et demande l’attention et le concours de tous. Il est ici à peu près certain que M. Carrière aura un concurrent. Peut-être M. Granier, le plus redoutable, très travaillé actuellement, à son défaut un de Rodez. Probablement, comme à leur habitude les réactionnaires ne le feront connaître que deux ou trois jours (avant le premier tour). Donc il faut prendre des mesures pour le cas le plus grave celui où Granier se présenterait. La lutte sera vive et le résultat douteux. Si Carrière passe, il ne passerait que de quelques voix (vingt peut-être) et, il faut reconnaître que Granier a de grandes chances (...) »85.

  • 86 ADH 3 M 1669.
  • 87 On fabrique les catégories suivantes : « progressistes », « ralliés », « nationalistes » ou « réac (...)
  • 88 Souligné par l’auteur de la lettre.
  • 89 Ibidem.

29La seconde, reçue par le préfet fin juillet, émane du maire de Ganges. Il demande des renforts policiers, pour le soir et le lendemain du scrutin, et ne cache pas sa satisfaction à propos de son issue : « le trouble en réalité n’est à craindre que dans le cas du succès du parti réactionnaire ; mais je ne pense pas que nous ayons à déplorer un pareil résultat. La candidature de Rodez nous paraît moins à craindre que celle de M. Granier qui n’a pas accepté la candidature »86. Cet état d’esprit est partagé par le préfet. Lors d’un rapport, daté du 22 juillet, envoyé au président du Conseil, il ne prévoit pas la victoire d’un aspirant au poste de conseiller général, classé administrativement à droite87. Les deux courriers destinés au député et au préfet abordent, ce qui apparaîtra plus tard comme la clé du scrutin. Le « candidat officiel » ne l’emportera, précisent-ils, que si leurs interlocuteurs interviennent auprès d’une personne dont l’influence semble déterminante pour faire basculer le canton dans l’un ou l’autre camp. Ils font référence à Auguste Gay. À la tête de la municipalité de Brissac, il dirige une fabrique de papier qui emploie une trentaine d’ouvriers. Dans la lettre pour le député socialiste, l’agent électoral insiste lourdement afin qu’il agisse auprès de l’industriel : « Il est un homme qu’il faut88 absolument que vous voyez, c’est Gay de Brissac. Il faudrait le voir avec le préfet89 et lui parler seul. C’est pourquoi je vous écris afin que vous puissiez lui donner rendez-vous à Montpellier (...). La lutte sera excessivement dure. En tout cas il est de toute importance que vous voyez Gay et qu’il marche ferme ». Quant au premier magistrat de Ganges, il reste sibyllin. Tout laisse à croire que ses allusions visent Gay : « Les forces républicaines ont besoin de marcher unies et il est de toute nécessité que les personnalités influentes de certaines communes soient vivement invitées à sortir de leur indifférence apparente, ou de leur neutralité pire qu’une opposition ouverte. Je me permets, M. le Préfet, d’ajouter à ma lettre cet avis, sachant bien que vous aurez l’occasion de l’utiliser et de vous rendre compte qu’il n’est pas inutile vis-à-vis de certain maire et grand électeur d’une commune du canton ».

  • 90 L’Éclair, 2 août 1904.
  • 91 L Éclair, 4 août 1904.
  • 92 . L’Éclair, 3 août 1904.
  • 93 L’Éclair, 2 août 1904.
  • 94 L’Éclair, 3 août 1904.

30Les appels des agents électoraux républicains n’ont, semble-t-il, pas été entendus ou Auguste Gay n’y a pas répondu positivement. Dès le premier tour, Henri de Rodez-Bénavent obtient la majorité des suffrages. Seul candidat royaliste élu, il incarne pour L’Éclair l’espoir. « Grâce à l’énergie des catholiques de Ganges, le bloc sectaire du conseil général est entamé, la brèche est ouverte, à d’autres maintenant de l’élargir »90, peut-on y lire. Le nouveau conseiller général, dans un message de remerciements, analyse son succès comme une « vengeance »91 du corps électoral. Le correspondant local du journal à Saint-Bauzille-de-Putois, pour sa part, reprend les grandes lignes du premier discours prononcé par le nouvel élu devant les 1 500 personnes venues l’acclamer dans le parc de son château et insiste sur sa naturelle inscription dans le sillage des notables de sa parentèle : « Le vicomte de Rodez-Bénavent trouve en effet, écrit-il, dans sa famille des traditions qui lui sont le plus noble et le meilleur des enseignements. Il aura de son oncle le sénateur, la grandeur de l’âme et la fidélité des sentiments ; de son grand-père le zèle, le dévouement et l’élan généreux et de son père l’inépuisable bonté »92. Enfin, dans ce concert de louanges, L’Éclair souligne le fait qu’il s’est toujours présenté sans chercher à masquer ses convictions politiques : « M. de Rodez n’a pas essayé de ruser avec le suffrage universel et il a démontré qu’il n’a pas besoin, pour réussir, comme le croient quelques-uns, de prendre pour la forme l’étiquette républicaine »93. Le correspondant local clôt son compte-rendu par un hommage à la « réaction » : « La “réaction” est avec Dieu, avec les religieux exilés, avec les persécutés et les faibles, mais tôt ou tard elle a toujours la victoire ; l’histoire est là pour le prouver »94. S’il ne quitte plus son siège cantonal entre 1904 et 1944, la carrière d’Henri de Rodez-Bénavent prend une autre dimension à partir de 1919 avec son accession à la Chambre des députés. La stratégie de campagne mise en œuvre témoigne, à l’instar de toutes celles qui se succèdent jusqu’en 1936, de sa capacité à s’adapter au « marché » électoral. La maîtrise de cette « technique » lui permet de demeurer le seul élu à conserver, de manière quelque peu discontinue, son fauteuil de parlementaire durant l’entre-deux-guerres.

1919 : la campagne électorale d’un « homme nouveau »

  • 95 Le Midi Nouveau, n° 5, 20 juillet 1919.
  • 96 Ibidem.
  • 97 Le Midi Nouveau, n° 6, 27 juillet 1919.
  • 98 Le Midi Nouveau, n° 20, 2 novembre 1919.
  • 99 Le Midi Nouveau, n° 13, 14septembre 1919.
  • 100 Le Midi Nouveau, n° 5, 20 juillet 1919.

31La « boucherie de 14-18 » aura des répercussions immédiates sur le terrain politique et l’impact d’un tel événement ne s’éteindra pas de sitôt. Les premières élections législatives en novembre 1919 se déroulent dans un climat de rancœur éprouvant. Le scrutin de liste, désormais privilégié, va permettre d’envisager une photographie intéressante des sensibilités politiques en vigueur. Comme à l’accoutumée, L’Éclair reste le principal miroir qui reflète la ligne stratégique dominante. C’est à la faveur du scrutin qu’un autre organe de presse commence à empiéter sur son lectorat. Intitulé Le Midi Nouveau, il est imprimé à Sète et se défend de faire de la politique. « Notre profession de foi, devenue nécessaire, urgente sera nette. Le Midi Nouveau n’a rien de commun avec certaines publications que fait naître l’approche des élections »95. Le rejet des « politiciens », qualifiés d’« arrivistes avides d’argent et d’honneurs »96, de « comploteurs »97, issus de « sectes »98, de « pantins »99, ressort de tous les articles. Se targuant de défendre « l’intérêt national », cet hebdomadaire ne voit le salut de la France que parmi les anciens combattants : « Ce qui manque à notre patrimoine national, nous ne saurions trop nous le répéter ce sont des administrateurs dévoués et désintéressés. Nous ne découvrirons ces esprits compétents et altruistes que parmi ceux dont la guerre a muni l’intelligence et épuré le cœur, parmi les anciens combattants à qui la France demande d’achever l’œuvre féconde de justice »100.

  • 101 « M. Pécheur est un clérical notoire. Il possède une fortune importante qu’il hérita pour une larg (...)
  • 102 Ibidem.
  • 103 Le Midi Nouveau, n° 10, 24 août 1919.
  • 104 Sous ce pseudonyme se cache un dénommé Quéret. Docteur en médecine, il vient de Paris où il collab (...)
  • 105 Le Midi Nouveau, n° 6, 27 juillet 1919.
  • 106 Rapport..., op. cit.

32Les nouvelles parutions attisent la curiosité policière. Au terme d’une brève enquête, les fonctionnaires concluent que Le Midi Nouveau, créé par un dénommé Pécheur, ancien négociant et « gros rentier »101 à Sète, est un hebdomadaire royaliste « s’inspirant de la doctrine et de la tactique de l’Action française »102 qui participe directement à son financement. Les socialistes sont les premiers visés quand on se penche sur la teneur des articles. Ils subissent un assaut continu. Dénonçant leur « sectarisme »103, Clairville104 le signataire d’un billet en première page toutes les semaines, refuse de confier la France à « des organisateurs de grève qui pratiquent la pêche en eau trouble et poussent nos ouvriers à une internationale qui serait celle de la paresse »105. À travers la lecture du Midi Nouveau, en particulier pendant les débats électoraux annonçant les législatives, on sent poindre un autre ton. Il se détourne de la ligne éditoriale du quotidien montpelliérain accusé de suivre « une politique large et parfois libérale »106 et affiche un soutien critique vis-à-vis de la liste patronnée par L’Éclair. La moindre inflexion politique irrite les intransigeants ligueurs.

Liste d’Union nationale

  • Louis Guibal, avocat, ancien bâtonnier, conseiller général
  • Henri de Rodez-Bénavent, propriétaire-viticulteur, lieutenant du 81e
  • Régiment d’infanterie, Croix de guerre, conseiller général, maire de Cazilhac.
  • Alfred Doumet, avocat et ancien conseiller général de Sète.
  • Xavier de Magallon, soldat engagé volontaire, Croix de guerre
  • Fernand Delpon, industriel, propriétaire-viticulteur, président de la Chambre consulaire de Clermont-l’Hérault, engagé volontaire dans l’infanterie en 1870.
  • Léon Vitalis, réformé, engagé volontaire, mitrailleur en avion, Croix de guerre (7 Palmes), médaille militaire, Légion d’Honneur, industriel
  • Jean Miquel, viticulteur à Pardailhan.
  • 107 Philippe Secondy, La droite extrême... , op. cit. , p. 470-491.
  • 108 L’Éclair, 14 novembre 1919.
  • 109 Les résultats se présentent ainsi : SFIO, 195 979 suffrages (27 997 listes) ; radicaux, 197 251 su (...)
  • 110 Nicolas Roussellier, Le Parlement de l’éloquence. La souveraineté de la délibération au lendemain (...)
  • 111 Léon Daudet, « Député de Paris (1919-1924) », in Souvenirs et polémiques, Paris, Robert Laffont, 1 (...)
  • 112 Ibidem.

33Une analyse détaillée de la première compétition d’après guerre met l’accent sur la tension permanente interne au milieu royaliste107. Henri de Rodez-Bénavent, affilié à l’Action française en 1905, a une ligne de conduite qui soulève bien des interrogations. Elle illustre un virage électoraliste rejeté par des maurrassiens attirés par des solutions expéditives contre le régime. L’acteur politique s’emploie à refaçonner son image pour ne pas effaroucher, dans la perspective du scrutin de liste, la frange des « modérés ». Après avoir incarné le retour de la « réaction » en 1904, l’élu du canton de Ganges élabore une autre identité publique. À la veille du scrutin, tout en accusant les « vieux politiciens » radicaux et socialistes d’être responsables de la « boucherie de 14-18 », L’Éclair brosse le portrait de celui que l’on présente comme un « homme nouveau », en phase avec son temps : « Quarante-deux ans. Un grand diable, bien découplé, visage énergique, franc, très vivant. Une allure à 80 à l’heure. Impossible de le traiter de rétrograde quand on le voit marcher et surtout quand il passe sur une route en auto. L’homme des décisions rapides. Va de l’avant, sans trop se soucier des obstacles (...) »108. Les brillants résultats de la liste d’Union nationale laissent à penser que la démarche d’apaisement politique prônée est efficace. Alors que les radicaux et les socialistes obtiennent chacun deux élus109, trois représentants des « hommes nouveaux » (Henri de Rodez-Bénavent, Louis Guibal et Xavier de Magallon) se greffent au groupe parlementaire des Indépendants, très proche de l’Action française... Même si une analyse précise des stratégies de regroupement dans l’hémicycle tend à montrer « qu’aucune logique électorale n’avait été respectée »110 et que l’émiettement domine ; les vingt-neuf députés inscrits chez les Indépendants sont habituellement classés à l’extrême droite. Dans un livre de souvenirs, Léon Daudet, leur chef de file, emploie ses mots : « j’avais retenu cette place à droite bien entendu, parmi ceux de ma conviction ou du moins réactionnaires »111. L’élu parisien poursuit en rapportant ses premières impressions sur ses nouveaux collègues affiliés au groupe des Indépendants comme Xavier Vallat, l’avocat de L’Action française, le général de Castelnau, le gardois Eugène Magne... Il serre la main des députés héraultais présents ce jour-là à ses côtés : « le poète exquis Xavier de Magallon et Maître Guibal, agréable et même charmant »112.

34La proximité affichée par cette figure de l’Action française ne signifierait pas une affiliation « naturelle » des trois représentants de l’Union nationale. En effet, ils refusent, dans un bref communiqué qui répond aux affirmations d’un journal parisien, d’être classés parmi les adhérents du mouvement né au temps de l’affaire Dreyfus. Leur attitude ambiguë relance les critiques des fervents partisans du maurrassisme. Dans Le Midi Nouveau, un mystérieux « Ligueur » revient longuement sur ce qu’il appelle : « L’équivoque ». Scandalisé par le jeu subtil dont il est le témoin, le « Ligueur » cherche à remettre de l’ordre dans le flou des identités politiques :

  • 113 Le Midi Nouveau, n°24, 30 novembre 1919.

« L’Union nationale dans l’Hérault a fait connaître dans sa profession de foi qu’elle comprenait des républicains sincères mais aussi des hommes se réclamant d’un autre idéal politique. Cette savante périphrase ne pouvait désigner que des monarchistes. En ce qui concerne ces derniers, les électeurs de leur opinion ont le droit de s’attendre à ce qu’ils ne désertent pas le terrain national pour le terrain constitutionnel et les électeurs républicains ne pourraient ni s’en montrer surpris, ni leur en faire grief. Qu’on le veuille ou non, le suffrage universel n’a jamais pris M. de Rodez, par exemple, pour un républicain : beaucoup ont voté pour lui parce qu’ils voyaient en lui un royaliste ; d’autres, malgré qu’il leur parût royaliste ; mais personne n’a donné à son nom une autre signification que celle qu’il prenait tout naturellement dans son passé, dans ses attaches et dans des manifestations encore récentes. Donc, ni M. Guibal, ni M. de Rodez, ne sont désormais d’Action française ; voilà qui est établi. Mais que sont-ils et que veulent-ils être ? Cruelle, cruelle énigme ! Ils ont consenti à se laisser traiter par L’Éclair de “conservateurs”. Ce vocable désuet a été pour eux remis en honneur. Mais certains ont fait remarquer que jusqu’ici “conservateur” était synonyme de “monarchiste”. Cette remarque soulève les protestations de L’Éclair. “Conservateurs”, “monarchistes” ! Allons donc ! “Un républicain progressiste est un conservateur, et la grande majorité des radicaux sont des gens terriblement conservateurs”. Hola éminent confrère, voudriez-vous suggérez à vos lecteurs que M. de Rodez-Bénavent est républicain de gauche, à moins qu’ils ne soient de ces excellents radicaux “dont la grande majorité est si terriblement conservatrice” ? Pensez-vous que les électeurs de l’Union nationale aient envoyé à la Chambre M. M. Guibal, de Rodez et même M. de Magallon pour qu’ils soient conservateurs de la même façon que vos républicains de gauche et que vos radicaux selon le cœur du Colonel Blaquière ? Ce serait pour la grande majorité d’entre eux, sinon pour tous, une désillusion (...) ». En conclusion, le ligueur interpelle les nouveaux députés : « Estimez-vous que l’Ordre, le Travail, le Progrès soient choses compatibles avec la forme républicaine »113 ?

  • 114 Le Midi Nouveau, n°26, 14 décembre 1919.

35Ce long développement dévoile la face cachée de la liste d’Union nationale. Le « royaliste de raison » veut secouer l’attentisme qui absorbe les « hommes nouveaux ». Le Midi Nouveau juge L’Éclair complice d’une telle évolution. Il considère bien abusif de le classer encore parmi les feuilles monarchistes : « Le Petit Méridional met une insistance aussi cruelle que peu justifiée à vouloir présenter notre confrère L’Éclair comme un organe royaliste. Oh ! Certes, L’Éclair au début fut royaliste, et par les dévouements qui le créèrent et par les capitaux qui le soutinrent. Mais pour accoler aujourd’hui avec autant d’ironique entêtement la cocarde royaliste au journal de la rue d’Alger, il faut que Le Petit Méridional ne le lise que fort distraitement. Les nominations des délégués de Mgr le Duc d’Orléans y sont évidemment annoncées ; cela ne suffit pas à justifier la classification royaliste comme l’éloge d’un Barthe ne suffirait à une classification socialiste. Mais les articles de doctrine, confrère, avec quelles lunettes les lisez-vous ? Et voyez, tous les lecteurs de L’Éclair ont appris par ses soins qu’aucun élu de l’Union nationale n’était royaliste, et que les radicaux étaient conservateurs. Alors »114 ?

  • 115 « J’avais accepté en principe de publier quelques articles dans Le Midi Nouveau dont me rapprochai (...)
  • 116 Voir Philippe-André Vincent, La vie et l’œuvre d’André Vincent. Préface de Charles Maurras, Montpe (...)
  • 117 « Il y a bien des façons d’être monarchistes comme la monarchie elle-même a connu bien des manière (...)

36Aussitôt, dans une lettre ouverte115, André Vincent réagit avec virulence. Il décide d’interrompre toute relation avec l’hebdomadaire sétois, proche de l’Action française. Nommé depuis peu à la tête du comité royaliste, il cherche à stopper au plus vite la cabale orchestrée contre L'Éclair qui porte atteinte à la légitimité de toute l’entreprise patiemment construite. Les tensions perceptibles illustrent le renouveau, après cinq ans de conflits, d’un courant maurrassien dont une partie de la base militante revendique un changement radical. Il critique l’attitude conciliante du milieu monarchiste montpelliérain autour de L’Éclair et des élus de sa liste. Aux confins des deux tendances monarchistes qui portent des visions opposées de l’action, André Vincent affirme repousser la politique des « tièdes »116, en s’efforçant de construire une très large union117. Dès le lendemain du scrutin victorieux, les « hommes nouveaux » cèdent aux attraits du jeu parlementaire. Du début des années vingt à l’émergence du Front populaire, les transfigurations identitaires continues décuplent les divergences.

De 1924 à 1932 : les campagnes électorales d’un « citoyen »

  • 118 Michel Winock, dir., Histoire de l’extrême droite..., op. cit. , p. 139.
  • 119 En avril 1924, Léon Daudet explique dans un entretien accordé à La Revue hebdomadaire : « Pourquoi (...)
  • 120 Eugen Weber, op. cit. , p. 173.
  • 121 L’Éclair, 25 février 1924.
  • 122 L’Éclair, 7 avril 1924.
  • 123 Sa décision surprend. Il la justifie en rappelant son parcours politique peu commun. Au gré des sc (...)

37Après une entrée tonitruante au Parlement, l’Action française étend son influence en même temps que « sa nouvelle modération »118. Le soutien à la politique étrangère de Raymond Poincaré en 1923 choque les ligueurs les plus violents toujours disposés à provoquer un coup de force désormais réprouvé par les responsables119. Quelques mois avant les élections législatives de 1924, l’Action française en appelle à l’unité. « Pas d’ennemis à droite » !, tel est le thème d’une série d’articles publiés par son quotidien. Léon Daudet y insiste sur l’importance d’un rapprochement avec les républicains de l’Entente démocratique120. L’idylle sera de courte durée. La rupture brutale entre le porte-parole des élus royalistes et le président du Conseil au début de l’année 1924, à la suite des divisions apparues sur la question de l’occupation de la Ruhr, brouille les relations électorales et soulève de multiples interrogations. Les errements idéologiques de l’Action française et l’attitude fluctuante des députés du groupe des Indépendants accentuent les discussions au sein des milieux conservateurs héraultais. Pendant qu’André Vincent reprend le discours de Léon Daudet et regrette le « manque de fermeté à l’extérieur et de prévoyance à l’intérieur du cabinet Poincaré »121, Louis Guibal et Henri de Rodez-Bénavent dans une déclaration aux comités électoraux de l’Union nationale au début du mois d’avril se félicitent des réalisations qui ont permis de « rétablir la concorde entre les citoyens et de restaurer la justice ». Ils indiquent soutenir la politique de Raymond Poincaré dans la Ruhr, seul moyen à leurs yeux de « sauver la France et d’assurer son avenir »122. Ils prônent avant le scrutin une attitude modérée et les délégués des communes renouvellent leurs confiances aux députés sortants. Xavier de Magallon, pour sa part, ne souhaite plus s’investir dans l’Hérault et s’empresse de faire un plaidoyer pour la concorde électorale123.

  • 124 Rapport du commissaire spécial du 7 avril 1924, cité par Stéphane Cambacédès, op. cit. , p. 154.
  • 125 L’Éclair, 12 mai 1924.
  • 126 Ibidem.

38Les revirements de Guibal et de Rodez sèment le trouble, tandis que Xavier de Magallon clame son attachement à la ligne dure de l’Action française. Son départ vers d’autres cieux peut s’expliquer comme un désaveu des stratagèmes électoralistes fomentés par les deux dirigeants politiques du département. Sur leurs propres terres, de menues frictions alimentent la polémique. Elles se déroulent dans le Biterrois. Très minoritaires dans le secteur, les proches de l’Action française n’en sont pas moins des militants convaincus. Ils veulent durcir le combat et proposent à la fois de réserver des places à des personnalités biterroises et d’« accentuer la couleur politique de la liste »124. La majorité des délégués cependant récuse leur stratégie et préfère accorder une plus grande part aux nouveaux alliés du gouvernement. Louis Guibal et Henri de Rodez-Bénavent pensent ainsi séduire un électorat « effrayé » par les vociférations des ennemis de la République. Le dépouillement infirme leurs analyses. L’Union nationale connaît un sévère revers en perdant tous ses représentants à la Chambre. Les irréductibles partisans de l’Action française dans un communiqué rageur condamnent la nouvelle majorité : « Les élections donnent à la France une Chambre de dissolution sociale et nationale. La Chambre du 11 mai, c’est la banqueroute toute proche, c’est pour demain la révolution et la guerre »125. Ils regrettent l’absence de courage politique de la Chambre « bleu horizon » et envisagent de reprendre le flambeau allumé au soir de la victoire historique de 1919 : « la politique nationale manquée par la Chambre du 16 novembre, abandonnée par la Chambre du 11 mai, est reprise par l’Action française »126. L’investiture de deux battus démontre que les partis politiques, régis par la loi sur les associations, restent sous l’emprise des notables. L’encadrement national des candidatures n’existe pas, les comités livrés à eux-mêmes représentent une oligarchie peu à l’écoute d’une base qu’ils cherchent seulement à mobiliser en période électorale. À cela s’ajoute des rivalités sourdes perceptibles dans tous les partis entre des courants ou des personnalités.

  • 127 Tout au long de la législature et même au-delà, Xavier de Magallon montre son allégeance à l’Actio (...)
  • 128 Nous allons revenir bientôt sur son itinéraire. Notons immédiatement concernant cette période que (...)

39Ces luttes intestines doivent néanmoins être relativisées. N’oublions pas que les membres de la mouvance d’extrême droite, unanimement dressés contre le « spectre du bolchevisme » dans leur « armure » de patriotes, affichent un programme, une « marque politique » assez peu définie. Une fois la campagne close, on peut dégager des « braises » la part de l’artifice et les fractures irrémédiables. Dans leur trajectoire peu rectiligne, les acteurs empruntent des masques variés. Sur le fond, dans notre quête du sentier sinueux suivi par les hommes politiques locaux, on note que malgré le flou des étiquettes une proximité d’idées balise leur parcours. Les trois élus de 1919 refusent de se situer dans la filiation royaliste pourtant ils siègent dans le groupe dirigé par Léon Daudet. Tout comme bon nombre d’adhérents actifs de la nébuleuse, Xavier de Magallon127 et Louis Guibal128 demeurent marqués par cette empreinte difficilement délébile, alors même qu’ils s’en défendent.

  • 129 Pour une approche plus fouillée de sa stratégie électorale entre 1924 et 1936, voir Émilie Pierron (...)

40Henri de Rodez-Bénavent, de son côté, persiste à lisser son identité partisane129. L’exemple du scrutin de 1928 l’atteste. L’Union nationale, laminée par le Cartel des gauches aux législatives de 1924, ne se présente pas dans de bonnes conditions. Elle ne résiste pas à la sanction romaine. Décimée, la droite ne présente qu’un seul candidat dans un scrutin désormais devenu uninominal à deux tours : Henri de Rodez-Bénavent dans la première circonscription. Les réticences des ligueurs lors de la constitution de la liste quatre ans plus tôt ressurgissent avec plus de virulence. Les Camelots du Roi conspuent de Rodez lors de sa désignation par le congrès de l’Union nationale. Ils entrent en campagne pour stigmatiser le candidat officiel des poincaristes. Qu’une figure d’une prestigieuse lignée légitimiste, membre avant-guerre du comité d’initiative de l’Action française, tourne aujourd’hui le dos à son passé, provoque le tollé. Les Camelots du roi, bastion des intraitables maurrassiens, réagissent en dévoilant la face électoraliste du candidat. Ils dénoncent les savantes combinaisons du « papiste », par le biais d’une nuée d’affichettes qui fleurissent la nuit sur les murs de la circonscription. Les petits mots intitulés « Alliance du triangle et du goupillon » visent Rouch le mandataire du parti socialiste et son concurrent poincariste :

  • 130 ADH 3 M 1244.

« Le Fr... franc-maçon caméléon Rouch,
financier de la Loge “Les Vrais Fidèles”
ancien royaliste communie avec son
ancien coreligionnaire le papiste
Comte de Rodez-Bénavent. Le
Sacrement est administré par le rapin Barthe »130.

  • 131 L’Éclair, 3 février 1928.
  • 132 Voir Stéphane Cambacédès, op. cit.

41Les jeunes irréductibles monarchistes entendent jeter le trouble et montrer que des liens s’établissent, par-delà les frontières partisanes, entre certains candidats prêts à quelques arrangements discrets pour survivre sur la scène politique. Les assauts des Camelots ne reçoivent pas un profond écho dans le corps électoral. Le dépouillement de La Gazette de l’Hérault le confirme. Elle ne mentionne pas les discordes. En ce qui concerne le comité royaliste, solidaire des ligueurs rejetés par l’Église, il montre une grande compréhension à l’égard du candidat officiel. Un bref communiqué diffusé par L’Éclair informe l’électorat des décisions des instances départementales. À la quasi-unanimité, il a été décidé de « soutenir toute candidature d’Union nationale, même à la rigueur républicaine à condition que soient pris les engagements suivants : pratiquer une politique sans ennemis à droite ; ne pas être laïciste ; combattre le bolchevisme et ses alliés ; défendre la sécurité du pays tout en restant profondément attaché à la paix, sans pour cela verser dans le pacifisme bêlant »131. Après quatre ans d’absence, Henri de Rodez-Bénavent retourne au Palais-Bourbon. Proche des gouvernements « modérés » de Tardieu et de Laval, il tire encore en 1932 son épingle du jeu par une réélection qui confirme l’isolement à la premières circonscription du potentiel de la droite, amputée d’une partie des ligueurs agacés par les prises de position de quelqu’un qui désormais « s’étonne d’être traité de Comte (...), (préférant) l’honneur du titre de citoyen »132.

  • 133 Philippe Secondy, ibidem.

42L’itinéraire d’Henri de Rodez-Bénavent, tout comme celui de Pierre Leroy-Beaulieu133, prouve que l’opposition entre les catégories de « notables » et de « professionnels » ne cerne pas complètement les mutations de l’activité politique au tournant du siècle. Une véritable professionnalisation des pratiques notabiliaires peut parfois se produire dans des univers sociaux a priori très réticents devant les bouleversements induits par la réforme de 1848. L’exploitation d’un savoir-faire spécifique adapté aux différentes situations politiques, en fonction des interactions entre les niveaux régionaux et nationaux, déclenche de vifs débats aux effets électoraux parfois ravageurs, sans aboutir néanmoins à des scissions irrémédiables. Le suivi des itinéraires des principaux acteurs de la nébuleuse encouragée par le cardinal de Cabrières, dès l’orée des années 1890, montre une capacité de résistance remarquable. À côté des aspects tactiques, elle témoigne d’un ancrage constant des candidats au cœur des réseaux de sociabilités catholiques qui contrôlent les citoyens.

43Cette partie revient sur la levée de bouclier protéiforme des représentants de la droite contre-révolutionnaire. Le passéisme revendiqué ne signifie pas univoquement un rejet des pratiques découlant de la loi de 1848. Elles sont soit appréhendées avec dédain par des notables prônant « l’honorable modération » qui se retirent dans leurs châteaux pour regarder au loin le tumulte électoral. Soit, nous sommes en présence de « royalistes modernistes » décidés à relever le défi organisationnel en multipliant les initiatives sans sombrer dans une politique du compromis trop voyante. En dernier lieu, quelques-uns font figure de « royalistes électoralistes », disposés à s’engager pleinement dans un jeu politique nécessitant une grande flexibilité pour s’adapter aux impératifs d’une donne électorale très changeante selon le contexte. Ce développement centré sur la fin du siècle et la Belle-Époque a pu déborder sur l’entre-deux-guerres afin de mettre en lumière l’évolution de l’Action française et les métamorphoses notabilaires. Nous allons désormais revenir plus attentivement sur cette période décisive qui aboutira à l’instauration du régime de Vichy. Une plongée plus profonde va démontrer que le tableau brossé précédemment se complexifie brutalement. Les turbulences sur le plan des idées politiques prenant un accent particulier avec les exigences réitérées de régénération d’un espace public durablement affecté par la « boucherie de 14-18 ».

Notes

1 André Siegfried, Tableau politique..., op. cit. p. 40.

2 Philippe Veitl, « Territoires du politique. Lectures du Tableau politique d’André Siegfried », Politix, 29, 1995, p. 103-122.

3 Pierre Trinquier, Trente élections. Un siècle de “politique” héraultaise (1893-1993), Nîmes, Lacour, 1996.

4 Gérard Cholvy, Géographie électorale de l’Hérault contemporain, op. cit. , p. 275 et s.

5 Ibidem.

6 Ce type de situation peut être fréquent dans certaines zones rurales. Les grandes villes sont aussi parfois concernées. C’est ainsi qu’en 1929 à Montpellier la liste conduite par l’avocat radical Benjamin Milhaud reçoit le concours de L’Eclair...

7 Nous nous appuierons essentiellement sur les travaux de Jean Sagnes : Midi rouge. Mythe et réalité. Etudes d’histoire occitane, Paris, Anthropos, 1982 ; Le mouvement ouvrier en Languedoc. Syndicalistes et socialistes de l’Hérault de la fondation des Bourses du travail à la naissance du parti communiste, Toulouse, Privat, 1980 ; L’Hérault autrefois (en collaboration avec Mireille Lacave), Lyon, Horvath, 1994 ; « Les radicaux de Montpellier au début du xxe siècle », Annales du Midi, n° 141, 1979 ; « Aspects du radicalisme héraultais sous la Troisième République », Cahiers d’histoire de l’institut de recherches marxistes, trimestriel, n°l (35), 1980, p. 65-84. Voir aussi, Léo A. Loubère, Radicalism in Mediterranean France its rise and decline (1848-1914), State University of New-York, 1974.

8 Ce programme formulé en 1869 par un comité « démocratique radical » favorable à Gambetta lors des élections générales développe les idées d’élargissement des libertés publiques et d’extension du principe électif. Voir Jean-Thomas Nordmann, La France radicale, Paris, Gallimard / Julliard, 1977, p. 32-35.

9 Jean Sagnes, « Aspects... », op. cit. , p. 68.

10 On le trouvera entre 1877 et 1895 à la tête du conseil d’arrondissement puis à la présidence du conseil général de 1895 à 1913.

11 Gérard Baal, Histoire du radicalisme, Paris, La Découverte, 1994, p. 27 et s.

12 Au scrutin législatif de 1902, dans la première circonscription de Béziers, cinq candidats revendiquent l’étiquette radicale... Pour mieux saisir la complexité de la mouvance radicale, voir Fabien Nicolas, Ressources privées et mobilisation politique : la construction du parti républicain radical et radical-socialiste à Béziers (1901-1939), Thèse de doctorat de science politique, Université Montpellier I, 2004.

13 Voir Paul Pistre, Francs-maçons du Midi. Maçonnerie biterroise et sociabilité urbaine du xviiie siècle à nos jours, Perpignan, Mare nostrum, 1995.

14 Louis Lafferre (1861-1929) est incontestablement le plus connu des maçons biterrois. Ministre à deux reprises (de 1910 à 1911 au Travail et à la Prévoyance sociale et de 1917 à 1920 à l’Instruction Publique et aux Beaux-Arts), il avait participé en 1901 à la fondation du parti radical-socialiste. Sa longue carrière peut s’expliquer par son soutien constant aux ouvriers agricoles engagés dans des grèves difficiles en faveur desquels il intervenait fréquemment à la Chambre et surtout par ses positions dans la hiérarchie maçonnique. Initié à la loge L’Indépendante, puis affilié à La Libre-Pensée au cours de ses années d’enseignements à Narbonne, il gravit tous les échelons avant d’être élevé en 1904 à la charge de président du Grand-Orient de France.

15 Madeleine Rebérioux dresse les pourcentages des maçons dans les différents gouvernements : 1877-1885 : 20 % ; 1889-1893 : 60 %. Soit une moyenne entre 1877 et 1914 de 40 %. Voir Jean Sagnes, dir., Cent cinquante ans de franc-maçonnerie en France (1789-1940), Ed. par la ville de Béziers, 1992.

16 « Le maire dispose de réelles chasses gardées, c’est-à-dire d’organismes dépendant de la franc-maçonnerie, au moins en partie, où elle nomme, souvent à vie, des gens qui lui demeurent dévoués. Au début du xxe siècle, ce sont les bureaux de l’octroi, percevant les taxes sur les produits entrants en ville, la caisse d’épargne, le théâtre, le bureau de bienfaisance et les hospices ». Voir Paul Pistre, op. cit. , p. 129.

17 Antonin Moulin, conseiller général de Béziers, s’inscrit bien dans ce courant. Daniel Cordier présente les convictions et engagements de celui qui fut un exemple pour son fils Jean, le futur président du Conseil national de la Résistance. Voir Jean Moulin. L’inconnu du Panthéon, tome 1: Une ambition pour la République. Juin 1899-juin 1936, Paris, Éd. Jean-Claude Lattès, 1989, p. 311 et s.

18 Jean Sagnes estime que la récupération du terme socialiste s’explique par le fait que « les radicaux entendent attirer à eux une partie des socialistes. Cette opération rencontre d’ailleurs quelque succès dans le Biterrois où plusieurs socialistes francs-maçons rejoignent le parti radical ». Voir Jean Sagnes, « Aspects du radicalisme... », op. cit. , p. 70.

19 Le directeur du « grand journal quotidien du Languedoc », Jules Gariel est vénérable de la loge Égalité Travail (fondée à Montpellier le 20 février 1899) jusqu’en 1911; le rédacteur en chef de cette époque, Hippolyte Poggioli, dirigeant national du parti radical participe aussi aux activités de la franc-maçonnerie.

20 Jean Sagnes, Le mouvement ouvrier, op. cit. , p. 44.

21 Jean Sagnes, « Aspects du radicalisme... », op. cit. , p. 44.

22 Jean Sagnes, Le mouvement ouvrier..., op. cit. et Le Midi rouge..., op. cit. , p. 278 et s.

23 Michel Augé-Laribé, Le problème agraire du socialisme : la viticulture industrielle du Midi de la France, Paris, V. Giard et E. Brière éditeurs, 1907.

24 Jean Sagnes, op. cit.

25 Yolande Silva, La viticulture languedocienne de 1900 à 1914 vue à travers L’Éclair, Mémoire de maîtrise d’histoire. Faculté des lettres, Montpellier, 1968.

26 Madeleine Rebérioux, La République radicale ? (1898-1914), Paris, Seuil, 1975, p. 56.

27 Elle ne comptera qu’un maire et douze sections.

28 L’examen des votes des députés socialistes héraultais entre 1905 et 1914 sur les grandes questions politiques permet de les situer à l’intérieur du groupe socialiste : Bénézech, Molle et Reboul sont à la droite de ce groupe. Barthe, pour sa part, se situerait plutôt à l’extrême droite, proche des radicaux. Voir Jean Sagnes, Le mouvement ouvrier..., op. cit. , p. 27.

29 Cité par Jean Sagnes, Le mouvement ouvrier..., op. cit. , p. 100.

30 L’Éclair, 4 janvier 1907.

31 Plus de trois cents ouvrages, articles ou films abordent cette crise. Voir François Pic, Jean Sagnes, « La cise de 1907 en Languedoc et en Roussillon : Bilan L’Éclair, 4 janvier 1907.et essai de bibliographie », Annales du Midi, n° 187, 1989.

32 Jean Sagnes, Monique Pech, Rémy Pech, 1907 en Languedoc et en Roussillon, Montpellier, Éd. Espace Sud, 1997.

33 Marcelin Albert, prédicateur passionné et obstiné du Midi viticole, écrit dans L’Éveil démocratique du 1er sepembre 1907 : « Il faut unir toutes les classes, tous les partis, toutes les bonnes volontés, afin que le mouvement n’ait aucune allure politique. Il faut faire ainsi comme un solide alliage, dont aucun des éléments ne puisse se dissocier ».

34 Le nombre de suffrages donné aux viticulteurs membres de la Confédération générale des vignerons est fonction du nombre d’hectolitres de vin produits et du nombre d’hectares possédés. Ainsi un grand propriétaire peut-il disposer de onze voix et un ouvrier d’une seule. À côté de Ferroul, élu président, on trouve des représentants des multipropriétaires comme de Crozals, de Forton... Louis Guibal y occupe aussi une place de choix en tant que conseiller juridique. Voir Maurice Caupert, Essai sur la Confédération générale des vignerons. Ses origines, son organisation, son œuvre, Thèse de doctorat de sciences politiques et économiques, Faculté de droit, Montpellier, 1921.

35 Robert Laurent, « Droite et gauche en Languedoc. Mythe ou réalité » in Droite et gauche en Languedoc-Roussillon de 1789 à nos jours, Montpellier, Publications de l’Université Paul Valéry, 1975.

36 Yvette et Jules Maurin, « L’insurrection du Midi (1907) », L’Histoire, n° 20, 1980.

37 Jean Sagnes, « Le mouvement paysan de 1907 en Languedoc-Roussillon : révolte viticole, révolte régionale », Le Mouvement social, n° 104, 1978.

38 Pierre Leroy-Beaulieu a un positionnement compliqué au sein du camp conservateur comme nous avons cherché à le montrer dans une autre contribution. Voir Philippe Secondy, « Pierre Leroy-Beaulieu : un importateur des méthodes électorales américaines en France », Revue historique, n° 634, 129e année, avril 2005, p. 309-341.

39 Rapport du commissaire spécial (2 août 1907). ADH 3 M 1688.

40 Même si l’examen attentif de sa trajectoire a permis de déceler les ambiguïtés permanentes et les multiples facettes de son socialisme. Voir Rémy Pech, « Les thèmes économiques et sociaux du socialisme ferrouliste à Narbonne (1880-1914) », in Droite et gauche en Languedoc-Roussillon de 1789 à nos jours, op. cit. , p. 255-269.

41 Rapport…, op. cit.

42 La Dépêche, 3 août 1907.

43 Il avait cette fonction depuis 1889.

44 Paul Alliès, « Les élections législatives du 24 avril 1910 dans la circonscription de Pézenas-Bédarieux. Changements politiques et continuité notabiliaire », Études sur Pézenas et l’Hérault, n° 4, 1980, p. 29-41.

45 Pierre Barrai, Les agrariens français de Méline à Pisani, Paris, Armand Colin, 1968.

46 Jean Sagnes, « Viticulture et politique : Édouard Barthe député de l’Hérault (1882-1949) », in Mélanges Robert Laurent. Études économiques et rurales offertes en hommage par ses collègues et anciens étudiants, Montpellier, Centre d’histoire contemporaine du Languedoc Méditerranéen et du Roussillon-Université Paul Valéry-Montpellier III, 1980.

47 Il entre à la Chambre avec deux autres socialistes (Reboul et Molle), déplore Louis Lafferre, grâce à un « très fort appoint de voix réactionnaires ». Édouard Barthe répond à ses insinuations ainsi : « ma candidature dans la deuxième circonscription de Béziers n’a pas d’autre signification que celle de Ferroul dans la seconde de Narbonne. Je suis avec Ferroul l’organisateur de la Confédération générale des vignerons, contre ceux qui, “ministériels à outrance”, veulent conserver l’indépendance viticole pour pouvoir puiser dans les caisses de la République alimentaire. Je suis avec Ferroul contre les auteurs et les complices des fusillades de Narbonne ». Le Petit Méridional, 2 juin 1910.

48 . L’Éclair, 3 août 1907.

49 La Dépêche, 4 octobre 1907.

50 Son grand-père, Eugène Lisbonne, est l’ancien député de la circonscription.

51 Le Télégramme, 7 décembre 1907.

52 L’Éclair, 7 décembre 1907.

53 Alexandre de Vichet, dans ses éditoriaux, regroupe sous cette appellation générale les sympathisants des différentes fractions du camp conservateur.

54 L’Éclair, 10 avril 1910.

55 Rémy Pech, « 1907 : Révolte contre Marianne ou Marianne en révolte », in Per Robert Lafont. Estudis oferts a Robert Lafont per sos collègas e amios, Montpelhièr-Nimes, Centre d’estudis occitans (Universitat Paul-Valéry-Montpelhièr III) e per la vila de Nimes amb l’ajuda del C.R.E.O de Provença, 1990, p. 234.

56 Michel Offerlé, dir., La profession politique xixe-xxe siècles, Paris, Belin, 1999, p. 12.

57 Pour un excellent exemple de cette incorporation des règles du jeu politique dans le camp conservateur, voir Éric Phélippeau, L’invention de l’homme politique moderne. Mackau, l’Orne et la République, Paris, Belin, 2002.

58 À la veille des années 1900, Pierre Leroy-Beaulieu est très fortement marqué par son séjour aux États-Unis. À l’instar d’un ethnologue, il observe les procédés innovants « dans le gouvernement des hommes » et les importe dans une France qui regarde avec une grande méfiance la professionnalisation de la politique. Celui qui fut le petit-fils de l’économiste Michel Chevalier et le fils de Paul Leroy-Beaulieu, professeur au Collège de France et à l’École libre des sciences politiques, utilise les méthodes des « politiciens » américains lors de plusieurs campagnes électorales dans l’Hérault afin de surmonter les difficultés chroniques rencontrées par son père, constamment battu à la députation malgré ses huit tentatives consécutives. Voir Philippe Secondy, « Pierre Leroy-Beaulieu : un importateur des méthodes électorales américaines en France », Revue historique, op. cit.

59 Le travail de l’administration sur le corps électoral par le biais des « soldats de l’ordre » (c’est-à-dire des commissaires de police) a été tout particulièrement analysé au xixe siècle par l’historien Philippe Vigier. Voir Pierre Barrai, « L’apport de Philippe Vigier à l’Histoire politique », in Alain Faure, Alain Plessis, Jean-Claude Farcy, dir., La terre et la Cité. Mélanges offerts à Philippe Vigier, Paris, Créaphis, 1994, p. 209-216.

60 Rapport du 3 août 1904. ADH 3 M 1669.

61 Ibidem.

62 « Le comité cantonal libéral catholique, dans une réunion plénière tenue hier dimanche, a acclamé à l’unanimité la candidature du jeune vicomte de Rodez-Bénavent. Tout d’abord le comité avait porté son choix sur le sympathique docteur Granier, conseiller d’arrondissement, mais celui-ci, retenu en ce moment par la maladie a engagé lui-même, avec une franche loyauté, le jeune vicomte Henri de Rodez-Bénavent d’accepter la candidature (...) ». L’Éclair, 25 juillet 1904.

63 Alain Garrigou, Le vote et la vertu. Comment les français sont devenus électeurs, Paris, Presses de la FNSP, 1992, p. 206.

64 André Siegfried, « Le groupe protestant cévenol sous la Troisième République », Collectif, Protestantisme français, Paris, Plon, 1945, p. 23.

65 Ils représentent environ entre 3 % et 5 % de la population départementale au cours du xixsiècle. Sous la monarchie de Juillet tout comme sous le Second Empire, du fait de l’attitude des notables catholiques très favorables aux légitimistes dans les localités où les deux communautés se retrouvent face-à-face, ils se voient bien placer au sein des réseaux économiques (comme la Chambre de commerce). Tout au long du siècle, leur influence grandit dans ces milieux ainsi que dans celui de l’Université. Voir Gérard Cholvy, « Une minorité religieuse dans le Midi au xixe siècle : les Protestants de l’Hérault ». Bulletin de lu société d’histoire du protestantisme français, janvier-mars 1975, p. 27.

66 Émile Appolis, « Un épisode du Réveil protestant : l’offensive méthodiste à Ganges (1842-1858) », XXXIe Congrès de la fédération historique du Languedoc-Méditerranéen et du Roussillon, 1966, p. 263-282.

67 Gérard Cholvy, ibidem

68 La population se situe autour de 4 500 habitants entre la fin du siècle et les années 1910. Voir Raymond Dugrand, « Ganges. Étude d’une petite ville Sub-Cévenole », Bulletin de la société languedocienne de géographie, tome XXIV, fascicule 1, janvier-juin 1953.

69 On compte à Ganges en 1914, dix-huit filatures employant plus de six cents fileuses.

70 L’indiscipline a fait le jeu de Granier, le candidat conservateur.

71 Notes d’ensemble sur la situation des partis du canton de Ganges au 1er avril 1905. ADH 1 M 1102.

72 Nous pouvons remarquer l’importance de ce lieu dans l’imaginaire des catholiques à partir de l’histoire hagiographique écrite par l’ancien curé de Brissac le chanoine Poitevin : Le sanctuaire vénéré de Notre-Dame du Suc et de ses plus proches abords. Essai de monographie, Montpellier, Imprimerie Causse, Graille et Castelnau, 1941.

73 Fabre, Mémoire des faits merveilleux qui sont arrivés à Notre-Dame du Suc, 1709. Cité par le chanoine Poitevin, op. cit. , p. 25-26.

74 Philippe Dujardin, « La mémoire édifiante. La chapelle expiatoire des Brotteaux à Lyon », in André Micoud, dir., Des hauts lieux. La construction de l’exemplarité, Paris, Presses du CNRS, 1991, p. 65-76.

75 Pierre Nora, « Entre Mémoire et Histoire. La problématique des lieux », in Pierre Nora, dir., Les lieux de mémoire, I. La République, Paris, Gallimard, 1984, p. xxiv.

76 René Louis, « Des points d’ancrage », Autrement. Hauts lieux. Une quête de racines, de sacré, de symboles, n°115, 1990.

77 Encore aujourd’hui, malgré le déclin de la foi catholique, des pèlerinages sont régulièrement organisés, les fidèles de ce sanctuaire reçoivent un bulletin de liaison (Écho de Notre-Dame du Suc) dans lequel on relate les activités de ce lieu de mémoire.

78 Il vise son opposant, le conseiller général sortant, Émile Carrière qui se présente comme catholique dans sa profession de foi.

79 ADH 3 M 1669.

80 Parmi les autres secteurs, on note que la majorité des femmes restait pratiquante parmi les populations de la plaine. Cependant, moins d’un quart des hommes étaient fidèles à la communion pascale. Quant au littoral, la pratique religieuse était mauvaise. Voir J. Lasserre, « Le diocèse de Montpellier en 1906 », Revue catholique des Églises, mai 1907, p. 273 et s. et juin 1907, p. 362-371. Cité par Gérard Cholvy, Géographie..., op. cit. , p. 17.

81 Marc Abélès, Jours tranquilles en 89. Ethnologie politique d’un département français, Paris, Odile Jacob, 1989, p. 36.

82 Michel Pinçon, Monique Pinçon-Chariot, « Le nom de la lignée comme garantie de l’excellence sociale », Ethnologie française, XX, n° 1, 1990, p. 91.

83 Au début du siècle, dans la nomenclature élaborée par le service des affaires politiques de la présidence du Conseil, l’échelle de la gauche vers la droite se présente ainsi : les plus à gauche des conseillers généraux sont les « socialistes » puis on trouve dans l’ordre les « radicaux-socialistes », les « radicaux », les « républicains progressistes » (appelés quelquefois « républicains de gauche »), les « progressistes », les « ralliés », les « nationalistes » et enfin, à l’extrême droite, les « réactionnaires ». Voir ADH 3 M 1669.

84 Cet ouvrier-typographe, conseiller municipal de Montpellier dès 1892, devient député en 1898, en battant Paul de Girard, et fut réélu en 1902.

85 Lettre en date du 20 juillet 1904. ADH 3 M 1669.

86 ADH 3 M 1669.

87 On fabrique les catégories suivantes : « progressistes », « ralliés », « nationalistes » ou « réactionnaires ».

88 Souligné par l’auteur de la lettre.

89 Ibidem.

90 L’Éclair, 2 août 1904.

91 L Éclair, 4 août 1904.

92 . L’Éclair, 3 août 1904.

93 L’Éclair, 2 août 1904.

94 L’Éclair, 3 août 1904.

95 Le Midi Nouveau, n° 5, 20 juillet 1919.

96 Ibidem.

97 Le Midi Nouveau, n° 6, 27 juillet 1919.

98 Le Midi Nouveau, n° 20, 2 novembre 1919.

99 Le Midi Nouveau, n° 13, 14septembre 1919.

100 Le Midi Nouveau, n° 5, 20 juillet 1919.

101 « M. Pécheur est un clérical notoire. Il possède une fortune importante qu’il hérita pour une large part de son oncle M. Dussal, ancien maire de Sète sous l’Ordre Moral ». Rapport du commissaire central de Sète (20 septembre 1919). ADH 3 M 1237.

102 Ibidem.

103 Le Midi Nouveau, n° 10, 24 août 1919.

104 Sous ce pseudonyme se cache un dénommé Quéret. Docteur en médecine, il vient de Paris où il collaborait à diverses revues littéraires.

105 Le Midi Nouveau, n° 6, 27 juillet 1919.

106 Rapport..., op. cit.

107 Philippe Secondy, La droite extrême... , op. cit. , p. 470-491.

108 L’Éclair, 14 novembre 1919.

109 Les résultats se présentent ainsi : SFIO, 195 979 suffrages (27 997 listes) ; radicaux, 197 251 suffrages (28 178 listes) ; Union nationale, 202 128 suffrages (28 875 listes) ; autres listes, 15 000 suffrages environs. Les sept députés élus sont les suivants : Édouard Barthe, Félix (SFIO), Guilhaumon et Viala (radicaux), Louis Guibal, Henri de Rodez-Bénavent et Xavier de Magallon (Union nationale).

110 Nicolas Roussellier, Le Parlement de l’éloquence. La souveraineté de la délibération au lendemain de la Grande Guerre, Paris, Presses de Sciencs po., 1997, p. 66.

111 Léon Daudet, « Député de Paris (1919-1924) », in Souvenirs et polémiques, Paris, Robert Laffont, 1992 (1ère Éd. 1933), p. 775.

112 Ibidem.

113 Le Midi Nouveau, n°24, 30 novembre 1919.

114 Le Midi Nouveau, n°26, 14 décembre 1919.

115 « J’avais accepté en principe de publier quelques articles dans Le Midi Nouveau dont me rapprochaient certaines opinions qui nous sont communes. Mais bien que l’on ne soit pas fondé à conclure d’une collaboration accidentelle à un journal à l’approbation de toutes ses thèses et de toutes ses campagnes, quelques-uns de vos lecteurs pourraient se méprendre sur le sens de cette collaboration. C’est ainsi que je vois avec peine des appréciations sur le compte de L’Éclair notamment, qui me paraissent inexactes et injustes. Je ne puis pas laisser croire qu’elles ont mon assentiment et que j’estime par exemple, avec Le Midi Nouveau du 14 décembre, que L’Éclair n’est plus un journal royaliste. Vous me permettrez donc pour éviter toute confusion, de protester formellement contre ces accusations que je juge imméritées. Veuillez... » Voir Le Midi Nouveau, n°27, 21 décembre 1919.

116 Voir Philippe-André Vincent, La vie et l’œuvre d’André Vincent. Préface de Charles Maurras, Montpellier, Librairie Louis Valat, 1940, p. 23.

117 « Il y a bien des façons d’être monarchistes comme la monarchie elle-même a connu bien des manières diverses d’être la Monarchie. Et cependant, il y a sans doute un point essentiel qui fait que la Monarchie reste la Monarchie et que n’importe quel monarchiste est toujours un monarchiste. C’est ce point sur lequel il faut tenir et se donner la main. L’Union est le fruit de la vérité. Pour maintenir cette union, cette coordination parfaite de toutes les questions avec cette largeur d’idée qui n’exclut pas les vues nettes et précises même sur les questions secondaires, mais qui met au-dessus de tout l’essentiel : la fidélité à la Monarchie nationale, telle qu’elle est définie dans les écrits de nos Princes (...). Sur les degrés de décentralisation nécessaire, sur les moyens d’organiser une représentation réelle du pays devant l’État, sur le plus ou moins de pouvoir dont la Monarchie nouvelle devra s’armer, les royalistes peuvent diverger, comme il leur est permis de ne pas suivre dans leur propagande exactement les mêmes voies. Bien des chemins mènent à la Monarchie. C’est le bienfait de l’Action française d’avoir tracé de “nouveaux chemins”. Est-ce à dire qu’il faut supprimer les anciens » ? Voir Philippe-André Vincent, op. cit. , p. 102 et s.

118 Michel Winock, dir., Histoire de l’extrême droite..., op. cit. , p. 139.

119 En avril 1924, Léon Daudet explique dans un entretien accordé à La Revue hebdomadaire : « Pourquoi obliger nos vaillantes troupes à se casser la tête contre un mur, alors que je puis agir beaucoup plus efficacement de l’intérieur »? Cité par Michel Winock, ibidem.

120 Eugen Weber, op. cit. , p. 173.

121 L’Éclair, 25 février 1924.

122 L’Éclair, 7 avril 1924.

123 Sa décision surprend. Il la justifie en rappelant son parcours politique peu commun. Au gré des scrutins, De Magallon change de circonscription en invoquant son devoir basé sur la conversion de diverses populations à la « bonne cause » : « La raison qui me détermine est simple, c’est que je crois, au mois de mai prochain, pouvoir rendre plus de services ailleurs (...). (Après) être venu à vous en 1902 et en 1919 (...), je crois devoir maintenant accepter la candidature à Marseille, alors que les défenseurs de la bonne cause surabondent dans l’Hérault ». Dans le but de rassurer l’électorat surpris par une telle volte-face, il poursuit son communiqué par un hommage appuyé à ces deux « éminents collègues » avec lesquels il affirme entretenir les meilleurs rapports : « Lorsqu’un parti a à sa tête un Guibal et un Rodez rien ne lui manque. Je garde un souvenir ineffaçable de quatre ans de collaboration avec eux sans que le moindre dissentiment, sans que l’ombre d’un nuage ne se soit élevé entre nous (...). L’un ce ces chers et éminents collègues est parmi les orateurs les plus écoutés du Parlement. Jamais, il n’a hésité à mettre sa science, son expérience juridique et son éloquence au service du pays (...). Guidé que par le souci de l’équité et du bien public (...). Quant à de Rodez, j’ai souvent dit qu’il était à mes yeux le type même du représentant naturel de nos populations laborieuses. Il est l’affabilité, la serviabilité, l’activité faites hommes. Camarade des soldats de l’Hérault, aucun ancien combattant ne saurait lui refuser son suffrage, sans se manquer à lui-même. D’une famille enracinée depuis des siècles dans le terroir languedocien, avec les familles de ses électeurs, il est uni a eux par les plus forts des liens, les liens du sang et du sol (...) ». Il clôt son texte en justifiant son départ : « Mon pays d’adoption me pardonnera de céder enfin à l’appel de ma ville natale ». L’Éclair, 2 avril 1924.

124 Rapport du commissaire spécial du 7 avril 1924, cité par Stéphane Cambacédès, op. cit. , p. 154.

125 L’Éclair, 12 mai 1924.

126 Ibidem.

127 Tout au long de la législature et même au-delà, Xavier de Magallon montre son allégeance à l’Action française. Tandis que l’offensive poincariste décime une partie des troupes du groupe des Indépendants, Xavier de Magallon, au contraire réaffirme avec force sa confiance dans le néo-royalisme. En juin 1923, il appartient au « noyau résistant des partisans du nationalisme intégral à la Chambre ». Ce dernier carré de dix-sept élus fait face au réveil de l’opposition et Eugen Weber considère le député héraultais comme le vecteur essentiel du rapprochement entre la droite républicaine et l’Action française, qu’il intègre ouvertement après les élections de 1924. Poincaré dans sa correspondance avec Maurras souligne son rôle-clef d’intermédiaire entre les deux hommes. Voir Eugen Weber, op. cit. , p. 169-170.

128 Nous allons revenir bientôt sur son itinéraire. Notons immédiatement concernant cette période que Louis Guibal bien que récusant toutes les étiquettes politiques, participe chaque année, au moins jusqu’en 1923, à la messe anniversaire de Louis XVI. Son rapprochement des poincaristes, constaté durant la législature, en compagnie de plusieurs autres personnalités du groupe des Indépendants ne signifie pas pour autant une rupture avec les milieux favorables au trône. La défaite de 1924 ne freine pas son entrain. Entouré d’amis catholiques qui coopèrent fréquemment avec les royalistes, Louis Guibal assoit sur ses terres la Fédération nationale catholique du général de Castelnau solidaire de l’Action française jusqu’en 1926. Il participe en outre à la formation à l’échelle nationale d’un groupe appelé « Énergie ». Leur manifeste qui englobe toutes les nuances du conservatisme s’assimile à un appel lancé à l’élite de la France pour la renaissance des forces spirituelles. Eugen Weber, à qui nous reprenons ces informations, énumère la liste des personnalités associées à cette entreprise. On y trouve Louis Latzarus de L’Intransigeant ; le professeur Louis Le Fur, nommé plus tard par Pétain au conseil d’administration de l’Institut d’Etudes Corporatives et futur collaborateur de Je suis partout... Voir Eugen Weber, L’Action française, op. cit. , p. 179.

129 Pour une approche plus fouillée de sa stratégie électorale entre 1924 et 1936, voir Émilie Pierron, Itinéraire politique du comte Henri de Rodez-Bénavent..., op. cit. , p. 129 et s.

130 ADH 3 M 1244.

131 L’Éclair, 3 février 1928.

132 Voir Stéphane Cambacédès, op. cit.

133 Philippe Secondy, ibidem.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search