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La persistance du Midi blanc

 | 
Philippe Secondy

Deuxième partie. Une nébuleuse partisane initiée par « Monseigneur de Montpellier »

Chapitre 3 : Le système d’actions des catholiques

Texte intégral

  • 1 Le Petit Méridional, 19 août 1885. Cité par David Sauvade, L’anticléricalisme et le cléricalisme d (...)
  • 2 A Abeilhan, Pignan, Laurens, Olonzac, Loupian... Voir David Sauvade, ibidem.
  • 3 Jean Sagnes, Mireille Lacave, L’Hérault autrefois, Lyon Horvath, 1994, p. 120.
  • 4 Maurice Agulhon, Marianne au combat : l’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880, Pa (...)

1Initié par l’alliance entre la franc-maçonnerie et le radicalisme, l’anticléricalisme, très vivace dans le département, mobilisera les défenseurs de l’Église. Des satellites radicaux se chargent de l’offensive : les Sociétés de libre-pensée ouvrent leurs portes « à tous les citoyens qui veulent faire acte d’anticléricalisme », écrit le rédacteur du Petit Méridional en 18851. Sous ce vocable se retrouvent quelques militants très actifs qui s’efforcent d’assurer une éducation antireligieuse. Ils affirment publiquement leur désaccord avec le clergé. Il se manifeste, par exemple, lors du « vendredi dit saint » où des convives partagent un repas gargantuesque pour se distinguer des catholiques faisant maigre. Malgré le manque de recensement officiel, sept organisations de libre-pensée sont répertoriées vers 1890 dans le chef-lieu du département et leur nombre augmente pour atteindre au début du siècle une trentaine2. Certaines de leurs appellations sont significatives : La Libre-pensée antireligieuse, La Libre-pensée : ni dieu, ni maître... Une autre organisation similaire défraie la chronique : La Société du sou des écoles laïques. Fortement implantée à Béziers, Lunel et Montpellier, elle se rattache à une structure nationale chargée d’offrir un financement populaire de l’école par la mise à la disposition des passants dans les localités de troncs de couleur « bleu blanc rouge ». Ces associations s’emploient aussi à susciter la création de bibliothèques populaires, de sociétés littéraires et artistiques... Les Jeunesses laïques et républicaines forment des générations au militantisme anticlérical. Disposant de soixante adhérents à Montpellier en 1910 et d’un bulletin de liaison, elles préservent le maintien d’une tradition originale : l’ornement des lieux publics par des bustes de Marianne. L’Hérault est le département qui a vu naître ce type de symbole3. Il fait l’objet d’une large diffusion. Les partisans de la République considèrent Marianne comme « une sorte de déesse ou d’héroïne, entité à la fois humaine et surhumaine, capable d’exciter des passions »4.

  • 5 « Le peuple de gauche, écrit Gérard Baal, voit dans sa lutte anticléricale le prélude à l’avènemen (...)
  • 6 Jean Sagnes, Mireille Lacave, ibidem
  • 7 Sur ce point, nous renvoyons le lecteur aux travaux de Bruno Dumons sur les associations formées p (...)
  • 8 Gilles Le Béguec crée celte expression (« quasi-partis ») pour souligner l’existence de « groupeme (...)

2Lors de l’arrivée au pouvoir d’Émile Combes en 1902, la situation s’envenime. Il commence par fermer plusieurs milliers d’établissements congréganistes5, en poursuivant les politiques de Goblet en 1886 et de Waldeck-Rousseau en 1901 pour laïciser le pays. On vise également les lieux de culte, beaucoup trop nombreux pour le nouveau gouvernement. Entre le 11 et le 14 mai 1903, dix chapelles sont condamnées à Montpellier. Ces mesures recevront un écho favorable puisqu’en 1904 deux cent vingt-huit conseils municipaux (sur trois cent trente-huit) lui envoyèrent des adresses de félicitations6. La riposte des catholiques demeure modérée au début, toutefois la libéralisation du régime des associations leur offre la possibilité en quelques années de se doter de solides organisations de défense scolaire et religieuse7. L’avocat Louis Guibal apparaît comme la cheville ouvrière des multiples groupements qui s’épanouissent avec les encouragements de Mgr de Cabrières pour contrer le processus en cours. Parmi toutes les ramifications imbriquées au mouvement royaliste, l’Association catholique de la jeunesse française se distingue en rentrant dans la catégorie des « quasi-partis »8.

Un foisonnement organisationnel coordonné par Louis Guibal

  • 9 Œuvres choisies de Monseigneur de Rovérié de Cabrières, Évêque de Montpellier, Paris, Ch. Poussiel (...)

3Dans un document intitulé Commentaires sur le discours de Sa Sainteté le Pape aux ouvriers, le futur cardinal leur demande d’adopter une docilité semblable à « celles des laboureurs d’autrefois libres au milieu de leurs champs sans autre souci que celui de répandre leurs sueurs pour féconder la terre et d’attendre ensuite, de la bonté de Dieu, le soleil ou la pluie, le froid ou la chaleur » ? Un tel comportement, s’emporte-t-il, lui paraît difficile de nos jours. « La défiance, le mécontentement, l’envie, la haine ont trop souvent, enlacé le coeur des ouvriers dans des noeuds horribles, pareils à ces hideux serpents, dont était formée la chevelure de Méduse. Cette tête menaçante, gonflée par la colère, enflammée par de sinistres projets de vengeance et de ruine, cette tête de la multitude ouvrière, pauvre, malheureuse, lasse de travailler, avide de jouir, apparaît au-dessus des splendeurs de la civilisation contemporaine, pour glacer d’effroi l’âme des riches (...) ». L’évêque leur ordonne de ne pas se laisser « séduire par de menteuses promesses et de fausses doctrines (...). Aimez la paix, l’ordre, l’obéissance ; pratiquez le respect »9.

  • 10 Mgr de Cabrières, La France royaume de Marie, Paris, Maison Didot, 1900 (?).
  • 11 Monique Pradel, La Société de Saint-Vincent-de-Paul dans l’Hérault (1850-1905), Mémoire pour le DE (...)
  • 12 Propos tenus à l’assemblée générale des comités catholiques du diocèse en 1878. Cités par Marcel B (...)
  • 13 Voir Gérard Cholvy, Religion et société..., op. cit., p. 1274-1275.
  • 14 Gérard Cholvy, Religion et société..., op. cit., p. 1104.

4Mgr de Cabrières intervient sur un territoire imprégné par les formes de religiosité populaire. Dans la quarantaine de sites dédiés à la vierge une foule de chrétiens vient régulièrement s’incliner devant celle que leur guide spirituel nomme « la Mère et la Reine de France »10. Dans ce climat de piété mariale, il cherche à faire prospérer les oeuvres de bienfaisance en réclamant le soutien sans faille du clergé et en appelant les laïcs à s’investir fortement. Les Sociétés de Saint-Vincent-de-Paul et les Confréries de pénitents sont à nouveau dynamisées durant son épiscopat. Elles vont connaître jusqu’à l’aube du xxe siècle une attraction soutenue11. Ces « hommes d’oeuvres » ont des convictions bien affirmées : ils sont catholiques et royalistes. L’exemple du Comité catholique est très révélateur. Sa ligne directrice est ainsi définie : « une oeuvre de charité qui réconcilie et régénère les sociétés humaines, divisées et avilies par l’esprit révolutionnaire, oeuvre qui s’exerce sur l’enseignement chrétien, la bienveillance envers le peuple et l’aide apportée à la presse catholique »12. Celui du chef-lieu regroupe les représentants de toutes ces institutions. En 1884, sur 350 personnes appartenant au comité catholique de Montpellier, 112 noms, soit près du tiers, sont à particule13. Proportion qui s’élève à la moitié pour les membres du bureau. Le président, à cette époque, n’est autre que Théophile de Rodez-Bénavent, président à la fois du conseil d’administration de L’Éclair et du comité royaliste14. Face à l’offensive perpétrée par les gouvernements successifs, un renforcement du tissu associatif est prôné pour nourrir « l’union en faisceau de toutes les forces conservatrices ». Mgr de Cabrières sait qu’il peut s’appuyer sur Louis Guibal, le président de l’Association des catholiques du diocèse. Ce brillant avocat jouit dans la cité montpelliéraine d’une place privilégiée.

  • 15 Christophe Charle, « Pour une histoire sociale des professions juridiques à l’époque contemporaine (...)
  • 16 Rétablis en 1810, les ordres d’avocats ont à leur tête un bâtonnier et un conseil de discipline él (...)
  • 17 Amédée Vernhette (1795-1884) est né à Monjeaux (Aveyron). Après des études de droit, il débute dan (...)
  • 18 L’Éclair, 13 juin 1941.
  • 19 Gilles Le Béguec, « L’aristocratie du barreau, vivier pour la République. Les secrétaires de la co (...)
  • 20 L’Éclair, ibidem.

5Au tournant du siècle, les juristes s’affirment pour parler et agir au nom de cette figure impersonnelle que représente le public. Comparés à leurs concurrents, les membres de cette « profession carrefour »15 détiennent quatre ressources dont les effets cumulés expliquent leur succès : l’intervention judiciaire, les relations sociales, le pouvoir du verbe et le statut du droit dans la société. On peut en outre noter le rôle d’une presse avide de sensationnel qui suit les procès et construit leur notoriété. Certains avocats la convertissent en valeur électorale. Le barreau marquera la vie politique de la Troisième République. Lorsque Louis Guibal fait ses premiers pas dans une profession encore inorganisée en 1883, il ne sera pas totalement livré à lui-même, à la différence de la plupart de ses confrères16. Il bénéficie de l’empreinte laissée par son grand-père maternel Amédée Vernhette, bâtonnier, préfet de Charles X, puis député de l’Hérault sous la Seconde République. Représentant d’une lignée d’inflexible défenseur de la branche des Bourbons, les Vernhette s’activent dans un sérail juridique et politique montpelliérain17 bien labouré par un autre de ses ancêtres : Jean-Raymond Guibal, maire-adjoint de Montpellier en 1820. Ces quelques repères familiaux nous aident à comprendre pourquoi l’aura de Louis Guibal croît rapidement en premier lieu dans les milieux juridiques. En 1897, il n’a alors que trente-huit ans, ses confrères l’élisent bâtonnier. Réélu en 1907, de 1913 à 1919 et de 1931 à 1932, il domine pendant cinquante-huit ans cette instance. On le décrit comme « un expert en la technique de la plaidoirie avec sa voix forte et bien timbrée qui imposait ses déductions logiques et ses arguments bien ordonnés »18. Cet « art de la parole », fruit de l’apprentissage des rhéteurs classiques ou technique développée dans les conférences du stage, comparables à de véritables centres de préparation aux fonctions politiques19, constitue une ressource majeure pour défier le suffrage universel. En parallèle, Louis Guibal manie une autre facette du métier : celle de l’avocat-médiateur. Passionné par les affaires civiles, il s’évertue à régler les différends familiaux par une négociation à l’amiable entre les parties en vue d’éviter la publicité de l’audience à l’origine de rancunes tenaces. De telles capacités le propulsent au rôle de « directeur de conscience de ses clients »20 et le préparent à celui de porte-parole d’un public plus large.

  • 21 Extrait d’un rapport établi sur la confédération générale des vignerons en 1909. ADH 1 M 1106.
  • 22 Maurice Caupert, Essai sur la confédération générale des vignerons. Ses origines, son organisation (...)

6Cette nouvelle responsabilité lui sera octroyée après son soutien sans faille à la contestation viticole de 1907. Déjà engagé aux côtés des adversaires résolus des gouvernements en place, il perçoit dans la révolte de 1907 une possibilité pour renverser le régime. Pourfendeur du socialisme, « Le Grand Louis », comme l’appellent ses détracteurs, certifie qu’« il n’y a pas de lutte de classes. Ces choses ne sont que des mots (...). C’est en nous-même que nous devons chercher notre force, par notre travail et notre énergie »21. Il se reconnaît parfaitement dans l’appel pour l’union des classes lancé par Marcellin Albert, le chef impromptu de la « révolte des gueux ». Le prolongement institutionnel de la vague insurrectionnelle paysanne sera la Confédération générale des vignerons22. Louis Guibal participe à son élaboration. Il lui apporte ses compétences en matière juridique et devient le premier président de la section du syndicat Montpellier-Lodève. Ce choix, durant cette période troublée, lui vaut une grande popularité directement exploitée lors des cantonales de décembre 1907. Son élection à Montpellier ne saurait être liée uniquement à la conjoncture, puisqu’il accroît dès 1912 son patrimoine politique en participant au conseil municipal. Réélu au conseil général en 1914, les électeurs du premier canton lui restent fidèles jusqu’à sa disparition en 1941. Entre temps, il siège durant une législature au Parlement aux côtés de Xavier de Magallon et d’Henri de Rodez-Bénavent avant de se rapprocher du général de Castelnau pour devenir son adjoint à la direction de la Fédération nationale catholique.

  • 23 On trouve par exemple la société archéologique (celle de Béziers était aussi très réputée), la soc (...)
  • 24 Pour mieux saisir la portée de son engagement au sein de ces milieux, voir Philippe Secondy, La dr (...)
  • 25 En 1941, sa notice nécrologique nous renseigne sur une partie de ses responsabilités. Il occupa le (...)
  • 26 L’Éclair, 12 décembre 1905.

7Les occupations de Louis Guibal ne se bornent pas à la profession d’avocat. Licencié ès lettres, il s’investit beaucoup dans la vie des sociétés savantes. Leur prolifération au xixe siècle est remarquable dans une ville pétrie par une vieille tradition universitaire23. Dotée d’une érudition reconnue, cette notabilité se révèle en particulier un collaborateur assidu de l’Académie des sciences et lettres et de l’Association des amis de l’Université24. Sa surface sociale ne peut pas être totalement perçue, tellement elle nous emporte dans un dédale de positions institutionnelles construites sur la longue durée. L’un des pans essentiels de celle-ci repose sur la maîtrise des réseaux enserrant l’Église25. Ce proche de Mgr de Cabrières « s’appuyait surtout pour agir sur la grande force intérieure que donne la religion chrétienne. Cette force a éclairé et dirigé sa vie, à l’heure suprême elle a dû illuminer aussi son départ », peut-on lire dans l’hommage rendu par L’Éclair le surlendemain de sa disparition en juin 1941. Le climat si particulier qui précède la loi de séparation de l’Église et de l’État le place en première ligne en tant que président de l’Association des catholiques du diocèse. Dans ses prises de positions publiques, Louis Guibal manie un langage de combattant. Au cours d’une assemblée de l’Association en 1905, il déclare sans ambages que son association se place sous les ordres du prélat monarchiste : « Quand la famille est menacée, ses membres se serrent auprès du Chef respecté pour mieux lui obéir et mieux défendre ainsi le foyer commun (...). Fiers d’agir sous vos ordres, au rang que Vous nous assignerez, heureux, s’il le faut, de partager vos dangers, nous Vous suivrons »26. De tels propos nous informent sur la détermination de celui qui apparaît au coeur de « l’union en faisceau de toutes les forces conservatrices ». À défaut de pouvoir cerner toute la vitalité associative disséminée dans les paroisses, nous nous contenterons d’illustrer notre propos par quelques exemples significatifs en prenant en compte les actions communes menées contre les projets des gouvernants.

  • 27 David Sauvade, ibidem.
  • 28 Paradoxalement certaines zones pratiquantes comme la Garrigue, le Lodèvois ou le Larzac comptent p (...)
  • 29 À Cazilhac, l’école des filles a été fondée par la famille de Rodez-Bénavent qui en assure aussi l (...)
  • 30 . L’Éclair, 3 juillet 1907.
  • 31 Cité par David Sauvade, L’anticléricalisme et le cléricalisme dans l’Hérault de 1880 à 1914, Mémoi (...)
  • 32 C’est sous ce titre que Combes a publié ses discours.
  • 33 À propos des rapports tumultueux entre l’Église, l’école et l’État, voir Yves Déloye, École et cit (...)

8L’union montpelliéraine des associations d’anciens élèves de l’enseignement catholique nous fournit un bon point de départ. Elle regroupe mille deux cents adhérents et les aide à trouver du travail. À partir de 1910, l’Association amicale et chrétienne des anciens élèves du Petit Séminaire et le Comité des écoles libres de Castries complètent le dispositif. L’une des plus combatives, avec son siège à la même adresse que celui de l’Action française, s’intitule l’Association des pères de famille27. À sa tête, Mgr de Cabrières encourage la mobilisation afin d’obtenir des aides publiques en faveur des écoles libres dont le nombre dans le diocèse avoisine les deux cents en 1914, seulement pour le primaire. Elles se répartissent essentiellement autour de Ganges et dans les villages de la Vallée de l’Hérault qui constituent une « zone frontière », séparant le Biterrois détaché des régions traditionnellement fidèles au catholicisme28. Leur survie dépend de l’implication financière des notables locaux29. L’action de l’évêque sera relayée par un clergé fidèle. Maintes fois, il s’oppose aux instituteurs accusés de « blasphémer en présence des enfants »30. Le vocabulaire des représentants de l’Église se veut sans ambiguïté. Ainsi à Cazilhac, la nouvelle institutrice se sent outragée par les propos tenus en chaire par un nouveau desservant. « Mères de famille, soyez fermes, n’envoyez pas vos enfants à l’école sans Dieu »31, déclare-t-il dès sa première homélie. L’ultime objectif de la « campagne laïque »32 est la séparation des Églises et de l’État, déjà en bonne place dans le programme de Belleville daté de 186933.

  • 34 Le Petit Méridional, 4 février 1906.
  • 35 L’Éclair, 16 février 1906.

9L’évaluation des possessions temporelles des Églises au début de 1906 suscite un soulèvement violent contrairement aux prévisions du Petit Méridional qui annonçait : « les inventaires (seront) terminés sans délai »34. En effet, la presse de l’époque égraine quotidiennement des actes de résistance. Plusieurs centaines de protestataires catholiques cherchèrent à investir les locaux de la loge maçonnique les Vrais fidèles. Le félibre Arnavielle est surpris au moment où il cassait des vitres35. Des affrontements éclatent aux abords de la cathédrale. Pendant que des centaines d’individus manifestent devant la mairie, des milliers d’autres se font face, selon L’Éclair, près de l’église Saint-Denis à Montpellier à coups de cantiques et de chants antireligieux... La résistance pousse au report des Inventaires. Elle s’organise particulièrement dans le chef-lieu et les autorités sont obligées d’admettre qu’elles rencontrent « des difficultés grandissantes ».

  • 36 Rapport du 16 mars 1906 sur « Le mouvement royaliste et clérical dans l’arrondissement de Montpell (...)
  • 37 Lettre du sous-préfet de Lodève au préfet (9 mars 1906). Cité par David Sauvade, ibidem.
  • 38 C’est ainsi que le Comité royaliste présente les passions suscitées par les mesures du président d (...)

10Tous les rapports de police notent que les actes antigouvernementaux ne sont pas en règle générale préparés par les prêtres mais l’initiative en revient aux notabilités conservatrices en liaison avec l’évêché. « Les royalistes se déplacent quand ils savent qu’un Inventaire doit avoir lieu dans une commune. Ils donnent congé à leurs ouvriers et les invitent à protester contre l’application de la loi »36, rapporte le commissaire Eymery. Le sous-préfet de Lodève analyse ainsi les événements relatifs à son secteur géographique : « Je me suis heurté partout à la consigne donnée par l’évêque de Montpellier et les chefs du parti conservateur de résister à l’application de la loi (...). Par exemple à Saint-André-de-Sangonis, fief de Leroy-Beaulieu, la résistance y a été très violente. Elle a été organisée entièrement par les chefs du parti conservateur, à peu près complètement en dehors et sans la participation des fabriciens... Dans les autres communes, il y avait certainement parmi les manifestants les plus exaltés des individus qui n’entrent jamais à l’Église (...). Je n’hésite pas à affirmer, car j’en ai la conviction la plus absolue, appuyée par des faits nombreux et des constatations très précises, que le sentiment religieux n’est intervenu que d’une façon très secondaire dans les manifestations qui se sont produites et que leur cause principale, pour ne pas dire unique, a été la volonté des chefs du parti réactionnaire d’exploiter, dans un intérêt politique, ce qui peut subsister de ce sentiment »37. La « guerre religieuse »38 déclenchée par l’action d’Émile Combes provoque un sursaut organisationnel bien représenté ici, au cours des années qui précèdent le premier conflit mondial, par l’Association catholique de la jeunesse française.

Une phalange militante : l’Association catholique de la jeunesse française

11Venant relayer leurs confrères des Sociétés de Saint-Vincent-de-Paul, dépassés par les nouvelles exigences d’un monde ouvrier touché par les effets du machinisme industriel et le marasme de la viticulture, les associations investissent le terrain social. Elles s’assignent pour mission d’instruire et d’éduquer le peuple dans la doctrine chrétienne. L’homme d’oeuvres voit sa mission s’éclipser au profit d’un investissement plus militant. Deux voies différentes apparaissent. D’un côté émerge le Sillon, de l’autre l’Association catholique de la jeunesse française.

  • 39 Voir Jeanne Caron, Le Sillon et la démocratie chrétienne (1894-1910). Paris, Plon, 1967, p. 398.
  • 40 Devant cette absence de propositions démocratiques satisfaisantes, Marc Sangnier annonce sa volont (...)
  • 41 Nom d’une divinité de la mer qui avait le don de prendre des formes variées.
  • 42 Jeanne Caron, op. cit., p. 659.
  • 43 L’Éclair, 12 septembre 1907.
  • 44 Cette condamnation intervient quelques semaines après la mise en cause de la démocratie et du mode (...)
  • 45 « On écrit beaucoup au Sillon, ce qui est publié est déjà bien inquiétant, le mal est plus grand q (...)

12Le premier courant animé par Marc Sangnier critique les oeuvres qui s’appuient sur le patronage des élites sociales dans lesquelles toute discussion est bannie, les jeunes se contentant d’être des élèves soumis. Au départ, l’action des sillonnistes se situe en dehors de tout cadre puis progressivement se met en place des « oeuvres économiques » et des cercles d’études destinés à la formation sociale de la jeunesse au service de la démocratie. Une personnalité de ce mouvement, Léonard Constant, influence de manière décisive en 1905 son évolution en encourageant la création d’associations de bienfaisance vraiment démocratiques39. Lors des élections législatives de 1906, le Sillon ne s’associe pas à la politique religieuse défensive afin de manifester son loyalisme républicain. De telles positions valurent aux tenants de la « république démocratique » plusieurs critiques. En effet, ils se positionnent clairement en dehors de la droite et à l’écart d’une gauche impuissante selon les sillonnistes du fait de son enlisement dans des doctrines utopiques40. Mgr de Cabrières juge, fin 1907, les idées de Sangnier et de ses disciples « dangereuses et d’une grande témérité ». D’où les consignes données au supérieur du séminaire pour empêcher la propagation dans les études de ces « nouveautés, (de ces) formules indécises (...), tout cet ensemble de notions confuses... Ce modernisme en un mot, sorte de Protée41 insaisissable, dont les formes multiples menacent la religion des plus grands périls »42. À partir de cette année, l’Église ouvertement cherche à éliminer le Sillon. Le clergé doit se consacrer à freiner l’expansion de ce que l’on assimile à une « secte voulant enrôler nos bons et braves jeunes gens »43. Des mesures disciplinaires touchent les hétérodoxes qui persistent à ne pas se plier aux directives. La fermeté semble répondre aux exigences des intégristes44 qui s’insurgent en lisant les propositions de ce courant incarnant le « modernisme »45.

  • 46 Jeanne Caron, op. cit., p. 131.
  • 47 Comme l’oeuvre des Frères des écoles chrétiennes, le patronage Saint-Philippe-de-Néri à Sète... Vo (...)
  • 48 Cédric Augé, ibidem.
  • 49 Sur cet appui, Gérard Cholvy (dans Histoire du diocèse .... op. cit., p. 247) reste sceptique. Il (...)

13Au moment de son engagement dans l’action en 1899, Marc Sangnier disait : « nous sommes un simple groupe d’amis »46. Cette citation correspond bien à la situation du principal groupe local. Fondé à Montpellier en 1906 par Pierre Azéma, Pierre Causse, Louis Bonfils et Marius Boyer, il unit des laïcs insérés dans les patronages et les oeuvres catholiques47 qui bénéficient de l’appui de quelques prêtres attentifs aux pistes tracées par Sangnier. Rapidement, un cercle d’étude, tentant de répondre aux besoins d’éducation populaire, voit le jour. Il remplace le Cercle Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle, créé en 1901. Ce lieu de sociabilité s’apparente à une sorte de laboratoire d’idées animé par des étudiants mais aussi par des ouvriers ou des employés qui se penchent surtout sur la « question sociale ». Des bulletins d’informations relatent leurs débats. Ces minuscules structures permettent malgré tout aux thèses sillonnistes de germer et de progresser. Le nombre modeste des militants actifs (environ une cinquantaine, répartis dans le chef-lieu, à Béziers et à Sète) ne nuit pas à l’infiltration de son « programme » dans les milieux catholiques. Certaines sources affirment qu’au sein même du grand séminaire de Montpellier le Sillon avait beaucoup d’adeptes48. Ce dernier élément explique la réaction du prélat languedocien qui, comme environ quarante de ses confrères fin 1907, interdit à son clergé d’assister aux manifestations sillonnistes. Pour contrebalancer les agissements des apologistes de la « république démocratique », Mgr de Cabrières favorise l’établissement de l’Association de la jeunesse catholique française (ACJF) dans la région49. De la même manière que les sillonnistes, les membres de ce groupement conçoivent leur mission comme un apostolat avec néanmoins le désir de former une solide armature.

Un cercle de « vrais catholiques »

  • 50 Le 4 avril 1900, le président national de l’ACJF, Henri Bazire, élabore une véritable charte doctr (...)
  • 51 Yves-Marie Hilaire, « L’Association catholique de la jeunesse française : les étapes d’une histoir (...)
  • 52 Des groupes furent alors formés dans le Tarn-et-Garonne, l’Aveyron et l’Aude.
  • 53 Yves-Marie Hilaire, « L’association catholique de la jeunesse française... », op. cit., p. 908.
  • 54 Rapport du 21 novembre 1907. Voir David Sauvade, op. cit., p. 124.
  • 55 Lettre du 6 décembre 1907. ADH ( Archives privées - Fonds Azéma) 20 J 2. Comme nous le verrons plu (...)

14Parrainée par Albert de Mun, lors de sa naissance en 1886, l’ACJF partage la tendance contre-révolutionnaire50 des Cercles catholiques d’ouvriers avec des objectifs relativement similaires. Elle rassemble des laïcs provenant de la « bonne société » en vue de la défense religieuse et de l’action sociale. Ses difficultés d’implantation en province s’estompent au début du siècle, moment où la mobilisation des catholiques contre les mesures du gouvernement d’Émile Combes connaît son apogée51. Dans le Sud, il faut attendre le congrès d’Albi (1905) pour qu’une impulsion soit donnée52. Le congrès diocésain des 23 et 24 novembre 1907 officialise sa présence au coeur de notre aire d’investigation. Des rapports du commissaire spécial de Montpellier, aux impressions puisées dans la correspondance privée du sillonniste Pierre Azéma, nous pouvons en déduire que l’ACJF dans l’Hérault, à la différence de la plupart des autres départements où « elle reste en retrait de la politique active »53, est sous l’influence des animateurs du « Midi blanc » de ses origines aux années vingt. Pour le commissaire Louis Eymery, aucun doute n’est possible : « Depuis la disparition en 1899 des groupes de Jeunesses royalistes de l’Hérault qui avaient pris une extension menaçante, ceux qui en faisaient partie créèrent des groupes catholiques dans diverses localités. Les groupes formèrent ensuite une association qu’ils (baptisèrent) : Association catholique de la jeunesse française »54. Quelques allusions de Pierre Azéma corroborent le résultat des investigations policières. Dans une lettre envoyée à son frère Louis au service militaire à Besançon, Pierre relate le revirement de l’un des pionniers du Sillon montpelliérain, Pierre Causse, au profit de l’ACJF. Il pouvait envisager ainsi « l’élection au comité diocésain, la parade, la paix (honteuse peut-être, mais la paix) avec tous, car les sillonnistes ne sont pas des gens à lui en vouloir. Lâcher le Sillon, c’était les coudées plus libres pour “paraître” en vingt endroits, avec des gens très bien du monde politico-réactionnaire (...). Ne soit pas étonné, conclut Pierre Azéma, si je t’annonce en avril prochain que Causse se présente au conseil municipal sur la liste du bloc : “L’Éclair - Leroy-Beaulieu” (Le Roy servant de trait d’union entre L’Éclair et Beaulieu !!) »55.

  • 56 L’Association des étudiants catholiques a été le premier lieu de formation des futurs cadres de l’ (...)
  • 57 Seules les archives départementales conservent une vingtaine de numéros dont la plupart portent su (...)
  • 58 Association catholique de la jeunesse française, Congrès diocésain (novembre 1907), Albi, 1908.

15Les responsables de cet organisme de laïcs fréquentent les bancs des facultés montpelliéraines56. Quelques-uns viennent tout juste d’intégrer le barreau ou d’embrasser la carrière médicale. Nous possédons très peu d’informations biographiques sur ces jeunes cadres qui se dépensent beaucoup pour la réussite de leur projet. Pareillement, les dirigeants successifs demeurent méconnus, mais bien représentatifs de l’élite sociale. Entre son avènement et le retour de la paix, la jeunesse catholique est présidée par Henri Sèbe (1906-1912), Jules Coste-Floret (1909-1911), Jean Guibal (1911-1912) et Gabriel Déhan (1912-1920). Ils reçoivent les concours et les conseils réguliers de fortes personnalités locales comme le professeur de médecine Joseph Grasset ou le marquis de Forton. Pour bien cerner, les objectifs et les mesures décidées par ces militants catholiques, nous disposons des exemplaires de leur mensuel officiel, L’Écho social du jeune Languedoc57 et d’un compte-rendu détaillé de leur première manifestation d’envergure, le congrès diocésain de 190758. Ces documents démontrent que dès les premiers balbutiements du mouvement, les dirigeants de l’association se mettent à la disposition de Mgr de Cabrières.

  • 59 Charles Molette, op. cit., p. 67.
  • 60 Congrès..., op. cit., p. 10 et 99.
  • 61 . Congrès..., op. cit., p. 14 et 97.
  • 62 Congrès..., op. cit., p. 15.
  • 63 L’Écho Social du Jeune Languedoc, n°2, avril 1911.
  • 64 « La société oubliait Dieu ! La loi humaine se séparait de la loi divine ! La Révolution avait dis (...)
  • 65 Jean Guibal se réfère ici à Albert de Mun (voir Le Gaulois, 27 mars 1911).

16Son intervention, en faveur de ce type de structure, remonte à 1887 à l’Assemblée de l’oeuvre des cercles de Montpellier59 et les pionniers de l’ACJF à Paris ne l’ont pas oublié. Lors du congrès de 1907, Henri Bazire, le président d’honneur sur le plan national, apporte à l’évêque de Montpellier, présent dans l’assistance, « l’attachement filial de la jeunesse catholique, (...) en qui la France catholique aime à saluer le Docteur et le Guide »60. Dans sa réponse, le prélat qualifie « de chose merveilleuse » les projets de ces « vrais catholiques » désireux de s’implanter dans toutes les paroisses. Il exhorte la jeunesse à lutter contre les « semeurs de haine » qui se vantent de préparer le « cercueil » de l’Église : « la meilleure façon de travailler pour la France, c’est de travailler pour l’Église. Oui, s’écrie-t-il, le Royaume de France est le Royaume de Dieu »61. Ses propos vont droit au coeur du président départemental. Henri Sèbe, dès le début de son discours, salue avec condescendance son inaltérable engagement : « Vous avez voulu dès la première heure favoriser notre Association et tandis qu’en 1904 vous autorisiez dans La Semaine Religieuse l’insertion de notre premier manifeste, vous nous comblez aujourd’hui en écrivant à la même place l’apologie de notre Association et en daignant venir vous-même ouvrir et présider notre congrès »62. Les vues des principaux protagonistes de l’ACJF rejoignent l’argumentaire du prélat, comme l’atteste Jean Guibal, l’un des fils de Louis, dans un article-manifeste, publié en 1911 sous le titre: « Travaillons pour notre temps sur notre sol »63. Il souhaite que la jeunesse écoute les recommandations des « hommes d’expérience » qui regrettent l’application des principes de la Révolution64 et nous décrivent une « société (qui) court aux abîmes », car on a « tué tous principes d’harmonie sociale » sans que les jeunes ne s’en aperçoivent. Pour rendre la « confiance aux âmes », la seule voie à suivre, vise à sortir de la « guerre sociale » instaurée depuis « l’avènement de la démocratie et l’explosion simultanée de la fièvre industrielle »65. Le retour au premier plan des exigences des « enseignements de la morale chrétienne » doit faciliter l’évolution souhaitée. Elle seule n’encourage pas « le régime de l’âpre concurrence, ou de la lutte (...) ». Bien au contraire, « la charité commande l’action bienfaisante, l’union des bonnes volontés, et c’est dans le régime de la profession qu’elle donne à la société actuelle son premier bienfait, par l’organisation corporative que nous voulons réaliser ».

17Le message de Jean Guibal s’adresse aux « travailleurs » avec l’ambition de « rendre moins dures les tyrannies que leur inflige la vie ». Il s’agit de proposer une alternative aux programmes des syndicats ouvriers qui absorbent dans leurs rangs de nombreux jeunes sensibles, selon les apôtres de l’ACJF, aux « conseils perfides d’une démagogie intéressée ». Cet hymne aux vertus de l’Ancien Régime et en faveur d’un corporatisme disparu avec la loi Le Chapelier situe le mouvement de jeunesse sur la même ligne que l’Action française. En effet, elle fut le premier groupement politique à adopter de manière officielle la doctrine corporatiste. Le fils de Louis Guibal ne souhaite pas que ces « belles paroles » restent au stade théorique. Il veut qu’au sein de chacune des régions, des « serviteurs dévoués » pour défendre « la vie physique et morale » s’appliquent à apporter des réponses spécifiques pour, dit-il, « sauver la France ». Quelle voie préconise-t-il ?

« Sur le sol que nous habitons, nous chercherons d’abord qu’elles sont les exigences spéciales que nous crée la nature ; quels sont, dans nos campagnes, les besoins que fait naître le climat, les difficultés que donne la terre, les moyens d’assurer l’harmonie sociale entre tous ceux qui travaillent et vivent sur ce sol ; quels sont aussi pour les habitants des villes, dans les industries ou les commerces qui y règnent, les bienfaits que notre action sociale nous permettra d’apporter. Cela vaudra mieux sans doute que d’apprendre aux hommes futurs les fondements de la déesse Raison ou les prétendus dogmes de la science, nous voulons, nous, venir en aide à l’expérience de notre race. (...) C’est de l’ensemble des provinces et nationalités diverses que se forma la grande France : c’est leur collaboration qui fait la patrie ».

  • 66 Son intervention présentée au Vème congrès social national qui s’est tenu à Paris les 19-20 et 21 (...)
  • 67 L’Écho Social du Jeune Languedoc, n°18, août 1912.
  • 68 Jules Coste-Floret dans une réunion regroupant plusieurs paroisses de Montpellier le 12 mars 1911 (...)
  • 69 M. de Gailhard-Bancel, ibidem.

18Ce travail de restauration des cadres sociaux, esquissé par Jean Guibal, s’inscrit dans le projet général de l’ACJF. À côté de la reconstitution de la profession à partir de l’organisation corporative, il importe d’agir dans deux autres directions : la famille et la cité. La réorganisation sociale nécessite une action profonde « au service de ces trois organismes » note dans son rapport général lors du congrès de 1911 le vice-président national Maurice de Gailhard-Bancel66. Les jeunes catholiques doivent s’interposer devant tout ce qui tend à ruiner l’autorité et à ébranler le foyer : l’alcoolisme, le travail de la femme hors du foyer, le travail dominical sont quelques-uns des thèmes mobilisateurs. Ils puisent notamment leur argumentation dans les recommandations de Paul Bourget que l’hebdomadaire cite abondamment. Le romancier réfléchit sur « L’idée de famille » dans la première partie du drame intitulé Le Tribun (1912). Il calque sa conception sur celle de Le Play ou de Bonald qui considèrent que « la cellule sociale est la famille et non l’individu ». Une société « bien portante » doit donc fortifier le lien familial et maîtriser la liberté des individus. « L’âge d’or » pour Bourget remonte à la première moitié du xviie siècle, moment-clé où l’on assiste à « un effort pour restaurer dans les moeurs les vertus de la famille inscrites dans les lois ». Nostalgique de l’Ancien Régime, il considère que l’organisation familiale, de ce qu’il nomme « la vieille France », a produit des êtres humains de « qualité supérieure », par rapport à ceux éduqués dans le respect des principes élaborés en 178967. Toutefois, l’ACJF se défend de faire de la politique68 même si les militants doivent s’impliquer dans la société avec comme consigne officielle de « soutenir toutes les institutions qui peuvent en assurer le développement normal et éliminer les agents de désorganisation, aussi redoutable dans la commune que dans la famille et la profession »69. Toutes ces caractéristiques idéologiques justifient l’enthousiasme de l’évêque montpelliérain à son égard.

Former une élite

  • 70 Congrès..., op. cit.
  • 71 Propos de Jules Coste-Floret. Voir L’Écho Social du Jeune Languedoc, n° 1 bis, mars 1911.
  • 72 L’Écho Social du Jeune Languedoc, ididem.

19La synergie entre Mgr de Cabrières et l’ACJF s’explique aussi par le fait que la nouvelle structure apparaît comme un ersatz des patronages du xixe siècle. Elle met l’accent sur le devoir religieux en proposant une politique de collaboration de classe qui élude les conditions de production et le type d’exploitation manifeste qu’elle révèle. Au point de vue organisationnel, l’ACJF désire néanmoins viser plus haut et former de véritables croisés. Louis Guibal, le président de l’Association générale des catholiques du diocèse, lors de la réunion de clôture du congrès de 1907, se réjouit, « en frère aîné », de l’émergence de ce mouvement sur le sol départemental et de ses dispositions « pour Dieu et pour la Patrie ». Dans son allocution, il utilise un vocabulaire très martial qui restitue bien l’atmosphère générale du congrès en disant : « je dois obéissance aux ordres de mon chef (Mgr de Cabrières) et, comme un bon soldat, je suis à mon poste ». Tous les congressistes se sentent en guerre pour préserver leur identité c’est-à-dire « rester ce que nous sommes : catholiques et français ». Afin de mener à bien cette mission, Louis Guibal croit en la réussite de l’ACJF parce que tous les intervenants ambitionnent de créer de nombreux groupes « zélés et disciplinés »70. En se calquant sur les mouvements ouvriers, ils envisagent la mise en place d’une organisation très hiérarchisée de « jeunes gens fièrement, librement, intégralement catholiques, et qui veulent s’affirmer tels, à la face de tous »71. L’axe de la structure doit rester l’apanage « d’une véritable aristocratie, ou si ce mot vous choque d’une élite ». Cette précision est donnée par Gabriel Déhan, le vice-président départemental, durant le congrès de Lodève en 191172. Celle-ci sera recrutée dans tous les secteurs sociaux. Aussi bien au sein des ateliers que dans les écoles ou les bureaux, l’ACJF envisage de former des hommes aptes à convaincre sur les questions sociales et religieuses. « Si nous ne formons pas ces élites, elles se formeront contre nous », clame le responsable. Ses vues rejoignent celles d’un aumônier diocésain engagé dans l’ACJF (H. Cabane), quand il considère que le « secret des gains de nos adversaires » réside dans « l’emprise de leurs doctrines sur les masses ». L’impérative nécessité de façonner une « élite », bien insérée dans le tissu social, revêt la priorité absolue. Les méthodes employées par le camp adverse constituent un modèle à suivre :

  • 73 H. Cabane, « Pour former notre élite », L’Écho Social du Jeune Languedoc, n° 13, mars 1912.

« Tout près de vous parmi ceux que les nécessités de chaque jour vous obligent à coudoyer à l’atelier, aux champs ou à la ville, il en est qui savent suivre avec attention la vie contemporaine dans ses manifestations extérieures ou plus intimes : ils regardent, ils observent, ils réfléchissent, ils retiennent, et, le soir, après une journée de labeur rude parfois, ceux que vous avez pu croire indifférents ou légers apportent, plus nombreux qu’on ne le croit d’ordinaire, dans leurs cercles d’études ou au siège de leur société, l’écho de ce qu’ils ont entendu, le fruit de leurs enquêtes discrètes mais sérieuses. De leurs observations, de la répercussion des faits sur leur esprit et leur volonté, ils font bénéficier leurs camarades qui reconnaissent volontiers leur curiosité perspicace, tandis que leurs chefs, attentifs à les étudier et à les suivre de près, entretiennent et développent, après l’avoir suscité, cet esprit d’observation et d’initiative. Jaloux du succès de leur cause, les chefs encouragent ces caractères qui se révèlent, gage d’une influence qui demain pourra s’exercer et gagnera de nouveaux adeptes »73.

  • 74 Voir le rapport de Joseph Grasset sur « l’Étude » lors du congrès de 1907.
  • 75 L’ACJF voulait former des citoyens « éclairés », au fait de l’actualité, et susceptibles de débatt (...)
  • 76 Jean-Pierre Piques, La jeunesse catholique dans l’Hérault (xix-xxe siècles). Des organisations aux (...)

20Pour mettre en oeuvre une organisation conforme aux exigences de l’époque, les jeunes gens sont invités à se rassembler autour d’un aumônier dans un « cercle d’études sérieux »74, destiné à ceux qui comptent fournir un « effort sincère et constant », avec pour objectif l’acquisition d’un « ensemble homogène de connaissances »75. Ces impératifs nuisent à la pénétration dans les milieux ruraux et ouvriers. Leurs occupations professionnelles, l’éloignement les empêchent de se réunir fréquemment. De ce fait, la direction aussi bien au niveau diocésain que dans les cercles d’études reste, au moins jusqu’à la fin des années vingt, le monopole des étudiants issus de la bourgeoisie76. Le mode de fonctionnement des groupes de réflexion, assez strict, tend aussi à rebuter les classes populaires. Un programme d’études est établi et les participants à tour de rôle préparent les thèmes des séances puis les exposent à leurs homologues avant qu’une discussion générale ne s’engage. Les éléments du débat sont à puiser dans les publications « bien pensantes ». Les Annales de la Jeunesse Catholique offrent un large éventail d’informations pour approfondir les méthodes d’action, trouver des plans précis à reproduire lors des conférences ou les références bibliographiques nécessaires à l’élaboration de l’exposé. Le livre paraît bien approprié pour faire passer le message ; tous les groupes locaux sont incités à créer des « bibliothèques populaires ». Un autre avocat, Joseph Grasset, défend ce moyen d’action et préconise une sélection rigoureuse des ouvrages pour attirer le lectorat :

  • 77 Congrès..., op. cit.

« On s’est trop occupé de donner au peuple des lectures vaines, sous le prétexte qu’elles étaient de bonnes lectures. (...) Il faut, mes chers camarades lui donner ce qu’il réclame. Le peuple qui exerce des métiers veut une instruction technique ; le peuple qui vote veut une instruction civique. (...) Le travailleur, l’employé, l’agriculteur n’ont que peu de temps pour lire. Ils ne recherchent pas des abstractions, des théories, des fantasmagories philosophico-scientifiques ». Les lecteurs, poursuit-il, doivent revenir dans la « bonne bibliothèque » aujourd’hui supplantée par « les officines de libre-pensée, où l’on a assez niaisement grisé et flagorné l’intelligence populaire. Les controverses philosophiques les plus abstruses, les discussions historiques les plus délicates ont été données en pâture à tous, et ont rapidement contribué à cette décérébration générale qui est la marque du régime actuel. On a cherché à faire de tous les cerveaux français des cerveaux républicains. Le plus souvent on a fait des vaniteux et des imbéciles »77.

  • 78 Voir le rapport de Jules Coste-Floret sur la propagande au congrès de 1907.

21Les cercles d’études et les bibliothèques fournissent aux catholiques des « armes » en vue du développement d’une propagande respectant des directives strictes78. Un cadre départemental, dès la naissance d’un groupe, se déplace afin d’officialiser la création. Il s’efforce de montrer « l’utilité de l’action et la nécessité de l’union » avant de dévoiler la marche à suivre qui s’articule obligatoirement autour de trois éléments de base : la Piété (ce qui implique la pratique ostensible des devoirs religieux), l’Étude et l’Action. Celle-ci s’exerce d’abord dans la « sphère modeste » de l’influence de chacun, le but étant d’atteindre une population qui échappe à l’action religieuse du prêtre. Le premier objectif est de leur montrer la distinction entre les « lois sociales justes » et celles qui demeurent « irréalistes ». Les dirigeants dans les « conférences de propagande », destinées aux groupes en formation, font délibérément preuve de simplicité. Ils cherchent ainsi à démontrer à leur auditoire rural que l’on n’a « nul besoin d’être savant, littérateur ou orateur ; qu’il suffit d’un peu de travail et d’un peu de bonne volonté » pour faire un exposé et convaincre un nouveau public. Ce discours se justifie car, d’une part, les envoyés du siège, souvent étudiants, ne peuvent intervenir dans toutes les communes où germe l’ACJF et, d’autre part, on espère de cette façon pousser les jeunes catholiques des campagnes à s’engager, à prendre la parole et provoquer une émulation salutaire. À leur niveau, les groupes doivent contrer les agissements du « mauvais journal, du journal franc-maçon et sectaire » et répandre « avec discernement la publication appropriée au milieu dans lequel elle doit agir : ici savante, là plus simple ; ici politique, là purement catholique ; ici délibérément chrétienne, là simplement respectueuse de l’ordre, de la morale et de la liberté. Il ne faut pas viser trop haut, explique Jules Coste-Floret l’initiateur de la propagande, il ne faut pas aller trop vite ; c’est parfois par manque de mesure et de prudence que l’on compromet le succès final ». Outre les habitués du culte catholique, il faut s’adresser « aussi et surtout à la grande foule des indifférents ».

  • 79 Au cours du congrès de 1907, un délégué insiste pour qu’un service de projections fournisse des vu (...)
  • 80 L’Économie catholique montpelliéraine, créée en 1919 par l’Œuvre de la jeunesse catholique de la c (...)
  • 81 C’est le Groupe Albert de Mun de Saint-Pargoire à l’origine de cette initiative. Peu de groupes se (...)

22Toutes les recommandations attestent de la maturité au niveau organisationnel des dirigeants. Ils prônent l’utilisation de méthodes propres aux entreprises décidées à s’inscrire dans la modernité politique. Un dernier exemple confirmera notre propos. Jules Coste-Floret constate que l’éloquence lors des conférences publiques « produit sur certains caractères le même effet que la musique sur certains tempéraments : elle ennuie, elle endort ». Pour maintenir l’attention rien ne vaut, estime-t-il, le recours aux séances de projections79. Préconiser l’emploi d’une telle technique, en ce début de siècle, est très surprenant. Il faudra attendre plusieurs années avant que son intérêt ne soit reconnu par tous les partis politiques qui l’utiliseront dans les réunions électorales. De manière plus concrète, l’Association catholique de la jeunesse française propose une série de services ou d’activités récréatives. Citons par exemple, le « service de placements » géré par des employeurs catholiques pour apporter une aide aux jeunes en proie à des difficultés d’insertion sociale. Nous dénombrons également des troupes théâtrales. Elles sont un moyen de distraction, de recrutement et d’apprentissage de la maîtrise de soi en public. Enfin, les associations sportives, en plein essor, reçoivent les encouragements du marquis de Forton. Comme nous l’avons esquissé, il prône l’exercice physique pour « fortifier les âmes ». De manière traditionnelle, les jeunes adhérents pour peaufiner leur éducation collaborent à des œuvres diocésaines. Au sein des patronages, surtout présents dans les secteurs urbanisés, ils servent d’auxiliaires aux curés dans l’organisation des activités spirituelles et sportives. C’est ce même esprit d’apostolat qui les fait participer aux conférences de Saint-Vincent-de-Paul, animer des coopératives de consommation80 ou lancer l’idée de mettre en place dans tout le département des mutualités81.

  • 82 Yves-Marie Hilaire, ibidem.
  • 83 Nous n’avons guère trouvé d’informations aux archives nationales. Quelques traces générales subsis (...)
  • 84 Nous nous basons sur L’Écho Social du Jeune Languedoc et sur le mémoire de Fabienne Brunet-Debaine (...)
  • 85 Congrès..., op. cit., p. 90.
  • 86 Voir supra.
  • 87 Congrès..., op. cit., p. 78.
  • 88 Ibidem.
  • 89 C’est le cas comme nous le verrons de Jean Guibal, par exemple.
  • 90 Voir supra.

23L’ancrage de la structure à l’échelle nationale est remarquable. Les effectifs décuplent entre 1899 et 1913 atteignant 140 000 membres82, en mordant sur une partie de la classe moyenne et de la paysannerie. Avant l’entrée en guerre, 3 000 groupes reçoivent un agrément officiel. Avec 450 sections la région Nord-Pas-de-Calais est celle qui connaît la plus forte attractivité. Peu d’indications chiffrées concernent le territoire héraultais83. Au cours du congrès de 1907, les intervenants reconnaissent l’existence de 62 groupes et dans les années 1920, on en répertorie dans 96 localités84. Au regard des données relevées en 1913 dans l’ensemble du pays, les efforts fournis par les cadres locaux n’ont pas été vains. Louis Guibal assimile la structure à une « phalange »85 s’attachant à convaincre du bien fondé de l’engagement les catholiques mais « surtout la grande foule des indifférents »86, sensibles aux « sirènes » des mouvements républicains et ouvriers. Il s’agit ici d’un premier pas en direction d’une population qui regarde « d’un oeil distrait les ruines s’amonceler sur les ruines, pour essayer de secouer leur torpeur et les entraîner à notre suite »87, note Jules Coste-Floret, dans son rapport sur « La Propagande ». Il se montre d’ailleurs encore plus explicite quant au type de public à conquérir lorsqu’il affirme : « c’est perdre son temps que de ne prêcher qu’à des convertis »88. Les débats de l’après-guerre dessinent une nouvelle donne. Au fil des années, quelques-uns des militants formés par l’ACJF pencheront pour un durcissement des positions envers le régime89, pendant qu’une maigre minorité, autour de la famille Coste-Floret et de Paul Boulet, s’efforce de promouvoir les orientations du christianisme social avec de grandes difficultés, ainsi que l’illustre l’échec du journal Le Sud90.

24À travers ces pages, on s’aperçoit de la contribution idéologiquement orientée des associations catholiques engagées dans la « guerre religieuse ». Nous nous trouvons dans un espace où la fusion entre les tenants de la catholicité et les monarchistes, exaltée par l’évêché, aboutit à la confection d’une armature « traditionniste » hégémonique. L’entreprise de déchristianisation qui s’accentue autour de 1900 avec la séparation des Églises et de l’État, accompagnée d’un arsenal juridique très contraignant, provoque un renforcement des structures militantes opposées aux concessions souhaitées par les « modernes ». Désormais, on assiste au remplacement de l’homme d’œuvres par le militant formé au sein d’un tissu associatif en plein essor depuis la loi de 1901. Sur le plan électoral, ce genre de mutation produit aussi des effets avec un professionnalisme accru des différents protagonistes.

Notes

1 Le Petit Méridional, 19 août 1885. Cité par David Sauvade, L’anticléricalisme et le cléricalisme dans l’Hérault de 1880 à 1914, Mémoire de DEA d’histoire, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1994, p. 12.

2 A Abeilhan, Pignan, Laurens, Olonzac, Loupian... Voir David Sauvade, ibidem.

3 Jean Sagnes, Mireille Lacave, L’Hérault autrefois, Lyon Horvath, 1994, p. 120.

4 Maurice Agulhon, Marianne au combat : l’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880, Paris, Flammarion, 1979 et « Marianne dévoilée » (entretien avec Marc Abélès), Terrain, n° 15, 1990, p. 91-101.

5 « Le peuple de gauche, écrit Gérard Baal, voit dans sa lutte anticléricale le prélude à l’avènement de la démocratie sociale ». Voir Gérard Baal, Histoire du radicalisme, Paris, La Découverte, 1994, p. 33.

6 Jean Sagnes, Mireille Lacave, ibidem

7 Sur ce point, nous renvoyons le lecteur aux travaux de Bruno Dumons sur les associations formées par les femmes nobles ou bourgeoises. Voir « Mobilisation politique et ligues féminines dans la France catholique du début du siècle. La Ligue des femmes françaises et la Ligue patriotique des françaises (1901-1914) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 73, janvier-mars 2002, p. 39-50.

8 Gilles Le Béguec crée celte expression (« quasi-partis ») pour souligner l’existence de « groupements parallèles » qui interviennent dans la vie politique pour « pallier la chétivité des partis et capables de remplir de nombreuses tâches habituellement dévolues à ceux-ci ». Dans sa présentation, il exclut l’Association catholique de la jeunesse française. Si d’une manière générale, il semble que cette structure ne puisse pas correspondre à cette catégorie, au niveau local nous ne partageons pas son point de vue. En effet, nous montrerons qu’elle participe pleinement à « l’union en faisceau de toutes les forces conservatrices » défendue par Mgr de Cabrières. Voir Gilles Le Béguec, « Le parti », in Jean-François Sirinelli, dir., Histoire des droites..., tome 2, op. cit., p. 31-33.

9 Œuvres choisies de Monseigneur de Rovérié de Cabrières, Évêque de Montpellier, Paris, Ch. Poussielgne-Joseph Calas, 1893.

10 Mgr de Cabrières, La France royaume de Marie, Paris, Maison Didot, 1900 (?).

11 Monique Pradel, La Société de Saint-Vincent-de-Paul dans l’Hérault (1850-1905), Mémoire pour le DES d’histoire, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1972 ; Guy Laurans, L’humilité et la gloire..., op. cit.

12 Propos tenus à l’assemblée générale des comités catholiques du diocèse en 1878. Cités par Marcel Bruyère, op. cit., p. 120.

13 Voir Gérard Cholvy, Religion et société..., op. cit., p. 1274-1275.

14 Gérard Cholvy, Religion et société..., op. cit., p. 1104.

15 Christophe Charle, « Pour une histoire sociale des professions juridiques à l’époque contemporaine. Notes pour une recherche », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 76-77, 1989.

16 Rétablis en 1810, les ordres d’avocats ont à leur tête un bâtonnier et un conseil de discipline élus, à partir de 1830, annuellement par l’assemblée générale regroupant tous les membres de la profession inscrits. La prestation du serment confère le titre d’avocat cependant celui qui exerce doit être inscrit au tableau alors que l’avocat en titre peut s’en dispenser. On trouve même des situations intermédiaires entre ces deux états avec par exemple ceux qui revendiquent le titre vague de jurisconsulte. Jusqu’à la Première Guerre mondiale ces différences, source d’ambiguïté dans l’esprit du public non initié, perdurent. Un décret de 1920 éliminera les non-professionnels. Cette clarification mettra les avocats en phase avec les nouvelles exigences nées des séquelles de la guerre, responsables d’importants problèmes juridiques. La création de juridictions spécifiques, l’émergence des conseils juridiques sont autant de facteurs qui font que le métier succède à la fonction. Voir Pascal Plas, « La professionnalisation des avocats au début des années vingt. Enjeux, ruptures et nouveaux modèles », in Gilles Le Béguec, dir., Avocats et barreaux en France (1910-1930), Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1994, p. 59-76.

17 Amédée Vernhette (1795-1884) est né à Monjeaux (Aveyron). Après des études de droit, il débute dans la magistrature comme substitut du roi à Alès puis devient secrétaire général de la préfecture de l’Hérault. Il commence alors une carrière qui le conduit au poste de préfet des Vosges. L’avènement de Louis-Philippe le pousse à démissionner. Il siège deux ans au Parlement qu’il quitte au moment du coup d’État de décembre 1851. Son frère (Louis-Maurice Vernhette) suivit une trajectoire très voisine. Élu conseiller général dans l’Aveyron, cet avocat rattaché au barreau de Millau devient député en 1848 puis en 1849. Il siège avec les légitimistes. Leur père (Jean-Biaise Vernhette) avait déjà montré la voie puisqu’il était conseiller à la cour royale de Montpellier quand il fut élu en 1827 député de la troisième circonscription de l’Aveyron. Voir Adolphe Robert, Edgar Bourloton, Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français (1789-1889). Tome V, Genève, Slatkine Reprints, 2000, p. 506.

18 L’Éclair, 13 juin 1941.

19 Gilles Le Béguec, « L’aristocratie du barreau, vivier pour la République. Les secrétaires de la conférence du stage”, Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 30, 1991, p. 22-31.

20 L’Éclair, ibidem.

21 Extrait d’un rapport établi sur la confédération générale des vignerons en 1909. ADH 1 M 1106.

22 Maurice Caupert, Essai sur la confédération générale des vignerons. Ses origines, son organisation, son oeuvre, Thèse de doctorat de sciences politiques et économiques, Faculté de droit, Montpellier, 1921.

23 On trouve par exemple la société archéologique (celle de Béziers était aussi très réputée), la société pour l’étude des langues romanes, la Maintenance du Languedoc qui entend défendre la langue d’oc...

24 Pour mieux saisir la portée de son engagement au sein de ces milieux, voir Philippe Secondy, La droite extrême..., op. cit., p. 167-171.

25 En 1941, sa notice nécrologique nous renseigne sur une partie de ses responsabilités. Il occupa les présidences de la société Saint-Vincent-de-Paul, au niveau départemental ; de l’Institut marin Saint-Pierre ; de l’oeuvre des prisons ; du conseil paroissial de Saint-Matthieu ; bienfaiteur et président d’honneur du conseil d’administration de l’oeuvre de la jeunesse chrétienne sportive ; de l’union des oeuvres sociales de Montpellier ; responsable du comité des orphelins de guerre de l’Hérault...

26 L’Éclair, 12 décembre 1905.

27 David Sauvade, ibidem.

28 Paradoxalement certaines zones pratiquantes comme la Garrigue, le Lodèvois ou le Larzac comptent peu d’écoles. Pour nous en tenir aux villages de la Garrigue seuls Pignan, Castries et Vailhauquès possèdent une école de garçons ; sept autres paroisses ont une école de fille. Voir Gérard Cholvy, Géographie religieuse de l’Hérault contemporain, Paris, PUF, 1968, p. 310.

29 À Cazilhac, l’école des filles a été fondée par la famille de Rodez-Bénavent qui en assure aussi l’entretien. À Castries, c’est le duc propriétaire du château. Il y apporte un concours presque exclusif. Dans le Lodèvois, les Leroy-Beaulieu aident plusieurs écoles... Voir Gérard Cholvy, ibidem.

30 . L’Éclair, 3 juillet 1907.

31 Cité par David Sauvade, L’anticléricalisme et le cléricalisme dans l’Hérault de 1880 à 1914, Mémoire pour le DEA d’histoire, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1994, p. 83.

32 C’est sous ce titre que Combes a publié ses discours.

33 À propos des rapports tumultueux entre l’Église, l’école et l’État, voir Yves Déloye, École et citoyenneté. L’individualisme républicain de Jules Ferry à Vichy : controverses, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1994.

34 Le Petit Méridional, 4 février 1906.

35 L’Éclair, 16 février 1906.

36 Rapport du 16 mars 1906 sur « Le mouvement royaliste et clérical dans l’arrondissement de Montpellier à l’occasion des inventaires ». A Ganges, le vicomte Henri de Rodez-Bénavent lance un appel par l’intermédiaire de L’Éclair : « Catholiques de Ganges ! Vendredi à 11 heures du matin, votre Église va recevoir la visite des agents du fisc. Ne vous y trompez point ; ce n’est pas un simple inventaire qu’on désire y faire. C’est le commencement de la main-mise de l’État sur des biens donnés par vos pères, par conséquent qui n’appartiennent qu’à vous, catholiques de Ganges. Protestons donc pacifiquement et que notre présence, ce jour-là, dans l’Église, montre combien nous désapprouvons cette inique mesure ». Voir David Sauvade, ibidem.

37 Lettre du sous-préfet de Lodève au préfet (9 mars 1906). Cité par David Sauvade, ibidem.

38 C’est ainsi que le Comité royaliste présente les passions suscitées par les mesures du président du Conseil. Voir L’Éclair, 16 février 1906.

39 Voir Jeanne Caron, Le Sillon et la démocratie chrétienne (1894-1910). Paris, Plon, 1967, p. 398.

40 Devant cette absence de propositions démocratiques satisfaisantes, Marc Sangnier annonce sa volonté de créer un véritable parti politique. Le désaveu de Pie X entraîne sa soumission et la marginalisation du Sillon.

41 Nom d’une divinité de la mer qui avait le don de prendre des formes variées.

42 Jeanne Caron, op. cit., p. 659.

43 L’Éclair, 12 septembre 1907.

44 Cette condamnation intervient quelques semaines après la mise en cause de la démocratie et du modernisme par l’encyclique Pascendi de Pie X. Jeanne Caron voit dans ces attaques l’ombre de l’intégrisme qui assiège, parfois avec succès, la Curie romaine dans les années 1907-1910.

45 « On écrit beaucoup au Sillon, ce qui est publié est déjà bien inquiétant, le mal est plus grand qu’on ne l’imagine, on glorifie la Révolution, on prodigue des paroles d’amour pour les prolétaires et des paroles de mépris pour l’aristocratie et tout ce qui se rattache à l’Ancien Régime ». Extrait de la lettre du 28 mai 1907 envoyée par un catholique parisien, un certain C. Gauthier, à Mgr de Cabrières. Citée par Cédric Augé, Le Sillon de l’Hérault (1906-1910), Mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1995, p. 82.

46 Jeanne Caron, op. cit., p. 131.

47 Comme l’oeuvre des Frères des écoles chrétiennes, le patronage Saint-Philippe-de-Néri à Sète... Voir Cédric Augé, op. cit.

48 Cédric Augé, ibidem.

49 Sur cet appui, Gérard Cholvy (dans Histoire du diocèse .... op. cit., p. 247) reste sceptique. Il se base sur un commentaire isolé extrait de la correspondance privée du sillonniste Pierre Azéma qui évoque les événements locaux. Il note dans une lettre du 26 octobre : « L’entourage de Monseigneur de Cabrières, contre lequel on a rouspété ferme, fait tout pour qu’il n’y est pas de congrès de l’ACJF ». Or, et nous allons le montrer, de nombreux éléments donnent à penser le contraire : l’évêque stimule le clergé et tous les catholiques à développer cette nouvelle structure.

50 Le 4 avril 1900, le président national de l’ACJF, Henri Bazire, élabore une véritable charte doctrinale du catholicisme social au xxe siècle dans une conférence au Musée social. Pour lui, « de l’essence même du catholicisme intégral et de la traditionnelle interprétation du dogme de l’Église, sa gardienne, se dégage l’idée sociale dans sa plénitude ». Cité par Charles Molette, L’Association catholique de la jeunesse française (1886-1907). Une prise de conscience du laïcat catholique, Paris, Armand Colin, 1968, p. 342 et s.

51 Yves-Marie Hilaire, « L’Association catholique de la jeunesse française : les étapes d’une histoire (1886-1956) », Revue du Nord, tome LXVI, n°261, 1984, p. 905.

52 Des groupes furent alors formés dans le Tarn-et-Garonne, l’Aveyron et l’Aude.

53 Yves-Marie Hilaire, « L’association catholique de la jeunesse française... », op. cit., p. 908.

54 Rapport du 21 novembre 1907. Voir David Sauvade, op. cit., p. 124.

55 Lettre du 6 décembre 1907. ADH ( Archives privées - Fonds Azéma) 20 J 2. Comme nous le verrons plus loin la famille Leroy-Beaulieu implantée, depuis quelques décennies dans l’Hérault, s’accommode fort bien des milieux « blancs ».

56 L’Association des étudiants catholiques a été le premier lieu de formation des futurs cadres de l’ACJF héraultaise.

57 Seules les archives départementales conservent une vingtaine de numéros dont la plupart portent sur la période 1911-1912.

58 Association catholique de la jeunesse française, Congrès diocésain (novembre 1907), Albi, 1908.

59 Charles Molette, op. cit., p. 67.

60 Congrès..., op. cit., p. 10 et 99.

61 . Congrès..., op. cit., p. 14 et 97.

62 Congrès..., op. cit., p. 15.

63 L’Écho Social du Jeune Languedoc, n°2, avril 1911.

64 « La société oubliait Dieu ! La loi humaine se séparait de la loi divine ! La Révolution avait dissocié la France ! Il n’y avait plus dans le pays qu’une poussière d’hommes ! », tel est le résumé de leur message donné par Jean Guibal.

65 Jean Guibal se réfère ici à Albert de Mun (voir Le Gaulois, 27 mars 1911).

66 Son intervention présentée au Vème congrès social national qui s’est tenu à Paris les 19-20 et 21 mai 1911 porte exclusivement sur ces trois points. Voir M. de Gailhard-Bancel, La collaboration de la Jeunesse Catholique à la réorganisation sociale, Besançon, Typographie et lithographie Joseph Jacques, 1911.

67 L’Écho Social du Jeune Languedoc, n°18, août 1912.

68 Jules Coste-Floret dans une réunion regroupant plusieurs paroisses de Montpellier le 12 mars 1911 insiste sur ce point. Voir L’Écho Social du Jeune Languedoc, n°3, mai 1911.

69 M. de Gailhard-Bancel, ibidem.

70 Congrès..., op. cit.

71 Propos de Jules Coste-Floret. Voir L’Écho Social du Jeune Languedoc, n° 1 bis, mars 1911.

72 L’Écho Social du Jeune Languedoc, ididem.

73 H. Cabane, « Pour former notre élite », L’Écho Social du Jeune Languedoc, n° 13, mars 1912.

74 Voir le rapport de Joseph Grasset sur « l’Étude » lors du congrès de 1907.

75 L’ACJF voulait former des citoyens « éclairés », au fait de l’actualité, et susceptibles de débattre sur tous les sujets qui intéressent la vie publique. Des réunions pour mieux connaître la Constitution, sur les règles à respecter lors des élections, sur les problèmes relatifs à l’école furent, entre autres, organisées. Voir Fabienne Brunet-Debaines, L’Association catholique de la jeunesse française dans l’Hérault de 1907 à 1930, Mémoire pour le DES d’histoire, Université Paul Valéry - Montpellier III, 1980, p. 73.

76 Jean-Pierre Piques, La jeunesse catholique dans l’Hérault (xix-xxe siècles). Des organisations aux mouvements, Mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1985, p. 29.

77 Congrès..., op. cit.

78 Voir le rapport de Jules Coste-Floret sur la propagande au congrès de 1907.

79 Au cours du congrès de 1907, un délégué insiste pour qu’un service de projections fournisse des vues aux groupes existants. Les responsables diocésains organisent deux séries d’abonnement : « L’un à quinze francs par an donnera droit à une série de vues que l’on pourra renouveler chaque treize jours ; l’autre, à cinq francs, permettra de louer les vues à des prix très réduits ». Congrès..., op. cit., p. 84.

80 L’Économie catholique montpelliéraine, créée en 1919 par l’Œuvre de la jeunesse catholique de la cité de Lunaret, a pour objet de « lutter contre les difficultés croissantes de l’existence, contre la cherté toujours plus menaçante de la vie ».

81 C’est le Groupe Albert de Mun de Saint-Pargoire à l’origine de cette initiative. Peu de groupes semblent l’avoir suivi.

82 Yves-Marie Hilaire, ibidem.

83 Nous n’avons guère trouvé d’informations aux archives nationales. Quelques traces générales subsistent dans la liasse F7 12880 : Association catholique de la jeunesse française : notices de police et coupures de journaux (1901-1911).

84 Nous nous basons sur L’Écho Social du Jeune Languedoc et sur le mémoire de Fabienne Brunet-Debaines qui a utilisé des données tirées d’une enquête réalisée par le comité diocésain pour le congrès d’avril 1922. Ce congrès d’après-guerre devait faire le point sur l’état de reconstruction du mouvement et à cet effet un questionnaire a été envoyé à tous les groupes de l’ACJF. Voir Fabienne Brunet-Debaines, op. cit., p. 26 et s.

85 Congrès..., op. cit., p. 90.

86 Voir supra.

87 Congrès..., op. cit., p. 78.

88 Ibidem.

89 C’est le cas comme nous le verrons de Jean Guibal, par exemple.

90 Voir supra.

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