La persistance du Midi blanc
|Deuxième partie. Une nébuleuse partisane initiée par « Monseigneur de Montpellier »
Chapitre 1 : Un évènement traumatique : l’annonce du Ralliement
Texte intégral
- 1 Fernand Hayward, Léon XIII, Paris, Grasset, 1937.
- 2 Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième République, Paris, Seuil, 1984, p. 148.
- 3 Un trafic de décorations organisé par son gendre pousse le président de la République Jules Grévy (...)
- 4 Dès 1886 une conjonction des centres avait vu le jour dans l’éphémère Droite républicaine ; elle r (...)
1Encouragée par le pape Léon XIII, très critique à l’égard des catholiques qui cherchent à envenimer les relations avec l’État1, l’annonce officielle du Ralliement n’aboutit qu’après beaucoup de tergiversations et de tractations. Au lendemain des élections législatives de 1889, le souverain pontife intervient dans le débat politique pour y affirmer d’une part la nécessaire distinction entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, et d’autre part la rupture souhaitable de la vieille solidarité entre les catholiques et la monarchie. Ses efforts visent à sauvegarder le concordat et à amadouer le gouvernement afin qu’il préserve le budget des cultes2. La volonté d’apaisement rejoint les préoccupations de quelques membres d’un gouvernement secoué par divers scandales3 encore sous le choc de la flambée boulangiste et qui se montre disposé à ralentir l’application des mesures hostiles à la religion catholique. Léon XIII reprend aussi les vœux d’une partie de la droite prête à réexaminer les positions prises vis-à-vis du régime républicain. Sur la base de la garantie de l’ordre social, des personnalités conservatrices estiment souhaitable une entente avec les républicains de gouvernement. Ils se trouveront en phase avec un électorat tous les jours plus nombreux à se rapprocher du nouveau régime4.
- 5 François Renault, Le Cardinal Lavigerie (1825-1892). L’Église, l’Afrique et la France, Paris, Faya (...)
- 6 Il conclut cependant par cette parole sans équivoque : « Je veux ». Voir François Renault, op. cit (...)
- 7 François Renault, ibidem.
2Léon XIII charge le cardinal Lavigerie de préparer le tournant décisif5. Après plusieurs entretiens avec cette personnalité ecclésiastique de premier plan, à la fois Primat d’Afrique, archevêque d’Alger et de Carthage ; le pape réussit à le persuader d’effectuer une déclaration publique dans ce sens, tout en lui recommandant de ne pas engager directement le Saint Siège6. Restait à choisir pour Lavigerie une occasion susceptible de donner à ses paroles un large retentissement. Il se décide en novembre 1890. La présence à Alger de l’escadre de la Méditerranée va lui permettre d’accomplir ce qu’il considère comme « l’acte le plus redoutable de sa vie »7. En l’absence du gouverneur général, il organise en tant que premier personnage de la colonie un banquet pour accueillir l’état-major de l’escadre, composé en majorité d’officiers monarchistes, en y conviant les autorités militaires et civiles locales. À la fin du repas, il prononce le toast traditionnel dont voici les principaux extraits :
- 8 François Renault, op. cit., p. 590-591.
« L’union, en présence de ce passé qui saigne encore, de l’avenir qui menace toujours, est en ce moment, en effet notre besoin suprême. L’union est aussi, laissez-moi vous le dire le premier vœu de l’Église et de ses Pasteurs à tous les degrés de la hiérarchie. Sans doute, Elle ne vous demande ni de renoncer ni au souvenir des gloires du passé, ni aux sentiments de fidélité et de reconnaissance qui honorent tous les hommes. Mais quand la volonté d’un peuple s’est nettement affirmée ; que la forme de gouvernement n’a rien en soi de contraire, comme le proclamait Léon XIII, aux principes qui seuls peuvent faire vivre les nations chrétiennes et civilisées ; lorsqu’il faut pour arracher enfin son pays aux abîmes qui le menacent, l’adhésion, sans arrière-pensée, à cette forme de gouvernement, le moment vient de déclarer enfin l’épreuve faite, et, pour mettre un terme à nos divisions, de sacrifier tout ce que la conscience et l’honneur permettent, ordonnent à chacun de nous de sacrifier pour le salut de la patrie. C’est ce que j’enseigne autour de moi ; c’est ce que je souhaite voir enseigner en France par tout notre clergé, et en parlant ainsi je suis certain de n’être point désavoué par aucune voix autorisée. En dehors de cette résignation, de cette acceptation patriotique, rien n’est possible, en effet, ni pour conserver l’ordre et la paix, ni pour sauver le monde du péril social, ni pour sauver le culte même dont nous sommes les ministres. Ce serait folie que d’espérer soutenir les colonnes d’un édifice sans entrer dans l’édifice lui-même, ne serait-ce que pour empêcher ceux qui voudraient tout détruire d’accomplir leur œuvre ; folie surtout de l’assiéger du dehors, comme le font encore quelques-uns, malgré des hontes récentes, donnant aux ennemis qui nous observent le spectacle de nos ambitions ou de nos haines, et jetant dans le cœur de la France un découragement précurseur des dernières catastrophes »8.
- 9 On veut « introduire dans notre France démocratique ce cheval de Troie portant la trahison dans se (...)
- 10 François Renault, op. cit., p. 599.
- 11 Gérard Cholvy, « Religion et politique en Bas-Languedoc au xixe siècle : Mgr de Cabrières, évêque (...)
3De nombreux témoignages rapportent la stupeur générale qui a saisi les convives. Certes le mot de République ne figure pas dans les propos du cardinal, mais toute la thématique du Ralliement transparaît. L’adhésion au régime en place semble la seule échappatoire pour « arracher enfin son pays aux abîmes qui le menacent ». La mise en relief dans son discours et dans les justifications qu’il donne à la presse qui l’assaille de sa certitude de n’être désavoué « par aucune voix autorisée » indique, de façon indirecte, le véritable inspirateur. Mgr Lavigerie prend soin de préciser dans différents journaux catholiques que son intervention a eu lieu quelques jours seulement après son retour de Rome, voyage ponctué par de multiples conversations avec le souverain pontife. Une autre allusion, fort claire, dénonce l’attitude des partisans du comte de Paris qui « veulent tout détruire » en assiégeant « du dehors » le régime. Ce coup d’éclat inquiète les radicaux. Ils l’interprètent, note Gérard Baal, comme une « ruse de guerre »9. Les opportunistes, plus nuancés, l’accueillent avec faveur et n’excluent donc pas un rapprochement tout en réaffirmant leur attachement aux « lois intangibles de la laïcité ». Les monarchistes, quant à eux, ne cachent pas leur désapprobation, Mgr Lavigerie est qualifié de « traître ». La polémique se focalise sur les insinuations selon lesquelles le pape aurait guidé le comportement du Primat d’Afrique. Des évêques interrogent le nonce qui, laissé sans instructions, demande à Rome de le conseiller. Devant l’ampleur des agitations, en guise de réponse, on le prévient qu’il n’est pas autorisé à inviter les évêques à suivre les propositions de Lavigerie10. Comme le pape se tait, tout laisse à penser que le toast d’Alger relève d’une initiative personnelle. Ce détour circonstancié restitue les débats d’une époque secouée par le conflit des « deux France ». Dans ce tumulte, les propos de Mgr Lavigerie constituent un virage problématique dans l’histoire de l’Église. L’évêque de Montpellier sera en première ligne pour bloquer le processus enclenché. Il apparaît ainsi comme l’architecte d’une nébuleuse partisane susceptible de proposer un modèle de société plus conforme à ses attentes11.
Vers un « rassemblement en faisceau de toutes les forces conservatrices »
- 12 Adhésion de Monseigneur l’Évêque de Montpellier à la réponse de son éminence le Cardinal Richard. (...)
4La Semaine Religieuse, l’organe officiel de l’évêché, ignore le toast d’Alger. Mgr de Cabrières sort de son silence pour adhérer à la Réponse donnée par le cardinal de Paris à d’éminents catholiques qui l'ont consulté sur leur devoir social. Tout en prônant la démarche de Mgr Richard, il énonce ouvertement sa différence au clergé diocésain et aux principaux quotidiens locaux et nationaux12. Le prélat méridional fait une mise au point pour « dissiper toutes les équivoques et faire cesser tous les malentendus ». Dès les premières lignes, on sent poindre un regret quant à la forme organisationnelle prônée par le cardinal Richard (« puisque nous désirons non pas former un “parti” spécial »). Ne pouvant se permettre de le désavouer totalement, il s’en démarque fortement en souhaitant un « rassemblement en faisceau de toutes les forces conservatrices » afin, poursuit-il en reprenant les mots utilisés par le cardinal parisien, de « défendre par toutes les voies légales, avec calme, énergie et persévérance, la foi, les traditions, les gloires nationales de la France chrétienne, contre les hommes qui voudraient la déchristianiser ». L’évêque prend l’initiative et invite les catholiques à suivre « sur toutes les questions importantes (...) les docteurs-nés du peuple chrétien : le Pape et les Évêques (...). L’Église est une société parfaite, et dès lors, elle a, par sa hiérarchie, et pour tout ce qui touche à l’honneur, aux obligations, aux intérêts de ses enfants, une mission déterminée d’enseignements et de protection ».
5La direction donnée dans cet appel reste selon lui « religieuse dans son but principal et premier ; elle touche à la politique proprement dite que par voie de conséquence ». S’adressant aux « brebis » égarées, il leur dit que « le vote devient un péché, s’il contribue à faire entrer dans les Chambres les ennemis déclarés de leur foi et des adversaires de la puissance ecclésiastique ». Pour éviter la propagation des « sectes anti-chrétiennes », Mgr de Cabrières préconise la « résistance légale ». Le fait que, pour reprendre les termes de Mgr Richard, « l’Église ne condamne aucune des formes diverses de gouvernement, de même qu’elle ne s’asservit à aucun parti », signifie à ses yeux que les diocésains affiliés aux « partis monarchistes ne sont point forcés de renoncer de cœur à leurs convictions anciennes, ni contraints par nous à se ranger sous le drapeau républicain ». S’ensuit un parallèle entre les deux conceptions de la société proposées aux citoyens. D’un côté, on trouve les « républicains de conviction », à propos desquels le titulaire du diocèse estime que « les hommes honorables de ce parti ne sont guère nombreux. (...) L’étiquette républicaine est pour beaucoup un simple pseudonyme sous lequel se cachent les sectes anti-chrétiennes, personnifiées dans la franc-maçonnerie ». S’agissant de la seconde conception, il se réjouit de sa survivance et de son renouveau :
« Si profonds qu’aient été les bouleversements, qui ont changé, depuis un siècle, l’ancienne constitution de la France, n’est-il pas prodigieux qu’ils n’aient pas déraciné de tous les cœurs la fidélité monarchique ? N’est-il pas extraordinaire que ce sentiment désintéressé ait survécu à tant de gouvernements d’origines diverses, qui se sont élevés, puis écroulés sur notre sol ? Pareille à ces blocs de granit que de longues pluies, de durs hivers, toutes les intempéries des saisons ont, après bien des années, dépouillé peu à peu de la terre végétale, qui les recouvrait, et qui cependant continuent à opposer aux tempêtes et à la foudre leur squelette géant, la foi monarchique est restée debout, dans bien des âmes, en dépit des événements et des efforts conjurés pour la détruire. Nous avons vu dans nos provinces, non seulement des demeurants de l’ancien régime, des représentants de ces familles, qui étaient accoutumées à tout attendre du Roi et à en tout recevoir, mais des jeunes gens, libres de tout lien avec le passé, des ouvriers, des prêtres de campagne, sans ambition et sans espoir de grandeur ; nous avons vu, nous voyons encore ces hommes de bonne foi et de sévère droiture ne pas hésiter à mettre leur main dans la main d’un prétendant, à peine connu, confiants qu’ils sont encore dans cette pensée que son sang, si français, rajeuni par les blessures mêmes qui auraient dû l’épuiser, porterait encore au trône des princes, capables de relever plus haut et d’étendre plus loin la renommée nationale ».
- 13 Dans le sens de ce qui est propre à un pays, à un peuple.
6Les disciples de la cause sont salués par l’évêque parce qu’ils communient ensemble dans le respect d’une des vertus en perdition aujourd’hui : « la fidélité aux traditions domestiques »13. Considérée comme « la parure morale des peuples, qui ont une longue histoire, elle est une leçon nécessaire, au milieu de la versatilité, que les passions et les intérêts suggèrent ; elle honore et grandit tous ceux qui lui rendent hommage, même sans la partager ; et quand on a passé sa vie parmi ces hommes de cœur, que soixante ans d’attente n’ont pu lasser, l’exemple touchant de leur invincible constance demeure comme la preuve irrécusable de ce qu’il y eut de grandeur et de puissance dans la vieille organisation de notre chère patrie ». En terminant son apologie, il réitère son invitation pressante à l’union contre « la République telle que la représentent les lois » et réaffirme le rôle des évêques, « écho fidèle et respectueux de la parole du Pontife Suprême ».
- 14 Gérard Cholvy a trouvé aux archives de l’évêché une quinzaine de lettres de félicitations. Par exe (...)
- 15 Les interprétations divergent à propos des impressions données par Léon XIII à Mgr de Cabrières. M (...)
- 16 La Semaine Religieuse, 1er août 1891.
7Une telle déclaration suscite l’enthousiasme chez les intransigeants. De Mgr d’Hulst, recteur de l’Institut catholique de Paris, au Prétendant, toutes les autorités hostiles au Ralliement voient dans l’évêque montpelliérain un bouclier capable d’endiguer la progression de « l’esprit nouveau » et d’organiser la riposte14. L’audience éclair accordée dès le 15 mars par le pape montre tout l’intérêt qu’on lui accorde15. Notons enfin que son commentaire suffisamment explicite pour les avertis de la rhétorique ecclésiale est, afin d’accroître son impact, repris et simplifié dans l’organe de l’évêché qui touche la base des catholiques, par une mise au point sans ambages en faveur de la monarchie : « On ne demande à personne le sacrifice de ses préférences politiques. Chacun est certes bien libre de regarder la monarchie héréditaire comme la forme de gouvernement la plus naturelle, la plus forte, la plus durable, la plus éloignée de l’anarchie, la plus auguste, la plus utile, comme le meilleur en soi des gouvernements. On ne demande pas plus le sacrifice de ses espérances que de ses préférences »16.
- 17 Yves-Marie Hilaire, dir., Histoire de la papauté. Deux mille ans de mission et de tribulation, Par (...)
- 18 Jean-Marie Mayeur, op. cit., p. 151.
- 19 Philippe Levillain, Albert de Mun : catholicisme français et catholicisme romain du Syllabus au Ra (...)
8Les débats soulevés par le toast d’Alger se prolongent durant toute l’année. Pour remettre de l’ordre, Léon XIII envisage d’intervenir. Il s’y voit contraint après une déclaration de cardinaux français en janvier 1892. Sous l’impulsion de Mgr d’Hulst, ils condamnent le « gouvernement de la République » tout en demandant aux catholiques de se placer sur le terrain constitutionnel par une « acceptation franche et loyale des institutions existantes ». Le message, somme toute assez alambiqué, déplaît beaucoup à Rome. Pour réaffirmer son autorité et éclairer les fidèles de France, Léon XIII utilise un moyen inhabituel qui montre bien l’urgence de la situation. Il reçoit le rédacteur du Petit Journal le 14 février et lance un appel à l’opinion dont les grandes lignes sont reprises, six jours plus tard, dans l’encyclique Au milieu des sollicitudes. Dans cette forme d’expression du magistère pontifical, publiée exceptionnellement en français pour bien spécifier la cible à atteindre, il évoque la modification indispensable d’une législation trop souvent anticléricale tout en revenant sur les changements historiques. Aucun doute n’est permis dans son esprit, la « nécessité sociale justifie la création et l’existence de nouveaux gouvernements » indispensables pour pourvoir au bien commun « qui est après Dieu dans la société, la loi première et dernière »17. Léon XIII indique donc la voie à privilégier : celle du Ralliement à la République. Face à la direction obligatoire, tracée avec soin, les contestataires ne furent pas légion. Mais, comme le remarque Jean-Marie Mayeur, de « l’adhésion réticente à l’adhésion sans arrière-pensée, que de nuances. Pour les uns, le pape infaillible a parlé ex cathedra, pour d’autres, il a donné un simple conseil. Surtout, que veut dire accepter la République »18 ? L’avalanche des prises de position entraîne un redéploiement dans l’échiquier politique. Il dépasse le traditionnel clivage entre intransigeants et libéraux. Des catholiques fidèles à la première tendance se plient aux consignes venues de la ville sainte. Albert de Mun nous en donne un bon exemple19. D’autres personnalités favorables à l’orléanisme figurent au premier rang des opposés au Ralliement.
Le manifeste d’Avignon
- 20 Léon XIII est dans l’histoire le premier pape du xixe siècle à prendre en compte dans sa définitio (...)
- 21 Correspondance avec Mgr Vigne. Archives du Vaucluse. Citée par Gérard Cholvy, op. cit., p. 1594.
- 22 Elle se fondait sur une conception du gouvernement formée à la Renaissance. Voir René Rémond, Le c (...)
- 23 Cité par Gérard Cholvy, ibidem.
9Dans le département, la confirmation de la déclaration du cardinal Lavigerie épure les troupes restées réticentes envers l’implantation du nouveau régime. Elles se sentent d’autant plus esseulées que la barrière constituée par l’Église et en tout premier lieu par le représentant de Dieu sur terre vient de céder20. Après la proclamation de l’encyclique Au milieu des sollicitudes, Mgr de Cabrières organise la résistance d’une manière nettement plus feutrée. La parole pontificale dotée d’une infaillibilité qui déborde souvent dans le domaine profane mérite le respect. Signe visible et instrument efficace de l’unité de la foi catholique, elle échappe à l’ingérence d’une autre autorité, aussi bien ecclésiastique que civile. Trois jours après l’appel du Saint-Siège, quelques extraits d’une lettre adressée par le responsable du diocèse héraultais à son homologue du Vaucluse nous apporte des informations sur la stratégie de la discrétion envisagée : « le Pape entre dans le domaine intime de la conscience. Dans mes prévisions, ce pas en avant est un malheur, je le crains du moins. Mais je me trompe peut-être... En tout cas, le public ne doit pas savoir ce que, dans le secret, nous pouvons redouter de cette intervention directe du Saint Père dans nos affaires politiques »21. La règle du secret, commune dans les affaires de l’Église22, s’accentue dans le cas présent. Pendant quelques semaines, aucune information ne filtre sur l’attitude de cet évêque, à la tête d’une entreprise qui frisera sur bien des points l’insubordination. Toutes les hypothèses sont possibles. Les personnalités royalistes locales se sont sans doute concertées avec les membres récalcitrants issus du clergé. La presse nationale, quant à elle, relate le désabusement de certains qui mettent tout leur espoir dans le prochain conclave. Ils s’insurgent devant ce qu’ils considèrent comme « un entêtement sénile (le pape a alors 82 ans) dont on peut attendre les résolutions les plus extravagantes »23.
10Mgr de Cabrières déclenche la riposte au moment où s’engage la campagne pour les élections municipales. Pour éviter de se marginaliser, il inscrit scrupuleusement sa démarche dans le respect des attributions liées à sa charge. Tout en cherchant à influencer les populations méridionales dans un premier temps, il compte bien lancer une offensive qui se répercutera sur tout le territoire. Contrairement à l’accoutumée, Mgr de Cabrières n’incite pas les diocésains à lire le texte pontifical et ne l’entoure, bien sûr, d’aucun propos élogieux. Il se contente de le laisser paraître dans La Semaine religieuse. Bien avant les récents développements, l’évêque avait commencé les premiers linéaments d’un projet à usage interne demandé par l’archevêque d’Avignon sur les changements en cours dans la société et sur leur impact au sein de la communauté ecclésiale. Suite à l’encyclique, il élargit son champ de réflexion et y associe ses « frères en Dieu » des épiscopats de Nîmes, Viviers, Valence et Avignon.
- 24 Voir L’Éclair, 17 avril 1892 ou ADH 2 V 77.
- 25 Outre L’Éclair et La Semaine religieuse, il est demandé aux prêtres de le lire deux fois dans les (...)
- 26 Édouard Lecanuet, L’Église de France sous la Troisième République. Les premières années du pontifi (...)
11L’action conjointe s’apparente à un commentaire -mûrement réfléchi puisque la rédaction dura plus d’un mois- du texte, objet de tant de discussions. Mais de toutes évidences, le représentant du clergé montpelliérain fut le principal auteur de ce qui deviendra officiellement une lettre pastorale commune intitulée : Lettre pastorale de Monseigneur l’Archevêque métropolitain de la province ecclésiastique d’Avignon au clergé et aux fidèles de leurs diocèses24. Ils s’efforcent d’y accorder une grande publicité25 avec le secret espoir que le commentaire supplante l’encyclique dans l’esprit des fidèles. L’entreprise collégiale, appelée par un spécialiste de l’histoire de l’Église sous la Troisième République « le manifeste d’Avignon »,26 s’apparente à une tentative de « manipulation » de l’opinion catholique. Elle surprend et ainsi renforce le clivage inauguré lors de l’appel lancé par l’évêque de Montpellier dans son Adhésion à la Réponse de Son Éminence le Cardinal Richard. On nous donne ici la possibilité d’entrevoir une partie de la base idéologique sur laquelle se greffera une imbrication de réseaux partisans. Le texte de la lettre pastorale débute par des propos rassurants : « Ne soyez pas surpris, Nos très chers Coopérateurs et Nos très chers Frères, que nous réunissons nos voix pour vous parler aujourd’hui et donner les conseils, dont il nous semble que vous avez besoin, dans les temps si difficiles où nous vivons ». Avec habileté, ils égrènent leur prose de plusieurs citations de Léon XIII, tirées le plus souvent de documents anciens, en faisant des allusions aux directives de dignitaires ecclésiastiques et parfois en ponctuant la lettre de phrases extraites de l’encyclique incriminée. Pour justifier le caractère exceptionnel de l’intervention, ils reprennent une Lettre synodique des Pères du Concile provincial d’Avignon datée du 23 décembre 1849 : « Les évêques doivent “diriger les pas au milieu des erreurs et des dangers du temps présent, de souder, dans leur intérêt, les plaies, qui affligent la religion et la société, de guérir enfin les maux si profonds, qu’on les croirait presque désespérés”. C’est ce que nous avons voulu faire, Frère Bien-aimés, dans les circonstances si critiques où se trouvent actuellement la France, l’Église et le monde ».
- 27 Extraits de l’exposé des cinq cardinaux.
- 28 « Nous avons, écrivent-ils, jugé convenable de vous en donner nous-même l’analyse, afin de contrib (...)
12Leur action se situe dans la lignée de l’exposé des cinq cardinaux de janvier 1892 qui résumaient les « justes griefs des catholiques contre la doctrine et le programme, en vertu desquels tout ce qui tient à la religion a été, dans notre pays, graduellement et méthodiquement frappé, amoindri et, autant que possible détruit »27. Depuis leur prise de position, le pape a diffusé l’encyclique Au milieu des sollicitudes, considérée par les commentateurs critiques, comme un document « d’une gravité plus exceptionnelle encore ». L’emploi du terme « gravité » n’est pas anodin. Les auteurs jouent sur son caractère polysémique : il peut signifier que la parole papale marque la solennité ; tout autant que mettre l’accent sur ce qui peut entraîner de graves conséquences ou même prendre un aspect dangereux. Craignant les conséquences induites par la prise de position de Rome, les interprètes avisés de la doctrine pontificale se proposent de présenter au « troupeau », qui leur est confié, sa portée afin de clarifier les points sujets à discussion28 et ainsi éviter les mauvaises lectures.
- 29 Ce type de guillemet (« ») reprend les citations des prélats de la Province d’Avignon ; celui-ci ( (...)
13La lettre pastorale se divise en deux parties29. La première comprend quatre points et énumère ce qu’ils considèrent comme les principales directives papales. On commence par reprendre, amplifier et exalter le passage qui souligne la place historique jouée par le “noble peuple” de France. « Mais hélas ! poursuivent-ils en annonçant le second point, le pape voit aussi les nuages amoncelés sur notre horizon (et) il gémit sur le sort désastreux » réservé désormais à la religion « à laquelle les fils de la pauvre France doivent d’avoir été “si grands” ». S’ensuit une description du vaste complot « conduit avec autant d’art que de persévérance, tantôt usant de ruse et tantôt de violence ; habile à se couvrir du manteau de la légalité, assez perfide pour arrêter et même pour reculer à propos dans la voie de la persécution, afin de ne pas provoquer trop de murmures et d’étouffer les colères trop bruyantes. Cette conjuration, savamment ourdie, enveloppe notre pays dans un réseau, dont les mailles se resserrent tous les jours ». Pour se protéger, il faut réagir. Or, on constate dans la troisième section que l’action est paralysée par des “dissentiments politiques” à l’origine de “divisions”. Le Saint-Siège, à la recherche d’un consensus, estime que “toutes (les formes politiques) sont bonnes en elles-mêmes (et que) les catholiques français sont libres de préférer telle ou telle forme (...)”. « Seulement, “le temps, ce grand transformateur de tout ici-bas, peut opérer, dans les institutions politiques, de profonds changements” ». Il pense à la tourmente de 1789, source “de crises violentes, trop souvent sanglantes” qui ont renversé les formes anciennes et, par la suite, “imposé (...) de nouveaux gouvernements” ».
14Les prélats de la région d’Avignon se veulent les porte-parole des fidèles qui se « sont émus, en voyant le Pape conseiller, demander, imposer l’acceptation de la République ». Adversaires résolus des « nouveaux gouvernements », ils s’engagent dans le débat, plus ou moins voilé, déclenché par la publication de Léon XIII pour rassurer leur coreligionnaire : « Nous ne commettrons pas l’irrévérence de prétendre justifier la parole pontificale. Mais, responsables devant Dieu des âmes de tous nos diocésains, nous ne craindrons pas de dire aux catholiques qu’ils ne sont points mis en demeure, par le Chef de l’Église, de rompre, dans le secret de leurs pensées et de leur cœur, avec l’attachement intime, par lequel beaucoup d’entre eux tiennent aux souvenirs du passé ». En réalité, « le Pape actuel demande de ne pas se constituer à l’état de “rebelles” et de conspirateurs prêts à “l’insurrection”. Néanmoins, Il présente à ses fils, comme une obligation, de “s’allier tous ensemble”, au-dessus et en dehors de toutes les opinions politiques, afin de “combiner leurs efforts en vue de conserver et de défendre la foi, qui est l’élément générateur et conservateur de la grandeur morale de la France”. Il leur prescrit, en même temps, « de “combattre par tous les moyens légaux et honnêtes, les abus progressifs d’une législation”, contre laquelle Il a protesté plus puissamment que personne (...) ».
15Dans la deuxième partie, Mgr de Cabrières, principal rédacteur du document, fixe aux catholiques leur ambition. Il insiste sur le dernier point développé par le Saint-Siège : le combat. Dans un élan enthousiaste et communicatif, le futur cardinal espère que l’engagement ne se limitera pas au stade des grands principes. Un seul objectif compte à ses yeux, l’obtention du Pouvoir : « Parler, écrire, agir contre les lois qui blessent les croyances et les intérêts de notre foi, c’est sans doute un droit, et c’est aussi un devoir, pour tous ceux à qui leur situation et leurs talents permettent d’acquérir et d’exercer quelque influence. Mais les paroles et les écrits servent peu, si l’on n’arrive pas à obtenir le Pouvoir lui-même, pour enlever aux lois le caractère d’hostilité religieuse que la passion sectaire leur fait prendre. Or, la possession du Pouvoir s’acquiert aujourd’hui par les élections. (Il faut) amener, par conséquent dans tous les corps élus, des hommes qui partagent et soutiennent les croyances catholiques ou qui du moins sachent les respecter et les ménager (...). Il est d’une importance souveraine que chaque électeur émette son vote, et l’émette de manière à servir le plus utilement possible les intérêts supérieurs du pays, du département ou de la cité, parmi lesquels la Religion tient, de droit, le premier rang ».
- 30 Les évêques renvoient le lecteur à cette référence bibliographique : A. Berardi, Praxis confessar, (...)
16Comme cette injonction dépasse les recommandations mesurées du Pontife romain qui ne souhaite pas contester la forme actuelle du gouvernement, les membres éminents du clergé méridional se protègent immédiatement pour éviter les éventuels reproches en brandissant une ancienne citation de Léon XIII, tirée de l’encyclique Immortale dei (1er novembre 1885). Elle commence par ces termes : “Ne prendre aucune part aux affaires publiques, serait aussi répréhensible que de ne vouloir apporter au service du bien commun de la Société ni zèle, ni concours (...)”. Pour bien étayer leur thèse, ils se réfèrent à des théologiens de renom qui ne mâchent pas leurs mots à destination des électeurs passifs et commentent leurs propos de cette manière : « Ils estiment généralement que, lorsque leur abstention pourrait occasionner la nomination d’un candidat hostile à la foi chrétienne, ou lorsque, par la considération attachée à leur nom où à leur situation, ils seraient capables d’exercer sur l’ensemble des votants une influence, salutaire au bien public, les électeurs commettent en ne votant pas, une faute mortelle par elle-même »30.
- 31 Max Weber, Le savant et le politique, Paris, Plon, 1993 (1ère Éd. 1959), p. 139.
17L’ingéniosité des suffragants d’Avignon se révèle redoutable. Leur leçon se poursuit par un portrait-type du candidat à soutenir. Un mot doit résumer sa personnalité : la dignité (« les catholiques doivent voter et faire voter pour les candidats les plus dignes »). Encore une fois, Léon XIII est appelé à la rescousse. On cite une partie de l’encyclique Sapientiae christianae de 1890, réflexion sur la nature des relations entre l’Église et les partis politiques : “On doit choisir, dit le Saint-Père, des hommes d’une probité éprouvée, qui aient déjà bien mérité, ou qui doivent bien mériter du nom chrétien ; et il n’y a aucune raison, qui puisse permettre de préférer des ennemis de la Religion”. L’utilisation de ce terme est intéressante. Les candidats investis de cette dignité appartiennent traditionnellement à la catégorie des « notables », dans le sens qu’en donne Max Weber31. Ils peuvent facilement être assimilés dans ces contrées à des autorités sociales toujours actives c’est-à-dire les nobles. Les « candidats les plus dignes » se reconnaissent à leur programme, selon les signataires de la lettre pastorale, avec au centre de celui-ci la défense religieuse et des sujets d’actualité : lutte contre le divorce, soutien aux « ouvriers tourmentés par l’envie et la haine, poussés à la révolution par les apôtres du socialisme »...
18En conclusion, les ecclésiastiques supplient les électeurs de s’en remettre aux structures d’encadrement naissantes ou de favoriser leur émergence. « Partout où il y a des Comités, créés pour la défense des intérêts religieux et politiques du pays, c’est à ces Comités qu’il faut demander conseil et direction. Là où les Comités n’existent point, nous invitons les catholiques à en créer » indiquent-ils. Fidèle à la stratégie définie par Mgr de Cabrières lors de sa réponse au cardinal Richard, un plaidoyer en faveur du rassemblement de toutes les forces conservatrices clôt le paragraphe qui aborde les aspects organisationnels : « (L’édification des Comités doit se faire) dans un esprit de sage et large tolérance, en sollicitant et en acceptant avec loyauté le concours de tous ceux qui veulent travailler au maintien de la foi chrétienne et de toutes les libertés religieuses ».
- 32 L’Autorité, 21 avril 1892. Cité par Lecanuet, op. cit., p. 535.
- 33 Gérard Cholvy, ibidem.
- 34 Le nonce aurait déclaré que la Lettre de Mgr de Cabrières défigurait et outrepassait la pensée du (...)
- 35 Marcel Bruyère, Le cardinal de Cabrières, Paris, Éd. du Cèdre, 1956, p. 211-212.
19Les milieux intransigeants affichent une réelle satisfaction après une telle déclaration. Le fondateur du journal L’Autorité, Paul de Cassagnac, dans un article intitulé « Nos Cinq » ! exulte : « C’est la thèse que nous n’avons jamais cessé de soutenir et de défendre. C’est un véritable appel aux armes... Les catholiques sont invités d’une façon pressante à exercer une action directe, active, énergique sur le suffrage universel et à sortir d’une résignation et d’une soumission, qui sont l’équivalent d’une trahison et d’une lâcheté »32. À Montpellier, des tirages à part sont effectués33. Le Saint-Siège ne réagit pas. Ce silence semble réprobateur car, à la même époque, les titulaires des diocèses de Bordeaux et de Rodez, franchement ralliés, reçoivent les félicitations publiques du pape34. Quant au gouvernement, il s’insurge. Le 21 avril, Louis Ricard, le ministre de la Justice et des Cultes, déféra comme d’abus au Conseil d’État la lettre pastorale collective pour son caractère politique très critique des actes du pouvoir législatif et parce qu’elle s’apparente à la promulgation du haut de la chaire d’un véritable programme électoral. Mgr de Cabrières, dès qu’il a connaissance de la démarche entreprise, annonce qu’il est le seul auteur du document incriminé simplement soumis par la suite à l’approbation de ses collègues. À la suite du rapport rendu par le Conseil d’État, la Lettre pastorale fut le 5 mai décrétée d’abus et supprimée de même que le traitement des évêques. Le gouvernement, en outre, précise qu’une sanction semblable frappera tout prêtre qui lira en chaire ladite lettre35.
- 36 L’indignation clairement perceptible dans l’Hérault semble modérée dans les départements voisins. (...)
- 37 Publiée par L’Éclair le 18 mai 1892.
- 38 Plus précisément, il écrit : « les évêques sont obligés, par un devoir vigoureux, d’insister auprè (...)
- 39 Toutefois la phrase en question a été supprimée lors de l’impression. Nous reprenons ici une décou (...)
20L’indignation accompagne la décision gouvernementale36. L’Éclair organise une souscription qui connaît un succès immédiat. L’initiative du journal monarchiste touche l’évêque. Dans une lettre publique37, il remercie Alexandre de Vichet, le directeur du « vaillant journal » et revient sur ses constantes préoccupations : il faut que le clergé conseille les citoyens à l’occasion des élections afin de soutenir des « hommes honnêtes (...) capables de résister aux entraînements de la passion antireligieuse »38. Sortant de son devoir de réserve, il n’hésite pas à le féliciter pour les judicieuses indications données par L’Éclair à l’occasion des confrontations électorales : « Vous avez personnellement toujours soutenu (...) dans les élections, les candidatures qui offraient aux intérêts religieux toutes les garanties désirables. Je vous en remercie ; je félicite les électeurs qui ont eu le courage de suivre vos indications. Ne cessez pas de demander aux catholiques de remplir fermement leurs devoirs de citoyens, et montrez-leur, dans cette fermeté persévérante, le meilleur moyen de servir la Patrie ». Mgr de Cabrières va bien au-delà, dans l’original de la lettre envoyée à Alexandre de Vichet, puisqu’il met en cause les autorités préfectorales : « Je regrette que des abstentions nombreuses soient venues trop souvent aider aux manipulations ingénieuses par lesquelles dans notre département des élections changent mystérieusement de caractère et sont tournées à contresens »39.
- 40 Jean-Baptiste Duroselle, Les débuts du catholicisme social en France (1822-1870), Paris, PUF, 1951
21Depuis que le souverain pontife a recommandé à tous les catholiques d’abandonner l’opposition au régime établi et de s’unir simplement sur le terrain constitutionnel, pour éviter la « législation sectaire », une fraction de celle-ci composée de démocrates-chrétiens s’engage dans cette voie. Elle se fraye un chemin avec difficulté dans un département où les hiérarques de l’Église revendiquent leur fidélité au passé. Le mouvement démocrate-chrétien répond à un besoin : celui d’équipes chrétiennes soucieuses de répandre les directives de Léon XIII qui engageait, à partir de son élection en 1878, les prêtres à sortir des sacristies. Sensibles aux idées libérales, égalitaires, démocratiques puisées dans la Révolution française ou encore dans les journées de 1848 ; elles veulent conformément à l’esprit de l’Évangile reconnaître la dignité des classes populaires40. Les deux encycliques (Rerum novarum et Au milieu des sollicitudes) qui s’intéressent aux questions brûlantes de l’époque confortent un tel positionnement. La première aborde la condition des ouvriers et tente de freiner la progression des idées socialistes. L’Église se penche enfin sur la question sociale et Léon XIII cherche à promouvoir de nouveaux rapports entre patrons et ouvriers. Le courant démocrate-chrétien montpelliérain reprend ce thème dans une revue qu’il coordonne appelée Sociologie catholique.
- 41 « Jésus ouvrier ». Lettre pastorale et mandement de Monseigneur l’Évêque de Montpellier pour le ca (...)
- 42 Gérard Cholvy, op. cit., p. 1605.
- 43 L’Éclair tire alors à 35 000 exemplaires et La Croix Méridionale ne dépassera pas, une fois par se (...)
- 44 « Il y a une puissance qui s’élève, c’est la démocratie ; déjà en possession de la liberté politiq (...)
22Mgr de Cabrières se distingue là aussi des vues romaines. Il refuse de publier Rerum novarum contraire à son approche. En 1892, il élabore un mandement41 qui fait l’éloge de la pauvreté et du travail comme « pénitence et expiation ». Gérard Cholvy rapporte la leçon essentielle du prélat : « Si nous sommes riches, faisons de nos richesses un usage généreux, sans avarice comme sans vaine prodigalité. Si nous sommes pauvres, ne murmurons point, et supportons avec patience, avec dignité, avec charité, les conditions d’existence que Dieu nous a faites »42. Les réactions, après la publication de l’autre encyclique (Au milieu des sollicitudes), confirment la montée des divergences au sein d’une Église jusqu’alors soudée. Les colonnes de la presse locale véhiculent les tensions. La Croix Méridionale (le supplément hebdomadaire de La Croix de Paris), dont le premier numéro date du le 18 janvier 1891, souhaitait contester le monopole de L’Éclair sur le lectorat catholique43 en délivrant un message en phase avec la ligne tracée par le Vatican. Autour de Pierre Fourié, le premier des « abbés démocrates », un groupe de jeunes chrétiens cherche à propager la nouvelle doctrine sociale qui doit provoquer un relèvement matériel et religieux. Le principal point de friction avec les composantes d’une « union en faisceau de toutes les forces conservatrices », tendant irrémédiablement vers les extrêmes, porte sur la question du régime. Les rédacteurs de La Croix Méridionale partagent les récentes inclinaisons d’Albert de Mun en faveur de la démocratie44.
- 45 L’Éclair, 7 juin 1892.
- 46 La Croix Méridionale, n°74, 12 juin 1892.
- 47 Ibidem.
23L’Éclair s’alarme devant tant d’éloquence inutile et menace les jeunes gens qui s’aventureraient sur ses pas en les accusant d’être des « renégats »45. D’âpres polémiques éclatent alors entre les deux périodiques. La réponse des démocrates-chrétiens est cinglante. Ils leur renvoient l’accusation : « Obligés par la consigne du Chef de l’Église à choisir entre Dieu et la cause monarchique, les vrais “renégats” préfèrent la cause d’un homme ou d’une dynastie à celle de Dieu »46 Les apôtres des nouvelles voies ouvertes par le Vatican envisagent sereinement l’avenir : « Qu’ils abandonnent l’Église et le Pape. L’Église et le Pape les laisseront partir, comme Jésus-Christ laissa s’éloigner, sans plus s’en émouvoir, ceux de ses disciples qui n’avaient pas eu la force de supporter sa parole (...). La cause de Dieu, de l’Église et du Pape se passera d’eux et triomphera sans eux »47 Le symbole de la division entre les deux fractions de la droite apparaît en première page du numéro de La Croix Méridionale daté du 26 juin 1892, sous la forme d’une maxime. En dessous de l’image du Christ crucifié se trouve l’inscription suivante : « Nous vous choisissons comme Chef suprême et comme Roi social et temporel de la France ».
- 48 Par exemple lors du scrutin législatif de 1893, La Croix Méridionale appelle à voter pour Paul Ler (...)
- 49 Voir infra.
24Toutefois, pour contrer la prépondérance des radicaux anticléricaux au début des années 1890, les querelles entre les défenseurs du « vieux moule », pour reprendre une expression d’Albert de Mun, et les « modernistes » s’estompent à l’occasion de quelques campagnes électorales. Ces derniers ne forment qu’une minorité et n’ont pas la prétention encore de présenter leur candidat. Ils se rabattent avec résignation sur des candidats du « bloc clérical » pourvu qu’ils n’affichent pas un farouche anti-républicanisme48. Les membres du Sillon au début des années 1900 se distingueront avec plus de force encore de ce qu’ils appellent avec mépris : le « monde politico-réactionnaire »49.
- 50 Pierre Birnbaum, dir., La France de l’affaire Dreyfus, Paris, Gallimard, 1994 et Le moment antisém (...)
- 51 Voir Pierre Pierrard, Juifs et catholiques français. De Drumont à Jules Isaac (1886-1945), Paris, (...)
- 52 « Des patriotes comme Drumont, depuis plus de dix ans, nous dénonçaient le péril juif. Ils démasqu (...)
- 53 Voir par exemple La Croix Méridionale, n°82, août 1892.
- 54 . Pierre Pierrard, op. cit., p. 126.
25Entre ces deux périodes survient la bourrasque nationaliste liée à l’affaire Dreyfus et nous aurons bien des difficultés à différencier sur le terrain des idées, des préjugés ou des ressentiments les démocrates-chrétiens et les partisans du retour de la royauté50. L’affaire qui débute en 1894 constitue l’archétype d’une mobilisation populiste chargée de haine. Pendant ces années de quasi-guerre civile, l’antisémitisme et l’antimaçonnisme des rédacteurs de La Croix Méridionale est aussi vivace que celui propagé par L’Éclair. Un rapide tour de France montre que le Bas-Languedoc constitue un des « points chauds de l’antisémitisme »51. Le fondateur de l’hebdomadaire affilié à La Croix de Paris, l’abbé Fourié, aumônier du couvent des Carmélites de Montpellier, croyait dans les vertus du placardage massif comme instrument de propagande catholique. Il couvre tout le pays à deux reprises en 1898 d’affiches à fond tricolore imprimées sur les presses de son journal qui répandent le « venin » sécrété par Édouard Drumont52. La thèse du « complot judéo-maçonnique », omniprésente chez l’auteur de La France juive, qui connut deux cents éditions en vingt-six ans, irrigue les lignes de La Croix Méridionale dès les premiers numéros. En mai 1892 un dénommé Lefranc, avec une hargne fantasmatique et irrationnelle, accuse les juifs et les francs-maçons de s’accaparer la République. Les titres provocateurs prolifèrent : « La Franc-maçonnerie ennemie de Dieu et servante de Satan », « les privilèges des Juifs »...53 Pour les démocrates-chrétiens héraultais, les juifs sont responsables de l’avènement du capitalisme qui exploite le peuple. L’abbé Fourié pendant le congrès national de son mouvement, en présence d’Édouard Drumont, montre les juifs « volant les enfants du peuple »54. Quant à ceux qui se regroupent dans des loges, « soumises aux juifs », ils élaborent des lois « détestables ».
26La continuation de la politique anticléricale, tout autant que l’influence de conservateurs ragaillardis, pousse un pape vieillissant à brider l’élan démocrate-chrétien. En 1901 Léon XIII, dans l’encyclique Graves de communi, apporte ces précisions : « l’expression démocratie-chrétienne ne doit pas être entendue dans un sens politique. Sans doute, d’après l’étymologie, démocratie désigne le régime populaire, mais, dans les circonstances actuelles, il ne faut l’employer qu’en lui ôtant tout sens politique et en ne lui attachant aucune autre signification que celle d’une bienfaisante action chrétienne à l’égard du peuple ». Pour le dire autrement, le souverain pontife revient sur la politique du Ralliement. Le climat de l’époque semblait empêcher une réconciliation de l’Église avec les régimes politiques modernes. Ce désaveu renforce les positions, au sein du monde catholique, des sympathisants de l’ordre traditionnel et monarchique. Son successeur, Pie X, accentue l’effort entrepris contre le « modernisme », mais n’élimine pas cette droite. Elle reprend vigueur au sein du Sillon avant de s’épanouir dans les années d’après-guerre.
- 55 Michel Hastings, « De mémoire d’urne. Les fugacités pérennes du vote », Traverses, n°40, 1987, p. (...)
- 56 Curieusement, les actes du colloque de Nîmes (4-5 septembre 1992) consacrés à la République passen (...)
- 57 Alexandre de Vichet, avec sa plume mobilisatrice, lancera plusieurs appels dans ce sens. Par exemp (...)
27Cet aperçu de la fermentation qui touche les milieux catholiques et monarchistes démontre que l’épisode du Ralliement marque notre département. Le conflit qu’il suscite apparaît, sur la longue courbe des secousses historiques qui alimentent un héritage inconscient et font fructifier un « capital mémoriel »55. Il représente un « événement traumatique »56, à l’origine de la coagulation du « faisceau de toutes les forces conservatrices », encouragé par Mgr de Cabrières57. Au sein des adeptes du Prétendant, certains saisissent l’importance de la démarche pour entamer le chantier de la rénovation politique en particulier au niveau organisationnel.
Notes
1 Fernand Hayward, Léon XIII, Paris, Grasset, 1937.
2 Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième République, Paris, Seuil, 1984, p. 148.
3 Un trafic de décorations organisé par son gendre pousse le président de la République Jules Grévy à quitter ses fonctions en décembre 1887.
4 Dès 1886 une conjonction des centres avait vu le jour dans l’éphémère Droite républicaine ; elle renaît quand l’orléaniste Jacques Piou fonde le groupe parlementaire de la Droite constitutionnelle qui accepte les institutions « légalement établies ». Voir Jean-Marie Mayeur, ibidem.
5 François Renault, Le Cardinal Lavigerie (1825-1892). L’Église, l’Afrique et la France, Paris, Fayard, 1992.
6 Il conclut cependant par cette parole sans équivoque : « Je veux ». Voir François Renault, op. cit., p. 589. Notons toutefois que le cardinal partage aussi les vues de Léon XIII. Ses espoirs de jeunesse trouvent un nouveau regain avec le changement d’atmosphère au sein de l’Église. Voir Xavier de Montclos, Réformer l’Église. Histoire du réformisme catholique en France de la Révolution jusqu’à nos jours, Paris, Ed. du Cerf, 1998, p. 119-120.
7 François Renault, ibidem.
8 François Renault, op. cit., p. 590-591.
9 On veut « introduire dans notre France démocratique ce cheval de Troie portant la trahison dans ses flancs bénits » ; c’est « le loup qui a de grands bras pour mieux embrasser et étrangler la République ». Citations données par Gérard Baal, « La tradition d’intransigeance républicaine et le refus des ralliements (l’exemple du radicalisme des années 1890 à 1914) », in Michel Vovelle, dir., Révolution et République. L’exception française, Paris, Kimé, 1994, p. 605.
10 François Renault, op. cit., p. 599.
11 Gérard Cholvy, « Religion et politique en Bas-Languedoc au xixe siècle : Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, et la République (1874-1894) », in Claude Langlois, André Encrevé, Gérard Cholvy, Jean Baubérot, Jean-Marie Mayeur, Christianisme et pouvoirs politiques. De Napoléon à Adenauer, Lille, Éditions universitaires, 1974, p. 97-119.
12 Adhésion de Monseigneur l’Évêque de Montpellier à la réponse de son éminence le Cardinal Richard. Archevêque de Paris, aux catholiques qui l’ont consulté sur leur devoir social (lettre du 9 mars 1891). Des quotidiens nationaux comme Le Monde ou L’Univers en éditent des extraits alors que L’Éclair du 11 mars 1891 nous en offre la version intégrale.
13 Dans le sens de ce qui est propre à un pays, à un peuple.
14 Gérard Cholvy a trouvé aux archives de l’évêché une quinzaine de lettres de félicitations. Par exemple Mgr d’Hulst lui écrit le 12 mars : « Merci Monseigneur ! C’est tout ce que je puis dire, mais c’est ce que je ne puis taîre après vous avoir lu dans L’Univers. Votre commentaire de la lettre du Cardinal Richard la rendra plus agréable à quelques-uns dont je suis ». (En effet, Mgr Richard laisse dubitatif le recteur royaliste : « Plus je cause avec le Cardinal moins je comprends ce qu’il veut », voir Adrien Dansette, Histoire religieuse de la France contemporaine, Paris, Flammarion, 1965, p. 134). Il poursuit ainsi : « Comme vous le dites si bien, ces quelques-uns sont trop nombreux encore. Que gagnera-t-on à les froisser, à les désespérer ? On les rejettera dans l’abstention. Il m’est avis que la politique de Rome a depuis trois mois fait perdre 80 % aux forces catholiques et conservatrices. Les états-majors peuvent évoluer vers la République s’imaginant que c’est leur intérêt, les troupes ne suivront pas et se diviseront en deux groupes : les fidèles qui s’abstiendront, les autres qui passeront à l’ennemi (...). Votre parole est une consolation pour ceux que tout cela remplit de tristesse ». Quant au comte de Paris, il ne cache pas sa joie : « J’ai lu votre admirable mandement avec une sympathique émotion. Vous avez éloquemment prouvé que les Français avaient encore le droit d’être catholiques et monarchistes. Je vous en remercie » (lettre du 23 mars 1891). Gérard Cholvy en cite plusieurs autres (de l’évêque de Saint-Brieuc, d’un ancien ministre de Mac-Mahon...) et toutes convergent. Celle d’un cousin nîmois de Cabrières résume leur teneur : « Je crois que la France ne peut être chrétienne qu’en redevenant royaliste (...). Tu le penses comme moi, si tu n’as pu le dire ». Voir Gérard Cholvy, Religion et société.... op. cit., p. 1587-1588.
15 Les interprétations divergent à propos des impressions données par Léon XIII à Mgr de Cabrières. Mgr d’Hulst reçu peu de temps après estime qu’il avait eu avec le prélat des « entretiens cahoteux ». Par contre, pour l’abbé de Llobet, futur archevêque d’Avignon, le pontife suprême lui fit part d’une tactique. Le Ralliement et ses débats devaient provoquer un raz de marée royaliste aux prochaines élections et ainsi rétablir la monarchie. Quant à Mgr de Cabrières, dans un courrier au chanoine Lachenal du diocèse d’Annecy, il rapporte la phrase suivante du pape : « L’adhésion à la République n’est pas imposée sans condition à tous les Français, mais proposée à leur bonne volonté, comme le meilleur moyen d’amener le gouvernement à plus de libéralisme et de justice ». Voir Gérard Cholvy, ibidem.
16 La Semaine Religieuse, 1er août 1891.
17 Yves-Marie Hilaire, dir., Histoire de la papauté. Deux mille ans de mission et de tribulation, Paris, Tallandier, 1996, p. 424-427.
18 Jean-Marie Mayeur, op. cit., p. 151.
19 Philippe Levillain, Albert de Mun : catholicisme français et catholicisme romain du Syllabus au Ralliement, Rome, École Française de Rome, 1983.
20 Léon XIII est dans l’histoire le premier pape du xixe siècle à prendre en compte dans sa définition de l’attitude de l’Église les changements irréversibles à l’oeuvre dans la société. Il faut faire ce constat tout en le nuançant car pour reprendre les propos de Philippe Levillain : « le génie de Léon XIII résida dans une alliance subtile de la souplesse et de l’intransigeance. Il fut le pape de “’hypothèse” ». Voir Philippe Levillain, dir., Dictionnaire historique de la papauté, Paris, Fayard, 1994, p. 1035.
21 Correspondance avec Mgr Vigne. Archives du Vaucluse. Citée par Gérard Cholvy, op. cit., p. 1594.
22 Elle se fondait sur une conception du gouvernement formée à la Renaissance. Voir René Rémond, Le catholicisme français et la société politique, Paris, Éd. de l’Atelier / Éd. Ouvrières, 1995, p. 111-126.
23 Cité par Gérard Cholvy, ibidem.
24 Voir L’Éclair, 17 avril 1892 ou ADH 2 V 77.
25 Outre L’Éclair et La Semaine religieuse, il est demandé aux prêtres de le lire deux fois dans les églises et chapelles des différents diocèses.
26 Édouard Lecanuet, L’Église de France sous la Troisième République. Les premières années du pontificat de Léon XIII (1878-1894), Paris, Librairie Félix Alcan, 1931, p. 534.
27 Extraits de l’exposé des cinq cardinaux.
28 « Nous avons, écrivent-ils, jugé convenable de vous en donner nous-même l’analyse, afin de contribuer à mettre dans tout son jour la portée des enseignements du Souverain Pontife ».
29 Ce type de guillemet (« ») reprend les citations des prélats de la Province d’Avignon ; celui-ci (“ ”) concerne les propos de Léon XIII ou de textes des « pères de l’Église » cités par les commentateurs.
30 Les évêques renvoient le lecteur à cette référence bibliographique : A. Berardi, Praxis confessar, vol. II, fascicule 1, p. 19.
31 Max Weber, Le savant et le politique, Paris, Plon, 1993 (1ère Éd. 1959), p. 139.
32 L’Autorité, 21 avril 1892. Cité par Lecanuet, op. cit., p. 535.
33 Gérard Cholvy, ibidem.
34 Le nonce aurait déclaré que la Lettre de Mgr de Cabrières défigurait et outrepassait la pensée du pape tout en compromettant la paix. C’est ce qu’affirme Edouard Lecanuet dans : L’Église de France sous la Troisième République. Les premières années du pontificat de Léo XIII (1878-1894), Paris, Librairie Félix Alcan, 1931.
35 Marcel Bruyère, Le cardinal de Cabrières, Paris, Éd. du Cèdre, 1956, p. 211-212.
36 L’indignation clairement perceptible dans l’Hérault semble modérée dans les départements voisins. Si l’on s’en tient au cas gardois, Yolande Fourchard-Gounelle qui commente l’impact de la lettre collective et les réactions aux sanctions judiciaires note qu’au contraire le sentiment monarchiste connaît des signes d’essoufflement à la même période alors que l’évêque de Nîmes se montre assez conciliant avec les nouvelles forces politiques. Voir Yolande Fourchard-Gounelle. Religion et politique en France : le Gard (1881-1914). Clivages idéologiques et conflits sociaux, Thèse de doctorat d’histoire, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1997, p. 155-157.
37 Publiée par L’Éclair le 18 mai 1892.
38 Plus précisément, il écrit : « les évêques sont obligés, par un devoir vigoureux, d’insister auprès des fidèles pour qu’ils usent tous, sans exception, sans tiédeur, de leurs droits de citoyens, pour qu’ils émettent des votes consciencieux et indépendants, et pour que ces votes portent aux affaires des hommes honnêtes, affranchis de tout engagement sectaire, capables de résister aux entraînements de la passion anti-religieuse ».
39 Toutefois la phrase en question a été supprimée lors de l’impression. Nous reprenons ici une découverte de Gérard Cholvy, Religion et société..., op. cit., p. 1602.
40 Jean-Baptiste Duroselle, Les débuts du catholicisme social en France (1822-1870), Paris, PUF, 1951.
41 « Jésus ouvrier ». Lettre pastorale et mandement de Monseigneur l’Évêque de Montpellier pour le carême de l’An de Grâce MDCCCXCII, Montpellier, 1892.
42 Gérard Cholvy, op. cit., p. 1605.
43 L’Éclair tire alors à 35 000 exemplaires et La Croix Méridionale ne dépassera pas, une fois par semaine, les 2 000. Ils sont loin derrière Le Petit Méridional, le quotidien radical-socialiste, et ses 100 000 numéros. Voir Gérard Cholvy, op. cit., p. 1590.
44 « Il y a une puissance qui s’élève, c’est la démocratie ; déjà en possession de la liberté politique, elle veut conquérir la liberté économique ; la masse populaire est en marche, nous sommes entraînées, le vieux moule social se brise, la société dans laquelle nous vivons craque chaque jour. De toutes parts l’esprit s’ouvre à de nouvelles idées. Le mouvement qui nous emporte malgré nous, doit s’accommoder de l’Église. Il faut que l’Église le pénètre, sinon c’est la barbarie, c’est la démocratie précipitée vers ce qu’il y a de plus bas dans la condition humaine. Il n’y a pas de milieu. Voulez-vous périr ? Si vous ne le voulez pas, mettez-vous tous à la besogne ; en vous dévouant au peuple, vous lui ferez comprendre que votre dévouement a sa source dans votre qualité de fils de l’Église ». Voir Albert de Mun, « L’avènement de la démocratie ». La Croix méridionale, n°72, 29 mai 1892.
45 L’Éclair, 7 juin 1892.
46 La Croix Méridionale, n°74, 12 juin 1892.
47 Ibidem.
48 Par exemple lors du scrutin législatif de 1893, La Croix Méridionale appelle à voter pour Paul Leroy-Beaulieu. Après son échec, les rédacteurs de ce nouvel hebdomadaire ne cachent pas leurs intentions futures en la matière et se différencient avec netteté des postulants issus de la droite radicale : « À Lodève, il est regrettable que Paul Leroy-Beaulieu n’ait pas été élu. Mais il fallait peut-être s’y attendre et ne pas trop compter sur le succès d’un ancien candidat réactionnaire dont le républicanisme était vanté par L’Éclair. Il faut organiser dans cette circonscription les forces catholiques en-dehors de toute compromission avec les anciens partis ; et là comme ailleurs, on trouvera, dans quatre ans, un bon et vrai républicain capable de défendre loyalement le régime auquel les Français sont désormais attachés, tout en promettant de sauvegarder aussi les droits de ceux qui veulent conserver la liberté de penser comme ils l’entendent ». Voir La Croix Méridionale, n°139, 10 septembre 1893.
49 Voir infra.
50 Pierre Birnbaum, dir., La France de l’affaire Dreyfus, Paris, Gallimard, 1994 et Le moment antisémite. Un tour de France en 1898, Paris, Fayard, 1999.
51 Voir Pierre Pierrard, Juifs et catholiques français. De Drumont à Jules Isaac (1886-1945), Paris, Fayard, 1970, p. 95 ; Carol Iancu, « L’Affaire Dreyfus à Montpellier », in Carol Iancu, dir., Les Juifs à Montpellier et dans le Languedoc à travers l’histoire du Moyen Age à nos jours, Montpellier, Centre de recherches et d’études juives et hébraïques, 1988, p. 299-318.
52 « Des patriotes comme Drumont, depuis plus de dix ans, nous dénonçaient le péril juif. Ils démasquaient les agissements, les accaparements, les coups de bourse d’une vile poignée d’hébreux vomis sur la France par tous les ghettos d’Allemagne. On n’a pas voulu les entendre. Panama est venu ; seule l’armée reste debout. Et voilà que, pour sauver un traître, un syndicat de juifs à la solde de l’étranger tente de ruiner l’honneur de cette armée. Pour souffleter des officiers qui ont versé leur sang, les juifs ont cherché des mains plus sales que les leurs et ils ont confié cette détestable besogne à des égoutiers qui ont gagné de l’or en remuant la boue. C’est la youterie universelle (...). Et bien ! Unissons-nous pour chambarder l’omnipotence juive, pour bouter les juifs hors de France ». La seconde affiche, imprimée à Montpellier en septembre 1898, renforce la diabolisation de l’adversaire : « Révision = trahison. Un dreyfusard de marque disait naguère : “Nous ne reculerons devant rien ! Nous chambarderons tout !” Cette menace abominable est en train de se réaliser. Le ramassis de criminels et de naïfs, de dupeurs et de dupés qui forme l’armée dreyfusarde chambarde en effet notre pauvre France. Cherchez à qui profite la campagne révisionniste. Est-ce à la France ? Non, elle en souffre. Est-ce à Dreyfus ? Non, la révision manifestera plus encore son crime. Est-ce à la juiverie ? Non, elle sortira de là plus méprisable et plus maudite. Elle profitera aux ennemis d’Outre-Rhin. Et bien ! Révisons d’abord les titres de nationalité de tous ces juifs qui sentent encore Francfort et le ghetto, et examinons un peu de près le patriotisme de tous ces protestants dreyfusards qui cousinent d’une façon scandaleuse avec les Allemands de tout poil. Révisons aussi la fortune de ces juifs, venus jadis dans les fourgons de l’étrangers, sans sou ni maille et qui, par des coups de bourse et des voleries de toute sorte, possèdent aujourd’hui le tiers de la fortune de la France (...). Si Dreyfus est vraiment reconnu coupable, c’est douze balles dans la peau qu’il lui faut ». Voir Pierre Pierrard, ibidem.
53 Voir par exemple La Croix Méridionale, n°82, août 1892.
54 . Pierre Pierrard, op. cit., p. 126.
55 Michel Hastings, « De mémoire d’urne. Les fugacités pérennes du vote », Traverses, n°40, 1987, p. 54.
56 Curieusement, les actes du colloque de Nîmes (4-5 septembre 1992) consacrés à la République passent sous silence l’impact du Ralliement. Voir Collectif, La République en Languedoc et Roussillon (1792-1958), Nîmes, Société d’histoire moderne et contemporaine de Nîmes, 1993.
57 Alexandre de Vichet, avec sa plume mobilisatrice, lancera plusieurs appels dans ce sens. Par exemple à la veille des élections de 1906, son éditorial s’intitule : « Concentration ». L’Éclair, 12 avril 1906.
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