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La persistance du Midi blanc

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Philippe Secondy

Première partie. La résistance des « blocs de granit »

Chapitre 3 : Portraits de dynasties « blanches »

Texte intégral

  • 1 Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou le métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1991 (1ère Éd. (...)
  • 2 ADH 1 M 1004.
  • 3 35 personnalités soit 15,8 % du total sont dans la catégorie « inconnu » et 2,3 % dans « divers ».
  • 4 Renaud Dorandeu, Faire de la politique : contribution à l’étude des processus de politisation. L’ex (...)
  • 5 Renaud Dorandeu, « Les métiers avant le métier. Savoirs éclatés et “modèle notabiliaire” », Politix(...)

1En reprenant la belle formule de Marc Bloch, nous entendons maintenant imiter « l’ogre de la légende (qui) flaire la chair humaine »1. Le caractère épars des sources nous force à choisir un raisonnement idéal-typique pour reconstruire les trajectoires de quelques-unes des figures ayant animé la vie politique. Les efforts pour présenter de manière exhaustive le profil social des personnalités locales sont peu nombreux. Même la frénésie observée par les services en charge de la surveillance des populations sous le Second Empire n’aboutit pas à des résultats probants. Elle nous apporte des données permettant d’alimenter notre connaissance du tableau général sans fournir une photographie définitive. Afin d’apporter quelques précisions à ce point de vue, arrêtons-nous sur un cas révélateur. Durant notre recherche, parmi la multitude de rapports consultés, un cahier a retenu tout particulièrement notre intérêt par son aspect systématique. Sous le titre Fonctionnaires et notabilités du département de l’Hérault (1854)2, il présente 223 notices de personnes « que leurs fonctions distinguent et qui, par leur situation, peuvent exercer de l’influence ». Le ministère de l’Intérieur, commanditaire de la recension, fournit une grille rigide aux agents. Les paramètres à mettre en avant sont : nom, prénom, âge ; résidence ; profession ; état de fortune, origine ; instruction et valeur personnelle ; considération dont il jouit, relations ; influence ; antécédents politiques ; opinions politiques apparentes ; sentiments politiques réels ; caractère, confiance à accorder. On le voit, les exigences sont très élevées. Parmi tous les renseignements, les options politiques suscitent de nombreuses interrogations. Elles aboutissent à un fractionnement de l’espace idéologique en sept catégories. Au regard de la population totale, la répartition entre les sélectionnés s’établit ainsi : « légitimistes » (15,3 %) ; « hommes d’ordre » (22 %) ; « républicains » (1,8 %) ; « orléanistes » (9,5 %) ; « bonapartistes » (10,8 %) ; « libéraux » (10,3 %) ; « conservateurs » (12,1 %)3. Ce classement nous laisse perplexe. Il ne nous aide pas vraiment à comprendre les différences entre par exemple le groupe des « conservateurs », celui des « hommes d’ordre » et celui des « bonapartistes »... En outre, bien des « notables blancs » (comme de Rodez-Bénavent) qui viennent de démissionner de leur fonction de conseiller général pour montrer leur opposition au nouveau pouvoir ne figurent pas dans le cahier. Notons enfin que les critères de la notabilité ne nous sont points expliqués. À l’instar de Renaud Dorandeu, qui a exploité ce type de collecte4, nous pensons qu’il « fait ressortir la diversité des situations sociales à l’intérieur des hiérarchies notabiliaires. (Or) la combinaison des revenus et des patrimoines débouche sur un éventail fort large dont le rapport entre les extrêmes est de un à dix »5. Bref, ce travail impressionnant ne nous livre qu’un cadre aride difficile à utiliser.

  • 6 Voir Alain Guillemin, « Aristocrates, propriétaires et diplômés. La lutte pour le pouvoir local dan (...)

2Notre quête de données biographiques va se porter en priorité sur les lignées politiques qui ne s’éteignent pas malgré l’accélération du processus de démocratisation. En ciblant, les dynasties « blanches », nous aurons à cœur de mettre en lumière leurs principales propriétés sociales. Nous chercherons à donner une enveloppe corporelle aux silhouettes dessinées précédemment. On s’aperçoit finalement qu’au-delà des itinéraires singuliers un profil semblable germe de l’étude. Sa permanence, toujours sous la Troisième République, est favorisée par le caractère endogamique du milieu qui nous occupe ici. Dans un souci d’apporter de l’intelligibilité à cet ensemble qui cherche à conserver son « hégémonie en maintenant un capital institutionnalisé sous formes de titres nobiliaires et de revenus fonciers importants »6 nous distinguerons deux types de trajectoires découpées très simplement. On s’intéressera d’une part aux « grands notables blancs », avant d’entrevoir le parcours de quelques familles aristocratiques à la dimension politique moins affirmée sur le plan national. Le terme de « petits notables », sans être péjoratif, marquera la différence.

Les « grands notables » : puissance sociale et reproduction politique

  • 7 Paul Alliès, « Que sont nos notables devenus ? », Autrement, n° 122, 1991, p. 108-109.
  • 8 Au sens qu’en donne André-Jean Tudesq in Les grands notables..., op. cit., p. 8-9.
  • 9 L’exercice d’une influence à l’échelle nationale distingue les « grands notables » des autres (le m (...)

3La notabilité, ressource structurelle dans notre système politique, se construit autour de deux variables : le territoire, c’est-à-dire « un espace politique identifiable par ses propres lois, relié de manière spécifique à d’autres espaces institutionnalisés (l’État nation ou des groupes d’intérêts) (...) et le statut social, c’est-à-dire la notoriété et la composition sociale »7. Les « grands notables »8 se caractérisent plus spécifiquement par une position omnipotente au cœur d’une circonscription cantonale dans laquelle ils possèdent un grand domaine foncier, associé à une main-d’oeuvre importante directement sous leur tutelle. La familiarité à son égard est monnaie courante. Ils leur parlent en patois, les rencontrent à la sortie de la messe ou dans les vignes, à l’occasion des visites souvent faites en compagnie du régisseur. Ce pouvoir de médiation du notable sera encouragé auprès des populations par le clergé. Lorsqu’on prend en compte toutes ces conditions, les fonctions électives paraissent « naturelles », de même que la transmission héréditaire des savoir-faire et des mandats. Tous souhaitent se concilier les bonnes grâces d’une notabilité dont l’influence s’étend bien sûr dans le chef-lieu du département, où il dispose d’un hôtel particulier, lieu coutumier des réceptions mondaines destinées à mettre en relations toutes les fractions dominantes : de l’aristocratie aux fonctionnaires et aux industriels. Sans oublier Paris, le centre névralgique d’une France très centralisée9.

4L’onction populaire reçue par les légitimistes est indéniable en 1848-1849. La moitié des conseillers généraux et des députés est rattachée à cette tendance. Le premier « vote universel » permet de dresser une liste des notabilités ayant réussi à surmonter les conditions nouvelles de la compétition politique. L’examen de la suite de la carrière de ces élus ou de leurs « héritiers », en dégageant la dimension nationale de celle-ci, permet de désigner deux lignées. Elles résistent à la fois à la politique draconienne des gouvernants du Second Empire et à la concurrence grandissante des courants républicains. Il s’agit des familles de Girard et de Rodez-Bénavent. Dans les premiers temps du xxe siècle, elles incarnent toujours bien au-delà du département la sensibilité royaliste en participant aux échéances électorales ou à l’épanouissement des formes d’organisations politiques.

Les de Girard : les derniers royalistes intransigeants

  • 10 Marthe Durand de Girard, Trois cents ans de souvenirs. Récits d’une grand-mère à ses petits enfants(...)
  • 11 Nous reviendrons plus loin sur l’histoire de cette famille.
  • 12 Paul de Girard fut le père adoptif du mari de Marthe Durand de Girard.

5Pour esquisser une monographie de la famille de Girard, nous disposons d’une source offrant une riche moisson d’informations. Il s’agit du recueil de souvenirs de Marthe Durand de Girard, édité en 194010. L’essentiel de cette recherche généalogique et biographique porte cependant sur la famille Durand11. Installée à Montpellier depuis 1694, cette famille bourgeoise anoblie par Louis XVI contractera des alliances avec les principales notabilités du Languedoc. Dans un « chapitre hors-texte », Marthe Durand évoque en quelques pages également la « maison » de Girard qui correspond à la famille de sa belle-mère12. Elle avait pour frère Paul de Girard (1841-1925) dont la vie se confond avec celle du mouvement monarchiste méridional des années 1870 à la pérennisation de l’Action française dans les années 1920.

6L’étude de Marthe Durand de Girard signale leur présence au xvie siècle dans la localité d’Agde. Plus précisément, dans la paroisse Saint-Etienne, ils possèdent Isle Aubain, une demeure située dans la partie de la ville appelée « Cité » ; ainsi que des propriétés étendues où se cultivent vignes et céréales. Le grand-père de Paul de Girard, Frédéric (1776- ?), s’attachera à développer son parc foncier. Souhaitant se rapprocher de Montpellier, il achète en 1821 sur la commune de Saint-Gély-du-Fesc (à environ dix kilomètres du chef-lieu) le domaine de Coulondres qui devient le « fief » de la famille. Cette propriété comprend des bas-fonds où, jadis, on semait le blé, et des coteaux recouverts de vignes, de bois de pins et de chênes verts. Frédéric de Girard en détache douze hectares, les clôture, dessine un parc et fait bâtir un château. Par son mariage avec un membre de la famille de Roquevaire, il acquit aussi une propriété à Fabrègues, village dont il fut longtemps le maire. En récompense de sa fidélité au roi et après son engagement remarqué dans l’armée du duc d’Angoulême pendant les Cent Jours, Louis XVIII lui accorde des lettres patentes.

7Frédéric de Girard eut deux fils. L’un se passionna pour la botanique qu’il enseigna à Montpellier, l’autre prénommé Gustave (1805-1863) entreprit une carrière d’avocat tout en s’occupant de ses propriétés. Continuant la tâche de ses ancêtres, il consacre une grande partie de son temps à la politique. Il fut conseiller municipal à Montpellier puis député entre 1849 et 1851. Comme ses collègues royalistes, il se prononça pour l’expédition de Rome, pour la loi Falloux sur l’enseignement, pour la loi restrictive du suffrage universel... Certains témoignages attestent de l’impact de ce « seigneur foncier » sur la population. L’ascendant de Gustave de Girard sur la communauté locale est accentué, si l’on en croit l’auteur de l’histoire de la lignée, par son pouvoir quasi-charismatique :

  • 13 Marthe Durand de Girard, op. cit., p. 286.

« On raconte qu‘un jour, écrit Marthe Durand de Girard, à la veille de repartir pour Paris, retrouver son siège à la Chambre des députés, il rassembla tous ses électeurs dans sa propriété de Coulondres, puis dans une harangue enflammée, il leur promit de continuer à défendre leurs intérêts... Au moment de terminer il s’écrie : “Je vous laisse ce que j’ai de plus cher au monde : ma femme et mes enfants”. En prononçant ces derniers mots, son ton étaient si pathétique que presque tous ses auditeurs pleurèrent »13...

  • 14 Pour l’anecdote, Marthe Durand de Girard nous révèle que Paul (son futur mari) et son frère Louis « (...)

8Gustave de Girard disparaît tragiquement dans un accident de train en août 1863 tandis qu’il allait retrouver son fils Paul, étudiant à Paris. Né à Montpellier le 6 juillet 1841, celui qui deviendra une grande personnalité royaliste hérite des positions accumulées par sa parentèle. Par son éducation, son style de vie, il se voit nanti de quelques signes distinctifs symboliques. Sa femme nous conte avec emphase son existence. Elle représente l’idéal-type du rythme de vie nobiliaire14. « S’il n’avait aucun goût pour les lettres, écrit-elle, en revanche les sciences physiques et naturelles le passionnaient, d’où ses inscriptions pour la licence de physique et chimie, suivies par loisir plus que par projet professionnel car, dès vingt-cinq ans, il s’occupe des multiples propriétés laissées par son père disparu inopinément ». Marthe dans sa description insiste beaucoup sur la place des « occupations de plein air » : l’escalade, la bicyclette (« Paul qui avait un jarret de fer enfourchait sa bicyclette et atteignait Le Tourmalet durant nos séjours à Bagnères-de-Bigorre »), la chasse (« il n’aurait pas été un Durand, s’il n’avait pratiqué ce sport »). Refusant de se donner l’image du « vieux aristocrate » statique, confiné dans son château, il aime comme un grand nombre de ses congénères être vu en sportsmen. Il ne néglige cependant pas des activités plus traditionnelles : « Profondément musicien, il suivit toujours avec assiduité les séances musicales et fut un auditeur fidèle des soirées théâtrales (...). Paul avait travaillé le dessin et l’aquarelle. Dans les nombreuses villes d’eaux où nous allons l’été, il n’oublie jamais d’emporter crayons et couleurs. Il reproduit les paysages et les coins pittoresques avec une telle précision et minutie de détails, que souvent on croit avoir sous les yeux une gravure coloriée ».

  • 15 Il en fut alternativement soit maire, soit adjoint au maire durant cette période.
  • 16 L’hiver, toutefois, il allait à Montpellier mais ne passait pas une semaine sans revenir à Coulondr (...)
  • 17 Yves Rinaudo, « Un équilibre méditerranéen : le pouvoir local entre l’État et le territoire », Étud (...)
  • 18 André-Jean Tudesq, op. cit., p. 102.

9Imprégné par cet habitus, Paul de Girard s’emploie à le défendre et à faire fructifier le patrimoine politique laissé par les « siens ». Mais, sa fidélité absolue à l’idée monarchiste le prive d’une carrière électorale plus brillante. Celui qui se présente toujours aux élections comme « candidat royaliste » subit deux échecs lors des législatives de 1885 et de 1898. Une première fois, il s’était présenté sur la liste d’Union conservatrice et, malgré la netteté de sa proclamation en faveur du roi, arriva dans les premiers rangs. En 1898, alors que personne ne voulait se présenter contre le socialiste Bénézech, grandissime favori, il relève le défi sans succès en continuant une croisade ferme en faveur du Prétendant. Son fief électoral se limite au canton des Matelles dont il fut le représentant au conseil général entre 1871 et 1892. Au sein de celui-ci, Paul de Girard administre durant un demi-siècle la commune de Saint-Gély-du-Fesc (entre 1874 et 192515). Le domaine de Coulondres place naturellement ce propriétaire résidant16 au centre de la communauté rurale. Elle en fait ce qu’on appelle aujourd’hui un véritable « leader local »17. Cet aspect est accentué par ses relais dans la localité de Fabrègues où, venant de sa grand-mère de Roquevaire, il détient le domaine viticole de Launac-Saint-André, réputé pour la richesse de son sol. L’assise foncière considérable, répartie dans un périmètre assez proche, lui procure une influence sur des dizaines de familles et le situe au sein d’une « génération dirigeante »18. Dans ces communes, rapporte Marthe Durand de Girard, il fut « la providence de la population qui usait et abusait de son bon coeur et de sa générosité ». En période électorale, il évoque toujours sa familiarité avec les catégories populaires :

  • 19 L’Éclair, 19 mai 1898.
  • 20 Le Petit Méridional, 18 mai 1898.

« Je veux qu’on s’occupe des classes ouvrières, peut-on lire dans une profession de foi publiée à l’occasion des législatives de 1898, dans un esprit vraiment démocratique pour améliorer leur sort. Mon dévouement aux ouvriers, au milieu desquels je vis depuis trente ans, est un sûr garant que je saurai défendre leurs intérêts et les faire prévaloir ». Son comité de soutien, dans un long plaidoyer, insiste sur son aspect paternaliste : « Tous les malheureux qui s’adressent à lui sont secourus, sans qu’on leur demande leurs sentiments religieux ou politiques »19. Les adversaires répondent à ce panégyrique en dénonçant la mainmise sur les populations rurales. « Le peuple soumis au caprice des maîtres, comme de Girard, le suffrage universel bâillonné et l’argent tout puissant »20.

  • 21 Marthe Durand de Girard, op. cit., p. 412.
  • 22 Il conserve ce poste jusqu’à sa mort en 1925. À cause de problèmes de santé, il sera suppléé de plu (...)

10Dans ce bloc compact de grande propriété se perpétue une société hiérarchique grâce à l’appui de l’Église. Il avait grandi dans une atmosphère de croyances profondément enracinées où, comme il aimait à le répéter : « Dieu seul passe avant le Roi »21. Au moment des Inventaires, il considère comme son plus beau titre de gloire d’avoir passé une nuit au poste de police. À Montpellier tout comme à Saint-Gély-du-Fesc, il s’investit dans les conseils de Fabrique, dans la Société de Saint-Vincent-de-Paul, au sein des Pénitents Blancs (il en fut le sous-prieur), à la présidence des oeuvres ouvrières et paysannes et régulièrement participe aux pèlerinages de Lourdes en qualité de brancardier. En 1914, libre de toute obligation militaire, Paul « prend du service à la Croix-Rouge » puis dans un hôpital militaire où, « par ses dons et par son travail personnel, il aide considérablement les docteurs ». Après Dieu, « le Roi » sera au centre de toutes ses préoccupations. En rapports étroits avec le comte de Chambord, il reporte à sa mort son affection sur le duc d’Orléans. S’il dirige quelques temps le comité royaliste de l’Hérault, ainsi que le conseil d’administration de L’Éclair, sa charge primordiale fut de mener à bien la mission confiée par le Prétendant : celle de Délégué régional de la dixième zone. Il devient son représentant officiel dans les principaux départements de la façade méditerranéenne (Var, Vaucluse, Hérault, Gard, Pyrénées-Orientales, Bouches-du-Rhône)22.

  • 23 Cité par Marthe Durand de Girard, op. cit., p. 291.
  • 24 Cité par Marthe Durand de Girard, op. cit., p. 293-294.

11Le duc d’Orléans se plut à donner de nombreux témoignages de satisfaction à un si fidèle serviteur. On raconte que longtemps à l’avance, Paul de Girard attendait avec impatience le moment rituel de « la rencontre ». À San Remo, comme au Manoir d’Anjou, il recevait toujours un accueil particulièrement bienveillant. Après ces rencontres, il racontait à son entourage, aux ouvriers travaillant sur ses terres, ses conversations avec « le Roi » à qui il attribuait des pouvoirs exceptionnels, de nature thaumaturgiques. Quand il voulait donner à quelqu’un une marque d’affection ou jugeait qu’un autre avait besoin d’être encouragé, Paul de Girard lui tendait la joue et lui disait : « Baise cette joue que le Prince a embrassée, tu travailleras ensuite avec plus de zèle »23. La loyauté absolue sera soulignée et saluée par un adversaire de toujours Le Petit Méridional, principal porte-voix des radicaux-socialistes jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Au moment de son décès, il rend hommage à celui qui « meurt fidèle à son drapeau » et s’interroge : « Paul de Girard défendait âprement ses convictions, mais approuvait-il les faux masques et camouflages de quelques-uns de ses amis »24... La foi en la couronne se retrouve chez les de Rodez-Bénavent, même si avec le temps, à cause des exigences du jeu politique le dernier représentant de cette dynastie d’élus, s’emploiera à la gommer dans sa présentation publique. Nous aborderons plus loin son « pouvoir de transfiguration ». Dans l’immédiat, concentrons-nous sur les ramifications d’une lignée solidement installée au coeur du paysage politique languedocien.

Les de Rodez-Bénavent : un siècle de présence électorale

  • 25 Nous avons trouvé quelques informations sur cette lignée dans : Gustave Vapereau, Dictionnaire univ (...)
  • 26 Dictionnaire biographique..., op. cit.

12Si nous disposions pour présenter la trajectoire précédente d’une source remarquable, il en va tout autrement pour les de Rodez-Bénavent. Nous procéderons à tâtons pour reconstituer à partir d’indices éparpillés l’histoire de « grands notables blancs » qui occupent une place primordiale dans la société locale entre la Seconde République et le régime de Vichy25. L’accaparement du pouvoir local dans une telle continuité atteste de l’implantation de cette famille. La maison des Rodez-Bénavent tire son origine des comtes souverains de Rodez : « les preuves ont été faites en 1784, devant le généalogiste des ordres du roi, par le vicomte de Rodez-Bénavent, alors lieutenant-colonel du régiment royal d’infanterie, pour obtenir les honneurs de la Cour. Elle fait remonter sa filiation à Richard 1er, vicomte de Rodez et de Carlat, en 1096 et qui mourut vers 1 132 laissant postérité »26. La lignée dispose d’un patrimoine immobilier impressionnant situé au centre de vastes propriétés. Il se compose de plusieurs châteaux à Cazilhac (Val Marie), Brissac, Saint-Bauzille-de-Putois, Capestang (La Redoute), Montels et d’un superbe hôtel particulier à Montpellier.

  • 27 Avant de le remplacer au conseil général, il avait été élu conseiller d’arrondissement en 1869.
  • 28 Hormis entre 1877 et 1879, où un candidat rival dénommé Prirache le remplace.
  • 29 Article du Nouvelliste de Lyon cité par L’Éclair du 16 septembre 1883.

13Le territoire politique de la famille se concentre pour l’essentiel dans le canton de Ganges. Ici, la circonscription électorale se transmet régulièrement au sein de la parentèle d’une manière quasiment ininterrompue de 1848 à 1944. Le premier élu fut Léon de Rodez-Bénavent. Devenu conseiller général au début de la Seconde République, il démissionne pour montrer son hostilité au Prince-Président dès 1853. Après un échec en 1861, il se représente en 1864 et y siège jusqu’à sa mort en 1872. Son frère le vicomte Théophile (1817-1883) lui succède27. Par son activisme, il contribuera à asseoir le prestige de la « forteresse familiale ». Sa notoriété et son engagement au service du roi lui permettront de devenir la principale figure monarchiste départementale et de se constituer un patrimoine politique inégalé. Parallèlement à son mandat de conseiller général (entre 1872 et 188328), il est élu le 8 janvier 1871 à la députation (le sixième sur huit), puis devient sénateur le 30 janvier 1876, avec deux autres candidats conservateurs. Son mandat au Sénat cesse en 1879 après sa défaite lors du renouvellement partiel. La présidence des comités royalistes de l’Hérault (à partir de 1874), ainsi que celle du comité catholique de Montpellier, ont été également confiées au fervent défenseur de « la France catholique et royaliste » qui entretenait une correspondance assidue avec le comte de Chambord. Plusieurs de ces lettres contiennent son véritable testament politique. Il se distingue sur le plan de la mobilisation politique en encourageant le développement de la presse quotidienne. À l’origine de la création de L’Union nationale puis de L’Éclair, il croyait au rôle politique de la presse, en plein essor dans les années 1870-1880. Son modèle demeure Le Nouvelliste de Lyon. À sa mort, les rédacteurs de ce journal résument ses intentions : « Avec nous, il avait compris l’utilité d’une presse populaire destinée à combattre les empiétements de l’esprit antireligieux et révolutionnaire. Aussi s’était-il adonné entièrement à l’extension de L’Éclair »29. Les administrateurs du quotidien restèrent toujours fidèles aux objectifs assignés par son créateur.

  • 30 Voir sur ce point les analyses de Marc Abélès dans Jours tranquilles .... op. cit. Plus précisément (...)
  • 31 ADH 3 M 1709.

14L’héritage politique de ce « grand notable blanc », composé du canton, de la capitalisation de toutes les ressources politiques constituées à la fois par ses ascendants et par les positions sociales accumulées durant sa longue carrière, sera revendiqué et récupéré par Henri de Rodez-Bénavent, son petit-neveu, propriétaire foncier à Cazilhac. Il se montre fort habile pour le faire fructifier. Le nom de cette lignée fait figure de « sésame ». Il fonde sa légitimité électorale30. Les comités de soutien pendant plusieurs campagnes électorales exploitent cette référence. Ainsi au renouvellement cantonal de 1910, on indique « qu’au conseil général, il s’est montré le digne successeur de son grand-père le comte Léon de Rodez qui fut conseiller général du canton, de son grand-oncle, le vicomte Théophile de Rodez qui fut député, puis sénateur et enfin conseiller général depuis 1872 jusqu’à sa mort »31. Constamment réélu durant quarante ans dans le canton de Ganges, Henri de Rodez-Bénavent construit son pouvoir territorial en devenant maire de Cazilhac, député de 1919 à 1936 (avec une interruption entre 1924 et 1928) et enfin président du conseil départemental sous le régime de Vichy. À l’instar de son grand-oncle, il se montre très présent au sein du réseau des oeuvres sociales et participe à différents niveaux à la gestion de L’Éclair. Par son mariage avec une de Chastenet de Puységur, il conforte ses liens dans les milieux catholiques. Cette descendante directe du maréchal de Puységur, dont le Traité sur l’art de la guerre a beaucoup contribué à la formation de générations d’officiers, doit sa notoriété en Languedoc à la contraction d’une alliance avec la branche d’Emmanuel d’Alzon, le « formateur » de Mgr de Cabrières.

L’esprit de famille des « petits notables »

  • 32 Nous reprenons ici les termes de la définition de la notabilité donnée par Max Weber dans Le savant (...)
  • 33 L’Éclair annuel, illustré. Édition publiée à l’occasion du Cinquantenaire de L’Éclair, Montpellier, (...)

15À côté de la catégorie spécifique des « grands notables blancs », notamment marquée par leur disposition à intervenir dans la « haute politique », existe le monde des « petits notables ». L’essentiel de leur influence se manifeste au niveau de leurs contrées d’origine. Cette catégorie dirigeante de la société locale ne se distingue guère de celle que nous venons d’étudier. Elle jouit tout autant de l’estime sociale que lui confère sa situation économique et à titre de profession secondaire s’investit « par acte volontaire puis par tradition » dans la gestion de la cité ou d’un « groupement quelconque »32. Le groupe des nobles sur lequel porte notre analyse comprend principalement des propriétaires terriens. Grands bénéficiaires de la prospérité viticole, ils affichent un attachement sans faille au maintien des « hiérarchies naturelles ». Le patronat viticole, souvent allié avec la haute bourgeoisie puissante dans le Biterrois, s’engage sur le terrain politique en se mobilisant contre l’avancée des convictions républicaines et égalitaires dans la viticulture. Il réussit à préserver son influence par une stratégie de fermeture sociale et de solidarité familiale. Les membres issus de ce monde se doivent de pérenniser les principes politiques ancestraux à l’origine de la supériorité de leur lignée d’où les combats pour la religion, la propriété, la famille et le roi. Plusieurs « maisons » pouvaient figurer dans l’échantillon des défenseurs de « l’esprit de famille ». Nous avons reconstitué quelques trajectoires qui, dans l’espace et dans le temps, nous paraissent très représentatives de la fraction de la classe dominante. Si leur emprise sociale persiste dans les arrondissements de Montpellier et de Béziers voués à la culture de la vigne ; les mêmes noms se retrouvent dans les réseaux de résistance à l’éclosion des « couches nouvelles » au moment de l’entre-deux-guerres. La composition du conseil d’administration en 1931 du journal emblématique L’Éclair33 en témoigne.

Les de Forton : « dressage des corps » et défense du Midi viticole

  • 34 L’Éclair, 13 mai 1932.
  • 35 Pour témoigner de tout l’intérêt qu’il y porte, on notera que peu avant sa mort il fit le don d’une (...)

16Issue d’une famille originaire des frontières de l’Espagne, établie dans le Bas-Languedoc depuis quatre cents ans, les de Forton ont fourni deux conseillers au Parlement, un président à la Chambre des comptes, plusieurs officiers et chevaliers de Saint-Louis. Ces positions valurent à Jean-Antoine de Forton, par lettres patentes du 8 mars 1817, le titre de marquis, héréditaire « de mâle en mâle » et par ordre de primogéniture. Alliés aux de Montvaillant, Durand ou Broussonnet, ils sont sur tous les fronts pour défendre la cause royale. Ainsi René de Forton (1833-1883) participe, dès sa création, à la gestion de L’Éclair puis préside le comité monarchiste. Son fils Jean (1873-1932), quelques années après son décès, le remplacera à la tête de ces positions éminentes dans l’espace départemental. La religion constitue l’autre versant traditionnel. Jean de Forton, pour qui le cardinal de Cabrières eut toujours une « paternelle affection »34, fut le Prieur de la Compagnie des Pénitents Blancs35 et le soutien de diverses oeuvres. Néanmoins, son action sur le terrain politique repose sur la maîtrise des réseaux agricoles. Profitant de l’âge d’or de la vigne, les de Forton s’installent à Mauguio, près de Montpellier, dans le domaine du Mas-Rouge. La vaste propriété permet de s’attacher une clientèle (de domestiques, de journaliers, de salariés...) économiquement dépendante. De père en fils, les de Forton se passionnent pour le « dressage des corps ». Le travail de la terre offre des possibilités d’expérimentations privilégiées pour inculquer aux « couches inférieures » et juvéniles la « bonne voie ».

  • 36 Henri Gaillac, Les maisons de correction (1830-1945), Paris, Cujas, 1991, p. 163 et s.
  • 37 Voir Marie Rouanet, Les enfants du bagne, Paris, Payot, 1992, p. 210.
  • 38 Dans son enquête, Marie Rouanet a retrouvé des archives qui attestent de la sévérité des condamnati (...)
  • 39 Ibid., p. 220-221.
  • 40 Henri Gaillac, Ibidem.

17Le département de l’Hérault était bien pourvu en établissements censés « remettre dans le droit chemin les enfants égarés »36. Au nord de Montpellier, dans le village des Matelles, l’orphelinat de Notre-Dame-des-Champs faisait office de « colonie agricole ». Son fondateur, l’abbé Soulas, proclamait son intention de « transformer les enfants pauvres en cultivateurs honnêtes et excellents (...). (L’agriculture devait les aider) à conserver leurs mœurs, leur simplicité, leur santé, leur goût pour le travail »37. Soutenu financièrement par les grandes familles de la région, l’orphelinat vers 1850 s’ouvrit aux jeunes détenus. Devant la multiplication des évasions, l’ecclésiastique trouve un « arrangement » avec Jules de Robernier, un « seigneur foncier », ancien conseiller général et maire de la commune de Grabels. À proximité de son « fief », dans le petit village de Vailhauquès, il achète les 720 hectares du domaine inculte de Montlobre. Peu de temps après, le marquis de Forton en prend possession « avec l’ensemble des enfants », souvent emprisonnés pour des délits dérisoires38, pour assouvir ses deux passions la chasse et l’éducation. « En se rendant acquéreur du domaine et des colons, il peut les satisfaire toutes les deux, raconte Marie Rouanet. Il a été séduit par l’immensité des garrigues où pullulent les lapins, le lièvre et le perdreau, mais aussi les calandres, grosses alouettes, mais encore le renard et le sanglier. Pour en profiter plus aisément, plus confortablement aussi, il fait bâtir loin des bâtiments du pénitencier, un pavillon de chasse. Il est loin, ainsi, avec ses invités de la présence dérangeante des détenus »39. Henri Gaillac remarque, pour sa part, que la colonie de Monlobre sous la direction de René de Forton, « fut un établissement très florissant jusqu’en 1885 où, pour des raisons politiques, le marquis fut contraint de le fermer »40. Nous n’avons pas de plus amples explications, si ce n’est que l’État vers cette époque allait ouvrir une grande « maison d’éducation correctionnelle » à Aniane, tout près de Vailhauquès, qui allait recevoir entre 200 et 300 pupilles.

  • 41 Intervention de René de Forton au cours Congrès diocésain de 1907. Voir le fascicule intitulé : Ass (...)
  • 42 Voir Ronald Hubscher, L’histoire en mouvements. Le sport dans la société française (xixe-xxe siècle (...)

18Le fils du marquis œuvre dans une direction similaire. Jean de Forton devient un ardent promoteur des « sociétés sportives catholiques » autour des années 1900. Membre influent de l’Association catholique de la jeunesse française, il les encourage en clamant « qu’elles offrent d’appréciables avantages pour leurs membres au point de vue militaire »41. En effet, l’exercice physique exige une discipline ascétique, véritable fortification des âmes. Ce point de vue reprend les arguments des partisans de l’hygiénisme et des corps redressés. Le marquis de Forton s’inspire des mesures d’un médecin dénommé Michaux qui, dans toute la France, utilise les organisations catholiques existantes et les patronages avec comme objectif : l’édification religieuse et morale des jeunes apprentis et ouvriers soumis aux tentations des doctrines pernicieuses. En mettant en avant l’attractivité des activités physiques, l’Église veut maintenir dans son sillage les adolescents42.

  • 43 L’Éclair, 13 mai 1932.

19Conservant son influence foncière, Jean de Forton s’implique dans la première décennie du siècle dans les combats favorables à la viticulture. Il perçoit dans les troubles une chance inespérée pour la cause royaliste d’où son engagement, en compagnie du socialiste Ernest Ferroul, dans la création de la Confédération générale des vignerons. Elle se veut au-dessus des partis et se propose d’oeuvrer pour une association unitaire professionnelle rassemblant « du plus fortuné au plus humble ». Devenu en 1909, le vice-président du syndicat régional des vignerons de l’arrondissement de Montpellier-Lodève, et la même année responsable de l’Action française à Mauguio, il pense que seule la stratégie d’union du « peuple viticole enflammé pour la cause du Midi »43 permettra de donner naissance à un grand mouvement capable de renverser le régime. La brève description de la trajectoire permet d’illustrer la reproduction des positions partisanes dans une même parentèle et la volonté par des stratégies d’interventions directes sur les jeunes générations d’insuffler une nouvelle « éducation » politique. Les tumultes viticoles sont un autre champ d’expérience pour tenter de former une alliance populaire contre les gouvernements républicains. Ils seront très fréquemment exploités.

Les de Crozals : une stratégie endogamique ?

  • 44 Jean-Denis Bergasse, op. cit.
  • 45 Notons que Louis de La Roque ne la cite pas dans L’Armorial de la noblesse du Languedoc, Montpellie (...)

20« Citée dès le xive siècle, avec des reconnaissances nobles à Alignan-du-Vent (près de Pézenas), la famille de Crozals compta plusieurs branches »44 souligne Jean-Denis Bergasse. Certains « spécialistes » en matière d’anoblissement émettent quelques doutes. C’est ainsi que dans le Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du xixe siècle, on signale que la famille est « anciennement et honorablement connue dans le département de l’Hérault ». Toutefois, les auteurs de la notice font remarquer qu’ils ne connaissent pas les origines de l’anoblissement et que ses représentants n’ont pas pris part en 1789 aux assemblées de la noblesse du Languedoc. Elle ne figure pas non plus au nombre des familles qui firent enregistrer leur blason à L’Armoriai général de 169645. Néanmoins sur bien des points, elle rassemble les traits distinctifs de ce groupe.

21Tout d’abord, nous retrouvons une fidélité à la terre. Profondément enracinées dans le vignoble biterrois, ses diverses branches gèrent plusieurs propriétés sur lesquelles le château ou la maison de maître occupent une place prééminente. Vers 1897-1902, la récolte moyenne cumulée avoisine les 90 000 hectolitres, elle se répartit ainsi :

  • 46 Rapport de police du 10 janvier 1912. ADH 1 M 1113.

22Durant cette phase d’expansion économique, où régnait la manie d’évaluer les fortunes en hectolitres, les de Crozals se trouvent à la tête de l’un des plus grands patrimoines viticoles du secteur. Par leur puissance foncière, ils occupent différents mandats professionnels ou politiques pour préserver leurs positions dans la société et peser sur les décisions touchant la viticulture. On retrouve, par exemple, Cyprien de Crozals (1824-1906) à la vice-présidence de la chambre de commerce de Montpellier puis, à partir de sa création en 1903, à la tête de celle de Béziers. Cet ancien négociant fut aussi juge au tribunal de commerce et présida à la fois le syndicat des négociants en vins et spiritueux et le comité Sud-Ouest navigable. Auguste, un autre des descendants, qui habitait au château de Roque-Basse à Portiragnes, commune dont il fut le maire durant de longues années, dirige l’influent syndicat des propriétaires de l’arrondissement de Béziers et joue un rôle déterminant dans le fonctionnement des organisations viticoles du Midi. Vice-président de la Confédération générale des vignerons, il se montre très incisif lors de plusieurs négociations avec le ministre de l’agriculture durant les périodes de tensions. Son fils Charles-François, par contre, se fait davantage remarquer par ses actions au sein de l’Action française et des Camelots du roi46.

  • 47 Jean-Denis Bergasse, op. cit.

23Une telle capacité d’accumulation est le résultat de stratégies d’alliances marquées par la consanguinité. En pratiquant les mariages entre cousins, les lignes de succession se recoupent, ce qui limite la descendance et préserve la maison de toute intrusion douteuse. Prenons quelques exemples : le propriétaire du domaine de Saint-Pierre-de-Serjac, Cyprien de Crozals (1824-1906) a épousé Henriette Vié-Anduze, d’une famille d’industriels carcassonnais dont le frère s’était marié avec une Flourens, elle-même fille d’une Crozals. Pour recueillir ce domaine, Cyprien de Crozals (1863-1938) épousa en 1895 sa cousine Augustine de Crozals. Autre illustration de ce phénomène très prononcé dans la famille : Marie-Joseph de Crozals (1783-1864) se fixa à Capestang en y épousant, en 1813, Antoinette Bringer, propriétaire d’un domaine et de l’ancien château de Montels. Leur fils, le négociant et distillateur Ernest de Crozals (1814-1889) constitua le noyau primitif du domaine d’Aureilhe et épousa sa cousine germaine Maria de Crozals47. En outre, on peut relever la transmission systématique du prénom de l’ancêtre fondateur (en l’occurrence ici Cyprien). Signe de prestige, enjeu symbolique, ce phénomène de propagation onomastique retarde le jour où les divisions segmentaires parviendront à gommer à jamais le souvenir de l’origine commune. De semblables préoccupations se retrouvent chez plusieurs familles de « pinardiers » comme les d’Andoque de Sériège.

Les d’Andoque de Sériège ou la soif de l’identité nobiliaire

  • 48 Jean-Louis Escudier, Viticulture et politique en Languedoc. L’action d’Adolphe Turrel, ministre de (...)
  • 49 Jean-Denis Bergasse, op. cit.

24Nous sommes en présence d’une famille de la haute bourgeoisie qui joint son nom à celui de sa terre de Sériège. Se trouvant à deux pas du département de l’Aude, dans la localité de Cruzy, ce fleuron de la grande propriété viticole s’étend sur trois cent cinquante-quatre hectares d’un seul tenant. Deux cent cinquante hectares sont plantés en vignes, ce qui équivaut à une récolte annuelle de quinze à vingt mille hectolitres48. Le domaine de Sériège appartenait à la puissante maison féodale de Narbonne, relayée au xvie siècle par la famille de Beauhostes qui la transmise aux Oliviers de la Gardie. En 1775, ils la cédèrent définitivement aux Andoque49. Parmi ces membres, Pierre Andoque, conseiller au présidial de Béziers, mort en 1664, est l’auteur d’ouvrages sur l’histoire du Languedoc et sur les évêques de Béziers. François d’Andoque, lieutenant de l’une des galères du roi, fit enregistrer à l’armoriai général de 1696 son blason. La famille d’extraction bourgeoise fut maintenue dans la noblesse en 1735. Le changement de patronyme (Andoque en d’Andoque de Sériège) marque le désir de répudier la condition bourgeoise et de « jouer » au gentilhomme dans la vie quotidienne. Cette dynastie terrienne investira sans cesse dans les propriétés foncières, symbole de l’ascension sociale. La mise en place de multiples stratégies matrimoniales et successorales s’impose pour réaliser de tels objectifs. Leur intransigeance, remarquée lors de conflits sociaux au début du siècle, semble prouver que tout particulièrement dans leur fief de Sériège, ils représentent l’idéal-type du « seigneur foncier », tel qu’il existait avant le séisme de 1789.

  • 50 Nous puiserons des informations sur cette lignée dans Catherine Ferras, Architecture privée au xixe(...)
  • 51 À l’origine Pierre Fayet (1737-1823), riche négociant patron sur le canal du Midi acquérit plusieur (...)

25Le premier grand rassembleur de terres50 à s’illustrer fut, dès 1791, Barthélémy d’Andoque qui rachète le vaste domaine de l’abbaye de Fonfroide, exploité sous l’Ancien Régime par des membres de la parentèle. À sa mort, avec Sériège, il avait accumulé près de cinq cents hectares. Son fils Alexandre (1782-1811) poursuit l’oeuvre entreprise, il consolide la réserve foncière en nouant une alliance avec Françoise Tarboriech, fille de son tuteur, propriétaire notamment du domaine Les Pradels (deux cent cinquante hectares environ). Leur dernier fils, Eugène (1811-1890), hérita du Terrai à Ouveilhan (Aude). Son mariage en 1883 avec Cécile Vernazobres, nièce par sa mère de l’académicien Viennet dont les descendants possèdent des vignobles à Lespignan, Sérignan, Quarante, Bessan, Béziers, Villeneuve-les-Béziers conforte l’assise terrienne. Le premier enfant né de l’union sera une fille, elle épousera Emile Sahuc qui « pèse » vingt mille hectolitres alors que la seconde progéniture Alban (1842-1875), l’héritier du domaine du Terrai, se marie avec Marie Isaure de Cassagne (1844-1906). Elle lui apporte un hôtel particulier à Béziers et le vignoble de Saint-Géniès (huit mille hectolitres en moyenne). De ce ménage naquit Marie-Madeleine future épouse du collectionneur Gustave Fayet l’unique héritier d’un patrimoine impressionnant51 et André (1870-1954) qui se lia en 1896 avec Germaine de Lambert des Granges (1877-1915), fille d’un marquis d’origine bordelaise déjà allié à d’autres familles du Biterrois. Le Terrai lui fut attribué (en 1896, il y produit seize mille hectolitres) et en 1910, il racheta la terre familiale de Sériège dévolue à la branche aînée. Alexandre d’Andoque (1815-1902) lègua le grand domaine à son petit-neveu, prénommé également Alexandre (1877-1949), qui le vendit à son parent avant de s’établir à Montpellier après son mariage en 1905 avec Antoinette Durand. Cette description, non exhaustive, montre la confusion des alliances mises en oeuvre et permet vaguement d’envisager l’amoncellement du capital (foncier mais aussi social et symbolique) d’une lignée définitivement intégrée à la fin du siècle à la noblesse languedocienne.

  • 52 « Si le terme de “château” renvoie à une époque, le Moyen-Âge, et à une fonction première, la fonct (...)
  • 53 Voir Catherine Ferras, op. cit.

26Pour parfaire l’intégration, les d’Andoque participent bien sûr à la vie mondaine, adoptent le style de vie distinctif de leur nouveau milieu (les voyages à l’étranger, les séjours dans les villes thermales...) et surtout se dotent d’un attribut symbolique essentiel : le château52. Ils édifient des demeures ostentatoires au centre de leurs multiples propriétés. Les réalisations architecturales se révèlent particulièrement abondantes53. Ces productions architecturales très variées (du néo-classicisme vers l’éclectisme en passant par le groupe des néo-gothiques) sont autant de signes de puissance et de distinction donnés au monde extérieur.

  • 54 C’est le cas par exemple des Lagarrigue. Ces grands bourgeois ayant fait leur fortune grâce au vin (...)
  • 55 Ils préfèrent profiter des loisirs que leur confère la richesse ou s’investir dans la vie culturell (...)
  • 56 On les retrouve nommés au conseil municipal de Béziers durant le régime de Vichy et, jusqu’aux anné (...)

27Beaucoup de « riches pinardiers », possédant « une récolte en banque, une récolte en cave et une récolte sur pied », se retirent de toutes les charges politiques et financières vers la fin du siècle54. Elles demandant des capacités et des efforts auxquels ils se refusent55. Les d’Andoque, engagés auprès des légitimistes avec Joseph-Barthélémy Andoque (1773-1884), longtemps maire de Cruzy suppléé par son fils Alexandre (1815-1902) qui assure la charge de conseiller général de Saint-Chinian entre 1852 et 1870, paraissent suivre ce mouvement. Leur empreinte sur les joutes politiques ne faiblit pas pour autant56.

  • 57 Vincent Thébault, « Le bourgeois de la terre. Le placement foncier comme symbole de l’ascension soc (...)
  • 58 Rapport du sous-préfet du 17 mars 1904. ADH 10 M 275.

28À propos de Sériège, l’expression « grand domaine » nous plonge implicitement dans un système séculaire où la possession de la terre et le pouvoir sur les hommes restent imbriqués. À l’aube du « nouveau siècle », le propriétaire dispose toujours de la puissance publique propre au seigneur d’antan57. Le type de rapport social et économique induit sera régulièrement contesté par une série de grèves de 1904 à 1907. Aujourd’hui encore les manifestations de cette époque restent une référence majeure pour l’histoire régionale du mouvement ouvrier. Celles qui éclatent en 1904 prennent une valeur exemplaire. Dès le début de l’année, les quatre cent cinquante ouvriers agricoles de Cruzy soutiennent le mouvement de grève déclenché par leurs soixante « camarades » du domaine de Sériège. Exaspérés par « les brutalités causées par le régisseur »58, ils demandent son renvoi. Le « patron » de l’exploitation refuse de l’envisager et rejette la moindre esquisse de négociation. Le conflit dégénère. Des délégations d’ouvriers agricoles de Capestang, Quarante, Argeliès viennent grossir le nombre de grévistes. Ils bloquent les accès au domaine et le régisseur pris à partie tire sur la foule. Seule l’intervention pressante du sous-préfet, aidé par le juge de paix, permet de régler le différend. Elle n’aboutit qu’après plusieurs tentatives infructueuses :

  • 59 Ibidem.

« Il y avait, écrit-il dans son rapport, devant le château près d’un milliers de personnes, dont trois cents jeunes et des enfants (...). Devant le dessein bien affirmé des ouvriers de ne pas se disperser et d’empêcher par la force toute arrestation, je tentai alors une dernière démarche (la cinquième auprès de M. d’Andoque), lui demandant dans un but d’humanité et pour éviter les bagarres qui allaient se produire, d’examiner une dernière fois s’il ne pourrait pas faire permuter son régisseur avec un de son beau-frère (M. Séré de Rivière, propriétaire du domaine du Pech, près de Coursan dans l’Aude). M. d’Andoque, à la loyauté et au désir de conciliation auquel je dois rendre hommage consentit, en raison des motifs que je lui invoquais, à accorder cette satisfactions aux ouvriers »59.

  • 60 Rapport du 12 décembre 1904. ADH 10 M 277.
  • 61 Télégramme du 13 décembre 1904.
  • 62 L’Éclair, 18 décembre 1904.
  • 63 Lettre du syndicat en date du 11 décembre 1904. ADH 10 M 277.

29Quelques mois plus tard, la petite commune proche de l’Aude refait parler d’elle. La brusque mise au chômage de quarante-deux ouvriers annonce un conflit bien plus violent. Comme les représentants des vingt grands propriétaires refusent de nommer un arbitre, les manifestants isolent Cruzy et reçoivent l’appui des villages voisins. Un rapport de gendarmerie évoque une « situation excessivement critique »60. Des coups de feu sont tirés. Un télégramme signale l’arrivée « d’une automobile renfermant des propriétaires de Béziers armés pour aller dégager des membres de leurs familles bloqués par les grévistes »61. Le secrétaire des propriétaires, grâce à la protection de la gendarmerie, évite un lynchage. La grève change d’échelle, les manifestants parcourent les rues en chantant la Carmagnole, ou sur l’air de l’Internationale : « C’est la chute fatale de tous les proprios. La grève générale les conduit au tombeau ». L’Éclair s’inquiète et titre : « C’est la révolution à Cruzy »62. Le syndicat professionnel agricole et viticole qui défend les propriétaires ne veut pas céder car « il est matériellement impossible d’imposer de nouvelles charges à la viticulture ruinée (...). Nous comptons sur la bienveillante intervention des pouvoirs publics qui voudront bien, nous l’espérons, prendre les mesures nécessaires pour assurer : 1° la sécurité personnelle ; 2° le droit et la liberté de travail »63. Le préfet envoie le l7ème Régiment d’infanterie, composé d’une centaine d’hommes ainsi que cinquante cavaliers, et s’engage avec le député radical Jules Razimbaud dans une médiation. Bien que le principal propriétaire refuse les négociations, le préfet trouve un terrain d’entente avec les différents protagonistes. Il promet de faire tout son possible pour amener le « maître de Sériège » à accepter de reprendre les ouvriers mis au chômage « pendant six mois au moins ». Dans un courrier daté du 29 décembre, celui-ci revient sur les événements. Dans un premier temps, il s’insurge devant l’attitude de certains « valets » grévistes que son régisseur a refusé de reprendre puis fait part au représentant du pouvoir central de ses craintes, en lui demandant de prendre des mesures pour ne pas laisser se développer un climat qu’il considère comme préjudiciable :

  • 64 Souligné par d’Andoque.
  • 65 Il reprend l’expression utilisée en occitan par les valets. Son décryptage n’est guère aisé, surtou (...)
  • 66 Souligné par l’auteur de la lettre.
  • 67 ADH 10 M 277.

« (Des valets grévistes) avaient, pendant la grève, pris l’habitude de venir tous les jours sous prétexte de prendre du linge. En réalité (...), ils avaient surtout pour mission de débaucher leurs camarades. Au bout quelques jours de ce petit manège, mon régisseur leur signifie d’avoir à emporter leurs effets, et de ne plus reparaître jusqu’à nouvel ordre. Or quelques heures après, en faisant sa tournée, il en rencontre deux dans leurs chambres. Leur ayant demandé ce qu’ils faisaient, ils lui répondirent qu’ils étaient les maîtres64 et qu’ils faisaient ce que bon leur semblait. Il fallut la gendarmerie pour les expulser, et ils ne partirent qu’en maugréant. Je considère l’expression dont ils se sont servis comme très grave, car elle représente bien la nouvelle mentalité de nos populations : “Aro seyring maistres”65. Si on laisse se développer complètement cette idée qui a eu tant de facilité à germer, toute entreprise industrielle et agricole deviendra impossible (...) ». Il espère des sanctions contre les responsables des revendications : « L’impunité serait un exemple déplorable, et pousserait tout le monde66 vers de nouvelles grèves »67.

  • 68 Des troubles sociaux éclateront en octobre et novembre 1906. Ils sont à l’origine d’une grève très (...)

30Ces propos montrent l’intransigeance du « seigneur foncier » dont l’autorité se verra contestée dans d’autres conflits sociaux68. La trajectoire des d’Andoque s’apparente à une quête de « l’absolu nobiliaire », position visée durant des décennies par tous les représentants de cette lignée, privés malgré tout de titre de noblesse. Imbus de leurs nouveaux atouts patiemment conquis, certains de ces « riches pinardiers », pour parachever leur intégration, se rapprochent par des stratégies lignagères de « grandes familles » montpelliéraines, comme les Durand, alliées aux principales figures de la noblesse.

La construction d’une « grande famille » : l’exemple des Durand

  • 69 Marthe Durand de Girard, Trois cent ans de souvenirs. Récits d’une grand-mère à ses petits enfants, (...)
  • 70 Monique de Saint-Martin, « Une grande famille », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 31, (...)

31Évoquer cette famille n’est pas anodin. Grâce à l’étude généalogique et biographique « confidentielle » de Marthe Durand de Girard69, nous disposons d’une description détaillée de l’un des réseaux majeurs d’alliances nobiliaires du Sud de la France. Au fur et à mesure des pages, nous pénétrons au coeur de la parentèle, découvrons un pan des propriétés sociales, le mode d’existence du milieu familial et un éclairage fugace sur leurs passions politiques. Ce recueil de souvenirs « tellement personnels », tiré seulement à 75 exemplaires, n’est destiné pour son auteur qu’à de « très proches parents », comme en témoigne une lettre envoyée au directeur des archives départementales en juillet 1942. Elle y avoue avoir longtemps hésité avant d’accomplir cette démarche car « vraiment il y a trop de détails intimes ». Le travail de recherche sur « les siens », véritable entreprise de célébration de la « forteresse familiale », permet d’observer comment une dynastie bourgeoise se transforme en « grande famille »70.

Lettre envoyée au directeur des archives de l’Hérault en juillet 1942

Montpellier, 13 juillet 1942
Monsieur,

C’est à peine si j’ose vous envoyer pour les archives départementales ce recueil de souvenirs, que j’ai essayé de réunir sur la famille de mon mari. Ils sont tellement personnels que je les destinais seulement à nos très proches parents. Mon mari les avait fait imprimer et il désirait que j’en envoie un exemplaire aux archives pour aider ceux des nôtres qui plus tard pourraient avoir envie de poursuivre les recherches que nous avions entreprises. J’hésitais bien, car vraiment il y a trop de détails intimes... Mais ma fille insiste aussi, je me résigne, en vous demandant l’indulgence la plus grande si, d’aventure, vous parcourez ma prose.
Veuillez, Monsieur, partager avec Madame de Dainville l’expression de mon meilleur souvenir.

Lazerme Durand Girard

32L’assimilation s’effectue lentement et nécessite un long travail d’accumulation méthodique d’alliances matrimoniales et d’apprentissage de la distinction nobiliaire. Dédié à son mari, Paul Durand de Girard, et sous-titré Récits d’une grand-mère à ses petits-enfants, le livre se présente comme une leçon de vie destinée à servir d’exemple aux descendants de la lignée. L’auteur, dès l’avant-propos, rend hommage à son époux « parce que par sa fidélité à la religion, son attachement à ses représentants, et l’intégrité qu’il apporte à tous ses actes, il prouve avoir hérité de la foi vive et des vertus de ses premiers ancêtres ». Puis, il lance cet appel : « Je demande de tout mon coeur à mes petits-enfants, qu’imitant leur grand-père et ces lointains aiëuls, ils soient toujours fidèles à soutenir la Croix et à défendre cette Vérité enseignée par le Christ et dont le successeur de Pierre est seul dépositaire. Ainsi, à leur tour, ils pourront transmettre intact, à leurs descendants, ce dépôt sacré, dans tout l’éclat et la beauté d’une flamme inaltérée et lumineuse (...). En parcourant ces pages, ils constateront aussi combien dans la vie, le travail et l’ordre sont nécessaires ; et cela, autant pour acquérir une situation que pour la maintenir ».

  • 71 Pompignan se situe dans les Cévennes gardoises, à la limite des cantons héraultais de Claret et de (...)

33Les Durand sont originaires de Pompignan71. Victimes des guerres de religion, ils changent de résidence et s’établissent vers le xviie siècle à Mende puis à Montpellier où François Durand (1683-1763) fonde une maison de commerce. Rapidement, elle prend une importance considérable : les céréales, les vins, les eaux-de-vie et surtout la banque sont ses principales activités. Elle s’étend dans des pays du pourtour méditerranéen (Espagne, Italie...), ainsi qu’en Suisse, au Portugal, en Hollande... À la fin du règne de Louis XIV, sa banque jouissait « d’une réputation universelle et de la confiance générale ». Ses concitoyens en reconnaissance de sa position le nommèrent alors consul. De ses quatre fils, Raymond (1719-1789) l’aîné, son principal héritier, continua son oeuvre et Jean- » François », le second, devint le chef de la succursale de Perpignan et acquit dans cette ville une grande renommée. Il fut l’ancêtre de la branche qui revint à Montpellier avec le baron Durand et de celle qui se fixa à Marseille et à Paris. Signalons enfin, que Raymond Durand augmente encore le champ des activités de son père et préside la Chambre de commerce. Les Durand s’illustrent en 1773 lors de la disette. Craignant la famine et son cortège de misères et de troubles (les autorités redoutaient un soulèvement général), le vicomte de Saint-Priest, intendant du Languedoc, et le comte de Périgord, gouverneur de la province viennent exposer leurs inquiétudes à François Durand. Pour parer aux menaces, il ordonne la distribution, « sans majorer ses prix et le plus souvent à crédit » nous précise Marthe Durand de Girard, des dizaines de tonnes de blé en réserve dans les dépôts de Sète et de Montpellier. Ce geste lui vaut une très grande reconnaissance populaire et les représentants du pouvoir royal, pour le remercier, informèrent Louis XV de sa conduite. Il lui fit offrir des lettres de noblesse et le cordon de Saint-Michel. De telles distinctions impliquaient la cessation immédiate de toutes activités commerciales, ce qu’il ne souhaitait pas, d’où son refus. Toutefois, il se réserva le droit de les revendiquer plus tard. À la fin de sa vie, comme son second fils, Jean-Jacques-Louis Durand, le légataire de ses affaires ne manifestait aucun goût pour ce type de travail, préférant la magistrature, il entreprit la liquidation de ses activités économiques et, quinze ans après, accepta les lettres de noblesse.

  • 72 Il possédait le domaine de Lattes, les châteaux de Valfaunès, Lunel-Vieil et Saint-Just ; trois mai (...)
  • 73 Ses héritiers réussirent à conserver le domaine de Lattes, le château de Valfaunès et la maison de (...)
  • 74 Il fut nommé successivement commandant du Mitidga, de l’Osmanie, du Christ de Portugal.

34Sa progéniture devient le conseiller du roi, tout en présidant la cour des aides, comptes et finances. Dans le sillage de son père, elle secourut les victimes de la misère en mettant en place les « Ateliers de charité ». Celui qui était par ailleurs « Seigneur de Lunel-Vieil, Saint-Just, Alayrac et autres lieux », jouissait de l’estime générale dans les milieux aristocratiques ; ce qui contribua à sa nomination à la tête de la mairie de Montpellier à l’âge de vingt-neuf ans. Pleinement inséré dans les rouages du pouvoir, il lutte contre les menées révolutionnaires et finit sur l’échafaud alors que ses nombreux biens72 sont déclarés « acquis à la nation »73. Seul le fils aîné de Jean-Jacques-Louis Durand et de Pauline de Barbeyrac de Saint-Maurice, Raymond (1786-1837), consul de France en Pologne, laisse une postérité. Marcellin (1808- ?), le successeur de la lignée entre au conseil municipal du chef-lieu de l’Hérault et s’investit comme ses aïeux dans les oeuvres (il est vice-président de 1855 à 1877 de la société de Saint-Vincent-de-Paul). Le mariage de sa fille avec François de Baichis contribue au rapprochement des Durand avec les figures de l’aristocratie. Sa brillante carrière dans la marine74 sera couronnée par le commandement du yacht du duc d’Orléans : La Maroussia. Vers la fin de sa vie, de retour dans l’Hérault, ses amis royalistes le choisirent pour présider le conseil d’administration de L’Éclair.

35La branche cadette retiendra davantage notre attention. Le cumul des ramifications tentaculaires, que nous allons décrire grossièrement, fait véritablement franchir un cap nouveau aux Durand. Ils parviennent ainsi à se hisser au rang des « grandes familles ». Installé à Perpignan avant la Révolution, Jean-François (1724-1798), fils de François Durand, gère une annexe de la banque créée par son père. Il diversifia ses activités et fut le premier à organiser dans le pays le commerce des vins du Roussillon ainsi que l’importation des céréales. Parmi sa grande descendance (onze enfants), notons quelques trajectoires exemplaires :

  • 75 En particulier, il obtient différents contrats avec l’armée qu’il fournit, par exemple, en lits.

36• Le baron Jacques Durand (1758-1831) : Aidé par le frère de son père, il s’installe à Montpellier pour prendre en charge le secteur bancaire délaissé par son cousin devenu magistrat, tout en développant d’autres affaires75. Ses succès commerciaux lui permettent d’investir dans la terre et dans l’immobilier. Il achète, entre autres, ce qui deviendra un fief de la famille, le château et la propriété de Fontmagne, situés dans la commune de Castries et double l’étendue d’un domaine d’une centaine d’hectares de terres cultivables. L’essor de ses positions économiques et ses relations mondaines lui ouvrent les portes de la politique. Royaliste convaincu, élu au conseil général et au conseil municipal de Montpellier, il obtient un mandat de député en août 1815. Constamment réélu jusqu’à la fin de la Restauration, il vote avec la minorité de la Chambre introuvable. Sa fidélité sera récompensée le 3 janvier 1816 quand Louis XVIII lui confère le titre de baron. Marié avec Marie-Marguerite-Catherine Fajon, ils eurent quatre enfants dont :

37•• Auguste (1791-1820) : bien que mort prématurément à vingt-neuf ans, il laisse une postérité. De son mariage avec sa cousine germaine Héloïse Durand (1792-1812), fille d’Auguste Durand, député dans les Bouches-du-Rhône, il aura deux filles qu’épouseront des membres des « illustres maisons » de Grammont et de Sabatier d’Espeyran.

38•• Frédéric Durand (1796-1847) : l’héritier du titre de baron entame une carrière dans l’armée, tout en participant à la vie politique (conseiller général et municipal). Marié en 1818 à la fille du marquis de Dax d’Axat, maire de Montpellier sous la Restauration, ils auront six enfants :

39••• Gaston Durand de Fontmagne (1821-1877), nommé conseiller général en 1848, il laisse cinq enfants dont :

40•••• François Durand, baron de Fontmagne (1852-1938). Membre du conseil d’administration de L’Éclair, ce royaliste convaincu fait partie durant cinquante ans de la municipalité de Castries dont vingt-cinq au poste de maire. Marié à sa cousine germaine, Marthe Durand de Saint-Georges, il meurt sans postérité.

41•••• Jacques Durand de Saint-Georges (1837-1887) naquit à Montpellier et épousa Caroline Broussonnet, dont la soeur devint la marquise de Forton.

  • 76 Il devient même administrateur de la Banque de France.

42•• Achille Durand (1799- ?), troisième fils du baron Jacques Durand et de la baronne, née Fajon, s’investit, lui aussi dans la banque76. Ces bénéfices lui permettent d’acheter le château de Lavérune, plusieurs domaines à Cazouls-les-Béziers, Mudaison, Lattes et des biens immobiliers dans le chef-lieu du département et à Sète. Catholique et royaliste, il figure parmi les premiers actionnaires de L’Éclair. Marié à sa cousine germaine Amélie, réputée pour sa piété et son engagement dans les oeuvres charitables (elle avait son siège dans les chapelles des Carmes, des Pénitents blancs, de la Miséricorde), ils donnèrent naissance à quatre enfants dont :

43••• Valérie Durand (1823-1900) qui épouse le comte d’Espous déjà allié à la famille de Cabrières.

44••• Léopold Durand (1830-1885) : il se marie en 1861 avec Isabelle de Girard, fille du député de l’Hérault, considérée par Marthe Durand de Girard comme « l’un des plus beaux partis de l’époque ». Ce couple s’illustre par « son attrait pour les eaux ». Chaque année, il passe trois mois dans leur villa de Bagnères-de-Bigorre. Isabelle hérite de nombreuses propriétés : la moitié de Launac Saint-André à Fabrègues ; des vignobles à Capestang et à Villeveyrac ; huit cents hectares de chênes-verts avec des troupeaux de moutons et le commerce de bois près d’Aumelas. L’achat de La Fenouillède (un domaine composé de quinze hectares de vignes et d’une réserve de chasse réputée) complète son vaste patrimoine. Parmi leur descendance directe, notons que l’aînée, Madeleine, épousa son cousin germain le comte d’Espous.

45••• Dernier enfant d’Achille et Amélie, Élie Durand (1838-1904) se caractérise par sa personnalité. « De caractère à la fois affable et un peu distant, il savait se faire respecter. Sa valeur et son mérite personnel étaient unanimement reconnus. Autour de lui, parents et alliés, étaient nombreux, ils se groupaient formant un seul corps dont il était l’âme ». Très impliqué dans la restauration de la royauté, il préside l’instance suprême de décision sur le plan local et le conseil d’administration de L’Éclair. La grande influence, qu’on lui prête, serait due à son zèle communicatif, d’où le dicton : « À Montpellier, il faut être Durand ou endurant ». Il le déployait également à la présidence du conseil de Fabrique de Notre-Dame-des-Tables, à celle des écoles catholiques... Mgr de Cabrières aimait l’appeler son « Grand vicaire laïque » et il voyait en lui une des dernières « bonnes volontés » :

« À mesure que disparaissent au sein des oeuvres charitables les élites servant la cause du bien, Monsieur Durand, toujours résolu à les secourir, montait d’un degré dans la hiérarchie des volontaires du dévouement, si bien qu’après maintes pertes regrettables, Monsieur Durand était le soutien de toutes les oeuvres, quand il n’en était pas l’inspirateur et le chef ».

  • 77 Sur les usages politiques de la sociabilité mondaine, voir Jean Joana, Pratiques politiques des dép (...)

46L’entrain politique ne lui fait pas négliger les « affaires ». Il préside diverses sociétés régionales (les mines de Graissessac, les salins du Midi ou le canal de Beaucaire). Sa surface sociale repose sur un travail mondain de tous les instants77. Durant la première moitié de la Troisième République, l’aristocratie qui amorce un retour dans la vie publique rouvre les salons. A l’hôtel Durand, secondé par la « maîtresse de maison » Berthe Gêniez, Élie organise « une série de mercredis élégants, soirées musicales, dîners et bals très courus ». Leur vaste espace privé, « meublé avec art et recherche », était le coeur des réceptions. Au sein du salon, site de sociabilité privilégié de toutes les fractions du milieu dirigeant, se regroupent autour de l’hôte le noyau des habitués et quelques personnalités invitées. Ils commentent les événements politiques et préparent les prochaines échéances. Henry (1874-1928), fils aîné d’Élie Durand, « reçut » les positions sociales acquises par son père (présidence de L’Éclair et des diverses compagnies commerciales) mais n’eut pas la même envergure politique. Sa soeur, Marie-Antoinette, épousa le 6 avril 1904 Alexandre d’Andoque de Sériège. Propriétaire de grands domaines viticoles et amateur de safaris africains, il fut gagné par la fougue des membres de cette « grande famille » au service de l’expansion de L’Éclair. On relève sa présence au sein du conseil d’administration dans les années 1930.

47•• Quatrième et dernier enfant de Jacques Durand et de Marie-Marguerite-Catherine Fajon, Délia (1802-1882) se lia avec Isidore vicomte de Forton. Leur seul fils René, marquis de Forton (1833-1883), lui aussi préside aux destinés du « grand quotidien du Midi » et au comité monarchiste de Montpellier.

48Tout en admettant le côté parfois futile de la description établie sur la base de ce recueil de souvenirs « idéalisés », donnant de la lignée une image extérieure d’unité et de solidité, nous sommes remontés aux précurseurs d’une dynastie d’affaires devenue, avec le temps, partie intégrante de la noblesse par l’assimilation de ses caractéristiques identitaires et la mise en place de subtiles stratégies d’alliances. En circulant dans le labyrinthe des parentés, nous en avons fait émerger quelques-unes en dessinant des « portraits exemplaires ». Maillons d’une longue chaîne qui s’étire dans le temps et dans l’espace, fruit d’une sociabilité fermée ; ils façonnent, ce que nous appelons, une « grande famille ». Son étude dévoile des échanges généralisés et harmoniques entre les principales lignées nobiliaires présentes sur le terrain politique. Les groupes parentaux reliés par le mariage maintiennent une connexité forte. Il se dégage de cet éclairage superficiel une volonté réaffirmée de conservation de positions acquises par la construction et la protection d’un ensemble de liens de consanguinité et d’affinité.

49Faisant face à « l’ordre nouveau », les « blocs de granit » ne fléchissent pas. Les combats perpétrés dans la « Vendée du Midi » ont renforcé la popularité de la cause royale relayée par un clergé très conciliant. L’emprise de la noblesse repose en grande partie sur un effort de tous les instants pour se protéger contre un modèle politique qui recueille un nombre grandissant d’adeptes. L’objectif de la première partie était de faire un tour d’horizon pour appréhender les caractéristiques politiques des lieux et les moyens mis en place par les « grandes familles » pour freiner la marche en avant des principes édictés en 1789. À travers des incisions pratiquées sur quelques trajectoires représentatives, la découverte du milieu aristocratique replié sur lui-même s’est précisée. Alors que l’édification de la Troisième République annonce dans la plupart des départements le crépuscule de la revendication contre-révolutionnaire, elle va connaître ici un nouveau souffle grâce à l’engagement sans faille du porte-parole de l’Église diocésaine : Mgr de Cabrières. Durant près de cinq décennies, il fait franchir à la résistance « blanche » une étape prépondérante en organisant un entrelacement de réseaux d’acteurs et d’institutions toujours difficile à démêler aujourd’hui.

Notes

1 Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou le métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1991 (1ère Éd. 1941), p. 56.

2 ADH 1 M 1004.

3 35 personnalités soit 15,8 % du total sont dans la catégorie « inconnu » et 2,3 % dans « divers ».

4 Renaud Dorandeu, Faire de la politique : contribution à l’étude des processus de politisation. L’exemple de l’Hérault de 1848 à 1914, Thèse de doctorat de science politique, Université Montpellier I, 1992.

5 Renaud Dorandeu, « Les métiers avant le métier. Savoirs éclatés et “modèle notabiliaire” », Politix, n°28, 1994, p. 28.

6 Voir Alain Guillemin, « Aristocrates, propriétaires et diplômés. La lutte pour le pouvoir local dans le département de la Manche (1830-1875 », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 42, 1982, p. 33-60.

7 Paul Alliès, « Que sont nos notables devenus ? », Autrement, n° 122, 1991, p. 108-109.

8 Au sens qu’en donne André-Jean Tudesq in Les grands notables..., op. cit., p. 8-9.

9 L’exercice d’une influence à l’échelle nationale distingue les « grands notables » des autres (le maire, le curé, le notaire...) qui pèsent uniquement sur quelques familles. Voir André-Jean Tudesq, ibidem.

10 Marthe Durand de Girard, Trois cents ans de souvenirs. Récits d’une grand-mère à ses petits enfants, Perpignan, Imprimerie Labau, 1940.

11 Nous reviendrons plus loin sur l’histoire de cette famille.

12 Paul de Girard fut le père adoptif du mari de Marthe Durand de Girard.

13 Marthe Durand de Girard, op. cit., p. 286.

14 Pour l’anecdote, Marthe Durand de Girard nous révèle que Paul (son futur mari) et son frère Louis « furent les premiers à avoir des tricycles ». Paul conservera une passion pour les moyens de locomotion et en particulier pour les automobiles : « il eut d’abord une Darrac, six chevaux à un seul cylindre. Chaque année, il suivait à Paris le Salon de l’Auto et ramenait un nouveau modèle ».

15 Il en fut alternativement soit maire, soit adjoint au maire durant cette période.

16 L’hiver, toutefois, il allait à Montpellier mais ne passait pas une semaine sans revenir à Coulondres.

17 Yves Rinaudo, « Un équilibre méditerranéen : le pouvoir local entre l’État et le territoire », Études rurales, n° 101-102, 1986, p. 209.

18 André-Jean Tudesq, op. cit., p. 102.

19 L’Éclair, 19 mai 1898.

20 Le Petit Méridional, 18 mai 1898.

21 Marthe Durand de Girard, op. cit., p. 412.

22 Il conserve ce poste jusqu’à sa mort en 1925. À cause de problèmes de santé, il sera suppléé de plus en plus à partir des années vingt par l’avocat montpelliérain André Vincent qui a droit au titre de « délégué régional adjoint ».

23 Cité par Marthe Durand de Girard, op. cit., p. 291.

24 Cité par Marthe Durand de Girard, op. cit., p. 293-294.

25 Nous avons trouvé quelques informations sur cette lignée dans : Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des contemporains, Paris, Hachette, 1880, p. 1561 ; Dictionnaire biographique de l’Hérault, op. cit., Albert Leenhardt, Vieux hôtels montpelliérains, Bellegarde, Imprimerie Sadag, 1935, p. 27 ; Bernard Vaton, L’Éclair, journal quotidien du Midi (1881-1944), Thèse de doctorat de droit, Faculté de droit, Montpellier, 1967, p. 79. Depuis peu, nous disposons d’un travail universitaire sur le dernier représentant de cette famille ayant siégé au Parlement : Émilie Pierron, Itinéraire politique du comte Henri de Rodez-Bénavent du début du xxe siècle à la Seconde Guerre mondiale, Mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paul Valéry-Montpellier III, 2003.

26 Dictionnaire biographique..., op. cit.

27 Avant de le remplacer au conseil général, il avait été élu conseiller d’arrondissement en 1869.

28 Hormis entre 1877 et 1879, où un candidat rival dénommé Prirache le remplace.

29 Article du Nouvelliste de Lyon cité par L’Éclair du 16 septembre 1883.

30 Voir sur ce point les analyses de Marc Abélès dans Jours tranquilles .... op. cit. Plus précisément sur le rôle du nom voir du même auteur : « La référence familiale. L’hérédité élective et la vie politique locale : une approche anthropologique » in Claude Patriat, Jean-Luc Parodi, dir., L’hérédité en politique, Paris, Économica, 1992, p. 81-97.

31 ADH 3 M 1709.

32 Nous reprenons ici les termes de la définition de la notabilité donnée par Max Weber dans Le savant et le politique, op. cit., p. 139.

33 L’Éclair annuel, illustré. Édition publiée à l’occasion du Cinquantenaire de L’Éclair, Montpellier, Éditions Causse, Graille et Castelnau, 1931, p. 20.

34 L’Éclair, 13 mai 1932.

35 Pour témoigner de tout l’intérêt qu’il y porte, on notera que peu avant sa mort il fit le don d’une crypte destinée à leur chapelle.

36 Henri Gaillac, Les maisons de correction (1830-1945), Paris, Cujas, 1991, p. 163 et s.

37 Voir Marie Rouanet, Les enfants du bagne, Paris, Payot, 1992, p. 210.

38 Dans son enquête, Marie Rouanet a retrouvé des archives qui attestent de la sévérité des condamnations. On trouve dans ces « maisons de correction » des enfants ayant dérobé des « choses misérables » : « Louis Jacques, enfant naturel, treize ans, vol de bêtes à laine dans une bergerie, cinq ans de réclusion, exposition au carcan et surveillance à vie » ; « Cluzé Antoine, cinq ans de prison pour le vol d’une bourse contenant de l’argent »... Ibidem.

39 Ibid., p. 220-221.

40 Henri Gaillac, Ibidem.

41 Intervention de René de Forton au cours Congrès diocésain de 1907. Voir le fascicule intitulé : Association catholique Je la jeunesse française. Congrès diocésain (novembre 1907), Albi, 1908.

42 Voir Ronald Hubscher, L’histoire en mouvements. Le sport dans la société française (xixe-xxe siècles), Paris, Armand Colin, 1992, p. 111 et s.

43 L’Éclair, 13 mai 1932.

44 Jean-Denis Bergasse, op. cit.

45 Notons que Louis de La Roque ne la cite pas dans L’Armorial de la noblesse du Languedoc, Montpellier, Félix Seguin Editeur, 1860. Son étude se base sur « les preuves rigoureuses faites devant les intendants de la province, le conseil d’État du roi et les cours souveraines » (p. iv).

46 Rapport de police du 10 janvier 1912. ADH 1 M 1113.

47 Jean-Denis Bergasse, op. cit.

48 Jean-Louis Escudier, Viticulture et politique en Languedoc. L’action d’Adolphe Turrel, ministre de la Troisième République, Millau, Presses du Languedoc, 1995, p. 147.

49 Jean-Denis Bergasse, op. cit.

50 Nous puiserons des informations sur cette lignée dans Catherine Ferras, Architecture privée au xixe siècle. Les « châteaux » du vignoble en Bas-Languedoc occidental, Thèse de doctorat d’histoire de l’art, Université Paul Valéry - Montpellier III, 1987.

51 À l’origine Pierre Fayet (1737-1823), riche négociant patron sur le canal du Midi acquérit plusieurs domaines et châteaux (La Tour, à Montady ; le domaine de Milhau, celui de Védilhan de deux cent dix hectares...). Il adopta son petit-neveu Pierre (1793-1873) qu’il maria en 1822 à la fille du bâtonnier Jacques Azaïs, riche propriétaire aux portes de Béziers, fondateur de la Société archéologique de la ville en 1804. Gustave Fayet (1865-1925) fut l’unique héritier de cette prestigieuse lignée. Il ajoutera à son patrimoine : le château d’Igny, près de Paris ; une villa sur la Côte d’Azur, l’ancienne abbaye de Fontfroide... Voir Jean-Denis Bergasse, op. cit., p. 28.

52 « Si le terme de “château” renvoie à une époque, le Moyen-Âge, et à une fonction première, la fonction militaire ; au cours des siècles “l’agrément” se substitue à la “défense” » note Catherine Ferras. Voir Architecture privée au xixe siècle..., op. cit., p. 7.

53 Voir Catherine Ferras, op. cit.

54 C’est le cas par exemple des Lagarrigue. Ces grands bourgeois ayant fait leur fortune grâce au vin créèrent une banque établie à Béziers et s’impliquèrent, à partir du règne de Louis-Philippe, dans la vie politique locale. Ils donnèrent un maire et des conseillers généraux. Fernand Lagarrigue (1836-1902), homme de lettres et publiciste rompit avec cette tradition en choisissant de vivre à Nice et à Monaco.

55 Ils préfèrent profiter des loisirs que leur confère la richesse ou s’investir dans la vie culturelle intense à cette époque dans Béziers « l’opulente ».

56 On les retrouve nommés au conseil municipal de Béziers durant le régime de Vichy et, jusqu’aux années 1960, ils militent dans différents partis de droite.

57 Vincent Thébault, « Le bourgeois de la terre. Le placement foncier comme symbole de l’ascension sociale », Ethnologie française, XXII, n°4, 1992, p. 431-441.

58 Rapport du sous-préfet du 17 mars 1904. ADH 10 M 275.

59 Ibidem.

60 Rapport du 12 décembre 1904. ADH 10 M 277.

61 Télégramme du 13 décembre 1904.

62 L’Éclair, 18 décembre 1904.

63 Lettre du syndicat en date du 11 décembre 1904. ADH 10 M 277.

64 Souligné par d’Andoque.

65 Il reprend l’expression utilisée en occitan par les valets. Son décryptage n’est guère aisé, surtout pour le second mot « seyring »( ? ), il aurait dû écrire « seren ». Enfin « maître » en occitan s’écrit « mestre ». Quoi qu’il en soit, nous saisissons la signification générale de ce courrier.

66 Souligné par l’auteur de la lettre.

67 ADH 10 M 277.

68 Des troubles sociaux éclateront en octobre et novembre 1906. Ils sont à l’origine d’une grève très dure qui met en lumière une triple alliance entre l’influent d’Andoque, notable monarchiste ; Adolphe Turrel, ancien ministre des Travaux publics, membre éminent du parti progressiste de l’Aude et Bartissol, député des Pyrénées-Orientales. A. Turrel demande au préfet d’employer la méthode forte pour arrêter ce mouvement. Il semble soutenir d’Andoque car l’ancien ministre, pour avoir une chance aux législatives de 1906, a besoin de l’appui du milieu conservateur. Voir Jean-Louis Escudier, op. cit., p. 147-152 et ADH 10 M 280. D’autres conflits auront lieu de janvier à juin 1907 ainsi qu’en 1912.

69 Marthe Durand de Girard, Trois cent ans de souvenirs. Récits d’une grand-mère à ses petits enfants, Perpignan, Imprimerie Labau, 1940.

70 Monique de Saint-Martin, « Une grande famille », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 31, 1980, p. 6.

71 Pompignan se situe dans les Cévennes gardoises, à la limite des cantons héraultais de Claret et de Ganges.

72 Il possédait le domaine de Lattes, les châteaux de Valfaunès, Lunel-Vieil et Saint-Just ; trois maisons à Montpellier ; sept à Sète et une à Mèze.

73 Ses héritiers réussirent à conserver le domaine de Lattes, le château de Valfaunès et la maison de Mèze.

74 Il fut nommé successivement commandant du Mitidga, de l’Osmanie, du Christ de Portugal.

75 En particulier, il obtient différents contrats avec l’armée qu’il fournit, par exemple, en lits.

76 Il devient même administrateur de la Banque de France.

77 Sur les usages politiques de la sociabilité mondaine, voir Jean Joana, Pratiques politiques des députés français au xixe siècle. Du dilettante au spécialiste, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 201 et s.

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