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La persistance du Midi blanc

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Philippe Secondy

Première partie. La résistance des « blocs de granit »

Introduction à la première partie

Texte intégral

  • 1 De la capitale du Bas-Languedoc jusqu’aux Pyrénées-Orientales, aucun document ne la décèle. Voir G (...)
  • 2 Albert Soboul, Les campagnes montpelliéraines à la fin de l’Ancien régime. Propriétés et cultures (...)
  • 3 Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire du Languedoc, op. cit., p. 98-101. Voir également Paul Villaneix (...)
  • 4 Ils représentent entre 25 % et 35 % des réformés du pays. Il s’agit d’une véritable « forteresse » (...)

1La Grande peur1 a épargné le Bas-Languedoc qui connaît peu d’irréductibles partisans de la Révolution. Pourtant, la crise agraire est bien présente. Les vignerons parcellaires sont les premières victimes de l’effondrement de l’économie viticole. Une brève comparaison avec les autres régions, surtout celles des grandes cultures du Nord, nous offre la possibilité d’appréhender les raisons de la frilosité devant une vague qui emporte le pouvoir royal. En regardant la répartition du sol, on peut noter que « la faiblesse relative de la propriété privilégiée, et particulièrement ecclésiastique, ne pouvait pas fortifier beaucoup la haine de l’aristocratie dans une région où l’oppression féodale semble avoir moins pesé lourdement qu’ailleurs »2. Il en découle que la vente des biens nationaux, destinée à renforcer la propriété paysanne et la bourgeoisie urbaine, demeure mineure. On l’évalue à 4 % de la surface totale du département. Les ruraux privés de terre ne bénéficient guère dans ces contrées méridionales des mesures défendues par les nouveaux maîtres de l’État. « La Révolution ne se lie pas ici aux intérêts d’une classe nombreuse de citoyens », en conclut Emmanuel Le Roy Ladurie, qui poursuit en relevant que « les régions protestantes constituent le môle patriote par excellence »3. Avec environ 200 000 fidèles4, répartis entre les Hautes-Cévennes et le Languedoc-méditerranéen, nous sommes dans le principal foyer de l’Église réformée au plan national. Il s’agit d’un espace modelé par les heurts entre les catholiques et les protestants. La « guerre des camisards » contre Louis XIV visant à obtenir la liberté de célébration d’un culte interdit depuis la révocation de l’édit de Nantes en 1685 illustre bien l’intensité des clivages.

  • 5 Michel Vovelle, « Le poids des affrontements religieux dans la formation des options collectives m (...)
  • 6 Jean-Clément Martin, « Le temps des fondations », in Serge Berstein, Michel Winock, dir., L’invent (...)
  • 7 Nous reprenons ici une expression utilisée par Mgr de Cabrières à la fin du xixe siècle pour défin (...)

2La résistance change dorénavant de camp en 17895. Avec l’ouverture massive des voies de la contestation, l’intervention politique se généralise à toutes les communautés sociales. La réaction monarchiste rencontre un courant de sympathie important au sein des couches modestes mobilisées dans les réseaux clandestins malgré la phase de la « grande terreur » où une simple intention contre-révolutionnaire est dorénavant considérée comme un crime punissable6. Des paysans alliés aux prêtres réfractaires sillonnent les Cévennes et les garrigues formant une « Vendée du Midi ». La violence devient alors le moyen d’expression prédominant de bandes dispersées sur un territoire du refus au relief escarpé. Elles pourront s’appuyer sur la solidarité d’une noblesse qui a pu souffrir face aux mutations en cours. L’explosion révolutionnaire entraîne des exécutions, l’exil, mais n’élimine pas de la scène publique un milieu comparé à des « blocs de granit »7 qui ne s’effritent pas en dépit des tempêtes politiques incessantes. Il fait preuve d’un volontarisme étonnant pour retrouver un rang prééminent. Il s’agit d’une caractéristique toujours notable au cœur du xixe siècle reconnaît André-Jean Tudesq :

  • 8 André-Jean Tudesq, Les grands notables en France (1840-1849). Étude historique d’une psychologie s (...)

« Dans les régions du Nord et de l’Est (à l’exception de la Franche-Comté), on ne trouve guère de société aristocratique vers 1840 que dans les anciennes villes de Parlement, à Metz, à Nancy par exemple, société restreinte d’autant plus jalouse de ses titres et d’autant plus fermée qu’elle est sans influence. Dans les provinces méridionales, en Languedoc et en Provence surtout, il existait au contraire une noblesse plus nombreuse, (...) jalouse des grands bourgeois, elle excitait contre eux des éléments populaires sur lesquels elle conservait encore une influence certaine »8.

  • 9 À certaines périodes, comme sous la Restauration, « le roi fait des nobles à volonté » (article 71 (...)
  • 10 Philippe du Puy de Clinchamps, La noblesse, Paris, PUF, 1962, p. 72.
  • 11 « Dans la recherche de noblesse faite en France en 1666, il a été trouvé environ 2 084 familles no (...)
  • 12 La soif de revanche est exacerbée dans une ville comme Montpellier où les nobles ont vu leurs attr (...)

3Il ne sera pas facile de distinguer la noblesse d’extraction de celle ayant bénéficié d’un anoblissement par lettres, par charges ou par fonctions9. Ce qui peut laisser penser à certains que les titres obtenus après le séisme de 1789 sont à l’origine d’une « noblesse tronquée »10. Notons également qu’une évaluation numérique des familles appartenant à cette catégorie demeure difficilement envisageable. Pour autant, nous nous situons dans un secteur où elles occupent de larges positions sous la monarchie absolue au regard des provinces voisines11, tout en résistant à l’usure du temps. Les ressorts du pouvoir détenu par la très puissante frange légitimiste nous occuperont dans les pages suivantes. Plus précisément, notre projet est tout d’abord de nous imprégner de « l’esprit des lieux » en insistant sur les épisodes de chouannerie et leurs significations, avant de découvrir les mécanismes de contrôle social et politique qui s’instaurent dans le nouveau monde en construction12. Dans un dernier temps, à travers quelques parcours caractéristiques, nous délaisserons les arcanes de la domination pour nous attarder sur l’impact concret de familles « blanches » cherchant toujours à façonner les populations à l’orée du xxe siècle pendant l’avènement du modèle républicain.

Notes

1 De la capitale du Bas-Languedoc jusqu’aux Pyrénées-Orientales, aucun document ne la décèle. Voir Georges Lefebvre, La Grande peur de 1789, Paris, Armand Colin, 1988 (1ère Éd. 1956).

2 Albert Soboul, Les campagnes montpelliéraines à la fin de l’Ancien régime. Propriétés et cultures d’après les compoix, Paris, PUF, 1958, p. 81-82.

3 Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire du Languedoc, op. cit., p. 98-101. Voir également Paul Villaneix, dir., Réforme et révolutions. Aux origines de la démocratie moderne, Montpellier, Presses du Languedoc, 1990.

4 Ils représentent entre 25 % et 35 % des réformés du pays. Il s’agit d’une véritable « forteresse » car dans les autres régions, le pourcentage relevé dépasse rarement les 5 %. Voir Daniel Robert, Les Églises réformées en France (1800-1830), Paris, PUF, 1961, p. 4-5.

5 Michel Vovelle, « Le poids des affrontements religieux dans la formation des options collectives méridionales sous la Révolution française », in Collectif, Religion, Révolution, Contre-Révolution dans le Midi (1789-1799), Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, 1990, p. 215 et s.

6 Jean-Clément Martin, « Le temps des fondations », in Serge Berstein, Michel Winock, dir., L’invention de la démocratie (1789-1914), op. cit., p. 55.

7 Nous reprenons ici une expression utilisée par Mgr de Cabrières à la fin du xixe siècle pour définir la noblesse qui conserve des positions prééminentes sur la société locale. L’Éclair, 11 mars 1891.

8 André-Jean Tudesq, Les grands notables en France (1840-1849). Étude historique d’une psychologie sociale, Paris, PUF, 1964, p. 121.

9 À certaines périodes, comme sous la Restauration, « le roi fait des nobles à volonté » (article 71 de la charte constitutionnelle).

10 Philippe du Puy de Clinchamps, La noblesse, Paris, PUF, 1962, p. 72.

11 « Dans la recherche de noblesse faite en France en 1666, il a été trouvé environ 2 084 familles nobles en Bretagne ; 1 322 dans la généralié d’Alençon ; 524 dans celle de Champagne ; 1 627 dans celle du Languedoc ; 766 dans la généralité de Limoges ; 693 dans celle de Touraine, Anjou et Maine : un vingtième à peine, pouvait prétendre à la noblesse immémoriale et d’ancienne race. À la fin du règne de Louis XIV, le Languedoc comprenait vingt diocèses, dont deux archevêchés, pour une population de 1 566 038 habitants. Le corps de la noblesse se composait alors de 4536 gentilshommes répartis sur deux duchés, cinquante-cinq marquisats, dix-sept comtés, vingt-deux vicomtés, trois cent quatre-vingt-trois baronnies (...) ». Voir Louis de La Rocque, Armorial de la noblesse du Languedoc. Généralités de Montpellier, tome 1, Montpellier, Félix Seguin Libraire-Éditeur, 1860.

12 La soif de revanche est exacerbée dans une ville comme Montpellier où les nobles ont vu leurs attributions décliner depuis la fin de l’Ancien Régime. À cette époque, elle était le siège des États, de l’Intendance et de la Cour des Aides. L’aristocratie regrette les privilèges honorifiques ou administratifs dont elle jouissait. Voir Roselyne Etienne, La Restauration à Montpellier en 1814, Mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1974, p. 28.

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