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En Languedoc au XIIIe siècle

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Monique Bourin

Une ville forte, riche et très peuplée

Les fortifications de Béziers le 22 juillet 1209 - État des lieux

Olivier Ginouvez

Texte intégral

1Béziers véhicule dans la littérature médiévale et moderne l’image d’une place sûre, honorablement pourvue par la nature et les hommes. Au lendemain du siège et de la prise de la ville, Arnaud Amaury et Milon décrivent au pape Innocent III un lieu qui semblait suffisamment muni pour résister longtemps à n’importe quelle armée. La chanson de la croisade évoque pour ce qui la concerne une cité fortement fermée et si bien close de murs tout à l’entour, que d’un mois tout entier [les croisés] ne la sauraient forcer.

2D’un côté, les sources narratives émanent des proches d’Innocent III. On comprendra l’emphase de la description qui répond au souci d’accroître le mérite des assaillants. Cela est attendu en pareille situation. Nonobstant, les commentaires qui nous sont parvenus laissent entendre de façon plus ou moins avouée que Béziers et sa "muraille" n’ont pas été sans fortement impressionner les chevaliers et les piétons de l’armée croisée.

3De l’autre, les descriptions sont données par le camp languedocien. Les mots trahissent là l’étonnement devant le paradoxe d’un site si bien protégé et la mise en défaut aussi rapide de son système défensif.

4Contre toute attente, par conséquent, Béziers est rapidement prise et saccagée. Premier étonné, Pierre des Vaux-de-Cernay impute la brièveté du siège à la présomption de quelques habitants ; imprudemment sortis des remparts afin d’escarmoucher les assaillants ; rapidement mis en déroute par les ribauds et autres routiers, ces pauvres diables n’auraient pas eu le temps de refermer la porte par laquelle ils étaient sortis. D’autres invoquent l’intervention divine. Mais qu’en est-il réellement ? Peut-on remettre finalement en question les appréciations des contemporains de la croisade. Autrement dit, la fortification urbaine a-t-elle été plus impressionnante qu’efficace ?

Le facteur topographique

5Un élément important a joué, et joue encore aujourd’hui, dans la façon dont la topographie urbaine peut être appréhendée. Au sujet de Béziers, il est fréquent de parler de site de hauteur, de site perché, d’oppidum, plus rarement d’acropole. Ce n’est pas tant que ces appréciations soient fausses, mais elles ne recouvrent pas l’entière réalité des faits (Illustration hors texte I).

6L’assise de la ville, telle qu’elle est perçue depuis le confluent de l’Orb et du Lirou n’a rien à voir avec celle qu’ont appréciée les croisés en arrivant depuis Pézenas par l’ancienne voie Domitienne.

7Vu depuis le fleuve, Béziers est indéniablement perchée, mais la vieille cité ne couvre pas un sommet entouré d’abrupts. En termes typologiques, le site entre dans la classification des implantations dites "en appui sur à-pic", c’est-à-dire des implantations sur un rebord de plateau, voire une hauteur aux flancs asymétriques. Lorsque surgirent les troupes de Simon de Montfort, l’enceinte urbaine se déroulait sur un périmètre long de 2800 m. Or, sur ces 2800 m, seulement 830 (autrement dit moins d’un tiers) coïncidaient avec la brusque rupture de pente. Le reste consistait donc dans 2000 m de courtines dont le caractère défensif ne tirait aucunement parti du relief naturel.

8On voit donc déjà la fragilité et l’arbitraire du jugement fondé sur la seule appréciation partielle de la topographie du site.

Le facteur anthropique

9En ce début du XIIIe siècle, Béziers n’est pas l’agglomération la plus étendue et la plus peuplée du Languedoc. Elle est pourtant celle dotée de la plus longue enceinte. Due à la configuration étirée, et non centrée, de la morphologie urbaine, cette situation somme toute paradoxale, apparaîtra d’ores et déjà, non pas comme une qualité ou un avantage, mais comme un véritable point faible.

  • 1 Sa population est estimée aux alentours de 10 000 habitants.

10A l’arrivée des croisés, la ville de Béziers est en phase de croissance économique et démographique1 ; il en est ainsi de l’ensemble des agglomérations languedociennes. En 1188, à peine vingt ans avant le début des évènements, un bourg situé jusqu’alors extra muros a été "intégré" à l’assiette fortifiée par l’intermédiaire d’un mur propre dont les deux extrémités ont été gréfées à l’enceinte principale.

11Il faut bien reconnaître, à la suite de Monique Bourin, que la fortification de Béziers est donc loin d’être un système homogène et unique en ce début du XIIIe siècle (Bourin 1986). L’ensemble résulte de l’assemblage de plusieurs corps fortifiés. Certains de ces corps, pour tout dire, les principaux, sont externes. Mais d’autres corps vraisemblables existent à l’intérieur et sont dotés de tracés et de chronologies encore mal assurés,

L’enceinte canoniale

12Dominant l’entrée du fleuve dans sa basse vallée, le premier noyau fortifié mérite seul le terme de sommital. Un mur dont le tracé courbe mesure environ 600 m de long y délimite une surface de deux hectares et l’isole du reste du plateau.

Etat des lieux en 1209

  • 2 Quartier dont l’étude a été réalisée et publiée par Yves Esquieu)
  • 3 Suivant les proportions suivantes : ¼ le vicomte, ¾ l’évêque et les chanoines.

13En 1209, ce premier périmètre est officiellement le quartier canonial2. L’évêque et le chapitre y résident dans le claustrum établi autour de la cathédrale reconstruite durant le siècle précédent. Le mode d’occupation des lieux périphériques à l’église Saint-Nazaire est alors exclusivement religieux. Il en est ainsi depuis que la famille vicomtale s’est déplacée vers un autre secteur de la ville. Entre la fin du Xe siècle, peut-être dès le IXe siècle, et le milieu du XIIe siècle (au plus tard), les seigneurs de Béziers ont effectivement résidé dans les parages immédiats du siège épiscopal et du premier habitat canonial3.

  • 4 L’actuelle rue Viennet.

14A la fin du Xe siècle, un document du Livre Noir localise une chapelle Saint-Sauveur dans le château (castellum) de la cité de Béziers (L.N. 49). Connu par des textes postérieurs, le lieu de culte est privé, et n’est autre que celui du premier château vicomtal établi au nord-est de la cathédrale. Il occupe d’ailleurs l’étage d’une tour dont le rez-de-chaussée abrite un porche par lequel le vieux decumanus de la colonie romaine communique avec la zone fortifiée4.

  • 5 On peut d’ailleurs se demander si le terme de castellum donné dans la charte de la fin du Xe siècle (...)

15La mention de la chapelle Saint-Sauveur peu avant le tournant de l’an mille est intéressante à plusieurs titres. Elle donne, notamment, un terminus ante quem à la présence du vicomte d’Agde et de Béziers au voisinage de la cathédrale, ainsi qu’à la construction du mur courbe qui abrite son habitation et celle de l’évêque5.

Une enceinte d’origine paléochrétienne ?

16Dans son travail consacré au quartier canonial de Béziers, Yves Esquieu soumet pour la première fois l’hypothèse d’un mur d’enceinte courbe datant de l’Antiquité tardive (Esquieu 1992). Les chanoines, ainsi, auraient acquis la maîtrise foncière d’un "castrum" urbain dont la fonction, vu ses dimensions, était sans doute d’abriter les élites municipales et de protéger la population des quartiers extérieurs en cas d’ultime nécessité ; la présence d’une fortification réduite n’obligeant pas la restitution d’une occupation urbaine limitée à sa seule surface (Illustr. hors texte II).

17Doté d’un tracé encore aujourd’hui suggéré par un alignement de limites cadastrales et la présence localisée de brusque dénivelé, le mur en question comprendrait une porte, au moins deux tours, et posséderait une large structure essentiellement composée de matériaux antiques remployés.

18Encore visibles en 1628, les deux tours nous sont connues par un dessin du peintre Barral dans le carnet de voyage de Anne de Rulman. Selon Louis Noguier, l’une des deux tours tardo-antiques avait été réutilisée pour fournir un donjon au premier château vicomtal. Il n’en reste rien aujourd’hui, pas plus qu’il ne subsiste de tronçon du mur d’enceinte, à l’exception d’un amas de pierres de taille mis au jour dans la seconde moitié du XIXe siècle, lors de la destruction des "anciennes "prisons ouvertes sur la place Saint-Esprit - cette même place située à l’extrémité sud du decumanus et sur laquelle se serait trouvée la tour-porche occupée à l’étage par la chapelle castrale des Trencavel.

19L’hypothèse d’Yves Esquieu, d’attribuer le mur canonial à la fin de l’Antiquité, innovait par sa relecture d’une documentation ancienne, et non par l’interprétation de nouvelles données. A la suite de Louis Noguier, la présence d’un mur précoce était admise depuis le XIXe siècle par l’érudition biterroise (Noguier 1873-1874), mais les propositions anciennes (considérées au bout d’un certain temps comme des vérités) résolvaient tout autrement le problème posé par l’extension de l’ouvrage ainsi que par l’appréciation du périmètre que son élévation était censée protéger des jugements face auxquels Paul-Albert Février émettait très tôt de sérieuses réserves (Février 1989).

Quels vestiges en 1209 ?

  • 6 Les tours ont été détruites au XIXe siècle.

20Le mur d’enceinte qui limitait vers le nord le périmètre progressivement maîtrisé par l’évêque et ses chanoines ne conserve aujourd’hui aucun élément visible, tout au moins extérieur6. Mais qu’en était-il au début du XIIIe siècle ?

21Côté nord (autrement dit côté ville), il est vraisemblable que subsiste alors tout ou partie des courtines et des tours tardo-antiques. Eventuellement restauré ou localement remanié, le mur existe forcément à cette date puisque nous savons qu’il isole alors les chanoines du reste de la population. En 1209, les Trencavel ont quitté depuis au moins un demi-siècle le rebord de plateau, mais ils n’en gardent pas moins la main sur cette zone on ne peut plus stratégique et indissociable du système de défense commune. Yves Esquieu nous rappelle les conditions demandées en 1147 par le vicomte pour accorder aux chanoines l’ouverture d’une deuxième porte dans l’enceinte devenue canoniale. Raymond Trencavel autorise l’ouverture de la baie à la condition que l’ouverture soit fidèlement gardée en cas de conflit et à la condition de n’en confier la clef qu’à un chanoine dont la nomination relèvera de son seul choix.

22Une inconnue importante concerne la présence ou non d’un mur surplombant le dénivelé, côté sud. Si la fortification tardo-antique se développait sur la ligne de crête (mais pouvait-il en être autrement ?), il n’en subsiste aucun élément avéré ; des portions de murs de soutènement sont visibles dans la pente, mais les ouvrages sont disparates et demeurent non datés dans l’état des données. L’état du rempart côté sud au début du XIIIe siècle reste donc inconnu.

23Les seules architectures situées de ce côté-ci de la ville médiévale et dont on peut être assuré qu’elles existaient bien au moment de la croisade consistent dans un puissant mur de terrasse, chargé de soutenir et de défendre le cloître construit sur le côté méridional de la cathédrale. Si l’on fait abstraction des remaniements réalisés dans la courant du XIVe siècle, la construction présente encore aujourd’hui deux états datés du XIe et du XIIe siècle.

L’enceinte urbaine

24La deuxième fortification face laquelle ont stationné Simon Montfort et son armée est la véritable enceinte urbaine. Jointive aux courtines orientales de la fortification tardo-antique (qui se trouve dés lors isolée, pour ne pas dire coincée à l’extrémité sud-ouest du plateau), la surface enclose couvre désormais près de 25 hectares.

Etat des lieux en 1209

25Long d’environ 2000 m, le mur fortifié observe un tracé dont le détail des articulations demeure méconnu. Deux plans ont été proposés par le passé ; leurs auteurs les attribuent à l’Antiquité tardive, ou au haut Moyen Âge et considèrent que les ouvrages ont joué leur rôle jusqu’à l’époque moderne.

  • 7 C’est le cas d’un soi-disant tronçon de maçonnerie situé sous le mur pignon occidental de l’église (...)

26A partir des deux tours abordées dans les lignes précédentes, chacun argumente son propre déroulé du mur en fonction de vestiges (ou interprétés comme tels7), ou par la référence à des indices d’origine cadastrale. Le premier, soumis par Louis Noguier (Noguier op. cit.), et retenu par Monique Clavel (Clavel op. cit.) dessine un polygone "idéal" dont la vraisemblance est notamment desservie par l’absence d’assise archéologique. Le second, avancé par Yves Esquieu (Esquieu op. cit.), repris ensuite par Monique Bourin (Bourin op. cit.), tient compte de la topographie du site d’implantation ainsi que de certaines corrélations parcellaires. Il apparaît en cela plus crédible et sera pour cela retenu. La découverte récente d’un fragment de la muraille et une lecture régressive du cadastre napoléonien permettront d’en préciser certaines orientations.

27Les vestiges assurés de la première enceinte urbaine sont peu nombreux, pour ne pas dire rarissimes. Outre le fragment de mur mentionné supra et situé immédiatement au nord-est du chevet de la Madeleine, on peut mentionner la porte Olivier située aux abords sud-ouest du même lieu de culte.

Le second château vicomtal

28Arrivant depuis l’est par la voie Domitienne, les croisés ont d’abord pu jauger les murs du château vicomtal. C’est là, dans sa nouvelle résidence volontairement placée à l’angle sud-est de l’enceinte urbaine que Bernard Aton cèdera en 1214 les vicomtés de Nîmes et d’Agde à Simon de Montfort.

29Il ne subsiste rien aujourd’hui de cette fortification dont l’un des rôles était également de contrôler l’accès en ville par la voie littorale. Vraisemblablement construite durant le second quart du XIIe siècle, elle sera rasée en 1214 après le départ d’Amaury de Montfort. Le terrain libéré sera donné aux Jacobins afin qu’ils y construisent leur maison. Les frères prêcheurs y resteront un siècle. En 1347 le couvent sera détruit lors du conflit franco-anglais. Une nouvelle citadelle sera construite au même emplacement en 1585.

La question de la chronologie

30La datation de l’enceinte urbaine est un problème délicat. Son attribution à la fin de l’Antiquité a été écartée au profit du mur "récupéré" par l’évêque et ses chanoines.

31Dans l’état des données, il reste difficile de proposer une nouvelle chronologie pour l’ensemble. Les certitudes s’arrêtent à l’évidence d’un chantier qui doit être situé entre la construction de l’ouvrage tardo-antique (celui devenu canonial autour de la cathédrale) et 1188, date à laquelle un texte nous fait part du raccordement du bourg Saint-Aphrodise.

32Une information est tout de même intéressante. Elle concerne la date de construction du nouveau château vicomtal évoqué dans le chapitre précédent. En 1149, le pape Eugène III autorise Trencavel à bâtir une chapelle dans son palais (L.N. 167). Dans la mesure où la famille vicomtale possédait déjà un lieu de culte dans l’enclos récupéré par le chapitre, il est admis que la mention d’un nouveau sanctuaire permet de postuler que la famille vicomtale a déjà déménagé en ce milieu du XIIe siècle et qu’elle a pris possession de la résidence fortifiée que les textes mentionneront à plusieurs reprises .jusqu’en 1214.

33En1149, donc, les Trencavel logeraient déjà dans les murs de leur nouvelle résidence. S’y trouvent-ils depuis peu de temps, ou leur installation remonte-t-elle au siècle précédent ? Il restera difficile de se prononcer dans la mesure où il est impossible de savoir précisément jusqu’à quand la famille seigneuriale a résidé aux abords de la cathédrale.

34Ceci étant, on peut raisonnablement penser que l’autorisation de bâtir un lieu de culte privé a été rapidement demandée à la suite de l’installation de la famille vicomtale. Un postulat qui permet de penser que ladite installation était sans doute une affaire entendue dans le second quart du XIIe siècle.

35La date du déplacement de la famille Trencavel est importante dans la mesure où on peut légitimement s’interroger sur l’existence d’un lien éventuel entre le déménagement du vicomte et la construction du mur d’enceinte qui nous occupe. Si la fortification urbaine était aussi précoce qu’on le prétend, quelle aurait pu être la raison d’un déménagement aussi tardif ? Sachant que ce déplacement semble avant tout motivé par le souci de se coller au plus près de l’entrée de la route littorale (ex voie Domitienne) dans la surface intra muros ?

36L’hypothèse sera donc ouverte d’une ville de Béziers qui demeure exempte d’enceinte commune jusqu’au début du XIIe siècle et dont la dotation d’un mur enveloppant sera corrélative au déplacement de la famille vicomtale (Illustr. hors texte IIC).

37Le terme de commune est important. Il n’est pas question d’avancer l’hypothèse d’une agglomération totalement ouverte. Il s’agit de proposer la mise en œuvre relativement tardive d’un mur chargé de réunir dans un même périmètre plusieurs quartiers anciennement dotés pour certains de leur propre clôture (Illustr. hors texte II).

  • 8 Voir sur ce sujet Butaud 2006.

38La féodalisation des Xe-XIe siècle n’a pas touché que les campagnes. Elle a provoqué dans bien des cas un compartimentage temporaire de l’espace urbain8. On ne peut s’empêcher de penser à la topographie de Montpellier dont les différents noyaux fortifiés trouveront leur échéance dans la construction de la Commune Clôture à partir de 1206. Fabre, Lochard1992).

39Le sujet concernant la présence de corps fortifiés à l’intérieur de l’agglomération vicomtale des X-XIe siècles n’a jamais fait l’objet d’une étude approfondie. Dés 1986, pourtant, Monique Bourin attirait l’attention sur le fait que la cité comprenait de petits noyaux forts, tel celui qualifié de "bourguet" qui appartenait à Bota de Maureilhan, ainsi qu’une tour placée aux abords de la halle au blé (Bourin op. cit.).

40Il ne sera pas question d’entamer ici une étude régressive du parcellaire de la ville contemporaine. Quelques remarques générales fondées sur l’observation du cadastre de 1830 seront cependant énoncées.

41Premier constat, il semble que la cathédrale Saint-Nazaire ne soit pas le seul lieu de culte biterrois dont le parcellaire environnant se soit trouvé, quelque temps à l’abri d’une enceinte. Nous laisserons pour l’instant de côté le problème de Saint-Aphrodise, pour aborder les dossiers de la Madeleine et de Saint-Félix, les deux églises paroissiales de l’agglomération. Dans les deux cas, plus nettement dans le second que dans le premier, la présence d’unités de plans subsiste dans la trame cadastrale contemporaine. Il est encore bien tôt pour affirmer que les traces considérées doivent être identifiées comme les vestiges d’une contrainte parcellaire imposée par un mur ou un fossé d’enceinte. Il est temps néanmoins de se poser désormais la question.

42Les principales églises de la cité (Saint-Aphrodise, la Madeleine, Saint-Félix et Saint-Nazaire) sont autant de points qui jalonnent un même axe rectiligne orienté aux alentours de NG25°E. D’un bout à l’autre de la ville, cet axe (pur hasard ou contrainte cadastrale à identifier) décrit un tracé proche et parallèle à la rupture de pente qui souligne le périmètre occidental de l’assiette urbaine. Il frôle, mais demeure extérieur au périmètre dans les limites duquel nous proposons de replacer la ville médiévale antérieure à la construction de la grande enceinte commune.

43Agrégée à partir d’un noyau qu’il est tentant d’identifier au quartier actuel de la mairie (ancien zone du marché au grain), la zone habitée avant le XIIe siècle exclurait par conséquent de ses limites ovalaires (déjà fortifiées ?) les lieux de cultes abbatial, paroissiaux et cathédral (Confer Illustr. hors texte II).

44Il ne s’agit là encore que d’une hypothèse. Pour des raisons qui demeurent à comprendre, les grandes églises seraient donc absentes du premier "cœur" de ville médiéval.

45Cette localisation péri-urbaine des sanctuaires, et la possible cristallisation d’un habitat périphérique, expireraient avec la construction de la nouvelle clôture. Le mur, que nous proposons donc de voir contemporain du déménagement des Trencavel vers l’est et l’actuelle place de la Citadelle, intègrerait alors les quartiers de la Madeleine, de Saint-Felix et viendrait au sud-est se greffer sur l’enceinte de l’Antiquité tardive occupée par les chanoines de Saint-Nazaire. Ultérieurement rejointe par la fortification mise en chantier autour du quartier Saint-Aphrodise, cette enceinte serait celle à laquelle ont été confrontées les troupes de Simon de Montfort.

L’enceinte Saint-Aphrodise

46Le dernier volet du triptyque "mural" est mis en chantier à peine vingt avant l’irruption de Montfort et de ses troupes armées (Illustr. hors texte IIC). L’ouvrage est le mieux documenté des trois. Tout d’abord, un acte conservé aux Archives municipales nous renseigne sur le début de sa date de construction, 1188, et sur la façon dont les frais afférents à sa construction sont endossés par les habitants du bourg, l’abbé de Valmagne et l’abbé de Saint-Aphrodise. Ensuite, son tracé ne pose aucun problème de restitution (Illustr. hors texte III a).

47Greffée sur l’aile ouest de l’enceinte commune, la nouvelle clôture raccorde à la vieille ville l’habitat qui s’est tardivement développé autour des murs de l’abbaye Saint-Aphrodise ; une abbaye protégée par un mur propre et dotée d’un lieu de culte reconstruit au XIe siècle sur le site de l’une des deux grandes nécropoles de l’Antiquité et du haut Moyen Âge.

48Béziers fortifié s’agrandit ainsi de huit hectares, le mur qui l’enveloppe désormais mesurant 700 m de plus que le précédent (2800 au lieu de 2100 m). Deux nouvelles portes, sans compter les poternes, s’ajoutent à la liste déjà longue des ouvertures qui permettent d’accéder à l’habitat aggloméré. Le système défensif atteint là, si l’on peut dire, son apogée. Très vraisemblablement impressionnant, sa longueur et son caractère hétérogène sont les clefs d’une fragilité que Montfort et ses troupes démontreront presque à leur insu.

Conclusion : la question de l’"imprenabilité"

49En conclusion, la ville de Béziers et sa haute muraille apparaissent comme un ensemble composite dont les dimensions importantes résultent de l’assemblage de trois entités mises en chantier sur le long terme.

  • 9 On connaît le nom de dix ouvertures, ce qui est un chiffre minimum, sans parler des poternes.

50Ces dimensions n’ont pu que fragiliser la qualité cohésive de l’ensemble. L’adjonction du bourg Saint Aphrodise (les travaux de construction de la troisième enceinte étaient-ils d’ailleurs terminés en 1209 ?) a non seulement augmenté la longueur du périmètre à surveiller, mais a également accru le nombre de portes à protéger9.

51L’efficacité d’une fortification requiert non seulement le service de soldats de métier, mais également celui d’une population susceptible, c’est le cas de le dire, de monter au créneau. Le postulat est donc implicite : la longueur du chemin de ronde doit être proportionnelle au nombre des habitants en mesure d’être mobilisés. Si tel n’est pas le cas, il va de soi que la faiblesse numérique des civils doit être compensée par la présence accrue des militaires.

52Dans le cas qui nous occupe, les sources écrites nous apprennent que Trencavel et ses troupes ont déguerpi vers Carcassonne dés l’arrivée de l’armée croisée. On en conclura que la population civile ne pouvait guère compter que sur elle-même pour assurer sa protection. Or, le ratio périmètre mural/nombre d’habitants est à Béziers l’un des plus importants de la région. Egal à celui de Narbonne, une fois et demi supérieur à celui de Montpellier (Figure 1 p. 200).

53En fin de compte, Béziers apparaît donc comme une ville fragilisée par les prétendues qualités d’un système défensif dont l’extension mal contrôlée a produit un ensemble disproportionné en regard du nombre d’assiégés en mesure d’en compenser les faiblesses.

Tableau 1. Montpellier A : enceinte du milieu du XIIe siècle ; Montpellier B : Commune Clôture ; Béziers A : enceinte urbaine ; Béziers B : enceinte du bourg Saint-Aphrodise ; Narbonne A : enceinte de Cité (rive gauche) ; Narbonne B : enceinte de Bourg (rive droite) ; Carcassonne : Cité sommitale.

Ville

Périmètre

Surface

Ratio périmètre mur/surf.

Montpellier A

1400 m

14 hectares

Montpellier B

2700 m

48 hectares

56 m d’enceinte pour 1 hectare d’habitat

Béziers A

2100 m

25 hectares

avec Béziers B

2800 m

33hectares

84 m d’enceinte pour 1 hectare d’habitat

Narbonne A

1730 m

17 hectares

avec Narbonne B

2830 m

34 hectares

83 m d’enceinte pour 1 hectare d’habitat

Carcassonne

1130 m

7,5 hectares

151 m d’enceinte pour 1 hectare d’habitat

Figure 1. Sur fond de cadastre actuel, les plans comparés des enceintes urbaines médiévales de Béziers (A), Montpellier (B), Narbonne (C) et Carcassonne (D). [Échelle : 200 m] Sur fond de cadastre actuel, l’état des fortifications des grandes agglomérations du Languedoc au début du XIIIe siècle. Béziers en A : le premier périmètre fortifié (en noir) a été récemment agrandi vers le nord, avec la greffe du mur élevé autour du bourg Saint-Aphrodise (en gris). Montpellier en B : la première enceinte du milieu du XIIe siècle (en noir) et la construction en cours de la Commune-Clôture (en pointillés gris). Narbonne en C : la première enceinte attribuée à la fin de l’Antiquité (en noir) et le mur mis en chantier à la fin du XIe siècle autour du bourg Saint-Paul (en gris). Carcassonne en D : la ville sommitale dont la fortification tardo-antique n’a pas encore fait l’objet d’importants remaniements.

Figure 1. Sur fond de cadastre actuel, les plans comparés des enceintes urbaines médiévales de Béziers (A), Montpellier (B), Narbonne (C) et Carcassonne (D). [Échelle : 200 m] Sur fond de cadastre actuel, l’état des fortifications des grandes agglomérations du Languedoc au début du XIIIe siècle. Béziers en A : le premier périmètre fortifié (en noir) a été récemment agrandi vers le nord, avec la greffe du mur élevé autour du bourg Saint-Aphrodise (en gris). Montpellier en B : la première enceinte du milieu du XIIe siècle (en noir) et la construction en cours de la Commune-Clôture (en pointillés gris). Narbonne en C : la première enceinte attribuée à la fin de l’Antiquité (en noir) et le mur mis en chantier à la fin du XIe siècle autour du bourg Saint-Paul (en gris). Carcassonne en D : la ville sommitale dont la fortification tardo-antique n’a pas encore fait l’objet d’importants remaniements.

Bibliographie

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Tel 1953 : TEL (J.).- Béziers. L’enceinte murale. Ouvrage dactylographié, 1953.

Notes

1 Sa population est estimée aux alentours de 10 000 habitants.

2 Quartier dont l’étude a été réalisée et publiée par Yves Esquieu)

3 Suivant les proportions suivantes : ¼ le vicomte, ¾ l’évêque et les chanoines.

4 L’actuelle rue Viennet.

5 On peut d’ailleurs se demander si le terme de castellum donné dans la charte de la fin du Xe siècle désigne l’habitation vicomtale proprement dite ou l’assiette sommitale dans sa globalité.

6 Les tours ont été détruites au XIXe siècle.

7 C’est le cas d’un soi-disant tronçon de maçonnerie situé sous le mur pignon occidental de l’église de la Madeleine et d’une construction découverte au XIXe siècle à proximité de ce même lieu de culte, entre la place Saint-Esprit et la rue Casimir-Péret.

8 Voir sur ce sujet Butaud 2006.

9 On connaît le nom de dix ouvertures, ce qui est un chiffre minimum, sans parler des poternes.

Table des illustrations

Titre Figure 1. Sur fond de cadastre actuel, les plans comparés des enceintes urbaines médiévales de Béziers (A), Montpellier (B), Narbonne (C) et Carcassonne (D). [Échelle : 200 m] Sur fond de cadastre actuel, l’état des fortifications des grandes agglomérations du Languedoc au début du XIIIe siècle. Béziers en A : le premier périmètre fortifié (en noir) a été récemment agrandi vers le nord, avec la greffe du mur élevé autour du bourg Saint-Aphrodise (en gris). Montpellier en B : la première enceinte du milieu du XIIe siècle (en noir) et la construction en cours de la Commune-Clôture (en pointillés gris). Narbonne en C : la première enceinte attribuée à la fin de l’Antiquité (en noir) et le mur mis en chantier à la fin du XIe siècle autour du bourg Saint-Paul (en gris). Carcassonne en D : la ville sommitale dont la fortification tardo-antique n’a pas encore fait l’objet d’importants remaniements.
URL http://books.openedition.org/pupvd/docannexe/image/11236/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 182k

Auteur

Unité mixte de recherche 5140 : Archéologie des sociétés méditerranéennes Chargé d’études à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP)

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