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Les Soldats de la mémoire

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Hélène Guillot

Introduction

Texte intégral

Depuis le 12 mars 2008, et le décès de son dernier poilu, Lazare Ponticelli, la France est entrée dans une nouvelle ère du souvenir. Ce légionnaire avait fini par incarner tous ses camarades et donnait une dimension humaine, et donc tragique au conflit, touchant directement les Français. Avec lui disparaît une certaine forme de représentation et donc d’appropriation de la mémoire de guerre nationale. À l’occasion de la célébration du centenaire de la Grande Guerre, les questions de mémoire ont non seulement été mises sur le devant de la scène par l’État, mais ont surtout trouvé écho dans la société en suscitant l’intérêt du grand public.

  • 1 Sorlin Pierre, Les Fils de Nadar : « Le siècle » de l’image analogique, Paris, Nathan, « F (...)

1L’année 2014 a ouvert un cycle d’hommages multiples, pédagogiques et didactiques, sur une période de cinq ans. Ainsi, la commémoration mobilise-t-elle les descendants des anciens belligérants autour d’un nécessaire « devoir de mémoire ». Traversant les générations, le souvenir de la Grande Guerre demeure en partie dans l’imaginaire collectif grâce aux images qu’elle a produites. En effet, un temps orale et écrite, la mémoire passe à partir du xxe siècle par la photographie, image analogique et mode de représentation dominant1. Elle capture le temps et produit les souvenirs vers lesquels les Français se tournent.

Les images de guerre, quelles sources utiliser ?

  • 2 Leray-Burimi Sylvie (dir.), Vu du front, représenter la Grande Guerre, Somogy, BDIC, musée (...)

2L’omniprésence de la photographie, et de l’image en général, n’est pas une évidence en 1914. Pourtant, la technique de prise de vue est déjà très largement aboutie. Lorsque la Grande Guerre éclate en Europe en août 1914, elle n’est pas l’objet spontané de reportage photographique pour l’État français, alors même que des expériences ont déjà été menées : en Crimée, pendant la guerre de Sécession aux États-Unis ou pendant la Commune de Paris, mais aussi pendant les guerres russo-japonaises et la guerre des Balkans2. Les photographies prises alors laissent, encore à cette époque, une large place au travail des peintres aux armées pour représenter le conflit et orienter ainsi le sentiment qu’il doit susciter. À l’inverse, pendant la Première Guerre mondiale, la photographie semblerait éclipser la peinture. Non que la peinture de guerre n’existe pas, mais les expositions d’œuvres picturales attirent beaucoup moins de visiteurs désormais davantage intéressés par les photographies exposées ou proposées dans la presse. En effet, la guerre produit une masse considérable de clichés dont l’origine est tantôt publique, tantôt privée.

3Organisée par la mission du Centenaire, la Bibliothèque nationale de France et le réseau des archives de France, la Grande Collecte a suscité beaucoup d’intérêt auprès des Français montrant aussi leur attachement aux souvenirs familiaux et leur pleine conscience de leur richesse testimoniale et patrimoniale. Elle a aussi témoigné de l’importance des collections photographiques privées, méconnues car conservées par des particuliers. Certaines restent en effet à l’état de reliques jusqu’à leur destruction car, malheureusement, leur découverte ne suscite que de l’embarras chez les descendants des photographes.

4Sans remettre en cause leur intérêt, ces fonds présentent des écueils certains pour l’historien. Ils se limitent souvent à un petit nombre d’images et reflètent un parcours individuel, celui de leur créateur. De plus, les fonds privés sont assez hétérogènes. Les images n’y sont pas toujours légendées, et, bien souvent, le temps a eu raison des négatifs originaux. De surcroît, en raison même de leur origine, une pratique amateur à titre personnel, leur diffusion est extrêmement limitée, voire inexistante pendant et après la guerre. Parallèlement à la production de ces images d’amateurs, il existe en France des reporters de la Grande Guerre, des hommes au service de l’État, qui agissent pour répondre à des missions plus politiques, disposent de moyens conséquents et dont les images sont diffusées en grand nombre. Ces hommes portent l’uniforme de l’armée française et servent au sein de la Section photographique de l’armée (SPA).

Les photographes de l’image officielle

5Créée au printemps 1915, la SPA, par son ampleur et son rayonnement international, marque un véritable tournant dans l’utilisation de l’image analogique fixe, tant en France que dans le monde. Ayant comme objectif affiché la lutte contre la propagande adverse par l’image, elle n’en est pas moins un outil gouvernemental qui façonne et établit la mémoire de la nation. La SPA est une création des ministères de la Guerre, des Affaires étrangères et de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. Dès l’origine, les images produites sont traitées comme un fonds d’archives en devenir, source de la mémoire immédiate et officielle, fabriquée pour et par la propagande, mais aussi fondement d’une histoire à venir. En 1915, la fabrique de la mémoire devient en France affaire d’État. L’administration s’implique donc et oriente les choix de production, de façon à constituer un fonds d’archives destiné à la fois aux contemporains, mais également à leurs descendants. Cette double dimension dicte la production tout au long de la guerre. En 1919, les photographes cessent de partir en reportage, marquant ainsi la fin de leur carrière au service de la SPA.

La constitution d’un corpus représentatif

  • 3 Cf. état des sources.

6Mis à part les négatifs d’origine, conservés pour la majeure partie par l’Établissement de communication de production audiovisuelle de la Défense, les archives se répartissent entre les ministères fondateurs, à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine (MAP), et à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC)3.

  • 4 L’autre partie des négatifs, constituée principalement de la série K, est conservée à la M (...)
  • 5 La tutelle du fonds par la Société d’art et d’histoire Cf. De l’armistice à la non-dissolu (...)

7La quasi-totalité des plaques de verre négatives est conservée par l’ECPAD au fort d’Ivry4 depuis le milieu du xxe siècle. Malgré les recherches et les échanges avec les établissements impliqués dans l’histoire de la SPA, il demeure difficile d’identifier avec certitude l’année d’arrivée des plaques au fort d’Ivry. En effet, un temps conservées au Palais de Chaillot sous l’égide de la Société d’art et d’histoire, chargée de commercialiser les vues après la guerre5, les plaques ont été cédées au ministère de la Défense dans la perspective d’une meilleure conservation. Lorsque l’armée diffuse et commercialise alors le fonds, elle choisit de faire une sélection de plaques dans chaque série, de façon à proposer aux lecteurs un échantillon de l’ensemble du fonds. Chaque plaque sélectionnée est contretypée et les tirages peuvent ainsi être exécutés à partir de négatifs souples, laissant les plaques de verre à l’abri des mauvaises manipulations. Les critères de sélection sont assez confus et le principal écueil de ce choix a été de penser qu’extraire un nombre à peu près égal de clichés dans chaque série constituerait un reflet fidèle de la totalité du fonds. Les opérateurs n’exécutant absolument pas le même nombre de plaques par série, le principe n’était pas satisfaisant. De fait, certains ensembles peuvent se composer d’une centaine de photographies et d’autres, à l’extrême, de plusieurs milliers. Enfin, un dernier élément remet en cause cette première sélection : les séries ne se déploient pas toutes sur la même période.

8Le fonds de la SPA présente l’avantage de comporter encore les négatifs originaux, des plaques de verre, et les légendes qui les accompagnent, permettant ainsi une identification sans équivoque de l’objet des reportages ou, tout du moins, de leur intention originelle. Par ailleurs, deux plans de numérisation, l’un en 1999, l’autre en 2005, achevé en 2011, ont permis de traiter 90 000 plaques de verre.

  • 6 Émulsion sèche au gélatinobromure d’argent.

9Le corpus d’étude a été composé en fonction de l’état de numérisation des séries en 2003, ce qui correspond à 11 000 plaques négatives6 en noir et blanc, soit 12 % du fonds. Ce choix tient essentiellement à la difficulté que présente la consultation des plaques de verre. La plaque de verre est en effet un support extrêmement fragile à manier avec précaution, ce qui ralentit considérablement le temps de visionnage. Ainsi, pour pouvoir regarder une plaque négative, il est nécessaire de disposer d’un moniteur associé à une petite caméra. Un simple réglage de cette dernière permet une visualisation de l’image dans sa version positive. Le port de gants est bien entendu obligatoire de manière à ne pas inscrire de marque sur l’émulsion. Par conséquent, étudier un corpus d’images conservées sous forme de plaques de verre est délicat et se révèle très lent. De plus, une règle élémentaire de conservation, consistant à manipuler le moins possible les supports fragiles, limite l’accès direct aux plaques. L’utilisation de la copie numérique des vues devient donc une évidence. D’autant plus que chaque série numérisée a été reproduite dans sa globalité. Les vues sont de plus numérisées sans être dénaturées. Il n’est pas question de nettoyer les négatifs, de rajouter du contraste et de supprimer les défauts tels que les taches. Parfois, des plaques cassées, laissant apparaître des fissures, ont été réhabilitées et proposent une vue débarrassée d’un trait traversant l’ensemble du cliché.

  • 7 Cette série est composée de plus de 10 000 plaques de verre exécutées par des dizaines de (...)

10Le choix de limiter l’étude aux plaques numérisées en 2003 pose cependant la question de la représentativité du corpus par rapport au fonds. Ainsi, si aucune image de l’armée d’Orient ne figure dans le corpus, cela ne signifie pas que le fonds n’en comporte pas. Ces vues se concentrent principalement dans la série K7, non encore numérisée en 2003.

11En effet, l’objectif de ce travail n’est pas d’exposer toutes les facettes de la guerre, ni de s’évertuer à les retrouver sur les plaques de verre. En revanche, l’enjeu est de définir la photographie officielle, de comprendre de quelle manière elle est construite et fabriquée, par qui et dans quelles perspectives.

12Le volume du corpus est suffisamment important pour laisser paraître les principales orientations. Aussi, les prises de vue répondent-elles à un objectif de propagande et le sujet représenté importe-t-il moins que la manière dont il est mis en scène. Bien entendu, l’approche de l’image passe par la connaissance du contexte dans lequel elle a été réalisée. Le choix de considérer quelques séries photographiques complètes, plutôt que des échantillons de l’ensemble des séries, permet de présenter l’intégralité du travail des photographes sur toute la durée de la guerre et d’en étudier l’évolution.

13L’ECPAD et la MAP possèdent, par ailleurs, des plaques autochromes, qu’il a été jugé préférable d’exclure du corpus. L’identification de ces plaques pose aujourd’hui encore des problèmes. Ce n’est toutefois pas l’unique raison de l’exclusion. Les autochromes ne sont pas des images imprimables, les reproductions sont assombries, dénaturées, à l’inverse des plaques en noir et blanc, les écartant, de facto, du sort réservé à la plupart des vues de la SPA et donc d’une diffusion multiforme. Enfin, un dernier élément technique, et non des moindres, les différencie des plaques négatives : la composition même de l’émulsion nécessite des temps de pose dépassant largement la seconde, ce qui les rend très peu représentatives du fonds et des pratiques de la SPA.

La déformation des sources

14Un œil exercé au visionnage de fonds photographiques ne peut se soustraire à la méthodologie, dès lors qu’il s’agit d’un travail scientifique de cette ampleur. Malgré tout, il existe un paramètre invisible et incontrôlable : la déformation des sources.

  • 8 Farge Arlette, « La photo est interminable », in Goetschel Pascale, Jost François, Tsikoun (...)

15Pour l’historien, la photographie est une source de piège, un espace peu tranquille entre « cela a déjà eu lieu » et le « je vais vous dire ce que j’en pense » puis le « j’en pense ce que je veux, j’y vois ce que j’y vois » qui est la propriété de la réception8.

16Il est évident que la culture visuelle et la sensibilité d’un chercheur du xxie siècle ne sont pas celles d’une personne vivant pendant la Première Guerre mondiale. Cette différence de point de vue est à prendre en compte lors de la phase de classement des clichés dans la typologie retenue.

17De fait, il a été choisi de signifier au bas de chaque image utilisée la légende d’origine fournie par le reporter lui-même, soulignant ainsi le sujet de son reportage et son intention première. Si les photographies parlent souvent d’elles-mêmes, sans texte ou identification, elles laissent aussi libre cours à l’imagination de chacun. À l’inverse, la propagande subordonne l’image au texte pour lui faire dire ce qu’elle veut. Les légendes d’origine de la SPA sont souvent différentes de celles publiées par la presse illustrée, qui régulièrement ajoute des explications suggérant alors à son lecteur l’intérêt du cliché présenté. Les légendes, de même que l’indexation d’origine du fonds, nous permettent de cibler l’objectif de la prise de vue. Ne pas tenir compte des moyens d’identification et de classement de l’époque serait une grave erreur. Chaque plaque de verre est numérotée, référencée et ses cotes renvoient à des cahiers de légendes. Les premières séries numérisées ont été celles pour lesquelles l’ECPAD disposait d’identification formelle. Les cahiers se répartissent entre les ministères impliqués dans la création, et les institutions héritières échangent leurs informations depuis une dizaine d’années, de sorte que chacune possède les outils d’identification de chaque image conservée en son sein.

  • 9 Cette phase d’analyse a été longuement développée dans ma thèse. Guillot Hélène, Photograp (...)

18L’analyse du corpus a été réalisée en plusieurs phases, impliquant directement ou non les images en elles-mêmes. Le corpus a été d’abord décomposé en diverses thématiques, pour y classer les sujets des reportages. La typologie définie a été comparée à celle de l’époque, connue grâce à un fichier de classement conservé par la BDIC. Les occurrences des thèmes ont été relevées au cours du visionnage de l’intégralité des reportages, cliché par cliché. Chaque reportage étudié peut correspondre à plusieurs thèmes, ce qui s’explique par le fait que les reportages étaient réalisés pour répondre à différents objectifs. C’est au cours de cette étape que la déformation des sources est la plus risquée, nos référents visuels n’étant plus ceux des contemporains de la guerre9.

Des photographes au service de la nation ?

19L’objectif de cet ouvrage est de montrer comment les photographes de la SPA alimentent et servent le discours politique français pendant la Grande Guerre. Pour cela, nous ne devons pas perdre de vue la double mission de la SPA, qui consiste à la fois à produire une image de propagande, mais aussi à constituer un fonds d’archives. Nous pouvons nous demander de quelle manière fonctionne la SPA pour trouver un équilibre entre ces deux missions. Alors que la guerre génère exclusivement des décisions à court et moyen termes, l’administration envisage, dès l’envoi des premiers photographes sur le terrain, une utilisation du fonds photographique à long terme, au-delà de la fin de la guerre, alors même que personne n’a de visibilité sur les événements.

20Par ailleurs, c’est lors de ce conflit que la photographie devient un mode d’information prééminent et que les autorités prennent conscience de son influence sur l’opinion à long terme. La Grande Guerre est un catalyseur qui change le regard porté sur l’image et offre de nouvelles perspectives à ses producteurs. Quelle est la nature de ces clichés destinés à servir la nation ? En quelle quantité sont-ils produits ? Quelle est la marge de manœuvre des photographes ? Comment ces images analogiques sont-elles utilisées ? Quel est le public visé et en quoi tous ces éléments sont-ils si nouveaux ?

De la production à la diffusion : quel fonctionnement pour quel résultat ?

21Pour comprendre ce que les images représentent et comment elles cadrent la Grande Guerre, il convient de connaître en détails les auteurs des images. Ces photographes travaillent au sein d’une structure interministérielle. Il nous faut donc nous interroger sur les conditions de la création de la Section : qu’y-a-t-il derrière le sigle SPA ? Comment la nécessité de recourir à la photographie s’est-elle imposée, quels moyens ont-ils été utilisés, en hommes et en matériels ?

22Autant de questions dont les réponses reposent sur l’identification des différents acteurs de la production et de la diffusion de l’image fixe officielle de guerre. Certes, machine politique en 1915, unité atypique placée dans l’organigramme du ministère de la Guerre, la SPA ne s’est pas imposée d’elle-même lors de l’entrée en guerre en août 1914. La photographie ne présente plus de difficultés techniques majeures dans les années 1910, et occupe déjà, dans la société civile, une place pourtant fort différente de celle qui va devenir la sienne au cours de la guerre. Quant à l’armée, elle n’est, à l’évidence, pas vraiment consciente du potentiel stratégique du support. Pourtant, la création d’une section photographique intéresse au plus haut point les trois ministères cofondateurs. Chacun trouve dans la mise en place d’une production officielle d’images des intérêts qui, tous bien entendu, servent la nation. Les tractations sont exercées par des personnalités politiques et, de fait, civiles. L’objectif est donc de montrer en quoi la création de la SPA répond aux besoins de chaque ministère pour l’exercice de sa propre mission. En d’autres termes, comment la photographie devient-elle, au cours de l’année 1915, une nécessité d’État ? Dans quelle mesure doit-elle sa création à la guerre et pourquoi est-il impossible de parler de dissolution de la SPA après l’armistice, alors même que sa mission semble accomplie ? Quelles sont les raisons qui poussent le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts à marquer de plus en plus son engagement pour la cause de cette unité spécifique ?

  • 10 Le cadre de classement est commun à tous les services d’archives départementales français.

23L’étude de la SPA ne peut se borner à celle de ses fondateurs et de leurs objectifs. Les reporters ne travaillent pas seuls, et, surtout, la Section exécute des missions selon une organisation définie. Les principaux acteurs sont évidemment les reporters eux-mêmes. Les auteurs sont tous identifiés. Cependant, une difficulté majeure s’est avérée insurmontable. Si le travail des photographes n’est pas tombé dans l’oubli, leur parcours et leur existence ont été très difficiles à cerner. Les archives départementales (AD) conservent, dans la série R-Affaires militaires10, des états signalétiques et des services de tous les hommes recensés dans chaque département et regroupés chronologiquement par classe. Si nous possédons les dates des classes des photographes, nous n’en connaissons malheureusement pas les départements d’origine. Toutes les archives départementales ont été sollicitées, mais les résultats de l’enquête se sont révélés décevants. Ainsi, le peu d’informations détenues sur les photographes ne permet-il pas de donner des réponses efficaces. Cependant, l’un de ces photographes se distingue, car il a laissé des traces dans l’histoire de la Tunisie et de la France : Albert Samama-Chikli. C’est le cas également du chef de la Section, Pierre-Marcel Lévi, personnalité des Beaux-Arts dans les années 1910. Si ces deux destins sont connus, ils le sont de manière exceptionnelle. Ainsi, la vie et le parcours professionnel des membres de la Section sont-ils difficiles à reconstituer. Les archives révèlent pourtant le nom des chefs de bureau et ceux des effectifs dont ils ont la charge. Cet état des lieux permet de cerner au mieux la force déployée et l’investissement consenti par les ministères pour faire fonctionner la Section.

24Par ailleurs, les contraintes matérielles et techniques sont à prendre en compte pour le laboratoire de la Section à Paris et, par conséquent, pour les appareils utilisés par les hommes sur le terrain. Il est possible d’identifier toutes les étapes de production, ainsi que tous les acteurs de la SPA, du départ en mission du photographe à l’archivage de ses plaques de verre, ultime phase avant la diffusion des images.

25La SPA définit les thèmes des reportages en fonction des événements qu’elle souhaite voir figurer dans son fonds. Seront présentées ici les conclusions de l’étude qui a été réalisée sur vingt thématiques réparties en cinq ensembles : la puissance militaire française, les armées étrangères, les dommages de guerre, la population civile, le sentiment national. Dans un second temps, les thèmes seront présentés en fonction des reporters. Le système photographique officiel a priori très encadré, laisse-t-il la place à des choix personnels ? Pour répondre à cette question, nous avons choisi de comparer le travail de plusieurs photographes sur des sujets parfaitement identiques, émettant ainsi le postulat qu’il existe des différences notables entre chaque homme.

26Enfin, en envoyant des reporters sur le terrain, il est avant tout question pour l’État de donner les moyens à la France de diffuser à travers le monde, mais aussi dans l’Hexagone, une image de guerre sélectionnée avec soin. Le caractère officiel de l’organisation photographique réside avant tout dans le contrôle exercé par l’État sur la production. Quels sont les moyens déployés pour contrôler l’image ? Comment ce contrôle s’exerce-t-il, à quel moment ? Quelles sont les images interdites ? Sont-elles nombreuses et faut-il alors résumer ce contrôle à une censure politique ou à un acte patriotique ? L’une des raisons d’être de ces images étant leur diffusion, les moyens mis en œuvre sont multiples et s’appliquent aussi bien en France qu’à l’étranger. Quelles sont les méthodes de diffusion utilisées ? Existe-t-il des relais d’information à l’étranger ? Les choix arrêtés par la Section pour diffuser ses images ne se limitent pas à la presse illustrée et élargissent par leur nature le périmètre de réception en utilisant d’autres supports comme la carte postale ou bien en organisant des expositions ou des projections lors de conférences. La description du phénomène s’appuie sur des chiffres publiés entre septembre 1917 et octobre 1918 permettant de cerner avec exactitude les efforts consentis et identifiant les publics visés.

27Histoire de la SPA depuis sa création au printemps 1915, cet ouvrage se veut aussi un récit de son fonctionnement, du mode de production de ses reportages et de l’encadrement qui leur est imposé. Le thème de la diffusion des images sera aussi l’occasion d’évoquer la question de la censure, en France et à l’étranger, permettant ainsi d’évaluer le rayonnement et l’influence de la SPA dans le monde entier.

Notes

1 Sorlin Pierre, Les Fils de Nadar : « Le siècle » de l’image analogique, Paris, Nathan, « Fac ciné image », 1997, 206 p.

2 Leray-Burimi Sylvie (dir.), Vu du front, représenter la Grande Guerre, Somogy, BDIC, musée de l’Armée, 2014, p. 146-155.

3 Cf. état des sources.

4 L’autre partie des négatifs, constituée principalement de la série K, est conservée à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, dépendant du ministère de la Culture.

5 La tutelle du fonds par la Société d’art et d’histoire Cf. De l’armistice à la non-dissolution de la section.

6 Émulsion sèche au gélatinobromure d’argent.

7 Cette série est composée de plus de 10 000 plaques de verre exécutées par des dizaines de reporters différents sur le front d’Orient.

8 Farge Arlette, « La photo est interminable », in Goetschel Pascale, Jost François, Tsikounas Myriam (dir.), Lire, voir, entendre. La réception des objets médiatiques, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010, p. 184.

9 Cette phase d’analyse a été longuement développée dans ma thèse. Guillot Hélène, Photographier la Grande Guerre, les soldats de la mémoire, 1915-1919, thèse de doctorat d’histoire contemporaine, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2012, p. 185-344.

10 Le cadre de classement est commun à tous les services d’archives départementales français.

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