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Frontières, marges et confins

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Corinne Alexandre-Garner

Conclusion écrire les marges et les confins

Écrire en marge ,- Écrire les marges

La littérature engagée contemporaine

Sonya Florey

Texte intégral

  • 2 . Nous pensons tout particulièrement aux textes suivants : Lipovetsky Gilles, L’Ère du vide. Essais (...)

1Depuis Les Années 80, pour décrire notre époque contemporaine, on recourt généralement à des traits tels que l’individualisme, la profusion des biens de consommation ou encore une temporalité où passé et avenir tendent à disparaître au profit d’un présent sans cesse renouvelé. La concordance de ces éléments a amené plus d’un penseur à qualifier notre société de « postmoderne2 ». Au sein de ce dispositif postmoderne, Baudrillard postule qu’un sort particulier affecte le statut de ce qu’il nomme l’événement. Ce dernier accède majoritairement à une visibilité dans la sphère publique grâce à un traitement médiatique d’une envergure internationale : aujourd’hui, rien ne se passe dans quelque coin reculé de la planète, sans que nous en soyons instantanément informés. Or, contre toute attente, ce type de traitement ne contribuerait pas uniquement à la visibilité des événements factuels, mais deviendrait simultanément un agent de leur disparition : c’est parce que le fait brut est intégré à un système tel que le nôtre qu’il se retrouve broyé, voire digéré par la machine de l’information. La mise en faillite de l’usine Moulinex de Caen s’est produite le 11 septembre 2001 et s’inscrit dans le contexte dépeint par Baudrillard. On peut légitimement se demander qui se souvient de cette débâcle économique. Que cette amnésie soit due à une médiatisation outrancière, à l’effet de submersion produit par le rythme ininterrompu auquel nous parviennent les actualités du monde entier, à la concurrence, ce jour-là, de l’effondrement du World Trade Center, l’événement est atteint par une pathologie de l’effacement. Si l’on en croit Baudrillard, il serait réduit à une forme de caducité, et cela, à cause du traitement qu’on lui impose.

  • 3 . Nous définirons plus loin ce que nous entendons par cette appellation. Nous utilisons à partir d’ (...)
  • 4 . Bon François, Daewoo, Paris, Fayard, 2004.
  • 5 . Magloire Franck, Ouvrière, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2003.

2Il existe cependant ce que nous nommerons, pour l’instant énigmatiquement, « une certaine forme de littérature engagée3 », qui permet de pallier le manque relatif au traitement journalistique des faits. Daewoo4, de François Bon ou Ouvrière5, de Franck Magloire, représentent autant de manières d’explorer le monde professionnel en choisissant le territoire de l’usine comme cadre de l’intrigue, mais en fondant une réflexion sur la dimension humaine aux prises avec la logique économique, thématique généralement mentionnée en filigrane dans la presse. Construit sur une suite de quarante-neuf séquences (extraits d’une pièce de théâtre, témoignages, récits d’ex-ouvrières qui réapprennent à vivre avec le chômage de longue durée), le premier roman est centré sur la fermeture des usines Daewoo en Lorraine et leur délocalisation en Pologne et en Turquie. Franck Magloire, dans le second récit, se fait le porte-parole de sa mère, ouvrière chez Moulinex à Caen durant une trentaine d’années, licenciée elle aussi lors de la fermeture de l’usine.

  • 6 . Magloire Franck, Ouvrière, op. cit., p. 16.

3Dans ces deux récits constituant le support de notre analyse, la description de l’usine et de ses alentours, même si elle offre une représentation assez classique de la zone industrielle, présente l’avantage d’orienter d’emblée le texte dans une position critique assumée. Dévoilement d’une réalité dissimulée, jugement, protestation ou dénonciation ? Cette question du positionnement idéologique de la littérature engagée sera abordée plus loin. Pour l’instant, contentons-nous de souligner que les usines sont déportées « à la périphérie d’un centre-ville oublieux et florissant », repoussées « à perte de vue », comprimées « dans cet entre-deux incertain qui se répandait au rythme de l’étrange connivence entre l’essor industriel et les débuts du rêve de l’habitat individuel clés en main6 ». Il y a donc bien deux mondes juxtaposés, la zone industrielle et le centre-ville. En dépit de cette proximité géographique, la circulation entre ces espaces ne s’établit pas de façon harmonieuse : s’il est vrai que, quotidiennement, les ouvriers traversent les espaces en marge et les centres urbains, ils semblent néanmoins condamnés à une forme d’exclusion, physique et symbolique.

  • 7 . Ibid., p. 43.

Je posais mon regard partout avec un mélange d’inquiétude et d’excitation en traversant le cour de la ville pour être embauchée définitivement à sa périphérie. loin le scintillement du centre [...]7.

4La zone industrielle souffre donc d’un statut qui la confine dans une dynamique d’effacement (à l’image de l’événement chez Baudrillard) : sise à la périphérie, « mise au ban » des centres urbains, elle doit cependant demeurer à une distance accessible pour les femmes et les hommes qui la fréquentent. Chez François Bon, la description de cet espace s’enrichit d’une réflexion sur la logique présumée qui a gouverné la croissance et la destinée de cet « entre-deux ». C’est d’abord un aspect contraint qui est mis en lumière, car la zone a été conçue et agencée dans un esprit de spéculation ; cet aspect est ensuite relayé par un sentiment d’absurdité éprouvé par les ouvrières, une fois que l’usine n’est plus :

  • 8 . Bon François, Daewoo, op. cit., p. 22.

On vous a agglutinées ici pour vivre à côté de votre usine, dans le bord des villes qui n’en sont pas, et maintenant qu’il n’y a plus d’usine à quoi ça sert d’être empilées là, avec le désert autour8 ?

5Cependant, l’espace en marge n’est pas uniquement traversé par la désolation architecturale et humaine. Il est au contraire parcouru par un double mouvement antinomique : d’une part, terrain du dynamisme et de l’épanouissement de la vie économique, qui se manifeste sous les formes de constructions, d’aménagements de halles, de prolifération de chaînes de magasins ; d’autre part, espace qui se conjugue avec les licenciements, les fermetures d’usines, les délocalisations. C’est peut-être cela qui constitue avant tout la valeur de ce corpus : un regard sur la situation économique qui évite le piège de l’univocité et qui rend justice à l’entrelacs des intérêts contemporains. Par exemple, le chômage n’est pas simplement dénoncé comme une décision désinvolte de dirigeants économiques ; il est également enrichi d’une considération sur les conséquences individuelles, puisque le travail s’est érigé aujourd’hui comme la caution d’une intégration sociale.

  • 9 . Ibid., p. 21.

6On est un bloc, on est l’usine. Qu’on enlève l’usine, il n’y a plus de bloc. Des êtres éparpillés, jetés : chacune avec sa misère et sa plaie9.

7L’effet immédiat, concret, des déroutes économiques n’est pas seul mis en lumière : l’exclusion de la société de consommation, l’éclatement de la cellule familiale ou la réprobation dans le regard d’autrui sont autant de conséquences de choix économiques qui revêtent ici une importance comparable à l’aspect purement chiffré.

  • 10 . Ibid., p. 11-12.

8Une société laisse s’effondrer des pans entiers de ce qui, pour celles et ceux qui le vivent, représente l’essentiel et cela vous cerne, sape ce qu’on revendique pour soi-même, ses enfants et ses proches, de destin à construire, d’aventure à guider où la vieille tâche d’homme signifie. Des fractures courent la surface du monde réel et la délitent10.

  • 11 . Ibid., p. 52.

9Ceci nous amène à formuler une hypothèse : il existerait dans les textes de Bon ou Magloire une contamination d’ordre structurel entre la situation périphérique des usines et la condition même des travailleurs. Autrement dit, le statut des zones industrielles-proximité et mise à l’écart-fait écho à celui des ouvriers. L’intégration des ouvriers à une communauté se décèle au niveau du langage, comme l’avance une des protagonistes de François Bon : « (j’avais remarqué le nom, Moulinex c’est comme Daewoo désormais bien plus qu’une marque)...11 ». Plus qu’une marque, en effet, car « On était les Daewoo. » ou « Les Moulinex... » sont les expressions que les salariés utilisaient pour se désigner eux-mêmes. Plus que des allégories, Daewoo ou Moulinex deviennent alors des symboles au sens de Peirce, c’est-à-dire des signes rompant toute ressemblance et toute contiguïté avec l’élément exprimé : ouvrières et marques de téléviseurs ou de fours à micro-ondes.

10Cependant, l’intégration se conjugue également à un processus d’effacement, qui se déploie à différents niveaux. Le corps du prolétaire souffre d’une forme d’aliénation physique, mais aussi ontologique. Surface la plus immédiatement soumise au regard et donc à l’évaluation, le corps du travailleur change, imprime dans sa chair les contraintes de la posture physique adoptée quotidiennement, dictée par la condition prolétaire.

  • 12 . Ibid., p. 8.

Des centaines tout comme moi avaient pris une mauvaise posture malgré eux, les flancs contorsionnés à cause du travail... à rebours, et en douceur avec ça. [...] Sans doute l’usine rapetisse-t-elle les gens, elle les fait plus bas qu’ils ne sont12...

11L’effacement peut se révéler plus pernicieux encore : que ce soit par l’application d’un vocabulaire technique et économique au salarié ou par une forme de discours qui dessine un corps fantasmé, qui ramène l’individu à une entité matérielle qui aurait été démembrée, disloquée.

  • 13 . Ibid., p. 117.

Quand j’ai commencé à travailler pour les entreprises en 94, dit-il, il suppurait déjà de ces mots clinquants et tout mécaniques, empruntant leur crédit aux sciences sociales... rendre employable, comme si le corps et l’être dans son essence pouvaient être assimilés à des machines qu’on automatise... n’importe quelle activité humaine, tout acte quotidien pouvait être réduit à un petit élément d’un réseau plus vaste, d’un système13...

12Ou plus prosaïquement :

  • 14 . Ibid., p. 137.

Vous ne jaugez plus votre propre geste dans son entier, encore plus découpé, émietté, votre tête se scinde aussi et vous n’êtes plus vous-même, vous devenez une partie limitée du produit14...

13À cette déstructuration du corps dans la sphère de l’usine se superpose une disparition de l’individu d’un autre ordre, concomitante au mouvement de la mondialisation. Nous n’invoquerons qu’un seul exemple ici, celui de l’homo oeconomicus, prisme à travers lequel le discours néolibéral, représentant du système économique dominant, conçoit l’individu. Cette théorie du comportement humain soutient que l’homo oeconomicus agit rationnellement en toutes circonstances, qu’il est un être foncièrement, voire ontologiquement égoïste, capable de maximiser sa satisfaction et d’anticiper au mieux toutes les situations qui l’entourent, afin de prendre les décisions qui lui permettront de concrétiser cette volonté d’épanouissement personnel. S’il est vrai que cette théorie fonctionne dans un cadre abstrait, il paraît incontestable qu’elle génère une série d’interrogations lorsqu’on tente de l’appliquer concrètement. Faire de l’homo oeconomicus une entité extraite de son implication sociale et culturelle, écarter la multiplicité des modes d’agir des individus au profit du seul mode rationnel, privilégier une conception mercantile et utilitariste des acteurs, et surtout, réduire le fonctionnement de l’homme à celui de l’homo oeconomicus : tout cela contribue à promouvoir un portrait appauvri de l’humain.

14Pourtant, à ce portrait institué par le discours économique, nous pensons qu’il existe une réponse littéraire, « engagée ». Cette littérature s’inscrit dans le renouveau de la production romanesque des années 1980, marquée par ce que Dominique Viart nomme le « retour du réel15 ». Au sein de la typologie que propose ce critique, une littérature contemporaine spécifique pose un regard particulièrement affûté sur des contextes banalisés de notre société, banlieues ou acteurs en marge de la communauté. Le but avéré de ces textes n’est pas le militantisme, ni peut-être même la dénonciation : les auteurs définissent leurs aspirations littéraires a contrario de celles de Sartre. Ce dernier affirmait en 1948 : « L’écrivain “ engagé’’sait que la parole est action : il sait que dévoiler c’est changer et qu’on ne peut dévoiler qu’en projetant de changer16 » ; alors que, par exemple, la position de François Bon paraît plus modérée : « Écrivain engagé, c’était croire que des livres pouvaient changer le monde, et les écrire en conséquence. Les questions qui nous traversent n’autorisent plus de réponse aussi simple. Parce que l’exigence vis-à-vis de soi-même et du monde est la même, pas d’autre loi que celle que nous impose l’art littéraire lui-même17 ». S’il accepte finalement le qualificatif d’« engagé », c’est uniquement « [ à] condition que ce ne soit pas l’idée de Sartre : pour changer le monde. Notre engagement c’est recréer l’espace où écrire. C’est refonder la nécessité de l’écriture en dehors du strict cercle littéraire18 ».

15Dans ces conditions, il peut paraître difficile, voire présomptueux, de caractériser la vocation d’une telle littérature ; le recours à une formule de Viart s’avère néanmoins d’une aide précieuse : « L’écriture est alors cette mise en crise des stabilités installées19 ». Selon Dominique Viart, l’accès que nous entretenons au réel est souvent fallacieux ou biaisé ; aussi la littérature nous est-elle indispensable, qui porte en elle le pouvoir de nous révéler une autre représentation de notre être-au-monde. Mettre en crise revient à ébranler, c’est-à-dire à susciter cet étonnement qui depuis Aristote figure l’acte fondateur de la philosophie, constituant la première étape d’un processus de réflexion. Jeanne Hersch20 précise utilement que l’étonnement est la faculté de s’interroger sur une évidence aveuglante, tellement aveuglante qu’elle nous empêche de voir et de comprendre le monde le plus immédiat. Autrement dit, si la littérature dispose de ce pouvoir, elle possède la capacité de nous interpeller relativement à la situation qu’elle décrit.

16Cet ébranlement, dans le cas qui nous occupe-le double effacement, géographique pour la zone industrielle, symbolique pour l’ouvrier -, la littérature engagée contemporaine le fait advenir par son potentiel à offrir un regard dérangeant sur la réalité ou encore à remettre au centre les zones géographiques excentrées de notre territoire urbain ainsi que les hommes qui subissent un décalage vers les marges du territoire social. Ces textes contiennent de manière inhérente la capacité d’interroger le lecteur, de lui remettre une responsabilité entre les mains et le laisser libre de l’actualisation éventuelle de cette responsabilité. En ce sens, la littérature peut devenir le moteur d’une prise de conscience citoyenne.

17Nous avons affirmé plus haut que la littérature engagée contemporaine n’est plus la littérature engagée telle que Jean-Paul Sartre l’envisageait. Sans vouloir renier cette distinction, nous souhaitons à ce stade la nuancer. Les textes littéraires de Bon ou Magloire-pour ne prendre que ces exemples-ne sont pas, à notre avis, éloignés de toute considération pragmatique. Si ce n’est plus le réel que la littérature ambitionne de transformer, c’est peut-être parce que notre perception du réel et le rapport que nous entretenons à ce dernier sont devenus les véritables enjeux. La littérature nous conduit à nous questionner, à nous demander si c’est là, vraiment, l’image que nous souhaitons afficher de notre humanité, une humanité soumise à une conception utilitariste.

18En guise de conclusion, nous nous proposons de considérer deux sujets liés à notre problématique, qui sont évoqués de manière récurrente dans le champ littéraire contemporain.

19Commençons par l’interdisciplinarité. Approche qui s’accommode de différentes définitions, l’interdisciplinarité peut autant se comprendre comme un dialogue entre des disciplines sur un objet tiers, un état présent au sein du corpus lorsqu’un auteur mêlerait connaissances littéraires et scientifiques par exemple, ou encore comme une convocation de différents savoirs évoqués dans un texte afin d’enrichir l’analyse par des emprunts disciplinaires. Se positionner face à ce débat requerrait un travail que nous n’avons pas la place de développer ici. Cependant, les textes dont il est question dans cet article allient des champs d’étude incontournables-l’éthique et l’économie-et nous nous plaisons à penser que se trouvent là les prémices d’une réflexion sur le concept d’interdisciplinarité.

20- La première discipline s’inscrit dans le sillage de la seconde formulation de l’impératif catégorique de Kant : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ». Ainsi, se pose la question du statut de l’homme, entre fin et moyen. Le commentaire d’A. Philonenko à ce sujet est éclairant :

  • 21 . Commentaires de A. Philomenko, in Kant Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs [1785], (...)

Il n’est pas question de ne jamais utiliser l’homme dont les forces sont nécessaires à ses semblables et l’artisan ou l’ouvrier est justement utilisé. Mais il doit toujours être considéré également comme une fin, un être auquel le respect est dû. La leçon de l’impératif vaut aussi bien pour moi qui ne dois jamais faire usage de ma personne comme d’un simple moyen, que pour autrui. Voilà pourquoi l’impératif s’adresse à l’humanité, présente en moi comme en un autre. La pensée marxiste n’a pas ignoré la profondeur de cette rédaction de l’impératif, et son discours à ce propos se résume en ceci : l’ouvrier est toujours un homme, qu’on ne peut exploiter comme une machine qui n’est, elle, qu’un pur moyen21.

21La philosophie pratique pose dans l’abstraction la question de la vocation de l’homme au sein de la sphère professionnelle. L’utilitarisme que l’on pourrait reprocher à certains dogmes néolibéraux est replacé ici dans toute sa complexité : il ne s’agit pas de bannir cette perspective définitivement, puisqu’elle a acquis une place dans notre société de consommation. Philonenko suggère plutôt de convoquer la question humaine dans un contexte industriel et d’en débattre : il en ressort qu’un abaissement de l’individu au niveau de la machine serait dommageable, car la morale kantienne serait désavouée. L’auteur insiste sur les intentions qui sous-tendent l’exploitation de l’homme : est-ce une tentative de réduire l’ouvrier à un dispositif fonctionnel qui ne posséderait pas sa valeur en soi ? Ou est-ce un mal nécessaire, dont on peut élaborer les modalités dans le respect de l’ouvrier ? Le texte montre une affinité avec ce dernier type de raisonnement. Ainsi, la représentation littéraire du monde économique, par l’expérimentation qu’elle institue pour le lecteur, débouche sur un questionnement éthique. Un rapprochement entre ces deux démarches présente l’avantage de conjuguer perspective générale, où le problème est considéré hors de tout contexte spécifique, et perspective singulière, où l’on suivrait le destin d’un personnage, auquel on pourrait s’identifier.

  • 22 . Maris Bernard, Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles, Par (...)

22- L’économie offre une seconde promesse de dialogue. En effet, il existe des écrits émanant d’économistes de formation classique, qui remettent en cause l’hégémonie du néolibéralisme. Quel noncialiste spécialiste n’a jamais ressenti de frustration face au caractère abscons du discours économique, que ce soit à cause de la terminologie ou des axiomes conviés, tel l’homo oconomicus ? Ainsi, des critiques analogues se font jour autant dans le discours économique dissident que dans certains textes littéraires. Bernard Maris, un économiste, dénonce par exemple la primauté accordée au raisonnement mathématique, au détriment d’un raisonnement qui inclurait une dimension humaine : « Mieux vaut parler d’un taux que de la réalité de la souffrance du chômage. La statistique, avec le jargon économique, réalise le vieux rêve du pouvoir ; tendre vers une élocution vide22 ». Cette « élocution vide », la « souffrance du chômage », les écrivains en parlent, à leur manière.

  • 23 . Voir ci-dessus, note 18.

23Le processus fictionnel-et c’est là le second sujet dont il est fréquemment question au sein du débat littéraire-se voit parfois assimilé à un moyen de contourner le piège d’une vision éculée du monde ou de redécouvrir le réel. À l’inverse, nous voudrions proposer une redécouverte du sens de la littérature et redonner toute son importance à la question posée par Sartre : « À quoi sert la littérature ? » Cette question provocatrice a le mérite de risquer une réflexion sur la littérature comme un art qui excéderait le seul ordre esthétique. Mener une interrogation sur la société, certes, mais que chacun serait chargé de se réapproprier individuellement. La littérature détient, semble-t-il, un potentiel des plus remarquables : celui de remettre de l’ordre dans un monde que l’on ne comprend plus, lui redonner un sens subjectif. Les préoccupations de François Bon23 concernant la nécessité pour la littérature d’être refondée dans un rapport dynamique au monde trouvent une résonance dans le texte lui-même. Ce serait là une des prérogatives de la littérature contemporaine engagée : oser une nouvelle interprétation de notre actualité, structurer notre réalité, s’y impliquer et assumer ce rôle.

Notes

2 . Nous pensons tout particulièrement aux textes suivants : Lipovetsky Gilles, L’Ère du vide. Essais sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, 1983. Lyotard Jean-François, La Condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979.

3 . Nous définirons plus loin ce que nous entendons par cette appellation. Nous utilisons à partir d’ici l’expression « engagée » pour faciliter la compréhension.

4 . Bon François, Daewoo, Paris, Fayard, 2004.

5 . Magloire Franck, Ouvrière, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2003.

6 . Magloire Franck, Ouvrière, op. cit., p. 16.

7 . Ibid., p. 43.

8 . Bon François, Daewoo, op. cit., p. 22.

9 . Ibid., p. 21.

10 . Ibid., p. 11-12.

11 . Ibid., p. 52.

12 . Ibid., p. 8.

13 . Ibid., p. 117.

14 . Ibid., p. 137.

15 . [http%20:/pretexte.club.fr/revue/entretiens/discussions-thematiques_roman/discussions/dominique-viart.htm], consulté le 05/09/2006.

16 . Sartre Jean-Paul, Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, 2002.

17 . [www. publie. net/Une/0403 _ lectAvignon. html], consulté le 04/05/2005.

18 . [http://www.lmda.net/mat/MAT02323.html], consulté le 17/08/2006.

19 . [http://www.adpf.asso.fr/adpf-publi/folio/roman/12.html], consulté le 05/09/2006

20 . Hersch Jeanne, L’Étonnement philosophique, Paris, Gallimard, 1993.

21 . Commentaires de A. Philomenko, in Kant Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs [1785], Paris, Gallimard, « GF », 2000, p. 142-143.

22 . Maris Bernard, Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles, Paris, Éditions du Seuil, « Économie », 2003.

23 . Voir ci-dessus, note 18.

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