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Genre Révolution Transgression

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Anne Montenach
, 
Jacques Guilhaumou
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Karine Lambert

L’esprit des Lumières et de la Révolution

Les Conventionnels des Bouches-du-Rhône

Une députation meurtrie (1793-1794)

Michel Biard

Texte intégral

  • 1 Copie datée du 1er août 1793 et déposée au département de police de la Commune de Paris (AN, F7 477 (...)

Je suis venu pour te voir, mon ami, mais cela est de toute impossibilité ; je m’en console, en t’écrivant un mot ; mais j’ai le chagrin d’apprendre que tu ne pourras pas me répondre, n’importe, nos cœurs s’entendent et s’entendront toujours. Il n’y a rien de nouveau que l’arrestation de Duprat, Mainvielle, et un autre député des Bouches-du-Rhône, qui sont tes voisins, dans ce moment, sans que tu t’en doutes. J’ignore quand viendra notre tour ; à tout événement le sage est préparé ! La cause de l’arrestation de ces derniers est une lettre qu’on dit qu’ils ont écrite dans leur département1.

  • 2 Un arrêté du comité, du même jour, décide « qu’il sera demandé un décret d’arrestation contre eux, (...)
  • 3 Si les deux premiers ont bien été élus dans les Bouches-du-Rhône, en revanche, Vallée l’a été dans (...)
  • 4 AP, tome LXX, p. 16. Tous s’empressent de nier ces accusations. En vain. Mainvielle envoie, dès le  (...)
  • 5 Sur la différence, fondamentale, entre décret d’arrestation et décret d’accusation, je me permets d (...)
  • 6 « Sur la dénonciation faite par un des administrateurs de police, le citoyen Michel, qu’il résulte (...)
  • 7 AP, tome LXVIII, p. 720.
  • 8 « Je vois que le but de cette mise de scellés est pour savoir si je corresponds avec Caen, avec Mar (...)
  • 9 Ibid., p. 724. Dans la même séance, Fauchet, élu du Calvados, lui aussi prévenu de complicité avec (...)
  • 10 Le transfert de Duprat et Mainvielle a lieu le 8 septembre, de Perret les rejoint à la Conciergerie (...)
  • 11 Sur les vingt-neuf représentants décrétés d’arrestation, seuls neuf sont dans leur logement parisie (...)

1Interceptée par des policiers parisiens affectés à la surveillance du courrier postal, cette missive de Boyer-Fonfrède à Vergniaud, alors emprisonné au Luxembourg, fait référence à un décret voté par la Convention nationale le 30 juillet 1793. Ce jour-là, Amar, au nom du comité de Sûreté générale2, propose et obtient un décret d’arrestation contre les représentants girondins Duprat, Mainvielle et Vallée3, prévenus de complicité avec des collègues de leur mouvance politique déjà mis en accusation, mais également soupçonnés d’être « complices de la conspiration de Barbaroux », lui aussi élu des Bouches-du-Rhône. Le tout repose sur une simple lettre, expédiée d’Avignon, qui les accuse tous trois d’entretenir « une correspondance criminelle avec les départements méridionaux pour les soulever4 ». À cette date, un autre élu des Bouches-du-Rhône, Lauze de Perret a, lui, été directement décrété d’accusation5 deux semaines auparavant, là aussi en raison de ses liens avec Barbaroux, mais dans des circonstances infiniment plus graves. En effet, après l’assassinat de Marat le 13 juillet, le comité de Sûreté générale accuse de Perret d’avoir reçu chez lui Charlotte Corday porteuse d’un courrier que lui adressait Barbaroux6. Lu devant la Convention nationale le lendemain du meurtre, rédigé à Caen, il s’achève par ces mots : « Ici tout va bien, nous ne tarderons pas à être sous les murs de Paris7 ». De Perret a beau se défendre bec et ongles dans la séance de l’Assemblée, nier toute relation avec Charlotte Corday, simple citoyenne de passage chez lui et auparavant jamais rencontrée, protester contre le viol des correspondances privées8, il tombe sous le coup d’une accusation de complicité avec les départements « fédéralistes » et est aussitôt mis en accusation9. Enfermé à la prison de l’Abbaye, tandis que Duprat et Mainvielle le sont ensuite à celle du Luxembourg, il est comme eux transféré à la Conciergerie à l’occasion du grand procès ouvert contre les Girondins en octobre et qui aboutit à la condamnation à mort de vingt et un représentants du peuple10. De son côté, Barbaroux, décrété d’arrestation dès le 2 juin, a d’abord été gardé à son domicile par un gendarme, puis a choisi de fuir une semaine plus tard, comme la majorité des représentants du peuple arrêtés11.

  • 12 AP, tome LXIX, p. 631.
  • 13 Ibid., tome LXXV, p. 520-521.
  • 14 Même si l’un d’eux, Leblanc, semble peut-être pouvoir être compté comme Montagnard, selon des trava (...)
  • 15 À condition de ne pas prendre en compte ici la mort de Rovère en déportation, survenue sous le Dire (...)

2 Le 28 juillet, un décret le range dans une liste de dix-huit représentants déclarés « traîtres à la patrie », ce qui équivaut de facto à une mise hors de la loi12. Un ultime décret, voté sur un rapport d’Amar le 3 octobre, dresse cette fois une liste de quarante et un noms, en fin de laquelle est ajouté « Philippe-Egalité, ci-devant duc d’Orléans »13, associé aux Girondins en dépit de son ralliement à la Montagne. Tous sont décrétés d’accusation et envoyés devant le Tribunal révolutionnaire, de même que vingt autres « traîtres à la patrie » en fuite et inscrits sur une seconde liste. La députation des Bouches-du-Rhône figure en « bonne » place dans ces listes de proscription, ce qui, aggravé par d’autres événements, en fait l’un des groupes les plus sévèrement frappés par des morts brutales en l’an II. En effet, en comptant les suppléants ayant siégé à partir de telle ou telle date, la députation des Bouches-du-Rhône comprend quinze élus. Parmi eux, six représentants traditionnellement rangés par les historiens parmi les Girondins, cinq Montagnards et quatre siégeant à la Plaine14. Les six premiers décèdent tous de mort violente, cinq guillotinés (Barbaroux, Bernard, de Perret, Duprat, Mainvielle) et un suicidé (Rebecqui). Parmi les cinq Montagnards, seul Gasparin meurt des suites d’une mission, Bayle, Granet, Laurens et Rovère survivant aux affrontements politiques15. De même, des quatre représentants de la Plaine, seul Baille périt de mort violente (suicidé), cependant que Durand-Maillane, Leblanc et Pelissier parviennent eux aussi à échapper à un triste sort.

Le décès de mort non naturelle des représentants élus dans les Bouches-du-Rhône

Nom Date Mouvance politique Type de mort Lieu
Baille 2 septembre 1793 Plaine Suicidé Toulon
Duprat 31 octobre 1793 Gironde Guillotiné Paris
Lauze de Perret 31 octobre 1793 Gironde Guillotiné Paris
Mainvielle 31 octobre 1793 Gironde Guillotiné Paris
Gasparin 11 novembre 1793 Montagne Mort en mission Orange
Bernard 22 janvier 1794 Gironde Guillotiné Paris
Rebecqui 1er mai 1794 Gironde Suicidé Marseille
Barbaroux 25 juin 1794 Gironde Guillotiné Bordeaux
  • 16 Mais les sept représentants concernés sont tous guillotinés : Vergniaud, Guadet, Gensonné, Grangene (...)
  • 17 M. Biard, op. cit.

3 On le voit sans peine, la « faucheuse » ne frappe pas au hasard et l’affrontement Gironde/Montagne fournit l’essentiel de sa moisson. Cinq condamnations à la peine capitale, deux suicides et un décès en mission, soit huit morts et une députation amputée de quelque 53 % de ses membres ! Par comparaison, la députation de Gironde, elle aussi forte de quinze élus, voit périr 47 % de ses effectifs16. Sous réserve d’un inventaire national exhaustif, la députation des Bouches-du-Rhône semble bien détenir un triste record. Qui plus est, entre l’assassinat de Le Peletier de Saint-Fargeau en janvier 1793 et la séparation de la Convention nationale à l’automne 1795, quatre-vingt-six représentants du peuple décèdent de mort non naturelle17. La part des élus des Bouches-du-Rhône est donc énorme, puisqu’elle s’élève à près d’un cas sur dix, et surtout l’élimination des partisans de la Gironde en son sein est pour le moins radicale. Aucun d’entre eux ne parvient à échapper à la mort, le suicide étant la seule alternative au « rasoir national », comme en témoignent non seulement le cas de Rebecqui, mais aussi celui de Barbaroux qui tente en vain de mettre fin à ses jours au moment de son arrestation.

  • 18 Le 10 frimaire an II (30 novembre 1793), une députation des autorités constituées et des sociétés p (...)
  • 19 Lettre du citoyen Odet adressée au ministre de la Marine, datée de Marseille le 27 septembre 1793 ((...)
  • 20 Cf. Dominique Godineau, S’abréger les jours. Le suicide en France au xviiie siècle, Paris, Armand C (...)
  • 21 AP, tome LXXIX, p. 694.
  • 22 Arracher la langue des détenus, leur faire couler du plomb fondu dans le corps…
  • 23 AP, tome LXXXII, p. 562.
  • 24 Ibid., tome XC, p. 275.

4Pour autant, Baille est le premier à se suicider, au tout début de septembre 1793. Certes, sa mort pourrait dans l’absolu apparaître moins importante que celle de ses collègues et surtout moins directement politique, pourtant, tout comme Gasparin un peu plus de deux mois après, le sacrifice de sa vie est lié à la crise dite « fédéraliste ». De plus, son choix du suicide trouble la Convention nationale pour de longs mois. En effet, là où la mort de Gasparin, tombé malade au cours de sa mission aux armées des Alpes et d’Italie, suscite beaucoup d’émotion et une suspicion d’empoisonnement (au demeurant vite écartée)18, le décès de Baille provoque une confusion puis une gêne toutes deux flagrantes. Tout d’abord, la Convention nationale a cru que c’était son collègue de mission, Beauvais, et non lui, qui était mort dans les cachots toulonnais, victime des Anglais et de leurs complices (qualifiés de « fédéralistes » et de « royalistes »…). À ce moment, on croyait même que Beauvais avait été condamné à la pendaison (« Un représentant du peuple conduit au gibet comme un vil scélérat ! Grand Dieu !... Mon cœur est gonflé de fureur19 »). Puis, lorsque la vérité se fait jour et que la Convention nationale apprend les conditions dans lesquelles Baille est mort, on tente de travestir les faits. Si se suicider peut être assimilé à un acte politique et héroïque, le choix de la pendaison ne saurait être tenu pour aussi respectable que celui de l’arme blanche ou du coup de feu, aussi convient-il de tenter de le dissimuler20. Le 3 frimaire an II (23 novembre 1793), Billaud-Varenne prétend que ses geôliers ont voulu contraindre le malheureux Baille à crier « vive Louis XVIII » et que son refus lui a valu d’être « lacéré de coups et rejeté dans les cachots, où on le trouva mort le lendemain21 ». Le 12 nivôse (1er janvier 1794), soit après la reprise de Toulon par les troupes envoyées par la Convention nationale, à laquelle il a participé comme représentant du peuple en mission, Augustin Robespierre présente une troisième version. Baille aurait entendu les Anglais délibérer sur le genre de supplice à lui réserver et, horrifié par leur imagination (de fait terrifiante22), il aurait décidé de « se soustraire, en se donnant la mort, au sort qui l’attendait, et profit[é], pour se poignarder, du moment où Beauvais prenait quelque repos23 ». Du supplice de la corde infligé par un bourreau anglais au suicide d’un coup de poignard, en passant par une mort des suites de la torture au fond d’un cachot, tout concourt à éviter de reconnaître que Baille a choisi de se pendre dans sa cellule. D’ailleurs, au-delà des divergences politiques et plus encore des contextes différents, le suicide d’un autre élu des Bouches-du-Rhône, Rebecqui, au printemps 1794, permet un constat très proche. En effet, le corps de ce représentant girondin, démissionnaire depuis le 9 avril 1793, est retrouvé sans vie, flottant dans les eaux du port de Marseille. Le rapport d’un officier de santé, qui accompagne le juge de paix appelé à constater le décès, peut dans l’absolu permettre de douter du suicide. Plusieurs détails (globes des yeux livides, écume sortant par la bouche) l’incitent à conclure à la noyade, toutefois l’officier de santé remarque aussi la présence d’« une contusion sur la base frontale droite du coronal qui lui a paru être faite par quelque chose de contondant24 ». S’agit-il là d’un coup reçu bien avant l’immersion ? S’agit-il d’un coup qui a précipité le proscrit dans la mer et a contribué à sa noyade ? En tout état de cause, outre le fait qu’une contusion sur le front peut difficilement résulter d’une chute dans l’eau, ce n’est pas là ce qui retient l’attention des autorités. Rebecqui traqué depuis longtemps, sa mort classe l’affaire et doit faire disparaître son nom de la mémoire des républicains. En revanche, comme le suicide par noyade ne fait pas partie des moyens « mâles » de mettre fin à ses jours, son cadavre doit encore subir l’ignominie avant d’être inhumé. Ainsi, lorsqu’un citoyen de Marseille rend compte de cette mort à la Convention nationale, son récit témoigne du mépris réservé à un homme suicidé par noyade :

  • 25 Ibid., p. 191. C’est moi qui souligne les passages en italiques.

Je viens de voir le cadavre de Trophime Rebecqui aîné, ci-devant représentant à la Convention nationale. Il a eu la faiblesse de se noyer à Rive-Neuve et son cadavre est exposé à la palissade de Viveau. Le juge de paix qui a fait son accedit l’a reconnu comme moi et a ordonné son transport à la morgue. Il serait à désirer que tous les traîtres fissent une pareille fin25.

  • 26 Depuis plus de deux siècles, l’historiographie a donné une date fausse (sans cesse recopiée de livr (...)
  • 27 AD Gironde, 5 L bis 5.
  • 28 Ibid.

5Un troisième représentant des Bouches-du-Rhône, Barbaroux, cherche lui aussi à se suicider pour éviter une autre forme d’ignominie, celle qui consiste à être condueit à la guillotine comme un vulgaire criminel. En fuite depuis plus d’un an, réfugié dans les environs de Bordeaux avec plusieurs de ses collègues proscrits, Barbaroux finit par tomber entre les mains de ses poursuivants en messidor an II (juin 1794). Après l’arrestation de Guadet et Salle, tous deux condamnés à mort sans procès (car mis hors de la loi) et guillotinés à Bordeaux le 1er messidor an II (19 juin 1794) aussitôt la sentence rendue, Barbaroux, Buzot et Pétion sont repérés cinq jours plus tard près de Castillon (à l’est de Bordeaux et Libourne). Le premier tente de se tuer, tandis que ses deux collègues parviennent à échapper à leurs poursuivants. Pourtant, eux aussi se suicident au cours de la nuit suivante et leurs corps sont retrouvés, dans un état affreux, le lendemain (7 messidor - 25 juin), peu avant minuit26. Un grand nombre d’armes est découvert près des cadavres, ce qui atteste l’absence d’illusions des fuyards et leur volonté de défendre chèrement leur vie, ou de choisir de périr de leur propre main plutôt que d’être soumis aux rituels chers au « théâtre de la guillotine ». Comme cela se pratique alors, Buzot et Pétion ont placé le canon d’un pistolet dans leur bouche avant de faire feu. Barbaroux, lui, tente le même geste, mais ne parvient qu’à se fracasser la mâchoire et à s’infliger de terribles souffrances, proches de celles qu’endure Maximilien Robespierre un mois plus tard. Transporté de Castillon à Bordeaux le 6 messidor (24 juin), il comparaît devant le comité révolutionnaire de cette seconde ville, qui constate sa blessure et « l’état de démence dans lequel il se trouve27 ». Le 7, le secrétaire du comité consigne avec soin dans son procès-verbal le récit des dernières heures du proscrit : « Après avoir consulté le citoyen Julien commissaire du comité de Salut public sur l’état dans lequel se trouve Barbaroux ex-député hors de la loi ; état qui fait craindre au comité qu’en le traduisant dans une maison d’arrêt ou à la barre du tribunal, il n’expirât avant que son identité fut reconnue, il a été décidé que le président de la commission militaire sera invité de se rendre au comité pour concerter ensemble les moyens à prendre pour l’exécution la plus sûre de ce conspirateur. Le président de la commission militaire rendu et ayant vu par lui-même l’état de Barbaroux, il a été pris la délibération suivante : Considérant d’après les rapports des chirurgiens ; que la maladie de Barbaroux s’oppose à ce qu’il soit transféré dans une maison d’arrêt pour éviter les accidents qui pourraient résulter de son transport ; qu’il est néanmoins utile que la loi soit exécutée ; que le local du comité est beaucoup plus près de la place Nationale ; voulant cependant concilier ce qui est dû à la justice nationale avec ce que prescrit l’humanité ; il a été décidé que le président de la commission militaire inviterait ses collègues de se transporter cet après-midi dans une des salles du comité pour y reconnaître l’identité de Barbaroux28 ». Prisonnier à l’agonie ou pas, la justice doit passer, quand bien même cela entraîne un déplacement des membres de la commission militaire vers la prison. Mise en place lors de la fin de la « révolte fédéraliste » bordelaise, cette commission militaire est chargée de juger tous ceux qui ont été compromis dans cet épisode. Sa justice sommaire n’a même pas à être rendue dans le cas de Barbaroux. Comme il a été mis hors de la loi on se borne à l’interroger, sans pour autant ouvrir un procès, et, quelques heures plus tard, la guillotine abrège ses souffrances.

  • 29 AP, tome LXXIX, p. 506.
  • 30 AN, BB3 29.
  • 31 Ibid., F7 4595.
  • 32 Lettre datée du 8 frimaire (ibid.).
  • 33 Suppléant à la Convention nationale, Bernard est alors administrateur du district de Tarascon. Iron (...)
  • 34 AN, W 313 no 429.
  • 35 AP, tome LXXIX, p. 507.

6Après Bernard, guillotiné à Paris quelques mois auparavant, Barbaroux est le dernier membre de la députation des Bouches-du-Rhône à périr sur l’échafaud. Pour Bernard, l’enchaînement aura été plus « simple ». Soupçonné lui aussi de « fédéralisme » et décrété d’arrestation le 29 brumaire (19 novembre 179329), il est d’abord placé en garde à vue chez lui le 1er frimaire (21 novembre), sous la surveillance de deux citoyens de la section de la Montagne avant que le relais ne soit pris par deux gendarmes. Le 26 nivôse (15 janvier 1794), on le conduit à la Conciergerie, d’où il comparaît devant le Tribunal révolutionnaire30. Le 3 pluviôse (22 janvier), celui-ci le condamne à mort et l’envoie à la guillotine le jour même31. Aucune de ses lettres de protestation ne parvient à faire revenir sur leur décision les deux grands comités de la Convention nationale. Dès les premiers jours de sa captivité, il plaide pourtant sa totale innocence et se dit victime de règlements de comptes : « La jalousie et l’intrigue ont seules dirigé les coups de la calomnie qui s’élève contre moi ; il ne me sera pas difficile de confondre mes détracteurs32 »… Vains efforts, dès lors que les pièces présentées à charge au cours de son procès mentionnent un procès-verbal des autorités du district de Tarascon33, daté du 27 juin 1793, établissant que « le citoyen Bernard a prêté le serment de ne plus reconnaître la Convention ». Lors de son interrogatoire devant le Tribunal révolutionnaire, il nie avoir eu des relations avec Barbaroux, expose avoir été lui-même emprisonné par les « fédéralistes » à Marseille, soutient avoir été comme d’autres trompé au moment du serment prêté le 27 juin. Vains efforts également, même si nombre de militants et de membres des autorités locales ont eux aussi, dès l’été 1793 et dans divers départements, invoqué un simple « égarement » pour justifier leurs plus ou moins éphémères prises de position « fédéralistes ». Le jury répond par l’affirmative à la question : « Il a existé une conspiration contre l‘unité et l’indivisibilité de la République, la liberté, la sûreté, la souveraineté du peuple français. Marc Antoine Bernard […], député suppléant exclu de la Convention nationale est-il l’un des auteurs ou complices de cette conspiration ? »34 Le 29 brumaire, jour de son arrestation, il avait déclaré devant la Convention : « J’oubliais de vous dire que mon patriotisme était si connu, qu’on m’appelle le Marat de mon pays35 ! »

7Des douze représentants du peuple et sept suppléants choisis pour la Convention nationale en septembre 1792 par les électeurs des Bouches-du-Rhône, deux ont été élus dans un autre département et ont siégé pour le représenter (Carra en Saône-et-Loire, Dubois-Crancé dans les Ardennes). Un troisième, Mouraille, maire de Marseille, a refusé son élection. Un quatrième, Le Roi d’Embleville, suppléant, n’a jamais siégé. Les quinze autres se sont, à un degré ou un autre, retrouvés au cœur des affrontements fratricides qui ont déchiré la République entre 1793 et 1795. Dans l’atmosphère fiévreuse de l’été 1792, alors que Brestois et Marseillais jouaient un rôle clé dans l’assaut décisif contre les Tuileries, tandis qu’un chant repris par les volontaires méridionaux montait avec eux jusqu’à Paris et allait s’imposer plus tard sous le nom de Marseillaise, qui aurait pu envisager semblable scénario quelques mois après seulement ? La députation marseillaise ne peut certes à elle seule illustrer les tensions politiques qui traversent la France, la radicalisation et son cortège de violences, pas davantage qu’on ne peut vainement discourir sur l’existence hypothétique de tempéraments supposés enflammés dans le Midi ! Pour autant, le Sud-Est est assurément l’une des régions géographiques les plus marquées par les affrontements partisans, comme l’ont montré, parmi d’autres, les nombreux et passionnants travaux de Martine Lapied. Et ces affrontements connaissent de terribles répliques, on le sait, au moment de la Terreur blanche en 1795. Resterait à appréhender dans quelle mesure le destin des représentants du peuple élus dans les Bouches-du-Rhône a pu contribuer à cette situation…

Notes

1 Copie datée du 1er août 1793 et déposée au département de police de la Commune de Paris (AN, F7 4775 43).

2 Un arrêté du comité, du même jour, décide « qu’il sera demandé un décret d’arrestation contre eux, et qu’il sera rendu compte à la Convention des ordres donnés par le comité pour apposer les scellés sur leurs papiers, faire perquisition de ceux qui paraîtraient suspects et les apporter au comité » (ibid., F7 4443, plaq. 5).

3 Si les deux premiers ont bien été élus dans les Bouches-du-Rhône, en revanche, Vallée l’a été dans l’Eure et Boyer-Fonfrède (élu du département de Gironde) commet donc une erreur.

4 AP, tome LXX, p. 16. Tous s’empressent de nier ces accusations. En vain. Mainvielle envoie, dès le 30 juillet de la prison du Luxembourg, une lettre pour expliquer qu’il n’a jamais écrit à Barbaroux, qu’il ne saurait être responsable du courrier qu’il reçoit (« il ne m’appartient pas d’empêcher qu’il me soit adressé des lettres »), enfin que ses proches sont eux-mêmes victimes du « fédéralisme » : « J’étais loin de prévoir un décret d’arrestation au moment où une lettre écrite à Duprat m’annonçait que mon père, ses parents et nos amis venaient d’être fusillés à Avignon par les Marseillais, que ma maison avait été pillée par les aristocrates papistes qui dominent dans ce moment, et que le reste de mes parents va être conduit à Marseille pour servir d’otage contre les opérations des armées de la République commandées par Carteaux ». Sa lettre s’achève par les mots suivants : « Je renouvelle ici le serment que j’ai fait de ne vivre que pour venger le sang de mon père, [de mes] parents et amis qui viennent d’être égorgés et de combattre ceux qui, sous le vain prétexte d’anarchie, tuent la Révolution. Elle a besoin de tous ses défenseurs et certes si quelque chose peut m’y attacher encore plus, ce sont les malheurs que j’éprouve » (AN, F7 4443, plaq. 5).

5 Sur la différence, fondamentale, entre décret d’arrestation et décret d’accusation, je me permets de renvoyer à mon ouvrage : La Liberté ou la mort. Mourir en député (1792-1795), Paris, Tallandier, 2015, chap. 3.

6 « Sur la dénonciation faite par un des administrateurs de police, le citoyen Michel, qu’il résulte de la perquisition faite dans les papiers de Marie Anne Charlotte Cordret natif [sic] de Caen, laquelle a assassiné Marat le jour d’hier, que ladite Cordret avait en note l’adresse du citoyen Duperret rue St Thomas du Louvre no 45, Duperret sera arrêté et traduit au comité de Sûreté générale » (AN, F7 4443, plaq. 4).

7 AP, tome LXVIII, p. 720.

8 « Je vois que le but de cette mise de scellés est pour savoir si je corresponds avec Caen, avec Marseille ; c’est pour cela que le comité de surveillance désire voir mes papiers. Eh bien ! je ne corresponds pas avec Marseille par une raison bien simple, c’est que je ne confie aucune lettre à la poste depuis qu’on viole le secret des lettres » (ibid., p. 719 ; « comité de surveillance » désigne ici le comité de Sûreté générale, dont le titre exact est : « comité de Sûreté générale et de surveillance de la Convention nationale »).

9 Ibid., p. 724. Dans la même séance, Fauchet, élu du Calvados, lui aussi prévenu de complicité avec Charlotte Corday et les Girondins en fuite, est décrété d’arrestation.

10 Le transfert de Duprat et Mainvielle a lieu le 8 septembre, de Perret les rejoint à la Conciergerie le 6 octobre (Michel Biard, La Liberté ou la mort […], op. cit.).

11 Sur les vingt-neuf représentants décrétés d’arrestation, seuls neuf sont dans leur logement parisien dans la dernière semaine de juin, comme le révèle le maire de Paris, Pache, dans un rapport adressé au ministre de la Justice (AN, BB16 703). Vingt sont en fuite, douze ayant choisi cette solution dès le 2 juin, huit autres après quelques jours de surveillance à leur domicile. Barbaroux figure parmi ces derniers : « Le citoyen Barbaroux était encore chez lui à onze heures et demi du soir [le 10 juin] où il a soupé [en] présence du déclarant. Ce n’est qu’après son repas qu’il peut s’être évadé. Atteste le déclarant qu’il n’a pas d’un instant quitté son poste […] qu’il ne peut savoir par où il [est] passé, d’autant plus qu’il avait fermé la seconde porte du corridor à double tour de clef et deux verrous » (Déclaration de Garnier, gendarme, devant les administrateurs du département de police de Paris, le 12 juin 1793 ; ibid., F7 4585 plaq. 6). Barbaroux partageait avec Bresson (représentant girondin des Vosges) un logement situé au 479 rue Nicaise. La citoyenne Bussy, « principale locataire » de l’immeuble, déclare, le 5 germinal an II (25 mars 1794), que Barbaroux a quitté les lieux le 11 juin et Bresson le 2 septembre (ibid., F7 4443 plaq. 4).

12 AP, tome LXIX, p. 631.

13 Ibid., tome LXXV, p. 520-521.

14 Même si l’un d’eux, Leblanc, semble peut-être pouvoir être compté comme Montagnard, selon des travaux en cours de Cyril Belmonte.

15 À condition de ne pas prendre en compte ici la mort de Rovère en déportation, survenue sous le Directoire.

16 Mais les sept représentants concernés sont tous guillotinés : Vergniaud, Guadet, Gensonné, Grangeneuve, Ducos, Boyer-Fonfrède, Lacaze. Deux autres élus du département et membres de la mouvance girondine parviennent à sauver leur tête : Bergoeing et Duplantier. Pour ajouter un autre élément de comparaison, mais politiquement inversé, la députation de Paris perd douze de ses trente membres (là encore en ajoutant aux vingt-quatre titulaires les suppléants ayant siégé), soit environ 40 % d’entre eux (neuf sont guillotinés)

17 M. Biard, op. cit.

18 Le 10 frimaire an II (30 novembre 1793), une députation des autorités constituées et des sociétés populaires du Vaucluse se présente devant la Convention nationale pour lui apporter le cœur embaumé du représentant du peuple mort en mission. À cette occasion, lecture est faite du procès-verbal d’autopsie, qui conclut à une mort naturelle provoquée par les « grands travaux » exigés par sa mission aux armées (AP, tome LXXX, p. 372-375). Toutefois, des mois plus tard, la rumeur d’un empoisonnement (par les Anglais, fantasme oblige) continue à circuler (Moniteur, no du 5 thermidor an II – 23 juillet 1794).

19 Lettre du citoyen Odet adressée au ministre de la Marine, datée de Marseille le 27 septembre 1793 (AP, tome LXXVI, p. 285).

20 Cf. Dominique Godineau, S’abréger les jours. Le suicide en France au xviiie siècle, Paris, Armand Colin, 2012 ; Michel Biard, La Liberté ou la mort…, op. cit., chap. 5.

21 AP, tome LXXIX, p. 694.

22 Arracher la langue des détenus, leur faire couler du plomb fondu dans le corps…

23 AP, tome LXXXII, p. 562.

24 Ibid., tome XC, p. 275.

25 Ibid., p. 191. C’est moi qui souligne les passages en italiques.

26 Depuis plus de deux siècles, l’historiographie a donné une date fausse (sans cesse recopiée de livre en livre, y compris dans des dictionnaires tout à fait sérieux) et des versions tout aussi erronées de ce double suicide. Pour une mise au point, voir Michel Biard, La Liberté ou la mort…, op. cit., chap. 1 et 5.

27 AD Gironde, 5 L bis 5.

28 Ibid.

29 AP, tome LXXIX, p. 506.

30 AN, BB3 29.

31 Ibid., F7 4595.

32 Lettre datée du 8 frimaire (ibid.).

33 Suppléant à la Convention nationale, Bernard est alors administrateur du district de Tarascon. Ironie sinistre de l’Histoire, il siège ensuite à l’Assemblée, en remplacement de Barbaroux.

34 AN, W 313 no 429.

35 AP, tome LXXIX, p. 507.

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