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Le quartier du port de Marseille 1500-1790

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Colette Castrucci

Troisième partie. La construction privée marseillaise à l’époque moderne

La pierre, élément majeur de la construction marseillaise

Texte intégral

Les pierres de construction utilisées1

  • 1 Pour l’étude pétrographique, on consultera l’étude de P. Gaudron et H. Tréziny (Gaudron, Treziny 20 (...)

1L’usage de la pierre dans les constructions n’est pas récent à Marseille. Utilisée depuis l’Antiquité, elle est la base de tous les bâtiments, les chantiers archéologiques réalisés ces quinze dernières années à Marseille en attestent. Mais les transformations subies par la cité au cours de l’histoire ont fait disparaître de nombreux éléments du patrimoine des époques anciennes dont il ne subsiste que très peu de témoignages. Lorsqu’ils existent, il s’agit de constructions souvent prestigieuses qui ne peuvent guère refléter la réalité de l’ensemble de l’habitat marseillais. Ainsi, la « maison diamantée » ou l’« hôtel de Cabre », rares survivants de la destruction de 1943. Ces magnifiques édifices ainsi que d’autres comme les hôtels Franchischou, Vivaud, l’hôtel dit « du chevalier Marin » et celui « de Foresta-Pescioliny », le seul de ces derniers qui subsiste encore, dont les décors de façade sont désormais connus (Busquet 1943 : 3-8 ; Boyer 1987 : 22-27 ; Reynaud 1988 : 377-40), demeures de grands négociants ou de personnages politiques en vue, ont fait la réputation de l’urbanisme baroque marseillais (Gloton 1980 : 163-174 ; Gloton 1992 : 32-39). Aussi, leur architecture et leur décor ont-ils fait l’objet de nombreuses études. Les habitations plus modestes ont jusqu’à présent moins intéressé les chercheurs. Ce sont les fouilles archéologiques qui ont offert l’occasion de s’intéresser à elles. La découverte d’un nombre important de structures de l’époque moderne appartenant à des immeubles dont les textes d’archives nous ont livré la diversité de composition a permis de les étudier.

  • 2 À la fin de l’Ancien Régime les maisons rouennaises sont en bois et en plâtre dans leur grande majo (...)

2Ces témoignages archéologiques et archivistiques montrent, qu’à la différence d’autres villes comme Paris ou Rouen, où la présence du bois dans les constructions est encore très forte à l’époque moderne, la pierre est, déjà au xvie siècle, dominante dans les habitations marseillaises2.

3Il n’y a rien d’étonnant à cela : les carrières environnantes du Cap Couronne, exploitées depuis l’Antiquité, procurent à Marseille un matériau que l’on peut aisément se procurer par sa proximité, et à moindre coût car le transport par voie maritime reste encore le moyen le moins cher (Pedini 2008). La recherche de matériaux peu onéreux et d’approvisionnement facile se retrouve dans d’autres villes du royaume (Meyer Poussou 1995). Qu’il s’agisse des calcaires stampiens blancs de Saint-Victor, de la pierre de Cassis (calcaire de faciès urgonien), ou des calcaires burdigaliens du cap Couronne et de Ponteau, les architectes utilisent à Marseille les pierres proches de la ville depuis le vie siècle avant J.-C. La qualité est choisie en fonction de sa destination dans la construction et donc de sa résistance à la charge à supporter ainsi qu’aux agents atmosphériques.

4Les études pétrographiques menées lors des fouilles archéologiques ont montré, l’utilisation de calcaire blanc oligocène, des grès et des poudingues de l’Oligocène supérieur, de calcaire miocène de la Couronne ainsi que des travertins quaternaires dans les constructions.

5L’archéologie met en évidence l’utilisation majoritaire durant l’époque moderne de la pierre de taille issue des carrières de la Couronne. Différents modules correspondent à des utilisations architectoniques spécifiques : bards, quairon, bujets, quairades, grazes, croizilhons, montants.

  • 3 « Quelques pierres utilisées à Marseille depuis les origines », Pierre Actual, n° 813, 2004, 102-10 (...)

6Généralement, la pierre dénommée « le calcaire rose » est à grain fin, d’une couleur variant du beige au rose, localement au jaune3. Extraite des carrières de la côte sud du massif de la Nerthe, entre Sausset-les-Pins et Fos-sur-Mer, elle est destinée à des ouvrages nécessitant un ajustement précis comme les arcs ou recevant un décor sculpté tels que les encadrements de baies. Les bancs donnant des pierres plus coquillières, plus tendres, fournissent les blocs utilisés en fondation ou dans les parements.

  • 4 Ce sont les prix-faits pour Jean Le Sonneur : AD BDR : 360 E 110, f° 250 v° ; Jean Bissar : 360 E 6 (...)

7Les sources notariées n’indiquent que très rarement la qualité de la roche utilisée. Parmi plus de quatre vingt prix-faits pris en compte pour l’étude du Corps de Ville, neuf d’entre eux seulement, prescrivent l’emploi de la pierre de la Couronne (la Couronne est un quartier du terroir de Martigues4).

  • 5 AD BDR : 362 E 101, f° 534 v°, prix-fait du 12 avril 1651.
  • 6 AD BDR : 360 E 80, f° 446, prix-fait du 25 juin 1649. Dans le prix-fait signé par Pierre Mesnier, o (...)

8D’autres pierres sont présentes dans les constructions d’époque moderne, en particulier les roches calcaires tendres, dites également « pierres blanches » issues du massif de Notre-Dame de la Garde. Elles sont de couleur beige clair et de faible porosité. Selon leur qualité, elles sont utilisées sous formes de pierre taillée ou de moellons. Le prix-fait signé par Honoré Béraud pour la construction de sa maison entre la rue de Jean Salles et le port stipule de faire « le caraige du coste du port de pierre de taille avec sa massonnerie par dernier jusques a lauteur de dix sept pans et employant de pierre de notre dame bonne et de la plus fine que ce treuvera5 » ; c’est également de la pierre de Notre Dame sous forme de blocs taillés qui est employée pour la maison de François Courdonneau, rue Coutellerie : « les pierres de taille seront de celles apellées de Notre Dame bonnes, propres, marchandes et de receptes6 ».

9Les fouilles révèlent également la présence de grès et de tuf. C’est le cas de la façade d’une maison de C. de Vias, à l’angle des rues de la Guirlande et de la Taulisse dont la façade est parementée en blocs taillés de grès à joints sciés, de tuf et de calcaire de la Couronne (Mezzoud, Thernot 2011 : 122-124).

  • 7 AD BDR : 360 E 110, f° 25 v°.

10Quant à la pierre pastouire mentionnée dans la plupart des textes notariés, elle désigne les moellons des maçonneries en blocage. Elle peut être employée dans les fondations : « les murailles des fondements seront construites de bonne pierre pastouire » ou dans le blocage interne des murs en grand appareil : « les murailles des carages ou façades auront deux pans d’épaisseur avec leur retirement nécessaire, construites d’un pan à pierre pastouire et sable par dedans et d’un pan pierre de taille dure de la Couronne par dehors7 ». Les différences de qualité des blocs correspondent à des utilisations spécifiques. La pierre à grain fin de couleur rose sera utilisée pour des ouvrages nécessitant une précision dans la pose : les arcatures en fondations ou celles des portes ou des fenêtres. Les pierres plus tendres seront utilisées en fondations ou dans les parements. Les grés et poudingue sont utilisés dans le blocage des murs (Mezzoud, Thernot 2011 : 122-123).

L’acheminement de la pierre

  • 8 C. Pedini a retrouvé plusieurs contrats par lesquels des carriers s’engagent à charrier la pierre c (...)
  • 9 Le transport par voie maritime de 100 queyrons du port de Carro à Marseille, coûtait à peine plus c (...)
  • 10 AD BDR : 380 E 155, f° 768 v°, contrat du 15 mai 1659.

11Une fois extraite, les pierres doivent être acheminées vers Marseille. Trois étapes constituent le trajet allant du lieu d’extraction jusqu’au chantier. L’itinéraire allant de la carrière au port d’embarquement constitue le premier trajet ; vient ensuite le transport maritime jusqu’au port de Marseille ; enfin les matériaux sont conduits du quai jusqu’au chantier. Plusieurs métiers participent à ce transport que leurs acteurs pratiquent de manière régulière ou occasionnelle. Par exemple, lorsqu’une quatrième étape est ajoutée, la carrière étant éloignée du port comme c’est fréquemment le cas, un premier transport terrestre nécessite l’intervention des charretiers8. Des traces de chargement in situ ont permis aux archéologues de repérer plusieurs ports à la Couronne à partir desquels les pierres étaient acheminées. Le transport par voie maritime était le moins onéreux9. Il se faisait sur des tartanes en capacité de contenir de 500 à 1000 queyrons (soit de 40 à 80 tonnes). Des actes notariés attestent ces transports par mer et nous renseignent sur les différentes conventions établies. Plusieurs solutions pouvaient être adoptées selon qu’il s’agissait d’un grand chantier ou d’une construction simple. Dans le premier cas, soit le contrat unissait les trois parties – l’entrepreneur, le carrier et le transporteur, ce dernier s’engageant à charrier des pierres pendant la durée du chantier. Soit, l’entrepreneur traitait directement avec le pereyron ou carrier, comme c’est le cas pour la construction de l’Arsenal : les trois carriers Jacques Morenas, Anthoine Roux et Jean Roubaud s’engagent auprès des entrepreneurs Pierre Puget, Pierre Méollan et Jacques Guillermy à fournir les pierres nécessaires à leur ouvrage pendant toute la durée du chantier, au fur et à mesure de leurs besoins. Le transport incombe soit au commanditaire, comme dans le cas de l’Arsenal, soit au transporteur. Ce dernier peut également n’être chargé que du seul transport sur mer. Le contrat qui unit, en 1659, les pères de la congrégation des Missionnaires du Saint-Sacrement et un carrier de Jonquières (quartier de Martigues) prévoit que le transport des pierres nécessaires à la construction de leur première église se fera à ses frais jusqu’au port, « devant le couvent des pères Augustins » où les pères du Saint-Sacrement doivent les réceptionner et les faire apporter jusqu’au lieu de la future construction, cette seconde étape du transport étant alors à leur charge10.

  • 11 AD BDR : 392 E 103, f° 51 v°, le 27 janvier 1678.
  • 12 AD BDR : 392 E 103, f° 75 v°, contrat du 14 février 1678.

12Un marchand peut être l’intermédiaire entre le pereyron et l’acheteur. Dans ce cas, c’est lui qui prend le transport à sa charge. Le contrat qui lie les pères Chartreux au péreiron leur fournissant la pierre de Calissane pour l’édification de leur église stipule qu’elle « sera portée et randue aux frais et despans dud. Tromp au port de ceste ville et au lieu que lesd. pères lui indiqueront11 ». De même lorsqu’un marchand achète une cargaison de pierres, pour se constituer une provision et peut-être aussi lorsqu’une occasion intéressante se présente, il achète à un carrier une certaine quantité de matériaux, dont il prend en charge le transport. Le contrat qui unit Simeon Gay, peyreiron de la Couronne à Anthoine Roux et Jacques Mourenas, l’un aubergiste et l’autre marchand de Martigues, les engage réciproquement. En 1678, Simeon Gay, un carrier de la Couronne, vend toutes les pierres que produira sa carrière à deux personnes qui s’engagent à les lui prendre à lui et à son fils, « sur la peiriere dans le cartier des Gardis au terroir dudit La Couronne, toute prête à embarquer » pendant deux ans et à les livrer à leurs frais12.

  • 13 AD BDR : 383 E 76, f° 984 v°.
  • 14 AD BDR : 5 G 629, achat de Pierre pour la maison épiscopale le 22 mai 1648 ; AD BDR : 373 E 270, f° (...)
  • 15 On trouve dans les comptes des réparations faites à l’évêché au xviiie, la mention de 15 sous, payé (...)

13Une fois livrée sur le quai du port, près de la Loge ou de l’Hôtel de Ville, ou près de l’église des Augustins, il faut encore charrier la pierre jusqu’au chantier. Cette dernière partie du trajet est effectuée soit par des portefaix13 – en 1648, la pierre de taille pour la construction du palais épiscopal est charriée « à la ribve du port de ceste ville » par six portefaix engagés par l’évêque de Marseille14 – soit également à dos de mulet, le commanditaire prenant alors à sa charge le transport, ce qu’il répercute sur sa facture15.

14Le coût du transport s’ajoutant à celui de l’extraction puis de sa taille, la pierre de taille a donc, malgré sa proximité, un coût non négligeable. Son emploi dans les habitations modestes restait à découvrir. Bien que de plus en plus fréquent, il ne semblait pas majoritaire dans les maisons. La pierre de taille reste un matériau précieux et les textes d’archives montrent que son utilisation dans les demeures privées n’est pas la règle. Selon la partie de la maison à construire ou à restaurer (fondations, murs de façades, murs mitoyens) la qualité de la pierre utilisée varie. La logique économique n’est pas la seule raison prise en compte dans le choix de la pierre de taille, en particulier la pierre neuve. Par contre elle est l’élément essentiel dans la réutilisation des matériaux de la démolition.

Les fondations

15Les découvertes archéologiques confirment ce que révèlent les prix-faits : à l’époque moderne, la pierre constitue à Marseille la plus grande partie des bâtiments tant privés que publics. Pierre dite « pastouyre » (moellon) ou pierre de taille, son emploi est patent. Son emploi pour une meilleure solidité de l’édifice semble évident. Pourtant il n’est pas systématique ; lorsque ce choix est fait, il ne l’est pas toujours en faveur de la pierre de taille neuve. Le réemploi est pratiquement une règle. Les prix-faits sont très explicites : tous les maçons se doivent de réutiliser les matériaux de la démolition et en particulier la pierre à condition qu’elle soit « bonne et de récepte ».

16Les prix-faits permettent une analyse des différentes parties des habitations où, selon les cas, tel ou tel type de pierre est utilisé.

  • 16 AD BDR : 391 E 394, f° 419, prix-fait pou Gaspard Guichard du 16 juin 1665.
  • 17 À la rue Saint-Christophe, la façade de la maison d’Isabeau Chastanier a dû être coupée pour l’alig (...)

17L’instabilité du sol de ce secteur gagné sur la mer est une difficulté que les constructeurs doivent affronter à l’époque moderne. De plus, l’espace pour de nouvelles constructions devenant restreint, les bâtiments doivent être rehaussés d’un, voire de deux étages. Ces raisons justifient le soin particulier apporté par les entrepreneurs aux fondations des maisons du quartier du Corps de Ville. La réalisation de fondations plus profondes ou plus larges oblige à la destruction de celles déjà existantes. Lorsque c’est la solution adoptée, les fondations sont ensuite creusées et la terre dégagée par l’entrepreneur à la profondeur décidée. Au cas où l’on rencontre de la roche, on doit l’abattre16. La décision de la reconstruction des fondations peut être laissée à l’appréciation de l’entrepreneur qui jugera, en commençant les travaux, si elles sont suffisamment solides et peuvent supporter le nouvel édifice17. Si le maître d’œuvre opte pour laisser en place les anciennes fondations, il installe un radier de grand appareil par dessus. Les fouilles ont mis au jour plusieurs exemples de cette sorte. Dans la partie est de la rue de la Guirlande, les fondations d’une maison reposent sur des fondations médiévales préexistantes ; le radier est composé de blocs taillés en pierre de la Couronne d’une largeur variant de 0,50 à 0,60 m pour une épaisseur de 0,25 m, posés en parpaing et panneresses. Un exemple identique tout en étant d’une meilleure qualité a été retrouvé également sur le chantier de l’Alcazar, à l’angle de la rue du Petit Saint-Jean et de la rue du Baignoir (Thernot 2011 : 125-129).

  • 18 AD BDR : 380 E 130, f° 27, prix-fait du 7 janvier 1639.
  • 19 AD BDR : 360 E 40, f° 958, prix-fait du 7 septembre 1604. Bernardi 2011 : 184-187.

18Les prix-faits n’indiquent pas toujours la profondeur des fondations. Dans la plupart des cas, c’est la coutume qui sert de référence. Un exemple est fourni en 1639 par le contrat signé par Anthoine Pontier, rue Coutellerie : il y est mentionné que les fondations devront être creusées de « proffondeur competante », c’est-à-dire jusqu’au ferme18. Selon la nature du sol la profondeur des fondations peut ne pas être fixée. La prescription est alors d’atteindre le « ferme », c’est-à-dire de s’assurer de la « fermeté » du sol sur lequel les fondations seront posées. Aussi demande-t-on au constructeur de creuser « tant bas que sera necessaire et que le bon et ferme se trouvera19.

19Des prescriptions plus précises peuvent toutefois être notifiées : pour la maison de Clere Davin sur la place Neuve, dont la hauteur est projetée à environ 64 pans (16 m), on creuse jusqu’à 2 pans (0,50 m) plus bas que la cave ; sachant que celle-ci est à 7 pans (1,75 m) sous terre, cela fait 9 pans (2,25 m), ce qui fait un rapport d’environ 1/7e de la hauteur totale. Celles de la maison de Simon Rampeau auront sensiblement la même profondeur puisqu’on demande de les creuser de 12 pans (3 m) sous terre.

  • 20 AD BDR : 358 E 134, f° 331, prix-fait du 17 mars 1683.

20Les découvertes archéologiques confirment ce fait : dans la rue de la Guirlande les fondations d’un bâtiment ont été trouvées à plus de 2 m (Sillano 2005 : 479). Pour compenser la médiocrité des fondations, on peut choisir de poser par dessus un soubassement en pierre de taille appelé « fillade » afin de « fortifier l[ed.] ouvrage », comme cela est précisé dans le prix fait passé en 1683 entre Lazare Piquet et Pierre Puget. Ainsi l’entrepreneur « fera la fassade du costé de septentrion sur la petite ruelle, de la largeur de lad. maison et de la hauteur despuis le res deschausséé jusques au touet en comansant une fillade de quatre pans d’hauteur de pierre de taille servant de soubassemant par le dehors20 » (fig. 72).

21Deux types de fondations décrits dans les textes ont pu être vérifiés en fouille : les fondations sur pieux, les fondations en semelles avec association de pierre de taille ou de moellons liés à du mortier de chaux et de sable.

Les fondations sur pieux

  • 21 AD BDR : 364 E 294, f° 475, « Devis des ouvrages de pierre froide, taille, maçonnerie et brique néc (...)

22Fréquentes à proximité de zones maritimes en particulier portuaires dont le sol est rendu instable par l’affleurement de l’eau, les fondations sur pieux sont utilisées à Marseille depuis l’Antiquité tardive pour assurer la stabilité de certains bâtiments. À l’époque moderne, on les utilise dans la construction du quai devant l’Hôtel de ville21 et elles forment la base de plusieurs maisons proches de cet édifice. Les sources signalent, en 1663, la maison de Jacques de Forbin à l’angle des rues de la Loge et de la Prison dont trois façades sont mises en œuvre sur pieux. Les maçons ont pour consigne de faire :

Les pillotis qui soustiennent les fondemans […] de neuf tout ou partie par bout aux despans dud. sieur, En fait lesd. m[aistr]es commanser[ont] de bastir sur pieux les trois fassades de lad. maison scavoir les deux quy regardent le port lune sur le midi et lautre sur le couchant de bonne pierre de taille neufve et dure de la Coronne despesseur de trois pans jusqu’à ras de terre […].

  • 22 AD BDR : 380 E 163, f° 742, prix-fait du 23 mai 1667.

23Pour ces trois façades on a fait le choix de la pierre de taille neuve. Pour la façade septentrionale la pierre de taille de la démolition suffira : « lautre qui regarde du couste de tresmontane en la rue allant à St Jehan sera bastie de la pierre de taille vieille de la desmolition et avec meilleures pierres de lad. desmolition, despesse (ur) de deux pans et demi au fondemants22 ». Les fondations découvertes en fouille de l’une des façades du bâtiment situé au n° 8 rue des Olives attestent l’utilisation de cette technique : la façade est supportée par un ensemble serré de pieux sur lesquels des blocs de pierre de taille de la Couronne disposés en boutisse ont été disposés. Au dessus, d’autres blocs sont placés en carreaux avec un blocage par derrière. Par contre, une autre des façades, également sur pilotis, voit sa fondation constituée de blocs de remploi, de taille moindre, lié par un mortier (Sillano 2005 : 48) (fig. 73).

La semelle filante

  • 23 AD BDR : 360 E 118, f° 25 v°.
  • 24 Ces observations ont été faites pour deux bâtiments de la rue des Olives (parcelles n° 373-374). Le (...)

24La semelle filante est le type de fondations le plus couramment rencontré à Marseille. Suivant la structure des murs qu’elle soutient, elle est façonnée d’un blocage mêlé d’un mortier de chaux et de sable. On en trouve une description dans le prix-fait de la maison de Jean Le Sonneur construite en 1686 à l’angle de la rue Saint-Christophe et de la Guirlande : « les murailles de fondements seront construites de bonne pierre pastouire à chaux et sable dont le sable sera moitié de la mer et moitié de celle de la terre23 ». Cette technique a été rencontrée en fouille où des fondations faites de gros moellons mêlés de pierres de récupération liées à un mortier ont plusieurs fois été observées. L’archéologie met également en évidence des éléments plus précis de la technique : maçonneries plus homogènes, constituées de plusieurs assises de grés et de poudingues liées par un épais lit de mortier, pour des semelles datant du xvie siècle (Sillano 2005 : 47924).

25Les semelles peuvent aussi être réalisées en pierre de taille. Les prix-faits ne précisent que rarement la qualité de pierre de taille choisie, même dans le cas des élévations. La seule indication donnée à l’entrepreneur est celle d’utiliser la « bonne pierre de taille » ; elle ne précise ni la provenance de la pierre ni si elle doit être employée neuve ou récupérée. Pierre Mesnier, dont l’une des maisons est reconstruite en 1696, choisit la « pierre de roche de la Garde » pour les fondations. La préférence pour les pierres de la colline de la Garde peut s’expliquer par l’extrême proximité du lieu d’extraction, ce qui facilite l’approvisionnement et réduit son coût.

26L’archéologie permet d’apporter des précisions. Plusieurs fondations en pierre de taille ont été observées sur le chantier de la place Villeneuve-Bargemon : ainsi une pierre de fondation de l’un des immeubles de la rue de la Prison a été découverte en fouille : l’année 1744 y était gravée (fig. 74). Des fondations correspondant aux parcelles 401 et 402, au nord-est de la rue de la Guirlande, sont en pierre de la Couronne de récupération. Il s’agit d’une assise de pierre de taille supportant un blocage en pierres brutes. Les blocs de dimensions variables (environ 65 x 50 x 25 cm) sont disposés en panneresse ou en boutisse (Sillano, 2005 : 480). La pierre de taille de la Couronne dont la constitution est présentée supra offre l’avantage d’être tendre et de durcir à l’air, ce qui la rend particulièrement résistante à la pression des assises supérieures des étages. L’architecte Victor Leroy indique qu’au xixe siècle, elle était employée généralement, dans la première assise des fondations (Leroy 1847 : 15).

27La largeur des fondations est plus fréquemment mentionnée : la lecture des prix-faits permet d’observer une variation de l’épaisseur des semelles allant de 2 à 4 pans (0,50 m à 1 m), la variation s’opérant en fonction de l’élévation à soutenir. Ainsi des fondations prévues pour soutenir une façade composée de plusieurs éléments en pierre de taille sera en général plus épaisse.

  • 25 AD BDR : 360 E 110 f° 25 v° : « les fondements des[ite]s murailles qui seront commencées à ladite c (...)

28Lorsque les fondations sont construites au même niveau que la cave, leur épaisseur est supérieure à la base en laissant un fruit pour aller jusqu’à ras de terre25.

  • 26 AD BDR : 390 E 163, f° 327, prix-fait du 2 août 1602.

29Un bâtiment plus imposant, tel qu’une église ou une chapelle, requiert une base plus importante, la largeur de la semelle peut alors dépasser les 4 pans : la chapelle que font construire les frères pénitents noirs de Saint-Jean-Baptiste dans l’enclos du couvent de l’Observance a des fondations de 5 pans (1,25 m) d’épaisseur26.

  • 27 AD BDR : 393 E 87, f° 580, prix-fait du 27 juin 1668.
  • 28 Pour l’analyse de cette parcelle voir Sillano, 2011 : 326-328.

30Pour soutenir une façade en pierre de taille les fondations également en pierre de taille ne sont pas toujours la seule solution adoptée. On peut le vérifier chez Catherine de Vias, dont la maison se trouve à l’angle de la rue de la Guirlande et de celle de la Taulisse : le projet de reconstruction de 1668 prévoit d’élever une façade en pierre de taille jusqu’au toit prenant appui sur une fondation en maçonnerie : « led. Bouisson […] faisant la fassade de coste de la rue de la Guirlande de pierre de tailhe despuis le plan de la rue jusques au toict faisant le fondement de massonerie jusques au ferme27 ». L’archéologie a révélé l’extrême complexité des éléments bâtis sur cette parcelle, qui ont pu être datés du xvie siècle. Les nombreuses transformations opérées sur cette parcelle très remaniée au cours des différentes mutations interdisent d’établir un lien direct entre les fondations découvertes en fouille et le prix-fait de 1668 qui prévoyait leur reconstruction totale après démontage des anciennes. Toutefois, l’une de celles mises au jour par la fouille fait apparaître une alternance d’assises de blocs liés par un mortier débordant et de moellons et de blocs non liés entre eux soutenant une élévation constituée d’un moyen appareil de taille28.

  • 29 AD BDR : 356 E 84, f° 422.

31Le rehaussement des immeubles opéré à partir du milieu du xviie siècle, signalé plus haut comme un palliatif au manque d’espace disponible, suscite une grande attention à la relation fondations-élévations. La pierre de taille avec laquelle le gipier Phédéric Piau se doit de faire les fondations à la maison de Simon Rampeau devra également être de bonne qualité puisque le « fondement [du caraige] aura douze pans dans terre » et sera « fait de bonne pierre de tailhe de l’espesseur et de la longueur d’un cairon de lad[it]e tailhe29 ».

Les fondations sur piles

32Non mentionnée dans les sources, la technique est pourtant mise en œuvre dans le secteur, la présence d’éléments évoquant ce type de disposition mis au jour lors de la fouille de la place Villeneuve-Bargemon en témoigne. À l’angle des rues de la Taulisse et de la Guirlande – parcelle 387 –, sous la fondation du mur de façade méridional, quatre éléments de soutènement – piles et arc doubleau – ont été implantés en sous-œuvre, préalablement à l’installation d’une cave qui n’a pas été réalisée. Du sommet des piles, hautes d’environ 2,30 m, et larges d’1,10 à 1,50 m, des éléments d’un arc doubleau en moyen appareil de pierre de taille ont été repérés. Le mobilier archéologique associé à cette technique, permet de la dater du xviie siècle (Paone 2011 : 313-314).

33Cette disposition fait écho à un texte aixois relevé par Ph. Bernardi dans lequel un commanditaire, prévoyant de construire une cave, qui ne sera construite que deux ans plus tard, fait installer des piliers à trois des angles de sa maison, d’une profondeur d’environ 3,25 m. À partir de leur base des arcs en pierre de taille, chargés de soutenir les façades sont placés, laissant l’espace libre pour le creusement de la cave (Bernardi 1995 : 272).

Les caves

34Les caves de nombreux bâtiments dégagées lors des fouilles archéologiques de ce quartier ont offert un champ d’études privilégié sur les techniques de construction.

  • 30 Les plus anciennes mentions de caves datent de la fin du xve siècle (AD BDR : 4 HD B 8, f° 261, 148 (...)
  • 31 AD BDR : 352 E 132, f° 186 v°.

35La présence, dans ce périmètre de la ville, des deux marchés de la viande et du poisson a suscité un besoin accru d’espaces de stockage que traduit le développement de la construction de caves en sous-sols à partir du xvie siècle30. En 1549, Pierre Poëtte achète à Jean Railhon, une « crotte et table à couper chair » située « dans la petite boucherie » ; elle confronte « la rue que descend du Petit Mazeau au Change31 ». Au cours du xviie siècle, le nombre des caves associées à une ou plusieurs boutiques s’accroit dans d’importantes proportions. Leur réalisation coïncide avec les rehaussements des bâtisses déjà en place, ou leur élargissement en cœur d’îlot. Contemporain de la concentration de l’habitat, de l’artisanat et du petit commerce, ce phénomène s’accompagne de l’occupation de tous les rez-de-chaussée par les étals de bouchers ou de poissonniers, les boutiques de rôtisseries, de boulangeries. Ces transformations provoquent une relation de cause à effet : elles accompagnent et provoquent à la fois une évolution des manières d’habiter. Les boutiques ou ateliers des rez-de-chaussée, longtemps mêlés au reste de l’habitation comme faisant partie intégrante de la vie familiale durant les xvie et xviie siècles, vont en être progressivement séparés lorsque l’habitation ne se confondra plus obligatoirement avec le lieu de travail. Les étages seront occupés par une ou plusieurs familles n’ayant aucun lien avec l’activité pratiquée dans la boutique. Les caves construites sous les boutiques auront alors toute leur utilité.

36Pour répondre aux nouveaux besoins, les caves doivent être saines et donc réalisées avec des matériaux plus résistants. Les textes sont éloquents quant au soin apporté à leur construction. Leurs dimensions et leurs formes varient selon les besoins.

  • 32 AD BDR : 360 E 35, f° 719 v°, prix-fait du 15 novembre 1599.
  • 33 AD BDR : 361 E 117, f° 540, rapport de future cautèle du 31 août 1734.

37Souvent construites en sous-œuvre, entièrement refaites, ou agrandies, elles occupent dans de nombreux cas toute la surface de la maison, souvent dès la fin du xvie siècle. Celle que fait réaliser Melchior Medicis en 1599 sous la maison qu’il possède près de la boucherie consiste en « une crotte (au) dessoulz de ladite maison de la longueur et largeur d’icelle32 ». La nécessité de disposer de grands espaces de stockage est très perceptible à partir de cette période dans ce quartier portuaire. Les plus spacieuses, connues par les sources, sont celles de la maison de Jean Olivier à la rue Saint-Christophe : au nombre de trois, elles mesurent respectivement 36 pans de long pour 24 pans de large (9 m x 6 m) ; 40 pans sur 13 (10 m x 3, 25 m) ; et 43 pans sur 16 (10,75 m x 4 m)33. En général, leur hauteur varie entre 9 et 12 pans (entre 2, 25 m et 3 m).

38En préambule de la construction en sous-œuvre, le maçon doit prendre des précautions nécessaires afin d’éviter un effondrement des parties restées en place et des maisons voisines. Dans un premier temps, comme nous l’avons vu, il pose des « apontellements » et des étais. Les fouilles ont révélé plusieurs exemples de négatifs de ces structures en bois enchâssés dans les murs de soutènement en maçonnerie.

39Pour maintenir la stabilité du bâtiment, diverses solutions techniques sont adoptées selon que la cave est perpendiculaire à l’axe du mur porteur ou parallèle à l’alignement des murs qui la prolongent. Dans le premier cas, on réalise un travail préparatoire visant à faire des piliers posés sur le terrain ferme ; on construit ensuite des arcs de décharge en pierre de taille prenant appui sur ces piliers et placés sous les murs de façade. Puis on creuse en confortant les terres, et l’on met en place une voûte. C’est cette technique qui est prescrite en 1663 pour l’édification de la cave sous la maison du marchand Jean Abeille dans la rue de la Prison :

  • 34 AD BDR : 364 E 274, f° 653 v°, prix-fait du 18 septembre 1663.

Led. me Rayne sera tenu comme promet faire ung arc doubleau en arcade de pierre de tailhe de laultheur de la cave vieille pour soubstenir la murailhe qui sespare lad. cave davec celle quil fault fere de neuf, lequel arc doubleau sappuyera de chaque costé des murailhes mestresses et au pied dicelles et soubstirera et soubstiendra tout ce qui sera utile et nécessaire, comme aussi creuzera lad. cave et fera enlever la terre curune34.

La mise en œuvre des différents éléments des caves

  • 35 AD BDR : 357 E 133, f° 633, rapport de future cautèle du 17 mars 1642.

40L’escalier qui donne accès à la cave à partir du rez-de-chaussée est lui-même un élément de stabilité. Quel que soit le mode d’élaboration choisi, on y accède toujours par une porte en pierre de taille. Le nombre de marches varie entre 14 et 16, elles sont toujours en pierre de taille. La qualité de celle-ci n’est pas indiquée dans les sources, mais l’archéologie a livré essentiellement des escaliers de caves en pierre de taille de la Couronne. La hauteur des caves est voisine de celle des étages d’habitation les plus bas – environ 2,50 m. L’escalier aboutissant à la cave de la maison de Jean Esprit Jaubert, rue des Masses, a 17 marches35. Les blocs, formant les marches de volées tournantes, ont une largeur comprise entre 0,22 et 0,24 m et une hauteur d’environ 0,20 m (Thernot 2011 : 130-131). (fig. 75)

  • 36 AD BDR : 361 E 117, f° 540, rapport du 31 août 1734.

41Les textes d’archives sont toujours laconiques sur la forme de la voûte, se contentant de signaler, dans la plupart des cas, des caves « crottées », désignant aussi bien la voûte que l’espace voûté, pour les différencier des « celliers » dont le plafond est charpenté en bois et qui ne sont pas obligatoirement souterrains. Parmi les caves documentées par les archives, seules celles placées sous la maison de Jean Ollivier, rue de la Guirlande, sont décrites par un rapport d’estime de 1734, comme étant « vouttée(s) a berceau36 ». L’archéologie permet de préciser que cette technique fait reposer la voûte, en pierre ou en brique, sur des impostes et des culots ancrés dans les murs ou sur des piliers axiaux et les murs d’échiffre des escaliers d’accès (Thernot 2011 : 171-177).

  • 37 AD BDR : 360 E 80, f° 446, prix-fait du 25 juin 1649.
  • 38 AD BDR : 391 E 406, f° 162 v°, prix-fait du 13 juin 1680.
  • 39 AD BDR : 355 E 455, f° 91, prix-fait du 1er mars 1654.

42Les quelques textes évoquant avec précision les caves témoignent de la diversité des méthodes employées. Dans le rapport établi pour la maison de François Courdonneau en 1649, la voûte est en demi ellipse : « La voulte de la cave sera faite a demy voulte » et les murs latéraux sont en blocs liés au mortier « Les rains de massonnerie37 ». La cave de la maison de Pierre Chainé, sur le Petit Mazeau « est vouttée d’une massonerie sans estre enduite en les murailles38 » signalant l’absence de mortier, peut-être due néanmoins à la vétusté. Celle de la maison de Clere Davin, sur la place Neuve « sera faite de quairons et le reste de pierre de roche avec mortier de trois pans d’épaisseur39 ». Les trois caves découvertes en fouille au nord-est de la rue de la Guirlande attestent l’usage de cette technique. L’appareillage des murs comme celui des voûtes des trois caves était fait de matériaux hétérogènes mêlant moellons de calcaire de la Couronne, galets et cailloux. Le réglage des assises était constitué de fragments de tuiles pour l’une d’entre elles (Sillano 2005 : 486). (fig. 76)

  • 40 Chez Jacques de Forbin, près de la Maison du Roi : prix-fait du 23 mars 1667 (AD BDR : 380 E 163, f (...)
  • 41 AD BDR : 360 E 72, f° 360, prix-fait du 14 mai 1637.

43Plusieurs textes décrivent des voutes réalisées en brique40. Chez Jean Le Sonneur, la voûte devra être faite de « bons malons ou de pierre de crotte de Séon ». On en trouve également une mention dans le prix-fait signé par Jean Griffet, sous l’appellation de « mattone de crotte41 ».

  • 42 L’ancienneté de la technique est attestée par un prix-fait de la fin du xvie siècle. L’ouvrage prév (...)

44Ces briques dites « mallons de crotte », fabriquées au quartier de Séon, peuvent constituer des voûtements en arêtes, dits « à crouzier ». Ce type de voûte peut également être réalisé en maçonnerie. Cette technique, fréquente au xviie siècle, ne semble pas avoir été usitée au-delà du xixe siècle à Marseille car l’architecte Victor Leroy remarque que ce type de voûte est extrêmement rare dans les constructions marseillaises, (Leroy 1847 : 55). La voûte d’arête présente la particularité d’avoir recours à un pilier central supportant les retombées des arêtes, comme dans la maison déjà citée de Cosme de Monteulx pour laquelle le maçon doit, pour soutenir l’ensemble, faire « ung pillier de pierre de tailhe au millieu avec quatre crosières de mallons de crotte42 ». Ce pilier, toujours élevé en pierre de la Couronne, présente un sommet plat ou avec un chapiteau en forme de pyramide inversée, comme cela a été trouvé dans la parcelle 359, en bordure du Petit Mazeau (Sillano 2005 : 488). (fig. 77)

  • 43 AD BDR : 391 E 391, f° 769, prix-fait du 25 septembre 1662.
  • 44 AD BDR : 391 E 376, f° 901 v°, rapport de future cautèle pour Barthelemy Callamand du 23 décembre 1 (...)

45L’archéologie révèle l’association de divers matériaux dans la construction des caves : des murs bâtis avec des matériaux hétérogènes disposés de manière irrégulière supportant une voûte de texture identique. D’autres sont en moellons de calcaire de la Couronne associés à des galets et cailloux, avec une assise constituée de fragments de tuiles ; d’autres encore montrent un voûtement fait de blocs de calcaire de la Couronne (fig. 78). C’est le cas d’une des caves fouillées de la rue de la Guirlande – parcelle 401 – qui présente un élément composé de moellons de calcaire de la Couronne mêlés à des galets et des cailloux (Sillano 2005 : 486-488). Les murs supportant la voûte peuvent également être montés avec des pierres de taille comme ceux de la cave de Pierre Carpan, près de la Poissonnerie43. Ces appareils à surface irrégulière laissent supposer que le mur est ensuite enduit ; cela ne semble pourtant pas être toujours le cas, puisque les murs de la maison de Barthellemy Callamand rue de la Guirlande sont décrites comme étant non enduites44. Il ne faut cependant pas exclure que l’absence d’enduit ait pu être due à la vétusté du bâtiment.

  • 45 AD BDR : 351 E 988, f° 1178, prix-fait du 10 juin 1674.

46Lorsque l’entrepreneur est plus expérimenté, il renforce les murs latéraux en y ajoutant des « pilliers de bois de pin […] noyés au-dedans desd. murailles45 ». Les fouilles ont révélé plusieurs exemples de cette sorte de murs de soutènement en maçonnerie intégrant des pieux parfois reliés par des pièces horizontales. Ils sont construits par bandes parallèles verticales de 0,50 à 1,30 m de large. Les pièces d’étaiement dont le négatif apparaît dans le mortier sont des bois de section rectangulaire ou carrée de 10 à 15 cm de côté (fig. 79).

  • 46 AD BDR : 364 E 293, f° 626 v°, prix-fait du 28 août 1689.

47La présence d’arcs doubleaux en pierre de taille vient renforcer la structure. À la maison d’Isabeau Chastannier, la voûte supportant la façade démolie pour l’alignement de la rue Saint-Christophe est soutenue par un arc doubleau en pierre de taille46. Ils sont placés sous les façades à soutenir, ou bien lui sont perpendiculaires lorsqu’ils doivent porter les murs de séparation des pièces des étages supérieurs.

48Ils sont également nécessaires lorsqu’une cave se prolonge sous la rue. Ils ont alors pour fonction de soutenir la façade supportant ce creusement.

  • 47 AD BDR : 391 E 424, f° 115, rapport de future cautèle du 27 mars 1713 ; Thernot, 2011 : 172.

49Deux ou trois caves peuvent communiquer entre elles, complexifiant ainsi l’imbrication des sous-sols entre les différents bâtiments. C’est le cas de l’une des maisons à l’angle de la rue de la Guirlande et de la rue Saint-Christophe, dont la fouille a permis de repérer qu’elle était dotée d’un soupirail donnant sur la rue47. Au sous-sol du Logis de la Taulisse, la porte de communication entre les deux caves permet de traverser l’îlot du Mazeau jusqu’à la rue de la Taulisse (Thernot 2011 : 172).

  • 48 AD BDR : 352 E 155,f° 142 v°, prix-fait du 3 février 1560.

50Les caves avec extensions sous la rue se trouvent parmi les plus anciennes. Cette disposition permet d’aménager un accès direct à la cave à partir d’une trappe ouvrant sur la rue (fig. 80). L’instruction donnée en 1560 à Anthoine Achard, maître d’oeuvre de la maison de Cosme de Monteulx, énonce clairement l’agencement de la cave. Il est chargé de « fere et parfaire une crotte dans laditte maison pour l’eslargissement de l’aultre déjà faite », et « la conduyre jusques a demye rue de la rue derrier tremontane ». L’ensemble aura trois cannes de longueur et cinq et demie de large (soit 6 m sur 11 environ48).

  • 49 AD BDR : 360 E 72, f° 360, prix-fait du 14 mai 1637. C’est également de la cave de la maison de Sim (...)

51La cave réalisée en sous-œuvre de la maison de Jean Griffet sur le Petit Mazeau présente également cette disposition : elle doit prendre toute la largeur de la boutique sous laquelle elle est placée et se poursuivre « jusques a demy rue » ; deux arcs de pierre de taille sont placés pour soutenir les façades au sud et au nord49.

  • 50 AD BDR : 356 E 84, f° 422, prix-fait du 20 août 1622.
  • 51 Cet usage ne semble pas s’être prolongé au-delà du milieu du xviie siècle, époque à laquelle ces ex (...)
  • 52 AD BDR : 2 B 625, f° 477, prix-fait du 22 février 1613.

52Une telle configuration est visible sur plusieurs des parcelles fouillées en bordure de la place du Mazeau et à l’est de la rue de la Guirlande en face du marché : la cave du logis du Rozier – parcelle 357 et parcelles 399, 400, et 402 – dont la superficie s’étend, telle celle de Simon Rampeau, sur toute « la largeur de lad. maison et de la longueur d’icelle50 » et pour maintenir la façade du côté où est creusée la cave, il y a « une arcade de tailhe au dessoubz […] de la façon, autheur et largeur de celle de la crotte vieilhe ». Les textes exposant ces exemples parlent également de cave sous la rue51. Deux d’entre elles présentent à leur sommet une ouverture sur la rue comme celles évoquées plus haut. Des constructeurs de bâtiments dans d’autres endroits de la ville ont adopté cette particularité. Par exemple à l’église Saint-Thomas, attenante à l’église de Saint-Sauveur sur la place de Lenche, les artisans chargés de construire une cave au presbytère doivent « fere un trou ou deux sy besoing est quy perseront la crotte pour y fere couller le vin des vandanges52 ».

53La possibilité donnée aux Marseillais d’étendre les caves sous la rue avait été reconnue dans les Chapitres de paix du 6 juin 1257 signés par Charles Ier d’Anjou. Bien que très pratiques pour l’approvisionnement et l’écoulement des produits, ces ouvertures au ras du sol, devaient constituer des dangers pour la circulation du fait des problèmes de stabilité qu’elles provoquaient. Aussi, ce droit est-il plusieurs fois abrogé par les rois Henry II et Charles IX, en 1554 et 1569 ; mais les résistances sont fortes et les échevins ont du mal à obtenir l’obturation de ces extensions. Ces interdictions sont à diverses reprises rappelées aux Marseillais au cours des xviie et xviiie siècle (Billioud, 1957). Les traces de ces constructions découvertes en fouille mettent en évidence le peu de respect de ces consignes. Leur désaffectation est toutefois effective dans le courant du xviiie siècle, les archéologues datant leurs obstructions de cette époque (Thernot, 2011 : 176-177). (fig. 81)

Une cave à usage spécifique

  • 53 AD BDR : 353 E 80, f° 257, arrentement du 8 avril 1633.

54L’usage des caves est peu précisé par les sources. Tout au plus, lorsque la profession de l’occupant de la maison est connue, est-il possible de supposer qu’il y entrepose les matières ou produits nécessaires à son activité. Les caves peuvent tout simplement constituer un lieu de stockage d’effets personnels ou de réserve de vin, ce qui constitue une utilisation plus proche de celle que nous connaissons de nos jours. En 1633, Cornelis Leon prend en arrentement une maison située dans une rue descendant vers le port. Un cave dans laquelle il veut « pouvoir loger sa vaisselle et le vin de sa provision particulière » fait partie de la transaction53.

55Les caves contiennent souvent un puits qui s’élève jusqu’au rez-de-chaussée où on le retrouve dans la « salle basse » ou encore dans la cour intérieure (Thernot 2011 : 172). Ceux dont l’archéologie témoigne sont souvent antérieurs à la construction de la cave et présentent un parement maçonné réalisé lors du creusement de celle-ci (fig. 82).

  • 54 Les caractéristiques de ce matériau sont présentées infra, ch. iii, 2.
  • 55 AD BDR : 364 E 274, f° 653 v°, prix-fait du 18 septembre 1663.
  • 56 L’acte de vente du bâtiment acquis par Jean Abeille précise qu’il confronte « de levant lad[ite] ru (...)

56L’installation de cuves destinées à contenir de l’huile illustre un des usages des caves. Deux seuls prix-faits décrivent la mise en place de « pille à tenir huylle », dont la fouille a livré un exemple. Jean Abeille, déjà cité, prévoit de faire construire trois cuves dans sa maison de la rue de la Prison, en 1663. Il fait installer l’une d’entre elles au niveau des caves. Ayant environ 2,50 m de profondeur, elle doit être placée sur un sol « caladé » d’environ 50 cm d’épaisseur « faite de massonnerie la moytié par dessoubz et l’autre moytié par dessus avec le battum » et comporter au dessus une voûte de brique ; l’ensemble devait être entouré de pierres de taille recouvertes de batum, enduit utilisé pour ses qualités étanches54. Les deux autres cuves sont placées dans le couloir d’entrée de la maison au niveau de la rue. Elles sont de même facture et de même profondeur que la précédente et séparées entre elles par un mur55. Trois cuves alignées ont été découvertes au sous-sol d’une maison située dans la rue des Olives – parcelle 373 – posées sur un sol recouvert de galets de 0,15 à 0,25 m d’épaisseur. De forme carrée ou rectangulaire, leurs parois sont recouvertes d’un enduit hydraulique. Les parois de l’une des trois sont recouvertes de petites briques sous la couche d’enduit. Leurs fonds sont faits d’un béton de tuileau de 10 cm d’épaisseur (Sillano 2011 : 320-322). Il ne s’agit donc pas de la maison de Jean Abeille ; par contre les deux bâtiments devaient être voisins. Le bâtiment acquis par Jean Abeille en 1654 se trouvait dans le même îlot que celui où les cuves ont été trouvées en fouille56 (fig. 83).

  • 57 AD BDR : 393 E 82, f° 715.

57L’autre exemple de cuve à huile qu’ont livré les sources est moins détaillé. Il concerne la maison de Mathieu de Madières, dans la rue de la Guirlande. Parmi les consignes reçues par l’entrepreneur pour la réalisation de la cave, il est notifié que « le restant de la place de la cave sera faict un sistème pour tenir hyulle tout faict et parfaict avec deux à trois séparations comme led de Madières treuvera bon57 ».

Les sols pavés et carrelés

  • 58 AD BDR : 361 E 73, f° 15 v°, rapport de future cautèle du 5 janvier 1686.
  • 59 AD BDR : 391 E 383, f° 214, le 8 avril 1654.

58Les sols de cave sont revêtus de galets et de cailloux. La technique du caladage, signalée par Ph. Bernardi à Aix-en-Provence au xve siècle et dont il notifie l’influence piémontaise, est destinée à éviter l’infiltration des eaux (Bernardi 1995a : 366). Les prix-faits parlent d’un sol « caladé » que l’on retrouve également dans les sols de cuisine ou des cours intérieures ; ce type de revêtement de sol se pratique jusqu’au xixe siècle (Thernot 2011 : 130). Le sol de la cave de Jean Blanc, rue des Miroirs est « pavé de cailloux58 » de même que celui de la cave de l’auberge dénommée « La Coupe » appartenant à Jacques Gaultier sur la place du Petit Mazeau59. Pour une meilleure étanchéité du sol, les cailloux sont liés par un mortier dans lequel on a ajouté du batum, enduit hydraulique (fig. 84).

59Dans le courant du xviie siècle apparaît le pavage de brique ou de malons posés sur un mortier de chaux sans pour autant évincer les sols caladés. La terminologie ne permet pas toujours de distinguer s’il s’agit de briques ou de carreaux de terre cuite, le même terme de « brique » servant pour les deux utilisations. Celui de « mallons de crotte », ordinairement destinés à la confection des voûtes, se rencontre également.

60L’utilisation de carreaux de module carré – de 23 à 24 cm de côté pour 1,8 à 3,5 cm d’épaisseur – est attestée de la fin du xviie siècle jusqu’au milieu du xviiie ; des carreaux de 26 cm par 12,5 cm et 3 cm d’épaisseur ont été découverts dans une cave de la place du Petit Mazeau (Thernot 2011 : 123-125). V. Leroy les signale au xixe siècle comme des produits des fabriques de Séon-Saint-Henri (Leroy 1847 : 39).

61Les sols des caves sont également recouverts de carreaux d’un format rectangulaire mesurant de 26 à 27,5 cm de long, de 12 à 13,5 cm de large et 3 à 4,5 cm d’épaisseur. Tels sont ceux retrouvés en fouille au logis de la Taulisse (xviie s.) ou au logis du Rosier (xviiie s.).

  • 60 AD BDR : 364 E 348, f° 711o, rapport de future cautèle du 21 décembre 1715.
  • 61 Les malons de terceneau ou tercenal ont environ 0,23 m de long pour 0,12 m de large et 0,02 m d’épa (...)

62La cave de la maison de Philippe Silvestre est, elle, pavée de malons de tiercenaux60 carreaux en terre cuite également fabriqués au quartier de Séon à Marseille61. Cette appellation, qui fait écho au terme de tiersenal associé aux arsenaux, pourrait faire référence à un module spécifique utilisé pour carreler les bassins de radoub (Thernot 2011 : 124).

  • 62 AD BDR : 355 E 455, f° 91, prix-fait du 1er mars 1684.

63Un pavage en pierre de taille est également possible. Le prix-fait passé pour la maison de Clere Davin, sur la place Neuve indique en effet que la cave « sera toute pavée de bars de taille avec du battum par-dessous lesquels bars auront demy pan despesseur ». L’emploi d’un enduit hydraulique s’explique par le risque, signalé dans le prix-fait, d’arriver au niveau de l’eau en creusant, donc de la nécessité d’imperméabiliser le sol62.

64Les sols caladés ou malonés sont constitués de deux contrepentes légèrement inclinés vers un petit ruisseau central, ou fil d’eau, amenant les eaux de ruissellement vers une cuve en pierre de taille placée contre le mur ; ces cuves pourraient bien être les « bassinets » en pierre de taille évoqués dans les prix-faits ; ils sont en général associés aux puits placés dans les caves, ou dans les ciels ouverts (Thernot 2011 : 172).

65Ces deux types de pavement se retrouvent sur les sols des boutiques, des salles basses et des caves.

Les murs

66Si les caves ont offert un champ d’étude sur les techniques, les matériaux et les formes des constructions, il n’en est pas de même des élévations, toutes ou presque absentes lors des opérations archéologiques réalisées à partir de 1992, les derniers bâtiments municipaux présents entre la rue des Olives et celle de la Taulisse ayant été détruits en 1954.

67Si bien que seuls les actes notariés – prix-faits et rapports de future cautèle – peuvent témoigner de la manière dont ces habitations ont été construites à l’époque moderne.

68Les murs – façades, murs mitoyens ou de refend – constituent, l’un des points essentiels des ouvrages construits en pierre décrits par les prix-faits dont nous disposons. Nous ne prendrons pas en compte les cloisons nommées bugets, dans la réalisation desquelles la présence du bois intervient.

69Les deux types de construction, murs de moellons et murs en pierre de taille, sont ici distingués.

Les murs en moellons

  • 63 Le type de marteau utilisé pour cette opération est le « marteau taillant », ou « marteau taillant (...)

70Le terme définissant le moellon est celui de pierre pastouire. Le moellon est majoritaire dans les constructions marseillaises. La maçonnerie décrite par les textes notariés faite « de bonnes pierres, chaux et sable », est un ouvrage parementé constitué de moellons ou / et d’un blocage lié par un mortier de chaux. À chaque utilisation spécifique correspond un type de moellon en fonction de la taille et de la qualité nécessaires. La présence de bancs de calcaire dans les « montagnes » (collines) des alentours de Marseille, déjà signalée, offre la possibilité d’obtenir des moellons de différentes grosseurs et de taille plus ou moins régulière. Leur taille et leur qualité est fonction du type d’équarrissage. Au départ, un moellon est un bloc équarri grossièrement après avoir été ébousiné. Le bloc est travaillé au marteau puis aplani, ensuite les lits de pose sont définis63. Alors qu’à Paris cinq types de moellons ont été répertoriés dans les constructions (Carbonnier 2006 : 38-44), les actes notariés marseillais ne fournissent aucune précision sur la qualité des moellons employés. Tout au plus la distinction est indiquée entre une maçonnerie de moellons et un blocage interne apposé derrière un parement. À défaut d’observation archéologique des murs en élévation, les maçonneries souterraines servent de références. (fig. 85)

71Deux types de murs construits en moellons sont à distinguer : les murs mitoyens et les façades. Ces dernières constituant un élément plus complexe du mur, elles seront traitées à part.

Les murs mitoyens

  • 64 AD BDR : 360 E 33, f° 376, prix-fait du 27 juin 1597.
  • 65 AD BDR : 390 E 215, f° 1293, rix-fait du 20 novembre 1654.

72Les murs mitoyens sont toujours montés en moellons, des fondations jusqu’au toit. Parfois les anciennes fondations sont conservées. Lorsqu’elles sont refaites, elles sont toujours plus épaisses que le mur qui les surmonte. Les termes signalant l’épaisseur du mur sont souvent vagues : « epaisseur nécessaire » ou « compétente », faisant référence à un savoir-faire et à la coutume. Lorsqu’elle est indiquée l’épaisseur est relativement constante : elle est d’environ 2 pans et demi (environ 0,67 m) jusqu’au rez-de-chaussée, puis réduite à 2 pans (0,50 m), en diminuant jusqu’au toit. Les fondations sont d’un seul tenant. Dans la partie supérieure, leur épaisseur varie entre 1 pan et 1 pan ½ (0,25 et 0,37 m) toujours en diminuant vers la partie haute du mur. Le mur mitoyen séparant les maisons de Melchior Medicis et Jean Baptiste Reynaudet est ainsi refait de « bonne pierre neuve », des fondations jusqu’au toit et mesure 2 pans et demi d’épaisseur depuis sa partie enterrée jusqu’au plancher, et ensuite 2 pans « venant à mourir sur le plus haut jusque au toet de ung pan et demy64 ». Le mur mitoyen entre les maisons de Madame de Riquetty et le Baron de Bormes doit avoir 2 pans et demi d’épaisseur aux fondations et 2 pans à partir du niveau de la rue « avec son retirement nécessaire65 ».

73La comparaison avec les observations faites en fouille permet d’attester que les élévations sont construites en maçonnerie parementée en grand appareil ou en blocage enduit de mortier. Les pierres pastouire ou moellons non équarris, composent le blocage interne noyé dans le mortier. C’est également dans le blocage interne que l’on réutilise les matériaux de la démolition (fig. 86).

  • 66 AD BDR : 361 E 69, f° 726 f°, prix-fait du 24 septembre 1682.
  • 67 AD BDR : 363 E 250, f° 393, prix-fait du 20 mars 1715.

74Dans la plupart des cas, le parement extérieur est ensuite engrané, crépi, mêlé au mortier de chaux. Mais d’autres manières de procéder se rencontrent également. Le constructeur chargé de refaire la maison de Jean Boisse, rue Coutellerie, doit d’abord remettre la pierre à nu « decroustera le carage […] a pierre descouverte » puis l’enduire d’une première couche de mortier « l’anduira de bon mourtier », « luy passera un second mourtier gras » pour un meilleur lissage et « pour aplaner bien66 ». Par contre, Jean de Curet, dont la maison est proche de l’Hôtel de Ville, souhaite qu’on laisse la pierre apparente sur les murs mitoyens, « à pierre vue67 ».

75Pour pallier l’irrégularité des moellons, et pour un rendu plus agréable, sa face intérieure est ensuite enduite au mortier de chaux ou au plâtre, puis « aplanée », lissée, et enfin blanchie au lait de chaux.

Les façades

76Destinés à être vus, les murs de façade sont l’objet d’un plus grand soin.

  • 68 AD BDR : 373 E 271, f° 102, prix-fait du 23 janvier 1636.

77L’insuffisance des informations contenues dans les contrats notariés ne permet pas d’avoir la certitude de façades construites entièrement en grand appareil régulier de pierre de taille sans fourrure et sur toute la hauteur du bâtiment. Un seul exemple semble témoigner de ce type de construction : c’est celui de la maison de Pons Agnel, à la Grand Rue (rue Droite). Dans le préambule du prix-fait indique en effet de faire « les murailles qui sont sur les deux rues conformemant au dessain qui en a este fait, de bonne pierre de tailhe toutes portant parpain68 ». Ces éléments appuient l’hypothèse d’une mise en œuvre avec un grand appareil : ils plaident en cette faveur du fait que, à l’inverse de la plupart des prix-faits qui prévoient la pose d’une maçonnerie posée par derrière un parement de pierre de taille, il soit ici question de pierres en parpaing mises en œuvre sur toute l’épaisseur du mur. La façade principale aura un pan et demi d’épaisseur soutenue par un pilier central de 2 pans d’épaisseur ; la seconde façade sera de 2 pans d’épaisseur jusqu’au niveau des appuis de fenêtres du premier étage.

78Dans une majorité de cas, les actes notariés décrivent des murs de façades construits en moellons parementés, le parement de pierre de taille étant réalisé jusqu’à une certaine hauteur du mur. L’hôtel de Françoise de Vivaud, reconstruit entre 1559 et 1560, dont l’architecture et la décoration sont d’une grande richesse, ne fait pas exception à la règle : il présente une façade parementée, garnie de pierre de taille jusqu’au niveau des fenêtres du premier étage, les autres étages étant « de bonne pierres, chaulx et sable ». Derrière la façade en pierre de taille, la fourrure est en maçonnerie (Boyer 1987 : 22-26) (fig. 87).

  • 69 AD BDR : 5 G 629 (1648).

79L’essentiel des façades constitue donc ce que Ph. Bernardi nomme « les murs combinés ou mixtes », constituées d’un mur parementé d’un rang de pierre de taille avec une fourrure composée d’un blocage mêlé à un mortier de chaux. Les sources documentant la plupart des bâtiments du Corps de Ville attestent la fréquence de l’emploi de ce modèle (Bernardi 2006 : 279-280). Ce type d’appareil est exigé en 1648 pour la construction de la maison épiscopale. Jean-Baptiste Meollan est en effet prié d’« apliquer la pierre de taille dicte de notre dame » de deux pans d’épaisseur et de mesurer un seul parement69.

80La maçonnerie fourrée, composée d’une fourrure en blocage entre deux parements en pierre de taille, évoquée également pour Aix-en-Provence par Ph. Bernardi, n’est pas attestée dans les bâtisses privées du quartier du Corps de Ville.

81La plupart des façades, principales ou secondaires, sont construites en moellons avec un parement extérieur en pierre de taille jusqu’au premier étage ; c’est le cas le plus fréquemment rencontré pour les bâtisses du quartier du Corps de Ville, la partie intérieure du parement étant alors réalisée en blocage enduit de mortier. Plusieurs d’entre elles peuvent être montées tout en moellons reposant sur une ou deux assises de pierre de taille. L’une des trois façades de la maison de Lazare Piquet est en maçonnerie de moellons alors que les deux autres sont en pierre de taille. Elle est la seule à reposer sur un soubassement ou « fillade » de 4 pans (1 m) de pierre de taille. Pour économiser toutefois sur le matériau, il ne sera placé qu’en parement :

  • 70 AD BDR : 358 E 134, f° 331, prix-fait du 17 mars 1683.

Plus led. entrepreneur fera la fassade du costé de septentrion sur la petite ruelle de la largeur de lad. maison et de la hauteur despuis le res deschausséé jusques au touet en comansant une fillade de quatre pans d’hauteur de pierre de taille servant de soubassemant par le dehors et le dedans sera fait de bonne massonnerie (fig. 88)70.

82Le mur en maçonnerie et le mur parementé en pierre de taille dans sa partie inférieure, avec une partie supérieure de maçonnerie sont donc les deux cas d’organisation possibles (tableau 5).

Tableau 5 : organisation des façades d’après les sources notariées

Partie inférieure Partie supérieure
Moellons liés au mortier Moellons liés au mortier
Pierre de taille et maçonnerie Moellons liés au mortir
Pierre de taille et maçonnerie

83Plusieurs variantes existent ensuite à partir de ces deux cas :

  • 71 AD BDR : 364 E 348, f° 711 v°, rapport de future cautèle du 21 décembre 1715.
  • 72 AD BDR : 360 E 110, f° 25 v°, prix-fait du 11 janvier 1686.
  • 73 AD BDR : 357 E 172, f° 640 v°, prix-fait du 5 mai 1681.

84La hauteur de la partie inférieure varie selon les cas, le parement en pierre de taille pouvant s’élever jusqu’au troisième étage, comme c’est le cas chez Pierre Lieutaud71, à la rue Sainte Anne ou chez Jean Le Sonneur, rue de la Poissonnerie : « les murailles des carages ou façades auront deux pans d’épaisseur […] construites d’un pan à pierre pastouire et sable par dedans et d’un pan pierre de taille dure de la Couronne par dehors jusques au cordon du troisiesme étage72 ». Le plus souvent, le parement est réalisé jusqu’au premier étage. Quelquefois la hauteur correspondant à l’étage est indiquée avec précision : à l’angle de la rue de la Rose et de celle de Sainte-Anne, on doit poser de la pierre de taille jusqu’à la « première coudière », qui sera à 21 pans et demi (5,37 m) de hauteur73. Un bandeau ou « cordon » en pierre de taille à la hauteur de l’appui des baies souligne en général la limite entre les deux constructions. Ces bandeaux scandent ainsi la façade en soulignent les différents niveaux.

  • 74 AD BDR : 360 E 80, f° 446, prix-fait du 25 juin 1649.

85Une autre variante peut être établie avec les chaînages d’angle qui sont exécutés avec des bugets, des cayrons ou des grases, (blocs de taille aux dimensions plus élevées que celles du cayron). Ces chaînages sont également plus ou moins larges et hauts selon les cas. François Courdonneau, rue Négrel, fait réaliser le coin de sa maison à l’identique de celui d’une maison voisine, « de la mesme façon de celluy de la maison du sr Gueydon en la rue de Cotelarie » ; le principe est de poser des blocs les plus larges jusqu’au premier étage « carteres et grazes jusques au premier cours » puis des blocs de plus petites dimensions « et de la jusques au couvert de bugets et querrons74 ».

  • 75 Pierre de Gueydon avait acheté la demeure le 3 janvier 1641, à Esprit de Clapiers, seigneur de Samb (...)
  • 76 AD BDR : 361 E 100, f° 182 v°, rapport de future cautèle du 13 avril 1714.

86La demeure appartenant au sr Gueydon à laquelle il est fait référence, pourrait bien être l’hôtel dit « du chevalier Marin » situé dans la rue Coutellerie, acquise par Pierre Gueydon le 3 janvier 1641, une des rares demeures restées en place après la destruction de 1943. Formant deux angles, cette demeure avait trois façades sur rue : la rue de la Croix d’or à l’est, celle de la Salle à l’ouest, la rue Coutellerie étant au sud. Le chaînage d’angle que l’on pouvait observer peu avant sa destruction en 1958 est « à bosse » mais composé d’éléments de même taille sur toute sa hauteur, preuve d’une restauration ultérieure à 1649 puisqu’il ne correspond pas à l’évocation qu’en fait le prix-fait cité, qui prévoit la reproduction de ses pilastres (figure 60)75. Ceux réalisés par Pierre Silvy, le maître d’œuvre choisi en 1649, avaient 4 pans (1 m) de large jusqu’au niveau du premier étage, puis 2 pans 1/3 (0,58 m). À la maison de Louis Mane, rue de la Taulisse, la largeur du « canton » est de 10 pans (2.50 m) sur 36 pans (9 m) de hauteur76. La hauteur totale de l’édifice fait défaut, empêchant d’appréhender l’ensemble.

Aplomb et alignement des façades

  • 77 AD BDR : 360 E 110, f° 25 v°, prix-fait du 11 janvier 1686.
  • 78 AD BDR : 393 E 87, f° 580, prix-fait du 25 juin 1668.

87On sait que l’épaisseur des murs n’est pas toujours indiquée dans les prix-faits. Lorsqu’on utilise la pierre de taille, il est nécessaire de l’indiquer puis qu’il faut préciser l’épaisseur du parement et celle de la maçonnerie intérieure. Jean Le Sonneur souhaite donner aux façades de sa maison un parement en pierre de la Couronne ; le prix-fait notifie qu’elles « auront deux pans d’épaisseur avec leur retirement nécessaire, construites d’un pan à pierre pastouire et sable par dedans et d’un pan de pierre de taille dure de la Couronne par dehors77 ». Pareillement, le devis pour la construction de la maison appartenant à Catherine de Vias rue de la Guirlande prévoit de réaliser un parement en pierre de taille : la « fassade aura un pan de taille d’espaisseur et un autre pan de massonerie par dedans78 ».

88Le tableau 6 présente les différents cas rencontrés. Il est notable que la plus fréquente épaisseur du mur inférieur est de 2 pans. La différence entre l’épaisseur des fondations et celle du mur inférieur varie entre 0,12 m et 0,37 m, avec celle des fondations supérieure à 1 m et une épaisseur inférieure à 0, 50 m.

Tableau 6 : épaisseurs de murs (les lignes doubles correspondent à deux modèles différents de murs pour une habitation)

Épaisseur fondations (en pan) Épaisseur mur inférieur Épaisseur intermédiaire Épaisseur mur supérieur
3 pans 1 pan 1/2
2 pans
3 pans 2 pans
3 pans 2 pans avec retrait ordinaire 1 pan 1/2
3 pans 1 pan 1/2
4 pans
2 1/2 pans
3 pans
2 pans
3 pans
2 1/2 pans
2 pans
2pans
2 pans 2 pans
2 pans
2 1/2 pans
3 pans 2 pans
2 pans à diminuer
d’ 11/2 pans par canne soit 0, 02 m par mètres
3 pans 2 pans 11/3 pan 1 pan
  • 79 AD BDR : 380 E 163, f° 742, prix-fait du 23 mai 1667.

89Un retrait, opéré dans l’alignement du mur, sous forme de ressaut ou de retrait progressif, vient rompre l’aplomb du mur. Signalé dans les prix-faits comme un « retrait nécessaire », il varie le plus souvent d’un à un pan et demi par rapport aux limites des fondations, entre le sol et le sommet de l’immeuble. La terminologie ne permet pas de vérifier s’il s’agit d’un véritable ressaut, les sources ne révélant que l’épaisseur du mur inférieur et celle à atteindre au sommet de la bâtisse. Les diminutions doivent être opérées entre chaque niveau. Le retrait peut être prescrit à partir du premier niveau seulement, sans plus de précision. Un seul cas indique un « saillent » désignant ainsi une avancée par rapport à l’aplomb du mur dont l’épaisseur n’est pas non plus donnée : « les trois fassades […] [seront bâties] de bonne pierre de taille neufve et dure de la Coronne despesseur de trois pans jusqu’à ras de terre et de là en haut de deux pans et demi avec le sailent necessere79 ».

  • 80 AD BDR : 380 E 130, f° 27, prix-fait du janvier 1639.

90Une seule occurrence mentionne les trois épaisseurs des murs inférieur, médian et supérieur. Elle concerne la maison d’Antoine Pontier rue Coutellerie, pour l’édification de laquelle l’entrepreneur « bastira led.carage de bonne pierre de tailhe jusques au couvert despesseur despuis le plan de la rue jusques au premier sollier de deux pans et dud. premier sollier au troy[sies]me d’un pan et tiers, et dud. troy[sies]me jusques au toet d’un pan80 ».

  • 81 Guillaume Tiran achète cette maison à Anthoine de Riqueti, sieur de Negreaulx ; un rapport de futur (...)
  • 82 La maison Diamantée, aujourd’hui Musée du Vieux Marseille, doit sa réputation à sa façade aux pierr (...)

91Dans plus de 30 % des cas considérés la pierre de taille est placée en parement sur la hauteur totale de la façade, « du plan de la rue jusques au toet ». Ce qui représente huit maisons sur vingt ayant au moins une de leurs façades ainsi entièrement parementée. La qualité de la pierre à employer est connue pour six d’entre elles : Jacques Biscarre choisit la « pierre froide de la plus fine » et Honoré de Rome d’Ardenne la pierre de la Couronne « durable à l’air ». D’autres ont fait le choix de la pierre de taille de la Garde, dont la proximité autorise un moindre coût. Lorsqu’un maître d’ouvrage souhaite que la pierre de taille utilisée soit neuve, il le fait préciser dans le contrat. Un cas unique d’une façade « à pointe de diamants », est à signaler. Celui de la maison de Guilheaume Tiran à la Grand Rue. Les deux experts disent avoir visité : « le carage de lad. maison ascavoir celluy du coste de la grand rue et trouve estre basti tout de pierre de tailhe a poincte de diamant de la hauteur de huict cannes despuis le plan de la rue jusques au toict81 ». C’est la seule que nous ayons rencontrée au Corps de Ville en dehors de la maison Diamantée de Nicolas de Robio, rue de la Prison82. (fig. 89)

92La composition des façades varie selon l’angle de vue par rapport auquel elles sont destinées à être regardées. Par souci d’économie, selon qu’elles font face à une rue principale, à une traverse, ou à une cour intérieure, l’ordre de construction des façades diffère, celles que l’on veut montrer étant à l’évidence, toujours celles qui ont le meilleur rendu. On distingue ainsi les bâtisses dont une seule façade principale donne sur une rue importante, ayant une seconde façade ouvrant sur une cour intérieure, construite en moellons comme les deux murs mitoyens ; et celles dotées d’une façade principale ainsi que d’une, deux, voire trois façades secondaires donnant sur une traverse ou une rue mineure, et de deux murs mitoyens.

Les façades principales

93Désignée sous le terme de « carage » pour les différencier des murs mitoyens ou des façades « cachées » des cours intérieures, les façades des maisons d’habitation sont l’objet d’une scénographie tendant à produire un effet de miroir non pas de l’intérieur de la maison, mais plutôt de la position sociale de son propriétaire. Elles sont utilisées comme un véritable décor de théâtre où s’illustrent tout à la fois la fortune du propriétaire ou de l’occupant principal et le talent des sculpteurs (Harouel 1985).

94La maison Diamantée, l’hôtel de Vivaud ou la maison du Chevalier Marin sont à Marseille des exemples de cette richesse donnée à voir (fig. 90). La bourgeoisie marchande marseillaise peut profiter du savoir faire et de la culture des artistes locaux bénéficiant d’une formation par les meilleurs maîtres tout autant que les artistes d’autres villes. Leur culture est aussi bien théorique par la connaissance qu’ils ont des traités des grands architectes tels que Serlio, Delorme ou Le Muet, que pratique, grâce à l’enseignement dont ils ont pu bénéficier dans leurs voyages italiens ou parisiens durant lesquels ils ont eu l’occasion de fréquenter les plus grandes écoles d’architectes, telles que celles de Mansart, Perrault ou Bullet. Parallèlement, les séjours à l’étranger de cette nouvelle clientèle cultivée ont suscité le désir de reproduire des modèles qu’elle a eu l’occasion d’y remarquer (Gloton 1980 : 163-174).

95La collaboration avec les Ingénieurs du Roi en charge à Marseille à partir des années 1666-1670, conduira à une urbanisation plus raisonnée. Le projet de l’agrandissement dont s’investissent les échevins et qu’ils confient aux architectes marseillais Gaspard Puget et Mathieu Portal, prévoit une unité dans l’architecture et les décors des façades qui jusque là faisait défaut. Dans la vieille ville les projets de reconstruction continuent à être réalisés en fonction des intérêts des différents propriétaires, chacun agissant à son gré en fonction de son goût, mais le désir des décors recherchés est très présent dès la première moitié du xviie siècle. Il est associé à celui d’être au goût du jour et d’étaler son rang. Les façades les plus en vue sont l’objet d’une attention particulière et donc décorées avec plus de richesse.

  • 83 AD BDR : 360 E 51, f° 765 v°, prix-fait du 24 juillet 1615.
  • 84 AD BDR : 390 E 163, f° 196, prix-fait du 1er mai 1602.
  • 85 AD BDR : 364 E 244, f° 1328, prix-fait du 4 octobre 1659.

96Les prix-faits traduisent la nécessité de marquer sa condition à travers le décor de la façade de sa demeure. Louys Felix, conseiller du roi, demande à Vincent Portal de façonner la porte d’une des façades de sa maison de la rue de la Prison « non du plus riche ny du moindre mais moyennant et comme pour les maisons de pareille quallité83 ». La requête de Louis Boutassi est plus précise : il souhaite que les portes du magasin de sa maison soient confectionnées comme celles d’un voisin : « lesd. portes du maguesin seront de la fasson de celles du Sr Alexandre Aguillen pres la Loge84 ». Henri David, chirurgien et barbier du Roi, a choisi de faire réaliser la décoration de la porte d’entrée de la maison à la manière de celle du marchand Jean Boissely85 ; et ce dernier avait fait faire les moulures et autres décorations de sa façade à l’identique de celles de Dominique Truc :

  • 86 AD BDR : 362 E 91, f° 703, prix-fait du 5 mai 1642.

Et ce faict lesdicts m[aistr]es préfachiers feront, travalheront et monteront les deux caraiges de lad. maison et nouveau édiffice de pierre de tailhe tant ainsy et conformémant est celluy de la maison du sr Dominique Turc dudit Marseille86.

97Ces références à des modèles existants, dont il a déjà été dit qu’elles facilitaient les explications en offrant une image de l’ouvrage souhaité au maître d’œuvre, témoignent du souci des commanditaires de se conformer à leur rang social et sont le signe de la mise en place d’un nouveau goût. Elles attestent également la capacité des maîtres maçons à réaliser les nouveaux modèles et à prendre en compte de nouvelles techniques. La position sociale élevée des nouveaux commanditaires n’est pas étrangère à une telle attitude.

  • 87 Sises l’une rue Coutellerie et l’autre rue de la Loge ces deux demeures ont été détruites respectiv (...)
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  • 89 AD BDR : 360 E 80, f° 446, prix-fait du 27 juin 1649.
  • 90 AD 31 : 3 E 11984, bail à besogne passé par Pierre et Geraud Comère le 8 février 1606, texte produi (...)

98Toutes les demeures du Corps de Ville ne sont pas aussi richement décorées que celle de la maison Diamantée avec sa fameuse façade « à pointes de diamant ». Un style local se dégage toutefois : les appuis des fenêtres aux opulents drapés de la maison « dite du Chevalier Marin », ainsi que ses décors de crustacés et coquillages, ou encore les fenêtres trapézoïdales et les colonnes engagées de l’hôtel Franchiscou87. La maison du marchand Guilheaume Tiran, dans la Grand Rue, dont la façade à bossage prismatique a été signalée, fait partie des demeures ayant bénéficié des nouveaux savoirs faire et des goûts nouveaux88. Le décor à bossage est en effet très prisé : en chaînage d’angle et autour des portes, on le trouve aussi sur toute la façade comme à la maison Diamantée. Rue Négrel, le chirurgien François Coudouneau souhaite que la façade principale de sa maison soit « de pierre de tailhe en bosse » jusqu’au troisième étage et que le chaînage d’angle soit fait « en forme de pilastre, et à bosse », de la même manière qu’à la maison d’un voisin : « le canton de lad. maison sera faict de la mesme façon de celluy de la maison du sr Gueydon en la rue de Cotelarie89 ». (fig. 90). Les commanditaires se déplacent, les artistes également. Ce type de décor est reproduit dans d’autres villes du sud : on le trouve par exemple à Toulouse où le nouveau propriétaire d’une maison, rue des Changes, demande que les piédroits des fenêtres soient « relevé en poincte de diamant90 ».

  • 91 Hautecoeur, 1967, t. 1.

99Ailleurs c’est tout un jeu de bandes horizontales, de chaînages qui se multiplient et scandent toute la façade91.

100Les maisons bourgeoises au décor luxueux ne représentent pas la majorité des nouvelles habitations privées, mais elles jouent un rôle attractif et servent de modèle à tous les commanditaires soucieux d’afficher leur fortune et leur rang social. C’est le cas de l’hôtel Franchiscou, édifié en 1659, bel exemple d’une maison baroque de la nouvelle élite qui calque son goût sur celle de la génération précédente.

  • 92 AD BDR : 360 E 110, f° 25 v°, prix-fait du 11 janvier 1686.

101La pierre de taille occupe un rôle important dans cette mise en scène. Outre les chaînages d’angle, le contraste produit entre les matériaux peut également être utilisé comme décor : les appuis de fenêtres ou les contours de porte en pierre de taille sur une façade enduite par exemple. D’autres solutions plus complexes peuvent être choisies : à l’angle d’une maison de la rue Torte, le chaînage a été combiné en incluant une forme d’un pilastre dans la partie inférieure de l’angle92.

  • 93 Respectivement les maisons de Jean Le Sonneur à l’angle des rues de Négréou (Négrel) et de la Fonta (...)

102L’angle du bâtiment est aussi le meilleur endroit pour installer une niche dans laquelle est placée une image pieuse sculptée en pierre de taille ou en plâtre : une image de Vierge – Vierge tenant Jésus, Notre-Dame de Bon Secours – ou encore de chérubin93.

  • 94 AD BDR : 390 E 163, f° 224 v°, le 18 mai 1602.
  • 95 AD BDR : 380 E 130, f° 27, le 7 janvier 1639.
  • 96 AD BDR : 390 E 222, f° 1147.
  • 97 Le perron d’une maison du quartier Saint-Jean est fait de « trois mauvaises pierres de tailh separé (...)

103Les « sulhets » ou seuils, lorsque les prix-faits les signalent, sont en pierre de taille et donnent une valeur supplémentaire à la demeure : « Pozeront un suilhet de taille a la porte entrée de la maison94 ». Ils sont réalisés d’un seul tenant « fera le sulhet de la porte, de tailhe, tout d’une piece95 » avec de grosses dalles, les bards ou les grases96, qui remplacent les modèles plus anciens faits en ajoutant plusieurs cayrons moins solides97.

  • 98 AD BDR : 360 E 80, f° 446, le 25 juin 1649.
  • 99 AD BDR : 358 E 134, f° 151, le 3 février 1683.

104Les bandeaux ou « cordons » en pierre de taille participent également de la décoration de la façade. Ils soulignent les étages : « Quatre courdons de taille [qui] règneront sur les deux rues98 » ; ils sont souvent placés au niveau des appuis des fenêtres et les intègrent : « Fera l’espesseur des murailles avec trois courdons en coudière de taille » (fig. 91)99.

Les façades secondaires

  • 100 AD BDR : 380 E 163, f° 742, le 23 mai 1667.

105Les plus beaux matériaux étant réservés aux façades principales, c’est la richesse des décors qui différencie les façades entre elles. Jacques de Forbin dont la maison en bordure du port offre trois de ses façades aux regards, les fait refaire entièrement ou en partie, en pierre de taille neuve de la Couronne. Pour la quatrième donnant sur la rue de la Loge, il est prévu qu’elle « sera bastie de la pierre de taille vieille de la desmolition et avec meilleures pierres de lad. desmolition100 ». Les façades sur cour ne comportent en général pas de décor.

106Sur les façades principales s’affiche une volonté évidente d’ostentation qui incite les commanditaires à offrir une richesse de construction et de décor ; l’organisation diffère toutefois en fonction du goût de chacun, de la mode du moment, ou encore des préoccupations économiques.

Les décors des portes et fenêtres

  • 101 AD BDR : 360 E 50, f° 853 v° le 14 juillet 1614 ; 358 E 134, f° 453, le 17 mars 1683 ; 390 E 236, f (...)
  • 102 AD BDR : 360 E 30, f° 679, le 30 décembre 1593.
  • 103 AD BDR : 390 E 236, f° 860 v°, rapport de future cautèle du 11 octobre 1675.

107L’opulence du décor s’exprime particulièrement autour des portes et fenêtres où leurs ornements viennent briser la symétrie de l’ensemble de la façade. L’éventail des ornementations est large : outre les arcades des portes de boutiques, les piédroits ou colonnes en pierre de taille entourant les portes et fenêtres, les commanditaires choisissent de faire réaliser des portes d’entrée remarquables par l’ajout de pilastres, de chapiteaux avec corniche, d’entablement, de moulures de pierre de taille101. Chez Charles de Cazaulx les piédroits sont cannelés102. Chez Barthélemy Ricoulphe, près de la Fontaine de l’Aumône, la porte d’entrée est composée de pilastres, corniches, frontons et entablement « [la porte] de l’entrée qui est de six pans de large sur huit pans ung thiers d’autheur avec ses pilastres coronée d’une courniche, deux frontons et ung petit entablemant entre les deux »103.

108Les portes des boutiques sont plus sobres, souvent en arc en plein cintre de pierre de taille.

  • 104 AD BDR : 358 E 134, f° 151, prix-fait du 3 février 1683.
  • 105 AD BDR : 355 E 454, f° 265, prix-fait du 24 mai 1683.
  • 106 AD BDR : 364 E 244, f° 1328, rapport du 4 octobre 1659.
  • 107 AD BDR : 358 E 134, f° 151, prix-fait du 3 février 1683.
  • 108 AD BDR : 393 E 81, f° 106, prix-fait du 15 février 1661.

109Une autre option consiste à réaliser un jeu de contraste entre les matériaux : les fenêtres peuvent être entièrement de pierre de taille, avec leur platebande et un appui : « Trois croisiers en chasque cours sur lad[it]e fassade de pierre de taille a queiron de bon lieu avec un quart de rond sur les aretes la plate bande sur lesd. croisières, fera l’espesseur des murailles104 ». Les platebandes peuvent être en brique et l’appui de taille, comme chez Jean Estienne Ribouillon sur la place Neuve : « A chasqun des trois estages sera fait une fenestre faite de brique avec sa coudière de taille105 » ou une partie de taille – les appuis – le reste de maçonnerie « fera […] audit carage tant de croizieres et autres fenestres que agréra aud. sieur David, de massonnerie et giperie avec ses architectures106 ». Les appuis de fenêtres en pierre de taille peuvent être prolongés en bandeau sur toute la largeur de la façade. On en trouve un exemple sur une maison de la rue du Colombier107 ou encore rue de la Loge : « la coudière des croisières du second cours sera semblable a celles des croisières du premier court de pierre de taille reignan en cordon le long de ladicte fassade108 ».

  • 109 AMM. : BB 104, f° 58 v°, vente de place de maison faite pour Jean Baptiste Pontis, le 28 mars 1670.

110Les travaux de l’agrandissement autour des années 1670 représentent un moment majeur dans la transformation de la ville et une période charnière de l’histoire de l’urbanisme marseillais, à commencer par la création du Cours. Le Bureau de l’Agrandissement, organe chargé des travaux et animé d’une volonté d’uniformité totalement absente jusque là, affiche de nouveaux goûts en matière de décors. En témoignent les termes de la vente réalisée par les échevins au profit de Jean-Baptiste Pontis, d’une « place à bastir maison » sur le futur Cours. L’acquéreur devra, en contrepartie de l’acquisition de ce terrain, faire construire une maison qui serve « de règle et modelle aux autres que seront construites audict cours ». Les prescriptions concernant l’ornementation des façades de la future construction, inhabituelles dans un acte de vente ordinaire, permettent ici de remarquer que les décors envisagés ressemblent à ceux commandés par les propriétaires des maisons du Corps de Ville à la même époque. Ainsi il y est dit que « le coing de ladite maison » devra être fait « de taille a grand bossage », que les fenêtres de l’entresol du côté du Cours devront avoir 6 pans de large sur 6 pans de hauteur, c’est-à-dire carrées d’1,50 m de côté ; que celles de l’étage noble seront « carrées par-dessus et non en arceau », mais avec une platebande au dessus ; qu’au dernier étage les fenêtres seront ovales, ornées d’une corniche, de trigliffes et d’architraves109.

111Le tableau de Michel Serre représentant le Cours donne une idée générale de cette uniformité de décor (fig. 92).

112Les prix-faits sont peu précis sur les ornementations des premières maisons alignées sur le Cours. Une d’entre elles appartenant aux Pères de la Congrégation de Saint Hommebon dans l’îlot entre la rue Dauphine (Nationale) et la rue du Petit Saint-Jean a pourtant servi de référence aux quatre maisons qui lui sont voisines sur le Cours. Les prix-faits les concernant indiquent effectivement que :

  • 110 L’alignement du Cours oblige les propriétaires à retrancher une partie de leur maison et donc à la (...)

La maison sera construite et bastie du long et du large quelle se treuvera apprès avoir fait les retranchements ordonnés et à ligne droite de la fassade de la maison des révérends pères et le carage sera fait de pierre tailh de la mesme autheur architecture et façon que celle des pères et sera lad. maison composée de quatre estages et de la mesme hauteur de celle des révérands pères110.

113Malheureusement, le prix-fait de cette maison est le seul des cinq demeures qui fasse défaut. Aussi ne peut-on attester que deux traits les concernant : d’une part, qu’elles sont élevées de quatre étages de même hauteur et construites selon les mêmes principes d’architectures ; d’autre part, qu’elles ont un parement en pierre de taille. (fig. 93).

114Les ornementations ont-elles fait l’objet d’un contrat distinct ? Là encore, seules des hypothèses sont possibles. Il se peut que, bénéficiant d’une aide financière de la ville en contrepartie du retranchement imposé, le choix des ornements ait été laissé au goût des propriétaires. En l’absence de précisions, on peut supposer une certaine sobriété, que l’on sait coexister avec des ornements plus chargés appréciés des artistes du xviie siècle (Hautecoeur, 1967 : I, 739). Ainsi la décoration sobre de certains immeubles a pu voisiner avec une décoration opulente. Telle celle de l’hôtel Pescioliny, construit à la même époque, rendu célèbre par son balcon en fer forgé, soutenu par deux atlantes sculptés au dessus de la porte d’entrée (Reynaud 1988 : 377-401).

  • 111 Trois seules occurrences ont été rencontrées à des dates extrêmes : chez Françoise Vivaud, sur la p (...)
  • 112 Nous avons rencontré cinq occurrences de ce décor, pour les maisons d’Isabeau Chastannier, rue Sain (...)
  • 113 AD BDR : 380 E 163, f° 742, prix-fait pour Jacques de Forbin, rue de la Loge, du 23 mai 1667.

115Dans la vieille ville, les commanditaires font référence à des décors dont les détails ne sont pas précisés. Les sources évoquent des fenêtres « à l’antique111 », « à la romaine112 », ou à la « française ». Un seul détail concernant ce dernier modèle est offert par un prix-fait qui indique que les fenêtres sont à construire « sans pied droit a la françoise et bien vouttées113 ». Le décor « à la française » était donc synonyme d’un décor dépouillé.

  • 114 AD BDR : 390 E 244, f° 467, prix-fait pour le Jean Ravel, me chapelier, le 4 mai 1683 : .

116Le décor « à la romaine » peut être imaginé grâce à un autre prix-fait concernant une maison de la rue du Baignoir, dans l’agrandissement. Il y est demandé au maçon de « fere deux croisieres a la romaine » à chacun des quatre étages, dont « les montans [seront] de malons de plat » et les côtés « en façon de taille » à l’extérieur, avec les appuis en pierre de taille114. Il s’agit donc d’un effet de contraste entre la pierre de taille ou son imitation (les montants des fenêtres étant réalisés en moellons recouverts d’un enduit dessiné en imitant la taille), et la brique. Ce type de décor semble avoir été très prisé durant la dernière partie du xviie siècle, car il fait l’objet de nombreuses commandes entre les années 1668 et 1689.

  • 115 AD BDR : 373 E 271, f° 102, prix-fait du 23 janvier 1636.

117Les ornements, architraves, frontons, corniches, entablements, sont réalisés en plâtre et peuvent quelquefois être facturés à part tout en apparaissant sur le même contrat. À la maison de Pons Agnel rue Droite, l’ensemble des décorations est facturé 9 livres la canne carrée115.

  • 116 Prix-fait passé par Clere Davin avec les maîtres maçons Lange Verotty et Jean Neucere le 1er mars 1 (...)

118Le désir d’uniformité « déteint » sur la vieille ville et l’on voit les maitres d’ouvrage commander aux artisans un modèle réalisé chez un voisin proche. La veuve d’un marchand habitant sur la place Neuve fait reproduire aux maîtres maçons qu’elle engage plusieurs détails décoratifs à l’identique d’autres demeures voisines de la place Neuve : « La porte […] sera faite […] tout samblable à celle de la maison du sr Radix visant à la place neuve soit pour la forme que qualité mesme de larchitecture de la pierre de taille » ; « les croizières [seront faites] à la romaine, avec la mesme architecture de celle du sr Tercinel a la place neuve » ; pour les croisées du deuxième étage on posera « le mesme nombre de voletz du troixiesme estage de la maison du sr Girard scize à la place Neuve116 ». Ce qui se produit sur le Cours et dans l’agrandissement nourrit le goût des commanditaires qui veulent reproduire dans leur propriété de la vieille ville, des décors vus dans les nouveaux quartiers.

L’imitation de la pierre de taille

  • 117 Il s’agit de faire les appuis des fenêtres ainsi que les bandeaux soulignant les premier et second (...)
  • 118 Prix-fait pour une maison de Barthélemy Dutastel dans la rue de la Loge, le 2 mars 1608 (AD BDR : 3 (...)
  • 119 AD BDR : 360 E 69, f° 1176, le 25 novembre 1634.
  • 120 AD BDR : 362 E 119, f° 43 v°, le 11 janvier 1666.

119Lorsqu’un commanditaire demande la réalisation de décors en plâtre il n’est pas animé par un unique souci d’économie. La participation du plâtre ou gip au décor de la façade, seul ou par contraste avec la pierre de taille, a été démontrée plus haut. Il est certain que le plâtre est un matériau moins coûteux et plus simple à travailler. Mais cela n’est pas le seul motif de son choix. Une autre raison d’opter pour son utilisation est qu’il permet d’imiter la pierre de taille. Les actes notariés livrent en effet des expressions telles que « a fasson de tailhe », ou « a couleur de tailh117 ». Elles révèlent une pratique que Ph. Bernardi a remarqué à Aix-en-Provence au xve siècle à travers le verbe carronar, caironar. La technique consiste à reproduire un faux appareil peint. Pour cela, on rectifie l’irrégularité de la pierre en passant un fond couleur de pierre et en redessinant les joints. Apparaît alors un appareil régulier dans lequel tous les blocs ont les mêmes dimensions (Bernardi 2004 : 35). Ce terme de caironar, rencontré dans un des prix-faits du corpus, n’est accompagné d’aucun autre élément descriptif de la technique : il est seulement souligné : « le plus haut du carage et enduira des fenestres du dernier estage de gip blanc ledit carage caronné118 ». Par contre, une quinzaine de prix-faits marseillais témoignent de la pratique imitant la taille à l’époque moderne. Jean-Baptiste Meolan, chargé de refaire la façade de la maison de Jean Bissar, doit utiliser la pierre de la taille de la Couronne pour une partie, et pour le reste il devra le réaliser « en sorte que regarde la taille119 ». De même la partie supérieure de la façade ouvrant sur la place Neuve de la maison d’Honnoré Sienne est faite « de tailhe jusque au segond estage » et au dessus « et dudit segond jusques a lentrevoult de massonnerie a fasson de tailhe120 ». On peut peut-être imaginer ce type de décor d’après le tableau du Prêche de la Madeleine réalisé au début du xvie siècle (fig. 94).

120Un tel usage est à analyser sous deux aspects : d’une part le fait d’imiter la pierre de taille est dans un premier temps un marqueur social. En reproduisant un matériau précieux on imite le goût ou le niveau de fortune d’une classe sociale dont on prétend faire partie. D’autre part, en montrant la pierre de taille sous une forme idéalisée, on met en évidence la valeur que l’on place dans ce matériau.

La pierre dans la conduite ou l’évacuation des eaux

Les puits

121Conduire ou évacuer l’eau de la maison est une préoccupation constante dès le milieu du xviie siècle dont les prix-faits témoignent. Les nombreuses fontaines, publiques ou privées, sont souvent décoratives comme celle de la place Neuve. Les puits amènent l’eau dans les habitations de plus en plus fréquemment. Si leur présence n’est attestée que dans 50 % des maisons étudiées, les découvertes archéologiques montrent leur existence dans la plupart d’entre elles. Situés dans les cours intérieures ou ciels ouverts ou dans les caves, les puits font partie intégrante de la demeure.

  • 121 AD BDR : 361 E 87, f° 710, prix-fait du 6 octobre 1699.
  • 122 AD BDR : 390 E 163, f° 196, prix-fait du 1er mai 1602.
  • 123 AD BDR : 393 E 82, f° 715, prix-fait du 10 octobre 1662.

122Leurs conduits sont prolongés en élévation jusqu’au rez-de-chaussée parfois jusqu’au premier étage. Dans ce cas, une fenêtre est ouverte dans le mur afin de permettre de puiser l’eau à partir du rez-de-chaussée ou de l’étage. Une telle installation se trouve dans une salle basse de la rue des Ventos : « Une fenetre bastarde de 5 pans sur deux pans et demi servant pour puizer de l’eau au puis121 ». Une potence de fer permet cette action. Les puits sont également construits dans les ciels ouverts122, dans les salles basses, les magasins123, les cuisines du rez-de-chaussée.

  • 124 AD BDR : 360 E 110, f° 25 v°, prix-fait du 11 janvier 1686.
  • 125 AD BDR : 380 E 204, f° 988 v°, rapport de future cautèle du 13 novembre 1719.

123Leur profondeur est rarement précisée ; seules quelques mentions indiquent que le maçon devra creuser un puits « jusqu’à six pans d’eau124 » (environ 1,50 m). Les experts chargés du rapport d’estime de la maison de Dominique Durbec à la rue Saint-Christophe constatent que la profondeur du puits est insuffisante et « n’a que deux pans d’eau125 ». Construits en moellons, ils ont en général leur « bord » en pierre de taille et sont accompagnés d’un certain nombre d’aménagements dont la désignation est assez vague comme c’est souvent le cas pour l’époque moderne. Les modèles décrits par Philippe Bernardi pour Aix-en-Provence au xve siècle permettent d’imaginer les puits marseillais. Ainsi le « bord » que signalent nos prix-faits correspond à un dallage sur le pourtour du puits qui permet de récupérer l’eau tombée du seau, et de l’amener vers un ruisseau conduisant vers un égout commun. D’autres structures accompagnent les puits : sa vasque, sa pille ou cuve, son bassinet et la canalisation dénommée gorgue, en moellon ou en pierre de taille, qui recueille les eaux et les conduit jusqu’à la rue.

124Le prix-fait de la maison de Jacques Bourrelly fournit une des meilleures descriptions d’un tel aménagement. Il indique que :

  • 126 AD BDR : 391 E 375, f° 518 v°, prix-fait du 27 juillet 1645.

Led. me sera tenu de faire un puits dans lad. maison et en tel endroit que sera par led. Bourrelli advisé et ou bon lui semblera, lequel aura quatre pans haut et sera au dabas d’icelluy de trois pans de largeur sans y comprendre le bastimans lequel sera faict de pierre de taille au dabas le plus hault dud. puis sera de deux pans en carré, le bord duquel puis sera carré de pierre de tailhe, tout contre lequel puis sera tenu de faire une pille de deux pans à deux pans et demi et un pan despesseur et au dessoubz de lad. pille sera tenu led. me faire un petit bassinet de la largeur denviron deux pans ensemble une gorgue pour conduire leau à la rue126.

  • 127 A.D BDR : 360 E 110, f° 25 v°, prix-fait du 11 octobre 1686.
  • 128 AD BDR : 361 E 118, f° 634 v°, rapport de future cautèle du 8 octobre 1735.

125Les techniques de mise en œuvre sont inégalement retransmises par les sources. Le puits construit dans la boutique de Jean Le Sonneur est réalisé en pierre sèche dans sa partie souterraine, jusqu’au niveau de la cave, l’absence de mortier permettant le passage de l’eau (Bernardi 1995 : 386). Il est ensuite « prolongé par une murette de malons de plat qui l’acompagnera despuis le plan de lad[it]e cave jusque au plancher127 ». La partie en pierre sèche se termine au niveau de la surface de l’eau. Au dessus, est montée une maçonnerie de moellons liés à un mortier de chaux ; le mur de margelle et la margelle sont en pierre de taille. Les pilles ou éviers qui les accompagnent sont en général de 3 pans de long sur 2 et demi de large (0,75 m x 0,60 m ; sous la pille on installe un bassinet de 2 pans de largeur pour recevoir les eaux qui s’écoulent ensuite dans une gorgue, sorte de canal rejoignant l’égout central. Ces installations, toujours en pierre de taille sont également nommées auge ou suillarde (fig. 95)128.

126Certains puits peuvent être tronconiques comme celui que fait construire Jacques Bourrelli ; sa largeur est plus importante à la base (3 pans soit 0,75 m) qu’au sommet de la construction (2 pans soit 0,50 m). Les fouilles ont livré des modèles constitués d’éléments hétérogènes : moellons, cailloux et blocs divers, dont le diamètre varie de 0,60 à 1,30 m de diamètre ; certains étaient entourés d’une margelle en pierre de taille (calcaire rose, pierre de Cassis, calcaire coquillier) ou en brique de terre cuite maçonnées au mortier (Vasselin 2011 : 93-107).

  • 129 AD BDR : 362 E 115, f° 51, rapport de future cautèle du 7 janvier 1662.

127À l’intérieur, des aménagements placés dans le mur au dessus du puits servent à poser des ustensiles. Ainsi dans la maison de Barthelemy Couzinery dans la rue de la Prison, une « arquade servant à tenir fiolles et verres » se trouve à côté du puits129.

L’évacuation des eaux

  • 130 Un chapitre des Statuts imposait à tous les propriétaires d’établir un évier dans sa maison par leq (...)
  • 131 Au xixe siècle, les bourneaux encore en usage sont fabriqués à Aubagne (Leroy, 1847 : 91).
  • 132 Les bourneaux ou borneaux sont utilisés également pour amener l’eau. Le rapport des travaux effectu (...)
  • 133 AD BDR : 393 E 82, f° 708, rapport de future cautèle du 8 octobre 1662 .
  • 134 AD BDR : 390 E 236, f° 949, prix-fait du 2 novembre 1675.
  • 135 AD BDR : 359 E 121, f° 1475, rapport de future cautèle du 13 octobre 1674.
  • 136 AD BDR : 391 E 403, f° 500 v° rapport de future cautèle du 12 novembre 1674.
  • 137 AD BDR : 391 E 394, f° 419, prix-fait pour Gaspard Guichard du le 16 juin 1665.
  • 138 AD BDR : 358 E 128, f° 1143, prix-fait pour le sr de la Salle du 30 mars1677.
  • 139 AD BDR : 393E 82, f° 715, prix-fait pour Mathieu de Madières du 10 octobre 1662 ; 364 E 377, f° 473 (...)
  • 140 AD BDR : 360 E 77, f° 904, prix-fait pour Guillaume Vallier.

128Dans le courant du xviie siècle l’installation d’« eyguiers » ou éviers en pierre de taille, dans les cuisines se généralise130. Les eaux en provenant se déversent, de la même manière que celles venant des puits, par l’intermédiaire de bourneaux, tuyaux en terre cuite vernissée à l’intérieur131 dans ces sortes de ruisseaux appelés gorgues. Une fois de plus, les textes notariés ne sont pas toujours très précis sur cette question. Néanmoins, il est possible d’attester l’installation concomitante d’un évier dans la pièce désignée comme cuisine, de celle d’un conduit (borneau) « pour conduire l’eau à la rue132 ». Lorsque l’évier est en étage, l’eau est reçue dans un bassin placé au rez-de-chaussée. Dans une maison de la rue de la Guirlande, ce système a endommagé le plancher : « le plancher du second maguesin […] tombe pour estre corrompu de l’umidite du puis et d’un bassinet qui est par-dessus ou se jette les eaux de la cuisine133 ». Nous sommes peu renseignés sur la manière dont le raccord se fait entre ce tuyau et la gorgue. Dans un seul cas il est précisé que les « borneaux neufs [seront conduits] jusques a la rue » et qu’ils « seront garnis et couverts de mortier tout le long de lad. muraille134 ». À Paris où ils sont en fonte, le système adopté consiste à les faire descendre par l’extérieur en pratiquant un coude au niveau du mur en direction de la descente (Carbonnier 2003 : 256-269). L’utilisation du « plomb » pour un tel aménagement a été rencontrée dans deux cas : contre le mur séparant le cellier de la boutique d’une maison de la rue Coutellerie appartenant à Simon Remuzat se trouve « un petit canal de tailhe de la longueur de six pans pour jetter l’eau du puis receue par un petit canal de plomb quy la jette a la rue135 ». Le second cas est signalé dans la maison de Nicolas Grimaud, rue de la Guirlande, où, dans la cuisine, se trouvent une « pille avec son bassinet « et « un toyeau de plon vieux et rompu136 ». Les borneaux sont ensuite dirigés vers une gorgue recevant les eaux usagées et de ruissellement de toute la maison. La gorgue est construite en pierres de taille jointées entre elles, leurs joints recouverts d’un enduit hydraulique (batum). Elle prend son départ du puits, situé dans le ciel ouvert ou dans la boutique, et se prolonge le long de celle-ci jusque dans la rue137. La gorgue traverse ainsi presque toute la maison, longeant un mur mitoyen ou celui de la boutique, contre le couloir d’entrée. Dans celle de Jean Baptiste de Villages, sur le port, la gorgue « ou canal de tail qui est déjà comancée [sera continuée] de toute la longueur de lad. boutique et rière boutique jusques par dehors la rue138 ». Elle peut aussi donner lieu à une meilleure construction et être insérée dans le mur afin de masquer le tuyau139. Mais on prend le risque que l’eau s’infiltre : c’est ce qui est arrivé à la maison de Guillaume Vallier. Aussi, il est nécessaire de le détruire : « Osté le bourneau et pille deguier qui estoient à la muraille du coste de la rue dans la salle affin dempecher une plus grande corruption dicelle140 ».

  • 141 Nous savons seulement que depuis le Moyen Âge, les Statuts imposaient à tout propriétaire d’établir (...)
  • 142 « Feront ses cornisses par-dessus avec ses gourgoulhes par dessoubz pour recepvoir et jetter les ea (...)

129Peut-on envisager le cas où les bourneaux seraient déversés directement dans la rue141? Youri Carbonnier l’évoque dans le Paris du xviiie siècle où, en l’absence de gouttières, les eaux de pluies tombent directement sur les passants (Carbonnier 2003 : 257). Il est vrai que sous l’Ancien Régime le sens des responsabilités en matière d’espace public n’est pas encore de mise. Les propriétaires sont plus soucieux de la protection du pavage des cours intérieures, toujours à leurs frais, et choisissent les systèmes d’évacuation les moins coûteux possibles plutôt que des solutions moins gênantes pour les passants. À Marseille l’eau venant du toit tombe également dans la rue : les gargouilles que l’on pose, en 1642, sous la corniche du toit de la maison de Jean Boissely à la rue des Ventos « pour recevoir et jeter les eaux à la rue » ne représentent pas un cas isolé ; la demeure proche de Pons Agnel avait déjà été pourvue des mêmes installations quelques années auparavant142.

130Les éléments offerts par l’archéologie permettent d’appréhender de façon plus précise la manière dont ces gorgues étaient construites. Dans les rues de la Miséricorde et de la Prison, ainsi qu’à l’intérieur de deux parcelles d’un îlot voisin, quelques sections de ce type d’aménagements, ont été découvertes. D’une largeur de 0,35 m, bordées de murettes en pierre de taille, leur fond était recouvert de dalles en calcaire. Au nord de la rue de la Guirlande, le canal collecteur, d’une largeur de 0,55 m de large possédait un fond caladé entouré de murettes en maçonnerie (fig. 96).

131Sous la rue de la Guirlande, un caniveau central en pierre de taille, aménagé au xviie siècle et resté en fonction jusqu’au milieu du xixe siècle, est constitué d’un alignement de conduites monolithiques en calcaire de Saint-Victor. Les blocs mesurent 1 m en moyenne pour une hauteur de 0,45 m ; ils sont creusés d’une gorgue de 0,25 m de largeur pour une profondeur de 0,16 m. La couverture de dalles de calcaire blanc est calée par des assises de briques en terre cuite. Le tout est lié par un mortier hydraulique (Vasselin 2011 : 93-107) (fig. 21).

  • 143 Devis estimatif des réparations a faire pour retablir le plan de la rue qui du quay du port va a la (...)

132Ce dernier type est le plus fréquemment rencontré. Le devis pour des réparations à faire au canal allant de la place Neuve au quai du port est très explicite : après nettoyage des différents limons et boues qui ont engorgé le canal existant, celui-ci doit être élevé au niveau de la rue et recouvert de pierres froides de 2 pans de large (0,50 m) et 1 pan (0,25 m) d’épaisseur, bien jointées et « posées sur les murs du canal sur lesquels elles porteront trois quarts de pans de chaque bout » ; deux ouvertures permettant son nettoyage doivent être pratiquées sur toute sa longueur. Chacune aura 2 pans ½ en carré (environ 0,60 m2) dont l’ouverture sera bouchée par une pièce de bois posée sur une feuillure pratiquée dans la pierre. L’entrée du canal, sera faite avec des pierres froides d’1 pan (0,25 m) d’épaisseur, « escarrées, bouchardées et bien jointées » et qui seront également munies d’une feuillure sur laquelle on posera une pièce de bois pour la fermer. Le devant de l’entrée doit être également fermé par un grillage de fer. Entre la couverture du canal et les maisons, il devra être réalisé un pavement de « mallons de murette de la fabrique de Séon » d’1/3 de pan (environ 0,08 m) que l’on posera de champ et en épis « avec bon mortier », c’est-à-dire, si l’on en croit les détails de l’évaluation, composé de battum, enduit hydraulique143.

133La majorité des caniveaux dont l’archéologie témoigne sont maçonnés avec un fond de dalles de calcaire ou de terre cuite entre deux piédroits composés de moellons et cailloux en matériaux divers liés au mortier. La couverture est le plus souvent faite de dalles de calcaire. La largeur des conduits varie de 0,25 à 0,55 m en fonction de l’importance et de la situation de la rue dans le réseau.

  • 144 AMM : FF 1182, n° 104.

134Si ces canalisations sont mal entretenues ou insuffisamment étanches, l’eau crée des dégâts. Les experts faisant la visite du Logis du Rosier à la rue du Petit Mazeau y constatent de nombreuses dégradations dues à l’infiltration des eaux : « dans le courroir y a un canal de pierre de taille quy recoit les eaux quon puize au puidz quy est au fondz dans le ciel ouvert, laquelle canal est rompue en divers endroitz, en façon que les eaux versent de lad. canal tant dans le couroir que contre la muraille mytoyene du costé du midy144 ».

  • 145 AD BDR : 390 E 163, f° 27, prix-fait du 17 janvier 1602.

135Pour y remédier, il est nécessaire de poser les canalisations en effectuant une légère pente de façon à éviter la stagnation de l’eau et son infiltration dans les murs. C’est ce que préconisent les maçons qui doivent construire « un esgout caneirol » à la chapelle des frères Pénitents noirs de Saint-Jean Baptiste qui était dans l’enclos du couvent de l’Observance. L’ouvrage sera en « pierre de taille bien embatumat aux joinctures » contre le mur extérieur de la chapelle « tout de long en long » jusqu’au jardin du couvent. Afin d’éviter « que l’eau ne s’imbibe dedans les murailles » le canal devra être posé avec « sa pente nécessaire145 ».

Pierre neuve ou pierre récupérée ?

136Économie oblige, tous les propriétaires ne peuvent s’offrir du matériau neuf. Aussi tout en prévoyant l’emploi de la pierre de taille neuve, nombre d’entre eux préconisent la réutilisation de celle récupérée de la démolition. Les vestiges archéologiques sont venus confirmer cette pratique. Ainsi, dans les caves de deux bâtiments de la rue de la Guirlande, deux états de construction ont été observés. La partie la plus ancienne contenait des pierres de remploi alors que la plus récente était édifiée avec du matériau neuf (Sillano 2005 : 479).

  • 146 AD BDR : 390 E 163, f° 196, prix-fait du 1er mai 1602.

137Si la réutilisation des matériaux est incontestablement attestée par les sources, le choix en faveur de la pierre de taille neuve n’y est pas aussi facilement repérable. Une fois de plus le vocabulaire très allusif, n’autorise des certitudes que dans peu de cas. S’il est bien souvent préconisé que l’artisan doit se servir d’une pierre d’une qualité supérieure, il n’est pas précisé à laquelle il est fait référence. Ainsi, des expressions telles que « bonne pierre », « de la qualité la meilleure », « non du plus riche ny du moindre », ne nous disent pas grand-chose sur la pierre dont il s’agit ni sur ses qualités. Faut-il entendre derrière ces expressions que l’on choisit de la pierre neuve ? L’option pour le matériau neuf est quelquefois clairement énoncée. Les termes du contrat concernant la réalisation de la maison de Louis Boutassi, à la rue de la Prison le précisent en effet. Outre la recommandation faite au maître d’œuvre de réaliser « le dehors du costé de la rue tout de bonne pierre de taille sans y pouvoir employer aucune des vieilles » il lui est prescrit de fournir « toute la taille neuve146 ».

  • 147 AD BDR : 391 E 391, f° 769 v°, prix-fait du 25 septembre 1662.
  • 148 AD BDR : 380 E 163, f° 742, prix-fait du 23 mai 1667.

138Très fréquemment les récupérations sont prévues dans le cadre du contrat. L’artisan chargé de creuser la cave sous la maison de Pierre Carpan doit se servir « de la pierre que trouvera en crusant lad. cave147 ». En général, il est recommandé de vérifier la bonne qualité du matériau avant son réemploi : « Ce pourront lesd[it]s prefachiers servir de ce que treuvera bon et de recepte de lad. desmolli[tion] ainsin a ce accordé et stipulé entre les parties148 ». Un commanditaire du quartier de Blanquerie croit bon de faire ajouter dans le contrat que la pierre de taille de la démolition pourra être utilisée « pourvu quelle soit belle, bonne, entière et point jounie ».

  • 149 AD BDR : 355 E 455, f° 91, prix-fait du 1er mars 1664.
  • 150 Il s’agit d’une pierre blasonnée trouvée en trois morceaux, réemployée dans un mur de cave. Elle es (...)

139Le bois fait également partie des matériaux récupérés de la démolition. L’entrepreneur réalisant la maison de Clere Davin, sur la place Neuve, est autorisé à utiliser les anciennes poutres : « Lesquels [entrepreneurs] pourront se servir des callamands pour enfuster les planchers149. » D’autres matériaux mêlant diverses pièces de démolitions ont été observés par la fouille comme étant recyclés dans des murs de cave : moellons de calcaire, galets, cailloux et fragments de tuiles. Ou encore ce fragment de stèle découvert dans les fondations d’une maison fouillée, lors du chantier du collège Vieux-Port, dans l’ancien quartier Saint-Jean150.

  • 151 AD BDR : 2 B 625, f° 477, le 22 février 1613. « Presbytère » signifie à cette date le chœur de l’an (...)

140L’usage du réemploi des matériaux ne concerne pas la seule construction privée : le devis en vue de la construction en 1602, de l’église du monastère des bénédictines de Saint-Sauveur sur la place de Lenche prévoit que les entrepreneurs détruisent au préalable les vieux bâtiments existants afin de réutiliser les pierres et le bois : « Seront tenus de demolyr aussi le vieux presbitère de St Thomas, la fontayne de la plasse de Lenche et se servyront de la pyere pour fere lesdites murailles et du boys que y sera pour fere le couvert151. »

  • 152 AD BDR : 390 E 163, f° 196, du 1er mai 1602.
  • 153 AD BDR : 360 E 50, f° 221, prix-fait du 17 février 1614.

141Le terme de « desfarde » est encore employé pour désigner tous ces décombres. Louis Boutassi abandonne « toute la defarde du carage » aux trois maîtres d’œuvre qu’il a engagés152. Les briques, les tuiles, sont également laissées au bénéfice de l’entrepreneur, ainsi que les platras. Dans le prix-fait signé par Louys de Cabre, on emploie le terme de gipas : « Que le surplus du gipas que seront lad[it]e besougne faicte appartiendront ausdits entrepreneurs153. »

  • 154 AD BDR : 364 E 255, f° 1787,, prix-fait du 11 décembre 1669.
  • 155 AD BDR : 390 E 216, f° 1210,, prix-fait du 16 septembre 1655.

142La récupération des matériaux se pratique également par les commanditaires. Le maçon Alexandre Casteau, prend « toute la desfarde »« pour s’en servir a ladite heuvre154 », mais Jacques Gaultier, tenancier du logis de La Licorne souhaite conserver les boiseries et ferronneries : « tous les bois et ferremantes seront et appartiendront entièremant audit Gautier155 ».

143Tous les matériaux ne sont pas recyclés sur le chantier d’où ils sont issus. Ils sont récupérés et stockés en vue d’une construction ultérieure ou d’une vente. La cave d’un immeuble fouillé en bordure de la rue de la Prison a livré ainsi une série de pierres de taille soigneusement rangées. Disposées en cinq alignements, sur une hauteur de six assises, elles étaient en attente d’une probable utilisation qui n’a jamais eu lieu (Sillano 2011 : 319-320) (fig. 97).

  • 156 AD BDR : 353 E 80, f° 516, prix-fait du 27 juillet 1633.

144Le notaire Antoine Giraudon fait édifier deux maisons dans la rue Coutellerie. L’une des deux succède à une plus ancienne qui est démolie. Les artisans de l’autre batisse ont pour consigne d’employer « la pierre de tailhe vieille quy senlevera de la desmolition du carage vieil […] laquelle […] ledit Bernard prendra de Pierre Richard et Barthellemy Simian quy ont le prisfaict de la maison neuve156 »

145Un tel usage, justifié par les coûts élevés des matériaux, peut permettre de pallier le manque de ceux-ci (Bernardi, 1995 : 198). Il suppose l’existence d’une économie parallèle des matériaux d’occasion. Le montant des matériaux déjà utilisés étaient-ils déduit du prix des travaux, ou compris dans le prix forfaitaire de l’ouvrage ? Les matériaux de la démolition pouvaient encore être cédés aux entrepreneurs après avoir été estimés dans le cas d’une destruction de grande ampleur Ainsi, lorsque pour agrandir l’Hôpital Saint-Esprit dans les années 1695, on détruit des bâtiments situés dans les rues voisines, ainsi que certains de ceux compris dans son enclos :

  • 157 AD BDR : VI HD B 170, Reglement pour les ordres que faut suyvre pour le cannage de l’Hopital Saint (...)

Tous les debris des maisons […] que sont deors lenclos dudict ospital apartiendrons aux entrepreneurs scavoir toutes les pierres pastoires, pierre de taille, tous les bois, calamans, travettes, escoudens, malons et tuiles, portes et fenettres, placars, tous les feremens e vittres, grille de fer aux fenettres e generalement tout ce qui a esté veu par lesdicts entrepreneur lorsqu’en ont faict estime. Comme encore les bastimens que sont dans l’enclos dudict ospital que consiste en logement des prestres […] le tout apartiendra aux dicts entrepreneurs comme dict a esté si desus moyenant le pris que a esté fixé157.

146La prescription à l’entrepreneur d’utiliser les matériaux de la démolition, implique donc que le prix fixé en tienne compte. Il est cependant difficile d’appréhender la manière dont son calcul est effectué les prix étant majoritairement forfaitaires. Même lorsque le tarif est fixé à la tâche, les prix-faits marseillais ne différencient pas le coût de l’ouvrage entre des matériaux neufs ou retaillés. Face à cette situation, et si l’artisan était le seul juge pour l’évaluation de la qualité des matériaux, il est possible que celui-ci ait cherché à réaliser des bénéfices en utilisant les matériaux de remploi. C’est probablement pour se prémunir d’un éventuel abus et garantir une bonne qualité à l’ouvrage que le contrat qui lie Claire Davin, propriétaire d’une maison sur la place Neuve, à Lange Veroty et Jean Nemière précise qu’avant de régler le solde des travaux la commanditaire souhaite vérifier les factures des fournisseurs :

  • 158 AD BDR : 355 E 455, f° 91, prix-fait du 1er mars 1684.

En justifiant par lesd[it]s entrepreneurs des payements par eux faits tant de la pierre de taille, plastre, chaux, bois de charpante et celluy de menuzerie et des ouvrages de serru (re)rie, dont il raporteront quittance a leur descharge158.

  • 159 AD BDR Aix : 308 E 1477, f° 165, prix-fait du 24 juillet 1693.

147Les prix-faits aixois de la même époque offrent quelques éléments apportant plus de transparence à ces calculs. Les ouvrages de taille neuve réalisés pour la nouvelle église des mères carmélites d’Aix en 1693 sont comptés trois fois plus chers que ceux de taille vieille, soit « la taille neufve trois livres la charretée reduitte a vingt pans esfectifs, la taille vieilhe une livre la charretée mesurant comme dessus159 ».

148L’aspect économique de cet usage est par ailleurs à considérer. Les artisans ont la possibilité de récupérer les matériaux de la démolition mais ne les réutilisent pas en totalité immédiatement. Ils les monnayent lors d’autres chantiers. Ce qui suppose l’existence d’un marché où circulent les matériaux de récupération en parallèle à celui des matériaux neufs. Un autre contrat aixois illustre cette situation et montre le rapport non négligeable de cette transaction. Dans le contrat que passent en 1630 les pères de la Congrégation de l’Oratoire pour la construction de leur église, le prix des ouvrages réalisés avec des pierres de taille de la démolition appartenant aux entrepreneurs est calculé différemment de ceux utilisant de la pierre vieille appartenant aux commanditaires :

  • 160 AD BDR Aix : 309 E 1078 (I), f° 431v°, prix-fait du 30 août 1630.

Toute la taille qui proviendra de la démollition appartenant ausd. preffachiers mise en œuvre estant bonne et de recete, luy sera payé au mesme prix que dessus [unze livres la cane carree] et pour la taille que lesd. pères ce sont réservés provenant de la démollition […] lesd. presfachiers l’emploeront a ladite œuvre pour le travailh et remploy de laquelle luy sera payer a raison de deux livres quinze sols la charrettée160.

149L’emploi de la pierre de taille dans les bâtiments privés est donc de plus en plus fréquent à Marseille durant la période moderne. Dès le début du xviie siècle, on remarque qu’à l’occasion de réfections de demeures plus anciennes, la maçonnerie en blocage utilisée antérieurement est remplacée presque systématiquement par une construction en pierre de taille en particulier dans les parties inférieures – fondations, caves, murs inférieurs – Ceci vient conforter les observations faites par Ph. Bernardi pour les xve et xvie siècles à Aix-en-Provence concernant le développement de l’emploi de la pierre de taille dans cette partie de l’édifice (Bernardi 1995 : 283). Ces éléments montrent qu’on assiste à une prise de conscience des Marseillais de son rôle dans la meilleure solidité du bâtiment, et de leur intérêt pour une plus grande longévité de leur patrimoine immobilier. La pierre de taille reste toutefois un matériau précieux dont le choix entraine des conséquences économiques : aussi ne l’utilise t’on encore qu’avec parcimonie. Cette situation contradictoire entraîne l’adoption de solutions intermédiaires telles que, par exemple la pose d’assises de pierre de taille sur des fondations de construction médiocre.

Notes

1 Pour l’étude pétrographique, on consultera l’étude de P. Gaudron et H. Tréziny (Gaudron, Treziny 2004 : 102-109) ; également V. Leroy (Leroy 1847), J.-M. Triat (Triat, 1982), et A. Mezzoud, R. Thernot (Mezzoud, Thernot 2011 : 122-123).

2 À la fin de l’Ancien Régime les maisons rouennaises sont en bois et en plâtre dans leur grande majorité. Alors que, à la même époque, de petites villes comme Nantes ou Bordeaux, ont opté pour la pierre taillée ou la brique (Bardet 1983 : 93-99). Le cas de Paris est plus complexe. Y. Carbonnier a démontré qu’à l’époque moderne y coexistent les anciennes maisons construites en pan de bois et les nouvelles constructions dans lesquelles la pierre est globalement majoritaire. À savoir que son usage varie en fonction des quartiers, ou en fonction de la localisation des murs : murs de façade sur rues ou murs visibles des cours intérieures (Carbonnier 2006 : 34-38).

3 « Quelques pierres utilisées à Marseille depuis les origines », Pierre Actual, n° 813, 2004, 102-109.

4 Ce sont les prix-faits pour Jean Le Sonneur : AD BDR : 360 E 110, f° 250 v° ; Jean Bissar : 360 E 69, f° 1176 ; Guilleaume Vallier : 360 E 77, f° 904 v° ; Clere Davin : 355 E 455, f° 91 ; Estienne Rebouilhon : 355 E 454, f° 265 ; Rome Dardene : 391 E 424, f° 514 v° ; Louys de Cabre : 360 E 50, f° 221 ; Jean Louis Allemand : 360 E 50, f° 853 v°.

5 AD BDR : 362 E 101, f° 534 v°, prix-fait du 12 avril 1651.

6 AD BDR : 360 E 80, f° 446, prix-fait du 25 juin 1649. Dans le prix-fait signé par Pierre Mesnier, on la trouve sous la dénomination de « pierre de roche de la Garde », AD BDR : 364 E 299, f° 615, prix-fait du 5 octobre 1696.

7 AD BDR : 360 E 110, f° 25 v°.

8 C. Pedini a retrouvé plusieurs contrats par lesquels des carriers s’engagent à charrier la pierre commandée vers le port de « Carro et Coronne Vieille, pris aux Arqueirons et au cartier Notre-Dame » AD BDR : 378 E 642, f° 71 : Pedini 2008 : 133, n. 4.

9 Le transport par voie maritime de 100 queyrons du port de Carro à Marseille, coûtait à peine plus cher (6 livres) que le transport par voie terrestre des mêmes queyrons de la carrière au port (4 livres) : Pedini 2008.

10 AD BDR : 380 E 155, f° 768 v°, contrat du 15 mai 1659.

11 AD BDR : 392 E 103, f° 51 v°, le 27 janvier 1678.

12 AD BDR : 392 E 103, f° 75 v°, contrat du 14 février 1678.

13 AD BDR : 383 E 76, f° 984 v°.

14 AD BDR : 5 G 629, achat de Pierre pour la maison épiscopale le 22 mai 1648 ; AD BDR : 373 E 270, f° 1036, achat de pierres pour Pons Agnel le 24 novembre 1635.

15 On trouve dans les comptes des réparations faites à l’évêché au xviiie, la mention de 15 sous, payés pour le port des blocs de pierre de taille, de 2 livres pour le port de matériaux par des Turcs le 15 juillet 1711 – des « esclaves turcs » de l’arsenal sont en effet loués par ce dernier aux particuliers lorsqu’ils ne rament pas sur les galères – et d’1 livre et demi pour le louage d’un mulet les 5 et 25 mai 1724 : AD BDR : 5 G 666.

16 AD BDR : 391 E 394, f° 419, prix-fait pou Gaspard Guichard du 16 juin 1665.

17 À la rue Saint-Christophe, la façade de la maison d’Isabeau Chastanier a dû être coupée pour l’alignement de la rue. Pour signaler la construction d’un arc doubleau au niveau de la cave, il est spécifié au maçon que si la cave est trop fragilisée par le coupement, « lesditz entrepreneurs au lieu et place dudit ardoubleau y fairont une muraille maistresse qui aura trois pans au fondemant » (AD BDR : 364 E 293, f° 626 vo).

18 AD BDR : 380 E 130, f° 27, prix-fait du 7 janvier 1639.

19 AD BDR : 360 E 40, f° 958, prix-fait du 7 septembre 1604. Bernardi 2011 : 184-187.

20 AD BDR : 358 E 134, f° 331, prix-fait du 17 mars 1683.

21 AD BDR : 364 E 294, f° 475, « Devis des ouvrages de pierre froide, taille, maçonnerie et brique nécessaires à la construction de l’agrandissement du quay qui composera la place de l’hostel de ville », le 12 juin 1690.

22 AD BDR : 380 E 163, f° 742, prix-fait du 23 mai 1667.

23 AD BDR : 360 E 118, f° 25 v°.

24 Ces observations ont été faites pour deux bâtiments de la rue des Olives (parcelles n° 373-374). Le seul prix-fait disponible les concernant correspond à des travaux demandés par le marchand Pierre Fouquier au milieu du xviie siècle ; il n’offre aucune précision sur l’édification des fondations demandant seulement au maçon de vérifier « les fondements […] pour voir si le treuvent bon et à cas qu’ils ne se treuvent bon sera tenu led[it] Rayne de le creuzer tout autant que sont de present et apres luy faire une filarde de grandes pierres et bastir à chaux et sable de la mesme quest de présent jusques à fleur de terre » (AD BDR : 391 E 384, f° 392) Ces parcelles avaient appartenu à Pierre de Remezan qui les avaient cédées à François Borrau en 1592 (AD BDR : 360 E 29, f° 732). Acquises par Louis Boutassy, lui-même héritier de son père, à une date qui nous échappe, elles furent cédées par celui-ci, en 1655, à Pierre Fouquier qui fit immédiatement réaliser des réparations. (AD BDR : 357 E 146, f° 254).

25 AD BDR : 360 E 110 f° 25 v° : « les fondements des[ite]s murailles qui seront commencées à ladite cave aurons trois pans d’épaisseur jusqu’au dit ras de chaussée, avec ses retirements nécessaires », prix-fait de Jean Le Sonneur le 11 janvier 1686.

26 AD BDR : 390 E 163, f° 327, prix-fait du 2 août 1602.

27 AD BDR : 393 E 87, f° 580, prix-fait du 27 juin 1668.

28 Pour l’analyse de cette parcelle voir Sillano, 2011 : 326-328.

29 AD BDR : 356 E 84, f° 422.

30 Les plus anciennes mentions de caves datent de la fin du xve siècle (AD BDR : 4 HD B 8, f° 261, 1485).

31 AD BDR : 352 E 132, f° 186 v°.

32 AD BDR : 360 E 35, f° 719 v°, prix-fait du 15 novembre 1599.

33 AD BDR : 361 E 117, f° 540, rapport de future cautèle du 31 août 1734.

34 AD BDR : 364 E 274, f° 653 v°, prix-fait du 18 septembre 1663.

35 AD BDR : 357 E 133, f° 633, rapport de future cautèle du 17 mars 1642.

36 AD BDR : 361 E 117, f° 540, rapport du 31 août 1734.

37 AD BDR : 360 E 80, f° 446, prix-fait du 25 juin 1649.

38 AD BDR : 391 E 406, f° 162 v°, prix-fait du 13 juin 1680.

39 AD BDR : 355 E 455, f° 91, prix-fait du 1er mars 1654.

40 Chez Jacques de Forbin, près de la Maison du Roi : prix-fait du 23 mars 1667 (AD BDR : 380 E 163, f° 742) ; chez Pierre Mesnier, les maçons devront se servir de la brique de la démolition : prix-fait du 5 octobre 1696 (AD BDR : 364 E 299, f° 615).

41 AD BDR : 360 E 72, f° 360, prix-fait du 14 mai 1637.

42 L’ancienneté de la technique est attestée par un prix-fait de la fin du xvie siècle. L’ouvrage prévu en 1599 à la maison de Melchior Medicis consiste à faire la cave « acrossivé avec un pillier ou deux sy est de besoing […] de bonne pierre de tailhe ». Des arcs de décharge servent à maintenir les voûtes « trois arcs doubleaux pour porter les murettes d’hault en hault pour fere separation des chambres et salle » (AD BDR : 360 E 35, f° 413).

43 AD BDR : 391 E 391, f° 769, prix-fait du 25 septembre 1662.

44 AD BDR : 391 E 376, f° 901 v°, rapport de future cautèle pour Barthelemy Callamand du 23 décembre 1646.

45 AD BDR : 351 E 988, f° 1178, prix-fait du 10 juin 1674.

46 AD BDR : 364 E 293, f° 626 v°, prix-fait du 28 août 1689.

47 AD BDR : 391 E 424, f° 115, rapport de future cautèle du 27 mars 1713 ; Thernot, 2011 : 172.

48 AD BDR : 352 E 155,f° 142 v°, prix-fait du 3 février 1560.

49 AD BDR : 360 E 72, f° 360, prix-fait du 14 mai 1637. C’est également de la cave de la maison de Simon Rampeau qui doit être faite « a demi rond de la grandeur et largeur de lad[it]e maison […] jusques a demi rue » (AD BDR : 356 E 84, f° 422, prix-fait du 20 août 1622). Ce type de construction se rencontre également dans le quartier de Saint-Jean : un rapport de future cautèle établi pour Estienne Michel fait état d’une cave « soubzcavée jusques dans la rue » (AD BDR : 360 E 75, f° 182, rapport du 1er octobre 1642).

50 AD BDR : 356 E 84, f° 422, prix-fait du 20 août 1622.

51 Cet usage ne semble pas s’être prolongé au-delà du milieu du xviie siècle, époque à laquelle ces extensions sont bouchées. Les prix faits ne nous livrent effectivement aucun autre exemple de cette sorte après cette date.

52 AD BDR : 2 B 625, f° 477, prix-fait du 22 février 1613.

53 AD BDR : 353 E 80, f° 257, arrentement du 8 avril 1633.

54 Les caractéristiques de ce matériau sont présentées infra, ch. iii, 2.

55 AD BDR : 364 E 274, f° 653 v°, prix-fait du 18 septembre 1663.

56 L’acte de vente du bâtiment acquis par Jean Abeille précise qu’il confronte « de levant lad[ite] rue de Bernard Gast, de midy maison des heoirs a feu Feraud […], de couchant lad[ite] rue de Monteoux et de tresmontane maison de mr Charles Millonier » (AD BDR : 364 E 265, f° 1350).

57 AD BDR : 393 E 82, f° 715.

58 AD BDR : 361 E 73, f° 15 v°, rapport de future cautèle du 5 janvier 1686.

59 AD BDR : 391 E 383, f° 214, le 8 avril 1654.

60 AD BDR : 364 E 348, f° 711o, rapport de future cautèle du 21 décembre 1715.

61 Les malons de terceneau ou tercenal ont environ 0,23 m de long pour 0,12 m de large et 0,02 m d’épaisseur. Posées de champ, ils sont employés également pour les pavages des rez-de-chaussée ou encore de rues et sont très résistants (Leroy, 1847 : 39).

62 AD BDR : 355 E 455, f° 91, prix-fait du 1er mars 1684.

63 Le type de marteau utilisé pour cette opération est le « marteau taillant », ou « marteau taillant brettelé », outil à deux tranchants parallèles (Bernardi, 1996 : 216-218 ; Carbonnier 2006).

64 AD BDR : 360 E 33, f° 376, prix-fait du 27 juin 1597.

65 AD BDR : 390 E 215, f° 1293, rix-fait du 20 novembre 1654.

66 AD BDR : 361 E 69, f° 726 f°, prix-fait du 24 septembre 1682.

67 AD BDR : 363 E 250, f° 393, prix-fait du 20 mars 1715.

68 AD BDR : 373 E 271, f° 102, prix-fait du 23 janvier 1636.

69 AD BDR : 5 G 629 (1648).

70 AD BDR : 358 E 134, f° 331, prix-fait du 17 mars 1683.

71 AD BDR : 364 E 348, f° 711 v°, rapport de future cautèle du 21 décembre 1715.

72 AD BDR : 360 E 110, f° 25 v°, prix-fait du 11 janvier 1686.

73 AD BDR : 357 E 172, f° 640 v°, prix-fait du 5 mai 1681.

74 AD BDR : 360 E 80, f° 446, prix-fait du 25 juin 1649.

75 Pierre de Gueydon avait acheté la demeure le 3 janvier 1641, à Esprit de Clapiers, seigneur de Sambuc. Il l’avait fait rebâtir ce qui explique qu’en 1649, on puisse vouloir reproduire un détail de la construction (Billioud, 1960 : 17-23).

76 AD BDR : 361 E 100, f° 182 v°, rapport de future cautèle du 13 avril 1714.

77 AD BDR : 360 E 110, f° 25 v°, prix-fait du 11 janvier 1686.

78 AD BDR : 393 E 87, f° 580, prix-fait du 25 juin 1668.

79 AD BDR : 380 E 163, f° 742, prix-fait du 23 mai 1667.

80 AD BDR : 380 E 130, f° 27, prix-fait du janvier 1639.

81 Guillaume Tiran achète cette maison à Anthoine de Riqueti, sieur de Negreaulx ; un rapport de future cautèle en est effectué le 20 novembre 1642, AD BDR : 357 E 133, f° 1301.

82 La maison Diamantée, aujourd’hui Musée du Vieux Marseille, doit sa réputation à sa façade aux pierres taillées en forme de « pointe de diamant ». Sa construction, commanditée en 1570, par Pierre Gardiolle, sur un terrain ayant appartenu à Ambroise de Remesan, est due au tailleur de pierre et sculpteur Marc de Barre dont la notoriété était établie dans la seconde moitié du xvie siècle. La demeure, acquise au début du xviie siècle par Nicolas de Robbio, contrôleur de l’artillerie marseillaise, est ensuite divisée entre deux propriétaires. Les réfections réalisées à cette époque ont un but ostentatoire, en particulier la création d’un portail baroque et la réfection de l’appareil à bossage. Mais pour l’essentiel de sa construction, J.-J. Gloton a établi qu’elle est un modèle d’architecture maniériste de la fin du xvie siècle. (Gloton 1979 : 183-189 ; Busquet 1941 : 3-10 ; Conard 1977 : 5-8).

83 AD BDR : 360 E 51, f° 765 v°, prix-fait du 24 juillet 1615.

84 AD BDR : 390 E 163, f° 196, prix-fait du 1er mai 1602.

85 AD BDR : 364 E 244, f° 1328, prix-fait du 4 octobre 1659.

86 AD BDR : 362 E 91, f° 703, prix-fait du 5 mai 1642.

87 Sises l’une rue Coutellerie et l’autre rue de la Loge ces deux demeures ont été détruites respectivement en 1959 et 1946.

88 Lorsque Guillaume Tiran acquiert cette maison d’Anthoine de Riqueti, sieur de Negreoux, en novembre 1642, la façade en pointes de diamant est déjà en place. C’est donc le précédent propriétaire qui l’a fait réaliser, probablement à la même époque où a été réalisée celle de la maison Diamantée. J.-J. Gloton a montré que le choix de ce décor à bossages avait été adopté en Provence depuis la fin du xve siècle (Gloton, 1980 : 170). L’expertise de cette demeure offre le seul exemple rencontré de ce type de décor. Il a pu être choisi pour d’autres demeures dans le même secteur, mais les témoignages manquent (AD BDR : 357 E 133, f° 1301).

89 AD BDR : 360 E 80, f° 446, prix-fait du 27 juin 1649.

90 AD 31 : 3 E 11984, bail à besogne passé par Pierre et Geraud Comère le 8 février 1606, texte produit par Eclache, 2006 : 79.

91 Hautecoeur, 1967, t. 1.

92 AD BDR : 360 E 110, f° 25 v°, prix-fait du 11 janvier 1686.

93 Respectivement les maisons de Jean Le Sonneur à l’angle des rues de Négréou (Négrel) et de la Fontaine de l’Aumône (AD BDR : 360 E 110, f° 25  v°, 11 janvier 1686) ; de Louis Mane au coin des rues du Petit mazeau et de la Guirlande (AD BDR : 361 E 100, f° 241, 13 avril 1714) ; de Nicolas Grimaud, à l’angle des rues des Ventos et du Bordat. (AD BDR : 391 E 403, f° 500 v°, 12 novembre 1674) ; Mathieu de Madières, à l’angle des rues du Petit Mazeau et de la Guirlande (côté est) (AD BDR : 393 E 82, f° 715, 10 octobre 1662).

94 AD BDR : 390 E 163, f° 224 v°, le 18 mai 1602.

95 AD BDR : 380 E 130, f° 27, le 7 janvier 1639.

96 AD BDR : 390 E 222, f° 1147.

97 Le perron d’une maison du quartier Saint-Jean est fait de « trois mauvaises pierres de tailh separées l’une de l’autre », AD BDR : 390 E 231, f° 746.

98 AD BDR : 360 E 80, f° 446, le 25 juin 1649.

99 AD BDR : 358 E 134, f° 151, le 3 février 1683.

100 AD BDR : 380 E 163, f° 742, le 23 mai 1667.

101 AD BDR : 360 E 50, f° 853 v° le 14 juillet 1614 ; 358 E 134, f° 453, le 17 mars 1683 ; 390 E 236, f° 860 v°, le 11 octobre 1675 ; 358 E 134, f° 151, le 31 janvier 1683.

102 AD BDR : 360 E 30, f° 679, le 30 décembre 1593.

103 AD BDR : 390 E 236, f° 860 v°, rapport de future cautèle du 11 octobre 1675.

104 AD BDR : 358 E 134, f° 151, prix-fait du 3 février 1683.

105 AD BDR : 355 E 454, f° 265, prix-fait du 24 mai 1683.

106 AD BDR : 364 E 244, f° 1328, rapport du 4 octobre 1659.

107 AD BDR : 358 E 134, f° 151, prix-fait du 3 février 1683.

108 AD BDR : 393 E 81, f° 106, prix-fait du 15 février 1661.

109 AMM. : BB 104, f° 58 v°, vente de place de maison faite pour Jean Baptiste Pontis, le 28 mars 1670.

110 L’alignement du Cours oblige les propriétaires à retrancher une partie de leur maison et donc à la refaire. Les quatre prix-faits sur les cinq maisons reconstruites de l’îlot, situé entre les rue Dauphine (Nationale) et du Petit-Saint-Jean correspondent à des fondations exhumées en fouille. Ce sont les maisons appartenant du nord au sud : à François Chaurousset (AD BDR : 361 E 62, f° 100 v°,le 1 février 1675), Laurens Geoffroy (AD BDR : 380 E 171, f° 1411, le 19 novembre 1675), Jacques Ribouton (AD BDR : 390 E 236, f° 191, le 10 mars 1675), Alexandre Evesque (AD BDR : 390 E 236, f° 240 v°, le 22 mars 1675), cette dernière faisant l’angle du Cours et de la rue du Petit-Saint-Jean. Le contenu de ces actes donne les mêmes prescriptions pour les quatre maisons.

111 Trois seules occurrences ont été rencontrées à des dates extrêmes : chez Françoise Vivaud, sur la place du même nom (AD BDR : 355 E 411, f° 244, le 6 mars 1560), chez Gilles Houllon, rue de Negreau (AD BDR : 373 E 279, f° 1292, le 3 septembre 1640), chez Joseph Clerissy, rue de Jérusalem (AD BDR 380 E 232, f° 435, le 29 avril 1748).

112 Nous avons rencontré cinq occurrences de ce décor, pour les maisons d’Isabeau Chastannier, rue Saint-Christophe (AD BDR : 364 E 293, f° 626 v°, le 26 août 1689) ; chez Jean Estienne Rebouilhon, rue de Jérusalem (AD BDR : 358 E 134, f° 751, le 31 janvier 1683) ; chez Clere Davin, place Neuve (AD BDR : 355 E 455, f° 91, 1683) ; chez Dominique Durbec, rue Saint-Christophe (AD BDR : 380 E 204, f° 988 v°, 1719), chez Catherine de Vias, rue de la Guirlande (AD BDR : 393 E 87, f° 580, 1668).

113 AD BDR : 380 E 163, f° 742, prix-fait pour Jacques de Forbin, rue de la Loge, du 23 mai 1667.

114 AD BDR : 390 E 244, f° 467, prix-fait pour le Jean Ravel, me chapelier, le 4 mai 1683 : .

115 AD BDR : 373 E 271, f° 102, prix-fait du 23 janvier 1636.

116 Prix-fait passé par Clere Davin avec les maîtres maçons Lange Verotty et Jean Neucere le 1er mars 1684, AD BDR : 355 E 455, f° 91.

117 Il s’agit de faire les appuis des fenêtres ainsi que les bandeaux soulignant les premier et second étages à la demeure de Pierre Donat (AD BDR : 390 E 216, f° 1125, le 27 août 1655).

118 Prix-fait pour une maison de Barthélemy Dutastel dans la rue de la Loge, le 2 mars 1608 (AD BDR : 360 E 44, f° 633).

119 AD BDR : 360 E 69, f° 1176, le 25 novembre 1634.

120 AD BDR : 362 E 119, f° 43 v°, le 11 janvier 1666.

121 AD BDR : 361 E 87, f° 710, prix-fait du 6 octobre 1699.

122 AD BDR : 390 E 163, f° 196, prix-fait du 1er mai 1602.

123 AD BDR : 393 E 82, f° 715, prix-fait du 10 octobre 1662.

124 AD BDR : 360 E 110, f° 25 v°, prix-fait du 11 janvier 1686.

125 AD BDR : 380 E 204, f° 988 v°, rapport de future cautèle du 13 novembre 1719.

126 AD BDR : 391 E 375, f° 518 v°, prix-fait du 27 juillet 1645.

127 A.D BDR : 360 E 110, f° 25 v°, prix-fait du 11 octobre 1686.

128 AD BDR : 361 E 118, f° 634 v°, rapport de future cautèle du 8 octobre 1735.

129 AD BDR : 362 E 115, f° 51, rapport de future cautèle du 7 janvier 1662.

130 Un chapitre des Statuts imposait à tous les propriétaires d’établir un évier dans sa maison par lequel s’écoulaient les eaux ménagères. Son installation avait pour but d’empêcher l’eau de tomber de haut, et de s’écouler dans la rue par le bas de la maison (François d’Aix, 1656 : Livre III, ch. 3). Le système adopté au xviie siècle est plus élaboré ; l’installation des éviers est accompagnée d’une tuyauterie raccordée à un canal central récoltant toutes les eaux de la maison.

131 Au xixe siècle, les bourneaux encore en usage sont fabriqués à Aubagne (Leroy, 1847 : 91).

132 Les bourneaux ou borneaux sont utilisés également pour amener l’eau. Le rapport des travaux effectués à la maison épiscopale en 1672, fait état de la dégradation des anciens borneaux : « Les borneaux et canal qui portoint l’eau a la fontaine de lad. maison episcopalle estoient tous remplis et rompus » ; afin que l’eau puisse être rétablie dans la basse cour et dans la cuisine « a esté crusé durant l’estandue de quarante cannes [80 m] a compter de la serve et prins l’eau jusques a la basse cour et d’icelle jusques a la cuisine et de lad. cuisine jusques a la rue et dans ce cruzemant posé les borneaux pour recepvoir et conduire ladicte eau bien joinctes et battumes », Rapport d’estime des travaux que M. de Janson, évêque de Marseille a fait faire a l’éveché pour en achever la batisse, le 30 janvier1672 (AD BDR : 5 G 629, f° 51 vo).

133 AD BDR : 393 E 82, f° 708, rapport de future cautèle du 8 octobre 1662 .

134 AD BDR : 390 E 236, f° 949, prix-fait du 2 novembre 1675.

135 AD BDR : 359 E 121, f° 1475, rapport de future cautèle du 13 octobre 1674.

136 AD BDR : 391 E 403, f° 500 v° rapport de future cautèle du 12 novembre 1674.

137 AD BDR : 391 E 394, f° 419, prix-fait pour Gaspard Guichard du le 16 juin 1665.

138 AD BDR : 358 E 128, f° 1143, prix-fait pour le sr de la Salle du 30 mars1677.

139 AD BDR : 393E 82, f° 715, prix-fait pour Mathieu de Madières du 10 octobre 1662 ; 364 E 377, f° 473, rapport de future cautelle pour François Escure du 14 mai 1746.

140 AD BDR : 360 E 77, f° 904, prix-fait pour Guillaume Vallier.

141 Nous savons seulement que depuis le Moyen Âge, les Statuts imposaient à tout propriétaire d’établir « un évier (aqueria) par lequel s’écoulaient les eaux ménagères ; il devait être placé de manière à empêcher l’eau de tomber de haut dans la rue mais de s’y écouler par le bas des maisons sans se répandre trop sur le pavé » (Mery, Guindon, 1841-1873, Livre III, chap. 3). On peut donc supposer que les propriétaires essayaient d’éviter de jeter les eaux usées du haut des maisons.

142 « Feront ses cornisses par-dessus avec ses gourgoulhes par dessoubz pour recepvoir et jetter les eaux a la rue conforme à celles de la maison de sr Pons Agnel » (AD BDR : 362 E 91, f° 703, prix-fait pour Jean Boissely, le 5 mai 1642) ; la maison de Pons Agnel fait l’objet d’un prix-fait le 23 janvier 1636 (AD BDR : 373 E 271, f° 102).

143 Devis estimatif des réparations a faire pour retablir le plan de la rue qui du quay du port va a la place neuve, le 3 mai 1729, (AMM. : DD 107, pièce 85)

144 AMM : FF 1182, n° 104.

145 AD BDR : 390 E 163, f° 27, prix-fait du 17 janvier 1602.

146 AD BDR : 390 E 163, f° 196, prix-fait du 1er mai 1602.

147 AD BDR : 391 E 391, f° 769 v°, prix-fait du 25 septembre 1662.

148 AD BDR : 380 E 163, f° 742, prix-fait du 23 mai 1667.

149 AD BDR : 355 E 455, f° 91, prix-fait du 1er mars 1664.

150 Il s’agit d’une pierre blasonnée trouvée en trois morceaux, réemployée dans un mur de cave. Elle est en marbre figurant le corps d’un personnage tenant un heaume de chevalier. Un lion est dressé sur ses pattes arrière. Pour l’analyse de cette pièce, voir (Castrucci 2006 : 21-37).

151 AD BDR : 2 B 625, f° 477, le 22 février 1613. « Presbytère » signifie à cette date le chœur de l’ancienne église Saint-Thomas.

152 AD BDR : 390 E 163, f° 196, du 1er mai 1602.

153 AD BDR : 360 E 50, f° 221, prix-fait du 17 février 1614.

154 AD BDR : 364 E 255, f° 1787,, prix-fait du 11 décembre 1669.

155 AD BDR : 390 E 216, f° 1210,, prix-fait du 16 septembre 1655.

156 AD BDR : 353 E 80, f° 516, prix-fait du 27 juillet 1633.

157 AD BDR : VI HD B 170, Reglement pour les ordres que faut suyvre pour le cannage de l’Hopital Saint Esprit [1695-1696]

158 AD BDR : 355 E 455, f° 91, prix-fait du 1er mars 1684.

159 AD BDR Aix : 308 E 1477, f° 165, prix-fait du 24 juillet 1693.

160 AD BDR Aix : 309 E 1078 (I), f° 431v°, prix-fait du 30 août 1630.

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