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Le quartier du port de Marseille 1500-1790

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Colette Castrucci

Première partie. Le Corps de Ville, symbole de la « bonne ville » de Marseille ?

Le statut juridique des propriétés

Texte intégral

  • 1 B. Gauthiez a pu repérer, dans l’ensemble de maisons, le nombre total d’entre elles dites « relevan (...)

1L’absence de documents fiscaux suffisamment fiables empêche de dresser un tableau précis et exhaustif de la propriété éminente du quartier du Corps de Ville comme a pu le faire Bernard Gauthiez pour Rouen au xviiie siècle1. Aucun document susceptible de fournir l’ensemble des contribuables avant le début du xixe siècle n’existe à Marseille. Les sources utilisées n’apportent donc que des éléments incomplets et hétérogènes.

  • 2 AD BDR Aix : B 929.

2Deux documents ont été essentiels pour aborder cette question. Le premier provient du fonds de la Cour des Comptes et consiste en un registre de reconnaissances des biens soumis au cens royal. Dressé entre les années 1683 et 1690, il contient les déclarations de propriétaires des maisons « relevant de la directe du roi2 ».

  • 3 AMM : CC 1.

3Le second est le Dépouillement général de tous les particuliers qui possèdent des biens, maisons et héritages relevant de la directe de Sa Majesté dans la ville et terroir de Marseille effectué entre 1729 et 1745. Il s’agit également d’un registre dans lequel des propriétaires « qui en ont fourni la déclaration » attestent détenir un bien dit « sous la directe et seigneurie du Roy3 ».

  • 4 Un exemple de la difficulté que présentait cette démarche est illustré par la déclaration de Claude (...)

4N’ayant été dressés que sur la base des déclarations des possédants biens, ils ne peuvent être considérés comme exhaustifs. De plus, le registre du xviiie siècle couvrant environ quinze ans de déclarations, certains biens ont pu être signalés plusieurs fois par des propriétaires différents. Vérifier la présence systématique de chaque bien dans les deux registres pour tenter de faire le lien entre les deux était inutile, car entre 1683, année où débutent les déclarations du premier, et 1745 qui clôt le second, les mutations pouvaient avoir été nombreuses ; certains biens avaient pu également être cédés par testament à un possesseur d’un autre nom4. Les secteurs non représentés dans les « relevantes du roi » sont-ils absents de la propriété royale ? Il est difficile de l’attester compte tenu de la fiabilité insuffisante des registres pris en compte. Par contre, plusieurs maisons absentes des registres de reconnaissances, ont été repérées comme étant « relevantes », grâce aux actes notariés dressés lors des mutations le statut juridique de la propriété y est toujours mentionné par la mention « serville et mouvante soubz la directe, domaine et seigneurie du Roy ». Il est donc probable que, pour éviter les taxes, beaucoup de propriétaires se sont dispensés d’aller faire leur déclaration ce qui nous prive d’un grand nombre de biens. Seulement 99 maisons ont pu être dénombrées parmi les déclarants entre 1683 et 1685 et 173 maisons entre 1729 et 1745. Ce qui est peu par rapport à l’ensemble des 670 parcelles dénombrées du plan cadastral napoléonien. Même en supposant qu’entre la fin du xviie et le début du xixe certaines parcelles ont pu fusionner, cela ne fait qu’environ un quart des maisons dont le roi aurait eu la propriété éminente. Il est toutefois impossible d’évaluer la proportion de celles qui en ont fait partie sans être déclarées.

5Malgré leurs défauts, ces deux documents ont été essentiels pour l’approche de cette propriété et ils ont offert des renseignements incomparables.

  • 5 Par exemple Gabriel Remuzat reconnaît le 20 mai 1730, un tiers d’une maison à Saint-Victor, située (...)
  • 6 Ce qui n’est pas le cas des registres de reconnaissances au roi dans lesquels les déclarations cont (...)
  • 7 Le cas s’est produit pour Mathieu de Madières dont le prix-fait concerne la reconstruction de deux (...)

6Qu’en était-il donc des propriétés « non relevantes » du roi ? Les institutions religieuses, dont le rôle prépondérant dans l’activité du bâtiment est à signaler, établissaient également des registres de cens sur lesquels les propriétés de leur domaine sont consignées. Mais les renseignements fournis par ces documents ne constituent pas des données exploitables. Ils ne sont ni aussi précis ni aussi complets que ceux des registres de reconnaissance au roi ; ils varient d’un établissement à l’autre et même d’un registre à l’autre. Parfois sont indiqués les noms de propriétaires par rue et par date de reconnaissance mais lorsque le patronyme change, le repère qui permettrait d’avoir la certitude qu’il s’agit du même bien fait très souvent défaut. De même les reconnaissances s’arrêtent à une certaine date, et aucun élément ne permet de faire le lien avec un éventuel registre plus récent. Or, on sait que les cens peuvent être rachetés et qu’une maison peut changer de statut, qu’elle peut être partagée entre deux établissements, et que la propriété éminente peut être partagée5. Enfin, en dehors du nom de la rue ou de l’île, aucune précision de localisation n’est fournie6. Par ailleurs, les registres conservés ne sont pas tous de la même période pour les différentes institutions et ont été rédigés selon des logiques différentes. Toutes ces particularités nous privent de la possibilité d’évaluer l’importance des possessions des établissements religieux au Corps de Ville et ainsi de compléter la composition des parcelles de façon vraiment satisfaisante. Quant au lien qui aurait pu être établi entre ces déclarations et les actes qui concernent l’édification des maisons, il ne pouvait être que fortuit7. Aussi avons-nous renoncé au dépouillement systématique de ces registres.

  • 8 Un registre de l’Hôpital Saint-Esprit (Hôtel-Dieu) contient plusieurs reconnaissances de maisons si (...)
  • 9 AMM : DD 107.

7Toutefois, quelques investigations réalisées dans ces cahiers montrent l’existence de plusieurs biens situés au Corps de Ville et placés sous la directe de l’Hôtel-Dieu, de l’abbaye de Saint-Victor, du Chapitre de la Major ou de l’abbaye de Saint-Sauveur8. Un plan terrier établi au début du xviie siècle illustre également la forte présence ecclésiastique aux abords directs de l’Hôtel de Ville jusqu’au xvie siècle9. Il remonte les propriétés pour certaines jusqu’au milieu du xve siècle : ce document, non daté et nullement référé actuellement à un dossier explicatif, nous apprend ainsi qu’une maison dite de Jean Sansonnet a été reconnue à l’hôpital – probablement du Saint-Esprit – en 1452, de même que la maison voisine. Que trois « places » à côté, avaient été données en 1444 à la Chapelle Saint-Sébastien ; à côté d’elles se trouvent encore les deux places acquises par Pierre de Gardiolle en 1579 – le propriétaire de la maison Diamantée – Jacques de Remezan les avait acquises du monastère de Saint Sauveur ; enfin la maison appartenant au moment de l’établissement de ce plan à Barthelemy Couzinery avait été acquise par de Bouquin qui l’avait reconnue à La Major en 1455 (fig. 41) Sous l’Ancien Régime, la propriété du sol de ce secteur est donc partagée entre le roi et les différents établissements ecclésiastiques.

  • 10 C’est également le cas de la maison de Jean Griffet, rue de la Prison (AD BDR : 362 E 127, f° 754. (...)

8Quelques biens sont également en multipropriété. C’est le cas de la maison de la veuve Salard, rue Saint-Christophe, qui est pour deux-tiers sous la directe du roi et pour le tiers restant sous celle des religieuses de Saint-Sauveur10.

  • 11 AMM : DD 148.

9L’ensemble des seigneurs directs laïcs et ecclésiastiques de la ville fait l’objet d’un comptage dont la liste est dressée en 1681. Sur les trente sept propriétaires directs cités, plus de la moitié sont des laïques (20), mais ce sont les ecclésiastiques qui détiennent le plus de directes (165 pour un total de 302 directes)11. Parmi les laïques, on rencontre aussi bien le Corps de notaires que des particuliers comme le marquis Marc-Antoine de Vento des Pennes dont la famille possède plusieurs bâtiments dans le secteur qui nous occupe.

10Quel était le statut des autres maisons ?

  • 12 AD BDR : 358 E 169, f° 819 v° .

11Les maisons non relevantes sont dites « franches ». Seuls les actes d’achat le mentionnent, comme c’est le cas pour la maison appartenant à Claude Bremond, négociant rue de la Taulisse : elle est dite « franche de toute directe et censive »12. N’étant soumises à aucune taxe, rente ni impôt, elles ne sont pas répertoriées et échappent à tout comptage.

  • 13 AD BDR Aix : B 929, f° 116.

12L’analyse des registres a permis de constater que les possessions royales sont regroupées dans certains secteurs : aux alentours de l’Hôtel de Ville en particulier, des maisons correspondent à des emplacements cédés de longue date par le pouvoir souverain. Barthelemy de Beaulieu, sieur de Razac, reconnaît ainsi, en 1683, une maison « faizant coin » au port et à la Loge. Elle a été rapportée par son père selon un arrêt du Conseil d’État du 19 mars 1668 par lequel le roi l’a maintenu en la jouissance et la possession de la maison dont il avait la propriété éminente en vertu de services rendus « à la Couronne » par son bisaïeul et ses descendants, sous les règnes de François 1er, Henry II, François II, Charles IX, Henry III, Henry IV. En contrepartie il paye à vie un droit d’albergue13.

  • 14 AD BDR Aix : B 929, f° 129 v°.

13La maison que reconnaît Honnoré Rome, « sieur Dardene » (en fait Ardène, arrière-fief de Haute-Provence, commune de Saint-Michel l’Observatoire), à l’angle des rues du Palais et de la Loge, participe du même principe de don fait par le Roi à un de ses fidèles sujets, puisque par le même arrêt du Conseil d’État il avait été maintenu en jouissance et en possession de la maison du Roi, avec la même contrainte du paiement d’un droit d’albergue. Son oncle, dont il est l’héritier, était gouverneur des pages de la Chambre du Roy, et lui-même héritier de Gaspard Rome, sieur d’Ardene, qui avait été « capitaine consierge de la maison du Roi, valet de chambre de sa majesté et controleur de la maison de la Reyne mère14 ».

  • 15 L’emprise de la propriété royale dans un secteur déterminé a pu également être constatée lors de l’ (...)

14À partir de la reconstitution de la rive du port que B. Roberty propose pour les xive et xve siècles, il est notable que les propriétés du roi se trouvent concentrées sur la rive du port, mais aussi autour de la place Neuve, du Mazeau, de la poissonnerie. La prégnance de la propriété royale dans certains secteurs est donc une évidence qui a sa logique15.

Notes

1 B. Gauthiez a pu repérer, dans l’ensemble de maisons, le nombre total d’entre elles dites « relevantes du roi » par l’analyse des registres du Vingtième. Le même type d’évaluation est impossible à réaliser à Marseille car les registres du Vingtième sont établis par paroisse et ne mentionnent pas la propriété éminente des maisons (Gauthiez 1995 : 267-300).

2 AD BDR Aix : B 929.

3 AMM : CC 1.

4 Un exemple de la difficulté que présentait cette démarche est illustré par la déclaration de Claude Robert. Celui-ci signale entre 1729 et 1745 une maison reçue en héritage de sa mère Gabrielle Izard comme « relevante », (AMM : CC1, n° 532). Mais aucune déclaration du registre de 1683 ne correspond à l’un de ces noms. Or, Gabrielle Izard était héritière de Balthazard Silvestre, son beau-fils, qui l’avait acquise en 1719 de Philibert Arene, lui-même héritier d’Estienne Arene son père (AD BDR : 362 E 161, f° 173 vo). Ce dernier l’avait achetée à Claude Griffet en 1673 (362 E 127, f° 754) qui l’avait lui-même reçue par testament de Jean son père ; et celui-ci l’avait achetée à Pierre Dubois le 1er avril 1637 (360 E 72, f° 231). L’acte de vente du 17 avril 1673 à Estienne Arène mentionne que la maison est « soubs la majeure directe domaine et seigneurie du Roy » et également du monastère Saint-Sauveur. Une déclaration aurait donc dû se trouver sur le registre de 1683.

5 Par exemple Gabriel Remuzat reconnaît le 20 mai 1730, un tiers d’une maison à Saint-Victor, située rue de la Mûre. La reconnaissance stipule qu’un autre tiers est servile à l’Hôtel-Dieu. Le restant est servile à la Major (AD BDR : 1 H 973, f° 10) ; dans la rue Coutellerie, François Lantier reconnaît à la Major en 1737, 6 cannes 2 pans d’une place de maison : qu’en était-il du reste de la maison (AD BDR : 1 H 973, f° 220) ?

6 Ce qui n’est pas le cas des registres de reconnaissances au roi dans lesquels les déclarations contiennent des indications précises sur les confronts de la maison permettant souvent de reconstituer des parties entières d’îles.

7 Le cas s’est produit pour Mathieu de Madières dont le prix-fait concerne la reconstruction de deux maisons à l’angle de la rue du Mazeau et de celle de la Guirlande en 1662. Les deux maisons étaient « relevantes » de l’Hôpital Saint-Esprit depuis le début du xve siècle (AD BDR : 1 HD B 24, f° 96).

8 Un registre de l’Hôpital Saint-Esprit (Hôtel-Dieu) contient plusieurs reconnaissances de maisons situées rue du Petit Mazeau, de la Poissonnerie, Pierre de Servières (des Olives), du Palais, du Colombier, des Masses (AD BDR : 1 HD B 24, f° 97, 99, 100, 102, 104, 105, 110, 113, 114, 115, 116). Les reconnaissances ont été faites entre le début du xve siècle et le début du xviie siècle. Un registre de l’abbaye de Saint-Victor, datant du xviiie siècle, a livré des noms de propriétaires dans les rues de la Croix d’Or, de la Salle, de la Rose, Bonneterie, Cordellerie, du Change, Poissonnerie Vieille, Coutellerie (1 H 973, f° 1, 4, 7, 10, 13, 16, 19, 20, 27, 28, 37, 40, 46, 49, 52, 209, 211, 220, 223).

9 AMM : DD 107.

10 C’est également le cas de la maison de Jean Griffet, rue de la Prison (AD BDR : 362 E 127, f° 754. AMM : CC1, f° 163).

11 AMM : DD 148.

12 AD BDR : 358 E 169, f° 819 v° .

13 AD BDR Aix : B 929, f° 116.

14 AD BDR Aix : B 929, f° 129 v°.

15 L’emprise de la propriété royale dans un secteur déterminé a pu également être constatée lors de l’étude effectuée pour le chantier archéologique de la BMVR sur l’actuel cours Belsance dont les terrains et maisons faisant partie du faubourg des Roubaud – premier secteur concerné par les opérations de l’agrandissement de la fin du xviie siècle – Les experts venus les visiter en vue du calcul de la plus-value dont ils allaient faire l’objet, ont déclaré tous ces biens comme étant « sous la directe du roi » (AMM : DD 155, pour 1664 et DD 164, pour 1682).

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