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Le patronat marseillais et la deuxième industrialisation

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Xavier Daumalin

L’industrie marseillaise vers 1880

Un patronat industriel familial

Texte intégral

1Anciennes ou récentes, implantées en ville ou dans des espaces ruraux isolés, les industries marseillaises du début des années 1880 sont gérées, comme la plupart de leurs concurrentes françaises et européennes, par des entrepreneurs appartenant à un capitalisme de type familial. D’où viennent-ils ? De quels milieux économiques et confessionnels sont-ils issus ? Comment sont-ils formés ? À quels types de réponses sont-ils préparés pour pouvoir faire face aux difficultés de leur métier ou pour participer aux dynamiques de la croissance ? Retrouve-t-on, comme dans la première moitié du xixe siècle, ce même mélange d’entrepreneurs locaux et d’industriels venus des autres régions françaises, d’Europe du Nord et du bassin méditerranéen ? S’agit-il d’un capitalisme principalement composé de nouveaux venus et de self made men ou d’entrepreneurs héritiers d’une longue tradition familiale passée dans les affaires et, notamment, dans les activités de transformation ? Au-delà de ces caractéristiques, quelles sont les conceptions économiques et sociales qui prévalent au sein de ce capitalisme industriel et dans quelle mesure influentelles sur la compétitivité des industries marseillaises ?

Un mélange d’héritiers et de nouveaux venus

2Qui sont les industriels marseillais des années 1880 et présentent-ils des éléments de filiations significatifs avec ceux de la première révolution industrielle ? Dans leur analyse des milieux d’affaires marseillais de la première moitié du xixe siècle, Éliane Richard et Roland Caty ont décrit un patronat profondément renouvelé par les troubles de la Révolution et de l’Empire, venant de différents horizons géographiques, multiconfessionnel et relativement cloisonné :

  • 1 É. Richard, R. Caty, « Élites et culture », dans Marseille au xixe siècle. Rêves et triomphes, Mars (...)

Dans une ville où la noblesse représente une petite minorité, sur une place qui a vu ses agents économiques décimés par la Révolution, où les fortunes se font et se défont rapidement, les élites du xixe sont pour la plupart issues d’une bourgeoisie d’affaires récente aux origines diverses : Gavots descendus des Alpes ; hommes venus de Provence et du Languedoc, ou de régions plus éloignées, tenter leur chance sur les rives du Vieux Ports ; étrangers qui arrivent d’Italie, d’Espagne, de Suisse ou du bassin oriental de la Méditerranée. Ainsi la bourgeoisie marseillaise est traversée de clivages ethniques et religieux. Il est certain qu’il existe une forte communauté protestante à la tête d’entreprises de négoce, de banque, d’armement ; que les Grecs constituent un milieu spécifique dont les ramifications s’étendent au-delà des frontières ; que les juifs forment également un ensemble uni. Chacun de ces groupes possède ses lieux de culte, ses institutions de bienfaisance et de charité. L’endogamie y est la règle1.

  • 2 Liste établie à partir des travaux d’Olivier Raveux, d’Éliane Richard et de Roland Caty et de nos p (...)
  • 3 Liste établie à partir du dépouillement des actes de sociétés conservés dans la série 548 U.

3Pour essayer de cerner un peu plus finement les origines géographiques et professionnelles des industriels des années 1880, et pour mettre en perspective l’évolution de ces deux critères par rapport au patronat de la première révolution industrielle, deux échantillons ont été reconstitués : le premier, pour l’année 1850, a été élaboré à une date où la première révolution industrielle marseillaise atteint une certaine maturité (tableau 6)2 ; le second, pour l’année 1880, correspond au seuil de notre étude (tableau 7)3. Comme tous les échantillons, ces listes sont bien évidemment sujettes à discussions et à critiques. Elles présentent, malgré tout, un reflet relativement fidèle du milieu entrepreneurial des époques retenues et permettent de dégager des tendances qui pourront être ultérieurement affinées et nuancées par la réalisation d’études exhaustives qui font encore défaut pour l’ensemble du xixe siècle marseillais.

Tableau 6 : principaux entrepreneurs engagés dans l’industrie marseillaise vers 1850

Noms Engagements industriels (1) Naissance Activité du père Lieu d’activité du père
Armand Amédée em, ic Marseille em, ic, ia Bouches-du-Rhône
Arnaud Étienne mc Marseille Cultivateur Marseille
Arnavon Louis IO Marseille Savonnier Marseille
Bazin Auguste IA, CM Marseille Négociant Marseille
Bazin Charles IA, CM Paris Banquier Paris/Marseille
Benet Louis CM La Ciotat Armement/Textile La Ciotat/Marseille
Benet Toussaint M Marseille Armateur Marseille
Boisselot Xavier Fabricant de pianos Montpellier Luthier Montpellier
Borelli Georges IO Marseille Négociant Marseille/Gênes
Camoin Jean-Baptiste Fabricant de cartes Marseille Cultivateur Marseille
Canaple Edmond IO Marseille Savonnier Marseille
Cantini Jules Marbrier Marseille Maçon Marseille
Castellane Louis EM Marseille Consul Suisse
Darier Émile IO Marseille Rentier Avignon
Delpuget Adolphe IO Marseille Négociant Avignon
Demange Dominique CM Marseille ? Marseille
Dussaud Élie BTP Marseille Maçon Marseille
Dussaud Elzéard BTP Marseille Maçon Marseille
Estrangin Émile IO Marseille Rentier Marseille
Falguière Jean-Baptiste CM Albi Forgeron Albi
Falque Jean-Baptiste BTP Marseille Maçon Marseille
Figueroa Luis M Espagne Rentier Espagne
Forbin Janson
Charles de
IA La Roque d’Anthéron Officier France
Fournier Frédéric IO Marseille Pharmacien Nîmes
Gimmig Jules Filateur Marseille Négociant Marseille
Gounelle Charles IO Salon Tanneur Salon
Grandval Joseph IA Ajaccio Médecin Ajaccio
Jullien Édouard Tanneur Marseille Cordonnier Marseille
Legré Honoré Fab. d’acide tartrique Marseille Négociant Marseille
Magnan Bernard IO, IC Aix Huilier/Savonnier Marseille
Magnan Joseph IO, IC Aix Huilier/Savonnier Marseille
Magnan Jules IO Marseille Huilier/Savonnier Marseille
Massot Louis IA Marseille Raffineur de sucre Marseille
Michel Jean-Baptiste IC Marseille Négociant Marseille
Noilly Louis IA Lyon Fabricant de vermouth Lyon
Paranque Fabricius IO Marseille Courtier Marseille
Pastré Jean-Baptiste Filateur, IA, CM Marseille Négociant Marseille
Prat Auguste IC Briançon Raffineur de soude Istres
Puy Casimir M Marseille ? Marseille
Reggio Nicolas IO Chio Négociant Chio
Régis Victor IO Marseille Négociant/Indus.
textile
Marseille
Riddings John M Angleterre ? Angleterre
Roulet Charles IO Marseille Savonnier Marseille
Roulet Henri IO Marseille Savonnier Marseille
Roux Charles IO Marseille Négociant Marseille
Roux Joseph-Hilarion EM, M Marseille ? Marseille
Rozan Eugène Verrier Marseille Verrier Marseille
Rozan Gustave Verrier Marseille Verrier Marseille
Talabot Paulin CM Limoges Avocat Limoges
Taylor Philip CM Norwich Industriel du textile Norwich
Vassal Pierre-Antoine Tannerie Marseille Fabricant tanneur Marseille
Velten Jean-Jacques IA Brumath Brasseur Alsace/Marseille

(1) : E : électricité ; EM : extraction minière ; BTP : bâtiments et travaux publics ; MC : matériaux de construction ; IA : industries agroalimentaires ; IC : industries chimiques ; IO : industries des oléagineux ;
M : métallurgie ; CM : construction mécanique ; RCN : réparation/construction navale.

Tableau 7 : principaux entrepreneurs engagés dans l’industrie marseillaise vers 1880

Noms Engagements industriels (1) Naissance Activité du père Lieu d’activité du père
Armand Albert E, M, EM, BTP, IA, IC Livourne ? ?
Armand Amédée EM, IC, M, CM, MC Marseille EM, IC, IA Bouches-du-Rhône
Arnaud Étienne MC Marseille Cultivateur Marseille
Arnavon Louis IO Marseille Savonnier Marseille
Artaud Adrien IA Marseille Négociant Marseille
Badetty IO Marseille Huilier Marseille
Baudoin Charles CM Marseille RCN Marseille
Baux Alphonse EM, M Marseille Négociant Marseille
Benet Louis M La Ciotat M, CM La Ciotat/Marseille
Bergasse Henry IA, IC, MC, BTP Marseille Négociant Marseille
Bergasse Hyppolite IA Marseille Négociant Marseille
Biver Ernest EM Luxembourg Médecin Belgique
Boisselot Xavier Fabricant de pianos Montpellier Luthier Montpellier
Borelli Georges IO Marseille Négociant Marseille/Gênes
Bosc Gaston Tanneur, IC Nîmes Tanneur Nîmes
Boude Antoine IC Marseille Négociant Aveyron
Boude Frédéric IC Marseille Raffineur de soufre Marseille
Bourgogne Émile IO Marseille Négociant Marseille
Boyer Étienne EM, IA, MC Marseille Fabricant de ciment Bouches-du-Rhône
Boyer Romain MC Marseille Négociant Bouches-du-Rhône
Camoin Jean-Baptiste Fabricant de cartes Marseille Cultivateur Marseille
Charles-Roux Jules IO Marseille Savonnier Marseille
Daher Paul MC, IA Marseille Négociant Syrie
Darier Émile IO Marseille Rentier Avignon
Deiss Jules IC La Petite Pierre ? Alsace
Desbief Paul IA Crête Négociant ?
Duclos Émile CM Marseille Négociant Marseille
Dussaud Élie BTP Marseille Maçon Marseille
Dussaud Elzéard BTP Marseille Maçon Marseille
Estrine Lucien IA, IO, IC, M, CM,
RCN
Marseille Courtier Marseille
Fabre Cyprien IO Marseille Négociant/
Armateur
Marseille
Falque Jean-Baptiste BTP Marseille Maçon Marseille
Faure Jean-Baptiste M Marseille ? Marseille
Féraud Augustin E, IA, RCN, BTP, IC Toulon Négociant Toulon
Ferrier Calixte IO Marseille ? Marseille
Figueroa Ignacio M Espagne Industriel Marseille
Fournier Félix IO Marseille Fabricant de bougies Marseille
Fournier Jean-Baptiste IO Marseille Fab. de bougie/
Savonnier
Marseille
Fraissinet Adolphe RCN Marseille Armement Marseille
Francou Auguste IA Italie Négociant Italie
Francou Jean-Jacques IA Marseille Rizier Marseille
Gautier Jean-Baptiste M Marseille ? Marseille
Gigandet Eugène IA Marseille Négociant Marseille
Gouin Adolphe IO, IC Marseille Négociant Marseille
Gounelle Charles IO Salon Tanneur Salon
Grand-Dufay Henri IA, M, CM Marseille Négociant Marseille
Grandval Alphonse IA, M, MC Marseille Raffineur de sucre Marseille
Grandval Jules IA, IC, MC Marseille Raffineur de sucre Marseille
Grawitz Auguste Tanneur, filateur,
MC
Marseille Négociant ?
Grimes Benjamin IC Marseille Raffineur de soude Marseille
Guillen Victor M, MC Marseille Négociant Marseille
Imer Jules IC Marseille Négociant Suisse
Jullien Édouard Tanneur Marseille Cordonnier Marseille
Leenhardt Henri IC Marseille Négociant/Indus.
textile
Gard
Legré Édouard Fab. d’acide tartrique Marseille Fab. d’acide tartrique Marseille
Luce Gustave M, EM Marseille Négociant Marseille
Magnan Léon IO, IC Marseille Huilier/Savonnier Marseille
Magnan Paul IO, IC Marseille Huilier/savonnier Marseille
Mante Louis IO, IC Marseille Négociant/Huilier Marseille
Mante Théodore IO, IC Marseille Négociant/huilier Marseille
Marrel Antoine M Rive-de-Gier Métallurgie Loire
Marrel Charles M Rive-de-Gier Métallurgie Loire
Marrel François M Rive-de-Gier Métallurgie Loire
Mouttet Marius IA Marseille Minotier Marseille
Noilly Prat
Anne-Rosine
IA Lyon Fabricant de vermouth Marseille
Noilly Prat Louis IA Marseille Fabricant de vermouth Marseille
Puy Casimir M Marseille ? Marseille
Racine Paul IA Marseille Négociant Marseille
Rastoin Édouard MC Aix Négociant Bouches-du-Rhône
Reggio Nicolas IO Chio Négociant Chio
Régis Louis IO Marseille Négociant/Indus.
textile
Marseille
Régis Victor IO Marseille Négociant/Indus.
textile
Marseille
Roberty Bruno IO Marseille Huilier Marseille
Rodrigues Amédée M Marseille Banquier Espagne
Rodrigues Léon M Marseille Banquier Espagne
Rossolin Honoré M, IC Marseille Négociant ?
Rostand Jules IO Marseille Armateur Marseille
Roubaud Jean IC Marseille Négociant ?
Roubaud Marcel IA, IC Marseille Négociant ?
Roulet Charles IO Marseille Savonnier Marseille
Roulet Henri IO Marseille Savonnier Marseille
Roux Hilarion EM, M Marseille EM, M Marseille
Roux Victor EM Naples Rentier Montpellier
Rozan Eugène M Marseille Verrier Marseille
Rozan Gustave M Marseille Verrier Marseille
Sacoman Pierre MC Marseille Tuilier Marseille
Sarlin Robert IA Marseille Négociant Marseille
Scaramanga Jean IA Italie Négociant Italie
Scaramelli IA Italie Négociant Italie
Schloesing Émile IC Marseille Négociant Allemagne
Schloesing Frédéric IC Pirmasens Négociant Allemagne
Stapfer Daniel CM Paris ? ?
Velten Eugène IA Marseille Brasseur Marseille
Velten Geoffroy IA Marseille Brasseur Marseille
Verminck
Charles-Auguste
IO Fuveau Instituteur Fuveau
Vézian Léonce IC Gard Négociant Gard
Vicat Joseph btp Grenoble Maçon Isère
Zafiropulo Étienne ia Constantinople Négociant Constantinople
Zarifi Périclès ia Constantinople Négociant Constantinople

(1) : E : électricité ; EM : extraction minière ; BTP : bâtiments et travaux publics ; MC : matériaux de construction ; IA : industries agroalimentaires ; IC : industries chimiques ; IO : industries des oléagineux ;
M : métallurgie ; CM : construction mécanique ; RCN : réparation/construction navale.

  • 4 « Les sept sillons du recrutement », dans J. Lambert-Dansette, Genèse du patronat (1780-1880), Pari (...)

4L’analyse de l’échantillon de l’année 1880 montre tout d’abord que 73 % des entrepreneurs engagés dans l’industrie sont nés à Marseille. Le recrutement local reste donc largement prédominant. Il est même en augmentation de 6 % par rapport à 1850. La part des entrepreneurs étrangers a aussi progressé en passant de 7 à 12 % (Belgique, Allemagne, Espagne, Italie, Grèce, Empire ottoman), mais les provenances sont moins diversifiées : entre 1850 et 1880, la part des industriels originaires du bassin méditerranéen est ainsi passée de 87 à 91 %, tandis que celle des entrepreneurs venus d’Europe du Nord a baissé de 6 à 2 %. C’est peut-être le signe que l’apport technologique britannique est moins décisif qu’auparavant ; ou que ceux-ci ne trouve plus localement les même opportunités qu’autrefois, ce qui n’est pas incompatible avec l’observation précédente. Concernant les origines professionnelles des entrepreneurs retenus dans l’échantillon de 1880, on constate que 39 % d’entre eux sont issus d’un milieu industriel et 36 % du négoce. L’écart entre les deux « grands sillons4 » du recrutement industriel marseillais – qui était de 15 % en 1850 (respectivement 34 % et 19 %) – tend donc à se réduire. Le passage du négoce à l’industrie est ainsi devenu plus fréquent qu’autrefois, preuve de l’attractivité de l’industrie et de la force des liens entre les deux activités. En revanche, la part des industriels issus du milieu artisanal s’est nettement affaiblie en passant de 13,5 % à 6 % entre 1850 et 1880. Autre élément statistique intéressant : 29 % des entrepreneurs engagés dans l’industrie en 1880 ont, ou avaient, un père qui pratiquait déjà la même activité industrielle dans Marseille et, parfois même, depuis plusieurs générations. C’est le cas des Roulet et des Arnavon savonniers depuis 1807 et 1808 ; des Prat spécialisés dans l’industrie de la soude depuis 1809 ; des Legré présents dans la production de crème de tartre et d’acide tartrique depuis 1811 ; des Sacoman dans la production de tuiles, de briques et de carreaux dans le bassin de Séon depuis 1813 ou des Armand dans l’industrie de la soude, l’extraction minière et la construction mécanique depuis 1810, 1813 et 1817 etc. Ces héritiers, candidats potentiels à la famille dynastique, sont en progression de 4 % par rapport à 1850, tout en restant minoritaires comparativement à l’ensemble de ceux qui viennent d’autres horizons professionnels (52 %). Le patronat industriel marseillais des années 1880 est un mélange d’héritiers et de nouveaux venus.

Le maintien de l’entre-soi

  • 5 É. Richard, R. Caty, « Élites et culture », op. cit., p. 326.

5Au-delà de ces évolutions concernant les origines géographiques et professionnelles des industriels marseillais du début des années 1880, on constate aussi que les principales composantes de ce patronat tendent à se rapprocher et à adopter les mêmes modes de fonctionnement : « Un rapprochement s’effectue déjà dans les affaires où des catholiques ne craignent pas de s’associer à des protestants ou a des israélites5 ». Les différences religieuses ne sont plus vraiment aussi déterminantes qu’autrefois dans la conduite des affaires qui sont, plus que jamais, sans exclusives et variées. Qu’ils soient nouveaux venus ou héritiers, Marseillais ou étrangers, de confessions ou d’opinions politiques différentes, tous semblent adopter les mêmes modes de fonctionnement :

  • 6 Id., ibid.

Cette bourgeoisie tend à se regrouper dans les mêmes nouveaux quartiers, au Chapitre ou près du cours Bonaparte […]. Elle élève ses fils dans les mêmes établissements, partage le même style de vie, le même goût pour la bastide. Elle se retrouve aussi dans des organismes de gestion comme le conseil municipal, le conseil général et la Chambre de commerce. Au fil des décennies, les différences s’atténuent, au fur et à mesure que s’affirme le sentiment d’appartenance à un même groupe social dominant6.

  • 7 Dans tous les milieux confessionnels, les familles mettent en garde leurs enfants – futurs entrepre (...)
  • 8 Dans ce dernier cas, l’éloignement est alors souvent pratiqué pour raffermir les caractères. C’est (...)
  • 9 Ibid., p. 399.
  • 10 Ibid.
  • 11 Des techniciens comme John Barnes, co-inventeur de l’hélice marine, Georges et Robert Stephenson, i (...)

6La formation des entrepreneurs est alors caractérisée par trois éléments : une éducation scolaire plus ou moins poussée suivant les individus, d’abord dispensée par la mère7, puis par des précepteurs ou au sein des mêmes institutions scolaires8 ; une ouverture au monde à travers la pratique quasi-systématique de plusieurs langues et le traditionnel voyage à l’étranger ; des expériences professionnelles acquises sur le tas, chez une relation proche de la famille ou dans l’entreprise paternelle. Signe d’adaptation de la formation des futurs entrepreneurs à la plus grande complexité technique du métier d’industriel, l’éducation scientifique est davantage privilégiée qu’autrefois et commence à se substituer « au droit et aux lettres comme parcours classique9 » : Théophile Schlœsing est polytechnicien ; Léonce Rozan diplômé de l’École des Mines ; Daniel Stapfer est centralien ; Édouard Rastoin est sorti de l’École des arts et manufactures d’Aix-en-Provence ; Léonard Rastit est ingénieur chimiste ; Jules Charles-Roux a fréquenté la faculté des Sciences de Marseille, puis les cours du chimiste Chevreul à Paris pour être mieux à même de succéder à son père Charles Roux à la tête de la savonnerie familiale. Ce n’est toutefois que l’amorce d’une tendance. L’objectif « de la formation supérieure donnée aux fils est moins le diplôme, notamment dans sa dimension technique, que l’acquisition d’un certain nombre de normes ainsi que la consolidation des réseaux10 ». N’oublions pas, enfin, que même sans formation scientifique particulière, les industriels marseillais du xixe siècle ont toujours su maîtriser la dimension technique de leur activité productive en ayant recours aux services des meilleurs techniciens du moment dans n’importe quel domaine, y compris les plus pointus comme ceux de la construction navale ou ferroviaire11.

7On retrouve la même homogénéité dans la conduite des affaires et dans le mode de gestion des entreprises. Il est rare, par exemple, qu’une famille assume seule les investissements nécessaires à la création d’une entreprise importante ou au changement d’échelle de son activité industrielle. Elle s’appuie généralement sur un réseau d’affaires – qui recoupe parfois, mais pas obligatoirement, le réseau familial et/ou confessionnel – de manière à élargir son assise financière, à fragmenter les risques ou pour provoquer des synergies en étant indirectement présente en amont et aval d’une filière. C’est le cas, par exemple, dans la métallurgie du plomb avec le groupe industriel formé par les familles Luce, Rozan et Roux ou dans l’exploitation du pétrole russe avec la réunion des familles Baux, Imer et Fraissinet autour de la Compagnie générale des pétroles, sans parler de toutes les industries agroalimentaires et chimiques où les liens familiaux sont nombreux et étroits. La fondation, en 1881, de la société anonyme des Huileries et savonneries méridionales (3 millions de francs) pour exploiter une ou plusieurs usines à Bari provoque ainsi le rapprochement de quelques-uns des plus grands noms des milieux d’affaires marseillais, dont la plupart sont déjà engagés dans d’autres branches : Armand, Baux, Bergasse, Couve, Darier, Féraud, Grandval, Luce, Pascal Rossolin, Sarlin, Zafiropulo, Rey et Rocofort. Ce mode de fonctionnement explique la fécondité, la capacité d’adaptation – et parfois aussi la fragilité – de ce capitalisme industriel familial, la multiplicité et la diversité des investissements croisés pouvant être source de disfonctionnements en chaîne.

  • 12 M. Lescure, « Banques régionales et croissance économique au xixe siècle. L’exemple de la Société m (...)
  • 13 AD BdR, 548 U 37, 41, 51, 74, 92 et 311.
  • 14 A. Bonnasse, « Bonnasse. Banquier. Une banque privée au xixe siècle », Marseille, 1991, mémoire dac (...)
  • 15 Né à Constantinople, Périclès Zarifi débarque à Marseille en 1862. Son père, Georges Zarifi (1806-1 (...)

8De la même manière, il est toujours aussi rare que le capital d’une entreprise industrielle s’ouvre aux banques. Le réseau bancaire s’est pourtant nettement étoffé depuis le milieu du xixe siècle. Dans le courant des années 1860, plusieurs banques de dépôts se sont implantées à Marseille : le Crédit Lyonnais (1865), la Société Générale pour le développement du commerce et de l’industrie (1866) et le Comptoir national d’escompte de Paris (1869). Elles ont été rejointes par d’autres établissements français et étrangers qui ont contribué à enrichir et à diversifier l’offre financière de la place : Banque transatlantique, Crédit de France, Crédit algérien, Banque impériale ottomane, Banque commerciale de Genève, London County & Westminster etc. Les banques régionales se sont également développées avec, notamment, la création en 1865 de la Société marseillaise de crédit (SMC), une société anonyme de 20 millions de francs constituée sous l’égide de la Société Générale de crédit industriel et commercial et de plusieurs grands noms de la place comme les Grandval (11 % du capital social), les Rostand (3,2 %), Théophile Rocofort (3 %), Amédée Armand (2,5 %) ou Zafiropulo & Zarifi (1,9 %)12. En 1878 et 1880, la SMC a porté son fonds social à 40 millions, puis à 60 millions avec, à chaque fois, un renforcement du poids de l’actionnariat marseillais. Au fil des ans, la SMC est devenue l’outil financier des ambitions économiques des grandes familles marseillaises. À ses côtés, on trouve encore la Banque Bonnasse, fondée en 1825. Longtemps spécialisée dans l’escompte des lettres de change, l’établissement – une société en nom collectif dont le capital social reste fixé à 100 000 francs13 – commence à s’ouvrir à d’autres investissements14. Retenons encore la banque Mathieu & Martin, également créée en 1825, Michel Ferrié & Cie, Rodrigues Ély frères, Victor Vaïsse & Cie sans oublier les maisons grecques Zarifi & Zafiropulo15.

9Malgré cela, l’autofinancement continue à prédominer. Comme pendant la première révolution industrielle, les industriels ont massivement recours à des sources de financement internes : réserves, amortissements, dépôts de comptes courants des associés et de leur famille, transformation des réserves en augmentation de capital ou appels de fonds aux familles fondatrices. Le mariage entre la banque et l’industrie reste peu pratiqué. Lorsqu’ils ont vraiment besoin d’argent, les industriels marseillais préfèrent toujours s’adresser à l’épargne du réseau relationnel proche par le biais de sociétés en commandite simple ou par actions. Il peut alors arriver qu’un banquier local – souvent proche de l’industriel d’ailleurs – se glisse dans la commandite ou devienne actionnaire : la SMC est ainsi présente dans le capital des Raffineries de soufre méridionales (18 %) et de la Compagnie générale des produits chimiques du Midi (35 %) ; de la même manière, le Crédit de France dispose d’une participation dans le capital de la Société anonyme des minoteries de Marseille (2 %) et la Banque commerciale de Genève dans celui des Raffineries de sucre de la méditerranée. Mais ce sont des exceptions. À la veille de la récession des années 1880, les industries marseillaises restent une affaire de famille, y compris lorsqu’elles sont exploitées dans le cadre de sociétés anonymes. Pour des raisons qui tiennent à la fois aux réticences de certains banquiers à l’égard des investissements industriels, à la méfiance des industriels eux-mêmes et au niveau de leurs besoins, le temps de l’ouverture à d’autres sources de financement ne semble pas encore venu.

Un patronat libéral ?

  • 16 Depuis sa fondation, la Défense a aussi été présidée par entrepreneurs très impliqués dans l’indust (...)

10Il existe aussi une tonalité dominante dans les choix économiques défendus par les industriels. À la Chambre de commerce de Marseille, tout d’abord, où depuis le milieu du xixe siècle toutes les présidences ont été occupées par des entrepreneurs très engagés dans l’industrie : Fabricius Paranque (1850- 1851), Jean-Baptiste Pastré (1852-1866), Amédée Armand (1867-1871), Jules Gimmig (1872-1875) et Alphonse Grandval (1876-1880). C’est encore plus net au sein de la nouvelle organisation professionnelle fondée en 1869 : la Société pour la défense du commerce et de l’industrie de Marseille (plus communément appelée « la Défense »)16. La Défense a été créée avec un triple objectif : permettre à un plus grand nombre d’entrepreneurs de prendre part aux débats sur les enjeux de l’économie locale, notamment aux entrepreneurs étrangers exclus des Chambres de commerce ; défendre les « grands principes de la liberté commerciale » ; aiguillonner une Chambre de commerce jugée parfois trop proche du pouvoir politique, quitte à prendre certaines distances avec elle :

  • 17 Arch. Société pour la défense du commerce et de l’industrie de Marseille, Procès verbal du bureau, (...)

En toute occasion nous chercherons l’appui de la Chambre de commerce et l’aide de son autorité. Nos efforts tendront vers le but qu’elle poursuit, sans que cette communauté puisse nous priver de notre initiative et de notre indépendance qui devront s’exercer en tout et particulièrement au-delà des limites trop étroites imposées par la loi à l’action des Chambres de commerce17.

11Lors de sa fondation, l’organisation patronale a ainsi été confrontée à la question du renouvellement du traité de libre-échange signé avec la Grande-Bretagne en 1860. Et face aux industriels de la soude – particulièrement affectés par l’ouverture du marché national à la concurrence anglaise – qui demandaient la non reconduction du traité et le retour au protectionnisme, la Défense a alors profité de la polémique pour s’ériger sans ambiguïté en véritable gardienne de l’orthodoxie libérale :

  • 18 Ibid., Procès verbal du bureau, 11 novembre 1869.

Si ces produits ne peuvent pas nous être fournis par les nationaux à aussi bas prix que par les Anglais, c’est que les industries dont ils proviennent ne sont pas viables, il est donc de l’intérêt général de les voir disparaître […]. Restons libre-échangistes. Quelques industries souffrent : l’industrie chimique ; la Marine. L’huilerie profite de la libre importation des graines, ce qui profite aussi à la savonnerie. La tannerie est prospère. Si donc certaines industries tombent, c’est qu’elles ne se soutenaient donc que par un privilège qui pesait sur tous les consommateurs ; c’est à regretter pour ceux qui sont frappés, mais l’intérêt général doit passer en premier18.

12La Défense est en quelque sorte le « bras armé » du libéralisme marseillais. La liberté est réclamée pour l’entrée des matières premières comme pour celle des travailleurs immigrés dont la présence, on l’a déjà constaté, est jugée indispensable au bon fonctionnement et à la compétitivité des industries marseillaises.

  • 19 X. Daumalin, « Les négociants marseillais en Afrique au xixe siècle (I) : la recherche d’une entent (...)

13Au demeurant, cet affichage libéral ne doit pas être surestimé car le patronat marseillais s’accommode parfois de pratiques moins respectueuses du credo libéral. C’est notamment le cas des industriels de la soude qui, de 1809 à 1860, ont développé leur activité à l’abri de tarifs protecteurs et qui éprouvent des difficultés à évoluer dans un marché ouvert à la concurrence internationale. Par ailleurs, dans les nouveaux territoires qui s’ouvrent à leurs activités – et particulièrement en Afrique –, les entrepreneurs marseillais n’hésitent pas non plus à tisser des liens étroits avec les autorités politiques en place pour obtenir une certaine sécurité économique et des monopoles très lucratifs. C’est le cas, par exemple, des frères Pastré en Égypte et en Tunisie. Les relations financières privilégiées qu’ils entretenaient avec le vice-roi Méhémet Ali et le Bey Ben Ayet leur ont valu de recevoir de grandes quantités d’huile et de coton qui leur ont permis d’approvisionner à bon marché leur filature d’Aix-en-Provence et de réaliser de substantiels bénéfices sur les ventes. Elles ont aussi facilité leurs investissements dans les activités industrielles locales – les minoteries à vapeur – et dans les transports. C’est encore le cas de Victor Régis et du monopole obtenu auprès des autorités du Dahomey – le roi Gléglé – pour approvisionner son huilerie en huile de palme, des relations privilégiées qu’Hilarion Roux entretenait avec la reine de Madagascar ou du monopole obtenu de Bala-Demba, roi de Conakry, par Charles-Auguste Verminck pour approvisionner ses huileries en arachides ; on pourrait encore citer les excellentes relations de la famille Rabaud avec le sultan de Zanzibar qui ont permis à Alfred et Édouard Rabaud de se retrouver au centre de plusieurs affaires de chemins de fer et de mines19. Si le libéralisme des industriels marseillais n’est globalement pas contestable, il est aussi souvent à géométrie variable car ces derniers savent parfaitement se créer, à l’occasion, des situations de monopole. Entre l’affichage officiel et la pratique réelle des affaires, les différences sont parfois assez sensibles.

Une approche différenciée de la question sociale

  • 20 R. Caty, É. Richard, P. Échinard, Les patrons du Second Empire…, op. cit., p. 30.
  • 21 À l’exception, toutefois, de certains entrepreneurs comme Philip Taylor, Xavier Boisselot ou Joseph (...)
  • 22 Ainsi, malgré le lancement de plusieurs initiatives en matière de logements ouvriers – la caserne V (...)
  • 23 Les exemples de logements précaires ou en dur aménagés pour les ouvriers de l’industrie chimique so (...)

14L’homogénéité comportementale de ce groupe entrepreneurial se retrouve enfin dans son action sociale. S’ils sont généralement très engagés dans des œuvres philanthropiques – « tous les patrons se doivent de subventionner, d’administrer une ou plusieurs d’entre elles » –, la situation est un peu différente dans le cadre de leurs entreprises où il semble que les entrepreneurs marseillais aient à leur actif « fort peu de réalisation en matières sociales20 ». Tout dépend, en réalité, du contexte territorial dans lequel ils inscrivent leur action productive. Il est exact que dans Marseille intra muros, pour des raisons qui tiennent à la fois à l’abondance de la main-d’œuvre et à l’efficacité incertaine d’une prise en charge sociale poussée – ou coercitive – dans un environnement urbain où les ouvriers bénéficient d’une certaine liberté de choix, les industriels n’ont pas vraiment cherché à mettre en place des pratiques sociales spécifiques dans le cadre de leur entreprise21. Et lorsqu’ils s’y sont essayés, ils ont généralement échoué22. La situation est toutefois différente dans les ensembles productifs implantés dans des zones plus isolées où ces mêmes entrepreneurs développent très tôt – dès le Premier Empire – des pratiques sociales élaborées pour attirer et fixer la main-d’œuvre nécessaire au fonctionnement régulier de leurs usines (logement, éducation, consommation etc.)23. Et parmi les activités productives qui ont alors joué un rôle décisif dans l’essor des pratiques paternalistes, l’industrie chimique du littoral provençal a longtemps été pionnière. C’est à travers cette branche que les industriels de la région ont expérimenté à Salin-de-Giraud, à Rassuen, à Berre, à Septèmes, aux Goudes et sur les îles varoises de Porquerolles, de Port-Cros et des Embiez la socialisation des ouvriers dans le cadre de l’entreprise. À Rassuen, près d’Istres, l’industriel Denis-Auguste Prat, président de la Compagnie générale des produits chimiques du Midi, a ainsi ouvert dès les années 1850 un « magasin général » où les ouvriers pouvaient acheter ce dont ils avaient besoin. Il a aussi fait construire une chapelle et une école primaire à proximité de son usine dont les frais de fonctionnement étaient entièrement assurés par l’entreprise. Dans les mêmes années, mais dans un lieu encore plus isolé, Henry Merle et Jules Usiglio, dirigeants de la Compagnie des produits chimiques d’Alais et de Camargue, imposaient aux ouvriers du salin de Giraud un système de paiement destiné à les maintenir sur place. Les saliniers étaient payés avec des jetons en zinc ou en cuivre et étaient ainsi obligés d’acheter tout ce dont ils ont besoin à l’économat de l’entreprise.

15Ces exemples montrent bien quels sont les véritables enjeux de ces pratiques sociales développées dans le cadre des entreprises chimiques implantées en dehors d’un espace urbain développé : qu’il s’agisse du logement des ouvriers, ou du contrôle plus ou moins rigoureux de ce qu’ils consomment, l’objectif est avant tout d’essayer d’attirer et de fixer une main-d’œuvre suffisamment abondante et en bonne santé physique pour pouvoir assurer le fonctionnement rationnel, rentable et compétitif d’un lieu de production isolé. Dans la seconde moitié du xixe siècle, les industriels de la chimie ont été rejoints par ceux de la métallurgie du plomb, de la construction navale et de l’extraction minière. Cette dualité des pratiques suivant le lieu d’implantation des unités de production – en milieu rural ou urbain – est une des caractéristiques majeures du mode de gestion de la question sociale par les industriels marseillais.

16Le patronat industriel marseillais des années 1880 est finalement encore assez proche de celui de la première révolution industrielle. Les éléments de ressemblance sont nombreux : il s’agit toujours d’un patronat multiconfessionnel, globalement implanté dans les mêmes productions et capable de s’ouvrir à des entrepreneurs venus de tous les horizons géographiques et professionnels ; c’est aussi un patronat qui reste fidèle à l’autofinancement et qui, à de rares exceptions près, ne se préoccupe de la gestion sociale des ouvriers que dans la mesure où celle-ci peut avoir une incidence sur les performances de l’entreprise. Des évolutions se sont aussi produites. Les différences confessionnelles se sont estompées, le poids des héritiers s’est affirmé, la coloration marseillaise et méditerranéenne des entrepreneurs s’est renforcée et les référents communs se sont raffermis. Que ce soit à travers la formation des futurs entrepreneurs, la façon de gérer les entreprises ou dans la manière d’aborder l’économie et d’appréhender les questions sociales, une certaine homogénéisation des comportements s’est progressivement imposée. Cette tendance au rapprochement des modes de représentation peut être considérée comme un facteur de dynamisme. Elle contribue à consolider les directions industrielles, tout en favorisant leur renouveau par le croisement des réseaux et la multiplication des prises de risques partagées. Ce mode de fonctionnement en « grappes de familles », que l’on retrouve dans de nombreuses industries et presque systématiquement dès qu’une affaire atteint une certaine importance, est une des clés de la réactivité des industriels marseillais. Reste à savoir si ces liens seront suffisamment puissants pour résister à la récession des années 1880-1890, endiguer la montée des individualismes et générer des adaptations porteuses de croissance.

Notes

1 É. Richard, R. Caty, « Élites et culture », dans Marseille au xixe siècle. Rêves et triomphes, Marseille, Musées de Marseille/Réunion des Musées nationaux, 1991, p. 326.

2 Liste établie à partir des travaux d’Olivier Raveux, d’Éliane Richard et de Roland Caty et de nos propres recherches.

3 Liste établie à partir du dépouillement des actes de sociétés conservés dans la série 548 U.

4 « Les sept sillons du recrutement », dans J. Lambert-Dansette, Genèse du patronat (1780-1880), Paris, Hachette, 1991, p. 91-222.

5 É. Richard, R. Caty, « Élites et culture », op. cit., p. 326.

6 Id., ibid.

7 Dans tous les milieux confessionnels, les familles mettent en garde leurs enfants – futurs entrepreneurs – contre l’amour de l’argent et des bénéfices faciles : « Cet aspect de la formation est tout à fait crucial dans le milieu des élites économiques bourgeoises, où il convient d’apprendre le plus tôt possible les dangers de la spéculation et les vertus du placement raisonné des fonds » (L. Américi, « Internes et pensionnaires », dans L. Américi, X. Daumalin, Les dynasties marseillaises…, op. cit., p. 392-393).

8 Dans ce dernier cas, l’éloignement est alors souvent pratiqué pour raffermir les caractères. C’est un choix délibéré qui « fait partie de la formation morale, dans la mesure où celle-ci est encadrée par des pédagogues dont la spiritualité et la vie régulière font office de garantie éthique » (Ibid., p. 392).

9 Ibid., p. 399.

10 Ibid.

11 Des techniciens comme John Barnes, co-inventeur de l’hélice marine, Georges et Robert Stephenson, inventeurs de la locomotive, ou François Bourdon, concepteur du marteau-pilon, sont ainsi venus moderniser les ateliers de Marseille et de La Ciotat (X. Daumalin, O. Raveux, « Marseille (1831-1865) : une Révolution industrielle entre Europe du Nord et Méditerranée », Annales H.S.S., janvier-février 2001, 1, p. 153-176).

12 M. Lescure, « Banques régionales et croissance économique au xixe siècle. L’exemple de la Société marseillaise de crédit », dans M. Lescure, A. Plessis (dir.), Banques locales et banques régionales en France au xixe siècle, Paris, Albin Michel, 1999, p. 293-322.

13 AD BdR, 548 U 37, 41, 51, 74, 92 et 311.

14 A. Bonnasse, « Bonnasse. Banquier. Une banque privée au xixe siècle », Marseille, 1991, mémoire dactylographié, 102 p.

15 Né à Constantinople, Périclès Zarifi débarque à Marseille en 1862. Son père, Georges Zarifi (1806-1884), grand importateur de blés russes, a ouvert en 1845 une succursale à Marseille en association avec son beau-frère Étienne Zafiropulo (1817-1894). Le capital de Z & Z s’élève invariablement à 1 million de francs, mais si l’on y ajoute les sommes laissées par les comptes courants des associés on aboutit à plus de 8 millions en 1900 et à 13 millions en 1913. Sur les hommes d’affaires grecs de Marseille, voir X. Daumalin, « Les Grecs de Marseille et les investissements industriels transméditerranéens au xixe siècle », à paraître dans Méditerranée ; M. Calapodis, Les Grecs à Marseille : minorité ethnique ou nation en diaspora ?, Paris, L’Harmattan, 2012, 320 p. ; Id., La communauté grecque à Marseille. Genèse d’un paradifme identitaire (1793-1914), Paris, L’Harmattan, 2011, 348 p. ; E. Paris, « Les Grecs de Marseille dans la deuxième moitié du xixe siècle : une perspective nationale et transnationale », Revue européenne des migrations internationales, 2001, no 17/3, p. 23-42 ; A. Mandilara, The Greek Business Community in Marseille, 1816-1900 : Individual and Network Strategies, Thèse de doctorat inédite, Florence, Institut Universitaire Européen, 1998. 489 p. ; D. Landes, Banquiers et pachas. Finance internationale et impérialisme économique en Égypte, Paris, Albin Michel, 1993, 404 p. ; B. Dertilis (dir.), Banquiers, usuriers et paysans. Réseaux de crédit et stratégies du capital en Grèce (1780-1930), Paris, Éditions La Découverte, 1988, 321 p.

16 Depuis sa fondation, la Défense a aussi été présidée par entrepreneurs très impliqués dans l’industrie : Alphonse Baux (1869-1870) ; Alexis Estrangin (1871-1873) ; Jules Rostand (1874- 1876) ; Félix Fournier (1877-1878) ; Ernest Biver (1879-1880).

17 Arch. Société pour la défense du commerce et de l’industrie de Marseille, Procès verbal du bureau, 31 mars 1869.

18 Ibid., Procès verbal du bureau, 11 novembre 1869.

19 X. Daumalin, « Les négociants marseillais en Afrique au xixe siècle (I) : la recherche d’une entente avec les élites politiques africaines », Ultramarines, n° 26, novembre 2008, p. 28-39.

20 R. Caty, É. Richard, P. Échinard, Les patrons du Second Empire…, op. cit., p. 30.

21 À l’exception, toutefois, de certains entrepreneurs comme Philip Taylor, Xavier Boisselot ou Joseph Grandval. Mais ces exemples sont exceptionnels.

22 Ainsi, malgré le lancement de plusieurs initiatives en matière de logements ouvriers – la caserne Vaucher (1848), la Société marseillaise pour l’amélioration des logements ouvriers d’André Chaix (1850), la cité Bernex (1853), la cité Vézin (1854) ou encore la Société philanthropique des cités ouvrières (1863) –, aucun projet ne parviendra à s’imposer durablement dans Marseille avant les maisons ouvrières de La Capelette construites en 1888-1893 par la Caisse d’épargne et de prévoyance des Bouches-du-Rhône, sous l’impulsion de son président Eugène Rostand (L. Américi, « Élite marseillaise et logement ouvrier à la fin du xixe siècle : les maisons ouvrières de la Caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône à La Capelette », dans Annales du Midi, tome 111, no 227, juil-sept. 1999, p. 325-343)

23 Les exemples de logements précaires ou en dur aménagés pour les ouvriers de l’industrie chimique sont nombreux. À Rassuen, près d’Istres, la société Pluvinet frères & Cie a installé dès 1809 des dortoirs d’ouvriers dans son usine ; à Septèmes, les industriels Rigaud, Marini, Crémieu et Delpuget logent depuis 1811 leurs ouvriers dans deux bâtiments en rez-de-chaussée ; au vallon de Lun, près de Mazargues, l’entreprise Daniel & Cie, fondée en 1817, a construit dans la cour de son usine une maison à étage de 14 chambrées et quatre petits cabanons pour héberger ses ouvriers ; aux Goudes, petit port de pêche situé dans une calanque au Sud de Marseille, Pierre et Félix Rivalz logent plus de 130 ouvriers dans des chambrées bâties à proximité de leur soudière ; sur l’île de Port-Cros, où l’entrepreneur marseillais Jean-François Gazzino a créé une soudière en 1818, le directeur vit dans une grande bastide à étage et les ouvriers logent dans un bâtiment de plain-pied, ainsi que dans plusieurs cabanes construites en bois et en maçonnerie etc. L’industrie chimique n’est d’ailleurs pas la seule activité à se préoccuper de l’encadrement social de sa main-d’œuvre, même si les exemples trouvés dans les autres branches sont plus rares à cette époque : en 1843, l’usine métallurgique de Boyer, Guez & Cie implantée sur les bords de l’étang de Caronte, aménage ainsi plusieurs « appartements » à proximité de ses ateliers pour pouvoir loger le mécanicien, le maître-menuisier, le maître-fondeur, les surveillants, les commis et les ouvriers travaillant dans l’établissement. Dans les espaces ruraux isolés et faiblement peuplés la prise en charge de l’hébergement des ouvriers dans le périmètre des usines est une condition indispensable à la bonne marche des entreprises (X. Daumalin, « Patronage et paternalisme industriels…, op. cit., p. 123-144).

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