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Impératrices, princesses, aristocrates et saintes souveraines

 | 
Élisabeth Malamut
, 
Andréas Nicolaïdès

Mariages à la cour ottomane

Princesses et esclaves

Pragmatisme politique et stratégies matrimoniales à la cour ottomane (xive - mil. xvie siècle)

Juliette Dumas

Résumé

Les stratégies matrimoniales nouées autour des mariages des princesses ottomanes furent l’objet de calculs politiques élaborés. Les parties, mues par leurs propres motivations et ambitions, finissaient par s’accorder lors de l’union d’un membre d’une famille avec un représentant de l’autre. Dès lors, l’étude des stratégies matrimoniales peut nous renseigner sur les objectifs politiques d’une dynastie et les moyens mis en place pour y parvenir. La dynastie ottomane en est une bonne illustration : les stratégies développées durant les deux premiers siècles de son histoire reflètent l’évolution de ses préoccupations politiques au fil du développement d’un petit État frontalier en un vaste empire s’étendant sur trois continents. Notre étude a pour but de discuter des stratégies matrimoniales nouées autour des mariages des princesses ottomanes et de leur insertion dans la politique étatique entre le xive et le début du xvie siècle. À travers ces unions, c’est tout le pragmatisme politique ottoman qui se révèle, au point d’en venir à préférer des unions avec des esclaves (kul) plutôt qu’avec des princes.

Texte intégral

  • 1 Voir entre autres, Çağatay M. Uluçay, « II. Bayezid’in ailesi », Tarih Dergisi, no 10, 1959, p. 105 (...)
  • 2 Voir notamment Joseph von Hammer, Histoire de l’empire ottoman depuis ses origines jusqu’à nos jour (...)
  • 3 Ismail H. Uzunçarşılı, Osmanlı Devletinin Saray Teşkilâtı, Ankara, Türk Tarih Kurumu, 1988 ; Nicola (...)
  • 4 Par complète, nous entendons une généalogie qui tienne compte également des femmes et de leurs desc (...)
  • 5 Leslie P. Peirce, The Imperial Harem. Women and Sovereignty in the Ottoman Empire, New York, Oxford (...)
  • 6 Tülay Artan, « Royal weddings and the Grand Vezirate : Institutional and Symbolic Change in the Ear (...)
  • 7 Ebru Turan, « The Marriage of Ibrahim Pasha (ca. 1495-1536). The Rise of the Sultan Süleyman’s Favo (...)
  • 8 Juliette Dumas, « Des esclaves pour époux… Réflexion sur les stratégies matrimoniales de la dynasti (...)

1La dynastie ottomane a fait l’objet de nombreux travaux biographiques1, plus ou moins approfondis selon les auteurs, de quantité d’histoires générales2, de multiples recherches concernant ses règles successorales3, mais de façon assez surprenante, il n’existe que peu d’études concernant sa généalogie complète4 ou ses stratégies matrimoniales. Jusqu’à peu, un ouvrage faisait référence : celui publié par Alderson en 1956, sous le titre The Structure of the Ottoman Dynasty. Ce n’est que récemment que quelques historiens se sont penchés de nouveau sur ces questions. Citons notamment les travaux de Leslie Peirce5, de Tülay Artan6, d’Ebru Turan7 et de moi-même8.

2 Qu’a donc de particulier cette famille, qui mériterait que nous lui portions une attention toute spéciale ? Famille régnante (d’abord sur une principauté puis, progressivement, sur un véritable Empire), sa spécificité réside dans le choix qu’elle fit de conclure des alliances matrimoniales avec des esclaves plutôt qu’avec des personnes royales ou de noble ascendance. Les mariages des princesses ottomanes, sur lesquels nous allons ici nous concentrer, en sont l’exemple le plus représentatif. Aussi cet article va-t-il modestement s’attacher à expliquer le comment et le pourquoi de cette préférence.

Une région disputée entre de multiples entités politiques

  • 9 Pour des études générales sur l’Empire ottoman depuis ses origines jusqu’à l’époque moderne, voir e (...)
  • 10 Il existe un certain nombre de travaux importants sur la question des origines et de la naissance d (...)
  • 11 V. Gordlevski, Anadolu Selçuklu Devleti, Ankara, Onur Yayınları, 1988 ; Ibrahim Kafesoğlu et al., A (...)

3Une mise en contexte s’impose9. La famille ottomane, à la tête d’une tribu nomade turque, fait son apparition en Anatolie à la fin du xiiie siècle et s’installe dans la plaine de Söğüt, au centre d’un triangle composé des trois grande villes que sont Bursa (Brousse), Izmit (Nicée / Nicea) et Eskişehir10. Elle se scinde alors en deux groupes : l’un continuant sa migration, l’autre décidant de s’installer sur place et de se sédentariser – tout en conservant un mode de vie largement hérité des coutumes et pratiques nomades. Au moment de cette installation, deux grands empires se disputent le contrôle de l’Anatolie : l’Empire byzantin, chrétien, du côté occidental, avec Constantinople pour capitale, l’Empire seldjoukide musulman11, du côté oriental, dont la capitale est Konya. Ce tableau ne saurait être complet, sans mentionner un dernier acteur essentiel : l’Empire mamelouk, basé en Égypte et s’étendant sur le Proche-Orient. L’Anatolie joue le rôle de vaste zone frontalière entre ces trois puissances qui s’affrontent régulièrement, sans qu’aucune ne parvienne vraiment à s’imposer sur les autres. Cette ligne de partage fluctuante a favorisé l’apparition de petits potentats se reconnaissant vassaux tantôt de l’un, tantôt de l’autre, tantôt du troisième : cette vassalité est souvent formelle et l’autonomie de ces potentats va en augmentant, au fur et à mesure que ces puissances s’étiolent, soumises à des crises internes très fortes. Les Ottomans ne sont que l’une des familles qui s’installent ainsi en Anatolie, caractérisée dès lors par un fort morcellement politique.

  • 12 Colin Imber, « The Legend of Osman Gazi », dans Zachariadou Elisabeth, The Ottoman Emirate (1300-13 (...)
  • 13 Pour une bibliographie sur les autres beylicats d’Anatolie, voir notamment Paul Lemerle, L’Émirat d (...)
  • 14 Irène Beldiceanu-Steinherr, « La conquête d’Andrinople par les Turcs : la pénétration turque en Thr (...)
  • 15 Beatrice F. Manz, The Rise and Rule of Tamerlane, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.

4Osman Ier (env. 1281-1324)12, fondateur et ancêtre éponyme de la dynastie, prend très rapidement le contrôle de la région autour de Söğüt. Il se met sous la protection seldjoukide et se voit octroyer un ordre impérial du sultan Alaeddin qui lui reconnaît officiellement le droit de s’y installer. Il ne tarde pas à se lancer dans des raids armés contre les villages, villes et forteresses avoisinantes et contrôle bientôt la région environnante ; il s’attaque alors à des prises plus importantes : d’abord Nicomédie (Izmit), puis Prousa (Bursa), qu’il assiège au moment de sa mort. La ville est finalement prise par son fils, Orhan (env. 1324-1362), qui y fait élever le tombeau de son père – d’après les directives qu’il lui aurait confiées sur son lit de mort, à en croire les récits postérieurs. Celui-ci continue la politique d’expansion territoriale engagée par son père et domine bientôt toute la région située sur la rive sud-est de la Marmara. Traversant le détroit des Dardanelles, ses troupes, sous le commandement de son fils, Süleyman, mettent le pied en Thrace : Galipolli (Gelibolu) devient ottomane. Désormais, le petit potentat ottoman règne sur un État relativement important de la région, qui rivalise avec les grandes principautés des Candaroğlu, des Germiyanoğlu, des Aydınoğlu ou du Hamid13. Leur importance politique et surtout militaire explique l’intérêt que l’Empire byzantin leur témoigne en faisant d’eux un allié turbulent. L’expansion territoriale va sans faiblir pendant tout le règne des successeurs d’Orhan, Murad Ier (1362-1389)14 et Bayezid Ier (1389-1402), au point de faire de cette dynastie le principal État de la région, contrôlant désormais tout le Nord-Ouest de l’Anatolie et une partie des anciens territoires byzantins d’Europe de l’Est. C’est sous Bayezid Ier que l’État ottoman fait sa première tentative de proclamation d’Empire. Mais elle est mise à bas par sa défaite contre Tamerlan15, dans la plaine d’Ankara, en 1402. Abandonné par ses vassaux turcs anatoliens, tandis que ses alliés chrétiens lui sont restés fidèles, Bayezid Ier est vaincu et fait prisonnier : il meurt peu de temps après. Son empire est divisé et une partie des territoires conquis durant son règne sont rendus à ses anciens vassaux, tandis que ses fils s’affrontent dans une longue guerre pour la succession, entraînant un recul de la domination ottomane. La victoire de Mehmed Ier (1412-1420) relance la dynamique conquérante, poursuivie sous le règne de son fils, Murad II (1420-1444 et 1446-1451). Toute cette période, qui s’étend du début du xive siècle au milieu du xve siècle, correspond à une première phase de formation de l’État ottoman, communément appelée période du beylicat. L’État ottoman est alors systématiquement en compétition avec d’autres États : des beylicats musulmans d’Anatolie, mais aussi des principautés d’Europe de l’Est et, bien-sûr, l’Empire byzantin déclinant. En revanche, l’arrivée éclair de Tamerlan a mis fin à l’Empire seldjoukide, dont la puissance est remplacée, pendant un temps, par celle des Timourides – plus tournée vers l’Asie centrale.

  • 16 Si de nombreuses études ont été faites sur le règne de Mehmed II, l’ouvrage de Franz Babinger, Mehm (...)

5Le milieu du xve siècle constitue un vrai tournant pour l’État ottoman. Sitôt monté sur le trône, Mehmed II (1444-1446 et 1451-1481)16, fils et successeur de Murad II, part à la conquête de Constantinople, qui tombe bientôt sous domination ottomane et devient la nouvelle capitale de l’État. Mehmed II entreprend une politique de conquête systématique au détriment de l’ensemble des pouvoirs encore présents en Anatolie et en Roumélie : après l’Empire byzantin, c’est au tour de celui de Trébizonde d’être défait ; d’autres ne tardent pas à suivre. Les succès de Mehmed II sont consolidés par son successeur, Bayezid II (1481-1512) qui, contrairement à l’idée largement diffusée, suit et maintient la politique engagée par son père, en faisant preuve de plus de souplesse. Dès lors, l’Empire ottoman prend sa forme et ses caractéristiques fondamentales : à cheval sur les continents européen et asiatique, relié en son centre par sa capitale, Istanbul, il se pose en héritier de l’Empire byzantin sur le plan politique et en élu divin sur le plan religieux, la prophétie selon laquelle, un jour, cette ville serait conquise par les musulmans ayant été réalisée. Cela entraîne une redéfinition profonde de l’État, désormais un Empire qui aspire à la domination universelle et repose sur une identité musulmane sunnite marquée. Mais l’Empire ottoman n’est toujours que l’une des trois grandes puissances musulmanes moyen-orientales, avec les Akkoyunlu et les Mamelouks dont la domination s’étend de l’Égypte jusqu’à la Syrie. Ainsi, cette deuxième moitié du xve siècle correspond à la période de transition de l’État ottoman qui, de principauté, se transforme en Empire à portée universelle.

  • 17 Sur le règne de Selim Ier, consulter notamment Irène Beldiceanu-Steinherr, « Le règne de Selim Ier  (...)
  • 18 « tête rouge », en référence aux bonnets rouges qu’ils portaient.
  • 19 Les Kızılbaş furent vaincus, mais pas anéantis : Şah Ismail réussit à s’échapper et ses successeurs (...)

6La montée sur le trône de Selim Ier (1512-1520)17 marque le début d’une nouvelle phase, communément appelée « âge d’or » de l’Empire. Ce souverain, qui n’aimait – aux dires des ambassadeurs vénitiens – que la guerre, met toute son énergie à la réalisation d’un but précis : la destruction totale de celui qu’il considère comme son principal adversaire, Chah Ismail, qui avait constitué un nouveau pouvoir sur les restes de l’Empire des Akkoyunlus et qui menaçait directement la frontière orientale ottomane. Cet État bénéficie de partisans partout en Anatolie (connus sous le nom de Kızılbaş18) et se présente comme la principale alternative politique à la suprématie ottomane encore fragile dans ces régions du centre et de l’Est anatolien. Or, l’équilibre entre les puissances ottomanes et safavide est volontairement maintenu et favorisé par les Mamelouks – toujours considérés comme la plus grande puissance, bénéficiant d’une immense richesse et d’une légitimité incontestée. Après avoir défait Chah Ismail lors de la bataille de Çaldıran (1514)19, Selim Ier se tourne contre le sultan d’Égypte, lors d’une campagne éclair qui écrase l’armée égyptienne en Syrie, en 1517 ; l’Égypte est prise dans la foulée. Celle-ci conquise, c’est le Proche-Orient tout entier qui tombe dans l’escarcelle ottomane, y compris les deux Villes Saintes musulmanes, La Mecque et Médine jusqu’alors placées sous la protection du souverain d’Égypte.

  • 20 Les travaux sur le règne de Süleyman Ier sont innombrables. Citons entre autres celui d’André Clot, (...)

7Le décès précoce de Selim Ier ne lui a pas permis de stabiliser son autorité ni de conforter ses conquêtes : c’est à son fils et successeur, Süleyman Ier (1520- 1566)20 – connu sous le nom de Soliman le Magnifique en Occident – que cette tâche revient. Ce dernier consolide les victoires paternelles, auxquelles viennent s’ajouter de nouvelles, avec la prise de Belgrade (1521) et de Rhodes (1522), poussant ses armées jusque sous les portes de Vienne (1529). Désormais, l’Empire ottoman est la seule grande puissance musulmane du Moyen-Orient. La conquête de l’Égypte a permis une augmentation énorme de ses richesses, tandis que la maîtrise de tout le pourtour oriental de la Méditerranée et le contrôle de la majorité des routes commerciales terrestres entre l’Orient et l’Occident font de cet État l’une des principales puissances commerciales. Enfin, la défaite et l’élimination des Mamelouks, le retrait du danger safavide (pour un temps) et le contrôle des Villes Saintes offrent à cet Empire un regain indiscutable de légitimité politique : le sultan ottoman peut, dès lors, ajouter à ses titres celui de « protecteur des lieux saints » et s’instituer comme le champion de la communauté musulmane, y compris hors de ses territoires.

Des pratiques dynastiques en adéquation avec les besoins politiques

8Ce long cadre chronologique présente quelques avantages : il permet de brosser un aperçu des évolutions politiques et dynastiques survenues pendant ces premiers siècles, qui contribuèrent à donner à cet Empire la forme qu’on lui connaît par la suite. Or, ces phases d’évolution politique coïncident avec celles des stratégies matrimoniales de la dynastie ottomane, faisant ressortir, par là-même, l’adéquation parfaite entre pouvoir, politique et pratiques dynastiques. Les enjeux des stratégies matrimoniales de la dynastie ottomane se lisent ainsi à l’aune de ceux de la politique étatique et ne peuvent se comprendre que replacés dans leur contexte politique et diplomatique. En cela, les stratégies matrimoniales constituent un élément de lecture du pouvoir politique ottoman, de ses conflits et de ses enjeux au cours de la période étudiée : ces mariages sont d’authentiques outils politiques et diplomatiques. De fait, les stratégies matrimoniales de la dynastie ottomane eurent deux buts majeurs : la promotion de l’image de l’État ottoman et la consolidation de sa politique intérieure et extérieure.

  • 21 Nicolas Vatin et Gilles Veinstein, Le Sérail ébranlé…, op. cit., p. 81-251 ; İsmail H. Uzunçarşılı, (...)
  • 22 Le système de division du territoire, pratiqué par la majorité des dynasties régnantes musulmanes v (...)
  • 23 Pour une étude comparative des stratégies matrimoniales des membres masculins et féminins de la fam (...)

9Ces stratégies peuvent toutefois concerner tout autant les hommes que les femmes de la dynastie ottomane. Il convient de distinguer ces deux catégories de personnages, dont le sexe détermine la place et le statut au sein de la société et de la famille. La succession ottomane se définit, en effet, selon deux règles : la patrilinéarité, selon laquelle seules les lignées masculines peuvent prétendre au trône (excluant donc les filles du droit à exercer et à transmettre la souveraineté), et la succession ouverte. Ce dernier point est important et mérite qu’on s’y attarde. Selon ce système de succession ouverte, on reconnaît à tous les descendants mâles de la famille les mêmes droits au trône, qu’ils soient frères, fils ou petits-fils du sultan régnant. Ceci générait une instabilité successorale chronique : tous les princes pouvaient prétendre diriger l’État ottoman et tous y aspiraient, la pratique du fratricide, légalisée et officialisée par Mehmed II, ne laissant aux princes d’autre choix que le trône ou la mort, voire l’exil à vie21. Ce système repose sur l’application du principe d’indivisibilité du territoire, phénomène relativement atypique dans la région et pour l’époque (la coutume de la majorité des tribus turcomanes et des principautés anatoliennes voisines était de diviser le territoire paternel entre les fils du chef défunt22). En imposant la succession ouverte et l’indivisibilité du territoire, la dynastie ottomane n’empêchait pas les guerres et conflits internes, mais ceux-ci se concentraient sur des périodes relativement courtes : le moment du décès et de la succession. Celui des prétendants qui parvenait à vaincre ses frères ou à s’installer le premier sur le trône était considéré comme l’élu divin : s’il y était parvenu, c’est qu’il bénéficiait du soutien de Dieu, sans quoi rien n’était possible ! Sa réussite était une preuve, à postériori, de son élection divine. L’application du principe d’égalité des droits au trône pour tous les princes (c’est-à-dire tous les hommes issus en lignée masculine) a de multiples résonnances dans le système familial et politique de la dynastie ottomane. En matière de stratégies matrimoniales, il implique une très forte similitude des unions nouées autour d’eux. Tous les descendants mâles étaient mariés selon les mêmes schémas, car étant tous des successeurs potentiels au trône, les enjeux politiques étaient sensiblement les mêmes23.

10Du côté féminin, les choses sont relativement plus complexes. En effet, l’application de la patrilinéarité impose l’exclusion d’un certain nombre de femmes de la famille ottomane : les mères, en premier lieu, c’est-à-dire les épouses ou concubines des sultans ou des princes, quand bien même seraient-elles d’un lignage noble, voire impérial. Les filles nées des sultans, parce qu’issues de la lignée masculine, étaient considérées comme membres à part entière de la dynastie, mais elles étaient dans l’incapacité de transmettre cette qualité à leurs enfants : leurs filles, mais aussi leurs fils, étaient théoriquement exclus du lignage ottoman. En revanche, les filles nées de princes étaient considérées parmi les membres de la famille ottomane, puisqu’elles étaient issues de lignée masculine directe. Dans le cadre de cet article, seuls les mariages des princesses ottomanes (filles de sultan ou de prince) feront l’objet de nos observations.

  • 24 Juliette Dumas, Des esclaves pour époux…, op. cit.

11Plusieurs phases chronologiques peuvent être délimitées, qui coïncident avec celles de la politique ottomane. Au cours de ces phases, une évolution fondamentale se produit : d’abord mariées à des chefs politiques d’origine noble, ces princesses ottomanes sont progressivement données en mariage à des esclaves des sultans, jusqu’à ce que cette pratique s’impose en coutume ancestrale. Cet article se donne pour objectif d’étudier cette préférence maritale, afin de montrer comment la dynastie ottomane en est venue à préférer des esclaves aux princes, comme époux pour leurs filles. Aussi surprenante qu’elle puisse sembler, cette préférence était une réponse directe et logique aux besoins politiques de la dynastie et de l’État. C’est la raison pour laquelle nous allons porter toute notre attention sur le rôle politique et symbolique de ces unions, tout au long de la période précisée. Notons que les femmes ne sont pas les seules concernées par ces évolutions des pratiques matrimoniales dynastiques : les mariages des membres masculins de la famille ottomane montrent également une préférence progressive en faveur des concubines esclaves, au détriment de la création d’alliances inter-dynastiques avec des princesses (chrétiennes ou musulmanes). La comparaison entre les mariages des membres masculins et ceux des membres féminins a fait l’objet d’un article antérieur ; nous n’y reviendrons pas24.

Le système primitif des alliances ottomanes mil. xive - mil. xve siècle

12Dans un chapitre consacré aux filles de sultan, Uzunçarşılı, un des pères de l’histoire ottomane, écrit :

  • 25 En turc comme en ottoman, l’écriture correcte de ce mot est « sultan ». En effet, ces deux langues (...)
  • 26 Ismail H. Uzunçarşılı, Saray Teşkilâtı…, op. cit., p. 159. La traduction du texte est du fait de l’ (...)

les filles des souverains ottomans sont appelées sultanes25 ; lorsqu’elles grandissent, elles sont mariées à des personnes de haut rang ; les filles ou sœurs des premiers souverains ottomans étaient données en mariage, tantôt à d’autres souverains anatoliens ou à leurs fils, tantôt à des beys de leur suite ; par exemple la fille de Murad Bey Ier, Nefise Sultane, fut donnée à Karamanoglu Alaüddin Bey en 1381. […] À partir du début du xvie siècle, il fut décidé de ne donner les sultanes qu’à des vizirs ou beys ottomans26.

13Cette affirmation ne saurait être plus vraie ; elle manque cependant d’analyse et de précision. Uzunçarşılı oublie d’expliquer comment, en l’espace de moins de deux siècles, la dynastie ottomane en est venue à préférer des esclaves (les « vizirs ou beys ottomans ») à des princes ou grands personnages appartenant à des dynasties anatoliennes voisines. Or, pour comprendre le comment, il faut se poser la question du pourquoi.

14Chez les familles régnantes, les mariages sont le résultat de stratégies matrimoniales complexes, répondant à des objectifs politiques concrets : la dynastie ottomane ne constitue pas une exception sur ce point. On peut dès lors avancer l’hypothèse que si elle procéda à une transformation majeure de ses pratiques matrimoniales, c’est qu’il y avait là une raison politique majeure. Le fait est que le choix de gendres royaux esclaves plutôt que nobles ne constituait pas une pratique ancestrale ottomane ; elle n’était ni en cours dans les principautés voisines, ni dans les deux dynasties d’Empire se disputant la suprématie sur l’Anatolie au xive siècle : les Byzantins et les Seldjoukides. En fait, seul l’Empire mamelouk faisait usage d’esclaves dans ses stratégies matrimoniales. Néanmoins, rien ne semble indiquer qu’ils aient été une source d’inspiration pour les Ottomans sur ce point.

15Le fait que cette transition se soit réalisée sur plusieurs règnes (près d’un demi-siècle) nous amène à penser qu’elle fut loin d’être facile à imposer. On remarquera, à ce titre, qu’aucun sultan ottoman ne tenta ni de la justifier, ni de l’expliquer – ce qui aurait constitué une reconnaissance officielle d’une volonté de changement politique. Cette absence de justification, sa lenteur à être mise en place, soulignent le problème intrinsèque qu’une telle évolution représentait. Les sultans ottomans menèrent-ils une politique consciente dans ce domaine ? L’évolution fut-elle le fruit d’un enchaînement de transformations conjoncturelles et pragmatiques ? Difficile à dire. La seconde explication paraît néanmoins la plus crédible, en raison de cette lente évolution : si celle-ci suit un cours qui, avec le recul, semble irrévocable, on peut douter que les contemporains en aient été pleinement conscients.

  • 27 Voir les arbres généalogiques : annexes 1, 2, 3 et 4.

16En premier lieu, commençons par décrire les stratégies matrimoniales engageant les filles de sultan des premiers temps de la dynastie, soit du début du xive à la première moitié du xve siècle27. Cette période chronologique correspond à une phase de développement et d’expansion de la principauté ottomane. D’abord petite principauté turcomane située à la frontière des deux empires, seldjoukide et byzantin, les souverains ottomans étendent très rapidement leur domination sur toute la région autour de la mer de Marmara, aux dépens de leurs voisins. Cette période se caractérise par un morcellement politique profond de l’espace anatolien. Les principautés sont nombreuses à s’affronter les unes aux autres : comme chaque fois dans ces situations politiques complexes, les États sont obligés de développer une intense diplomatie extérieure, extrêmement fluctuante. Dans ce contexte, les mariages princiers étaient une occasion de conclure des alliances privilégiées. Tous les États en firent usage, les Ottomans comme les autres.

  • 28 Tous les souverains ottomans, depuis Orhan jusqu’à Mehmed II, épousèrent des princesses chrétiennes (...)
  • 29 L’inhumation des membres de la dynastie, pour ne prendre que cet exemple, révèle la pérennité de pr (...)

17Quelle fut, alors, la ligne directrice des stratégies matrimoniales nouées autour des princesses ottomanes – les filles des souverains ottomans ? Durant cette période, deux types de gendres étaient choisis : les princes anatoliens et les chefs politico-religieux ottomans. Dès cette époque, on remarquera l’existence d’une double dichotomie dans les alliances entre gendres externes / internes d’une part, mariages endogamiques / hypogamiques d’autre part. Néanmoins, tous ces gendres sont musulmans – religion oblige : une femme musulmane ne peut épouser, d’après la législation islamique, qu’un homme appartenant à la communauté musulmane. Cette obligation n’est pas sans conséquence : elle limite les possibilités d’alliances pour les femmes (quand, au contraire, les hommes de la dynastie pouvaient conclure des mariages avec des princesses non-musulmanes – ce qu’ils firent à de nombreuses reprises, avec des princesses byzantines ou serbes, notamment)28. Notons au passage que, dès cette époque, les Ottomans choisirent de se définir comme dynastie musulmane (du moins dans ses règles matrimoniales), alors même que dans bien d’autres domaines, leur respect des principes islamiques laissait à désirer29.

Des mariages endogamiques à l’extérieur

  • 30 Sur l’histoire des Aydınoğlu : Himmet Akın, Aydınoğulları Tarihi Hakkında bir Araştırma, Ankara, An (...)
  • 31 Oruz Hatun, fille de Bayezid Ier, aurait ainsi épousé un petit-fils de Timur Land (appelé tantôt Me (...)
  • 32 Il s’agit des mariages des filles de Mehmed Ier : Selçuk Hatun, qui épousa Isfendiyaroğlu Ibrahim B (...)
  • 33 Les unions entre la famille ottomane et les Karamanoğlu furent initiées par le mariage de la fille (...)

18La contrainte islamique en matière de mariage des filles limitait les choix de la dynastie à des gendres moyen-orientaux. Tout naturellement, les candidats de choix étaient les princes anatoliens issus d’autres dynasties souveraines. Les sultans ottomans ne firent cependant pas feu de tout bois : au contraire, ils semblent avoir limité leurs choix à des dynasties bien particulières. En effet, le nombre de principautés existantes au xive siècle était important : il y avait les Menteşoğlu, les Hamidoğlu, les Candaroğlu, les Karamanoğlu, les Aydınoğlu30 et bien d’autres encore. Les Ottomans avaient une très grande palette de possibilités : ils n’en firent pas usage. Leurs choix en matière de gendres se concentrèrent sur deux dynasties en particulier : exception faite du mariage atypique de la fille de Bayezid Ier avec un petit-fils de son vainqueur, Timour Land31, seuls les Isfendiyaroğlu (descendants des Candaroğlu)32 et les Karamanoğlu furent retenus33.

19Le contexte politique explique ces deux préférences. Les Isfendiyaroğlu, une des branches des Candaroğlu, représentaient l’une des dynasties les plus florissantes d’Anatolie, bénéficiant d’un prestige international bien que peu guerrière. Les Karamanoğlu, pour leur part, représentaient une dynastie relativement mineure au début du xive siècle, qui très vite s’étendit et s’accrut, au point de devenir le principal adversaire des Ottomans à la fin du xive et durant toute la première moitié du xve siècle. Nous sommes donc en présence de deux types opposés d’alliances matrimoniales : d’un côté, une dynastie prestigieuse, mais en déclin et, finalement, vassalisée ; de l’autre, une dynastie au pouvoir croissant, qui se présente comme une concurrente à la volonté de suprématie ottomane en Anatolie.

  • 34 À ce propos, on notera que la dynastie des Isfendiyaroğlu fut l’objet de mariages tantôt « différés (...)

20L’alliance avec les Isfendiyaroğlu présentait deux intérêts aux yeux de la famille ottomane : plus prestigieuse que les Ottomans, l’alliance permettait à ces derniers de donner à voir leur puissance, tout en renforçant les liens d’amitié et de bonne entente qui existaient entre les deux familles. Avec les Karamanoglu, il semblerait que le but de ces alliances ait été tout autre : marquer la suprématie ottomane. On remarque, en effet, que chacun des mariages conclus avec la dynastie karamanide vient à la suite d’une défaite contre les Ottomans. Au contraire, ceux qui furent conclus avec la dynastie isfendiyaride s’inscrivent dans un contexte pacifique et font suite à des négociations inter-dynastiques34. Dès lors, l’alliance avec la dynastie karamanide n’en est pas une au sens littéral du terme : elle constitue une démonstration de force et de pouvoir, en imposant une épouse au prince défait, non une tentative d’établir des relations d’affinité, d’amitié ou d’entente entre les deux familles. Mais, en agissant de la sorte, les Ottomans reconnaissaient de facto la puissance de l’adversaire : malgré leur suprématie militaire, ils se sentirent obligés d’envoyer une de leur fille au sein de cette cour étrangère.

Des mariages hypogamiques à l’intérieur

21Le choix volontaire des sultans de limiter les familles régnantes avec lesquelles ils concluaient des mariages pour leurs filles n’est pas sans conséquence : cela réduisait le nombre des alliances extérieures potentielles. Par ailleurs, les souverains ottomans n’avaient pas pour rivaux que des chefs politiques extérieurs : à l’intérieur également, des oppositions s’exprimaient, portées notamment par les chefs militaires gazi (combattants pour la foi) qui dirigeaient, de façon très autonome, les troupes postées aux frontières.

  • 35 Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., t. 2 p. 52, 177 ; Necdet Sakaoğlu, Bu M (...)
  • 36 D’après les chroniques telles que celle d’Aşıkpaşazade, Bayezid Ier aurait été influencé dans son c (...)

22Ces grandes figures militaires ottomanes représentaient de véritables forces coercitives au sein de l’État ottoman. Auréolés du prestige du guerrier conquérant et du combattant pour la foi (gazi), rétribués par l’octroi de vastes domaines qu’ils tendaient à s’approprier par la création de vakf familiaux, forts du soutien de leurs gens, ces individus étaient certes des commandants au service du souverain ottoman, mais des commandants très indépendants et parfois bien turbulents. Ils se faisaient une opinion du service militaire opposée à celle des souverains : ceux-ci y voyaient une forme de soumission à leur autorité, tandis qu’ils se percevaient comme des alliés indépendants, à l’instar des compagnons des premiers souverains ottomans. Les terres conquises constituaient des fiefs, dont ils entendaient disposer de façon autonome (et héréditaire). Ils s’affirmaient comme des forces centrifuges contre lesquelles les souverains ottomans voulaient se prémunir. Toute alliance matrimoniale avec eux était dès lors exclue, car elle aurait contribué à renforcer leurs prétentions. La dynastie développa une stratégie d’alliances destinées à favoriser l’ascension d’individus leur étant soumis ou favorables. Les uns furent des commandants militaires choisis parmi les serviteurs directs des souverains. Le meilleur exemple en est le mariage d’une fille de Mehmed Ier avec Karaca Pacha. Les autres furent des membres de familles d’oulémas. Ce type d’alliance rappelait l’union nouée à l’occasion du mariage de l’ancêtre éponyme de la dynastie, Osman Ier, avec la fille du cheikh Edebali. Un exemple suffira largement à donner un aperçu de l’enjeu politique : celui du mariage de Hundi Hatun, fille de Bayezid Ier, avec le cheikh Bukari, surnommé Émir Sultan35. Ce personnage de grande renommée, originaire de Bukara, s’installa dans la capitale de l’Empire – alors Bursa (Brousse). D’après les chroniques ottomanes, il semblerait qu’il ait été un proche du sultan – bien que les récits fournissent des données contradictoires quant à la nature de leurs relations. Toujours est-il qu’il épousa la fille de celui-ci et devint l’un des conseillers les plus proches du sultan – un des rares à se permettre de critiquer son comportement36. Selon ces mêmes sources, l’aura de ce cheikh aurait été extrêmement étendue – faisant de lui un personnage politique important.

  • 37 Nicolas Vatin, « L’ascension des Ottomans » dans Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman…, op. (...)

23Un autre détail nous confirme dans l’idée que ce cheikh était bel et bien un personnage politique puissant, que le sultan préféra compter parmi ses alliés : son appartenance à l’élite religieuse des oulémas. Or, le xive siècle – période encore mal connue de l’histoire ottomane – se distingue entre autres par la complicité entre élites militaires et religieuses, entre les oulémas et les sultans. De fait, les oulémas constituaient un groupe social puissant, qui joua un rôle extrêmement important dans le développement de l’État ottoman, en quête de cadres administratifs, lettrés, religieux37. Voilà qui donne un nouvel éclairage à ce mariage entre Hundi Hatun et Émir Sultan : le sultan entendait par-là renouer l’alliance entre la dynastie et l’élite religieuse, colonne dorsale de son administration – jusqu’à son remplacement par les esclaves. Ce modèle fut poursuivi jusqu’au milieu du xve siècle, avec le mariage d’une fille de Murad II avec Mahmud Çelebi, descendant de la famille des Çandarlı – une grande famille d’oulémas dont plusieurs membres furent grands vizirs.

24Tentons une synthèse de la politique matrimoniale féminine de la dynastie ottomane entre le milieu du xive et le milieu du xve siècle. Celle-ci répond à deux objectifs politiques : l’alliance extérieure avec des dynasties tantôt alliées, tantôt opposées, mais bénéficiant d’un grand prestige – les dynasties de moindre rang en furent exclues ; et l’alliance intérieure avec les cadres militaires ou administratifs de l’État, dont on voulait s’assurer le soutien et le contrôle. En somme, il s’agit là d’une politique matrimoniale dynastique, tout à fait typique de royautés dont le pouvoir est relativement instable et qui sont soumises aux pressions aussi bien intérieures qu’extérieures. Cette politique s’inscrit dans la droite ligne de la stratégie de distanciation de la dynastie ottomane d’avec les autres grandes familles. Par ses alliances avec certaines familles au détriment d’autres, la dynastie les contraint à reconnaître sa supériorité : la dynastie régnante cherche à s’assurer le soutien politique de ces familles, celles-ci, en retour, se voient gratifiées de l’honneur d’une alliance royale.

25Cette pratique d’alliance matrimoniale renforçait la diffusion de l’idée de suprématie de la dynastie régnante sur toutes les autres familles présentes au sein de cet État. De même, le choix spécifique d’alliances avec des familles princières externes puissantes ou prestigieuses contribuait à rehausser le statut de cette dynastie, qui s’affirma, dès lors, comme l’une des principales familles régnantes de la région.

L’instauration d’un nouveau système matrimonial mil. XVe - mil. XVIe siècle

  • 38 Pour une étude de la vision occidentale de la monarchie absolue ottomane, voir Lucette Valensi, Ven (...)

26À bien des égards, la période comprise entre le règne de Mehmed II (1444- 1446 et 1451-1481) et celui de Süleyman Ier (1520-1566) représente une phase de transformation profonde du système étatique et dynastique ottoman qui, de royaume, devient empire. Le renforcement de la centralisation et de la bureaucratisation impériale, dont l’apogée se situe sous Süleyman, ont conduit à voir dans le règne de celui-ci l’expression d’une souveraineté absolue « à l’orientale38 ». Une telle modification des structures de l’État ottoman ne pouvait qu’avoir des conséquences sur ses pratiques dynastiques : les stratégies matrimoniales nouées autour des filles des sultans en sont l’une des expressions.

27Le contexte politique intérieur et extérieur se modifie profondément au cours de ce siècle. Au niveau extérieur, l’impressionnante expansion territoriale réalisée par Mehmed II fait de l’État ottoman un vaste empire à cheval sur l’Orient et l’Occident, sur l’Anatolie et les Balkans. La conquête de Constantinople – qui lui valut un immense prestige – entraîne un changement de capitale : les sultans s’installent désormais dans la ville impériale, capitale de l’ancien Empire romain d’Orient, devenu par la suite l’Empire byzantin. Dès lors, Mehmed II est libre de se proclamer héritier de l’Empire romain. Or, son expansion s’est faite au détriment de presque toutes les dynasties régnantes voisines : celles qui ne disparurent pas furent assimilées, entraînant à terme une dissolution de ces familles au sein du nouvel Empire.

La fin des alliances externes

  • 39 Ismail H. Uzunçarşılı, Anadolu Beylikleri ve Akkoyunlu, Karakoyunlu Devletleri, Ankara, 1937. John (...)
  • 40 L’explication la plus plausible serait qu’une telle alliance aurait probablement été interprétée co (...)
  • 41 Ou éventuellement celle des khans de Crimée – des vassaux de l’Empire ottoman, soit de statut infér (...)
  • 42 Voir l’arbre généalogique : annexe 5.

28Les pouvoirs divisés de l’Europe occidentale (chrétiens) mis à part, Mehmed II n’a plus, face à lui, que deux puissances musulmanes : les Akkoyunlu39, dans le Sud-Est anatolien – qui s’étendent vers les territoires d’Asie centrale ; les Mamelouks d’Égypte, qui dominent le Proche-Orient. Pour une raison mystérieuse, les Ottomans ne conclurent aucune alliance matrimoniale avec les Mamelouks40. Pour perpétuer le système d’alliance endogamique avec des dynasties souveraines musulmanes, il ne restait plus que la famille akkoyunlu41… La politique conquérante de Mehmed II génère une nouveauté : le manque de familles musulmanes de même rang avec lesquelles construire des alliances. C’est une des premières raisons qui explique la disparition de ce type d’alliances primitives42.

  • 43 Leslie P. Peirce, The Imperial Harem…, op. cit., p. 37-39.
  • 44 Ibid., p. 29-30.

29Une deuxième raison a été mise en avant par Leslie Peirce : la nouvelle proclamation de l’État ottoman comme empire. La dynastie ottomane ayant acquis le rang impérial, Mehmed II aurait jugé non seulement inutile, mais même dévalorisant, de contracter des alliances avec des dynasties voisines43. Pourquoi cela ? Parce que cela impliquait de reconnaître à ces dynasties voisines une puissance, un statut qu’elles n’avaient pas – ou que Mehmed II voulait leur nier. En somme, afin de souligner le nouveau rang impérial de la dynastie, Mehmed II mit progressivement fin aux alliances matrimoniales inter-dynastiques. Il le fit aussi bien pour ses filles et petites-filles que pour ses fils44.

  • 45 Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmanî…, op. cit., t. 1 p. 15 ; Necdet Sakaoğlu, Bu Mülkün Kadın Sultanlar (...)
  • 46 John E. Woods, The Aqquyunlu…, op. cit.

30Une seule exception à la règle, du côté féminin : le mariage de sa fille, Gevherhan (ou Gevher-i mülûk) Sultane avec le fils de son principal adversaire en Anatolie, Uzun Hasan, chef des Akkoyunlu45. Le contexte politique particulier de cette alliance mérite d’être souligné, parce qu’il éclaire et justifie cette exception : Uğurlu Mehmed, un des fils d’Uzun Hasan, s’était rebellé contre son père pour s’emparer de son trône mais, battu et son armée défaite, il fut contraint de s’exiler46. Il trouva naturellement refuge chez Mehmed II – le principal adversaire de son père, susceptible de l’accueillir et de lui apporter son aide. Mehmed II ne se contenta pas de cette alliance d’intérêts : il la renforça en lui donnant la main de sa fille.

  • 47 En effet, les Akkoyunlu ne pratiquaient pas la même règle de succession que les Ottomans : non seul (...)

31Le calcul politique de Mehmed II est facile à comprendre : en cas de victoire d’Uğurlu Mehmed, il s’assurait la présence d’une alliée au cœur même de la cour – à même de constituer une faction pro-ottomane, voire un prétexte pour réclamer le trône akkoyunlu47. Par ailleurs, l’éventuelle victoire de ce prince étranger et son mariage avec une princesse ottomane auraient favorisé une certaine vassalité de cette famille à l’Empire ottoman. Cette exception s’explique ainsi par le contexte politique et l’opportunité exceptionnelle que la situation présentait pour la dynastie ottomane.

32Mais s’agit-il vraiment d’une exception ? De fait, cette alliance ne pouvait être interprétée comme la démonstration d’un statut similaire des deux dynasties ottomane et akkoyunlu : le statut du prince, sa présence en tant qu’hôte et réfugié au sein de la cour ottomane ne faisaient que souligner la toute-puissance ottomane. Le principe d’alliances hypogamiques, mis en place par Mehmed II dans les stratégies matrimoniales nouées autour de ses filles, fut bel et bien maintenu. Désormais, toutes les princesses – mais aussi tous les princes ottomans – n’épousèrent plus que des personnes de rang inférieur soulignant par là-même la suprématie politique et symbolique de la dynastie ottomane.

Des gendres impériaux idéaux

33Mettre un terme aux alliances inter-dynastiques suppose de compenser l’absence d’alliances externes par des alliances internes – et ce, tout en œuvrant à accentuer et différencier le prestige dynastique. À ces enjeux de représentativité, vinrent s’ajouter ceux d’ordre politique proprement dit. De façon très pragmatique, ainsi qu’on va le voir, les Ottomans se tournèrent vers un type de gendre impérial qui avait l’avantage de combler toutes leurs attentes : les esclaves du sultan, c’est-à-dire les kul.

  • 48 Necdet Sakaoğlu, Bu Mülkün Kadın Sultanları…, op. cit., p. 105 ; Joseph von Hammer, Histoire de l’E (...)
  • 49 Voir l’arbre généalogique de ce sultan, annexe 6.
  • 50 Ebru Turan, The Marriage of Ibrahim Pasha…, op. cit., p. 22-23.

34Le premier exemple d’une telle alliance semble dater du règne de Murad II, qui aurait marié sa soeur à Karaca Pacha ; ce précédent fut reproduit par Mehmed, qui aurait donné la main de sa sœur, Fatma, à son vizir, Zaganos Pacha48. Mais c’est surtout sous le règne de Bayezid II (1481-1512) et autour des mariages de ses filles que ce nouveau type d’alliances matrimoniales s’instaure. En effet, sous le règne de ce sultan, plus aucune de ses filles n’est mariée à des gendres princiers, descendants de dynasties régnantes anatoliennes : toutes le sont à des kul du sultan49. Toutefois, ceci se fit par étape, en lien avec la montée en puissance des esclaves au sein de l’administration palatiale. Le fait que cette nouvelle pratique ne se soit pas imposée d’un coup mais de façon évolutive, n’est pas sans expliquer son implantation solide et l’absence quasi totale de critiques50.

35Avant d’entrer dans le détail de l’instauration progressive de cette nouvelle pratique matrimoniale, il est nécessaire de s’interroger sur la raison de cette préférence envers les esclaves. Choisir des esclaves de l’intérieur plutôt que des princes de l’extérieur, avec l’idée de souligner la toute-puissance de la dynastie, n’est pas un raisonnement évident à première vue. Nous avons expliqué les raisons de l’éviction des princes étrangers et des descendants de grandes familles militaires, expliquons maintenant la montée en puissance des esclaves. Cette dernière résulte d’une double volonté politique de la dynastie : s’imposer au-dessus des factions afin d’affermir son autorité suprême, d’une part ; affirmer la supériorité de son lignage par une politique d’auto-sacralisation, d’autre part.

  • 51 Le devşirme, en turc. Il existe une bibliographie conséquente sur le sujet, voir en particulier Vas (...)

36Les monarques ottomans étaient d’ailleurs conscients de la nécessité d’affermir leur autorité : n’avaient-ils pas, dès le milieu du xive siècle, commencé à se constituer une armée royale – les fameux janissaires ? Cette armée, constituée d’esclaves, d’abord issus du butin de guerre puis émanant de la pratique dite du « ramassage51 », était supposée se montrer plus loyale envers les sultans que les soldats de la cavalerie, recrutés par les chefs militaires provinciaux et placés sous leurs commandements. Le besoin d’une force armée loyale s’était fait ressentir cruellement à la suite de la bataille d’Ankara, quand Bayezid Ier s’était vu abandonné de ses vassaux anatoliens. Disposant désormais d’une force militaire indépendante et placée sous leur autorité directe, les sultans n’avaient plus qu’à se constituer également une administration loyale et assujettie. Ils promurent ainsi des esclaves au sein de l’administration impériale, dont les éléments les plus prometteurs étaient formés au sein de l’école palatiale : les pages du palais. Les règnes de Mehmed II et Bayezid II correspondent d’ailleurs à un pic de tensions entre la puissance impériale et celle des grandes familles, qui se sentaient progressivement écartées du pouvoir au profit des kul.

Une réforme en quatre étapes

37Au milieu du xve siècle, les esclaves du sultan deviennent des agents importants de la politique impériale et dynastique ottomane. Cependant, faire de ces esclaves des grands personnages de l’État est une chose, en faire des gendres impériaux en est une autre. Ceci s’est réalisé progressivement, par étapes – il est toutefois probable qu’il y a eu cohabitation entre les phases, aussi faut-il se garder de les voir comme strictement distinctes les unes des autres. Sous le règne de Bayezid II, on dénote trois types d’esclaves / gendres impériaux : les esclaves-dignitaires (kul) d’origine noble ; les fils de kul dont on ne sait trop quel statut ils avaient, puis finalement les kul « proprement dits ». Dans un premier temps, il semble que les sultans ottomans choisirent en priorité des gendres esclaves, de noble origine. Ces personnages étaient, en fait, issus de familles chrétiennes princières ou nobles, vaincues ou vassalisées à la suite des conquêtes ottomanes et qui avaient été éduqués au Palais à la culture ottomane.

  • 52 Abdülkadir Özcan, « Dukakinzâde Ahmed Paşa », Türkiye Diyanet Vakfı İslam Ansiklopedisi, vol. 9, p. (...)
  • 53 Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 27.
  • 54 Il s’agit de la fille née de l’union de Güveyi Sinan Pacha, gouverneur d’Anatolie, et d’Ayşe Sultan (...)
  • 55 Également appelée Gevherimülûk : Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 26-27 ; Meh (...)

38Deux exemples parmi les plus frappants et connus : celui de Hersekzade Ahmed Pacha, fils cadet du prince d’Herzégovine, qui avait été envoyé à la cour ottomane en tant qu’otage, alors qu’il n’était encore qu’un enfant ; et celui des deux Dukakinzade, Ahmed Pacha52 et son propre fils, Mehmed Pacha, qui, ainsi que leur nom l’atteste, étaient des descendants d’une famille ducale chrétienne (Duka-kin-zade = le fils ou descendant du duc Jean). Tous trois épousèrent des princesses ottomanes : le premier fut marié à Hundi Hatun, fille de Bayezid II et sœur du prince Ahmed53 ; le second à une petite-fille de Bayezid II, Ayché Hatun54 ; le troisième à une fille de Bayezid II, Gevherhan Sultane55. S’ils sont bel et bien des kul du sultan, leur ascendance noble les distinguait néanmoins des autres esclaves. Ce sont des candidats parfaits pour la première phase de transition des stratégies matrimoniales ottomanes : d’origine noble, on ne pouvait reprocher aux sultans de mésallier leurs filles ; devenus ottomans, ils avaient été islamisés ; enfin, en tant que kul du sultan, ils étaient soumis à sa puissance.

  • 56 Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 28.
  • 57 Ibid. Mehmed Süreyya lui dédie une notice, mais sans mentionner son mariage : Mehmed Süreyya, Sicil (...)
  • 58 Voir note 56. Avant de devenir pacha et au moment de son mariage, Dukakinzade Mehmed était un simpl (...)

39Dans un deuxième temps, Bayezid II maria ses filles à des fils de pacha. Cette étape est aussi intéressante que difficile à clarifier. Ces pachas étaient tous des kul du sultan sans aucune ascendance particulière. Le statut de leurs fils, en revanche, pose problème : étaient-ils considérés comme des esclaves du sultan, eux aussi ? Juridiquement, non. Or, ils étaient toutefois tous des beys, ce qui veut dire qu’ils appartenaient à l’administration provinciale ottomane. Dans tous les cas, ils semblent avoir constitué une étape transitoire avant celle des gendres / kul proprement dits. Il est intéressant de voir que ces fils, simples beys, aient été préférés à leurs pères, de rang supérieur (pachas). Plusieurs exemples de mariages de ce genre apparaissent dans la généalogie ottomane. Ainsi, Kamer fut-elle mariée à Mustafa Bey, fils de Davud Pacha56 et Seltchouk, à Mehmed Bey, fils de Kodja Mustafa Pacha57. Rappelons encore l’exemple déjà cité (à cheval sur deux catégories) du mariage de Geverhan avec Dukakinzade Mehmed Pacha58.

  • 59 Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 25-26.
  • 60 Ibid., p. 27 ; Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmânî…, op. cit., p. 16 : ne mentionne aucun de ses mariag (...)
  • 61 Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 28.
  • 62 Voir les arbres généalogiques des deux souverains, annexes 6 et 7.
  • 63 Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 32.
  • 64 Elle divorça lorsque celui-ci se détourna totalement d’elle pour laisser libre cours à son penchant (...)

40Enfin, la dernière étape est celle du mariage des filles de sultan à des esclaves, sans ascendance princière, mais comptant parmi les dignitaires les plus importants de l’Empire, car dotés du rang de pacha. Parmi les exemples du genre, citons le mariage d’Ayché avec Güveyi Sinan Pacha59, d’Hatidjé Sultane avec Faik Pacha puis Kara Mustafa Pacha60, ou encore celui d’Ilaldi avec Ahmed Pacha61. Cette étape se situe toutefois à cheval sur deux règnes : la fin de celui de Bayezid II et celui de son fils et successeur, Selim Ier (1512- 1520)62. Notons, par ailleurs, un point important relatif aux alliances que ce dernier créa pour ses filles : tous ces esclaves pachas exercèrent principalement hors de la capitale. Ainsi l’époux de Hadice Hafsa Sultane, après avoir été nommé gouverneur des provinces de Eğriboz et Gelibolu, devint amiral de la flotte – exercice qui l’empêchait d’être à la cour une bonne partie de l’année63. Citons encore l’exemple du premier époux de Fatma Sultane, Mahmud Pacha, qui était gouverneur de la province d’Antalya – et dont on sait avec certitude, grâce à des documents d’archives, qu’il y résidait bien64.

  • 65 Ebru Turan, The Marriage of Ibrahim Pasha…, op. cit., p. 24-35 ; Hedda Reindl, Männer um Bâyezîd : (...)
  • 66 Notons qu’Ebru Turan propose une vision différente de la relation entre le sultan Selim Ier et ses (...)

41Une raison évidente à cela : Selim Ier ne voulait pas de la présence de ses gendres au sein de son gouvernement. De fait, Selim avait expérimenté personnellement le danger que représentait le cumul des privilèges en la personne de Hersekzâde Ahmed Pacha, dont nous avons parlé un peu plus tôt. Celui-ci était marié à la fille de Bayezid II, Hundi Hatun, laquelle supportait, avec sa mère, la faction en faveur de son frère, le prince Ahmed, durant la période des guerres fratricides pour la succession. Hersekzade aurait également pris part à l’opposition, en faveur de son beau-frère, le prince Ahmed. Or, il compte parmi les quelques dignitaires particulièrement influents du règne de Bayezid II65. Sa position au sein de la cour et ses connexions avec la famille royale en faisaient un soutien très puissant pour le principal adversaire de Selim. Il semble bien que, parvenu au trône, le sultan ait gardé à l’esprit le danger que représentait la proximité d’un pacha / grand dignitaire / gendre impérial placé au cœur de la cour. Il s’assura donc de l’éloignement de ses propres gendres66.

  • 67 Il s’agit notamment de Ferhad Pacha, l’époux de sa sœur Beyhan : Joseph von Hammer, Histoire de l’E (...)
  • 68 Rüstem Pacha, époux de sa fille Mihrimah Sultane : Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman(...)
  • 69 Il s’agit d’Ismihan, Gevherhan et Chah, qui épousèrent respectivement Sokollu Mehmed Pacha, Piyale (...)
  • 70 C’est le cas notamment de Lutfi Pacha, qui exerçait en poste à Yahnya avant d’être rappelé par son (...)

42Le règne de Süleyman Ier (1520-1566) correspond à la dernière phase d’évolution des stratégies matrimoniales. Revenant sur la politique d’éloignement de son père, Süleyman choisit au contraire la proximité et même la connivence avec les gendres impériaux. De qui s’agit-il ? En premier lieu, des époux de ses sœurs67, puis de l’époux de son unique fille68, enfin, durant les dernières années de son règne, des époux de ses trois petites-filles, nées de son seul fils survivant, Selim II (1566-1574)69. Non seulement Süleyman rappela à la cour certains des gendres impériaux en poste en province70, mais, en plus, il les promut en priorité au poste de grand-vizir.

  • 71 Ebru Turan, The Marriage of Ibrahim Pasha…, op. cit.
  • 72 Voir note 67.

43Prenons un exemple : après l’exécution d’Ibrahim Pacha, – dont une étude récente a démontré qu’il n’était pas lié par mariage à la sœur du sultan, Hadice, contrairement à l’idée très largement répandue dans l’historiographie71 –, il chercha un remplaçant digne de ce poste : après quelques tentatives infructueuses, il nomma à ce poste Lütfi Pacha, l’époux d’une de ses sœurs, Chah Sultane. Si celui-ci n’avait pas commis le crime de lèse-majesté en portant la main sur sa royale épouse, il aurait été maintenu à ce poste : ce crime lui coûta non seulement son divorce, mais aussi sa destitution et son exil à Dimetoka72.

  • 73 Voir note 68.
  • 74 Voir note 67.

44Peu après, Süleyman trouva le candidat qu’il cherchait pour ce poste : quelqu’un de proche, qui lui était allié par mariage : Rüstem Pacha, l’époux de sa fille, Mihrimah Sultane73. Il conserva cette place pendant plus de quinze ans. Le sultan fut cependant contraint de le destituer – pour une courte période de deux ans – à la suite de l’exécution de son fils, le prince Mustafa, très mal ressentie des janissaires. Or, qui d’autre nomma-t-il à sa place ? Un autre gendre impérial, le second époux d’une de ses sœurs (Fatma Sultane) : Kara Ahmed Pacha74. À la mort de celui-ci, il rétablit son gendre, Rüstem Pacha, à la place de grand-vizir.

  • 75 Voir note 69.

45Vers la fin de son règne, en 1562, il organisa le mariage de ses trois petites-filles, en une triple cérémonie d’une pompe extraordinaire75. L’étude de ces trois mariages est intéressante, parce qu’elle représente le schéma marital préférentiel : l’aînée épousa Sokollu Mehmed Pacha, à cette époque troisième vizir de la coupole, qui devint grand vizir peu après – et conserva ce poste pendant tout le règne de Selim II, son beau-père, puis pendant les premières années du règne de son fils et successeur, Murad III (1574-1595) ; la seconde épousa l’amiral de la flotte, Piyale Pacha – qui lui-même conserva cet office pour de longues années et eut une excellente carrière ; la troisième fut mariée au chef des janissaires, Çakırcı Hasan Pacha. En somme, par cette triple alliance, trois des plus importants offices du gouvernement étaient détenus par des gendres impériaux : Süleyman pouvait être tranquille, il avait assuré sa succession et la poursuite de son œuvre en choisissant personnellement le gouvernement de son fils.

46S’il fallait donner une conclusion au règne de Süleyman Ier, celle-ci consisterait à souligner avec quelle persistance, ce sultan suivit une même ligne politico-dynastique dans le cadre des alliances matrimoniales : le mariage des filles de sang ottoman avec des pachas, esclaves certes, mais dignitaires détenteurs des offices les plus élevés au sein du gouvernement. Cette ligne conductrice, qui fut reproduite de façon systématique jusqu’à la fin de l’Empire, avait deux conséquences : le cumul des honneurs pour les gendres impériaux – ce qui revenait à leur offrir le prestige, en sus de la puissance –, la proximité et la complexité des liens entre le sultan et le gendre, entre la dynastie et son élite.

Conclusion

47Le changement des pratiques matrimoniales concernant les membres féminins de la dynastie répondait à des objectifs de politique intérieure et extérieure. Ayant acquis le rang impérial, l’État ottoman se transforma profondément, œuvrant à mettre en place une monarchie de type absolutiste, centralisée et bureaucratique. L’évolution des structures internes de l’Empire se traduit par l’instauration de nouvelles pratiques matrimoniales au sein de la dynastie. La fin des alliances inter-dynastiques, de type endogamique, avec des familles régnantes musulmanes d’Anatolie a contribué à souligner la nouvelle puissance de la famille ottomane. De même, la fin des alliances internes avec des membres de l’élite militaire ou religieuse ottomane, constituée de grandes familles dont le pouvoir et l’influence menacent la puissance monarchique, a concouru à rabaisser le prestige et la grandeur de ces dernières.

  • 76 Leslie P. Peirce, The Imperial Harem…, op. cit., p. 106-107, 143.

48Toutefois, ces stratégies se conjuguèrent avec la montée en puissance d’un corps interne à l’empire : les kul du sultan. Les mariages des filles de sang avec des membres issus de cette nouvelle élite donnent à voir un pan de la politique monarchique ottomane, qui fit preuve d’un pragmatisme par ailleurs caractéristique de cette dynastie. Malgré le statut très inférieur de ces nouveaux gendres (devenu une qualité), les kul devinrent les candidats préférentiels pour l’accès à l’honneur du titre de dâmâd-i şehriyârî (gendre impérial), parce qu’ils répondaient à toutes les exigences des souverains ottomans de la fin du xve et du début du xvie siècle. La coutume faisant force de loi, cette nouvelle pratique s’inscrivit dans les règles dynastiques incontournables – le seul sultan de l’époque moderne qui tenta de s’en détourner, Osman II (1618- 1622) fut aussitôt destitué et assassiné76 !

49Le mariage des princesses ottomanes avec des esclaves devint l’une des particularités de la dynastie ottomane, qui ne manqua pas de surprendre les voyageurs occidentaux, tant elle contrastait avec leurs propres coutumes. Notons, pour conclure, que par delà les enjeux de suprématie de la dynastie ottomane, via ces alliances avec ses kul, il y aurait lieu de réfléchir à une autre dimension engendrée par cette pratique matrimoniale : quelles en furent les conséquences sur le modèle familial et les relations conjugales, très fortement influencés par la nature hypogamique de ces unions ?

Annexes

Annexe

Annexe 1. Les mariages des filles de Murad Ier (1362-1389)

Annexe 1. Les mariages des filles de Murad Ier (1362-1389)

Annexe 2. Les mariages des filles de Bayezid Ier (1362-1402)

Annexe 2. Les mariages des filles de Bayezid Ier (1362-1402)

Annexe 3. Les mariages des filles de Mehmed Ier (interrègne : 1402-1412 ; règne personnel : 1412-1420)

Annexe 3. Les mariages des filles de Mehmed Ier (interrègne : 1402-1412 ; règne personnel : 1412-1420)

Annexe 4. Les mariages des filles de Murad II (1420-1444 et 1446-1451)

Annexe 4. Les mariages des filles de Murad II (1420-1444 et 1446-1451)

Annexe 5. Les mariages des filles de Mehmed II (1444-1446 et 1451-1481)

Annexe 5. Les mariages des filles de Mehmed II (1444-1446 et 1451-1481)

Annexe 6. Les mariages des filles de Bayezid II (1481-1512)

Annexe 6. Les mariages des filles de Bayezid II (1481-1512)

Annexe 8. Les mariages de la fille et des petites-filles de Süleyman I (1520-66)

Annexe 8. Les mariages de la fille et des petites-filles de Süleyman I (1520-66)

Annexe 7. Les mariages des filles de Selim I (1512-20)

Annexe 7. Les mariages des filles de Selim I (1512-20)

Notes

1 Voir entre autres, Çağatay M. Uluçay, « II. Bayezid’in ailesi », Tarih Dergisi, no 10, 1959, p. 105-124 ; id., « Kanuni Sultan Süleyman ve Ailesi ile Ilgili Bazı Notlar ve Vesikalar », Kanuni Armağanı, Ankara, 1970, p. 227-258 ; id., Padişahların Kadınları ve Kızları, Ankara, 1974 ; Necdet Sakaoğlu, Bu Mülkün Kadın Sultanları. Valide Sultanlar, Hâtunlar, Hasekiler, Kadinefendiler, Sultanefendiler, Istanbul, Oğlak Bilimsel Kitaplar, 2008.

2 Voir notamment Joseph von Hammer, Histoire de l’empire ottoman depuis ses origines jusqu’à nos jours. 16 vol. 2e éd., Istanbul, Isis Press, 1993 ; Ismail H. Uzunçarşılı, Osmanlı Tarihi, 3 vol. Ankara, Türk Tarih, Kurumu, 1983 (4e éd.).

3 Ismail H. Uzunçarşılı, Osmanlı Devletinin Saray Teşkilâtı, Ankara, Türk Tarih Kurumu, 1988 ; Nicolas Vatin et Gilles Veinstein, Le Sérail ébranlé. Essai sur les morts, dépositions et avènements des sultans ottomans, xive-xixe siècle, Paris, Fayard, 2003 ; Mouradja D’Ohsson, Tableau général de l’empire ottoman, 7 vol., Paris, 1824.

4 Par complète, nous entendons une généalogie qui tienne compte également des femmes et de leurs descendants… La majorité des ouvrages sur la question se concentrent en effet sur la généalogie masculine et sur la succession ottomane.

5 Leslie P. Peirce, The Imperial Harem. Women and Sovereignty in the Ottoman Empire, New York, Oxford University Press, 1993 ; id., « The Family as Faction : Dynastic Politics in the Reign of Süleyman », dans Veinstein Gilles, Soliman le magnifique et son temps, Paris, 1992, p. 105-116.

6 Tülay Artan, « Royal weddings and the Grand Vezirate : Institutional and Symbolic Change in the Early 18th Century », dans Artan Tülay, Duindam Jeroen et Kunt Metin, Royal Courts and Capitals, Leyden, Brill, 2011, p. 339-399.

7 Ebru Turan, « The Marriage of Ibrahim Pasha (ca. 1495-1536). The Rise of the Sultan Süleyman’s Favorite to the Grand Vizierate and the Politics of the Elites in the Early Sixteenth-Century Ottoman Empire », Turcica, no 41, 2009, p. 3-36. Voir aussi sa thèse de doctorat : The Sultan’s Favorite : Ibrahim Pasha and the Making of the Ottoman Universal Sovereignty, PhD. Dissertation, University of Chicago, 2007.

8 Juliette Dumas, « Des esclaves pour époux… Réflexion sur les stratégies matrimoniales de la dynastie ottomane », dans Clio, Histoire, femmes et sociétés, n° 34, 2011, p. 255-275 ; ead., « Osmanlı Hareminden Fransız Sarayına : 16. Yüzyılda Osmanlı ve Fransız Prensesleri. 1 : Evlilik Manzaralı », Toplumsal Tarih, no 202, 2010, p. 77-83 ; ead., « Osmanlı Hareminden Fransız Sarayına : 16. Yüzyılda Osmanlı ve Fransız Prensesleri. 2 : Prenseslerin Değeri », Toplumsal Tarih, no 203, 2010, p. 76-81 ; « Les perles de nacre du sultanat. Les princesses ottomanes (mi-xve - mi-xviiie s.) », thèse de doctorat, EHESS, 2013.

9 Pour des études générales sur l’Empire ottoman depuis ses origines jusqu’à l’époque moderne, voir entre autres les ouvrages de Halil Inalcik, The Ottoman Empire, 1300-1600. The Classical Age, Phoenix Press, 2001 ; Suraiya Faroqhi et Donald Quataert, An Economic and Social History of the Ottoman Empire, Cambridge, Cambridge University Press, 1997 ; Caroline Finkel, Osman’s Dream : the Story of the Ottoman Empire, 1300-1923, Basic Books, 2006 ; Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 2005 ; Feridun M. Emecen, İlk Osmanlılar ve Batı Anadolu Beylikler Dünyası, Istanbul, Timaş, 2003.

10 Il existe un certain nombre de travaux importants sur la question des origines et de la naissance de l’État ottoman, aussi serait-il difficile de tous les citer. Cependant, certains ouvrages peuvent être consultés en premier lieu, tels que celui de Halil Inalcık, The Ottoman Empire…, op. cit. ; Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit. ; Paul Wittek, The Rise of the Ottoman Empire, Londres, 1938 ; Cemal Kafadar, Between Two Worlds : The Construction of the Ottoman State, Berkeley / Londres, University of California Press, 1995 ; Herbert Gibbons, The Foundation of the Ottoman Empire, Oxford, Oxford University Press, 1916 ; Irène Beldiceanu-Steinherr, « L’installation des Ottomans » dans Geyer Bernard et Lefort Jacques, La Bithynie au Moyen Âge, Paris, P. Lethielleux, coll. « Réalités Byzantines », no 9, 2003.

11 V. Gordlevski, Anadolu Selçuklu Devleti, Ankara, Onur Yayınları, 1988 ; Ibrahim Kafesoğlu et al., A History of the Seljuks : Ibrahim Kafesoğlu’s Interpretation and the Resulting Controversy. Carbondale, Edwardsville, 1988 ; Martin Strohmeier, Seldschukische Geschichte und türkische Geschichtswissenschaft : Die Seldschuken im Urteil moderner türkischer Historiker, Berlin, 1984.

12 Colin Imber, « The Legend of Osman Gazi », dans Zachariadou Elisabeth, The Ottoman Emirate (1300-1389), Réthymnon, Crete University Press, 1993, p. 67-76 ; id., « The Ottoman Dynastic Myth », Turcica, no 19, 1987, p. 7-27 ; Halil Inalcık, « Osman Ghazi’s Siege of Nicaea and the Battle of Bapheus », dans Zachariadou E., the Ottoman Emirate…, op. cit., p. 77-100.

13 Pour une bibliographie sur les autres beylicats d’Anatolie, voir notamment Paul Lemerle, L’Émirat d’Aydin. Byzance et l’Occident. Recherches sur « La Geste d’Umur Pacha », Paris, PUF, 1957 ; Y. Yücel, Anadolu Beylikleri Hakkında Arastırmaları : Coban-oğulları Beyliği, Candar- oğulları Beyliği, Mesalikü’l-ebsar’a Göre Anadolu Beylikleri, Ankara, Türk Tarih Kurumu, 1991 ; Mustafa Ç. Varlik, Germiyanogullari Tarihi (1300-1429), Ankara, AÜ Edebiyat Fakültesi Yayınları, 1974.

14 Irène Beldiceanu-Steinherr, « La conquête d’Andrinople par les Turcs : la pénétration turque en Thrace et la valeur des chroniques ottomanes », Travaux et Mémoires du Centre d’Histoire et Civilisation de Byzance, no 1, 1965, p. 439-61 ; ead. « La vita de Seyyid `Ali Sultan et la conquête de la Thrace par les Turcs », dans Sinor Denis, Proceedings of the 27th International Congress of Orientalists, Wiesbaden, O. Harrassowitz, 1971, p. 275-276.

15 Beatrice F. Manz, The Rise and Rule of Tamerlane, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.

16 Si de nombreuses études ont été faites sur le règne de Mehmed II, l’ouvrage de Franz Babinger, Mehmed the Conqueror and His Time, en propose une synthèse utile, Hickman H. (trad.), Princeton Univ. Press, 1978.

17 Sur le règne de Selim Ier, consulter notamment Irène Beldiceanu-Steinherr, « Le règne de Selim Ier : tournant dans la vie politique et religieuse de l’empire ottoman » Turcica no 6, 1975, p. 34-48.

18 « tête rouge », en référence aux bonnets rouges qu’ils portaient.

19 Les Kızılbaş furent vaincus, mais pas anéantis : Şah Ismail réussit à s’échapper et ses successeurs demeurèrent une menace et un problème constant pour les Ottomans tout le long de leur frontière orientale. Pour les relations et tensions entre ces trois puissances voir Jean-Louis Bacqué-Grammont, Les Ottomans, les Safavides et leurs voisins, 1500-1524, Istanbul, Isis Press, 1987. Concernant la conquête de l’Égypte, voir Benjamin Lellouch, Les Ottomans en Égypte. Historiens et conquérants au xvie siècle, Paris / Louvain / Dudley MA, Peeters, 2006 ; id. et Nicolas Michel, Conquête ottomane de l’Égypte (1517). Arrière-plan, impact, échos, Leyde, Brill, 2013.

20 Les travaux sur le règne de Süleyman Ier sont innombrables. Citons entre autres celui d’André Clot, Suleiman the Magnificent, New Amsterdam, 1992 ; Christine Woodhead et Metin Kunt, Süleyman the Magnificent and his Age : the Ottoman Empire in the Early Modern World, Longman, 1995 ; Gilles Veinstein, Soliman le Magnifique et son temps, op. cit.

21 Nicolas Vatin et Gilles Veinstein, Le Sérail ébranlé…, op. cit., p. 81-251 ; İsmail H. Uzunçarşılı, Saray Teşkilâtı…, op. cit., p. 108-145.

22 Le système de division du territoire, pratiqué par la majorité des dynasties régnantes musulmanes voisines des Ottomans, entraînait également de nombreuses guerres fraternelles, qui se profilaient sur le long terme. Leur effet déstabilisateur était particulièrement néfaste pour le souverain en titre, puisque chaque prince pouvait prendre la tête d’une coalition tantôt alliée, tantôt opposée à son autorité, créant ainsi de véritables forces coercitives au sein même de l’État.

23 Pour une étude comparative des stratégies matrimoniales des membres masculins et féminins de la famille ottomane, voir Juliette Dumas, Des esclaves pour époux…, op. cit. Voir également İsmail H. Uzunçarşılı, Saray Teşkilâtı…, op. cit. ; A. D. Alderson, The Structure of the Ottoman Dynasty, Oxford, Clarendon Press, 1956.

24 Juliette Dumas, Des esclaves pour époux…, op. cit.

25 En turc comme en ottoman, l’écriture correcte de ce mot est « sultan ». En effet, ces deux langues ne font pas de différence de genre, comme le français. Toutefois, dans notre langue, cela porterait à confusion avec le terme de sultan (communément employé dans un sens masculin). Nous suivons ainsi la traduction des orientalistes, qui donnaient aux princesses ottomanes une version féminisée du titre : sultane (sultana, parfois).

26 Ismail H. Uzunçarşılı, Saray Teşkilâtı…, op. cit., p. 159. La traduction du texte est du fait de l’auteure.

27 Voir les arbres généalogiques : annexes 1, 2, 3 et 4.

28 Tous les souverains ottomans, depuis Orhan jusqu’à Mehmed II, épousèrent des princesses chrétiennes. Orhan initia la pratique en épousant la fille de Jean VI Cantacuzène, Théodora : Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., t. 1 p. 99, 110-111. Bayezid Ier épousa la fille de Lazar, roi de Serbie, Maria : Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., t. 1 p. 163, 173, t. 2 p. 50, 53 ; Mevlânâ Mehmed Neşrî, Cihânnümâ, Özturk, N., Çamlıca H. (éd.), Istanbul, 2008, p. 150-151. Murad II épousa la fille du despote de Serbie, Georges Branković : Théodore Spandounès, On the Origin of the Ottoman Empire, Nicol Donald M. (éd.). Cambridge University Press, 1997 : 31 ; 38-39 ; 48 ; Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman : t. 2 p. 140, 141, 142, 180 ; Mevlânâ Mehmed Neşrî, Cihânnümâ, op. cit., p. 261, 277-278, 283-284. En dernier lieu, Mehmed II épousa Hélène Paléologue, fille de Démétrius, Despote du Péloponnèse : Theodore Spandounès, On the Origin of the Ottoman Empire, op. cit., p. 38. Voir également Anthony Bryer, « Greek Historians on the Turks : The Case of the First Byzantine-Ottoman Marriage », dans Davis R.H.C. et Wallace-Hadril J.M., The Writing of History in the Middle Ages : Essays Presented to Richard William Southern, Oxford, Clarendon Press, 1981, p. 471-493 ; Mihailo Popović, Mara Branković, Eine Frau zwischen dem christlichen und dem islamischen Kulturkreis im 15. Jahrhundert, Mainz, Ruhpolding / Wiesbaden, Rutzen / Harrassowitz, 2010.

29 L’inhumation des membres de la dynastie, pour ne prendre que cet exemple, révèle la pérennité de pratiques non-musulmanes d’origine turcomane, cf. Nicolas Vatin et Gilles Veinstein, Le Sérail ébranlé…, op. cit., p. 394-442.

30 Sur l’histoire des Aydınoğlu : Himmet Akın, Aydınoğulları Tarihi Hakkında bir Araştırma, Ankara, Ankara Üniversitesi Yayınevi, 1968.

31 Oruz Hatun, fille de Bayezid Ier, aurait ainsi épousé un petit-fils de Timur Land (appelé tantôt Mehmed Sultan, tantôt Ebubekir Mirza) : Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., t. 2, p. 53 ; Necdet Sakaoğlu, Bu Mülkün Kadın Sultanları…, op. cit., p. 75.

32 Il s’agit des mariages des filles de Mehmed Ier : Selçuk Hatun, qui épousa Isfendiyaroğlu Ibrahim Bey et Sultan (?) Hatun, qui épousa Kasım Bey, le frère du précédent : Necdet Sakaoğlu, Bu Mülkün Kadın Sultanları…, op. cit., p. 78-87, 88. Un dernier exemple d’union entre ces deux familles apparaît encore sous le règne de Murad II, avec sa fille, Hafsa Hatun, mariée semble-t-il au fils du susmentionné Kasim Bey, Kaya Bey : id., p. 106.

33 Les unions entre la famille ottomane et les Karamanoğlu furent initiées par le mariage de la fille de Murad Ier, Nefise Melike Hatun, puis poursuivies avec celui de trois des sept filles de Mehmed Ier, Ilaldi et deux autres (dont le nom n’est pas confirmé par les sources). Pour la première, voir Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmanî, Istanbul, Tarih Vakfı Yurt Yayınları, 1996, t. 1 p. 31 ; Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., t. 1 p. 149-150 ; Johanne Schiltberger, Captif des Tatars, Rollet J. (éd.), Toulouse, Anacharsis, 2008, p. 41-44. Mevlânâ Mehmed Neşrî, Cihânnümâ…, op. cit., p. 107-108 ; Necdet Sakaoğlu, Bu Mülkün Kadın Sultanları…, op. cit., p. 52-58. Pour les trois autres, voir Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., t. 2, p. 141, 147-148 ; Mevlânâ Mehmed Neşrî, Cihânnümâ…, op. cit., p. 257, 267, 292-293 et Necdet Sakaoğlu, Bu Mülkün Kadın Sultanları…, op. cit., p. 88.

34 À ce propos, on notera que la dynastie des Isfendiyaroğlu fut l’objet de mariages tantôt « différés », tantôt « restreints » (d’après le jargon des anthropologues). En effet, on relève un parallèle entre les alliances masculines et féminines tout à fait typique : le sultan ottoman prenait pour épouse une fille isfendiaride et donnait en échange une fille ottomane à un souverain de cette dynastie. Ce type d’alliances croisées relève d’une volonté de renforcement des liens entre deux familles, sur une base non seulement amicale, mais aussi égalitaire. Sur la question de la parenté, voir Laurent Barry, La parenté, Paris, Gallimard, 2008.

35 Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., t. 2 p. 52, 177 ; Necdet Sakaoğlu, Bu Mülkün Kadın Sultanları…, op. cit., p. 69-74. On pourrait également citer l’exemple du mariage d’Hafsa Hatun, fille de Mehmed Ier, avec Mahmud Çelebi, descendant de la très puissante famille des Çandarlı : Mevlânâ Mehmed Neşrî, Cihânnümâ…, op. cit., p. 257, 267, 292-293 ; Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., t. 2, p. 122, 146-149, 176.

36 D’après les chroniques telles que celle d’Aşıkpaşazade, Bayezid Ier aurait été influencé dans son comportement et ses manières par sa femme chrétienne Maria, fille de Lazar, au point de se mettre à boire et à banqueter sans cesse – agissant de façon contraire à la religion musulmane dans le premier cas, à l’idéal guerrier turc, dans le second : Aşıkpaşazade, Die Altosmanische Chronik des Aşıkpaşazade, F. Giese (éd.), Leipzig, 1929. Voir Leslie P. Peirce, The Imperial Harem…, op. cit., p. 32.

37 Nicolas Vatin, « L’ascension des Ottomans » dans Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., p. 37-80 et Irène Beldiceanu-Steinherr, « L’organisation de l’Empire ottoman, xve-xvie siècle », dans Mantran Robert, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., p. 117-138.

38 Pour une étude de la vision occidentale de la monarchie absolue ottomane, voir Lucette Valensi, Venise et la Sublime Porte. La naissance du despote. Réédition, Hachette, 2005.

39 Ismail H. Uzunçarşılı, Anadolu Beylikleri ve Akkoyunlu, Karakoyunlu Devletleri, Ankara, 1937. John E. Woods, The Aqquyunlu : Clan, Confederation, Empire, Minneapolis - Chicago, 1976.

40 L’explication la plus plausible serait qu’une telle alliance aurait probablement été interprétée comme un signe de soumission, du moins une reconnaissance du pouvoir des Mamelouks, ce qui allait à l’encontre avec l’idéologie ottomane mise en place par Mehmed II.

41 Ou éventuellement celle des khans de Crimée – des vassaux de l’Empire ottoman, soit de statut inférieur à la dynastie ottomane, cf. Leslie P. Peirce, The Imperial Harem…, op. cit., p. 29.

42 Voir l’arbre généalogique : annexe 5.

43 Leslie P. Peirce, The Imperial Harem…, op. cit., p. 37-39.

44 Ibid., p. 29-30.

45 Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmanî…, op. cit., t. 1 p. 15 ; Necdet Sakaoğlu, Bu Mülkün Kadın Sultanları…, op. cit., p. 132-133.

46 John E. Woods, The Aqquyunlu…, op. cit.

47 En effet, les Akkoyunlu ne pratiquaient pas la même règle de succession que les Ottomans : non seulement tous les descendants héritaient d’une part de l’héritage paternel à la mort de celui-ci – ce qui entraînait une division du territoire dynastique à chaque succession ; mais en plus, les femmes jouaient officiellement un rôle dans la transmission de la souveraineté. Mehmed II avait donc toutes les raisons de croire que le mariage de sa fille pouvait assurer de très bonnes chances d’expansion territoriale, à court ou moyen terme, à condition que son gendre s’empare du trône. Pour une bonne synthèse de la dynastie akkoyunlu, voir John E. Woods, The Aqquyunlu…, op. cit. L’alliance fut d’ailleurs renouvelée à la génération suivante : la fille d’Uğurlu Mehmed et de Gevherhan Sultane, « Göde » Ahmed Mirza, épousa une fille de Bayezid II. cf. Juliette Dumas, Les perles de nacre..., op. cit., p. 131, 133, 481, 483.

48 Necdet Sakaoğlu, Bu Mülkün Kadın Sultanları…, op. cit., p. 105 ; Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., t. 2 p. 198, 211-212.

49 Voir l’arbre généalogique de ce sultan, annexe 6.

50 Ebru Turan, The Marriage of Ibrahim Pasha…, op. cit., p. 22-23.

51 Le devşirme, en turc. Il existe une bibliographie conséquente sur le sujet, voir en particulier Vassilis Demetriades, « Some Thoughts on the Origins of the Devsirme », dans Zachariadou E., the Ottoman Emirate…, op. cit., p. 23-34 ; Victor L. Ménage, « Some Notes on the Devshirme », Bulletin of the School of Oiental and African Studies, no 29, 1966, p. 64-78.

52 Abdülkadir Özcan, « Dukakinzâde Ahmed Paşa », Türkiye Diyanet Vakfı İslam Ansiklopedisi, vol. 9, p. 550-551.

53 Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 27.

54 Il s’agit de la fille née de l’union de Güveyi Sinan Pacha, gouverneur d’Anatolie, et d’Ayşe Sultane, fille de Bayezid II : Leslie P. Peirce, The Family as Faction…, op. cit. ; Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 25-26.

55 Également appelée Gevherimülûk : Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 26-27 ; Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmânî…, op. cit., p. 15.

56 Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 28.

57 Ibid. Mehmed Süreyya lui dédie une notice, mais sans mentionner son mariage : Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmânî…, op. cit., p. 38.

58 Voir note 56. Avant de devenir pacha et au moment de son mariage, Dukakinzade Mehmed était un simple bey, fils de pacha.

59 Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 25-26.

60 Ibid., p. 27 ; Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmânî…, op. cit., p. 16 : ne mentionne aucun de ses mariages.

61 Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 28.

62 Voir les arbres généalogiques des deux souverains, annexes 6 et 7.

63 Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 32.

64 Elle divorça lorsque celui-ci se détourna totalement d’elle pour laisser libre cours à son penchant homosexuel. Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 31 ; Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmânî…, op. cit., p. 13.

65 Ebru Turan, The Marriage of Ibrahim Pasha…, op. cit., p. 24-35 ; Hedda Reindl, Männer um Bâyezîd : Eine Prosopographische Studie über die Epoche Sultan Bayezids II (1481-1512), Berlin, 1983, p. 129-146 ; Şerafettin Turan, « Hersekzâde Ahmed Paşa », Türkiye Diyanet Vakfı İslâm Ansiklopedisi, vol. 17, p. 235-237.

66 Notons qu’Ebru Turan propose une vision différente de la relation entre le sultan Selim Ier et ses gendres : Ebru Turan, The Marriage of Ibrahim Pasha…, op. cit.

67 Il s’agit notamment de Ferhad Pacha, l’époux de sa sœur Beyhan : Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., t. 5, p. 31, 67-68 ; Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit. p. 31 ; de Lutfi Pacha, l’époux de sa sœur Chah Sultane : Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., t. 5, p. 151 ; Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 32-33 ; Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmânî…, op. cit., p. 42 et de Kara Ahmed Pacha, le second époux de sa sœur Fatma Sultane : Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmânî…, op. cit., p. 13 ; Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 31.

68 Rüstem Pacha, époux de sa fille Mihrimah Sultane : Joseph von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman…, op. cit., t. 5, p. 151-152 ; Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit. p. 38-39 ; Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmânî…, op. cit., p. 25-26.

69 Il s’agit d’Ismihan, Gevherhan et Chah, qui épousèrent respectivement Sokollu Mehmed Pacha, Piyale Pacha et Çakırcıbaşı Hasan Pacha. Çağatay M. Uluçay, Padişahların Kızları…, op. cit., p. 40-42 ; Mehmed Süreyya, Sicill-i Osmânî…, op. cit., p. 15, 19, 43. Pour un commentaire sur la triple cérémonie, voir Leslie P. Peirce, The Imperial Harem…, op. cit., p. 68.

70 C’est le cas notamment de Lutfi Pacha, qui exerçait en poste à Yahnya avant d’être rappelé par son beau-frère ; il devint plus tard grand vizir. Kara Ahmed Pacha, autre beau-frère du sultan, fut aussi amené à devenir son grand vizir ; de même que l’époux de sa fille, Rüstem Pacha.

71 Ebru Turan, The Marriage of Ibrahim Pasha…, op. cit.

72 Voir note 67.

73 Voir note 68.

74 Voir note 67.

75 Voir note 69.

76 Leslie P. Peirce, The Imperial Harem…, op. cit., p. 106-107, 143.

Table des illustrations

Titre Annexe 1. Les mariages des filles de Murad Ier (1362-1389)
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Titre Annexe 2. Les mariages des filles de Bayezid Ier (1362-1402)
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Titre Annexe 3. Les mariages des filles de Mehmed Ier (interrègne : 1402-1412 ; règne personnel : 1412-1420)
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Titre Annexe 4. Les mariages des filles de Murad II (1420-1444 et 1446-1451)
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Titre Annexe 5. Les mariages des filles de Mehmed II (1444-1446 et 1451-1481)
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Titre Annexe 6. Les mariages des filles de Bayezid II (1481-1512)
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Titre Annexe 8. Les mariages de la fille et des petites-filles de Süleyman I (1520-66)
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Titre Annexe 7. Les mariages des filles de Selim I (1512-20)
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CETOBAC

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