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La forge à la catalane dans les Pyrénées ariégeoises

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Jean Cantelaube

Troisième partie. Survie ou disparition de la forge à la catalane ?

Chapitre II. Existe-t-il des solutions techniques pour pérenniser la forge à la catalane ?

Texte intégral

1Durant la longue période de la toute-puissance de la forge à la catalane, jusque dans les années 1857-1858, le procédé direct n’a jamais été radicalement remis en question. Il s’agissait seulement d’effectuer avec beaucoup plus de soins le traitement post-réduction du métal afin de lui donner une qualité plus homogène, une forme plus conforme aux désirs des acheteurs, plus facile et plus économique à travailler et une présentation plus favorable à la cémentation. La question qui se pose à l’orée des années 1860 est de savoir s’il est techniquement et économiquement raisonnable de continuer à utiliser le traitement direct. Pour donner une réponse documentée et nuancée à cette interrogation, il est nécessaire, dans un premier temps, de faire un retour en arrière vers les années 1830-1840 pour connaître l’opinion du milieu métallurgique sur la forge à la catalane, d’en repérer les inflexions éventuelles. Puis, à la lumière des informations recueillies, poser la question de l’avenir de cette forge de réduction directe à la fin d’une décennie qui l’a vue battre son record de production.

A/ Le système direct et la modernité au milieu du xixe siècle

  • 1 Puddlage : la fonte est décarburée dans un four où le carbone et les impuretés sont brûlés dans une (...)

2Une étape importante de l’histoire de la sidérurgie française se joue au milieu du XIXe siècle. Entre 1841 et 1860, la production de fer et de fonte double. Les nouvelles méthodes de fabrication, confortées par la demande toujours croissante des chemins de fer et de la marine, exigent la concentration, alors que l’extension du marché et le développement des voies de communication facilitent cette restructuration. Pour des questions de volume et de spécificité technique, les nouvelles productions ne peuvent être réalisées que par de grandes entreprises. Dans les années 1825, époque à laquelle les procédés anglais se sont bien implantés en France, la presque totalité du fer et de la fonte est fabriquée au charbon de bois. D’après le rapport de Héron de Villefosse, il y a alors en France 379 hauts fourneaux en activité, dont quatre seulement marchent au coke. Il existe de plus « huit hauts fourneaux appliqués à la fonte d’acier » dans l’Isère et 130 forges catalanes dans les départements du sud, 40 foyers sont éteints et 60 en construction. Le nombre de feux d’affinerie où l’on brûle exclusivement du charbon de bois est de 1 125. Toujours en 1825, il a été manufacturé 110 528 tonnes de fer forgé, soit 44 200 tonnes avec de la houille, 56 954 tonnes avec du charbon de bois, au total 101154 tonnes de fer en barres auxquelles il faut ajouter 9 374 tonnes produites par les forges catalanes, 8,48 % de la production totale. Si l’on compare les statistiques des usines à fer dressées par l’administration des Mines pour les années 1846 et 1856, on constate que le nombre de hauts fourneaux au bois demeure pratiquement stable, que celui des hauts fourneaux au coke et à la houille a plus que doublé et que celui des hauts fourneaux au combustible mixte (houille et bois) s’est accru de 35. Le nombre des forges catalanes a diminué, ainsi que le nombre des foyers d’affinerie, tandis que celui des fours à puddler a plus que doublé1.

usines

1846

1856

hauts fourneaux au charbon de bois

368

385

hauts fourneaux au coke

55

120

hauts fourneaux mixtes

51

86

total

474

591

forges catalanes et corses

100

93

foyers d’affinerie

705

606

fours à puddler

456

931

fours à réchauffer

637

897

cubilots

471

594

fours à réverbère

61

41

Évolution du nombre des différents types d’usines sidérurgiques en France entre 1846 et 1856

  • 2 J. Percy, Traité complet de métallurgie, op. cit., tome I, p. LXXXII-LXXXIV.

3Le fer au bois, selon Percy, professeur à l’École des Mines de Londres, n’aurait pas pu résister à la concurrence redoutable des fers à la houille produits en grandes quantités et à meilleur prix, si l’on n’avait pas apporté des changements radicaux dans les procédés de fabrication2. Le plus important est l’affinage à la houille des fontes au charbon de bois dans des usines spéciales. Ce système a permis une diminution du prix de 70 francs en 1825 à 27 francs vers 1860 pour le fer au bois, et de 52 à 22 francs pour le fer à la houille, sans nuire à la qualité supérieure des fers au bois. C’est dans ce contexte national que travaille la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises. Le constat, déjà ancien, de l’archaïsme du procédé direct devient récurrent et enfle tout au long de ce XIXe siècle malgré la puissance de la sidérurgie à la catalane. Il est certain que sa marche chaotique constitue un symptôme préoccupant derrière des apparences plus brillantes. La métallurgie pyrénéenne connaît une sorte de dichotomie entre une condamnation intellectuelle et scientifique au nom de la modernité et du progrès, et les réalités d’une industrie forte grâce à un système technique efficace dans un écosystème montagnard.

1/ De « la tentation catalane » à la stigmatisation pour archaïsme

  • 3 J.-H. Hassenfratz, La Sidérotechnie, op. cit., tome I, p. 16.
  • 4 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., 1777, tome IV, p. 169-170.
  • 5 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., p. 132-134, 147.

4Le « mythe catalan » est à l’origine de « la tentation catalane » que connaît la France dans les dernières décennies du XVIIIe et les premières du XIXe siècle. Le sentiment général de cette époque est donné, en 1812, par Jean-Henri Hassenfratz, le très influent professeur de l’École des Mines de Paris : « Quiconque voudrait introduire dans les Pyrénées, la méthode des hauts fourneaux, qui est généralement adoptée ailleurs, ferait rétrograder l’art au lieu de le perfectionner. Il y a donc des circonstances où la méthode des anciens [c’est-à-dire l’usage des bas fourneaux] doit être suivie de préférence à celles qui ont été nouvellement introduites »3. Mais, au milieu de cette euphorie à la catalane, des voix discordantes, peu nombreuses, se font entendre. Celle catégorique de Genssane, celles plus nuancées de Dietrich, de Dralet ou encore celle de Héron de Villefosse qui se place sur le plan général de la réduction directe dans son ensemble. Pour ces techniciens, l’avenir est au haut fourneau au coke, à l’imitation de ce qui se fait en Angleterre. Genssane, auteur d’un traité sur la fonte des minerais avec le charbon de terre, fort de ses expériences de technicien, prend le contre-pied exact de la démonstration de Tronson du Coudray, « après avoir comparé et examiné à fond cette matière, je trouve que, proportion gardée, à la quantité de fer qui en provient, il n’en coûte pas plus de charbon dans une forge à haut fourneau par la voie des gueuses, que dans une forge catalane ». Logiquement, il demande alors ce qui pourrait empêcher de substituer les hauts fourneaux aux fourneaux catalans. Tous les types de minerais de fer pourraient ainsi être utilisés, « car il ne serait plus question alors que d’observer les proportions dans les mélanges ». Si on lui objecte que les minerais du Roussillon, du comté de Foix et du haut Languedoc ne sauraient être traités par le haut fourneau, il répond qu’il suffit d’observer les fontes qui proviennent du haut fourneau de Figuières en Catalogne pour être persuadé que l’on ne « peut en obtenir de plus parfaites ». Or, elles proviennent de minerais de même nature que ceux utilisés dans les forges à la catalane4. Dralet, qui n’est pas métallurgiste mais forestier, est à l’origine du projet de construction d’un haut fourneau à Engomer, autorisé le 21 octobre 1808, dans le but de consommer sur place les charbons de bois du Couserans5.

  • 6 A. Thépot, Les Ingénieurs des Mines du XIXe siècle, op. cit., p. 108.
  • 7 A. M. Héron de Villefosse, De la richesse minérale, op. cit., tome III, p. 395-397, 423.

5Héron de Villefosse, « le véritable Pape du Corps » des Mines6, constate d’abord, dans son ouvrage de 1819, que la simplicité des forges catalanes rappelle les premiers essais des forgerons. Il emploie l’expression « forge catalane » comme synonyme de forge de réduction directe quel que soit le procédé mis en œuvre, et les qualifie de « feux de loupe ». On reproche, ajoute-t-il, à ces forges de consommer trop de combustible, de n’être applicables qu’aux minerais riches, faciles à traiter, et d’entraîner une perte considérable de métal. Il considère que c’est pour ces raisons que les feux de loupe ont été abandonnés, « presque partout où l’on en retrouve des traces ». Il ajoute que « peut-être aussi n’a-t-on substitué d’autres fourneaux aux feux de loupe, que pour obtenir de la fonte de fer, que ceux-ci ne donnent qu’accidentellement ». Mais, « à côté des inconvénients qu’on peut leur reprocher, les forges catalanes paraissent offrir des avantages importants, et surtout dans certaines localités. On y obtient du fer de très bonne qualité, au moyen d’un établissement peu dispendieux, sans courir les risques d’une grande entreprise ». Cela, cependant, ne justifie en rien la généralisation des forges de réduction directe : « quand même l’emploi des forges catalanes devrait offrir partout une économie réelle de minerais et de combustibles, il est d’autres considérations qui s’opposeraient à ce qu’on les substituât généralement aux autres procédés, comme quelques auteurs en ont émis le vœu ». Il estime que la multiplication de petites forges de réduction directe le long des cours d’eau situés à proximité des mines et des bois serait limitée par le manque d’espace. De plus, cette multitude d’usines « devraient être continuellement en activité pour remplacer des fourneaux de fusion, dont le travail se borne à une partie de l’année, et des affineries qui sont susceptibles d’employer les eaux alternativement avec eux, sur un espace peu étendu ». Or, là est le point crucial, quel que soit « le résultat technique de l’emploi des forges catalanes dans certaines contrées, il ne serait pas possible de se procurer par ce procédé, les quantités de fer qu’on obtient annuellement » par la méthode indirecte. C’est pourquoi Héron de Villefosse n’est pas étonné de voir « l’emploi des forges catalanes restreint à de certaines contrées où ne manquent ni l’emplacement ni les chutes d’eau, et où la production est bornée »7.

  • 8 Arch. dép. Ariège, 138 S 28, Cabre, août 1825.
  • 9 Arch. dép. Ariège, 138 S 6, forge de Junac, juillet 1824.
  • 10 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, canton de Tarascon, 1832.
  • 11 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, 31 octobre 1839.
  • 12 Arch. dép. Ariège, 15 M 21, canton de Tarascon.

6Dès le début des années 1820, une opinion, qui peut être qualifiée de nouvelle, s’installe solidement dans les Pyrénées ariégeoises elles-mêmes. « L’industrie des fers semble avoir reçu dans l’Ariège, toute l’extension dont elle y est susceptible, avec les méthodes qui y sont suivies ». La conséquence de cette affirmation est immédiatement tirée : « d’ailleurs l’adoption sur divers points du royaume et aux portes de l’Ariège, de méthodes économiques pour la fabrication des fers, doit ce semble faire prévoir dans un avenir assez prochain l’annulation des méthodes suivies dans ce département »8. L’allusion au développement de moyens de fabrication plus économiques montre bien que le problème est clairement posé en termes de concurrence commerciale. Plus grave, lorsque les industriels restent fidèles à la méthode à la catalane, et « s’ils ne se hâtent de s’emparer des découvertes nouvelles », la situation deviendra dramatique, « par une suite fatale à ce pays, la perte pour lui de l’industrie du fer et la ruine des maîtres de forges »9. L’analyse se fait plus précise dans les années 1830. Certes, la situation critique des forges de l’Ariège en 1832 facilite la prise de conscience des déficiences de la méthode à la catalane, au point que nombre de commentateurs ressentent un « sentiment de crainte » lorsqu’ils songent à « l’avenir industriel »10. Mais le constat dépasse la conjoncture du moment, le mal est plus profond, il s’agit de « l’accroissement journalier que prennent les forges à l’anglaise dont les produits remplacent déjà sur beaucoup de points ceux des forges à la catalane, seules en usage dans [nos] montagnes ». Cette concurrence, en particulier celle du Périgord, des Landes, celle plus proche de Bruniquel, et celle plus lointaine de la Corse et de l’Angleterre, risque d’entraîner des réductions du prix du métal que la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises ne pourra supporter qu’avec difficulté, surtout si elle est « délaissé[e] à [ses] propres efforts »11. Les années 1840 ne font que confirmer l’appréciation née dès la décennie 1820, avec, véritable révolution culturelle, un authentique désir d’agir. L’enquête sur le travail de 1848 affirme que « la décadence » des forges à fer tient à « leur état d’immobilité dans le mode de fabrication ». Ce mode, connu sous le nom de procédé à la catalane, « n’a pas fait un pas vers l’amélioration ». Ainsi s’explique que les usines ariégeoises ne puissent pas « supporter une concurrence avec les fabriques à haut fourneaux soit du reste de la France soit de l’étranger »12.

  • 13 E. Latheulade, Coup d’œil sur le département de l’Ariège, Toulouse, 1847, p. 112.
  • 14 T. Benazet, Des intérêts ariégeois, Paris, P.Renouard, 1842, p. 35.
  • 15 E. Latheulade, Coup d’œil sur le département de l’Ariège, op. cit., p. 116.
  • 16 T. Benazet, Des intérêts ariégeois, op. cit., p. 38.
  • 17 H. Boucoiran, Ariège, Andorre et Catalogne, Paris, chez Giraud, 1854, p. 123, 130.

7Il existe une autre façon, plus littéraire, de présenter l’opinion de certains sur la forge à la catalane. La simplicité de la méthode à la catalane devient le signe de son caractère primitif et de son obsolescence. Les observateurs insistent sur son caractère archaïque en la repoussant le plus loin possible dans le temps, « c’est comme il y a mille ans »13, « avec un fourneau d’une forme si ancienne qu’on en ignore l’origine, avec ces ouvriers qui travaillent encore comme travaillaient leurs ancêtres il y a vingt générations »14. Ou en utilisant des comparaisons très dépréciatives, « une méthode… qui relève de l’enfance de l’art »15, « ce procédé qui n’a probablement subi aucune modification importante depuis plusieurs siècles avant l’ère chrétienne, ce procédé qu’on est si porté à appeler barbare, tant ses moyens semblent grossiers »16, et encore, quelques années plus tard, « le voyageur… sourira… dédaigneusement en voyant l’industrie du fer traitée ici presque comme un jeu d’enfant… C’est encore tout ce que l’industrie présente de plus primitif », surtout s’il a visité auparavant les « gigantesques établissements du Creusot, de Decazeville ou d’Alais ». Il faut remplacer ces petites forges par des « usines… mises… au niveau des progrès actuels de la science »17. Cette condamnation de la forge à la catalane renseigne, en creux, sur la perception que les contemporains ont de l’industrie au milieu du XIXe siècle. Pour eux, plus ou moins consciemment, l’industrie est symbolisée par la grande usine aux vastes bâtiments, avec de hautes cheminées. Cette représentation contraste diamétralement avec la simplicité, la modestie des moyens et des quantités de matières premières mises en œuvre dans les forges de réduction directe qui symbolisent, elles, l’enfance de l’industrie. Ainsi, l’opprobre est jetée sur la forge à la catalane.

2/ Le constat : faiblesse et obsolescence

  • 18 Arch. dép. Ariège, 15 M 21, enquête sur le travail agricole et industriel ; T. Benazet, Des intérêt (...)

8Il est impératif d’examiner les différents éléments de ce constat dans le détail. Les métallurgistes demeurent cependant d’accord sur un point, le fer obtenu en une seule opération est supérieur à celui « qui a passé par les plus savantes manipulations modernes ». Les fers à la catalane bénéficient alors de l’air du temps qui affirme que les fers au bois sont supérieurs aux fers traités à la houille. Il n’en reste pas moins certain pour la plupart des techniciens que la forge à la catalane souffre de plusieurs maux. Le premier travail consiste à bien distinguer les faiblesses structurelles des aléas de la conjoncture. On reproche au système à la catalane d’employer un combustible trop coûteux. De plus, la houille qui sert à transformer le fer en acier et à réchauffer le métal pour le travail sous le martinet est trop chère à cause des frais de transport. Lors de la réduction, une énorme quantité de chaleur est perdue à cause de la forme du bas foyer. Cette opération ne donne que peu de fer par rapport au minerai employé et laisse trop de métal dans les scories. Certains métallurgistes vont jusqu’à dire que la teneur en métal des scories est bien souvent supérieure à la richesse des minerais exploités dans d’autres régions. Autre grave inconvénient, le feu ne traite que de trop faibles quantités à la fois. La persistance de ces déficiences s’explique par « le défaut de soin et d’amour de l’art », « l’inexpérience et l’inertie », « l’esprit d’antagonisme » des industriels ariégeois qui ont laissé la fabrication du fer « sans progrès, tandis que les usines à fer des autres contrées acceptent toutes les améliorations ». Cette passivité trouve son origine dans l’insuffisance du roulement des ateliers qui ne permet pas un approvisionnement en matières premières à des conditions avantageuses. L’attitude des maîtres de forges qui sont réduits « à la merci de leurs ouvriers » n’est pas contrebalancée par celle des forgeurs qui s’entêtent dans leur pratique et montrent de « l’aversion pour toute innovation ». Ce mal est d’autant plus grave que l’administration départementale n’encourage pas la sidérurgie avec assez de force18. Deux conclusions doivent être tirées, d’une part le gaspillage de chaleur entraîne une hausse de la consommation d’un combustible onéreux, d’autre part la main-d’œuvre a trop d’importance dans le déroulement et dans le résultat économique de la réduction. L’influence de « la main du forgeur » appartient à un ancien régime de la sidérurgie, c’est-à-dire est signe d’archaïsme. Ce décalage temporel contraste avec le désir de modernité qui transparaît dans les machines de l’usine à l’anglaise. À l’évidence, ces faiblesses de la forge à la catalane contribuent à élever le prix de revient du fer. Une rapide comparaison permet de prendre conscience de l’ampleur du problème. Au début des années 1840, le fer au bois se vend 45 francs et celui à la houille 35 francs rendus à Paris, alors que le fer à la catalane se vend jusqu’à 54 francs dans l’Ariège. Cette démonstration conduite par certains métallurgistes permet de mieux comprendre la grande sensibilité des fers à la catalane à la concurrence. Les soubresauts de la conjoncture confirment cette analyse. Lors de crises de mévente, les maîtres de forges ne disposent pas de réserves pécuniaires suffisantes pour attendre la reprise sans trop de dégâts. Le double mouvement des prix qui affecte la sidérurgie, hausse du prix du combustible et de la main-d’œuvre d’une part, baisse du prix du fer de l’autre, indique les limites entre lesquelles elle évolue. La marge de manœuvre dont elle dispose apparaît étroite et éclaire sa marche chaotique.

  • 19 T. Benazet, Des intérêts ariégeois, op. cit., p. 33.
  • 20 Le directeur des usines de Saint-Antoine, à messieurs les maîtres de forges…, op. cit.
  • 21 T. Benazet, Des intérêts ariégeois, op. cit., p. 41, 42-43.
  • 22 Arch. dép. Ariège, 138 S 9, Berdoulet.
  • 23 Arch. dép. Ariège, 102 S 218, Saint-Paul, usine de Saint-Antoine.
  • 24 M. Chevalier, Mémoire sur l’affinage du fer dans la vallée de Vicdessos, mémoire de l’élève ingénie (...)

9Pour les commentateurs les plus optimistes, le seul désavantage des Pyrénées ariégeoises pour le travail du fer est « le défaut de l’un des deux éléments principaux de la fabrication », la houille. Or, elles partagent ce handicap avec la France entière. En Ariège, en 1832, le charbon de Carmaux revient à environ 5 francs l’hectolitre, celui de la Loire, de La Grand-Combe (Gard) et de Graissessac (Hérault) coûte plus de 6 francs, alors que, à Paris, la houille de Mons (Belgique) ou d’Anzin (Nord) d’une qualité bien supérieure atteint rarement 3,50 francs. Conséquence, jugée « naturelle » par ces penseurs, de la cherté du charbon de terre et de l’augmentation de la consommation de combustible, une hausse du prix du charbon de bois. Resté longtemps stationnaire, il s’est élevé de 7,50 francs en 1833 à 9 et même 10 francs en 1842. La cherté et la rareté du charbon de bois sont une des « plaies des forges du département »19. Bon nombre de chroniqueurs pensent cependant que l’on continuera à fabriquer des fers à la catalane, malgré leur haut prix. Il n’existe donc aucune raison pour que les maîtres de forges changent de système de production. Ils doivent certes se tenir au courant de toutes les innovations afin de ne pas être surpris par « une grande rénovation dans l’art métallurgique ». Très concrètement, l’effort doit porter sur la présentation du métal. Une des solutions proposées est un mélange de conservatisme et d’esprit réformateur. Elle a en outre l’avantage d’être facilement applicable. Fort de la supériorité du métal à la catalane, on ne touche pas à la réduction du minerai proprement dite. Par contre, il est indispensable d’établir, à côté des forges, des « usines de haute manipulation, des ateliers de précision et jusqu’à des fabriques de machines ». Ainsi, « le plus grand accord règne entre l’industrie mère et les compléments, c’est-à-dire entre la forge et le laminoir »20. L’auteur de cette proposition est persuadé que « là est l’avenir ariégeois. Secours réciproque, concours des forges et des ateliers »21. Si une telle mesure est susceptible de sauvegarder la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises, il n’en reste pas moins vrai que les solutions pour être les plus efficaces dans la durée doivent impérativement prendre en compte l’amélioration du rendement de la forge de réduction elle-même puisqu’elle est la source du métal utilisé. Le 23 mars 1831, Garros demande l’autorisation de construire deux feux à la catalane dans son usine de Berdoulet parce qu’ils sont économiques pour produire des fers. Mais étirer le fer demande trop de travail et par conséquent trop de combustible. Dans la nouvelle façon de faire qu’il a mise au point, le massé est immédiatement passé au laminoir et livré au commerce. Les fers ariégeois ne pourront plus « éprouver le reproche » d’être mal fabriqués, ce qui facilitera leur commercialisation22. Mais l’exemple le plus emblématique de ce courant réformateur est l’usine de Saint-Antoine où « le travail du fer et des aciers au laminoir » a été introduit, pour la première fois, dans les Pyrénées ariégeoises en 1838. Cette usine nouvelle a fait naître des inquiétudes car certaines personnes craignaient que les fers laminés concurrencent les fers parés au martinet et que la main-d’œuvre soit réduite. Les créateurs de Saint-Antoine désirent passer le fer à la catalane sous les cylindres du laminoir pour lui donner de plus belles formes. Les aciers à ressort et les fers corroyés de cette usine, sous forme de feuillards et de bandage, sont très appréciés dans le commerce. Le ministre des Travaux Publics émet le souhait que « le succès de ces premières espérances amènera sans doute une importante révolution dans les forges des Pyrénées, et le temps n’est peut-être pas éloigné, où elles adopteront un procédé mixte, consistant dans la réduction du minerai au charbon de bois et au foyer catalan et dans le corroyage à la houille du fer et des aciers »23. Les partisans de cette « révolution » estiment que l’utilité de changer de procédé, de passer au haut fourneau, est « loin d’être démontrée ». Bien au contraire, ils reprennent la démonstration déjà fort ancienne de Tronson du Coudray. Michel Chevalier l’actualise en la comparant avec la méthode anglaise. Il considère que si l’on admet, d’après les ouvrages d’Héron de Villefosse, que le prix coûtant de 100 kg de fer fabriqué à la houille en France est de 53,66 francs, l’avantage est encore du côté du procédé direct. De plus, ajoute-t-il, pour une même quantité de fabrication, le procédé anglais exige « deux fois et demie plus de capitaux que celui des Pyrénées »24.

  • 25 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, canton de Tarascon, 1832 ; Arch. dép. Ariège, 15 M 21.

10Mais tous les métallurgistes ne partagent pas cette opinion optimiste. Les esprits les plus lucides, même lorsqu’ils sont persuadés de la supériorité de la forge à la catalane, sont convaincus de la nécessité d’améliorer le procédé direct. Pour cela, ils proposent un programme à trois volets principaux : association, étude approfondie de la méthode à la catalane, application des machines à la fabrication du fer pour reprendre les termes des années 1830- 1840. Association « du propriétaire de l’usine, du capitaliste et des ouvriers ». Mais aussi association des maîtres de forges entre eux. Des expériences bien faites, bien constatées devraient aboutir à une économie que l’on souhaite « remarquable dans les matières premières et dans le perfectionnement des procédés de fabrication » pour sortir de la routine. Il est indispensable ensuite de perfectionner la qualités des fers pour en augmenter le débit, mieux, d’en changer la nature ou la forme pour ouvrir de nouveaux débouchés. Ce qui entraîne l’obligation d’améliorer les routes. Enfin, mais cette demande est constante et n’est pas spécifique aux maîtres de forges ariégeois, protéger la sidérurgie de la concurrence étrangère, condition sine qua non pour que les mesures préconisées par ce programme soient efficaces. Il s’agit donc en dernière analyse de favoriser la commercialisation des fers à la catalane en rendant le système de production plus économique25.

11Il existe enfin une troisième position, elle est représentée par d’Aubuisson qui écrit que tout progrès dans la qualité du fer et dans le rendement du procédé à la catalane ne peut s’obtenir qu’avec une augmentation de la consommation de combustible. Or l’ingénieur en chef des Mines ne s’est pas réellement intéressé à la réduction directe, mais bien plus et « avec une grande assiduité » à l’art des mines et à l’hydraulique comme l’attestent les articles qu’il a publiés. La question cruciale qui se pose est de savoir si le système direct, loin d’avoir épuisé toutes ses potentialités, demeure encore une voie rationnelle. Autrement dit, le système technique est-il désormais saturé ? L’alternative est simple, si les maîtres de forges ne parviennent pas à améliorer leur mode de fabrication en le rendant plus économique, « chaque jour verra dépérir leur commerce qui finira à la longue par s’éteindre ceci n’a pas besoin d’être démontré ». Une rapide comparaison entre les départements du sud de la France, du nombre et de la consistance de leurs usines sidérurgiques en 1856, met certes en évidence la place prépondérante des Pyrénées ariégeoises pour les usines à fer ; mais, dans le même temps, révèle la présence d’une forte industrie à l’anglaise. Un premier tableau concerne la production de fer, celle qui intéresse l’Ariège. Pour avoir une vision plus précise de la réalité de la sidérurgie du sud, il est nécessaire de compléter l’information par un second tableau concernant la production de fonte et les activités qui lui sont associées, où l’on remarque, sans surprise, l’absence totale de l’Ariège.

Usines à fer du sud de la France en 1856

départements

usines
à fer

inactives

foyers
d’affinerie

martinets

force
hydraulique
(chevaux)

fer
marchand
(tonnes)

Ariège

40

13

45

81

1690

5 668

Aude

16

5

9

24

 

1 240

Aveyron

4

 

1

11

2 384

29 579

Haute-Garonne

11

 

4

32

380

1 330

Hérault

10

 

 

 

 

 

Lot

3

1

1

1

44

45

Lot-et-Garonne

9

 

10

14

195

330

Basses-Pyrénées

6

4

7

10

213

764

Hautes-Pyrénées

1

1

1

1

12

140

Pyrénées-Orientales

19

6

24

43

480

2 250

Tarn

7

2

2

24

318

1 209

Tarn-et-Garonne

1

1

 

 

 

 

Usines à fonte et activités associées en 1856

Départements

hauts
fourneaux
au
bois

hauts
fourneaux
à la
houille

fours à
réverbère

cubilots

fours à
puddler

fours à
réchauffer

laminoirs

production
de fonte
brute
(tonnes)

Aude

 

 

 

6

 

7

2

200 de 2e fusion

Aveyron

 

14

1

5

65

21

18

43 391

Haute-Garonne

 

 

 

6

 

2

2

1 805 de 2e fusion

Lot

3

 

 

1

 

 

 

1 865

Lot-et-Garonne

6

1

 

7

 

 

 

6 476

Basses-Pyrénées

2

 

 

 

 

2

1

1 298

B/ Les propositions des ingénieurs et l’action des administrations (vers 1840-vers 1870)

  • 26 J. Percy, Traité complet de métallurgie, op. cit., tome II, p. 437.

12L’aptitude à l’innovation définit le dynamisme du système sidérurgique. Mais toutes les innovations ne se valent pas. Leur chronologie doit être impérativement prise en compte : à quel moment de l’évolution du système technique se produisent-elles ? La seconde moitié du XVIIIe siècle a été une période faste pour l’évolution de la forge et du procédé à la catalane. Le système technique n’est pas figé puisque de nouvelles améliorations, de l’usine comme de la méthode, se produisent au début du XIXe siècle. L’esprit inventif du procédé direct n’est pas encore épuisé. Les années 1830-1840 voient se conjuguer une série de recherches, d’expérimentations réalisées par les ingénieurs, soutenus avec plus ou moins de conviction par les autorités administratives et par certains maîtres de forges. Nous pousserons notre étude jusque vers 1870 parce qu’une même logique scientifique, technique et aussi économique, une même volonté lient les différentes tentatives qui tendent toutes vers le même but, prolonger la vie de la réduction directe. Le diagnostic est posé, quels sont les remèdes proposés ? Deux points doivent être mis en exergue auparavant. Les contemporains, en particulier les ingénieurs, sont persuadés qu’ils réussiront à améliorer le procédé à la catalane grâce à la science, parce que « les anciens forgeurs » ont pu et ont su le faire avec les seules ressources de leur pratique ; belle reconnaissance et hommage au savoir-faire des ouvriers ! Enfin, pour bien prendre la mesure des ajustements réalisés, nous devons garder à l’esprit la remarque que fait Percy à propos de quelques modifications (inclinaison de la tuyère par exemple) : « Ces faits sont très instructifs parce qu’ils démontrent à quels résultats importants dans la pratique peuvent conduire de légères modifications. En poursuivant l’histoire de la métallurgie du fer, nous trouverons encore des exemples plus frappants de cette vérité. On peut hardiment affirmer que quelquefois une innovation de l’espèce la plus ordinaire a réagi sur les destinées de la race humaine… La morale que les métallurgistes peuvent tirer de faits de cette nature, est qu’ils ne doivent jamais dédaigner les innovations, sous prétexte que tout d’abord elles semblent avoir peu d’importance »26. Le rôle des ingénieurs des Mines est communément jugé à l’aune du haut fourneau, alpha et oméga du progrès et de la modernité. Leur pensée est plus nuancée, y compris celle de nombreux partisans de la réduction indirecte.

1/ Des techniciens croient toujours à l’avenir du procédé à la catalane : la marche vers l’optimum technique (1830-1840)

13Les années 1830-1840 méritent d’être qualifiées de période illustre de la connaissance du procédé à la catalane grâce à la qualité des descriptions et observations réalisées par les ingénieurs. Ces hommes, aidés par l’administration, se sont efforcés de conduire le système vers son optimum technique. Ils sont persuadés que le procédé direct rénové a encore sa place dans la sidérurgie française. Le système à la catalane ne s’est pas mis en état de conduire lui-même les améliorations indispensables depuis celles qui ont été accomplies dans la première décennie du XIXe siècle. C’est peut-être un signe qu’il atteint ses limites. Il est donc fait appel à des experts dont deux ressortent du lot et symbolisent le vent de connaissance et de nouveauté qui souffle sur la forge à la catalane, Tom Richard et Jules François, tous deux ingénieurs au statut différent, venus de l’extérieur des Pyrénées. Le procédé à la catalane est l’un des procédés sidérurgiques anciens les mieux connus grâce aux descriptions et aux explications scientifiques que ces deux métallurgistes ont laissées, surtout si l’on croise ces documents avec d’autres sources qui complètent notre documentation.

- Tom Richard

  • 27 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit.

14Le premier expert, choisi par le Conseil général de l’Ariège, confirmé par le préfet, est Tom Richard27. Il se présente comme ingénieur civil de forges et hauts fourneaux et résume son action dans les Pyrénées en une phrase, « spécialement chargé, pendant les années 1832 à 1836, des essais tendant au perfectionnement des forges du département de l’Ariège », ou encore « directeur temporaire des essais métallurgiques ». Il a mis à profit les cinq années passées dans « les forges de l’Ariège, pays classique de la méthode directe », à observer et mettre en pratique les procédés « assez délicats » de la forge à la catalane. Dès l’introduction de son ouvrage publié en 1838, il donne une définition du procédé direct en le comparant avec le procédé indirect. Son opinion est d’autant plus intéressante qu’il connaît et pratique aussi bien l’un que l’autre. La méthode directe, « plus modeste, et par cela même presque inconnue, bien que son origine date de la plus haute antiquité, est cependant encore celle qui, dans l’état actuel, produit le fer avec le plus d’économie. Simple et rapide, pouvant à la rigueur se contenter des appareils les plus grossiers, n’exigeant que de faibles capitaux, donnant en moyenne, lorsqu’elle est applicable, et là où elle est universellement appliquée, une partie de fer marchand pour moins de trois parties et demie de charbon, cette méthode [lui] a paru de nature à devoir être préférée à la méthode indirecte dans un assez grand nombre de localités ; [il a] cru également que la faible importance qu’on lui accordait… ne tenait qu’à ce qu’elle était peu ou mal connue ». Richard s’adresse avant tout aux maîtres de forges. Ce n’est pas trahir sa pensée que de dire qu’il est étonné que le procédé direct ne soit pas plus employé en France. L’ingénieur voit des perfectionnements possibles de la méthode à la catalane par le grillage, mais il n’en est pas partisan, par l’emploi de fondants, par celui de l’air chaud et par celui de l’appareil à gaz réducteur de Cabrol.

  • 28 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, 22 octobre 1832.
  • 29 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, 8 octobre 1832, 1833.
  • 30 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 2, correspondance relative aux essais de M. Richard, 1831-1833.
  • 31 Marrot, « Mémoire sur le gisement, la nature et l’exploitation des mines de fer de Rancié (Ariège) (...)

15Il faut ajouter un mot sur le climat dans lequel Richard a conduit ses expériences. Il va jusqu’à parler d’intrigues contre lui. Et surtout, il se heurte à l’administration des Mines qui estime que l’amélioration des procédés métallurgiques est sa prérogative et le considère comme un intrus dans un domaine qui lui est réservé. L’ingénieur civil accuse cette administration d’avoir « entravé par une opposition, par une susceptibilité ridicule, par une singulière mauvaise foi, l’accomplissement du vote émis par le Conseil général »28. En effet, le Conseil général a voté un crédit de 7 000 francs pour financer les essais. Le service des Mines insiste sur le caractère temporaire de la mission qui a été confiée à Richard. Elle finira avec l’emploi de cette somme. Le ministre approuve le crédit voté par le Conseil général, mais rejette le projet de budget élaboré par Richard. De plus, les essais « en petit et en grand » prévus par l’ingénieur civil devront être approuvés par le préfet, après avis de l’ingénieur des Mines du département. L’aspirant Reverchon à qui cette tâche incombe n’est que depuis peu en Ariège, où il est arrivé en 1831, et n’a pas « toute l’expérience nécessaire ». Il est remplacé par d’Aubuisson qui donnera un avis à sa place. Le prestige de l’ingénieur en chef est un moyen supplémentaire de contrôler Richard et de lui faire sentir la tutelle de l’administration des Mines. L’utilisation du laboratoire du Service des Mines de Vicdessos offre un exemple de cette sourde lutte. Pour conduire une recherche réellement scientifique, il est indispensable d’analyser minerais, scories et métal. Mais l’ingénieur ordinaire ne s’intéresse pas au travail de Richard et il réserve ce laboratoire au corps des Mines, « de manière à pouvoir atteindre d’aussi près que possible le but que se propose l’administration, le perfectionnement de la fabrication du fer dans les forges catalanes en général et dans celles de l’Ariège en particulier ». La demande de Richard est clairement traitée en terme de concurrence. Devant les difficultés pour utiliser ce laboratoire, le « directeur temporaire » décide de construire son propre laboratoire à Foix. Le ministre s’oppose à cette création si elle ne doit pas être temporaire. Il justifie ainsi sa position : « les attributions réservées à ceux qui, par de longues études et de rigoureuses épreuves ont été admis dans les services publics, excitent souvent l’envie des personnes qui n’ont point voulu s’astreindre à remplir les conditions requises ou ceux qui l’ont tenté sans succès ; elles voudraient recueillir les mêmes avantages sans avoir fait ce qu’il fallait pour les obtenir. Mais il est du devoir de l’administration de repousser des prétentions pareilles et d’empêcher que, sous quelqu’apparence que ce soit, ces empiétements ne s’accomplissent ; le respect des Lois et Règlements, le bien et l’ordre du service le veulent ainsi »29. En attendant la construction de son laboratoire, Richard étudie les forges de la Barguillère, de Labarre et de Montgailhard. Le conseiller de préfecture Faure met à sa disposition sa forge de Saint-Pierre qui n’a pas travaillé depuis deux ans30. Il est certain que l’attitude de Richard n’a pas contribué à apaiser les esprits. Il explique « n’avoir aucune espèce de foi dans les prétendus travaux antérieurs », « c’est une chose inconcevable en effet que le nombre d’erreurs entassées dans les divers mémoires publiés sur ces forges, même tout récemment et par des hommes du plus haut mérite ». Il fait vraisemblablement allusion à un article de l’ingénieur des Mines Berthier sur la nature des scories de forges catalanes, publié dans les Annales des Mines de 1833, à deux autres de l’ingénieur de Mines Marrot, présent en Ariège de 1823 à 1828, le premier sur les mines de Rancié et sur le traitement métallurgique de leurs minerais en 1828, le second en 1835 sur le traitement des minerais de fer dans les forges catalanes31.

Prospectus pour la souscription à l’ouvrage de Jules François

- Jules François

  • 32 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit.
  • 33 T. Richard, Réponse aux questions de M. Jules Pic sur le projet d’établir des hauts fourneaux dans (...)
  • 34 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 5.
  • 35 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, 1834-1837.
  • 36 J. François, Essai sur l’élaboration du minerai de fer…, op. cit., p. 21.

16Cet ingénieur des Mines, arrivé en Ariège en juin 1834 et resté jusqu’en 1841, est l’auteur de l’ouvrage le plus connu et le plus utilisé, toujours cité, sur la forge à la catalane32, et l’un des plus pénétrants malgré la remarque acerbe et injuste de Richard, « François lui-même dans les quelques pages du petit roman géologique qui forme à peu près la seule partie de son ouvrage dont il ne m’ait pas emprunté le fond et les détails »33. Lors de la session de 1841 du Conseil général, Jules François demande une subvention pour le livre qu’il écrit sur l’industrie du fer en Ariège34. Cette publication est le résultat des études et recherches que le jeune ingénieur des Mines a faites en Ariège sur les mines et les usines du département en particulier et des Pyrénées en général. Il a bénéficié de subventions du Conseil général, 600 francs par exemple en 183635. Lorsqu’il fait l’histoire de l’évolution technique du procédé direct dans les Pyrénées, Jules Francois a « pour but de montrer comment la nécessité seule avait initié la routine à quelques ressources de l’art, et de préparer les esprits à admettre la coopération efficace de la science appliquée ». Il ajoute : « aujourd’hui nous poursuivons ; nous tâcherons d’indiquer le rôle que la science doit jouer, les efforts qu’elle a à faire en aide de la pratique ». Et de préciser immédiatement : « La première lacune qu’elle avait à remplir c’était d’éclairer la routine en montrant par quelles réactions le minerai de fer passe à l’état de fer métallique, et par quels moyens la pratique peut et doit favoriser ces réactions »36.

  • 37 Ibidem, p. 21-22.

17Dernier point à considérer, à qui les ouvrages de ces experts sont-ils destinés ? Indubitablement aux maîtres de forges. Et pourtant, Jules François écrit dans les publications de la Société des maîtres de forges qui préfigurent ses Recherches, qu’il s’adresse aussi bien aux propriétaires d’usines qu’aux forgeurs. Voilà qui laisse songeur. C’est qu’il est persuadé que l’alliance de tous, ouvriers et patrons, est la condition indispensable pour donner un avenir à la sidérurgie à la catalane. Il est parfaitement conscient des grandes difficultés qui l’attendent. « Ayant à nous adresser surtout aux forgeurs… nous avions toujours cru convenable d’initier les praticiens aux données théoriques d’une manière graduelle, et à mesure que l’exigerait le développement de l’art. Mais depuis, en mettant la main à l’œuvre, nous avons senti le vice d’une telle marche… Ainsi donc, malgré les difficultés pour amener à l’intelligence des faits théoriques, nous avons dû nous attacher à les développer dans une publication spéciale… D’un autre côté, nous avions pensé que, pour être compris, il convenait de borner tout exposé du traitement à de simples démonstrations rudimentaires à la portée des ouvriers. Ici encore nous n’aurions pu arriver à une entière explication des faits. Une fois comprise, elle eût paru incomplette, et notre travail du jour eût fait défaut le lendemain. Ces motifs nous ont déterminés a faire ici plus de science que ne le comporte le degré d’instruction du plus grand nombre des praticiens ; nous serons sans doute plus difficilement compris ; il faudra de la part des lecteurs de la bonne volonté et de la patience. Mais après la publication viendront les développement oraux que nous irons faire à la forge et que bientôt avec nous et après nous feront les plus intelligents »37. Ce programme et cette façon de procéder paraissent bien irréalistes, s’adressant à des hommes très mal disposés envers ceux qui, selon eux, veulent leur apprendre leur métier, et dont la plupart ne savent pas lire. Il faut reconnaître que finalement l’ingénieur des Mines a abandonné cette prétention dans la préface de son célèbre traité et qu’il s’adresse essentiellement aux maîtres de forges.

- Les solutions préconisées et leurs applications

18Un véritable programme de recherches et de propositions, avec des réalisations concrètes, est mis sur pied. Avant tout, l’effort des expérimentateurs comme celui des techniciens s’attache à améliorer le rendement du feu, comme cela se produit avec constance depuis la naissance de la forge à la catalane. Les ingénieurs impliqués dans ces recherches ont suivi un plan rationnel où la science (la théorie) vient à l’aide de la pratique (le savoir-faire). Les recherches doivent porter d’abord sur le choix et la préparation du minerai et du charbon de bois ; puis sur la construction du feu et sur la conduite de la réduction et de la soufflerie pour obtenir des fers plus homogènes et plus purs ; sur la qualité du vent, sur les trompes ; sur le travail du marteau lors du cinglage et de l’étirage. Voilà pour le travail à la catalane proprement dit. Il est indispensable d’étudier dans le même temps comment introduire l’emploi de l’air chaud, d’autres types de soufflerie, l’application des gaz de la combustion à la préparation des minerais ou à la chauffe du métal à forger et l’utilisation de laminoir. Il faut enfin examiner tous les moyens susceptibles d’apporter des économies de combustible végétal, en faisant usage de la houille chaque fois que cela est possible.

  • 38 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 5.
  • 39 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, 1838-1840.
  • 40 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 314 ; J. B. Mercadier, Ébauche d’une (...)

19Tout ce travail de recherches rationnel nécessite des essais « en grand », grandeur nature, les ingénieurs doivent donc impérativement disposer d’une forge. Mais les ateliers mis à leur disposition par les industriels sont plus ou moins bien construits, ce qui peut avoir une influence sur le résultat des recherches. De plus, l’exiguïté du roulement de la forge à la catalane s’oppose, jusqu’à un certain point, à des efforts soutenus du maître de forges qui doit tenir compte des dépenses (matières premières, main-d’œuvre, temps perdu, manque à gagner, pertes financières) occasionnées par les essais. C’est une des raisons qui ont poussé à la demande de création d’une forge expérimentale qui, de plus, serait construite très soigneusement. Elle permettrait de former des ouvriers expérimentés et de diminuer les frais de fabrication du fer38. Tout le monde n’est pas partisan de cette forge modèle. L’ingénieur en chef d’Aubuisson est opposé à ce projet, il considère que cette forge serait sans utilité réelle à cause de « la pleine connaissance qu[’il a] des choses, des hommes et des ouvriers du pays ». Il est partisan de louer une usine39. Les maîtres de forges ariégeois reconnaissent pourtant que l’établissement d’une forge expérimentale est le seul moyen d’aborder efficacement l’amélioration du traitement direct. Le rôle de cette usine ne serait pas tant de former des ouvriers que d’améliorer la pratique et de la rendre indépendante des forgeurs. La création d’une forge modèle avait déjà été proposée par Picot de Lapeyrouse (en 1786), Mercadier (en 1801), par des officiers d’artillerie de la direction de Toulouse (en 1823), persuadés des avantages que les arsenaux pourraient en tirer40. En 1840, après deux années d’efforts, une allocation de 80 000 francs est obtenue pour l’érection d’une usine : le Conseil général de l’Ariège, lors de la session de 1840, vote une somme de 25 000 francs ; le sous-secrétaire d’État aux Travaux Publics alloue 25 000 francs et les maîtres de forges de l’Ariège décident de donner 30 000 francs pour son roulement, sous réserve qu’elle soit fondée par le gouvernement et le Conseil général. Les promoteurs de la forge expérimentale pensent enfin toucher à sa réalisation, lorsque le ministre de l’Intérieur annule le vote du Conseil général, arguant d’un vice de forme, une simple désignation de chapitre au budget de l’Ariège. Cette décision ministérielle met fin aux espoirs d’établir une usine modèle. L’expérimentateur doit aussi disposer d’une équipe d’ouvriers compétents certes, mais surtout « dociles », là réside le vrai problème. Il travaille en effet avec la brigade engagée par le maître de forges qui lui prête son atelier. Un des moyens d’intéresser les forgeurs aux essais est alors de les payer à la journée, non au rendement, mode traditionnel de rétribution. L’expert cherche aussi à avoir sa propre équipe sur laquelle il puisse compter pour mener à bien les essais. Un laboratoire est nécessaire pour contrôler les données théoriques utilisées pour expliquer la pratique et pour vérifier les résultats obtenus, grâce à l’analyse de minerais, de massés à différents stades de la réduction, de scories, du métal.

20Pour que tous ces travaux soient efficaces, il est indispensable de publier des notices techniques faisant connaître les améliorations « reconnues applicables » dans la pratique des procédés de fabrication. Ainsi, le comité central des maîtres de forges de l’Ariège, en conformité avec les articles 7 et 8 des statuts de la Société des Maîtres de forges, dresse un programme rationnel : d’abord un précis historique de la fabrication du fer dans l’Ariège, suivi d’une notice sur la construction des feux, puis une sur les trompes et les machines à piston, ensuite sur les marteaux et martinets. La série suivante porte sur la pratique, traitement du minerai pour fer doux, traitement pour fer fort, grillage du minerai à la flamme perdue, sur la carbonisation et les procédés nouveaux, enfin l’examen et le traitement des différents minerais de fer. Faut-il déjà dire que ce si beau programme ne sera pas mené à bien ? Seules deux publications seront effectuées en 1837 et 1838. Il s’agit d’articles écrits par Jules François, secrétaire du comité. En réalité, il est l’unique initiateur de ce programme et le seul à le réaliser. C’est pourquoi nous pouvons considérer son ouvrage de 1843 comme la véritable émanation de ce désir de publicité.

  • 41 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 291.

21La critique la plus révélatrice faite à la méthode à la catalane est que le résultat de la réduction dépend trop de la « main » de l’ouvrier, du savoir-faire de l’escola. Là est l’origine de tous les maux dont souffre ce procédé direct. Mais combattre les causes de ces variations est chose très difficile. Il ne suffit pas, en effet, d’observer avec intelligence et attention les phénomènes du feu, il faut avant tout « savoir et pouvoir maîtriser et éclairer la routine. Aussi, tout ce qui, dans le traitement direct, tendra à retrancher de l’intervention et de l’influence de la main de l’ouvrier sera une amélioration importante »41. Ce jugement est une parfaite illustration du conflit entre le monde ancien des artisans et le monde nouveau du savoir scientifique de l’ingénieur. Toutes les mesures avancées, quel que soit le domaine dans lequel elles s’exercent, tendent à régulariser la pratique, c’est-à-dire à la rendre indépendante du tour de main du forgeur. Cette négation de l’individu qui sous-entend l’efficacité de la machine, cette standardisation du métier, volonté de reproductibilité à l’identique, est un signe irréfutable du passage à la modernité industrielle.

- Améliorer la qualité des fers à la catalane

22Une série de mesures est recommandée pour améliorer la qualité du métal à la catalane. Il est souvent pailleux, crevassé avec des gerçures et surtout « inégal ». Il est préconisé de choisir le minerai avec soin, de ne pas craindre de faire des mélanges de mines, de revoir la manière de construire le feu, de le charger, de le chauffer, de le surveiller pendant la réduction.

- Rendre le système à la catalane plus économique

  • 42 Arch. dép. Ariège, 138 S 9, Berdoulet, 23 mars 1831.

23Améliorer le rendement de la réduction grâce à l’extension de la cave, par exemple, qui a d’heureux résultats aux forges de Pamiers, Lacourt, Niaux ou Laramade. Garros, propriétaire de la forge de Berdoulet, fait des recherches depuis deux ans pour améliorer la fabrication des fers par la méthode à la catalane : il a obtenu un fer plus malléable avec une économie du cinquième de combustible42. Le minerai a une teneur en métal qui varie de 40 à 60 %. Or on n’en retire en moyenne que 33 %, le reste passe dans les scories. Il est indispensable de limiter cette perte de métal. Pour cela, il faut utiliser les scories, ce qui se fait déjà systématiquement, grâce à des procédés connus qu’il faut approprier aux forges à la catalane. C’est une des voies de recherches suivies par Richard. L’économie escomptée est évaluée de 10 à 15 % du prix de revient. Un autre moyen d’économie serait de préparer le minerai. Le grillage a été abandonné, seule la forge de Tourné l’a conservé dans les années 1830, mais uniquement pour travailler en fer fort. Il ne s’agit pas de remettre au goût du jour la vieille pratique, mais d’utiliser des fours modernes. Dès 1817, des essais sont tentés par Abadie père, ingénieur de Toulouse, à la forge d’Engomer pour préparer le minerai dans un four à réverbère chauffé par la flamme perdue du feu. Le mauvais vouloir des ouvriers les lui fait abandonner. De 1832 à 1833, de nouveaux essais sont conduits à la forge de Berdoulet. En 1837, le minerai de Rancié étant devenu pauvre, François applique la flamme perdue, lors d’expérimentations à la forge de Laprade et aux deux forges de Niaux. L’utilisation de l’air chaud permettrait de réduire la consommation de charbon de bois. Richard, après avoir procédé à une série de tentatives à la forge de Niaux, estime que l’expérience est encourageante. Un ingénieur en chef, professeur à l’École des Mines, qui passe à la forge quatre jours après ces expériences, juge le résultat de la plus mauvaise qualité. Autre problème, la grande quantité de chaleur perdue. Richard décrit « le volume de flamme et de gaz carbonés qui a plus d’un mètre carré de base et quelquefois six à huit pieds de hauteur », s’échappant du feu et matérialisant en quelque sorte la chaleur qui se perd. La solution proposée est de construire une voûte au-dessus du feu. Mais est-ce bien réaliste ? Car il serait alors impossible de charger le feu. De plus, la condition sine qua non pour que l’allure d’un feu soit bonne, pour qu’il donne le plus fort produit avec la plus petite dépense en charbon, est que toutes les parois du fourneau aient acquis une très haute température. La lutte contre l’humidité qui porte d’énormes préjudices aux maîtres de forges, est récurrente pendant toute la période à la catalane. Il est indispensable d’isoler le bas fourneau de l’humidité, d’autant que cette dernière est omniprésente parce que les forges sont construites sur des terrains humides, et que les bassins, les trompes et le marteau renforcent l’humidité. Il est impératif de bien drainer le sol de l’usine.

Plan ancien et « disposition moderne » d’une forge à la catalane à un feu (J. François, Recherches sur les gisements et le traitement direct, op. cit., atlas, planche I.)

24Autre moyen de rendre la production de fer moins dispendieuse, rationaliser la disposition du bas fourneau et des appareils de la forge pour faciliter le travail des forgeurs et leurs déplacements. François a modernisé le plan. Le bassin est entièrement séparé de l’usine. La soufflerie se compose d’une trompe à caisse circulaire, dite tinne, et non plus trapézoïdale. Enfin, le travail s’opère successivement sous un marteau cingleur et dégrossisseur, et sous un marteau finisseur, dont la batterie est en presque totalité hors de l’usine, à laquelle elle est reliée par un arceau de 5,60 m de largeur. Ce second marteau traditionnellement ne pesait pas plus de 90 à 120 kg. Il servait uniquement à dégauchir et à dresser les pièces forgées. François préconise l’utilisation, dans les forges récemment construites à Lacourt et au Mas-d’Azil, d’un marteau d’un poids de 300 kg, qui joue le rôle de marteau finisseur. Quelques forges comprennent deux feux, deux mails et un martinet dégauchisseur. Le plus souvent ces usines présentent la juxtaposition assez irrégulière de deux forges à un feu, l’érection de chacun des deux feux ayant été successive, comme à Cabre (1820 et 1827) ou à Rabat (1805 et 1823). Toutefois, deux d’entre elles, celle du Mas-d’Azil (1836) et celle de Guran, près de Luchon, qui a reçu la visite de Percy, ont été construites d’après le plan étudié pour deux feux par François. Les artifices et accessoires du premier feu reproduisent le plan moderne. La place du second feu est prévue dans l’autre partie de la halle, de manière à le réunir au massif du premier feu, ou bien à l’en isoler. Cette faculté peut un jour devenir utile dans l’emploi, soit de la flamme perdue, soit des gaz de la combustion. Les emplacements pour les souffleries peuvent recevoir, suivant le besoin, une trompe, une machine à piston, ou un ventilateur. Les massifs des feux offrent assez d’espace pour l’emploi de la flamme perdue ou des gaz de la combustion, soit au grillage du minerai, soit à la chauffe des pièces à ressuer, à étirer, ou à parer, soit même, dans certains cas, à la cémentation et à l’élaboration des aciers. Dans le cas de réunion des deux feux, on peut établir un feu de chaufferie ou de parage, un marteau supplémentaire peut alors être monté sous un arceau. Mais la grande idée de Jules François consiste en une nouvelle organisation du bas fourneau en feu continu pour améliorer la production économique des fers. Le feu est établi de manière que le massé, moins fort que le massé à la catalane traditionnel, puisse s’enlever facilement sur l’avant du feu sans interrompre le travail. D’après lui, cette organisation en continu réduirait d’un tiers la consommation de charbon de bois. Il s’est inspiré de ce qui se fait en Champagne qui offre un bon exemple de ce type de solution.

  • 43 A. Laurant, Des fers de Loire à l’acier Martin, maîtres de forges en Berry et Nivernais, op. cit.

25Dernier moyen préconisé pour réduire le prix de revient du fer, mais à n’utiliser qu’à la toute dernière extrémité, après avoir épuisé tous les autres, diminuer le salaire des forgeurs. La constatation est générale, le maître de forges abandonne à ses ouvriers tous les détails du traitement. Profitant ainsi de la position qui leur est faite, ces derniers imposent un salaire exagéré, si on le compare à la rétribution de la main-d’œuvre dans les différents centres de production du fer en France. Dans les années 1830-1840, le salaire des forgeurs, 5,85 francs au minimum pour 100 kg de fer, est pour les ingénieurs « l’une des plaies » de l’industrie métallurgique dans les Pyrénées. En comparaison des salaires qui varient en France de 1,95 à 2,83 francs pour 100 kg, les experts s’étonnent de la rétribution de l’ouvrier dans les forges pyrénéennes, rétribution qui souvent s’élève pour les maîtres à 8 francs et plus par journée de travail. Une mesure plus radicale est proposée, supprimer le foyé jugé inutile, or il est le forgeur le mieux payé. Richard pense que « la partie de la science des foyés qui se borne à la pratique de la construction des fourneaux, au placement de la tuyère etc., est d’une importance fort minime ». Ces ouvriers reçoivent, dit-il, en précisant, « je ne dis point gagnent » jusqu’à 6 à 7 francs par jour, et cela pendant une campagne entière, pour un travail que le premier maçon venu exécuterait beaucoup mieux qu’eux en une seule journée. Il insiste, « ces prétendus ouvriers sont de véritables oisifs » qu’on remplacera toujours avec avantage par de simples « estiraires » (étireurs) pour la partie du cinglage et de l’étirage du massé dont ils sont chargés. Les petites réparations ou modifications à faire au fourneau devraient être confiées aux escolas qui recevraient pour ce supplément de travail une gratification. Jules François reprend ces propos, « On a souvent parlé de l’inutilité de celui qui est chargé du feu, le foyé. [L’ingénieur] avoue qu’il n’est pas indispensable avec un maître de forges éclairé dans la pratique des forges ». Mais il estime que, pour l’instant, le maître de forges est incapable d’exercer une influence quelconque sur les forgeurs parce que, le plus souvent, il est exclusivement marchand de fer, qu’il s’humilie « devant la prétendue omnipotence de la routine et qu’il nie la coopération efficace de la science appliquée ». La lutte contre l’ignorance des fabricants et contre leur « incapacité industrielle » est une priorité. Les ingénieurs font une comparaison avec le Nivernais et le Berry, très désavantageuse pour l’Ariège43. La structure du prix du fer donne la mesure de la portée réelle d’une baisse de salaire des forgeurs ou de la suppression du foyé. Malgré la résistance des ouvriers, c’est peut-être l’élément sur lequel il est le plus simple d’agir dans un premier temps ! Les solutions ne peuvent qu’exister à la marge du système direct parce que les économies de combustible, seules réellement susceptibles de faire baisser le prix de revient du fer à la catalane, ont déjà atteint leurs limites, plus rien n’est véritablement possible dans ce domaine. Parvenu à son optimum technique, le système à la catalane a atteint le stade du blocage. Pour que ces mesures éventuelles portent leurs fruits, il est indispensable que les maîtres de forges s’occupent plus directement du roulement de leur forge, deviennent de véritables contremaîtres afin de ne plus être « à la merci des ouvriers ». Le fabricant devrait former lui-même les apprentis pour lutter contre la routine des forgeurs.

  • 44 Cenac Moncaut, Les richesses des Pyrénées françaises et espagnoles, Paris, 1864, p. 225.

26Dernière question essentielle, le prix du transport est « exorbitant ». À l’intérieur du département, il s’élève, dans les années 1830-1840, de 0,025 jusqu’à 0,13 franc pour 100 kg par kilomètre. Ce prix est toujours haut parce que les forges sont installées dans un pays de montagne. Mais les routes de grande communication et l’amélioration générale du réseau le feront progressivement diminuer. Les maîtres de forges demandent au préfet et au Conseil général l’établissement d’une route ou d’un système combiné de route et de couloir sur la montagne de Rancié, l’ouverture de la route d’Ax en Espagne par le col de Puymorens. Cette route permettrait de « jeter » dans les usines les minerais de Puymorens qui donneraient de bons fers doux et homogènes, et assureraient la conservation des mines de Rancié. L’écoulement des produits serait facilité par la création d’une grande ligne de communication entre le nord et le sud-ouest de la France par Paris, mais aussi entre les départements du centre et de l’ouest et Toulouse. Le chemin de fer doit jouer un rôle considérable dans ces relations plus faciles. L’amélioration du réseau de routes et de chemins, l’ouverture de la route d’Ax à Puycerda, la création de voies de chemin de fer permettront d’approvisionner les forges de l’Ariège et de l’Aude avec la houille des Pyrénées espagnoles44.

  • 45 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, 1832, canton de Tarascon.
  • 46 J. François, Considérations sur la nécessité de fonder dans l’Ariège une forge modèle, Société des (...)
  • 47 C. Baldracco, « Notice sur les usines catalano-liguriennes et sur les avantages récemment obtenus e (...)

27Le projet des ingénieurs est clair, la forge à la catalane, après avoir subi toutes ces améliorations, produira un meilleur fer, à un prix de revient moindre. Les nouvelles présentations qui seront données au métal faciliteront la commercialisation et permettront de nouveaux débouchés. Ces solutions sont rationnelles et applicables. Des forges ont été construites selon le plan modernisé proposé par François. Toute innovation, cependant, qu’elle soit « courante » ou « révolutionnaire », requiert un terrain d’accueil, un état de réceptivité qu’il convient de définir. Se pose aussi la question des capitaux nécessaires à une transformation plus complète. Peu d’habitants des Pyrénées ariégeoises ont des disponibilités financières suffisantes pour à la fois subventionner les recherches et mettre en pratique leurs résultats. La solution la plus rationnelle est l’association. Le rôle du préfet est de développer et de favoriser cet esprit d’union parmi les maîtres de forges et les marchands de fer. Il doit aussi accorder des subventions pour aider les travaux de recherches. L’étroitesse du roulement de la forge n’influe pas seulement sur le manque de moyens des industriels et sur le prix de la main-d’œuvre. La simplicité du procédé est considérée comme un faux-semblant par les experts. En réalité, la forge est trop « morcelée » ; c’est-à-dire que son roulement si simple en apparence est grevé de faux frais élevés qui sont évalués à 2,65 francs pour 100 kg de fer marchand, alors que dans la Franche-Comté, la Haute-Marne, le Périgord, les Landes et le Berry, les frais généraux ne dépassent pas 1,63 franc pour le travail au bois et 1,42 franc pour la méthode mixte champenoise. Le seul moyen de lutter consiste ici à augmenter l’échelle de la fabrication et, ajoute François, à modifier le roulement par l’organisation d’un procédé continu. Faut-il entièrement changer le système de fabrication ? La réponse communément admise dans les années 1830-1840 est non. « Renverser complètement ce qui existe serait une imprudence, toutefois il est certaines innovations, certains essais qui peuvent conduire à des résultats avantageux sans exposer le fabricant à faire plus mal qu’il ne fait »45. Ainsi il est tiré parti « des avantages positifs » de la sidérurgie à la catalane « en la prenant au point où elle se trouve ». Des améliorations sensibles sont constatées. Avant 1837, on consommait, en moyenne, 320 de minerai et 330 de charbon de bois pour 100 de fer. En 1845, cette consommation est réduite à 300 de minerai et 296 de charbon. Quelques forges de l’arrondissement de Foix n’utilisent pas plus de 290 de minerai et 273 à 278 de charbon. Enfin, l’usine de Berdoulet, qui emploie le vent des pistons, préalablement chauffé de 80° à 100° C, ne dépasse pas 287 de minerai et 259 de charbon de bois pour 100 de fer. Les efforts des ingénieurs ont conduit la forge à la catalane à son optimum technique. Il est question non seulement de préserver le système direct, mais encore de conquérir de nouveaux marchés. Cette attitude n’est pas conservatrice, mais est bien une preuve de dynamisme. Il convient d’écouter François, « Quelque vicieuse que soit aujourd’hui la position relative de certaines forges dans l’Ariège, néanmoins elles ne doivent pas tomber tout à coup, car tous les efforts n’ont pas été tentés. Nous ne leur promettons pas une très longue durée ; mais, si les propriétaires le veulent, nous croyons pouvoir les soutenir »46. Un mouvement d’innovation similaire existe dans une autre grande région de sidérurgie directe, la Ligurie des provinces de Gênes, de Savone et d’Albenga. Les essais sont conduits par Baldracco avec le même esprit que dans les Pyrénées. Ils portent sur la réduction de la consommation de charbon de bois, l’utilisation de la flamme perdue par le foyer, l’amélioration de la qualité du métal. L’ingénieur italien dont le compte rendu des expériences a été traduit en français s’appuie sur les travaux de François et de Le Play47.

2/ Les ultimes tentatives de modernisation (1862-1870) : une impasse technique et industrielle

28L’optimisme tempéré des experts des années 1830-1840 n’est plus de mise à partir de 1858-1859. Le moment du basculement est essentiel à repérer. Crise conjoncturelle et crise structurelle se conjuguent, provoquent une nouvelle série de tentatives d’amélioration. Malgré une chronologie tardive, ces efforts trouvent logiquement leur place dans la recherche de solutions pour prolonger la vie du procédé direct dans les Pyrénées ariégeoises. Le système à la catalane a atteint son point de saturation, il apparaît évident que les améliorations possibles ont été réalisées, il faut par conséquent chercher dans d’autres directions. C’est dans ce contexte que se placent la tentative d’installation du procédé Chenot à la forge de Laramade et les essais de perfectionnement menés à la forge de Lacourt. Cette ultime double démarche tendant à diminuer la consommation de combustible est une nouvelle preuve a contrario de l’importance du charbon de bois dans l’évolution du système à la catalane et de son implication dans l’écosystème pyrénéen, en liaison avec les conditions économiques de production du métal et leurs rapports avec le prix du fer sur les marchés.

- Le procédé Chenot

  • 48 J. Percy, Traité complet de métallurgie, op. cit., tome II, p. 532-544, Procédé Chenot, modificatio (...)
  • 49 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, Essais métallurgiques, forge modèle, amélioration des procédés de fabric (...)
  • 50 Arch. dép. Ariège, 14 M 18.
  • 51 L’éponge est le produit de la réduction du minerai de fer dans le bas fourneau. Il s’agit d’un bloc (...)
  • 52 Mussy, « Traitement du minerai de fer de Rancié dans les usines métallurgiques du département de l’ (...)
  • 53 Arch. dép. Ariège, 14 M 18.

29L’ingénieur des Mines A. Chenot (1803-1855) met au point vers 1846 une nouvelle méthode de production de fer ou d’acier par réduction directe48. Il rend son travail public lors de l’Exposition Universelle de Londres en 1851, puis il obtient une médaille d’or lors de celle de Paris en 1855. Le Play qualifie ce procédé de « plus grande découverte métallurgique de l’époque ». Il s’implante, sous des formes variées, dans différents pays européens, en Espagne (Baralcaldo en 1852), en France (Clichy-la-Garenne en 1855, Pontcharra en 1856, Hautmont en 1857), en Belgique (Coulliete en 1856) et aux États-Unis. Vène, ingénieur en chef des Mines de l’arrondissement de Toulouse de 1841 à 1864, fait un rapport, le 16 août 1860, sur un nouveau procédé de fabrication du fer par le traitement direct, procédé Chenot, essayé dans les provinces de Biscaye et de Burgos49. L’introduction de ce procédé en Ariège est tentée à la forge de Laramade, sur le Vicdessos. En 1862, cette usine dispose d’un « haut fourneau » selon les statistiques industrielles du département. En réalité, il s’agit d’un four Chenot, perfectionnement de la méthode à la catalane « primitive », qui consiste à obtenir un fer d’excellente qualité avec une économie de 50 % de combustible par rapport à l’ancien procédé50. L’appareil Chenot peut être considéré comme un feu à la catalane ordinaire dont les flammes perdues sont utilisées dans une cuve placée au-dessus du foyer pour le grillage et la réduction du minerai à l’état d’éponge51. Ce procédé a l’avantage, pour ses promoteurs, de supprimer à peu près complètement le travail « plus ou moins fantaisiste » de l’escola. La production est ainsi plus régulière, aussi bien pour la quantité que pour la qualité du métal obtenu, et donne des résultats commerciaux plus avantageux52. En résumé, il s’agit d’un four à feu continu permettant de récupérer la chaleur des gaz qui s’échappent du bas fourneau. Mussy donne des tableaux détaillés de la marche de cette usine du 3 au 20 novembre 1862 et de 5 campagnes de recherches. Cette installation a fabriqué 45 tonnes de fer au 3e trimestre 1862, a peu travaillé pendant le 1er trimestre 1863, produit 135 tonnes au second et chômé pendant tout le 3e trimestre à cause du manque de charbon et du bas prix des fers. L’ingénieur des Mines conclut que la marche des opérations « laissait encore à désirer sous le rapport de la régularité dans la quantité et la qualité des produits ». C’est pourquoi la méthode Chenot doit faire de nouveaux progrès. Elle prend une forme nouvelle qui est établie à Laramade en 1867 et marche à peu près régulièrement jusqu’en 1869. Ce système a fait naître de grandes espérances, au point que, lors du 2e trimestre 1867, « une société disposant de capitaux importants vient de se former pour l’exploitation de cette industrie ». Deux fours Chenot fonctionnent à Laramade, la construction de deux autres est prévue. Un four de ce type peut donner 1 tonne de fer en massiaux par jour. Pour 100 de fer en massiaux, il faut 110 de charbon de bois, soit 7,15 francs ; 340 de minerai, soit 5,78 francs ; main-d’œuvre, 1,20 franc ; soit au total, 14,13 francs. Il faut ajouter 8,50 francs pour déchets et frais de ressuage lors de la transformation en fer marchand. Ce qui donne un prix de revient de 22,63 francs pour 100 kg, et si on ajoute les frais généraux, de 23,90 francs. À la même date, celui de 100 kg de fer à la catalane est de 29,45 francs. Le prix de vente des fers à Foix est alors d’environ 30 francs. En février 1868, un ingénieur d’Audincourt procède à des essais sur les massiaux de Laramade. Il conclut que, à condition de faire un corroyage en étirant les loupes en fers bruts plats qui sont soudés à leur tour au pilon ou au cylindre, on obtient des fers résistants à froid et se laminant bien à chaud, dont la qualité est comparable à la première qualité des fers d’Audincourt, avec cette différence que le fer est un peu plus dur, les tôles un peu plus « roides », moins ductiles. Malgré toutes les transformations que le procédé Chenot a subies, l’usine de Laramade n’est mentionnée dans les statistiques que jusqu’au 2e trimestre 187053.

- Le procédé Tourangin

  • 54 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 7, grillage du minerai aux flammes perdues des forges catalanes.
  • 55 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 8, nouveaux procédés de fabrication du fer ; Archives dép. Ariège (...)

30En 1865, Carbone, de Saurat, propose le grillage du minerai à la flamme perdue des feux à la catalane. Ce procédé peut économiser, selon lui, 10 % du prix de revient du fer. Les ingénieurs des Mines sont défavorables au concours de l’État à ces essais parce qu’ils pensent que l’opinion de Carbone est « trop vaguement exprimée »54. Plus sérieuses sont les expériences sur le procédé Tourangin conduites à la forge de Lacourt en 1863. Tourangin est un métallurgiste français dont la méthode de réduction directe simplifie et améliore le four et la méthode Chenot. Sur le plan technique, le principal changement introduit par cet ingénieur consiste à séparer le combustible du minerai et à utiliser l’oxyde de carbone comme agent réducteur. Le produit obtenu est toujours une éponge de métal qui doit être passée sous le marteau. Tourangin est parvenu à augmenter la capacité du fourneau, à réduire le temps de la réduction. Il dépose un brevet le 25 mars 1853 en France et le 27 juillet 1855 en Espagne. Installé en Biscaye en 1855, il dirige plusieurs forges utilisant son système et réunit en 1860 des métallurgistes, rendant public les résultats obtenus à la forge de Gastaca qui sont qualifiés de très favorables par les spécialistes. Il semble que la tentative menée à la forge ariégeoise soit directement liée au rapport Vène du 16 août 1860 sur les nouvelles méthodes de fabrication qu’il a étudiées dans les provinces de Biscaye et de Burgos. Des essais ont aussi été réalisés à Quillan (Aude), à Corsavy et Los Amas (Pyrénées-Orientales). En 1863, l’usine de Lacourt reçoit du ministère des Travaux Publics une subvention de 15 000 francs pour l’amélioration du procédé à la catalane. Mais tous les crédits alloués n’ont pas été utilisés à la fin de l’exercice. En particulier, le four pour les expérimentations n’a pas été construit. Les recherches sont abandonnés en 1864. La forge de Lacourt chôme à partir de 1866, puis est remplacée par un martinet au 4etrimestre 1867. Le procédé Tourangin a été abandonné dans les quelques usines des Pyrénées-Orientales où il était utilisé car il ne réalise pas les économies escomptées55.

- Le procédé Karr

  • 56 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 8, nouveaux procédés de fabrication du fer.

31Dans les années 1869-1870 enfin, Karr, directeur de forges à Colombes, dans la Seine, veut relancer la fabrication du fer au bois. Depuis 4 ans il poursuit le projet de faire revivre les forges au bois dans les départements du Midi de la France, dans l’Ariège, l’Aude, les Pyrénées-Orientales et la Corse. Il pense y parvenir grâce à un procédé nouveau dont il est l’inventeur : un système de hauts fourneaux de petites dimensions. C’est pourquoi il sollicite une allocation de l’État. Dans ses demandes de financement de septembre 1869 et de janvier 1870, il parle de « la méthode vicieuse de travailler des forges catalanes maintenue cependant jusqu’à ces temps derniers à cause de la grande fusibilité des minerais et l’abondance des bois ». Il rappelle ensuite les expériences réalisées à Lacourt par Tourangin, parle du procédé Chenot qui a été abandonné. L’administration lui oppose un refus parce qu’il s’agit d’un système à haut fourneau56.

  • 57 Frederick Gurlt est un métallurgiste allemand qui a mis au point un procédé très proche de celui de (...)
  • 58 R. Uriarte, « The direct process in the spanish ironmaking during the 19th century : survival and l (...)
  • 59 Arch. dép. Ariège, 138 S 17, Pamiers, 1851.

32Échec dans les Pyrénées ariégeoises, réussite en Espagne où l’exploitation industrielle des fours Chenot, Tourangin et Gurtl57, dès les années 1850, est l’une des explications de la prolongation du système direct dans la sidérurgie espagnole58. Certes le four Chenot n’est pas parvenu à s’imposer comme une véritable alternative industrielle, la solution qu’il propose n’est que provisoire. Et pourtant, il a connu en Espagne, principalement en Biscaye, une diffusion notable. Ce procédé, avec ceux de Tourangin et Gurtl, constitue une des étapes de la modernisation de la sidérurgie européenne au XIXe siècle. Mais il ne s’agit que d’une réponse transitoire. Le procédé à la catalane n’a pas pu trouver un remplaçant viable sur le plan industriel et économique. Les propriétaires de forges et de forêts ont pu songer à utiliser leur charbon de bois autrement que dans un feu à la catalane, dans la méthode Chenot par exemple. Cependant, toutes les tentatives d’amélioration ou de transformation ont été vaines. La véritable alternative technique et industrielle est donnée par le haut fourneau au bois et les méthodes d’affinage de la fonte, vecteurs d’une production massive de fer et d’acier à meilleur marché. Sur le plan administratif, les ingénieurs des Mines sont persuadés des faiblesses de la forge à la catalane, malgré les progrès accomplis. Ils continuent pourtant à ne pas s’opposer à des créations d’usines. Un seul exemple suffit à bien faire comprendre leur position, celui de l’usine de Pamiers où une forge à la catalane fonctionne sans autorisation depuis la fin des années 1830, comme annexe de l’aciérie. La situation de cet atelier doit donc être régularisée. L’ingénieur ordinaire des Mines et l’ingénieur en chef des Mines, Vène, expliquent en 1853 que « si l’établissement d’une forge catalane dans l’Ariège ne doit dans l’état actuel des choses être admis qu’avec une grande réserve, on ne peut néanmoins refuser à une usine de cette importance ce qui peut soutenir sa prospérité ou favoriser son développement. On ne peut nier qu’il ne soit très avantageux pour cette usine d’avoir le fer assuré chez elle, avec le pouvoir d’en modifier la fabrication, de manière à obtenir les qualités les plus propres aux différents travaux de l’aciérie ». Ils insistent même, « l’adjonction demandée d’une forge catalane se trouve donc favorable au progrès que l’on doit désirer et atteindre dans la fabrication des fers à acier de l’Ariège »59. La forge à la catalane n’a plus d’existence propre, elle est réduite à n’être qu’un rouage d’une usine beaucoup plus vaste : produire une matière première brute, transformée dans l’atelier moderne, simple étape de la fabrication de l’acier qui est le métal recherché.

  • 60 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 187, 265, 343.

33Quels sont les facteurs de résistance de la forge à la catalane ? La moindre consommation de charbon de bois, bien que son coût reste élevé, la qualité des produits (résistance et élasticité pour bandage, essieu et rail de chemin de fer), sa supériorité pour la cémentation. Le fait que l’industrie française de l’acier est encore loin d’avoir connu les progrès de l’industrie du fer et que les importations restent importantes. Ces éléments ont d’autant plus joué que les experts sont persuadés que la facilité du traitement du minerai de Rancié à la forge à la catalane a retardé la transformation de l’industrie sidérurgique des Pyrénées ariégeoises. Cependant, la nécessité d’ajustements ne fait de doute pour personne. De véritables innovations sont aussi proposées. La position des ingénieurs n’est pourtant pas univoque, Jules François, envoyé en Corse en tant que spécialiste du procédé à la catalane, conclut, après avoir étudié les forges insulaires, que le traitement direct ne peut pas jouer un rôle principal dans l’île. Il préconise, au contraire, la construction de hauts fourneaux60. En réalité, les efforts des ingénieurs dépendent aussi de la bonne volonté des maîtres de forges pour réaliser leurs expériences « en grand ». Or ils sont peu nombreux à ouvrir leur usine. De même, l’application industrielle des nouveautés qu’ils préconisent repose sur le bon vouloir des fabricants.

C/ L’attitude ambivalente des maîtres de forges (vers 1840-vers 1857)

34Les maîtres de forges, très sensibles à la conjoncture, sont convaincus de la nécessité de changements lors des périodes de crise, puis sont rapidement oublieux de la fragilité de leur position lorsque la reprise est là.

1/ Une prise de conscience parfois précoce (vers 1830)

  • 61 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 1.
  • 62 P. Fluzin, « Notions élémentaires de sidérurgie », Métallurgies Africaines, op. cit., p. 22.
  • 63 Le directeur des usines de Saint-Antoine, à messieurs les maîtres de forges…, op. cit.
  • 64 Arch. dép. Ariège, 138 S 2.
  • 65 Arch. dép. Ariège, 138 S 28, Cabre ; Arch. dép. Ariège, 137 S 1.

35On cite toujours Vergniès Bouischère comme maître de forges emblématique des Pyrénées ariégeoises, mais quelques rares fabricants ont marché sur ses traces. Bergasse-Laziroules est l’un d’eux, propriétaire de la forge de Rabat, qui après avoir rédigé en 1817 un mémoire sur « une invention économique pour convertir le fer en acier », en réalité la cémentation, fait des essais sur l’air chaud appliqué au procédé à la catalane et à la cémentation61. Il ne faut pas oublier que chauffer le vent, technique mise au point en 1828, est une amélioration qui permet de réaliser des économies appréciables de combustible62. Richard, François, parmi bien d’autres, préconisent aussi le recours à l’air chaud. Ou encore Garros, maître de forges à Berdoulet, qui serait parvenu à obtenir, vers 1830, une économie de 1/5 du combustible. Mais ces tentatives sont trop dispersées pour avoir une influence réelle sur la marche de la sidérurgie à la catalane. Le soutien effectif que les maîtres de forges accordent aux ingénieurs n’est pas toujours à la hauteur des espérances des expérimentateurs. Les industriels savent cependant reconnaître leurs efforts à leur juste valeur. Celui qui a laissé la plus forte impression est, sans contredit, Jules François : « Un jeune ingénieur dont le nom vivra dans l’Ariège, M. François, consacrait son temps à des expériences utiles sur le procédé catalan, et faisait faire un pas à la pratique, en l’initiant aux intéressants mystères de la théorie »63. Le « zèle incessant » des ingénieurs des Mines éclaire les fabricants de fer sur des procédés nouveaux de fabrication et les met à la portée des ouvriers. Cette reconnaissance du rôle des ingénieurs n’empêche pas d’utiliser la ruse lorsqu’il faut emporter une décision. En effet, les maîtres de forges sont parfaitement conscients du désir de modernisation qui habite l’administration et les ingénieurs des Mines, et ils savent habilement l’utiliser lors des demandes de création ou d’agrandissement de leur forge. Cet état d’esprit est intéressant parce que, dans le même temps, il révèle que les industriels ariégeois connaissent les apports de la sidérurgie moderne et qu’ils sont parfaitement capables de les comprendre. Par contre, cette attitude éclaire l’absence de volonté de les mettre effectivement en application. Deux exemples illustrent cette posture. Le premier à Bélesta où Belot demande en décembre 1827 l’autorisation de construire « une usine à raffiner le fer ». Le projet est bien élaboré puisqu’il s’agit d’un laminoir à l’anglaise avec deux fourneaux et deux de rechange pour éviter les chômages lors des réparations. L’ingénieur des Mines écrit en avril 1830 que, en réalité, Belot veut établir uns forge à la catalane64. Le second concerne la forge de Cabre. En 1817, Vergniès Bouischère demande l’autorisation de reconstruire la forge et d’ériger un fourneau de cémentation d’une capacité de 100 quintaux de métal. Pour finir de convaincre l’administration, il ajoute qu’il s’engage à détruire la forge d’Oust qu’il vient d’acheter en contrepartie du rétablissement de Cabre, il n’y aura donc pas d’augmentation de feu. L’ingénieur en chef des Mines d’Aubuisson donne son avis en 1818, en reprenant la position de l’ingénieur ordinaire Delséries, « Il faut faire de la construction et mise en activité du fourneau de cémentation la condition expresse (sine qua non) de l’obtention de la translation de la forge. L’acte de permission doit être précis à cet égard ». Delséries craint, « non sans apparence de raison » que le maître de forges ne tienne pas vraiment à cette construction et qu’il ne l’« eut faite que dans l’intention de faire accueillir plus favorablement sa pétition, en mettant en avant cet objet d’utilité publique » ; c’est surtout la forge à la catalane qui lui tient à cœur. En janvier 1819, le préfet soutient l’avis du service des Mines. Or, si la forge est bien construite en 1820, le fourneau n’existe pas lors de la visite de récolement de décembre 1825, bien que l’ordonnance de concession soit expirée65. La nouveauté est utilisée comme « sésame » par les maîtres de forges qui l’adjoignent à leur projet de construction de forge à la catalane pour obtenir l’autorisation de l’administration, mais sans avoir la moindre intention d’ériger le fourneau à cémenter ou le laminoir. Il s’agit de forcer la main des ingénieurs en les abusant sur le véritable objectif qui est, tout simplement, d’avoir le droit de construire une forge qui sans l’habit du modernisme ne saurait être accordé ou le serait avec plus de difficulté. Les ingénieurs ne sont pas vraiment dupes.

36Certains maîtres de forges, les plus déterminés d’entre eux, n’hésitent pas à prendre la plume pour exprimer leurs opinions sur l’état de la sidérurgie pyrénéenne et sur les problèmes qu’elle rencontre. L’un des plus actifs est le directeur de l’usine de Saint-Antoine, Adolphe Garrigou. Ils envoient des articles aux journaux, mais le vecteur le plus prisé est la publication de courts opuscules, imprimés à Foix. Ce sont des moyens privilégiés pour présenter et diffuser, avec un maximum de publicité, l’avis des fabricants de fer sur les grandes questions qui animent le monde de la métallurgie. Celle qui est considérée comme la plus importante concerne les droits de douanes sur les importations des fers au bois. Autour de 1845, les industriels français de la cémentation font pression sur le ministre pour que « les fers du nord » entrent en franchise. Les maîtres de forges ariégeois, directement concurrencés, publient la réfutation point par point des arguments des cémenteurs.

  • 66 Arch. dép. Ariège, 102 S 218, Saint-Paul, usine de Saint-Antoine, 1838.

37L’individualisme des maîtres de forges constitue un véritable écueil pour toute modernisation. Il serait beaucoup plus bénéfique qu’ils s’unissent. « Ariège : Les procédés de la méthode catalane, qui se pratiquent depuis plusieurs siècles dans les Pyrénées, étaient encore à peu près les mêmes qu’à leur naissance, lorsque, dans ces dernières années, la concurrence active de nos grandes usines du Sud Ouest amena les maîtres de forges de l’Ariège à mettre leurs efforts en commun pour chercher à réaliser les améliorations dont le besoin est reconnu. Il est désirable que cette association produise tous les effets qu’on s’en est promis »66.

- La Société des Maîtres de Forges de l’Ariège et le Comité central des maîtres de forges de l’Ariège

  • 67 Ont signé, Victor Vergniès (Forge neuve d’Auzat), de Tersac (La Mouline à Saurat), le marquis d’Org (...)
  • 68 Statuts organiques de la Société des Maîtres de forges de l’Ariège, Société des Maîtres de Forges d (...)

38La constitution d’une association des propriétaires et fermiers de forges s’est faite par étapes. Le moteur a été la nécessité impérieuse de faire face aux difficultés que connaissait la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises. D’une manière momentanée et provisoire, de façon ponctuelle, les maîtres de forges avaient déjà essayé de s’unir dans le passé pour lutter plus efficacement contre une crise de mévente ou pour s’opposer à la chute des prix du fer. Mais l’union n’avait jamais été unanime. Le marasme commercial qui suit les événements politiques de 1830 impose aux maîtres de forges et au Conseil général « des sacrifices pour améliorer les procédés de fabrication du fer ». Ils émettent, lors d’une réunion tenue le 18 novembre 1833, le souhait de rendre annuelle une réunion des maîtres de forges dans une salle de la préfecture sous la présidence du préfet. Les réunions se multiplient, le 22 novembre 1833, le 28 janvier 1834, sur convocation du préfet. Certes, devant les difficultés économiques, les maîtres de forges s’impliquent dans les recherches de Richard. Mais, « sur une trentaine de maîtres de forges réunis le 28 janvier, Julien Rousse est le seul qui ait offert sa forge ». Autre exemple de l’ampleur réelle de leur implication, aucun des maîtres de forges, membres de la commission nommée par leurs pairs pour contrôler les expériences, n’assiste aux essais de l’ingénieur alors qu’ils avaient mandat pour le faire. Un tel manque d’assiduité, lors d’une action collective, montre à l’évidence la force de l’esprit individualiste des fabricants de fer. Malgré tout, le 28 février 1836, les maîtres de forges convoqués à la préfecture, se réunissent une première fois au nombre de douze. Puis, le 15 mars 1836, trente-quatre maîtres de forges représentant quarante-quatre feux, sur les cinquante-deux feux du département (soit 84,5 % du total), décident de former une société officielle, régulièrement organisée67. Cette association est définitivement constituée lors de l’assemblée générale du 30 juillet 1837, tenue à Tarascon, sous la présidence de Jules François. Les statuts qui avaient été arrêtés lors de la séance du 15 mars 1836 sont approuvés68. Les réunions se tiennent à la préfecture. Une commission permanente, composée de huit membres (sept maîtres de forges et un secrétaire, Jules François), représentant les différents groupes géographiques d’usines d’Ariège, est chargée, sous la désignation de « Comité central des maîtres de forges de l’Ariège », de veiller à tout ce qui pourrait contribuer à l’amélioration du travail direct du fer. Il est tenu de se réunir tous les trois mois, plus souvent si cela est nécessaire. Les délibérations se feront à la simple majorité. Le Comité pourra convoquer tous les maîtres de forges chaque fois qu’il le jugera nécessaire. Une assemblée générale doit avoir lieu annuellement à Tarascon. La publication des résultats des recherches menées, des améliorations métallurgiques et des travaux commerciaux est une tâche prioritaire. Pour subvenir aux frais d’impression, de correspondance, chaque maître de forges s’engage à payer une cotisation qui ne pourra dépasser vingt-cinq francs par an et par feu, « sans l’approbation de la majorité des maîtres de forges ». Lors de cette assemblée générale, Saint-André, président du Comité, désirant que le plus grand nombre possible de maîtres de forges participe, propose de le reconstituer. Mais l’assemblée refuse. Elle décide simplement d’ajouter, pour des raisons de facilité de déplacement et donc de voisinage, trois membres, Deguilhem de Vicdessos, Julien Rousse et Adolphe Garrigou de Tarascon.

  • 69 Précis historique du traitement direct du fer dans l’Ariège, Détails statistiques sur la fabricatio (...)
  • 70 Arch. dép. Ariège, 137 S 2.

39La fondation de cette Société a pour résultat de rapprocher les maîtres de forges, de les habituer à prendre des décisions collectivement. Plusieurs d’entre eux jouent un rôle actif et multiplient les réunions. Autre avantage de cette création, et non des moindres, elle paraît familiariser les maîtres de forges avec les « questions de progrès dans le travail du fer ». Des maîtres de forges de l’Aude, du Tarn, et même d’Espagne, Vincent Vasquez de Galice par exemple qui était présent lors de la séance du 28 février 1836, demandent de faire partie de la Société. Nous avons peu de renseignements sur l’activité de la Société et du Comité, hormis les deux publications faites à Foix en 1837 et 183869. Le Comité doit aussi intervenir auprès du préfet pour lui faire connaître les positions des sidérurgistes et leurs souhaits. Des personnes compétentes, de passage en Ariège, peuvent participer aux débats lors des assemblées. Michel Chevalier, ingénieur des Mines, maître des requêtes, est présent le 30 juillet 1837, à l’invitation de Jules François. De 1838 à 1842, les réunions de la Société des maîtres de forges de l’Ariège s’intéressent essentiellement aux moyens d’améliorer la sidérurgie à la catalane, au projet de forge modèle (rapport de François en 1838)70. Le comité veut aussi persuader le préfet de se faire leur porte-parole auprès du gouvernement (réunion du 31 octobre 1839).

2/ L’oubli rapide de la précarité du système à la catalane

  • 71 Mémoire de MM. les maîtres de forges de l’Ariège à monsieur le ministre du Commerce et de l’Agricul (...)

40La dureté de la conjoncture des années 1830 avait servi de catalyseur aux énergies des maîtres de forges, décidés à rétablir leur position. Mais une fois que la situation a semblé s’améliorer, le sentiment de fragilité s’est effacé pour laisser place à l’insouciance habituelle. Cette impéritie est consolidée par l’essor de la production des fers à la catalane qui, dès 1835 et surtout à partir de 1840, connaît ses plus fortes années, avec la période record de 1851 à 1855. L’action soutenue du préfet et de l’ingénieur des Mines est parvenue à rassembler les maîtres de forges et à les faire œuvrer ensemble pour préserver le système à la catalane, mais seulement pour un temps. Ainsi, alors que trente-quatre maîtres de forges étaient présents à la réunion du 15 mars 1836, ils ne sont plus que vingt-trois lors de l’assemblée générale du 30 juillet 1837. Plus révélateur, lors de la réunion du Comité central du 6 août 1837, seuls sont présents à Tarascon cinq membres, Saint-André, Rousse, le marquis d’Orgeix, Adolphe Garrigou, de Tersac. Espy, Trinqué et Avignon se sont excusés parce qu’ils étaient « retenus par des affaires urgentes », ils adhèrent d’avance à toutes les délibérations prises. Deux maîtres de forges qui n’ont pas été élus assistent à la réunion, d’Allens et Alexandre Ruffié. Or, cette structure comprend les hommes les plus décidés à travailler pour leurs confrères. Mais, dès 1842, nous n’avons plus aucune trace d’une quelconque activité de la Société ou du Comité, retour au vieux démon de l’individualisme. En 1845, on ne parle plus que de « démarche commune à tous les maîtres de forges »71. Les industriels ariégeois sont aussi habités par la crainte que, en améliorant le procédé à la catalane, grâce aux sacrifices qu’il supportent seuls, pour reprendre le terme qu’ils utilisent, ils travaillent « pour les autres », pour les usines projetées en Corse par exemple. Jules François juge cette objection « trop étroite pour avoir une portée sérieuse ».

41D’une façon plus générale, l’amélioration de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises se heurte de nouveau à la résistance des conservatismes. L’esprit d’antagonisme, qui divise les industriels, les met dans l’impossibilité d’opérer, en unissant leurs efforts, les innovations toujours nécessaires. Leur manque de dynamisme explique la précarité de leur situation. La faiblesse des moyens financiers d’une région pauvre ne fait que renforcer ces handicaps. Un autre état d’esprit existe, certains fabricants, sans remettre en doute le diagnostic des ingénieurs, se bornent à considérer que les changements proposés sont inexécutables. D’autres, enfin, donnent leur assentiment à toutes ces mesures, sans les mettre en œuvre, ou sans pouvoir le faire rapidement. Un frein puissant doit être pris en considération, l’absence de bénéfices, le temps d’amortir les dépenses consenties pour moderniser la forge. Cet argument est d’autant plus efficace que, dans le meilleur des cas, les bénéfices des maîtres de forges ne sont pas jugés par eux « excessifs ». Ce sentiment est renforcé par le fait que de nombreux industriels ariégeois estiment que la différence des prix avec les fers concurrents ne s’explique pas par des bénéfices plus élevés qu’ils réaliseraient, mais plutôt par la différence du prix du combustible. La plupart des maîtres de forges des Pyrénées ariégeoises manquent de vision à moyen et long terme et vivent au jour le jour, au gré de la conjoncture. Ceux d’entre eux qui possèdent cette vision ne manifestent guère la volonté de se doter des outils susceptibles d’améliorer leur industrie. Il faut cependant reconnaître que leur manque de moyens financiers est un véritable handicap. Ainsi, le système productif à la catalane court sur son aire. Il n’existe pas de prise en compte réelle des problèmes structurels. Il est plus facile de s’en prendre à la concurrence des fers étrangers et aux lois douanières. Dans un tel contexte, la détermination des forgeurs, traditionnellement habitués à s’imposer aux maîtres de forges, prend un relief particulier.

D/ Les réactions d’opposition des forgeurs

42Face au vaste programme élaboré par les ingénieurs avec le soutien des notables, les forgeurs s’interrogent sur leurs intentions et ne peuvent pas rester sans réaction. Le comportement des ouvriers sidérurgistes doit être apprécié non seulement à l’intérieur du système productif, mais aussi dans la société montagnarde qui est en dissidence généralisée. Malheureusement, un problème de sources se pose, nous ne disposons que des écrits des partisans du changement, ceux précisément auxquels s’affrontent les forgeurs.

  • 72 Compte rendu de l’enquête industrielle de 1860, séance du 25 mai, tome I, p. 463.

43L’enjeu pour les ingénieurs et les maîtres de forges est de prolonger le procédé à la catalane, ce qui est vécu par les forgeurs comme une dépossession de leur savoir technique, c’est-à-dire de leur pouvoir. Or, la véritable question est celle de leur survie, liée à celle du système à la catalane, les enjeux sont dramatiques pour eux, en ont-ils réellement conscience ? Il ne s’agit pas de remettre en cause l’esprit routinier des forgeurs, mais bien de comprendre les motifs de leur attitude. Ils défendent leur profession, pas seulement le « secret » de leur savoir-faire et les avantages qu’elle leur procure, ce que l’on pourrait qualifier de patrimoine technique familial. Les forgeurs vont-ils chercher à moderniser leur savoir gestuel ? Ou au contraire vont-ils se crisper sur leurs pratiques habituelles, donnant ainsi raison à ceux qui les accusent de routine et disqualifient le procédé qu’ils mettent en œuvre comme archaïque, « on fait le fer en Ariège comme on le faisait chez les Romains, exactement »72 ? Le jugement porté sur la forge à la catalane épouse les avancées de la science sidérurgique, ainsi que la « nouvelle donne économique ».

  • 73 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, lettre datée de 12 mai 1836.
  • 74 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, rapport de Richard au Conseil général sur les essais métallurgiques, aoû (...)

44Tout dans le caractère des forgeurs les oppose à celui qui vient de l’extérieur de leur univers, de leurs montagnes, qui appartient à un autre monde social. L’ingénieur en chef d’Aubuisson prévient le préfet de l’Ariège que « les ouvriers des forges, jaloux au dernier point de la connaissance exclusive de leurs procédés, feraient avorter toute tentative faite pour y jeter quelque lumière et toute innovation »73. Richard est conscient que les forgeurs pensent que ses essais ont pour but de se passer de certains d’entre eux. Il emploie d’abord un escola de Saurat qui « sabote le travail ». Il engage alors un nouvel escola, Lafont de Rabat74. Cette lutte contre les mesures recommandées par les ingénieurs peut revêtir diverses formes, la contestation de la légitimité des ingénieurs et de leur action d’un part, le passage à l’acte, le sabotage des essais d’autre part. La contestation peut être individuelle ou collective. Parmi les attitudes individuelles, il faut noter celle de certains forgeurs qui acceptent d’aider les ingénieurs, de travailler avec eux. Ils sont très minoritaires. L’exemple le plus connu est celui du foyé Alexandre Séris qui seconde Jules François lors de ses expériences. L’ingénieur des Mines le considère comme l’un des meilleurs et des plus intelligents forgeurs de l’Ariège. Mais l’essentiel est bien une attitude collective de refus et d’opposition violente.

1/ La contestation de la légitimité de l’action des ingénieurs

  • 75 J. François, Société des Maîtres de forges de l’Ariège, 1re Publication, Foix, 1837, Avant-propos.
  • 76 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, novembre 1832, août-septembre 1839.
  • 77 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 4, essais métallurgiques pour l’amélioration des procédés suivis (...)

45Opposition à l’attitude des ingénieurs dans un premier temps, ils sont récusés par les forgeurs qui considèrent que l’ingénieur n’a pas à leur apprendre leur métier. Les ouvriers sont persuadés qu’avec le ringard, ils en font plus que lui avec sa plume. François répond que, lui aussi, avant de prendre la plume, a fait connaissance avec la palenque, que ses publications « sentent le charbon et la mine, que c’est près des feux de forges qu’elles ont été écrites ». Il ajoute, flèche du Parthe, que « tous les renseignements qu’elles renferment ont été recueillis au milieu des bons forgeurs ». Autre argument avancé par les forgeurs, leurs pratiques marchent chaque jour. La réponse de François est simple, il désire travailler avec eux et réclame les observations nouvelles qu’ils peuvent faire pour les porter à la connaissance de tous, au plus tôt. Ainsi, ajoute-t-il, les publications ne seront pas le travail de quelques-uns, mais bien l’ouvrage de tous, et principalement des ouvriers. Mais ces derniers ne sont guère convaincus, ils sont parfaitement conscients que les ingénieurs, comme les maîtres de forges, estiment que leur savoir-faire est indécis et routinier, que les règles qu’ils suivent sont vagues, et que « le malaise » des forges vient en grande partie de l’imperfection des procédés qu’ils suivent75. Il ne faut pas oublier que les ingénieurs s’efforcent parallèlement de déposséder l’ouvrier de son tour de main, et même de supprimer l’un d’entre eux. D’autant plus qu’il est envisagé de créer une école d’ouvriers métallurgistes, ce qui constitue une nouvelle attaque directe de la transmission traditionnelle du métier par l’apprentissage au sein de la famille. Cette façon de transmettre leur savoir a parfaitement fonctionné jusqu’alors. Quelle est la nécessité d’une école ? Et pourtant, la création d’une école des Forgeurs est proposée au Conseil général par Marie Hyacinthe Bernadac, de Foix, dans un mémoire du 2 septembre 1839. Ce jeune Ariégeois avait été admis en 1832 à l’école des Mineurs de Saint-Etienne. Enfant « d’une famille pauvre qui n’a pas les moyens de pourvoir à sa nourriture et à son entretien pendant le séjour qu’il devra faire à Saint-Etienne », le Conseil général de l’Ariège propose de lui accorder une bourse76. Bernadac considère que cette école sera un « moyen puissant d’arracher l’industrie ariégeoise à une ruine prochaine »77. Les recherches des ingénieurs qui contribuent simultanément à améliorer la qualité tout en économisant le combustible sont une illustration, propre au procédé direct à la catalane, du vieil adage des forgeurs selon lequel « le meilleur fer se fait dans le moins de temps avec le moins de mine et de charbon », ce qui renforce la perplexité des ouvriers. Si les améliorations s’étaient cantonnées à ce domaine, il est très vraisemblable qu’ils ne s’y seraient pas opposés avec autant de virulence.

2/ Le sabotage des essais de Richard

  • 78 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit, p. 306-312.

46Dans un tel climat, le sabotage des expériences conduites par Richard se comprend mieux. L’ingénieur engagé par le Conseil général cherche à introduire l’usage de tuyères en terre cuite, fabriquées par Fouquet et Arnoux de Toulouse. Entreposées à la forge de Niaux, elles ont été brisées. Richard en demande les débris dans l’espoir d’y trouver au moins un tronçon utilisable, il ne les a jamais reçus. Autre action destructrice, toujours à la forge de Niaux, lors d’essais à l’air chaud, la partie antérieure de l’appareil de chauffage de l’air a reçu un choc assez violent pour que la tôle soit déprimée de plus de 6 cm et que des clous de la rivure aient sauté, créant ainsi une fuite qu’il a été impossible de réparer. Richard est persuadé qu’il s’agit d’une « malveillance » parce que le choc est horizontal, et non vertical comme il aurait dû l’être s’il avait été causé par la chute d’une pierre, dirigé de l’ore vers le côté des porges comme un coup porté avec une masse. Malgré ce contretemps, les essais continuent. L’un d’eux consiste à comparer le massé de deux feux, l’un conduit à l’air chaud selon les indications de Richard, l’autre par une équipe de forgeurs de façon traditionnelle. Le résultat du premier est « très bon », alors que, aux dires d’un maître de forges, Saint-André, le minerai était de mauvaise qualité. Les massoques sont pesées, 459 livres, en présence des ouvriers du second feu « stupéfaits ». Richard donne la mesure de leur stupéfaction, ils « s’étaient engagés à manger tout le fer qui sortirait du creuset travaillé à l’air chaud. Rien ne peut peindre l’expression de dépit mêlé d’étonnement empreinte sur ces huit figures, lorsque le massé tomba à leurs pieds sans se briser ». « Tout le monde fut d’avis qu’il [le massé obtenu avec l’air chaud] donnerait plus de quatre quintaux » de fer. Mais en réalité, il ne donne que 385 livres après le traitement sous le mail qui a été fait en l’absence de l’ingénieur et huit jours plus tard, alors que d’habitude il est réalisé immédiatement après la réduction. D’après l’opinion de quelques uns des témoins, de Rousse, maître de la forge de Niaux, en particulier, le massé a été « maladroitement » réchauffé avant l’étirage. Si un doute subsiste sur l’attitude des forgeurs, il n’en est pas de même quelque temps plus tard. Pendant une nuit que Richard qualifie de « nuit de désastre », la capote qui dirige la flamme sous l’appareil a été arrachée, le porte-vent chaud a été fracturé en deux endroits, fractures où l’on peut passer la main entière. L’ingénieur arrête aussitôt le travail parce que les expérimentations ne peuvent plus porter sur l’air chaud. Malgré cette décision, un essai supplémentaire est promis à Richard, mais, précise-t-il dans un compte rendu envoyé au président de la Société des Arts de l’Ariège, « la malveillance des ouvriers, leur mutinerie, leurs menaces même, changèrent bientôt les dispositions du maître de forges… et le creuset était à peine échauffé qu’on y renonça ». À la grande joie des forgeurs qui, chacun armé d’un marteau, montent « comme à l’assaut du fourneau de chauffage, l’appareil vola en éclats sous leurs coups, et deux heures suffirent pour qu’il ne restât plus aucune trace », abandon définitif des tentatives à l’air chaud. Les archives n’ont conservé que de la version de Richard, mais la description qu’il donne de l’attitude des forgeurs est crédible, conforme à leurs réactions devant des innovations venant de l’extérieur et face à des personnes « étrangères »78. D’autant que, lors de la publication de son ouvrage, de nombreux témoins peuvent le contredire si cela est nécessaire en cas d’erreur ou de mensonge. L’ingénieur ajoute pour terminer, « on m’a appris, depuis cette époque, que ces ouvriers [ceux qui participaient aux essais et avaient détruit l’appareil] avaient fait valoir leurs titres à la reconnaissance de leurs camarades en se vantant de leurs efforts pour faire échouer ces expériences ». Le sabotage est facilité par l’absence de Richard qui, blessé à la jambe dès les premiers feux, est retenu dans son lit. Il lui est donc impossible de déjouer ces manœuvres. Un forgeur aurait affirmé à l’un de ses camarades dans un café de Tarascon : « Ils allaient réussir, mais je suis arrivé à temps et j’y ai mis ce que tu sais bien », quelle valeur accorder à cette confidence ? Richard émet l’hypothèse qu’il ait mélangé une grande quantité de sable à la greillade parce que les forgeurs savent parfaitement que le sable entraîne avec lui de fortes quantités d’oxydes de fer.

  • 79 Anonyme, Réflexions sur la mésintelligence survenue entre les maîtres de forges de l’Ariège et leur (...)

47Derrière le refus des forgeurs, il faut aussi voir, plus classiquement, le désir de lutter contre les baisses de salaires, la suppression de la fargade et des avantages en nature (le cuivre des vieilles tuyères donné aux ouvriers, etc.) que les maîtres de forges veulent imposer, en 1844-1845 par exemple. La réponse des forgeurs est toujours la même : s’opposer. Les moyens d’action sont bien connus, arrêt du travail, mise en interdit moral de ceux qui ont accepté la baisse, rappel de ceux qui se trouvent dans les forges éloignées et qui auraient continué à travailler79. La destruction des appareils rappelle certes le luddisme, pratique classique des ouvriers dans les débuts de l’industrialisation. Mais dans le monde à la catalane, elle se déroule, en amont du passage à l’utilisation industrielle, lors d’essais et non lorsque les nouvelles machines sont en pleine production. L’action a une visée prophylactique en quelque sorte. Le recours aux formes traditionnelles de lutte, y compris à celles « folkloriques » de la société pyrénéenne, confirme que les recherches des ingénieurs sont perçues comme une agression directe à leur savoir-faire. Cette réaction des forgeurs montre bien l’importance des facteurs culturels dans le maintien du direct. Une logique de comportement existe dans leur résistance. Ils cherchent à préserver les références socio-techniques et les repères spatio-temporels en fonction desquels se constitue leur « corporation ». Cette réaction communautaire s’applique aux traits spécifiques qui caractérisent le groupe. Il faut enfin y voir le désir de défendre les usages locaux des Pyrénées ariégeoises.

3/ Savoir empirique, savoir scientifique

  • 80 H. Otto Sibum, « Les gestes de la mesure. Joule, les pratiques de la brasserie et la science », Ann (...)

48L’attitude des forgeurs et celle des ingénieurs posent aussi la question générale des rapports entre savoir empirique et savoir scientifique. Les ouvriers, lorsqu’ils travaillent au feu, ne font pas de différence entre pratiques manuelles et pratiques mentales, ils combinent leurs forces physiques et mentales. L’historien des sciences H. Otto Sibum qualifie ce savoir technique de « savoir gestuel »80. Ce sont les ingénieurs qui sont contraints à faire cette distinction pour expliquer les opérations complexes de la réduction du minerai.

- Le corps et les sens du forgeur, instruments de mesure

49Le savoir gestuel des forgeurs n’est pas reconnu parce que ces ouvriers ne suivent pas des principes scientifiques. D’abord, ils mettent leur amour-propre à n’employer aucun instrument de mesure. La construction du fourneau se fait au « coup d’œil », expression utilisée par les forgeurs, « au sentiment » dit Tom Richard. De plus, chaque foyé construit le feu à « son point », « son punt », il ne saurait travailler sur un autre fourneau. C’est dire qu’il n’existe pas de dimensions standardisées, de modèle normalisé. Les forgeurs se fient à leurs sens pour conduire la réduction, règlent leur conduite « d’après les circonstances que présente le feu ». Ils comptent les quantités de minerai en caisses, le charbon de bois est mesuré en parsous et en desques dont la contenance varie d’une forge à l’autre. Cette absence de mesures faites avec des instruments de précision, cette volonté d’utiliser son corps pour connaître les températures, les pressions, les taux d’humidité, affaire d’œil et de main, sont aggravées par la fidélité aux mesures anciennes : le quintal de mine qui est différent du quintal de forge, tous deux distincts du quintal métrique, qui sont différents d’une vallée à l’autre, d’une forge à l’autre. Les variations du sac de charbon sont encore plus grandes. Le préfet de l’Ariège doit prendre un arrêté le 3 avril 1840 pour uniformiser ce système de mesure. Le parsou doit cuber 1,800 m3. Il a 2 m de longueur, 1 m de largeur et 0,90 m de hauteur. Cette mesure se subdivise en 9 mesures de 2 hectolitres qui correspondent au sac ancien, 1/9 de l’ancien parsou, ou 1/3 de l’ancienne charge.

- Imprécision et empirisme

  • 81 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., tome IV, p. 167.

50Défaut de précision, mais aussi absence de règles scientifiques. Le bas fourneau est jugé si grossier par les ingénieurs qu’il leur est impossible d’obtenir une mesure exacte à un ou deux centimètres près. Le foyé qui l’a construit indique très volontiers ses dimensions et détaille les principes qu’il suit. Or, lorsque l’ingénieur, le mètre à la main, prend les cotes de toutes les parties du fourneau, il constate qu’aucun des principes énoncés n’a été respecté. De même, pour combattre les vices de construction de la trompe, c’est-à-dire pour résoudre les problèmes de soufflerie et de pression du vent, l’escola tâtonne et modifie l’ouverture des orifices d’entrée et de sortie, à l’aveuglette, sans donnée précise. Le forgeur ne connaît pas les phénomènes physico-chimiques qui se produisent. Enfin et surtout, la raison fondamentale du rejet du savoir gestuel est la trop grande importance de l’escola qui est réellement responsable du bon déroulement de l’opération, de son résultat en quantité et en qualité. L’habileté individuelle de l’ouvrier joue le premier rôle. Dans un même bas foyer, celui-ci obtient un produit excellent, celui-là ne donne que peu de fer. Une modification du tour de main qui semble anodine entraîne de grandes conséquences sur le résultat. La difficulté de conduire la réduction d’une manière identique dans tous ses détails, la variabilité des quantités de minerai et de charbon de bois utilisées, les grandes différences d’un massé à l’autre définissent un savoir-faire incompatible avec la modernité scientifique et industrielle du XIXe siècle, c’est-à-dire avec la reproductibilité à l’identique, la standardisation. Les forgeurs à la catalane « ne connaissent que le minéral sur lequel ils ont fait leur apprentissage ; forcez les de là, ils ne savent plus rien ; ce sont de vrais automates qu’on ne saurait déranger de leur marche ordinaire sans tout gâter… Présentez à ces gens un minéral différent, même meilleur que celui auquel ils sont accoutumés, ils vous diront tout net qu’il ne vaut rien, et qu’ils ne le travailleront pas »81. Ce savoir gestuel est un bel exemple de savoir local : type de minerai, bas foyer et procédé individualisés, système hydraulique original, appareil de soufflerie particulier, disposition de la forge. Il devient alors possible de parler de culture technique d’un territoire, ce qui s’oppose à l’universalisme de la méthode industrielle moderne.

- Les secrets du métier et la routine

  • 82 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 239.
  • 83 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., tome IV, p. 167.
  • 84 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 225-227.
  • 85 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 290.
  • 86 D. Woronoff, « Le quotidien des techniques : de la répétition aux aménagements », op. cit., p. 789- (...)
  • 87 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., tome IV, p. 166.

51Le caractère rugueux des forgeurs, leur mentalité face à « l’étranger » constituent un autre obstacle à l’acceptation de leur savoir-faire. Il s’agit là d’une donnée permanente qui est exacerbée devant les actions et les buts affichés par les ingénieurs. Les auteurs de traités métallurgiques écrivent tous que ces ouvriers ont des préjugés et une vanité extrêmes. Ils sont persuadés que « leur routine de tradition est le plus haut degré de la Science et de l’Art »82. Ce sentiment « destructeur » les conduit à regarder avec mépris toute espèce d’innovation. Cette attitude est déjà dénoncée en termes très durs par les savants du XVIIIe siècle. « Si on leur présente de s’y prendre différemment, ils vous ferment la bouche avec une seule réponse : d’in nostron pays fasen com’aco, c’est-à-dire, c’est ainsi qu’on fait chez nous »83. « Ils veulent conserver dans toute son intégrité leur routine, ce que leurs pères leur ont enseigné. Il faut avoir fréquenté ces gens là pour être convaincu de leur obstination à refuser toute lumière. Ils ne veulent rien adopter de nouveau, pas même les pratiques les plus salutaires, dont le temps et un succès constant ont consacré l’utilité, dont ils sont eux-mêmes les témoins et auxquelles ils sont forcés de rendre hommage ». Entre les années 1740 et 1780, le massé rend 75 livres de plus. Les vieux ouvriers interrogés sur les causes d’une amélioration aussi nette ne savent que répondre. Ils ne peuvent pas la contester, mais elle s’est faite « par une gradation si lente et si insensible qu’ils n’ont pu en saisir les progrès »84. D’une façon générale, l’absence de connaissances leur permettant de comprendre ce qu’ils font s’explique parce que « le plus grand nombre des forgeurs ne présente aucune garantie d’instruction, d’aptitude, et d’observation pratique »85. En cas de problèmes, la plupart des escolas ignore l’importance de la combinaison de la réduction, de la dose de greillade et des percées du chio. Les forgeurs réparent le fourneau pour corriger les défauts, sans savoir ce qu’ils font et pourquoi ils le font. Ce jugement sévère, les ingénieurs le justifient par les lacunes de l’apprentissage. Ils ne faut pas croire, remarquent-ils, que dans une méthode où le savoir-faire du forgeur joue un rôle essentiel et exerce une influence de chaque instant, l’éducation pratique des forgeurs soit l’objet de quelques soins. Il est bien rare qu’ils se communiquent leurs observations et qu’ils se donnent des conseils. Loin de là, chaque forgeur, pendant son apprentissage, se trouve isolé dans la forge, abandonné à ses seules ressources personnelles et à sa valeur intrinsèque. Ainsi l’insistance des ingénieurs à dénoncer les défauts des forgeurs est-elle une attaque délibérée contre leur tradition d’autodidactisme qui s’oppose à la culture scientifique du XIXe siècle86. C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier la question des secrets de la profession. Les forgeurs du pays de Foix forment des brigades et « ne permettent jamais à un habitant du lieu de se mêler ou d’approcher de leur travail »87. Les renseignements erronés fournis aux métallurgistes font partie de ce désir de préserver leur tour de main.

- La pratique raisonnée et scientifique des ingénieurs

  • 88 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 254-267.
  • 89 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 291.

52Tous les efforts des ingénieurs tendent à rendre public le procédé à la catalane et à le faire bénéficier des avancées de la science de leur siècle. Ce savoir gestuel local deviendra alors valide partout, malgré la difficulté à reproduire par l’écrit la technique des forgeurs. Le premier travail indispensable est d’avoir des informations exactes, indépendantes de l’appréciation individuelle, grâce à l’emploi d’instruments de mesure de précision : mètre, thermomètre, manomètre. Le moment et la durée de chaque opération, de chacun des gestes de la réduction doivent être indiqués avec une rigoureuse précision : le temps d’un feu doit être soigneusement minuté avec une montre. La supériorité des pratiques de mesure est décisive pour rationaliser et objectiver la connaissance d’un métier. Il subsiste malgré tout des écueils. Ainsi, Richard, afin de présenter en détails les manœuvres du traitement pendant un feu, donne le procès-verbal d’une réduction88. Mais, malgré la précision et la rigueur scientifique de sa démarche, il ne fait connaître que le feu qui est l’objet de sa description, et le savoir-faire personnel de l’escola qui l’a conduit. L’ingénieur est conscient de ce défaut puisqu’il précise que le forgeur a forcé l’emploi du vent et que, en conséquence, il a augmenté la consommation de charbon. Il est indispensable, ensuite, de supprimer toutes les causes de variation qui trouvent leur origine dans le tour de main du forgeur. Mais cela s’avère beaucoup plus difficile. Il ne suffit pas d’observer avec intelligence et une attention soutenue les phénomènes physico-chimiques de la réduction, de les comprendre. Il est nécessaire avant tout de maîtriser le savoir-faire du forgeur et d’éclairer sa routine, c’est-à-dire la façon habituelle qu’il a de travailler au jour le jour dans le quotidien de son métier. Derrière cet objectif se cache aussi le désir de « retrancher de l’intervention et de l’influence de la main de l’ouvrier »89. Un autre avantage est la possibilité de former au procédé à la catalane des ouvriers « étrangers », de les habituer à traiter les minerais qui sont dans leur région. Ainsi, la méthode à la catalane modernisée et rationalisée pourrait être reproduite hors de son aire technique traditionnelle sans recourir aux forgeurs ariégeois.

  • 90 Mussy, « Traitement du minerai de fer de Rancié dans les usines métallurgiques du département de l’ (...)
  • 91 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, lettre du ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux Publics (...)
  • 92 Arch. dép. Ariège, 138 S 18, Pamiers, 1857-1870.

53Dans les années 1830-1840, les maîtres de forges et les autorités politiques et administratives ont trouvé et mis en œuvre quelques solutions plus ou moins efficaces et de plus ou moins longue durée. L’effet tangible de l’application raisonnée de ces mesures s’est perpétué au-delà de cette période. À l’époque de Jules François, pour 100 de métal, il faut 310 de minerai, 302 de charbon de bois, alors qu’en 1869, il suffit de 300 de minerai et de 290 de charbon, soit une baisse de la consommation de minerai de 3,2 %, et de combustible de 3,9 %. Diminution indiscutable certes, mais d’une faible ampleur, preuve que dès le début des années 1840, le procédé à la catalane avait atteint son maximum. Des gains sont peut-être encore possibles, mais à la marge. Durant cette période, le poids du massé passe de 153 à 170 kg en moyenne90. Ces constatations confirment la qualité du travail méthodique d’amélioration du système technique qui s’est déployé dans de nombreuses directions. Confortés dans leurs illusions et leur conservatisme naturel, les maîtres de forges retombent dans leurs travers, ne cherchent plus à améliorer le système, à diminuer les frais de fabrication et de transport, laissent les forgeurs diriger le travail, continuent à ériger des usines sur le modèle des anciennes forges qui, pourtant, disparaissent sous leurs yeux, sans prendre garde à la part décroissante des fers ariégeois dans la production française. La sidérurgie à la catalane des Pyrénées ariégeoises, forte de ses succès, reste fidèle à ses modes de production traditionnels, sans s’inquiéter des possibilités des forêts, de l’avenir des mines, des changements que connaît la sidérurgie française. Il existe pourtant un courant d’opinion de plus en plus fort qui estime clairement que l’infériorité de la métallurgie du fer des Pyrénées ariégeoises peut disparaître avec un nouveau traitement du minerai qui donnerait à ses fers la qualité des fers de Suède qui leur sont préférés91. Le cas le plus représentatif de ce courant de pensée est celui de l’usine de Pamiers où il est précisé que la forge à la catalane « sera abandonnée et remplacée par les hauts fourneaux »92.

E/ La question de l’implantation du haut fourneau dans l’Ariège (1859)

54Le choix réitéré du procédé direct répond à des logiques économiques, sociales et pas seulement techniques, dans un environnement montagnard difficile. Or, les maîtres de forges ariégeois eux-mêmes utilisent un argument technique pour justifier leur refus du procédé indirect : le minerai de Rancié ne convient pas au haut fourneau. Cet argument est le corollaire de l’observation sur la facilité du traitement du Rancié dans un bas fourneau. Ces deux constatations forment une seule opinion. Il est nécessaire pour l’historien de savoir où, quand et comment cette réputation est née.

1/ Les préalables à cette installation

  • 93 T. Richard, Réponse aux questions de M. Jules Pic…, op. cit.
  • 94 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 345-346.

55Les ingénieurs métallurgistes, malgré les avantages qu’ils reconnaissent au procédé direct et leurs efforts pour l’améliorer, ont la lucidité de penser que la forge à la catalane n’est pas l’avenir de la métallurgie pyrénéenne. Ils l’écrivent et osent se lancer dans des prévisions. Richard cherche à persuader les maîtres de forges ariégeois de « la convenance… très évidente pour [lui], d’un haut fourneau au moins dans l’Ariège, et même de quelques affineries »93. Dans la conclusion de ses Recherches, Jules François se risque à prédire l’avenir de la sidérurgie, à examiner « de quelle manière se formuleront un jour la consistance et le roulement des usines dans les Pyrénées ». « Le morcellement dans les ressources du combustible, et dans la force motrice, résultant des conditions topographiques des départements pyrénéens, pourra soutenir en partie, pendant quelque temps encore, le morcellement actuel dans la production ». Mais si on considère les frais généraux, la main-d’œuvre et les améliorations du traitement, on peut « penser que, partout où l’état et la position des bois et des mines permettent des conditions de facile approvisionnement, comme sur quelques points des environs de Saint-Girons, de Foix, de l’arrondissement de Limoux, et du littoral de la Méditerranée, au pied des Albères, il y aura un jour concentration de force productive. De quelle manière s’opérera cette concentration ? Profitera-t-on de la qualité supérieure des hydroxydes manganésifères de l’Ariège, des Corbières et du Canigou pour produire de bonnes fontes manganésées que l’on pourrait traiter pour acier de forge, ou pour fer de cémentation en recourant au puddlage, avec addition de fer hydroxydé manganésifère, alimenté par les gaz du gueulard ? Ou bien se bornera-t-on à organiser le mode de traitement direct continu que j’ai indiqué ci-dessus ? […] les intérêts industriels des Pyrénées y trouveront, je pense, des moyens de conservation et de développement indispensables au bien-être de ces contrées. »94.

- Le préalable du minerai et l’esquisse d’une histoire de la méthode indirecte dans les Pyrénées ariégeoises

  • 95 J. Cantelaube, C. Verna, « Les forges à la génoise dans les Pyrénées ariégeoises au XVIe siècle : q (...)
  • 96 J. Cantelaube, « Les hommes et le fer en Ariège pendant la Révolution », Bulletin de la Société Ari (...)

56L’opinion générale refuse aux minerais de Rancié la propriété de pouvoir donner de la fonte dans un haut fourneau. L’origine de cette croyance est historique. Les maîtres de forges et les forgeurs interrogés répondent tous que le haut fourneau établi à Villeneuve d’Olmes dans les premières années de la République n’avait donné que de forts mauvais résultats. Or, tel n’est pas l’avis d’Henry qui a construit ce haut fourneau et a produit de la fonte. Il est remarquable que ce haut fourneau ait été érigé au lieu dit « La fonde », « fonte » en langue d’Oc. Ce toponyme est né au XVIe siècle, il apparaît en 1573, pour désigner l’endroit où avait travillé, de 1540 à 1556, la « molline sive fonde avec deux forges genevoyse » de la famille de Lévis-Mirepoix. Le minerai utilisé dans cette usine n’est pas connu, mais il doit s’agir du minerai de Rancié puisque les moulines du pays d’Olmes emploient ce minerai depuis le XIVe siècle. Cette tentative d’implanter le procédé indirect dans les Pyrénées ariégeoises, si un tel transfert d’innovation a été réellement tenté, s’est soldée par un échec95. Le haut fourneau érigé en 1793- 1794 a laissé des traces dans la mémoire collective des hommes du fer. La première mise à feu se fait le 5 mars 1795. Cette première coulée est délicate parce que les réactions du minerai de Rancié lors d’une réduction indirecte sont inconnues. La fonte obtenue « pèse 1/5ème de plus que celle de Champagne, de Lorraine ». C’est un défaut rédhibitoire, « le boulet de 36 qui ne doit peser que 37 livres et demie en pèse 44, cette énorme différence dans le poids des boulets nuirait à l’artillerie ». Ce poids plus élevé est attribué à la trop grande richesse du minerai de Rancié96. Cet échec, le haut fourneau ne sera jamais rallumé, semble être à l’origine du préjugé sur l’impossibilité d’utiliser le minerai de Rancié lors d’une réduction indirecte. Et pourtant, Henry reste persuadé qu’il est possible de réduire le minerai de Rancié au haut fourneau. Cette certitude est confortée par le fait qu’il est avéré que le feu à la catalane peut parfois donner de la fonte blanche (elle est dure, cristalline et très cassante). Richard indique qu’il en a souvent vu sortir par le trou du chio. Le préalable du minerai ainsi levé, il devient alors possible de se demander pourquoi construire un haut fourneau.

- Le préalable intellectuel et industriel

  • 97 T. Richard, Réponse aux questions de M. Jules Pic…, op. cit.

57En 1855, les maîtres de forges ariégeois, ou du moins certains d’entre eux, se posent la question de la construction d’un haut fourneau dans les Pyrénées. Ils adressent au ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux Publics un mémoire sur ce sujet, qu’ils publient à Foix. Un des industriels signataires, Jules Pic, envoie cette publication à Tom Richard qui a conservé des liens d’amitiés avec lui. Richard lui répond et, à son tour en 1856, rend publique son opinion97. L’ingénieur civil rappelle que, lorsqu’il était en Ariège, il avait tenté de persuader les Ariégeois de « l’évidence de construire un haut fourneau au moins dans l’Ariège avec des affineries ». L’objection qui lui était systématiquement opposée était que le minerai de Rancié ne se prêtait pas au traitement indirect.

58La réponse de Richard à ce mémoire est d’autant plus intéressante qu’il a une expérience de plus de 25 ans des deux procédés sidérurgiques. Le verdict est sans complaisance. « On a de singulières idées en effet dans votre patrie… sur tout ce qui s’éloigne quelque peu de ce qu’on y fait tous les jours ; et les publications que vous me remettez ne montrent que trop que, en appelant la méthode indirecte à leur aide, les maîtres de forges de l’Ariège n’ont que des notions fort confuses sur les appareils, les procédés, les résultats et les dépenses qu’amènerait son introduction dans l’Ariège ; en outre, tandis qu’ils lui attribuent des vertus nécessaires, telle que l’influence aciéreuse qu’elle ne possédera peut-être pas, ils ne lui tiennent aucun compte de ses véritables qualités relatives, de sa puissance, et du double but qu’elle atteint à la fois ». Le but recherché par les maîtres de forges le laisse songeur. Que veulent les industriels pyrénéens en construisant un haut fourneau ? Il s’agit pour eux de concurrencer les fers de Suède pour acier. Or d’après Richard, rien n’autorise à penser que la transformation du feu à la catalane en haut fourneau permette nécessairement la production de fers à acier capables de remplacer ceux que l’Angleterre tire, non de la Suède en général, mais de quelques rares régions privilégiées de ce pays. Pour bien se faire comprendre, Richard décrit succinctement un haut fourneau alimenté au charbon de bois et son fonctionnement. On obtient de 3 à 10 tonnes de fonte en 24 heures. Pour obtenir du fer, on fait subir à cette fonte, dans un foyer d’affinerie semblable au feu à la catalane, une opération « très analogue » à celle que pratiquent les escolas sur le minerai. Chaque feu d’affinerie donne environ 600 kg de fer par jour, avec « un notable déchet sur la fonte », de même que les forgeurs ont « un notable déchet sur le minerai ». Pour lui, le prix de revient de 100 kg de fer dans l’Ariège ne serait pas sensiblement modifié. Certes, le procédé indirect aurait l’avantage d’une « fabrication plus parfaite », il offrirait sur le marché des pièces mieux étirées, plus régulières et quelquefois aussi sous des présentations qui leur donneraient une valeur commerciale plus élevée. Mais il croit aussi, il dit plutôt craindre, que l’avantage reste à « la vieille méthode catalane » lorsque l’on considère le combustible, les frais d’entretien et les intérêts du capital investi dans la construction de l’usine et ses approvisionnements, c’est-à-dire les frais de production. Où l’on retrouve sous la plume d’un technicien moderne certains éléments du mythe catalan ancien, tel qu’il était énoncé par Tronson du Coudray. La conclusion que l’ingénieur tire est sans appel : la méthode indirecte, dans la double hypothèse où elle ne serait appliquée qu’aux seuls minerais de Rancié, et pour la seule production du fer, ne promet peut-être pas des bénéfices suffisants pour motiver son introduction dans l’Ariège où le charbon de bois est et sera toujours d’un prix très élevé. L’implantation du haut fourneau n’est donc pas pour lui la véritable solution aux problèmes de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises tels que les envisagent les industriels locaux.

59Les propositions de Richard sont tout autres. C’est essentiellement pour produire de la fonte moulée que l’introduction des hauts fourneaux dans les Pyrénées ariégeoises paraît intéressante. Les départements voisins de l’Ariège constituent un marché important. Toulouse, les villes de la Haute-Garonne, Carcassonne, Limoux, Castelnaudary laissent espérer de fortes ventes, sans compter les possibilités offertes par les chemins de fer. L’érection d’un ou deux hauts fourneaux dans l’Ariège paraît alors promettre des bénéfices. Dans ce cas, il est évident pour tous les hommes du métier que le minerai de Rancié ne vaut plus le prix auquel on le paie et que, par conséquent, il n’est plus obligatoire de l’employer. Les nombreux gîtes de minerais de fer du département (près de cinquante reconnus) pourront être exploités. Au contraire, lorsqu’on voudra obtenir de la fonte destinée à être finalement transformée en fers et même en fers de qualité, le minerai de Rancié devra être utilisé. Mieux, il est possible d’économiser encore plus sur le minerai en traitant comme minerai sui generis les scories des feux à la catalane. Mais le véritable problème reste toujours le prix très élevé de tout combustible. Il n’en est pas moins vrai pour Richard que les avantages du haut fourneau sont indéniables : 1° le haut fourneau permet de traiter pour fonte l’énorme quantité de minerais qui n’est pas employée. 2° la plus grande partie de ces fontes devrait être convertie en pièces moulées. Mais là ne se bornent pas les avantages de la méthode indirecte, car, 3° en admettant que chaque haut fourneau soit accompagné de deux feux d’affinerie et d’un marteau, on pourrait transformer en fers une partie des fontes provenant des minerais divers. Leur prix de revient serait alors moins élevé que ceux qu’on obtient du minerai de Rancié, étant donné le bas prix probable de ces minerais. Quant à la qualité de ces fers, elle ne peut être présumée et dépendra de celle des minerais traités. 4° enfin, la méthode indirecte permettra aussi la fabrication des fers supérieurs à l’aide du seul minerai de Rancié, donnant ainsi des fers analogues à ceux que fournit le procédé à la catalane, ce qui est le souhait des maîtres de forges ariégeois. Certes, ces fers risquent d’avoir un prix de revient un peu plus élevé, mais ils seront plus homogènes. L’application de la méthode indirecte aux minerais de Rancié montrerait ce qu’il faut penser de « la prédiction » des maîtres de forges : « le jour où la transformation du feu catalan en haut fourneau se sera accomplie, on pourra réellement offrir aux fabriques d’acier les hautes marques de Suède dont l’Angleterre s’est assuré le monopole ». Si elle se vérifie, il est évident qu’il faudrait absolument se consacrer totalement à cette production, car ces hautes marques dont parlent les industriels ariégeois se vendent à Sheffield plus de 80 francs les 100 kg.

60Au-delà des différences d’appréciation sur le haut fourneau et sur son objet, le cas des Pyrénées ariégeoises illustre les blocages culturels qui subsistent, y compris chez les partisans de l’innovation. Des maîtres de forges ariégeois reconnaissent la nécessité du changement, mais ils restent dans le contexte du procédé ancien. Les fers à cémenter avaient redonné une seconde jeunesse à la forge à la catalane, l’acier doit, par conséquent, être aussi l’élément moteur de l’installation et du développement du procédé nouveau. Là, dans cette prégnance d’un modèle technique (fer-cémentation-acier), réside peut-être une version différente de l’esprit de routine, frein à une innovation véritablement révolutionnaire. Autre exemple de blocage, la polémique autour du minerai de Rancié. La production nouvelle serait celle de la fonte moulée, inconnue jusqu’alors, et, pourtant, son marché prévisible épouse les contours du marché des fers à la catalane. Certes, le rôle de Toulouse changerait, la ville languedocienne ne jouerait plus un rôle de redistribution, mais serait le plus grand débouché de la nouvelle production. En ce qui concerne le combustible, le charbon de bois est le seul envisagé. Un autre point, pour terminer, révèle ce mélange d’esprit d’innovation et de fidélité à l’ancien. Richard, malgré ses multiples expériences et sa connaissance des moyens modernes de production, préconise de construire l’usine près d’une chute d’eau parce que « l’emploi très économique des trompes comme soufflerie dispenserait de l’acquisition de machines soufflantes qui, mises en place, coûteraient bien chacune de 30 à 35 000 francs ».

2/ Les réalisations : les hauts fourneaux de Pamiers, Tarascon, Berdoulet

  • 98 Arch. dép. Ariège, 14 M 182, canton des Cabannes, 3ème trimestre 1859 ; arrondissement de Saint-Gir (...)

61La fin des années 1850 bruisse d’annonces de construction de hauts fourneaux, mais il s’agit plus souvent de rumeurs, comme par exemple à Vicdessos en 1859 ou à Lacourt, que de véritables propositions98. Des projets plus sérieux sont cependant menés à bien.

- Les hauts fourneaux au bois et l’usine à l’anglaise de Pamiers

62La première demande d’autorisation de construction d’un haut fourneau au bois et d’une usine à l’anglaise est faite à Pamiers le 10 novembre 1857. Que cette usine révolutionnaire s’installe à Pamiers n’est pas le fait du hasard, l’aciérie est déjà l’usine la plus importante des Pyrénées ariégeoises, avec plus de 70 ouvriers en 1839-1840. Ses aciers, 280 tonnes en 1839-1840, et ses fers, 108,326 tonnes cette même année, se vendent dans toute la France. Les propriétaires de l’usine possèdent des capitaux « considérables », ils ont de plus la volonté et l’expérience pour mener à bien cette importante modernisation et la capacité de diriger le travail. La position géographique de Pamiers, dans la basse Ariège, limite le prix des transports ; le chemin de fer arrive en 1861. Ce projet industriel reçoit l’assentiment des autorités départementales et de l’administration qui constatent que la métallurgie, qui est « sérieusement compromise dans le département », ne peut « se relever de son anéantissement » qu’en remplaçant la méthode à la catalane par le traitement des minerais de fer au haut fourneau.

  • 99 Arch. dép. Ariège, 138 S 18, Pamiers ; Arch. dép. Ariège, 5 M 3 ; Arch. dép. Ariège, 14 M 181-2.
  • 100 Pour les questions concernant les combustibles des hauts fourneaux, voir S. Benoit, « La consommati (...)

63Mme Anne-Marie Abat, qui vient d’épouser le richissime banquier Anduze-Faris, annonce qu’elle possède de son père l’usine métallurgique de Pamiers. Désireuse de la moderniser, elle demande l’autorisation de construire deux hauts fourneaux au charbon de bois, deux fours à puddler, deux fours d’affinerie, deux trains de laminoirs, un four à réchauffer, une cisaille, une machine soufflante à 3 cylindres, quatre martinets, un marteau à cingler, deux turbines, la première de la force de 50 chevaux, la seconde de 14 chevaux. La production annuelle sera de 20 000 quintaux de fonte, affinée partie au charbon de bois, partie à la houille. Le minerai viendra de Rancié (40 000 quintaux). 20 000 quintaux de charbon de bois seront tirés des « forêts familiales », situées dans l’Ariège, l’Aude, les Basses-Pyrénées et les Landes. Le combustible minéral, 30 000 quintaux, viendra de Carmaux (Tarn) et de Graissessac (Hérault). L’autorisation est accordée le 18 mai 1861. L’usine avait commencé à travailler dès le 1er trimestre 1859, le sous-préfet de Pamiers avait alors rédigé un rapport enthousiaste : « un grand fait industriel qui a beaucoup ému et enorgueillit la population de Pamiers, a été l’établissement et la mise en feu chez Ms Anduze-Faris, Abat et Durrieu, d’un haut fourneau, le premier qu’aura possédé l’Ariège. Il a été solennellement béni par Mgr l’Evêque, le 15 mars. Des hommes compétents qui ont examiné avec soin les fontes, en ont reconnu sa qualité supérieure, et ils affirment qu’elles l’emportent non seulement sur les produits similaires de France, mais encore sur les fontes de l’étranger ». Le procès-verbal de récolement du 30 mai 1862 indique que sont autorisés et non construits deux fours d’affinerie et que sont construits et non autorisés un four de cémentation et un four à puddler99. Un programme de modernisation d’une si grande ampleur exige de lourds investissements, au point que, finalement, les industriels à son origine finissent par renoncer, en expliquant que le gouvernement ne tient pas les promesses d’aide financière qu’il leur avait faites. Nul industriel dans l’Ariège ne veut ou ne peut mobiliser des sommes aussi importantes. Les capitaux sont alors fournis par Jacques Palotte, ingénieur de l’École Centrale, sénateur de la Creuse, qui rachète l’usine en 1862. Il continue sa modernisation : le martinet cingleur est remplacé par un marteau pilon à vapeur, deux nouveaux fours à puddler sont construits, un seul feu d’affinerie est conservé, un four à réchauffer et un four à cémenter sont ajoutés. L’usine de Pamiers emploie 120 ouvriers en 1864. Les deux petits hauts fourneaux utilisent le charbon de bois de 1859 à 1867 ; symbolique à ce propos est l’information de la statistique industrielle du 1er trimestre 1859 sur la forge d’Orlu qui appartient aussi à M. Abat, « chôme mais on croit que c’est pour alimenter de ses charbons le haut fourneau que le même propriétaire a établi à Pamiers ». Ils produisent de 5 à 6 tonnes de fonte par 24 heures. Ils sont restaurés en 1867 pour travailler au combustible mixte (coke et charbon de bois mélangés)100, leur production annuelle est estimée à 1 800 tonnes.

- Les hauts fourneaux de Tarascon, de Berdoulet et de Saint-Antoine

  • 101 Arch. dép. Ariège, 5 M 3.
  • 102 Arch. dép. Ariège, 14 M 184, statistique industrielle.

64Vers 1864, un petit haut fourneau au bois produisant 3 tonnes de fonte par 24 heures est installé à Tarascon, au débouché du minerai de Rancié. Il fonctionne jusqu’en 1867. Pendant l’année 1865, un haut fourneau au coke et au charbon de bois est construit à Berdoulet, près de Foix. Le coke vient de Carmaux. Le préfet indique d’abord qu’il sera mis à feu le 1er novembre 1865, puis, en janvier 1866, il précise que l’usine de Berdoulet fonctionne très bien depuis un mois101. Un haut fourneau au charbon de bois et au coke est construit à l’usine de Saint-Antoine en 1873. Il est mis à feu en 1874102.

- Le feu comtois de Gudanes

  • 103 C. Claerr-Roussel, « The « Comtois » Process of iron production : the birth and development of new (...)
  • 104 Mussy, « Traitement du minerai de fer de Rancié dans les usines métallurgiques du département de l’ (...)

65Une autre tentative d’introduction de nouvelles techniques sidérurgiques a été menée dans une ancienne forge à la catalane de Château-Verdun, l’installation d’un feu comtois103. L’affinage au feu comtois et au charbon de bois a été essayé vers les années 1867-1868 sur des fontes au coke pur obtenues avec le minerai de Rancié. Ce petit foyer a produit à peu près une tonne de fer en 24 heures en 12 ou 14 massés de 75 kg chacun. Le travail de chaque opération dure environ 2 heures. Les conditions économiques de la production de 100 kg de fer marchand sont : 125 kg de fonte de Tarascon à 10,50 francs les 100 kg, soit 13,13 francs ; 125 kg de charbon de bois à 9 francs les 100 kg, soit 7,50 francs ; 4 francs de main-d’œuvre ; 2 francs de frais généraux. Le prix de revient est donc de 26,63 francs. Ce métal, encore peu connu dans le commerce, est vendu comme fer à la catalane au prix de 28 à 30 francs104.

  • 105 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, canton de Tarascon, 1832.
  • 106 F. Caron, « La naissance d’un système technique à grande échelle. Le chemin de fer en France (1832- (...)
  • 107 P.-L. Pelet, « La notion d’industrie », La Sidérurgie ancienne de l’Est de la France dans son conte (...)

66L’histoire du haut fourneau dans les Pyrénées ariégeoises, qui commence très vraisemblablement au XVIe siècle, la réponse des maîtres de forges en 1732, « notre procédé n’a pas de gueuse », démontrent clairement que la fidélité au procédé direct ne s’explique pas par l’ignorance du procédé indirect. Il n’existe pourtant pas de déterminisme de la sidérurgie directe, les conditions naturelles nécessaires à son développement sont certes présentes dans les Pyrénées ariégeoises, mais elles ne sont pas suffisantes. L’importance des données sociales, économiques et culturelles, la demande grandissante de certaines qualités de métal, prennent un relief prononcé. Ainsi a pu se former le rêve moderne de certains maîtres de forges, « Un avenir brillant s’ouvrira pour nos montagnes qui sont destinées par la nature de leurs minéraux et le cours des rivières échappées de leurs sommets à réunir les industries du Duché de Berg, de la Styrie, de la Carinthie et de la Suède »105. La seconde moitié du XIXe siècle connaît un paradoxe, alors que la sidérurgie à la catalane ariégeoise marche vers ses années record, sa part dans la production nationale décroît fortement. Les technologies métallurgiques traditionnelles proposent une gamme diversifiée de produits connus. Chacun d’entre eux est adapté à des usages particuliers (cémentation pour les fers ariégeois, fabrication de ressorts pour l’acier ariégeois). C’est pourquoi « la survie de ces productions ne doit pas être interprétée seulement comme un signe d’archaïsme »106. « En fait, un savoir-faire reste rationnel, adéquat dans un système économique à conditions : qu’il soit adapté au niveau technique des équipes qui l’utilisent, que la production obtenue satisfasse à la demande, que les prix restent compétitifs »107. Là réside le véritable défi de la sidérurgie à la catalane.

Notes

1 Puddlage : la fonte est décarburée dans un four où le carbone et les impuretés sont brûlés dans une atmosphère oxydante. On obtient donc du fer ou de l’acier. Pour favoriser cette opération, un ouvrier brasse (to puddle en anglais) continuellement la masse pâteuse avec un ringard. Cette technique, mise au point par l’Anglais Henry Cort en 1784, a été introduite en France vers 1816. Le cubilot est un four soufflé à l’air chaud par le bas, permettant la production, à partir de la fonte de première fusion, de fonte destinée à une fonderie, de fonte d’affinage.

2 J. Percy, Traité complet de métallurgie, op. cit., tome I, p. LXXXII-LXXXIV.

3 J.-H. Hassenfratz, La Sidérotechnie, op. cit., tome I, p. 16.

4 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., 1777, tome IV, p. 169-170.

5 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., p. 132-134, 147.

6 A. Thépot, Les Ingénieurs des Mines du XIXe siècle, op. cit., p. 108.

7 A. M. Héron de Villefosse, De la richesse minérale, op. cit., tome III, p. 395-397, 423.

8 Arch. dép. Ariège, 138 S 28, Cabre, août 1825.

9 Arch. dép. Ariège, 138 S 6, forge de Junac, juillet 1824.

10 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, canton de Tarascon, 1832.

11 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, 31 octobre 1839.

12 Arch. dép. Ariège, 15 M 21, canton de Tarascon.

13 E. Latheulade, Coup d’œil sur le département de l’Ariège, Toulouse, 1847, p. 112.

14 T. Benazet, Des intérêts ariégeois, Paris, P.Renouard, 1842, p. 35.

15 E. Latheulade, Coup d’œil sur le département de l’Ariège, op. cit., p. 116.

16 T. Benazet, Des intérêts ariégeois, op. cit., p. 38.

17 H. Boucoiran, Ariège, Andorre et Catalogne, Paris, chez Giraud, 1854, p. 123, 130.

18 Arch. dép. Ariège, 15 M 21, enquête sur le travail agricole et industriel ; T. Benazet, Des intérêts ariégeois, op. cit., p. 35-36 ; A. Garrigou, « Avenir des forges à la catalane », Annales agricoles, littéraires et industrielles de l’Ariège, 1833, p. 22-31 ; Le directeur des usines de Saint-Antoine, à messieurs les maîtres de forges du département de l’Ariège, Foix, 1845, 7 p.

19 T. Benazet, Des intérêts ariégeois, op. cit., p. 33.

20 Le directeur des usines de Saint-Antoine, à messieurs les maîtres de forges…, op. cit.

21 T. Benazet, Des intérêts ariégeois, op. cit., p. 41, 42-43.

22 Arch. dép. Ariège, 138 S 9, Berdoulet.

23 Arch. dép. Ariège, 102 S 218, Saint-Paul, usine de Saint-Antoine.

24 M. Chevalier, Mémoire sur l’affinage du fer dans la vallée de Vicdessos, mémoire de l’élève ingénieur, 1827, École des Mines, M 1827/65.

25 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, canton de Tarascon, 1832 ; Arch. dép. Ariège, 15 M 21.

26 J. Percy, Traité complet de métallurgie, op. cit., tome II, p. 437.

27 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit.

28 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, 22 octobre 1832.

29 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, 8 octobre 1832, 1833.

30 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 2, correspondance relative aux essais de M. Richard, 1831-1833.

31 Marrot, « Mémoire sur le gisement, la nature et l’exploitation des mines de fer de Rancié (Ariège) et sur le traitement métallurgique des minerais que l’on en tire », Annales des Mines, tome IV, 1828, p. 301-326 ; P. Berthier, « Analyse de deux scories de forges catalanes », Annales des Mines, 1833, p. 512-513 ; Marrot, « Mémoire sur le traitement des minerais de fer dans les forges catalanes du département de l’Ariège », Annales des Mines, t. VIII, 1835, p. 461-501.

32 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit.

33 T. Richard, Réponse aux questions de M. Jules Pic sur le projet d’établir des hauts fourneaux dans l’Ariège, Lithographie Jacomme, rue Saint Quentin, 10. Paris, 1856.

34 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 5.

35 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, 1834-1837.

36 J. François, Essai sur l’élaboration du minerai de fer…, op. cit., p. 21.

37 Ibidem, p. 21-22.

38 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 5.

39 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, 1838-1840.

40 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 314 ; J. B. Mercadier, Ébauche d’une description abrégée du département de l’Ariège et du pays d’Andorre, Foix, an IX.

41 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 291.

42 Arch. dép. Ariège, 138 S 9, Berdoulet, 23 mars 1831.

43 A. Laurant, Des fers de Loire à l’acier Martin, maîtres de forges en Berry et Nivernais, op. cit.

44 Cenac Moncaut, Les richesses des Pyrénées françaises et espagnoles, Paris, 1864, p. 225.

45 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, 1832, canton de Tarascon.

46 J. François, Considérations sur la nécessité de fonder dans l’Ariège une forge modèle, Société des Maîtres de forges de l’Ariège, 2e publication, Foix, 1838, p. 77.

47 C. Baldracco, « Notice sur les usines catalano-liguriennes et sur les avantages récemment obtenus en utilisant les flammes perdues », Annales des Mines, op. cit., p. 143-165.

48 J. Percy, Traité complet de métallurgie, op. cit., tome II, p. 532-544, Procédé Chenot, modification de M. Tourangin, conclusions des rapports sur le procédé Chenot.

49 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, Essais métallurgiques, forge modèle, amélioration des procédés de fabrication du fer.

50 Arch. dép. Ariège, 14 M 18.

51 L’éponge est le produit de la réduction du minerai de fer dans le bas fourneau. Il s’agit d’un bloc de métal, fer-acier, de texture spongieuse, mélangé à des déchets (morceaux de charbons, scories, cendres). Elle doit être raffinée pour donner une loupe, bloc de fer forgeable. C’est-à-dire que les déchets doivent être chassés par martelage et par fusion. Le métal doit enfin être compacté et soudé à lui-même. Dans la méthode à la catalane, l’escola réalise une des opérations du raffinage de l’éponge, dans le feu, à la fin de la réduction et obtient le massé (loupe) qui est ensuite passé sous le marteau.

52 Mussy, « Traitement du minerai de fer de Rancié dans les usines métallurgiques du département de l’Ariège », Annales des Mines, op. cit., p. 172-195.

53 Arch. dép. Ariège, 14 M 18.

54 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 7, grillage du minerai aux flammes perdues des forges catalanes.

55 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 8, nouveaux procédés de fabrication du fer ; Archives dép. Ariège, 7 S 18 ; Arch. nat., F14 4 303, dossier 34 ; Arch. dép. Ariège, 14 M 18.

56 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 8, nouveaux procédés de fabrication du fer.

57 Frederick Gurlt est un métallurgiste allemand qui a mis au point un procédé très proche de celui de Tourangin, il dépose un brevet en Angleterre le 16 juillet 1856.

58 R. Uriarte, « The direct process in the spanish ironmaking during the 19th century : survival and last improvements », The Importance of Ironmaking, op. cit., volume I, p. 375-384.

59 Arch. dép. Ariège, 138 S 17, Pamiers, 1851.

60 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 187, 265, 343.

61 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 1.

62 P. Fluzin, « Notions élémentaires de sidérurgie », Métallurgies Africaines, op. cit., p. 22.

63 Le directeur des usines de Saint-Antoine, à messieurs les maîtres de forges…, op. cit.

64 Arch. dép. Ariège, 138 S 2.

65 Arch. dép. Ariège, 138 S 28, Cabre ; Arch. dép. Ariège, 137 S 1.

66 Arch. dép. Ariège, 102 S 218, Saint-Paul, usine de Saint-Antoine, 1838.

67 Ont signé, Victor Vergniès (Forge neuve d’Auzat), de Tersac (La Mouline à Saurat), le marquis d’Orgeix (Bénagues, Orgeix, Mijanès), Trinqué (Lacourt), Avignon Aîné (Bélesta), Saint-André (Niaux, Forge vieille), Denjean (Laramade), Casimir Vergniès (Vicdessos), Deguilhem (La Prade à Vicdessos), Vergniès Bouischère (Cabre), Rousse Aîné (Niaux, Forge vieille), B. Gomma (Luzenac), Sabardu Aîné (Montgailhard), Astrié de Gudanes (Château-Verdun), E. Abat (Orlu), Iché (Campredon), Abat-Morlière-Dupeyrou (Pamiers), Michel, Lasvignes (Engomer), A. Garrigou (Saint-Antoine), Canel, Falentin de Saintenac (Le Mas d’Azil), Berthoumieu (Rabat), Astrié frères (Perles et Castelet), Jauze (Carla de Roquefort, Saint-Paul), Ferradoux, Dax (Le Bosc), A. d’Allens (Allens), Doumerq, Maruejoulx, A. Ruffié (Planissoles), Biallé (Berdoulet), Lafont-Sentenac (Sentenac de Sérou), auxquels il faut ajouter Vincent Vasquez (Galice espagnole).

68 Statuts organiques de la Société des Maîtres de forges de l’Ariège, Société des Maîtres de Forges de L’Ariège, 1re Publication, Foix, 1837, p. 16-20.

69 Précis historique du traitement direct du fer dans l’Ariège, Détails statistiques sur la fabrication du fer dans l’Ariège, Statuts organiques de la Société des Maîtres de forges de l’Ariège, Société des Maîtres de Forges de L’Ariège, 1re Publication, op. cit., 20 p. ; Essai sur l’élaboration du minerai de fer dans le traitement à la catalane, Considération sur la nécessité de fonder dans l’Ariège une forge modèle, Lettre de M. le président du comité à MM. les maîtres de forges, Constitution et travaux de la société, Votes du conseil général (session 1837) relatifs à l’industrie des fers dans l’Ariège, Société des Maîtres de Forges de L’Ariège, 2e Publication, Foix, 1838, 95 p.

70 Arch. dép. Ariège, 137 S 2.

71 Mémoire de MM. les maîtres de forges de l’Ariège à monsieur le ministre du Commerce et de l’Agriculture sur la question d’importation des fers au bois du nord de l’Europe, 1845, rédigé par Adolphe Garrigou.

72 Compte rendu de l’enquête industrielle de 1860, séance du 25 mai, tome I, p. 463.

73 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, lettre datée de 12 mai 1836.

74 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, rapport de Richard au Conseil général sur les essais métallurgiques, août 1833.

75 J. François, Société des Maîtres de forges de l’Ariège, 1re Publication, Foix, 1837, Avant-propos.

76 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, novembre 1832, août-septembre 1839.

77 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, pièce 4, essais métallurgiques pour l’amélioration des procédés suivis dans les forges catalanes.

78 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit, p. 306-312.

79 Anonyme, Réflexions sur la mésintelligence survenue entre les maîtres de forges de l’Ariège et leurs ouvriers, Foix, 23 p., sans date.

80 H. Otto Sibum, « Les gestes de la mesure. Joule, les pratiques de la brasserie et la science », Annales Histoire, Sciences Sociales, op. cit., p. 748, note 11, 749-752.

81 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., tome IV, p. 167.

82 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 239.

83 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., tome IV, p. 167.

84 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 225-227.

85 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 290.

86 D. Woronoff, « Le quotidien des techniques : de la répétition aux aménagements », op. cit., p. 789-790.

87 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., tome IV, p. 166.

88 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 254-267.

89 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 291.

90 Mussy, « Traitement du minerai de fer de Rancié dans les usines métallurgiques du département de l’Ariège », Annales des Mines, op. cit., p. 167-168.

91 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, lettre du ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux Publics au préfet de l’Ariège et réponse du préfet, 16 décembre 1858.

92 Arch. dép. Ariège, 138 S 18, Pamiers, 1857-1870.

93 T. Richard, Réponse aux questions de M. Jules Pic…, op. cit.

94 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 345-346.

95 J. Cantelaube, C. Verna, « Les forges à la génoise dans les Pyrénées ariégeoises au XVIe siècle : quel transfert d’innovation ? », Il ferro nelle Alpi, op. cit., p. 158-162.

96 J. Cantelaube, « Les hommes et le fer en Ariège pendant la Révolution », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettes et Arts, op. cit., p. 117-131.

97 T. Richard, Réponse aux questions de M. Jules Pic…, op. cit.

98 Arch. dép. Ariège, 14 M 182, canton des Cabannes, 3ème trimestre 1859 ; arrondissement de Saint-Girons, 4ème trimestre 1859 ; Arch. dép. Ariège, 5 M 3, le sous-préfet de Saint-Girons, 30 juin 1859.

99 Arch. dép. Ariège, 138 S 18, Pamiers ; Arch. dép. Ariège, 5 M 3 ; Arch. dép. Ariège, 14 M 181-2.

100 Pour les questions concernant les combustibles des hauts fourneaux, voir S. Benoit, « La consommation de combustible végétal et l’évolution des systèmes techniques », Forges et Forêts, op. cit., p. 139-150.

101 Arch. dép. Ariège, 5 M 3.

102 Arch. dép. Ariège, 14 M 184, statistique industrielle.

103 C. Claerr-Roussel, « The « Comtois » Process of iron production : the birth and development of new methods during the eighteenth century », The Importance of Ironmaking, op. cit., tome I, p. 203-210 ; J.-F. Belhoste, C. Claerr-Roussel, F. Lassus, La métallurgie comtoise, XVe-XIXe siècles, Besançon, 1994, Cahiers du Patrimoine, 33.

104 Mussy, « Traitement du minerai de fer de Rancié dans les usines métallurgiques du département de l’Ariège », Annales des Mines, op. cit., p. 225-226.

105 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, canton de Tarascon, 1832.

106 F. Caron, « La naissance d’un système technique à grande échelle. Le chemin de fer en France (1832-1870) », Annales HSS, n° 4-5, juillet-octobre 1998, p. 865.

107 P.-L. Pelet, « La notion d’industrie », La Sidérurgie ancienne de l’Est de la France dans son contexte européen, op. cit., p. 375.

Table des illustrations

Légende Prospectus pour la souscription à l’ouvrage de Jules François
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Légende Plan ancien et « disposition moderne » d’une forge à la catalane à un feu (J. François, Recherches sur les gisements et le traitement direct, op. cit., atlas, planche I.)
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