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Circulation des marchandises et réseaux commerciaux dans les Pyrénées (XIIe - XIXe siècle)

 | 
Jean-Michel Minovez
, 
Patrice Poujade

Autour de la forge

Pyrénées morcelées, traversées, contournées : la forge et la circulation des pondéreux (fin XIIIe-XVe siècles)

Catherine Verna

Résumé

L’examen des circulations des produits pondéreux (minerai, charbon de bois, loupes et barres de fer) autour de la forge de réduction (mouline et ferrière) sur l’ensemble des Pyrénées (du pays basque à la Catalogne) aboutit à plusieurs constatations. Ces produits sont reconnus pour leur qualité spécifique et peuvent être exportés loin des Pyrénées. La circulation du minerai définit des bassins sidérurgiques polarisés par des mines importantes. Celle des produits semi-finis est très diversifiée (forme et direction des flux) selon les espaces pyrénéens, qu’ils soient traversés ou contournés. Cette diversité peut se lire à la lumière des politiques économiques engagées.

Texte intégral

  • 1 Ph. Braunstein, « L’industrie à la fin du Moyen Âge, un objet historique nouveau ? », La France n’e (...)
  • 2 Dans la suite de cet article, je conserverai l’appellation commode de « comté de Roussillon » pour (...)
  • 3 Cette homogénéité est le résultat de circulations techniques, question passionnante que je ne pourr (...)
  • 4 Sur le maintien et le développement de l’activité sidérurgique dans le comté de Foix durant la seco (...)

1Des produits lourds et volumineux, minerai, charbon de bois, loupes et barres de fer parcourent l’ensemble des Pyrénées, du Pays basque à la Catalogne. Les Pyrénées sont morcelées, traversées, contournées par ces circulations. Or, d’un bout à l’autre de la chaîne de montagne, les formes et les modalités de circulation de ces pondéreux sont d’autant plus comparables que seule l’échelle industrielle de production est retenue. Rappelons qu’au Moyen Âge, l’industrie se distingue de l’artisanat par la force de diffusion de ses produits, [leur circulation en quantité, hors du marché local] et par leur qualité reconnue d’où l’usage des marques, des signes qui les identifient. Sinon normés, du moins « marqués », exportés hors du cadre local et en quantité, c’est dire combien les produits de l’industrie sidérurgique sont de bons matériaux pour étudier les circulations1. Or, dans les Pyrénées, à partir des années 1300, l’industrie sidérurgique intéresse trois espaces : les provinces basques (Guipuzcoa et Biscaye) auxquelles il est commun d’associer la Navarre ; le haut comté de Foix et le comté de Roussillon (tout particulièrement le Conflent et le Haut-Vallespir)2. Ces trois espaces sont homogènes du point de vue des techniques sidérurgiques pratiquées : tous trois abritent des forges de réduction directe où le fer est produit en une seule étape, à partir du minerai et du charbon de bois3. Toutes hydrauliques, ces forges de dénominations diverses (ferrières, moulines) utilisent la force de l’eau pour actionner marteaux et (ou) soufflets. Certes, à cette période, l’examen des circulations se complique d’une conjoncture heurtée et multiforme, où les crises sont parfois décalées d’un espace de production à l’autre et se développent selon une ampleur très contrastée d’un secteur à l’autre de l’économie4. Cependant, le fer, produit de première nécessité, circule en temps de paix comme en temps de guerre, en temps de croissance, comme en temps de crise, qu’il équipe les paysans ou les hommes d’armes : les circulations ne s’interrompent pas, même si elles se modifient et se déplacent. Les étudier impose de bien identifier les produits, d’examiner les espaces définis et mobilisés par des flux dont il faudra comprendre le mécanisme. Or, il réside souvent dans la sphère du politique.

Pondéreux : des produits recherchés et marqués

  • 5 A. Merlin-Chazelas, Documents relatifs au Clos des Galées de Rouen, Paris, 1978, t. 1, p. 346, text (...)

2J’ai choisi de limiter mon étude aux pondéreux : matières premières et produits semi-finis. Une remarque préalable s’impose : précisons que ces bassins sidérurgiques concernés produisent et exportent également des objets finis dont les qualités justifient le transport lointain. Il me suffira d’éclairer cet aspect des circulations par deux cas correspondant à deux échelles différentes de perception. Ainsi, les ancres du Pays basque sont appréciées sur les chantiers navals de Rouen qui n’en fabriquent pas de si volumineuses ; de même, à l’intérieur des Pyrénées, du comté de Foix au Roussillon, ce sont des cargaisons de sonnailles de formes, volumes et qualités différentes qu’un forgeron d’Ax livre à un marchand de Perpignan, au début du XVe siècle5.

  • 6 C. Verna, Le temps des moulines…, op. cit, p. 60-66 ; L.-M. Diez de Salazar Fernandez, Ferrerias en (...)

3Cependant, les circulations, même lointaines, intéressent aussi les produits pondéreux. En effet, à partir de ces montagnes de fer que sont le Pays basque (mines de Guipuzcoa : Oiartzun, Mondragon, Legazpi et Segura ; de Biscaye, avec celle de Somorrostro, à partir du XVe siècle), le mont Rancié dans la vallée de Vicdessos et le mont Canigou avec ses mines du Conflent et du Haut-Vallespir, le minerai voyage. Il peut aller loin. Cela ne veut pourtant pas dire que tous les minerais de fer soient transportés au loin. Ceux qui alimentent un marché extérieur à leur zone d’extraction ont en commun d’être de qualité dans le contexte technique de la réduction directe, car la qualité d’un minerai est relative à l’usage que l’on en fait et au produit que l’on en attend. Il s’agit d’oxyde de fer, à forte teneur (souvent supérieure à 60 %), riche en manganèse (3 % en moyenne), un composant que les recherches récentes associent à la production d’acier naturel grâce à sa capacité à fixer le carbone. Or, cette qualité est reconnue au Moyen Âge. Ainsi le minerai de Vicdessos est désigné selon la formule : « mineriis de ferro calybe vel axero ». Elle en rappelle une autre plus galvaudée : celle de « mine d’acier ». Au Pays basque, un type de minerai, d’une qualité spécifique et nommé raya, faciliterait également la production d’acier naturel6.

  • 7 C. Verna, op. cit., p. 245-253 ; semblable vigilance est exercée en Guipúzcoa, L.-M. Diez de Salaza (...)
  • 8 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B153, fol. 106v° et 126 ; 1B152, fol. 28 ; sur cette affaire, S. C (...)
  • 9 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B219, fol. 104v°.

4Cette qualité est d’ailleurs l’objet de surveillance car l’ensemble du gisement ne délivre pas un minerai homogène. Il faut donc veiller à ce que celui qui est extrait soit bon. C’est ce que prévoit l’ordonnance du comte de Foix relative à la mine de Sem (Vicdessos, 1414), nommant les préposés qui jugent le minerai à l’œil, selon sa couleur et sa granulométrie7. De même, en Roussillon, l’ampleur de l’affaire de la « fausse mine de fer » travaillée dans la mouline de Sainte-Colombe (1393), résonne de la question de la qualité. Ce qui est en jeu, c’est en quelque sorte le « label » du minerai dont dépend celui du produit fini. L’usage d’une falsa mina qui aurait été tirée du lieu de la Resclause, mélangée au bon minerai de Sahorre, pour produire du « faux fer », est vivement dénoncé. Aucune marchandise ne doit être produite avec ce fer qui ne correspond pas à la qualité attendue. Par ailleurs, l’exportation du minerai de Sahorre est interrompue par ordonnance royale afin que sa réputation ne soit pas associée au produit altéré8. C’est également en Roussillon que le prince fait procéder à des enquêtes sur l’état des mines, enquêtes où la question de la qualité du minerai est fondamentale, toujours en relation avec l’exportation. Exceptionnelle, la documentation roussillonnaise délivre aussi la preuve d’essais sur le minerai de fer, comme en 1420 lorsqu’une nouvelle mine est découverte à Mosset9. On connaissait les essais qui pouvaient être appliqués aux minerais poly-métalliques, la qualité étant garante de l’exercice du pouvoir régalien. Pour le fer, le cas est plus rare. Sans doute est-il à la mesure de l’importance attribuée à la qualité du produit fini, même s’il faut évoquer ici l’impact qu’ont pu avoir, sur les mines de fer, des pratiques courantes dans le domaine des mines d’argent, du fait d’une culture technique commune, née de la proximité des exploitations. De ce point de vue, le secteur minier d’Arles-sur-Tech constitue un observatoire privilégié.

  • 10 Je ne développerai pas davantage les conditions de cet échange fondamental, ni ne présenterai les i (...)
  • 11 Archives de la Couronne d’Aragon (Barcelone), Maestre Racional, Obras, n° 2435 ; C. Verna, « Fer, b (...)
  • 12 Respectivement et suivant la datation proposée par Alart, reprise par M. Gual Camarena : 1252 et 12 (...)

5Le charbon de bois peut aussi voyager. Dans ce cas, sa circulation ne dépend pas de sa qualité mais de la faiblesse de l’approvisionnement proche des forges : elle répond à une faim de bois. Il est importé du Couserans dès les années 1350 pour alimenter les moulines de Vicdessos. Cet échange charbon de bois contre minerai est l’aboutissement de longues tractations entre le comte de Foix, le vicomte de Couserans et la communauté de Vicdessos (1347- 1348)10. À la même période, il peut venir de très loin quand il s’agit, en 1356, d’approvisionner un important chantier de Perpignan, celui de l’horloge du château. Les forges et les fours, qui en constituent l’épicentre, consomment beaucoup de charbon. Par terre, il arrive majoritairement des Corbières et du Fenouillèdes. Il parvient aussi par bateau à Canet : plus de 6 tonnes y sont débarquées. Les hommes qui assurent les livraisons maritimes viennent de Collioure et de Blanes. Collioure, au débouché de la vallée du Tech ; Blanes, situé à 130 km au sud de Perpignan, un port connu de Claude Carrère comme exportateur de bois et de charbon de bois vers Barcelone, durant la première moitié du XVe siècle11. Sans doute, cette circulation maritime du charbon de bois n’est-elle pas si rare puisque le sac de charbon apparaît dans deux leudaires de Collioure, du XIIIe siècle12. S’il s’agit, dans ce cas, d’alimenter aussi bien les besoins industriels et artisanaux que domestiques d’une population en croissance, les deux exemples s’étayent l’un l’autre et prouvent que le charbon de bois peut être transporté de fort loin quand la pression sur le couvert forestier l’exige.

  • 13 L.-M. Diez de Salazar Fernandez, Ferrerias guipuzcoianas. Aspectos socio-económicos, laborales y fi (...)
  • 14 J. Zabalo Zabalegui, « Peaje de Tudela (1365) », J. Carrasco Pérez, « Peaje de Sangüesa (1362) », P (...)
  • 15 On retrouve la mention de l’acier à Jaca, au début du XVe siècle, M. Alvar, « Lexicografia medieval (...)
  • 16 M. Gual Camarena, Vocabulario del comercio medieval. Colección de aranceles aduaneros de la Corona (...)
  • 17 Il paraît inutile de revenir sur la question, tant de fois débattue, de l’usage des leudaires par l (...)
  • 18 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B138, fol. 73.
  • 19 R. Conde, « La lleuda de la Seu d’Urgell (s. XV-XVI) », Urgellia, 1981, p. 335-348. Arch. dép. Pyré (...)
  • 20 M. Gual Camarena, Vocabulario…, op. cit., p. 75 et suivantes. La majorité de ces documents n’est pa (...)

6À partir de cette matière première et de ce combustible sont produits fer et acier. Il faut s’arrêter un moment sur la question de l’identification de l’acier, identification par l’historien, mais également par l’utilisateur de la fin du Moyen Âge. En effet, les termes asser, acer, azero et calybs ne sont pas fréquents et cette relative rareté ne tient pas uniquement à celle du produit. Ainsi, rien au sortir des moulines du comté de Foix au Roussillon, où la mention du fer envahit la documentation. En Guipuzcoa, exceptionnellement, les sources attestent d’une ferrière dont la production est incontestablement et majoritairement composée d’acier : il s’agit de la ferreria de raya de Alcibar, élevée en 1387 près de Cegama (Segura)13. Qu’en est-il du produit lorsqu’il quitte la forge ? Examinons les leudaires : l’acier y est beaucoup plus rare que le fer quand il circule sous la forme de produit semi-fini. La constatation n’est pas neuve mais elle s’enrichit de l’examen d’un certain nombre de leudaires, tout au long de la chaîne des Pyrénées. Ainsi, faut-il noter sa présence réelle à la barrière des péages navarrais pour lesquels on conserve des déclarations de marchands14. Plus précis que les autres, le leudaire de Sangüesa (1362) permet même d’affirmer que l’acier est conduit vers Pampelune, Sauveterre et Jaca15. L’acier, en quantité bien inférieure que le fer, est ainsi présent et identifié comme tel sur les routes de Navarre dont Miguel Gual Camarena notait déjà l’originalité en la matière. Une partie aboutit dans la vicomté de Béarn. Et le Roussillon ? La recension des sources est facilitée par la publication de leudaires conduite par le même auteur et que complètent des actes de procédure ou des registres où sont reportées les déclarations des marchands16. Dans cette région sidérurgique, ouverte sur d’autres régions de production, la mention de l’acier demeure rare17. Examinons les passages situés aux débouchés du comté de Foix et du Roussillon, situation stratégique s’il en est : du fer dans le val de Querol mais pas d’acier en 128818 ; pas d’acier non plus à la Seu d’Urgell à la fin du Moyen Âge19. Sur les sept leudaires conservés de Perpignan et de Collioure, seuls deux mentionnent l’acier. À Collioure au XIIIe siècle (1249 et 1297 ?), le fer ouvré ou non voisine avec l’acier (asser)20. Il est vrai que l’acier (acer) est bien présent sur le chantier de l’horloge du château de Perpignan, au milieu du XIVe siècle, où sont même distingués « acier fin » et « acier gros ». Cependant, il est tout aussi vrai qu’il est plus courant lorsqu’il constitue la matière première d’objets finis : les armes blanches et les arbalètes en sont les cas les plus prestigieux. Si l’acier est rarement mentionné parmi les produits circulant de la forge aux marchés, ce n’est pas pour autant que ces marchés ne disposent pas d’acier. Certes, le produit n’est pas commun, mais sa désignation est souvent autre et les acheteurs savent le reconnaître.

  • 21 Quintal del bosch ou nemoris, de nombreuses mentions chez les notaires catalans des XIVe et XVe siè (...)
  • 22 Sur l’ensemble des fonds que j’ai examiné, ce sont les notaires de Perpignan et de la vallée du Tec (...)
  • 23 Rappelons que l’acier est aujourd’hui scientifiquement défini comme un alliage de fer et de carbone (...)
  • 24 Le merlar, voir C. Verna, Le temps…, op. cit. La masa de Biscaye, consulter B. Caunedo del Potro, M (...)

7Effectivement, le produit le plus courant est le fer en barre ou en vergue (barre ronde), vendu couramment au poids : au quintal, un quintal spécifié parfois comme quintale nemoris ou bien certifié et conforme au « poids du bois » ; en rove (c’est-à-dire 26 livres comme l’atteste la liste des poids utilisés à Perpignan) ; en garba, en moysson21. Certaines de ces barres sont élaborées de façon très précise et leur réalisation peut nécessiter l’usage de patrons en bois, comme c’est le cas sur le chantier prestigieux de l’horloge du château de Perpignan. D’autres formes sont usitées : on trouve ainsi du fer en plaque (plata, post de ferre batut), même en feuille (fulla ferri) et en morceaux (escapols), en rollada. Du prim fer, ou petit fer, fer en tige ; du « fer gros » dont on ignore la forme mais dont on précise le poids et que l’on pourrait rapprocher du fer espachat débarqué à Narbonne22. Ces produits sont estampillés et portent une marque recognitive du lieu où ils sont rassemblés avant l’exportation (c’est le cas du fer dit de Foix marqué de trois barres) ou bien de la forge où ils ont été produits : les deux entailles en forme de croix de la forge de Sainte-Colombe. Cette marque prouve leur qualité qui se paie : on connaît le prix élevé du « fer de Foix » sur un marché dont les composantes commencent à être rassemblées à l’échelle du royaume de France. Or ces produits identifiés par leur origine correspondent à des qualités de fer que l’historien retrouve tout au long de la période moderne : fer fort, fer terssat ou terceyrat. Il s’agit de fers diversement carburés, dont certains seraient désignés aujourd’hui comme de l’acier23. L’acier est bien ce fer « qui ploie et ne rompt pas » comme les hommes du Moyen Âge aimaient à le décrire. Circule également un produit plus grossier : le merlar ariégeois, la masa basque, peut-être le llinatge catalan24. Nous dirions aujourd’hui le massé, c’est-à-dire le produit, résultat brut de la réduction, que les forgeurs récupèrent dans le bas foyer. Il peut être martelé et fragmenté afin de procéder à un tri des qualités et faciliter son transport. Lui aussi, et davantage que les barres, est un produit hétérogène qui convient parfaitement aux forgerons de la forge de transformation : ils trouvent dans ce bloc un éventail de fers et d’aciers répondant à leurs besoins divers.

  • 25 R.-H. Bautier présente le document qui, incomplet, permet néanmoins de connaître, pour quelques moi (...)
  • 26 R.-H. Bautier, « Notes sur le commerce du fer en Europe occidentale du XIIIe au XVIe siècle », Revu (...)

8Je me suis longuement arrêtée sur la qualité. Or, il m’est impossible de rendre compte de la quantité des produits qui circulent. Pour le Pays basque, les chercheurs qui ont travaillé sur cette question, et sur les études desquels je m’appuie, disposent pourtant d’une documentation fiscale exceptionnelle et centralisée. Un exemple suffira à la démonstration. À partir d’une même source de la fin du XIIIe siècle, les comptes des douanes du royaume de Castille conservés pour l’année 1293, plusieurs spécialistes s’opposent selon les interprétations qu’ils donnent à ce document majeur mais très incomplet25. Selon Robert-Henri Bautier, à partir des chiffres correspondant aux quantités exportées pendant quelques mois, mais que l’auteur a choisi de reporter avec prudence à l’ensemble de l’année, le fer exporté de Guipzcoa atteindrait le volume de 23 555 quintaux annuels, soit environ 950 tonnes actuelles. En se fondant, entre autres, sur des estimations portant sur le port de Laredo, d’où partait le fer de Biscaye, région à la production incontestablement plus importante qu’en Guipuzcoa, Robert-Henri Bautier conclut à une exportation basque annuelle (de Biscaye et de Guipuzcoa) de plusieurs milliers de tonnes, peut-être de 4 000 à 5 000. Selon Rolf Sprandel, il ne faut pas hésiter à augmenter cette estimation. Miguel Gual Camarena propose, quant à lui, un résultat beaucoup plus faible : un peu plus de 11 000 quintaux par an26. C’est dire combien mesurer les quantités en circulation est une opération délicate. Elle est de toute façon impossible pour certains espaces. C’est le cas du comté de Foix.

Circulations des pondéreux et typologie des espaces

  • 27 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B177, 68v° (LXIIIv°).
  • 28 G. Romestan, « Les relations commerciales entre Perpignan et la Ligurie aux XIVe et XVe siècles », (...)

9Ces produits circulent. Ils circonscrivent des espaces. Ils dessinent des flux. La circulation du minerai définit le bassin sidérurgique qui coïncide avec la zone approvisionnée régulièrement et majoritairement par la même mine. Les Pyrénées sont morcelées. Cependant, la superficie de ces bassins est contrastée. J’ai déjà comparé le bassin alimenté par la mine de Sem (Rancié, vallée de Vicdessos) et celui dépendant des mines du Canigou. Le bassin sidérurgique des Pyrénées centrales est un espace contracté. Comme le prouve le protocole de l’ordonnance de 1414, si le minerai atteint les moulines du Couserans en vertu du traité d’échange de 1347-1348, c’est avec réticence qu’il approvisionne celles du comté, proches de Foix, et celles de la seigneurie de Mirepoix. À l’opposé, le minerai du Canigou alimente les forges du comté de Roussillon sans que jamais la documentation ne relève de goulot d’étranglement. La matière première atteint régulièrement les moulines situées sur la frontière entre la Catalogne et le royaume de France (moulines de Sainte-Colombe, de Gincla, de Roquefort-de-Sault). L’ordonnance de 1399 fixe d’ailleurs la valeur de la traite en fonction des lieux approvisionnés, dans le royaume et au-delà des frontières27. L’approvisionnement se dilate à l’échelle de la Méditerranée : au XVe siècle, le minerai du Roussillon est débarqué à Majorque et en Ligurie28.

  • 29 O. Codina, J.-M. Bosch, A. Vilar i Mur, « La production du fer en Andorre au Moyen Âge. Du mythe à (...)

10La circulation du fer, quelles que soient sa qualité et sa forme, obéit à deux modèles : les Pyrénées sont traversées et contournées. Le premier cas correspond au voyage du fer produit dans le comté de Foix. Les produits sont marqués à Foix. Une partie du métal y est d’ailleurs travaillée pour la réalisation d’outils agricoles. Une autre partie, non mesurable, est exportée au-delà du comté. Sans doute n’est-elle pas négligeable comme en attestent les témoignages des comtes de Foix sur les revenus que leur apporte la taxation du commerce du fer. Le fer descend régulièrement vers Toulouse, pris en charge exclusivement par les marchands toulousains qui utilisent les services de leur compatriotes ou des traginers de la vallée de l’Ariège (Saverdun). De façon banale, les mulets puis les charrettes qui le transportent en basse Ariège croisent les chargements de blé et de poissons. Mais attention, derrière une apparente linéarité, il existe une complexité réelle des échanges portant sur le fer. Ainsi, d’autres fers venant du Minervois et produits pourtant à partir d’un mélange de minerai de Vicdessos et de minerai local sont acheminés en haute Ariège. Il est possible qu’une partie du fer ariégeois remonte également vers l’Andorre29. Ces Pyrénées sidérurgiques, celles du comté de Foix, sont traversées. L’économie comtale est dominée. Elle n’est pas à la mesure de la qualité du métal produit dont elle n’a pas su dégager une plus-value par la fabrication d’objets finis à forte valeur ajoutée. Elle n’a pas non plus organisé à son profit la circulation et le commerce du fer qu’elle a abandonnés aux marchands toulousains.

  • 30 L.-M. Diez de Salazar Fernandez, Ferrerias guipuzcoianas. Aspectos socio-económicos, laborales y fi (...)
  • 31 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, registres du notaire Pere Fuster. Malheureusement, le nombre des re (...)
  • 32 On retrouve huit fornelli ferri dans la cale d’un bateau en partance pour l’Orient, Arch. dép. Pyré (...)

11Pays basque et Roussillon offrent un autre cas. Ces deux espaces sont pourtant à la fois comparables et dissemblables. Comparables, car les flux concernés intéressent des territoires lointains et obligent souvent à contourner les Pyrénées par la mer et l’océan, même si une diffusion intra-pyrénéenne persiste. Il serait, en effet, erroné de limiter à la circulation maritime les trajets suivis par les fers du Pays basque et du comté de Roussillon. On pense, parmi d’autres cas, à l’approvisionnement du Béarn et de la Navarre par les provinces de Guipuzcoa et de Biscaye quand la législation vicomtale atteste du passage du fer estrange par Orthez ; à l’entrée mais aussi à la sortie du fer entre le royaume de Navarre et la Guispuzcoa30. On pense à la sortie du fer du Roussillon par le même chemin que celui fréquenté par le minerai : la route de Mosset. De même, une partie du fer est consommée dans ces régions de production. Peut-être (sans doute ?) est-ce la majorité ? Une nouvelle fois, la quantité mobilisée échappe. Si l’historien se poste en vallée du Tech, à Arles, assurément un bon observatoire pour les circulations du fer au début du XVe siècle, le fer vendu dans ce bourg est pris en charge par des traginers de Prats-de-Mollo, de Joch en Conflent, de Saint-Jean-Pla-de-Corts, de Céret, de Maureillas, du Boulou : mais où s’arrêtent les chargements en descendant la vallée31 ? Il faut bien avouer que la réponse résulte de l’accumulation et de la combinaison des cas nombreux mais isolés qu’offrent les registres de notaires : mention de forgerons (fabri et non fargerii) d’Arles achetant du fer à des hommes du même bourg, de forgerons du Boulou se fournissant auprès de pareurs de Perpignan, d’hommes de Perpignan réglant leurs dettes en se délestant de quelques livres de fer au milieu d’outils les plus divers, du roi lui-même qui en achète en 1345 auprès des fermiers du poids du fer pour armer ses galères, du fer présent dans la succession du mercier Guillaume Pintard qui a approvisionné le chantier de l’horloge de Perpignan en fil de fer et dans la boutique duquel ce métal voisine avec du cuivre d’Allemagne et avec un curieux fornellus ferri coquandi32. Le fer est acheté, il est redistribué, il est utilisé. Ce n’est qu’une partie de ce fer, passant de main en main, souvent en petites quantités, qui est exportée loin du Roussillon, qui aborde les côtes et contourne les Pyrénées par voie d’eau.

  • 33 R.-H. Bautier, « Notes sur le commerce du fer… », op. cit.
  • 34 La bibliographie sur ce sujet est très importante. Je me limiterai à indiquer quelques travaux espa (...)
  • 35 Durant la première moitié du XVe siècle, le « fer d’Espaigne » apparaît dans les registres d’audien (...)
  • 36 Notons d’ailleurs que le fer basque débarqué à Cadix et à Séville est désigné comme ferro de Viscay (...)
  • 37 J. Hinojosa-Montalvo, « La relaciones comerciales entre Valencia y los Pirineos durante la primera (...)
  • 38 C. Carrère, Barcelone, centre économique à l’époque des difficultés (1380-1462), Paris, 1967, p. 35 (...)
  • 39 Quelques exemples : 1361, 22 gerbes de fer, Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 3E1 121 ; 1391, 60 quin (...)
  • 40 Arch. mun. de Narbonne, CC livre de la Robynase (1401-1405), fol. 50, 55v°, 84.

12Ces flux comparables sont aussi dissemblables parce que la puissance et la relative linéarité des échanges basques s’opposent à la complexité et à la mosaïque des échanges nord catalans. Il faut néanmoins se méfier de cette opposition qui pourrait tenir à la qualité des sources. On ne dispose pas pour le Roussillon de monumentales sources fiscales qui décrivent et mesurent les entrées et les sorties des ports ou bien de l’équivalent des livres des marchands italiens et anglais intéressés par le fer basque33. Il faut rappeler la force et la régularité des exportations des provinces basques, tout particulièrement de la Biscaye mais aussi de la Guipuzcoa, vers l’Angleterre, les Pays bas et la Méditerranée34. Comme à Londres, le fer basque est déchargé sur les ports de Barcelone et de Valence ; en Ligurie par les Génois qui font la route vers les Flandres. Il peut être repéré à l’intérieur des terres. Ainsi, en France, est-il enregistré en Normandie, à Paris, à Tours, en Bourgogne, en Bretagne intérieure, souvent transporté par voies d’eau35. Mais on peut légitimement se demander si ce fer dit « d’Espaigne » est d’origine exclusivement basque36. La réponse est impossible au regard de l’activité de cabotage qui intéresse les façades maritimes de l’Espagne et l’activité d’échange du bassin méditerranéen dans son ensemble. Cette question nous renvoie à l’origine du fer repéré dans les ports catalans. Le fer est en effet un produit commun dont la provenance est rarement précisée. Or sur le pourtour de la Méditerranée, les zones majeures de production se livrent concurrence : la Ligurie, la Lombardie, la Toscane et à une échelle plus modeste, le Languedoc qui trouve un débouché par Marseille et Narbonne. À Barcelone sont débarqués des fers lombards, ligures et même en provenance du port de Rome. De même à Valence où les registres des cosas vedades permettent de repérer une exportation de fer de ce port vers Collioure, lui-même port exportateur de fer du Roussillon vers Valence37. Par petites touches, souvent rapportés à un événement qu’il s’agisse d’un vol, d’un naufrage, d’une saisie ou d’un procès, les registres de notaires éclairent certains trajets lointains et linéaires du fer de Roussillon. Le port de départ est de préférence celui de Collioure où se tient le poids du fer. Le fer atteint Narbonne, Marseille, plus largement la Provence et la Ligurie ; à l’opposé, Barcelone, Majorque par où il transite pour atteindre la Sicile, Constantinople et peut être Damas38. Dans les cales des navires, ce fer voisine avec d’autres produits. Il est souvent en petite quantité39. Correspond-il parfois au lest nécessaire aux embarcations ? Encore plus difficile à repérer est la pratique courante et sans doute majeure de la circulation et de la redistribution par cabotage, une véritable mosaïque de trajets. Le fer est transporté dans des embarcations modestes, de port en port, selon un réseau serré de diffusion. Or, les documents livrent rarement l’origine du fer ainsi distribué. Le problème est donc généralisable à l’ensemble des fers qui circulent sur les côtes de Catalogne. Ainsi, au début du XVe siècle, du fer est acheminé dans une barque originaire de Saint-Félix-de-Guíxols, il est repéré à Narbonne40. Mais où a-t-il été embarqué ? À Saint-Félix ? À Valence dont le réseau intègre Saint-Félix-de-Guíxols ? À Barcelone ? À Collioure ? Au même moment arrive également à Narbonne du fer conduit par un homme de Collioure et un autre chargement dans la barque d’un homme de Gruissan. On peut s’interroger sur la qualité respective des fers qui se croisent ainsi.

Marchés de la sidérurgie et politiques économiques

13Tous ces flux, tous ces échanges sont l’illustration de politiques économiques. J’entends par politique non pas l’énonciation et la mise en place, plus ou moins aisée, plus ou moins imposée, de directives seigneuriales ou princières mais la résultante, dans les faits, de contraintes et d’attentes parfois contradictoires émanant d’acteurs divers, grands et petits, qui engagent d’ailleurs leurs actions à des échelles différentes, du royaume au village. Collaboration et confrontation : la politique économique procède de cette combinaison d’actions dont la complexité est révélée par les échelles différentes d’observation. La diversité des choix et des résultats peut être illustrée par les cas du comté de Foix et du comté de Roussillon.

  • 41 Sur cet aspect, voir C. Verna, Le temps…, op. cit.
  • 42 Cette même peur du tarissement du gisement est présente dans la législation des Cortes, au début du (...)

14Le bassin sidérurgique de la haute Ariège, organisé autour de la mine de Sem (vallée de Vicdessos) est étroit, et cela indépendamment des capacités du gisement et du mode d’extraction pratiqué. Il est incontestablement contracté et résulte d’une politique de rétention. Celle-ci est l’aboutissement du face à face engagé entre le prince et la communauté de vallée, dominée par les maîtres de moulines et les transporteurs, auxquels ils sont souvent liés au sein des mêmes familles41. En 1356, le comte de Foix a obtenu que le minerai circule au-delà de la vallée de Vicdessos. Grande victoire, car la taxation attendue est importante pour les finances du comté. Illusoire victoire cependant : dans les faits, le minerai dépasse rarement le port de Sabart. Comme l’indique clairement l’ordonnance de 1414, le minerai est mis en vente sur le Pré de Vic dans le bourg de Vicdessos et ce sont les hommes de la vallée qui en organisent l’exportation. On le voit rarement circuler, sinon en échange du charbon de bois du Couserans, indispensable à l’économie de la vallée sidérurgique ; sinon ponctuellement, vers telle ou telle mouline du comté et de la seigneurie de Mirepoix. A contrario, la fraude et la route qu’elle emprunte (le chemin de Cavallère) sont vivement dénoncées. Ainsi, la notabilité des maîtres de mouline de Vicdessos a verrouillé le commerce du minerai à son profit. À la base, il y a, bien sûr, l’intérêt de ceux qui transforment sur place le minerai, mais il y a, aussi, la peur. La peur de manquer que l’on voit exprimée dans l’ordonnance de 141442.

  • 43 Ch. Guilleré, « Les finances publiques en Roussillon Cerdagne au milieu du XIVe siècle : comptes de (...)
  • 44 Sur le système financier de la couronne d’Aragon et l’importance des fermes et des assignations dan (...)
  • 45 Nous renvoyons, une nouvelle fois, à l’article de Ch. Guilleré, « Les finances publiques… », op. ci (...)
  • 46 Ces hommes reçoivent, pour faire exercer leur droit, une délégation du droit de police et disposent (...)
  • 47 Les données dont je dispose actuellement sur le Roussillon ne me permettent pas de saisir une ferme (...)
  • 48 E. Baraldi, op. cit.

15La situation est différente dans le comté de Roussillon. La politique fiscale qui porte sur la circulation du minerai a fait l’objet d’une législation, à la mesure de l’attente financière escomptée. Si le poids des revenus du domaine décroît sur l’ensemble du siècle, Christian Guilleré rappelle qu’en 1345, c’est-à-dire lors de l’annexion par l’Aragon du royaume de Majorque et dans un contexte de croissance, la part des revenus correspondant à l’exploitation du minerai du Conflent équivaut à 1/4 de la leude de Collioure, soit 500 livres43. À cela s’ajoute la fiscalité sur la circulation du fer dont le poids du fer levé sur le port de Collioure. Tous ces droits : droits d’extraction et de circulation du minerai et du fer sont affermés ; le pouvoir en organise la criée ; il peut également les assigner à des individus ou à des institutions, au titre de pension ou pour solder des dettes44. Impossible ici de présenter en quelques lignes la gestion propre aux ressources naturelles du domaine royal, mais assurément la question est d’importance et elle mériterait un examen attentif et global45. Les preneurs sont nombreux. Ainsi, le prince ne trouve pas face à lui une université unique, solidaire, une seule communauté exerçant l’extraction et la commercialisation du minerai et pratiquant elle-même la réduction, capable d’aller à l’encontre de sa volonté fiscale et financière de large circulation. Il est confronté à une diversité d’ayants droit, de fermiers. Des hommes qui ne sont pas forcément membres de l’aristocratie d’argent de Perpignan. Ainsi, sur la liste des fermiers de la traite de la mine du Conflent se succèdent au cours du XIVe siècle des hommes des bourgs de Mosset (1333), de Villefranche, comme Guillaume Gallader (1370) ou Bernard Lobera apothicaire, Pierre Lorda marchand et Raymon Sobiran pareur qui agissent collectivement en 1393, mais aussi Bertrand de Fontjoncouse, domicellus de Mosset (en 1360) et Bernard Saquet, marchand de Perpignan (en 1398). Tous ont payé le droit de profiter de la taxation sur la circulation du minerai et veulent que ce droit s’exerce, ce qui en fait des alliés du prince46. Il leur faudra, certes, les uns comme les autres, gérer la fraude, mais elle est aussi une preuve supplémentaire de la circulation. Elle est d’ailleurs maintes fois dénoncée au cours de la seconde moitié du XIVe siècle au moment même où sont confirmées et multipliées les nominations des gardes des ports et établies les listes des cosas vedades. À eux s’ajoutent ceux, parmi les proches du pouvoir, qui ont obtenu le privilège de transporter et de vendre quelques charges de minerai en vertu de la mansuétude royale. Des cas sont bien connus : ceux de Jacques Quinta, de Jaspert de Tregura, parmi d’autres. Le privilège participe des courants de circulation. Il est d’ailleurs souvent confirmé lors de l’adjudication des traites. Parmi ces privilèges individuels, certains projettent le commerce du minerai vers des horizons lointains. On pense à Clément Gentile à la fin du XVe siècle qui exporte du minerai de Batère et de Llech vers la Ligurie, à partir du port de Collioure47. Mais les Gentile ne sont pas que des privilégiés, ils sont aussi des entrepreneurs. Ils possèdent deux ferrières à Voltri en Ligurie en 1490. Ils en détiennent une autre à Galdares, entre Prat-de-Mollo et Arles-sur-Tech48.

  • 49 Pour le Pays basque, nous renvoyons aux ouvrages de Luis Miguel Diez de Salazar Fernandez. Les limi (...)
  • 50 C. Verna, « Fer, bois, houille, … », op. cit.
  • 51 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B 184. La richesse de la documentation conservée sur Bernard Saque (...)
  • 52 Cette famille de verriers est connue. Je renvoie à la maîtrise de Jordi Mach (Université d’Aix-en-P (...)
  • 53 Si Bernard Saquet est sans doute original de part l’intérêt qu’il porte à la production industriell (...)
  • 54 S. Caucanas, op. cit., p. 208-209.

16En effet, les caractéristiques de la circulation du fer du Roussillon, plus diffuse et plus contrastée que dans le comté de Foix, tiennent aussi à la prise de participation des marchands à l’activité industrielle, au processus de production. Cette alliance est attestée au Pays basque ; elle est absente du comté de Foix49. Elle peut expliquer, en partie, que les producteurs se soient aussi intéressés à la circulation et à la vente. Elle tient surtout au contexte économique : le fer n’est qu’un des produits qui circulent dans le cadre d’une économie diversifiée, ouverte sur la Méditerranée et le Languedoc, une économie où la sidérurgie n’est pas dominante, et cela contrairement au comté de Foix50. En Roussillon, l’inventaire successoral de Bernard Saquet rend compte de la diversité des activités de transformation qu’abrite cette région. Par l’intérêt qu’il porte à l’industrie, la figure de ce marchand est sans doute exceptionnelle dans le milieu perpignanais51. Cet homme a engagé de l’argent dans la production artisanale et industrielle. Au début de sa carrière, il est désigné comme pareur et marchand, ce qui augure déjà bien de son assise financière. Mais son activité se diversifie. Il dispose de moulins à blé, battant et à scier. Il investit ponctuellement dans le verre et, sous forme de comanda, prête de l’argent à Berenger et Antoine Xatard, verriers de Torreilles52. Cependant, son intérêt principal le porte vers le bois. Il achète du bois dans le Conflent comme ces trois cents morceaux de pins aux dimensions très précises qu’il se fait livrer à Prades, sur les berges de la Têt ; il en achète également à Fontpédrouse et les réceptionne aussi après flottage. Toutes les qualités de bois l’intéressent : il achète du bois de chêne à des hommes de Cabestany. Il achète du bois d’œuvre, mais aussi des fagots de petits bois et de sarments. Il achète du bois sur pied, comme à Baho où, de 1383 à 1390, il se constitue un patrimoine composé de cinq parcelles. Il obtient également des droits sur les forêts : il prend en charge le forestage de la forêt de la Querensa sur laquelle il perçoit également des foriscapes. Il est présent en forêt de Conat53. Le bois dont il dispose ainsi transite sous forme de planches et de poutres jusqu’au port de Canet. Le fer l’intéresse également mais plus modérément. Il dispose cependant d’une mouline à Ria54. Il afferme la traite du minerai du Conflent pendant plusieurs années et il achète du fer. Il en achète au sortir de la forge, à la mouline de Mosset. Sur le marché du fer, il est en contact avec Pierre de Fontjoncouse dont l’activité sur le terrain de la sidérurgie est par ailleurs attestée dans la documentation notariale ; il côtoie aussi Bernard Antzma désigné comme baille de Prades, [est-il le marchand connu à Perpignan à la fin du XIVe siècle ?] ; il traite aussi avec un autre pareur de Perpignan, Guillaume Carbonel (1378). Cette circulation démontre combien le commerce du fer irrigue, par petites touches, l’économie du comté et intéresse des hommes pour lesquels il constitue souvent une activité périphérique.

  • 55 Ces hommes sont également très présents dans le domaine de la production sidérurgique, par exemple (...)
  • 56 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 3E20 449, fol. 43 et suiv.
  • 57 Je tiens à remercier Denis Fontaine qui m’a utilement conseillée lorsque j’ai entrepris ma recherch (...)

17Rappelons qu’avant d’aboutir entre les mains des marchands de Perpignan, le fer passe entre celles d’individus moins aristocratiques. De la lecture des registres de notaires se dégage la figure des notables qui tiennent le marché local par la position financière qu’ils occupent dans le village ou le bourg rural55. Les interlocuteurs de Bernard Saquet le prouvent suffisamment. Mais la documentation dépasse ce cas. Étonnamment, ce ne sont pas forcément les maîtres de mouline qui vendent le fer aux forgerons, ni eux qui approvisionnement le meunier quand il a besoin de quelques quintaux pour les réparations de son moulin. Souvent, ce sont les bouchers. L’un est très présent à Arles-sur-Tech au début du XVe siècle : Béranger Branya. Le capbreu d’Arles des années 1405-1406 confirme d’ailleurs sa place privilégiée parmi les notables56. Ainsi, les registres des notaires d’Arles-sur-Tech, de Prats-de-Mollo, de Saint-Jean-Pla-de-Corts, de Céret fourmillent de ces échanges, de ces ventes, de ces circulations de fer et d’objets en fer, de cette activité commerciale et financière qui traverse le bourg d’Arles où se rencontrent aussi des forgerons et des forgeurs du pays de Foix et du Pays basque57.

  • 58 G. Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, Paris, 198 (...)

18C’est dire combien la complexité des circulations autour de la forge et la compréhension de ces circulations s’éclaireront d’une histoire du pouvoir qui s’astreigne à l’examen des rapports de force fondés sur la puissance économique exercée à l’échelle du village, du bourg rural et de son marché. Dans ces montagnes, richesse et pouvoir s’épanouissent de la pratique des activités artisanales et industrielles et de la force des échanges locaux. Industrie textile, industrie métallurgique, travail du bois se combinent à la pratique de l’élevage ; elles créent des circulations, vivifient et rendent plus complexes l’économie et les mécanismes du pouvoir. Autres facettes du « pouvoir au village », pour reprendre le titre du bel ouvrage de Giovanni Levi58.

Notes

1 Ph. Braunstein, « L’industrie à la fin du Moyen Âge, un objet historique nouveau ? », La France n’est-elle pas douée pour l’industrie ?, L. Bergeron et P. Bourdelais (dir.), Paris, 1998, p. 25-40. Sur la notion de qualité, le médiéviste pourra utilement se reporter aux réflexions de ses collègues modernistes dans La qualité des produits en France (XVIIIe-XXe siècles), sous la direction d’A. Stanziani, Paris, 2003.

2 Dans la suite de cet article, je conserverai l’appellation commode de « comté de Roussillon » pour désigner la Catalogne du Nord.

3 Cette homogénéité est le résultat de circulations techniques, question passionnante que je ne pourrai pas aborder dans le cadre de cet article ; se reporter à L. Hilaire-Pérez et C. Verna, « Les circulations techniques : hommes, produits, savoirs au Moyen Âge et à l’époque moderne (Orient, Occident) », Circulations techniques, Journée d’études, Institut universitaire de Technologie, Belfort, juin 2003, à paraître.

4 Sur le maintien et le développement de l’activité sidérurgique dans le comté de Foix durant la seconde moitié du XIVe siècle et jusqu’en 1450, voir C. Verna, Le temps des moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales, XIIIe-XVIe siècles, Paris, 2001, chapitre : « L’émergence d’une économie de guerre ».

5 A. Merlin-Chazelas, Documents relatifs au Clos des Galées de Rouen, Paris, 1978, t. 1, p. 346, texte n° 1683 ; Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 3E1 921.

6 C. Verna, Le temps des moulines…, op. cit, p. 60-66 ; L.-M. Diez de Salazar Fernandez, Ferrerias en Guipúzcoa (s. XIV-XVI), Saint-Sébastien, 1983, p. 295.

7 C. Verna, op. cit., p. 245-253 ; semblable vigilance est exercée en Guipúzcoa, L.-M. Diez de Salazar Fernandez, Ferrerias…, op. cit., p. 299.

8 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B153, fol. 106v° et 126 ; 1B152, fol. 28 ; sur cette affaire, S. Caucanas, Moulins et irrigation en Roussillon du IXe au XVe siècle, Paris, 1995, p. 199.

9 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B219, fol. 104v°.

10 Je ne développerai pas davantage les conditions de cet échange fondamental, ni ne présenterai les indices dont on dispose sur la circulation et le marché du bois et du charbon de bois dans le comté de Foix. Je renvoie à mon ouvrage, Le temps…, op. cit., p. 115-135.

11 Archives de la Couronne d’Aragon (Barcelone), Maestre Racional, Obras, n° 2435 ; C. Verna, « Fer, bois, houille : forge hydraulique et gestion des combustibles (XIVe siècle, Pyrénées-Languedoc) », Economia e energia secc. XIII-XVIII, Atti della trentaquattresima Settimana di Studi, Prato, 15-19 aprile 2002, a cura di S. Cavaciocchi, Florence, 2003, p. 341-356. C. Carrère, « Le droit d’ancrage et le mouvement du port de Barcelone au milieu du XVe siècle », Estudios de Historia moderna, III, 1953, p. 147 et suiv.

12 Respectivement et suivant la datation proposée par Alart, reprise par M. Gual Camarena : 1252 et 1297, voir note infra.

13 L.-M. Diez de Salazar Fernandez, Ferrerias guipuzcoianas. Aspectos socio-económicos, laborales y fiscales (siglos XIV-XVI), Saint-Sébastien, 1997, p. 124, p. 515 ; Ferrerias en Guipúzcoa, … op. cit., p. 295.

14 J. Zabalo Zabalegui, « Peaje de Tudela (1365) », J. Carrasco Pérez, « Peaje de Sangüesa (1362) », Peajes navarros, A. J. Martin Duque, J. Zabalo Zabalegui et J. Carrasco Pérez éd., Pampelune, 1973, p. 83-151 et p. 155-182.

15 On retrouve la mention de l’acier à Jaca, au début du XVe siècle, M. Alvar, « Lexicografia medieval : el peaje de Jaca de 1437 », Estudios dedicados a Menendez Pidal, t. II, Madrid, 1951, p. 1-43.

16 M. Gual Camarena, Vocabulario del comercio medieval. Colección de aranceles aduaneros de la Corona de Aragón, siglos XIII y XIV, Tarragone, 1968.

17 Il paraît inutile de revenir sur la question, tant de fois débattue, de l’usage des leudaires par l’historien. Ces documents doivent toujours être utilisés avec beaucoup de prudence. À cet égard, signalons que le leudaire du Boulou, considéré comme l’extension terrestre de celui de Collioure, n’enregistre aucun passage de fer au XIVe siècle.

18 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B138, fol. 73.

19 R. Conde, « La lleuda de la Seu d’Urgell (s. XV-XVI) », Urgellia, 1981, p. 335-348. Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B276, fol. 63v°.

20 M. Gual Camarena, Vocabulario…, op. cit., p. 75 et suivantes. La majorité de ces documents n’est pas datée. L’auteur propose une datation hypothétique. Par ailleurs, il indique qu’il n’a pas pu examiner le document de 1246, égaré depuis sa publication par Alart ; qu’il se contente donc de le reproduire dans son ouvrage en respectant la datation proposée par l’illustre Directeur des Archives départementales des Pyrénées-Orientales.

21 Quintal del bosch ou nemoris, de nombreuses mentions chez les notaires catalans des XIVe et XVe siècles. Rove, dans la classification des poids à Perpignan, Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B94, fol. 37. Moysson, moyson, sur cette unité de mesure, consulter, Ph. Bernardi, « Pierres réelles ou pierres de compte ? Notes sur la mesure d’un matériau de construction », dans La juste mesure, entre Orient et Occident, VIIIe-XVIIIe siècles, Seconde Journée des Historiens médiévistes et modernistes de l’Université Paris VIII, juin 2002, à paraître.

22 Sur l’ensemble des fonds que j’ai examiné, ce sont les notaires de Perpignan et de la vallée du Tech qui mentionnent la plus grande diversité de produits semi-finis.

23 Rappelons que l’acier est aujourd’hui scientifiquement défini comme un alliage de fer et de carbone comprenant de 0,02 % à 1,7 % de carbone ; sur l’acier naturel, C. Verna, op. cit., p. 107- 113.

24 Le merlar, voir C. Verna, Le temps…, op. cit. La masa de Biscaye, consulter B. Caunedo del Potro, Mercaderes castillanos en el golfo de Viscaye (1475-1492), Madrid, 1983, p. 82 ; Llinatge : ce terme signifie traditionnellement « origine », « lignage ». Or, il apparaît une fois dans les sources de la sidérurgie du Roussillon, dans le cadre du contrat d’acapte de la mouline de Formiguères (1323). Il identifie la production de la mouline ; à la suite de cette mention, il est indiqué que le maître de la mouline devra verser 1/8 d’un quintal de fer chaque semaine, sans pour autant que la qualité et la forme du produit correspondant à cette quantité soient spécifiées. Serait-ce sous la forme de llinatge ? Le llinatge pourrait-il correspondre au métal peu élaboré ? Pourrait-il correspondre au merlar ariégeois ? Mais rappelons que le terme de llinya a couramment le sens de « petite barre » en Catalogne, voir entre autres, Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B94, fol. 82v°.

25 R.-H. Bautier présente le document qui, incomplet, permet néanmoins de connaître, pour quelques mois, les flux de trois ports qui exportent majoritairement la production de fer de Guipuzcoa : Orio, Pasajes (cf. Oyarzun) et Segura.

26 R.-H. Bautier, « Notes sur le commerce du fer en Europe occidentale du XIIIe au XVIe siècle », Revue d’Histoire de la Sidérurgie, 1960, p. 17-18 ; M. Gual Camarena, « El hierro en el medievo hispano », La miniera hispana e iberoamericana. Estudios, fuentes, bibliografia, vol. 1, Leon, 1970, p. 287 ; R. Sprandel, « Notas sobre la producción de hierro en la península ibérica durante la edad media », Anuario de estudios medievales, 1983, p. 364. Signalons également l’étude de M. A. Ladero Quesada, Fiscalidad y poder real en Castilla 1252-1369, Madrid, 1993.

27 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B177, 68v° (LXIIIv°).

28 G. Romestan, « Les relations commerciales entre Perpignan et la Ligurie aux XIVe et XVe siècles », Atti del I Congresso storico liguria-Catalogna, octobre 1969, Bordighera, 1974, p. 365. E. Baraldi, « “Pratici” (techniciens) et pratiques sidérurgiques dans le zone méditerranéenne entre le XIVe et le XVIIe siècle », Savoirs et savoir-faire industriels en Méditerranée occidentale, XVIe-XIXe siècle, Colloque international tenu à Corte, 30 juin-2 juillet 2001, à paraître. Je remercie Enzo Baraldi qui m’a offert son article avant qu’il ne soit paru.

29 O. Codina, J.-M. Bosch, A. Vilar i Mur, « La production du fer en Andorre au Moyen Âge. Du mythe à l’histoire », Études roussillonnaises, Revue d’Histoire et d’Archéologie méditerranéennes, 2003, p. 53-60.

30 L.-M. Diez de Salazar Fernandez, Ferrerias guipuzcoianas. Aspectos socio-económicos, laborales y fiscales (siglos XIV-XVI, Saint-Sébastien, 1997, p. 568-569.

31 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, registres du notaire Pere Fuster. Malheureusement, le nombre des registres de notaires conservés pour le Conflent est bien inférieur à celui dont on dispose pour le Vallespir.

32 On retrouve huit fornelli ferri dans la cale d’un bateau en partance pour l’Orient, Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 3E1 470.

33 R.-H. Bautier, « Notes sur le commerce du fer… », op. cit.

34 La bibliographie sur ce sujet est très importante. Je me limiterai à indiquer quelques travaux espagnols parmi les plus récents : B. Caunedo del Potro, op. cit. ; L.-M. Diez de Salazar Fernandez, Ferrerias en Guipúzcoa, … op. cit. M. A. Ladero Quesada, Fiscalidad y poder…, op. cit. ; H. Casado Alonso, Castilla y Europa, comercio y mercaderes en los siglos XIV-XV y XVI, Burgos, 1995.

35 Durant la première moitié du XVe siècle, le « fer d’Espaigne » apparaît dans les registres d’audience de la ville de Paris. De façon courante et déjà bien établie par les travaux de Michel Mollat, il est pris en charge par les marchands de Rouen, à partir du port importateur d’Harfleur. Les contestations dont il est l’objet portent sur le non paiement du péage de Conflant et la confiscation du fer qui s’en suit, ainsi que sur la dénonciation de son haut prix. Débarqué à Harfleur pour la somme de 10 livres tournois le millier de fer, il est prévu de le vendre à Paris 15 livres, alors que le transport est évalué à 13 sous 2 deniers par charge, Arch. Nat., Z1H5 (1411-1413). Je remercie Stefan Gouzouguec qui m’a aimablement communiqué ces textes. Sur les régions citées voir : M. Mollat, Le commerce de la haute Normandie au XVe et début du XVIe siècle, Paris, 1952 ; M. Arnoux, Mineurs, férons et maîtres de forges. Étude sur la production du fer dans la Normandie du Moyen Âge, XIe-XVe siècles, Paris, 1993 ; S. Painsonneau, L’armurerie tourangelle au XVe siècle : la fabrication et le commerce des armes, Mémoire de Maîtrise, Université de Tours, 1999 ; Ph. Braunstein et O. Chapelot, « Mines et métallurgie en Bourgogne à la fin du Moyen Âge, première esquisse », Mines, carrières et métallurgie dans la France médiévale, Actes du colloque de Paris, juin 1980, Paris, 1983, p. 31-66 ; Jean-Pierre Leguay, « Un aspect du travail dans les villes armoricaines au Moyen Âge : la fabrication des canons et armes blanches », Hommes et travail du métal dans les villes médiévales, Études réunies par P. Benoit et D. Cailleaux, Paris, 1988, p. 185-226.

36 Notons d’ailleurs que le fer basque débarqué à Cadix et à Séville est désigné comme ferro de Viscaya, L.-M. Diez de Salazar Fernandez, op. cit., p. 545 et suiv. À Valence sont débarqués ferrores de Viscaya e de Galicia, J. Guiral-Madziiossif, Valence, port méditérranéen au XVe siècle (1410-1525), Paris, 1987, p. 315.

37 J. Hinojosa-Montalvo, « La relaciones comerciales entre Valencia y los Pirineos durante la primera mitad del siglo XV », Actas del VII Congreso internacional de Estudios pirenaicos, Seu d’Urgell, septembre 1974, Jaca, 1983, p. 227-238 ; B. Dini, Una pratica di mercatura in formazione (1394-1395), Florence, 1980, p. 132.

38 C. Carrère, Barcelone, centre économique à l’époque des difficultés (1380-1462), Paris, 1967, p. 354 ; G. Romestan, « Le commerce à Narbonne dans le second quart du XIVe siècle », Hommage à Jean Combes, Études languedociennes, Mémoires de la Société archéologique de Montpellier, Montpellier, 1991, p. 56 ; R. Sprandel, « Le commerce du fer en Méditerranée orientale au Moyen Âge », Sociétés et compagnies de commerce en Orient et dans l’océan indien, Actes du 8e Colloque international d’histoire maritime, Beyrouth, septembre 1966, M. Mollat éd., Paris, 1970, p. 387-393.

39 Quelques exemples : 1361, 22 gerbes de fer, Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 3E1 121 ; 1391, 60 quintaux de fer, des draps et du miel dans la cale d’un navire, 3E1 468 ; 1454, saisie de quelques quintaux de fer, 1B281 ; 1475, vol de 20 quintaux de fer sur la plage de Canet, 3E1 5281 ; 1483, 18 quintaux de fer, 3E1 1660.

40 Arch. mun. de Narbonne, CC livre de la Robynase (1401-1405), fol. 50, 55v°, 84.

41 Sur cet aspect, voir C. Verna, Le temps…, op. cit.

42 Cette même peur du tarissement du gisement est présente dans la législation des Cortes, au début du XVIe siècle. Elle est signalée par M. Mollat, Le commerce de la haute Normandie au XVe et début du XVIe siècle, Paris, 1952, p. 226.

43 Ch. Guilleré, « Les finances publiques en Roussillon Cerdagne au milieu du XIVe siècle : comptes des procureurs royaux pour les années 1345-1346 », Annales du Midi, 1984, p. 357-384. Certains contrats portant sur la traite du minerai sont conservés pour le XIVe siècle. En 1333, la traite du minerai du Conflent atteignait 490 livres par an (en comparaison, la leude majeure par terre et par mer de Collioure correspond à 2990 livres), Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B381, fol. 22v° ; elle tombe à 200 livres en 1360, remonte à 300 livres en 1370, à 360 en 1394, Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B111, fol. 40v° ; 1B122, fol.19 (XXI) ; 1B155, fol. 12v°.

44 Sur le système financier de la couronne d’Aragon et l’importance des fermes et des assignations dans la gestion du domaine, Ch. Guilleré, « Les finances royales à la fin du règne d’Alfonso IV El Benigno (1335-1336) », Mélanges de la casa Vélasquez, t. XVIII/1, 1982, p. 33-60. Entre autres, et au cours du XIVe siècle, afferme des droits du roi sur la traite du minerai et le poids du fer de Collioure : Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B24, fol. 1 (1330), 1B381, fol. 8 et 22v° (1333), 1B111, fol. 40v° (1360), 1B122, fol 19 (ou XXI) (1370). Criée, afferme et assignation, il faut le préciser même si cela paraît une évidence, portent sur toutes sortes de revenus.

45 Nous renvoyons, une nouvelle fois, à l’article de Ch. Guilleré, « Les finances publiques… », op. cit. Sur la gestion de l’eau, S. Caucanas, op. cit. Sur le bois, C. Verna, « Fer, bois, houille… », op. cit.

46 Ces hommes reçoivent, pour faire exercer leur droit, une délégation du droit de police et disposent à leur profit de contrôleurs et de gardes, même si leur activité est généralement encadrée par les officiers royaux. Quelques exemples : 1B111, fol. 40-41 ; 1B122, fol. 19 (XXI) ; 1B 208, fol. 41v°.

47 Les données dont je dispose actuellement sur le Roussillon ne me permettent pas de saisir une fermeture du marché du minerai même momentanée, comme cela est le cas en Biscaye à la fin du XVe siècle, alors que l’activité sidérurgique se déploie au Pays basque, V. Vasquez de Prada, « La antiguas ferrerias de Viscaya (1450-1800) », Mélanges en l’honneur de Fernand Braudel, t. 1, Histoire économique du monde méditerranéen, 1450-1650, Toulouse, 1973, p. 661-671. Phénomène de rétention également bien visible dans le comté de Foix au début du XVe siècle, lors d’une semblable période de développement de l’activité industrielle, C. Verna, op. cit.

48 E. Baraldi, op. cit.

49 Pour le Pays basque, nous renvoyons aux ouvrages de Luis Miguel Diez de Salazar Fernandez. Les limites de cet article ne nous permettent pas de reprendre avec exhaustivité les résultats des travaux de ce chercheur. Mais il est remarquable de noter combien des ferrières de Guipuzcoa disposent, pour beaucoup d’entre elles, d’un port fluvial (Hernani, Usúrbil, Orio). Quant aux prises de participation des marchands dans la forge, ou la création même de forge par des familles de marchands, elles sont nombreuses à partir du XVIe siècle, mais des cas émergent dès la seconde moitié du XVe siècle : marchands de Saint-Sébastien et d’Hernani, Ferrerias guipuzcoanas…, op. cit., p. 81, 98, 101.

50 C. Verna, « Fer, bois, houille, … », op. cit.

51 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 1B 184. La richesse de la documentation conservée sur Bernard Saquet, l’intérêt que cet homme porte aux activités de production, ont été soulignés par Guy Romestan, « Un marchand perpignanais au XIVe siècle : Bernard Saquet », Le Roussillon de la Marca Hispanica aux Pyrénées-Orientales, (VIIIe-XXe siècles), Actes du LXVIIe Congrès de la Fédération historique du Languedoc Méditerranéen et du Roussillon, Perpignan, 1995, p. 439-474. Malgré la richesse de cet article de référence, il reste encore à examiner les activités précises engagées par Bernard Saquet dans les domaines forestier et sidérurgique et les réseaux sur lesquels elles se fondent. L’étude est en cours.

52 Cette famille de verriers est connue. Je renvoie à la maîtrise de Jordi Mach (Université d’Aix-en-Provence).

53 Si Bernard Saquet est sans doute original de part l’intérêt qu’il porte à la production industrielle, d’autres pareurs disposent aussi de moulins à scier ; c’est le cas de Pierre Vernet, Pierre Viladamont et Dalmacio Sagerre.

54 S. Caucanas, op. cit., p. 208-209.

55 Ces hommes sont également très présents dans le domaine de la production sidérurgique, par exemple lorsqu’ils investissent dans les moulines. Sur cette notabilité et les activités de transformation, se reporter à A. Pinto, « Ressources et activités économiques dans les montagnes roussillonnaises (IXe-XVe siècles) », Actes du XXXIVe Congrès de la S.H.M.E.S., La montagne médiévale, mai 2003, Chambéry, à paraître. Cette forte présence de la notabilité de bourg et de village dans l’artisanat et l’industrie n’est pas exceptionnelle dans les Pyrénées, C. Verna, Le temps…, op. cit., p. 269-281.

56 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 3E20 449, fol. 43 et suiv.

57 Je tiens à remercier Denis Fontaine qui m’a utilement conseillée lorsque j’ai entrepris ma recherche dans le fonds des archives notariales des Pyrénées-Orientales.

58 G. Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, Paris, 1989.

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