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Vivre et mourir en temps de guerre de la préhistoire à nos jours

 | 
Patrice Foissac

De la Guerre civile espagnole à la libération

Les Espagnols dans le Lot pendant les années noires

Nathalie Bousquet

Texte intégral

  • 1 Cette contribution est écrite dʼaprès mon mémoire de maîtrise Les Espagnols dans le Lot de (...)

1Cʼest un passé proche, celui des années noires dans le Lot, que nous allons évoquer à travers quelques aspects de ce quʼa été la Retirada, la grande vague des réfugiés espagnols dans notre département en février 19391.

2Comment ces réfugiés sont-ils arrivés ? Comment ont-ils été accueillis par les populations ? Quelles mesures les autorités mettent-elles en place ? Nous évoquerons aussi quel est le devenir de ces réfugiés, alors que se succèdent la fin de la guerre civile en Espagne, la déclaration de guerre en Europe et la défaite de la France, puis lʼinstallation du régime de Vichy. Il sʼagit de mettre en évidence lʼévolution des attitudes et des comportements des populations et des autorités face à cet exil espagnol qui se prolonge sur le territoire français.

3On nomme Retirada le grand exode de février 1939, qui pousse 500 000 Espagnols à passer la frontière alors quʼen Espagne le général Franco a atteint ses objectifs militaires. Ce sont des causes violentes, tragiques, liées à la guerre civile, qui vont entraîner plusieurs vagues de départs de républicains espagnols. La défaite, les dangers, les conditions très dures vécues par cette population vont non seulement conditionner leur état mental et physique, mais vont aussi déterminer lʼattitude des pouvoirs publics et des habitants dans le pays dʼaccueil. Cet accueil sera dʼautant plus spécifique que dans lʼEurope des années 30, on assiste à la montée des fascismes. Lʼétranger, le réfugié est celui qui cristallise les peurs et les haines alors que les menaces de conflit pèsent et fragilisent la paix.

4Le Lot est un département paysan qui, depuis le milieu du XIXe siècle, subit lʼexode rural. Cʼest, comme lʼécrit Drieu la Rochelle : « la France des radicaux, des coteaux modérés, la France jardinière et des adductions dʼeau », la France de lʼimmobilisme. Cʼest pourtant ce département qui va être concerné par lʼexode de 1939. Dès 1937, quelques mois après le soulèvement militaire en Espagne, le Lot, avec 31 autres départements, est déclaré par le gouvernement département de première urgence pour lʼévacuation de réfugiés espagnols. Ceci afin dʼéviter le voisinage immédiat de la frontière espagnole aux réfugiés, cette proximité pouvant être la cause dʼincidents.

5Le 4 mai 1938, le général commandant la 17e région militaire adresse au préfet du Lot une liste dʼemplacements jugés favorables pour établir des camps de circonstance pour les réfugiés espagnols ayant appartenu aux armées gouvernementales. Pour le Lot apparaît le projet dʼun camp à Catus, prévu pour 500 hommes. Dʼautres similaires sont signalés dans les environs de Fleurance dans le Gers et de Saint-Antonin dans le Tarn-et-Garonne. Le 12 mai 1938, le commissaire spécial remet un rapport dʼenquête favorable sur la ferme de la Métairie Basse à Catus. À cette grande maison de 12 chambres seraient ajoutés des baraquements construits par les internés. Ces baraques de type Adrian permettraient de loger 40 hommes, leur coût sʼélève à 15 000 F et dix de ces bâtiments seraient nécessaires. À la fin du mois de janvier 1939, à la veille de lʼarrivée de la grande vague des réfugiés espagnols, les travaux nʼont toujours pas été entrepris, car les fonds nʼont pas été trouvés par les autorités civiles. Ceci laisse envisager les problèmes matériels qui vont se révéler à lʼarrivée des réfugiés alors quʼaucune installation nʼest effective.

Lʼarrivée des réfugiés espagnols dans le Lot, février 1939

6Quel est leur nombre ? Quel est lʼétat de cette population ? Comment réagissent les autorités et les populations civiles ? Quelles initiatives sont prises pour leur accueil ?

7Bien quʼil y ait eu durant la guerre civile en 1936, en 1937, en 1938, des réfugiés accueillis dans le Lot, cʼest sans commune mesure avec le nombre de réfugiés espagnols de la Retirada. À la fin du mois de janvier 1939, environ 700 réfugiés arrivent dans le Lot, puis ils sont 2 585 le 8 février. On atteint le chiffre le plus élevé, deux jours plus tard le 10 février 1939, avec 3 131 réfugiés présents dans le Lot. Ce sont presque exclusivement des femmes, des enfants, des vieillards et des infirmes, car les hommes en âge de combattre ont dʼabord été bloqués à la frontière, puis internés dans les camps du Midi de la France. Les réfugiés espagnols représentent alors 2 % de la population lotoise.

8Ces réfugiés arrivent totalement démunis et très affaiblis par la sous-alimentation, le froid, le manque dʼhygiène, lʼépuisement, la dislocation des familles et le traumatisme de la guerre et de lʼexode. Le sous-préfet de Figeac les décrit dans un état dʼextrême lassitude et juge leur état de santé préoccupant. En effet de nombreux cas de gale sont recensés, et les autorités prévoient un centre de traitement à Cahors dans lʼancien séminaire. Plus dʼune centaine de réfugiés sont admis à lʼhôpital de Cahors où les bronchites et autres affections pulmonaires sont les maladies les plus répandues. Un cas de fièvre typhoïde est aussi recensé. Mais lʼisolement de quatorze jours est impossible à mettre en œuvre dans le département. Dʼautre part, la peur des contagions entraîne les autorités à procéder à la vaccination anti-variolique.

9Face à ce désastre humanitaire, dirions-nous aujourdʼhui, les autorités vont solliciter la compassion et lʼaide charitable de la population lotoise. Les Lotois voient alors dans la figure du réfugié, au tout début de lʼexil, la victime à secourir. Le réfugié est plutôt identifié aux enfants de la guerre évacués hors dʼEspagne dans des colonies (deux colonies dʼenfants ont dʼailleurs séjourné dans le Lot). La quasi absence dʼhommes à ce moment-là dans le Lot parmi les réfugiés encourage cette représentation. La victimisation permet dʼévacuer provisoirement et partiellement les tensions politiques nées autour de la guerre civile en Espagne et qui se sont accrues avec le choix politique de la non-intervention pendant la guerre civile.

10Les initiatives privées visant à aider les réfugiés sont difficiles à quantifier ; en revanche, dʼun point de vue qualitatif, elles sont essentielles pour les réfugiés qui peuvent trouver un peu de réconfort dans ces manifestations de fraternité. Citons par exemple, à Cahors, 39 réfugiés hébergés dans 19 familles dʼaccueil ; à Figeac et à Souillac on procède à des quêtes pour recueillir de lʼargent, des vêtements et des ustensiles nécessaires aux réfugiés démunis de tout. Dans quelques communes, des habitations privées vacantes sont mises à disposition des municipalités par leur propriétaire. À Montfaucon, le directeur du sanatorium cède gratuitement les suppléments de nourriture aux réfugiés. À Albas, une soirée organisée à lʼinitiative des écoles publiques recueille des dons. À Thégra, les 17 réfugiés logés au presbytère inoccupé ont leur nourriture assurée pendant quelques jours par le restaurant Bergougnan.

11Des associations se mobilisent également pour venir en aide aux réfugiés dans le Lot. Cʼest le cas dʼune œuvre charitable de Grande-Bretagne qui envoie des colis de vivres et de vêtements. Les universitaires amis de lʼEspagne Républicaine constitués en comité depuis novembre 1936 en appellent aux lecteurs de La Dépêche afin quʼils se mobilisent. La Ligue des Droits de lʼHomme convie à une réflexion sur le sort des réfugiés espagnols.

12Les structures publiques mises à disposition des réfugiés par les municipalités sont limitées et vite saturées. Il sʼagit à Gourdon des locaux du nouvel hôpital, à Figeac, de ceux de lʼancienne prison et des salles abandonnées de lʼancienne école de filles, et à Saint-Céré, des locaux de lʼhôpital hospice.

13En ce début dʼannée 1939, le sous-préfet de Gourdon signale que le sentiment qui domine dans les populations est la pitié pour la détresse des réfugiés. Cependant, dans un autre rapport, il signale aussi que les réactions de la population sont assez diverses et paraissent varier en fonction de lʼorientation politique des communes. Les clivages politiques déjà existants à propos de la guerre dʼEspagne dans la société se reportent sur les réfugiés espagnols qui deviennent lʼobjet de dissensions.

14De février 1939 à avril 1939, le nombre des réfugiés dans le Lot se stabilise autour de 3 000 personnes. Ces effectifs révèlent les limites des capacités dʼaccueil du département où seulement 20 communes sur 336 ont lʼadduction dʼeau. Le ravitaillement est aussi une difficulté car il est rendu malaisé par le petit nombre dʼauberges et de restaurants. Le préfet craint quʼen se prolongeant cette situation nʼentraîne la lassitude des populations qui perdraient leur élan charitable des premiers jours. Alors que les dangers extérieurs sʼamplifient, les réfugiés vont catalyser les peurs, lʼhostilité, et les craintes de conflits sont avivées par leur présence car ils portent lʼimage de la guerre menaçante et redoutée.

De la fin de la guerre civile en avril 1939 à la déclaration de guerre en France en septembre 1939

15La fin des combats et la victoire des franquistes laissent envisager le prolongement du séjour des réfugiés. Depuis février 1939, au sud des Pyrénées, la loi sur les responsabilités légalise la répression et lʼépuration exercées par le pouvoir franquiste. Elles touchent tous ceux qui ont défendu ou participé à lʼœuvre de la République. Mais cette situation nʼest pas comprise comme telle au nord des Pyrénées : le maire de Montcuq se plaint auprès du préfet que, la guerre étant finie en Espagne, les réfugiés ne soient pas renvoyés dans leur pays. En mai 1939 la circulaire dʼAlbert Sarraut, ministre de lʼIntérieur, réitère le caractère volontaire que doivent revêtir les rapatriements ; cependant, il recommande aussi aux préfets de faire preuve dʼinitiative et dʼaudace.

16LʼEspagne franquiste limite dans ces premiers temps les retours entre 200 et 300 passages à la frontière par jour afin de mieux contrôler les personnes qui rentrent. Sʼimpose donc aux autorités très embarrassées par la présence oisive des réfugiés à la charge des collectivités de rapatrier les indécis dʼune part et, dʼautre part, dʼinterner les suspects, enfin, de sʼorganiser pour rendre utiles à la nation ceux qui peuvent travailler. Il sʼagit, tâche difficile, de concilier devoir humanitaire, ordre et sécurité et diminution des charges de lʼÉtat envers les réfugiés.

Quid des rapatriements ?

17Dʼavril 1939 à août 1939, cʼest-à-dire de la fin de la guerre civile en Espagne à la veille de la déclaration de guerre en Europe, un tiers des réfugiés quittent le Lot. Le préfet sʼadresse aux réfugiés par un texte qui incite au départ ; il est traduit en espagnol grâce aux bons soins de lʼinspection académique du Lot. Quelques cas mettent en évidence le caractère volontaire des retours motivés par les terribles conditions dʼaccueil : cinq jeunes femmes à Larroque-Toirac demandent leur rapatriement vers Irun ; à Saint-Sauveur-La-Vallée, onze réfugiés signalent quʼils ont hâte de rentrer dans leur pays, et sept ressortissants basques doivent rentrer pour recueillir lʼhéritage de leur père décédé.

18Mais, pour la plupart des républicains espagnols, la crainte du rapatriement est forte et une grande majorité dʼentre eux sʼexprime en refusant le retour en Espagne lors de la mise en place des évacuations. À Souillac, sur une centaine de réfugiés, quatorze seulement ont demandé le rapatriement ; à Carlucet, les huit femmes recensées désirent rester en France ; aux Quatre-Routes, une famille de Saragosse refuse de quitter le territoire car le chef de famille est interné dans un camp. Ces refus sont inhérents à la dispersion des familles bien sûr, mais ils sont surtout la conséquence de lʼimpitoyable répression franquiste à lʼégard des perdants.

19Dʼautres réfugiés demandent à poursuivre leur exode vers lʼAmérique latine : à Loupiac, douze Basques souhaitent se rendre au Mexique, à Figeac, deux vont se rendre au Costa-Rica et une famille de Santander part en Argentine rejoindre des parents. Ces destinations concernent surtout des ressortissants basques et elles sʼadressent à des réfugiés ayant des diplômes car les pays dʼAmérique latine ont besoin de main dʼœuvre qualifiée. Une femme employée comme domestique demande à se rendre en URSS, ce choix est fait par des membres du PCE.

Du bon usage des réfugiés ou la mise au travail

20Lʼemploi des réfugiés, en majorité dans lʼagriculture, permet de concilier lʼintérêt économique du Lot, la lutte contre lʼoisiveté, et la diminution de leur prise en charge. Au printemps et en été 39, le secteur agricole lotois manque de main dʼœuvre pour les fenaisons, lʼépamprage des vignes et les moissons. Les femmes seront les premières à entrer dans lʼéconomie lotoise : 43,5 % dʼentre elles travaillent dans les champs : récolte des fraises à Caillac et à Bégoux ; elles participent également à lʼépamprage des vignes puis aux vendanges. Jusquʼau printemps 39, la sordide réalité de lʼinternement dans les camps de concentration est restée un phénomène en marge de lʼaccueil dans le Lot. Mais au moment où lʼon doit combler les besoins en main dʼœuvre, les camps deviennent ces réservoirs où lʼon puise des ouvriers agricoles. En effet, avec un contrat de travailleur agricole, un réfugié peut quitter le camp si lʼenquête est favorable, et les agriculteurs ne sont pas obligés de cotiser si la durée du contrat est inférieure à trois mois.

21Les intérêts économiques et le désir de survie convergent et des sorties de camp sʼavèrent possibles. Au mois de juillet 1939, onze miliciens internés au camp de Septfonds sont employés régulièrement chez des paysans de Limogne, Lalbenque et Castelnau-Montratier. Dans la vallée du Lot, dans le vignoble, 220 vendangeurs sont occupés dès le mois de septembre 1939. Lʼarrondissement de Gourdon, particulièrement touché par lʼexode rural, est peuplé des deux tiers des réfugiés accueillis dans le Lot. Au Vigan et à Lamothe-Fénelon, deux expériences de coopératives agricoles sont tentées par des réfugiés venant des camps de Bram, Barcarès, Agde, Vernet. Douze dʼentre eux ont appartenu à la division Durruti. Ils se réclament ouvertement du mouvement anarchiste espagnol ; proches par leur origine aragonaise et leur affinité politique, ils sont paysans et ont déjà expérimenté lʼexploitation collective pendant la révolution en Espagne. À Lamothe-Fénelon, les 26 hectares du domaine de Grèzes sont loués par une société dʼentraide et de secours aux réfugiés, dont le siège est à Paris. Au Vigan, les 71 réfugiés espagnols du domaine dʼAymare, propriété dʼindustriels marseillais, ont remis 125 hectares en état de culture.

22La détresse et lʼabattement des premières semaines de lʼarrivée des réfugiés ont quelque peu évolué, mais ils sont stigmatisés, indésirables et exclus par une société apeurée où la xénophobie et lʼhostilité sont les sentiments qui dominent. Les femmes et les enfants attisent toujours les peurs des épidémies et des mœurs dépravées qui pourraient atteindre cette société sclérosée. Le risque des maladies vénériennes susceptibles dʼêtre transmises par ces femmes est plusieurs fois évoqué dans les rapports préfectoraux. Les réfugiés concentrent les peurs des populations en cette période dʼavant-guerre.

23Pendant lʼété 1939, le préfet relance lʼenquête pour la construction et lʼimplantation de baraquements dans les chefs-lieux de canton, afin de loger les réfugiés et de faciliter leur surveillance par les gendarmes. En effet, la menace dʼune guerre imminente impose que lʼon se prépare à recevoir de nouveaux réfugiés, cette fois des nationaux venus du nord et du nord-est du territoire français.

Quels changements la déclaration de guerre, le 1er septembre 39, va-t-elle entraîner pour les réfugiés ?

24Lʼentrée en guerre de la France et de lʼAngleterre contre les nazis allemands et les fascistes italiens rend lʼespoir aux réfugiés espagnols qui les ont combattus sur leur territoire qui a été la tragique scène de la répétition générale du second conflit mondial. Les manifestations de lʼespoir retrouvé par les réfugiés sont très mal perçues : le préfet rapporte la joie des hébergés qui, le jour de la mobilisation, ont chanté lʼInternationale à tue-tête, de jour comme de nuit, à gorge déployée. Il qualifie dʼinsolent le comportement des femmes réfugiées à lʼégard des femmes de mobilisés.

25Lʼhostilité des populations lotoises à lʼégard des réfugiés se réveille sous un jour nouveau. Le 8 novembre 1939, le maire de Bétaille écrit au préfet quʼil trouve inadmissible que ces Espagnols perçoivent toujours de lʼargent, quand les Françaises qui ont leur mari au front depuis plus de deux mois nʼont pas encore perçu un sou. La perception de lʼétranger comme suspect dangereux grandit au moment de lʼentrée en guerre. Le danger intérieur surestimé par le pouvoir va mobiliser lʼénergie et les effectifs de la police et de la gendarmerie. Le 25 août 1939, la MOI (Main dʼœuvre immigrée) est dissoute en même temps que le PCF et, très vite, lʼensemble des républicains espagnols est assimilé aux Rouges. Pour les étrangers suspects une circulaire préconise le refoulement ou lʼinternement dans le camp du Vernet pour les hommes, à Rieucros ou La Roquette pour les femmes. Dans le Lot, en septembre 1939, 79 réfugiés espagnols sont comptabilisés comme suspects par les services de police. Les réfugiés des domaines agricoles dʼAymare et de Grèzes sont particulièrement surveillés.

26La délation encouragée par le gouvernement à tous les niveaux de lʼadministration devient effective. À Lamothe-Fénelon, le facteur-receveur envoie deux rapports au préfet, lʼun sur la provenance suspecte de mandats-cartes adressés aux réfugiés dʼAymare et lʼautre à propos du maire communiste, faisant ainsi lʼamalgame communistes-étrangers-indésirables, tous dangereux pour la sécurité intérieure. La signature du pacte germano-soviétique incite à la construction de cette vision du danger. La municipalité de Lamothe-Fénelon sera dʼailleurs suspendue par décret dès janvier 1940 et le maire communiste sera assigné à résidence à Castelnau-Montratier.

27La préfecture, qui redoute lʼintroduction dʼun chiffre élevé de miliciens en provenance des camps, ne donne pas son agrément pour lʼimplantation des coopératives et ordonne la dispersion dans le Lot des personnes groupées dans les deux domaines de Grèzes et dʼAymare. Cependant, même si les effectifs y sont plus faibles, les deux domaines resteront occupés et exploités, au moins jusquʼà la Libération.

28Avec la déclaration de guerre, les rapatriements reprennent dès septembre ; ce sont majoritairement des femmes et des enfants, moins utiles à lʼéconomie et à lʼeffort de guerre, qui sont renvoyés en Espagne. Les départs sʼeffectuent jusquʼen avril 1940, au rythme de six convois mensuels rassemblant environ 55 personnes. Les réfugiés sont regroupés aux établissements Lasserre, place de la Gare, munis de vivres pour deux jours ; un inspecteur et un gendarme les escortent jusquʼà la frontière via Hendaye ou Perpignan. Les voyages sont souvent éprouvants : les réfugiés du convoi du 14 janvier 1940 doivent passer la nuit en gare de Toulouse, dans un local non chauffé, ouvert à toutes les intempéries.

29Des incidents relatés dans les rapports de police révèlent les situations tragiques subies par les réfugiés. Les autorités font preuve de persuasion pressante envers ceux qui ne peuvent pas assurer leur subsistance : ceux qui refusent un travail, les femmes aux mœurs légères. Bien quʼayant supplié le préfet, dans une lettre, de renoncer à son rapatriement, une jeune femme fera partie du convoi du 14 décembre 1939 avec sa petite fille de deux ans. Une famille évacuée sʼest couchée sur le quai à Hendaye en signe de refus dʼaller plus loin ; finalement, avec le concours des militaires, la famille est remontée dans le train. Dʼautres tentatives sont menées afin dʼéviter les rapatriements : deux réfugiés de Montfaucon bénéficient de certificats médicaux attestant leur impossibilité de voyager, un instituteur sʼengage dans lʼarmée afin dʼéviter un inéluctable retour en Espagne franquiste ; cʼest aussi le cas de 18 travailleurs de Rocamadour.

30À partir de la déclaration de guerre, les réfugiés sont davantage indésirables et ils sont aussi plus gênants. Gênants car ils sont maintenant en concurrence avec les réfugiés français : à Bétaille, 300 réfugiés du Nord seraient affectés dans la commune, et le maire veut réquisitionner le local occupé par les réfugiés espagnols.

31Un an après la Retirada, le bilan est le suivant : la population des réfugiés diminue de 69 %. Il y avait 3 131 réfugiés le 10 février 1939, il en reste dans le Lot 961 à la fin du mois de janvier 1940.

32Parallèlement à ces rapatriements, on préconise très vite lʼentrée des réfugiés dans lʼéconomie et la défense nationales où ils sʼavèrent être indispensables à lʼeffort de guerre. Volontaires dans les RMVE (régiments de marche de volontaires étrangers), la Légion ou engagés dans les CTE (compagnies de travailleurs étrangers) créés dès le mois dʼavril 1939, voici des statuts acceptables pour cette société française hostile. Alors sʼopère une révision face à lʼimpôt du sang. Le réfugié paria devient aussi travailleur et combattant. En mai 1940, les réfugiés espagnols du Lot sont incorporés comme prestataires à la disposition des militaires à Assier, à Rocamadour puis à Figeac pour la manutention de matériel militaire.

33À cette période du conflit européen, un an et quelques mois après la victoire franquiste, les familles sont encore très nombreuses à souffrir des séparations. 60 % des femmes dans le Lot sont isolées, leur mari, leurs fils étant internés ou, au contraire, ce sont des hommes ayant trouvé refuge dans le Lot qui cherchent à faire venir femmes et enfants internés.

34La guerre se termine pour la France, en juin 1940 dans une débâcle qui nʼest pas sans rappeler certains aspects de lʼexode républicain. Les réfugiés qui sont hébergés dans le Lot nʼy sont quʼau prix de leur travail et de la souffrance causée par les séparations dans lʼexil.

Le régime de Vichy qui prend le pouvoir va accentuer et durcir cette politique mise en place à lʼégard des réfugiés espagnols

35Le gouvernement de Vichy limite la liberté de circulation et étend les mesures dʼinternement. Au mois de décembre 1940, 103 étrangers dont 7 ressortissants espagnols sont envoyés au camp dʼArgelès, 28 Espagnols sont également conduits au camp dʼAgde, avec 22 Polonais et un Italien. Le gouvernement de Vichy renforce la surveillance des milieux espagnols : en 1941 la police qui surveille les activités politiques mentionne la découverte du journal clandestin Reconquista de España. Le gouvernement de Vichy revisite le processus de naturalisation, la loi est rétroactive et la nationalité française est retirée à de nombreuses personnes. Au mois dʼaoût 1940, 42 renouvellements de titres de séjour sont refusés et les intéressés reconduits à la frontière. En décembre 1940, 483 étrangers dans le Lot sont déclarés en situation irrégulière. La moitié de ces étrangers (244 précisément) sont des ressortissants espagnols. Le gouvernement de Vichy permet la pleine légitimation de la xénophobie, cautionne hostilité et malveillance à lʼégard des étrangers en allant plus loin dans la radicalisation de lʼexclusion.

36En 1941, la population des réfugiés espagnols est recomposée. Il y a 2 483 Espagnols dont la majorité, 53,7 %, sont des hommes venus des camps du Midi. Dans le Lot, lʼagriculture, lʼexploitation forestière, ainsi que de gros chantiers, nécessitent lʼemploi de ces hommes, organisés en groupements de travailleurs étrangers (GTE) qui remplacent les CTE. Les trois principaux GTE formés dans le Lot dépendent du commissariat à la lutte contre le chômage.

  • GTE n° 554 basé à Catus : 1 031 hommes dont 978 Espagnols,
  • GTE n° 508 basé à Cajarc : 252 hommes en 1942,
  • GTE n° 548 basé à Vers,
    (plus une section disciplinaire dépendant du GTE de Catus, à Puy-lʼÉvêque).

37Ces hommes sont en majorité (entre 40 et 45 %) détachés chez différents propriétaires pour le travail agricole. Ils sont entre 15 et 20 % à travailler dans lʼexploitation forestière et dans les sociétés de carbonisation. Ce travail doit pallier la pénurie de charbon dès lʼhiver 1940-1941. Enfin, deux gros chantiers fonctionnent grâce à la main dʼœuvre espagnole ; 25 à 30 % des hommes sont détachés dans le secteur industriel. À Cajarc, la Cie Ballot qui aménage le barrage hydro-électrique emploie 90 travailleurs qui sont mineurs, manœuvres, charpentiers ou mécaniciens. Le deuxième gros chantier est celui de lʼélectrification de la voie ferrée Brive-Montauban qui a un contingent de 150 ouvriers employés par lʼentreprise Drouaud. Dʼautres sont embauchés à Luzech à la Cie hydro-électrique, ou encore à Castelfranc, dans lʼusine à chaux…

38Les besoins en main dʼœuvre augmentent, et ne peuvent pas être satisfaits surtout, dans lʼagriculture qui est dans le Lot le secteur déficitaire. Cette carence en travailleurs est dʼautant plus insatisfaite que les Allemands ponctionnent cette main dʼœuvre pour construire le mur de lʼAtlantique et réaliser les bases sous-marines. En janvier 1944, lʼorganisation Todt vide le GTE de Catus en y prélevant 300 hommes sur un peu plus de 600. La police comptabilise 132 désertions, mais une amnistie est très vite décidée par le préfet, afin dʼéviter que ces hommes nʼaillent fournir les maquis. Pourtant 70 % de ces déserteurs retrouvent le chemin du combat anti-fasciste et optent pour la lutte dans la clandestinité. Il est net que les autorités sont inquiètes car les désertions sont massives. Il nʼy a pas eu dans le Lot de maquis sans Espagnols et il y a eu des maquis espagnols constitués dans le Lot :

  • Liberté à Grèzes,
  • République à Espagnac,
  • Fraternité à Camboulit,
  • Malaterra à Lauzès.

39Environ 230 éléments espagnols sont entrés dans la Résistance. Cʼest une proportion importante des effectifs donnée par cette population à la Résistance. La mémoire rend compte de résistants aguerris, rompus à la vie dans la clandestinité, experts en maniements dʼarmes et sabotages. Tous les témoignages valorisent cette résistance armée qui a contribué à la Libération.

40Alors que la France retrouve « la normalité » politique, lʼexil des Espagnols sʼorganise au fil des ans autour du renoncement à lʼEspagne qui demeure franquiste ; alors on peut construire lʼhistoire de lʼintégration des Espagnols issus de la Retirada. Les années de combat, de souffrance et de travail portent les germes des chemins de leur intégration.

Notes

1 Cette contribution est écrite dʼaprès mon mémoire de maîtrise Les Espagnols dans le Lot de lʼentre-deux guerres aux années 50 dirigé par Pierre Laborie en 1991-1992, Université Toulouse-Le Mirail.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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