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Vivre et mourir en temps de guerre de la préhistoire à nos jours

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Patrice Foissac

Les Guerres de la monarchie

Moissac confrontée aux guerres de la Fronde en 1652 et 1653

Guy Astoul

Texte intégral

1Dans les épisodes confus de la Fronde, commencée en 1648 avec la révolte des parlementaires parisiens contre la régente et Mazarin, les provinces ne restent pas longtemps à lʼécart des contestations. À partir de 1651, le Sud-ouest est touché par la rébellion conduite contre les troupes royales et des opérations militaires ont lieu dans les pays de Garonne. Estimant mériter une plus grande part du pouvoir auprès du jeune roi Louis XIV, Condé se révolte depuis la Guyenne. Pour appuyer ses ambitions, il contrôle Bordeaux, dispose du soutien des Espagnols et obtient le soutien de nombreuses villes, le long de Garonne comme Agen ou Moissac.

  • 1 Le cardinal Mazarin est abbé commendataire de cette abbaye, de 1644 à 1661.

2Dès 1651, Moissac est prise dans lʼengrenage de la guerre civile. La Fronde, entre les partisans de Condé et ceux de Mazarin, qui est abbé commendataire de lʼabbaye Saint-Pierre, a pris là une tournure particulière1. En novembre 1651 la ville est occupée par des troupes espagnoles alliées à Condé, le Frondeur. Au cours de lʼété 1652, elle est reconquise par les armées royales…

3Les excès de la soldatesque entraînent leur cortège de malheurs dans les campagnes moissagaises. Les récoltes sont confisquées pour nourrir les troupes ; la misère touche le peuple et très nombreux sont ceux qui meurent de faim ou sont menacés par la peste que les troupes propagent à travers le Quercy, la Guyenne et le Midi toulousain.

  • 2 Aux Archives municipales de Moissac, grâce au patient travail de M. Barrachin, un inventai (...)

4Lʼoccupation dʼune ville par les troupes est très coûteuse : les habitants doivent loger les soldats, fournir du matériel et de la nourriture, contribuer financièrement aux expéditions. Les délibérations consulaires permettent de suivre les événements2 et de décrypter lʼaction des consuls. On découvre leurs hésitations entre les deux camps : celui de Condé ou celui de Mazarin ; leurs difficultés à pourvoir au logement des troupes ; leurs initiatives en temps de peste et surtout leurs errements pour faire face aux problèmes financiers et à un endettement qui sʼalourdit gravement, en raison des problèmes économiques.

Des consuls ballottés dʼun camp à lʼautre

  • 3 Daniel Borzeix, René Pautal, Jacques Serbat, Histoire de Moissac, Lectoure, 1976, réédit. (...)

5La communauté de Moissac est administrée par quatre consuls qui ont la responsabilité de la gestion des affaires de la ville et réunissent régulièrement une assemblée de notables pour prendre les décisions concernant lʼensemble de la communauté dʼhabitants. Disposant de pouvoirs très étendus, le premier consul préside les conseils et détient une grande autorité dans lʼexercice de ses fonctions3. Les trois autres consuls qui lʼassistent partagent avec lui un pouvoir de justice et sont chargés de juger les litiges concernant les infractions aux règlements communautaires. Au temps de la Fronde, les consuls comme les notables moissagais hésitent entre les deux camps, celui de la rébellion ou celui de la monarchie. Dès le début des événements, les moines embrassent le parti de Mazarin et soutiennent le pouvoir royal, alors que la population moissagaise se range plutôt sous la bannière de Condé.

  • 4 Jean-Gaspard-Ferdinand, comte de Marchin (1601-1673), homme de guerre originaire du pays d (...)
  • 5 Bib. nat. de France, ms. fr. 25025-25026, Relation de ce qui sʼest passé en France pendant (...)
  • 6 Auguste Grèze, « Valence-dʼAgenais des guerres de la Fronde jusquʼà la fin du XVIIe siècle (...)
  • 7 Louis Couyba, Études sur la Fronde en Agenais et ses origines, t. 3 : Les Dessous et les m (...)

6Les Espagnols, alliés des Frondeurs, entrent sur le territoire du royaume et envoient 4000 hommes ayant à leur tête Marchin4. Ils traversent la Garonne à Malause et viennent assiéger Moissac dont les habitants leur ouvrent les portes et leur donnent 3000 livres dʼargent. Des soldats du parti de Mazarin, établis dans lʼabbaye, sʼinstallent dans la tour fortifiée du clocher et résistent quelques heures avant de se rendre. Une lettre relate cet événement, le 3 novembre 1651 : « La ville de Moissac avait consenti de bon gré que les troupes de Marchin y entrassent sans se laisser assiéger, à condition quʼelles se contenteraient de prendre tous les blés et autres choses qui pourraient appartenir au cardinal Mazarin, qui en est abbé »5. Marchin, après sʼêtre emparé des revenus de lʼabbaye, met ses troupes au repos à Malause, à Saint-Vincent lʼEspinasse et à Saint-Paul dʼEspis, pendant quʼil se rend à Bordeaux chercher des subsides pour recruter de nouveaux soldats6. Le prince de Condé vient à la suite de Marchin, et fait occuper Lauzerte par des compagnies du régiment de Lauzun-Cavalerie. Le marquis de Saint-Luc, lieutenant-général du gouvernement de Guyenne et gouverneur de Montauban, reprend Moissac et massacre la garnison laissée par Marchin. Cette ville entre dans une phase de liens étroits avec le parti de Mazarin en abandonnant le camp de Condé, comme le fait la ville dʼAgen, à la même époque7.

7Les opérations militaires se poursuivent autour de Moissac et le premier président dʼAussonne devient, le 21 novembre, gouverneur et commandant de Cahors et du pays de Quercy. Voici le récit que lʼabbé Taillefer fait de la reconquête opérée par ce serviteur du roi :

Se souvenant alors quʼil avait été autrefois capitaine au régiment de Piémont, il réunit avec une distinction marquée les talents du magistrat et du guerrier. II leva des troupes, de concert avec sa compagnie, et, sʼétant mis à leur tête, il battit, en diverses rencontres, plusieurs partis qui, à la faveur des troubles, infestaient la campagne. Il prit nombre de châteaux sur les seigneurs qui sʼétaient déclarés rebelles, contint dans le devoir et par la crainte ceux qui balançaient encore, et rompit encore toutes les pratiques du Prince pour faire soulever le pays. La ville de Lauzerte, fière de sa situation et soutenue secrètement par les malintentionnés, qui, sous main, y avaient fait passer des hommes et des munitions, sembla seule vouloir le braver et avoir formé le dessein de soutenir dans le Quercy le parti des rebelles.

  • 8 Dʼaprès le récit que fait de ces événements lʼabbé Barthélemy Taillefer dans Lauzerte. Ess (...)

8Alors que Condé est mis en échec à Astaffort, en mars, deux armées royales, celles dʼAussonne et du marquis de Bellefonds décident dʼassiéger la ville de Lauzerte. En dépit dʼune défense « opiniâtre », la ville est prise, le 10 juin, et « remise pour toujours sous lʼobéissance du roi, et le Quercy délivré de ses alarmes » échappe définitivement au contrôle des Frondeurs8.

  • 9 La « maison du sénéchal » témoigne, encore aujourdʼhui, de la présence dʼun tel juge dans (...)
  • 10 Arch. mun. Moissac, BB 5, fol. 89 v°.
  • 11 En temps de peste, la situation reste confuse encore quelques mois, mais la joie moissagai (...)

9À Moissac, le revirement des consuls nʼest pas sans arrière-pensées… Dès le mois de décembre 1652, ils sʼempressent de faire amende honorable et en profitent pour revendiquer le siège de la sénéchaussée. Cédant à leurs instances, le marquis de Saint-Luc a obtenu du roi, le 23 décembre, des lettres patentes qui transfèrent dans leur ville le siège de sénéchal qui, depuis le Moyen Âge, se trouve à Lauzerte9. Les Moissagais mènent alors une persévérante opération de dénigrement, en présentant Lauzerte « comme ayant été rebelle au roi ». Le 5 mai 1652, envoyés à Paris, des députés sont munis dʼune lettre de M. de Saint-Luc « pour obtenir le don des tailles et le Sénéchal de Lauzerte en la présente Ville »10. Naturellement, les magistrats lauzertins protestent, et ils sont soutenus par le parlement de Toulouse qui refuse dʼenregistrer lʼédit de translation11. Déjà sévèrement pénalisée par une très lourde amende de dix mille livres que les habitants ont dû payer, Lauzerte subit les représailles des édiles royalistes de la cité rivale ; mais celle-ci continue, elle aussi, à souffrir de toutes sortes de malheurs.

Moissac et les paroisses des alentours sont tenues de loger les troupes

10Lʼobligation de loger les gens de guerre devient la principale préoccupation des autorités, dès que des opérations militaires se produisent dans une province. Les consuls moissagais ne dérogent pas à la règle ; ils font tout pour éviter à leur ville dʼêtre trop touchée par lʼobligation cauchemardesque dʼaccueillir des soldats dans les maisons réquisitionnées. Soucieux de protéger leurs compatriotes, ils recherchent tous les soutiens possibles pour obtenir des dérogations. La preuve en est donnée par la délibération du 7 avril 1652. Mille livres doivent être versées, à titre de remerciement, au chevalier de Therlon lorsquʼil a obtenu lʼexemption du logement des gens de guerre, pour la ville. Sans doute la promesse nʼa-t-elle pas été tenue, et dans la délibération du 16 avril, obligation est faite à la ville de loger le régiment de Bénac. Les dépenses faites pour loger les troupes au collège et dans deux maisons ont été approuvées, ainsi que la fourniture de vin, de bois et de chandelles.

  • 12 Arch. mun. Moissac, BB 5, fol. 102.

11Devant les lourdes contraintes que font peser les troupes royales sur la contrée, les consuls moissagais continuent de solliciter la clémence du roi et le 1er mai, une députation est envoyée auprès de lui. Elle est chargée de solliciter la dispense du logement des troupes et lʼexemption de la taille, lʼimpôt du roi, « en considération des souffrances que la Communauté a souffertes pour les logements des quartiers dʼhiver, foules et étapes et du bon service quʼelle leur a rendu en remettant la Ville en leurs mains, qui avait été surprise par les pratiques et menées du sieur de Marchin ». Dans cette situation difficile, un épisode apparaît surprenant dans le registre des délibérations consulaires de ce mois de mai. Le bal annoncé par une jeune Moissagaise de bonne famille et un capitaine du régiment de Créquy suscite la colère des consuls qui sʼétonnent « que Mademoiselle de Motes ait envie de danser, la France étant en feu de tous côtés, et les pauvres de la ville en si grande nécessité quʼils tombent de faim par les rues ». Ordre est donné aux musiciens de ne jouer, ni en ville ni sur lʼeau12

  • 13 Ibidem, fol. 77, 81, 86, 102 et 105 v°.

12Un mois après, le 8 juin, de nouvelles exigences pèsent sur la ville et sa juridiction, à la demande de M. de Bellefont. Il sʼagit alors de contribuer à la subsistance de trois compagnies de cavalerie du régiment du comte dʼHarcourt et à la levée de soldats pour le siège de Lauzerte13. Pour les mêmes raisons, les paroisses autour de Moissac ont été rudement affectées par le logement de troupes. Le 17 juin, les cadastres des trois paroisses de Lizac, Viarose et Montescot sont mis à la disposition dʼun administrateur afin de lui permettre de répartir les frais de subsistance de trois compagnies de cavalerie. Les dépenses doivent être « régalées sur tout le taillable de la présente Ville », en clair, réparties également sur lʼensemble des contribuables. Comme à chaque fois, les réquisitions et les prélèvements opérés par les troupes en campagne pèsent sur le plat pays où se déroulent les opérations.

Des consuls confrontés aux exigences des troupes royales et aux dégâts quʼelles peuvent occasionner

13Lorsque les armées se déplacent, quels que soient les motifs de la guerre, la soldatesque commet toutes sortes de dommages : pillage des récoltes et des greniers, violences, destructions qui touchent toutes les populations sans défense. Les campagnes moissagaises nʼéchappent évidemment pas à ces désordres et à ces exactions au cours de lʼannée 1652.

14Dès le 16 avril, la ville doit fournir des bateaux aux armées royales. Sur lʼordre de M. de Sainte-Colombe, maréchal de camp des armées du roi, « on baillera trois ou quatre bateaux, moins si faire se peut » pour la construction dʼun pont sur la Garonne. Dʼautres contraintes pèsent sur les populations, notamment celle dʼun enrôlement forcé des jeunes hommes désignés ou tirés au sort dans le cadre des communautés et obligés à sʼengager dans les troupes royales. Par exemple, le 16 mai, sur lʼordre de M. dʼAussonne, des hommes sont envoyés au siège de Lauzerte, « armés et munitionnés de poudre, balles, mèche… ». Mais les consuls refusent de pourvoir à leur subsistance « attendu lʼextrême nécessité des habitants ».

15Les pressions exercées par les chefs de guerre sont multiples. Astreints à une complète allégeance à lʼégard de monsieur de Saint-Luc, les consuls moissagais sont prêts à tout pour le satisfaire. Le 16 juillet, ils approuvent les dépenses faites à lʼoccasion de lʼenvoi de quatre bateaux et de bateliers à Saint-Félix sur Garonne « pour passer son armée ». Il est aussi question de la fourniture de dix barriques de vin ou encore du voyage à Montauban du sieur Calas « pour avertir Monsieur de Saint-Luc de la réduction de la présente ville à lʼobéissance du roi ». Plus tard, les opérations militaires se déplacent en Guyenne, mais les exigences se perpétuent. Par exemple, le 28 octobre, la ville de Moissac sʼengage à contribuer à lʼentretien des chevaux, rouliers et chariots de lʼéquipage du comte dʼHarcourt.

  • 14 Louis de Nogaret, duc de Candale, est devenu commandant des troupes de Guyenne, à la mort (...)

16À la mort de celui-ci, les troupes de Guyenne passent sous le commandement du duc de Candale14. Les exigences pour lʼentretien des troupes deviennent démesurées. Le 10 novembre, les Moissagais reçoivent lʼordre de fournir du côté de Mas-Grenier un bac et dʼautres bateaux « en toute diligence » et de « faire vingt et un mille pains pour lʼentretien de lʼarmée du roi ». En dépit de leurs protestations qui réduisent quelque peu les exigences, ils seront tenus de procurer le bac et 14 000 pains et les dépenses seront déduites des impôts royaux. Décision est prise de faire le bac et de ne pas fournir plus de 1000 pains « étant les habitants extrêmement marris de nʼen pouvoir faire davantage à cause de leur pauvreté… ».

  • 15 Arch. mun. Moissac, BB 5, fol. 81 v°, 100, 105 v°., 129, 134 v°, 179 v°, 187.
  • 16 Charles Higounet (dir.), Documents de lʼhistoire de lʼAquitaine, Toulouse, Privat, 1973, p (...)

17Évidemment les troupes causent de sérieux préjudices, et les autorités royales se montrent de plus en plus discrétionnaires dans cette phase de reconquête contre les Frondeurs. Le 31 mars 1653, suivant les ordres du duc de Candale, la communauté doit fournir 4000 pains et les bateaux et bateliers nécessaires pour conduire des soldats à Marmande. Le 16 avril 1653, les consuls sont informés que les troupes, en cantonnement dans la paroisse de Sainte-Livrade font « mille ravages et désordres, coupant les seigles, faisant paître leurs chevaux dans les blés ». Ils apprennent aussi que les autres paroisses de Saint-Julien, Espis, Viarose, soumises au paiement dʼune aide de 4000 livres, sont bien incapables de les payer et, en représailles, des soldats les ont privées de leur bétail de labour. Une délégation sera envoyée auprès du duc de Candale afin de le supplier de faire bénéficier la ville de Moissac et sa juridiction de lʼexemption et de dédommagements pour les victimes15. Ce duc fait preuve de dureté et dʼexigence. Le 5 juin, il donne lʼordre de loger dix-huit compagnies du régiment de Champagne « jusques à ce quʼils se soient embarqués sur le port de la présente ville et leur fournir les vivres et fourrages nécessaires ». Il impose que soit empruntée à des particuliers la valeur de 1500 pains de 24 onces destinés à la distribution aux troupes embarquées au port. Si cette somme ne peut être levée, il serait pris aux habitants du blé ou de la farine, « de gré ou de force attendu, que cʼest pour le service du roi ». Si les troupes commettent moins de crimes quʼailleurs dans le reste de la Guyenne, leurs exigences coûtent très cher aux communautés dʼhabitants16.

La communauté de Moissac doit supporter des coûts énormes

18Les consuls cherchent en permanence à limiter la présence de troupes dans la ville, ils tâchent aussi dʼobtenir la limitation des impôts royaux. Ils entreprennent de nombreuses démarches pour infléchir les exigences qui sʼalourdissent en temps de guerre, mais leurs démarches restent le plus souvent vaines et les Moissagais ont de bonnes raisons de déplorer les lourdes charges qui pèsent sur eux. Déjà le 1er mai 1652, les consuls se plaignent de la difficulté à lever la taille « à cause de la misère des habitants qui ont été entièrement ruinés par les logements des gens de guerre », mais il est délibéré quʼil sera seulement sursis au recouvrement de lʼimpôt de ceux qui ont effectivement supporté le logement.

  • 17 Arch. mun. Moissac, BB 5, fol. 86, 160 v°, 163, 172 v°, 174, 179 v°.

19La situation devient de plus en plus difficile au début de 1653. Le 30 janvier, lʼIntendant des armées royales a proposé aux consuls en visite auprès de M. de Candale à Agen dʼobtenir lʼexemption du logement des troupes contre le versement dʼune somme de 3000 livres « quʼautrement il était infaillible que nous aurions deux cornettes de cavalerie en quartier ». La délégation a fait valoir « lʼétat déplorable » de la communauté ce qui réduit quelque peu les exigences : la somme a été ramenée à 2000 livres et elle peut être déduite du montant de la taille. Faute de moyens, elle doit être empruntée à des particuliers avec la garantie de la ville17. Cet emprunt est approuvé le 9 février : 1000 livres doivent être prêtées par M. de Charron, 500 livres par Jacqueline de Catellan, veuve de Blaise de Labroue, 500 livres par M. du Verdier, juge. La somme sera remise à M. de Bertrandy, secrétaire du duc de Candale. Un mois plus tard, le 18 mars, celui-ci exige le versement sans délai dʼun acompte de 5000 livres sur la taille et la fourniture de 100 sacs de blé. Désemparés, les consuls le supplient de renoncer à cette demande faite à la communauté, « en considération de nos misères ». Quelques jours après, une nouvelle délégation est envoyée à Agen au quartier général du duc. Celle-ci obtient que la contribution de la communauté soit ramenée à la fourniture de 100 sacs de blé et surtout que soit abandonnée lʼidée de loger des troupes dans la ville. En application de lʼordonnance on décide, le 21 mars, de lever le blé sur les habitants et étrangers réfugiés, sur la base de 20 livres le sac qui seront ensuite remboursés sur le montant de la taille. Dès la fin mars, les Moissagais se sont acquittés dʼune contribution de 64 sacs de blé pour une valeur estimée à 1200 livres ; ils sʼengagent à verser le solde de cette contribution dans les huit jours. Moissac a subi une hausse vertigineuse de ses dettes… Heureusement pour eux, la fin des hostilités est proche, mais la contrée subit alors une calamité majeure, avec lʼarrivée de la peste aux portes de la ville.

Des consuls confrontés à lʼépidémie de peste

  • 18 Sur lʼeffroi provoqué par lʼépidémie de la peste : Jean Delumeau, La peur en Occident, Par (...)

20Les déplacements des troupes qui sʼaffrontent dans les guerres de la Fronde, propagent lʼépidémie à travers la France. Celle-ci se répand du Bassin Parisien jusquʼaux Pyrénées, en passant par le Quercy. La peste est annoncée début juillet 1652 à Toulouse et toute la région est progressivement gagnée : Cahors le 21 octobre 1652, Montauban le 5 avril 1653, Agen le 29 juin et Castelsarrasin le 17 août, semant le désarroi ou lʼépouvante dans tout le pays de Moyenne Garonne18.

21Dès lʼannonce des menaces de la peste, les consuls de Moissac prennent, au cours de lʼété 1652, des mesures draconiennes afin dʼempêcher lʼépidémie dans leur ville. Le 16 juillet, ils décident « quʼil sera mis deux hommes au-delà de la rivière » pour monter la garde ; en outre, afin dʼ « empêcher que personne ne passe sans avoir de bons passeports », deux bourgeois devront se placer, chaque jour, aux portes de la ville. Les risques majeurs de propagation venant de la vallée de Garonne, un certificat de santé sera exigé de ceux qui viendront de la direction de Castelsarrasin ; les étrangers ne pourront être reçus dans les auberges, sans la permission des consuls ; les habitants sont contraints de nettoyer les rues et de conduire les pourceaux et les oies hors de la ville.

  • 19 Arch. mun. Moissac, BB 5, fol. 125.

22Au fil des mois, la contagion progresse et les consuls se montrent de plus en plus sévères dans leurs délibérations. Leur action est guidée par deux principes : protéger et prévenir. Afin dʼéviter tout contact avec lʼextérieur, ils entendent mieux contrôler les portes de la ville et multiplier les tours de garde en mobilisant la population pour les assurer. Le 5 septembre 1652, les consuls sont avertis « que le mal contagieux sʼaugmentait à la ville de Toulouse ». Ils décident que « la garde de la santé se fera en propre personne aux lieux de la Portasse, Sainte-Blanque et delà le Tarn ». Lorsquʼils apprennent le 21 octobre, que la peste est apparue dans le quartier Saint-Georges de la ville de Cahors, ils ordonnent que les portes de la ville « seront fermées, le râtelier dʼicelles abaissé et le câble ôté afin quʼicelles ne puissent pas être rouvertes », sauf celle de Sainte-Catherine et le guichet de Guileran. Hélas, les gardes sanitaires sont négligées, et les consuls doivent rappeler aux habitants et aux bourgeois lʼobligation qui leur est faite dʼassurer leur tour de garde, avec constance, sous peine de sanctions. Aux portes, les incidents sont nombreux comme ce Bernières « qui fit lʼinsolent lorsque monsieur le consul lui commanda de demeurer enfermé comme venant de Toulouse » ; il sera expulsé de la juridiction et condamné à 3 livres dʼamende19.

  • 20 Des relevés ont été faits dans les registres des paroisses de Moissac. Ces registres sont (...)

23Si traditionnellement lʼépidémie recule pendant la période hivernale, elle se répand, de nouveau, dès les premières chaleurs du printemps. Cʼest en 1653 quʼelle connaît son paroxysme dans les pays de Moyenne Garonne. Le 29 juin, les menaces de la peste sont pressantes, car la contagion touche divers lieux de Gascogne et la ville dʼAgen. La vigilance est de mise, et ordre est donné aux bourgeois de monter la garde en personne. Quant aux aubergistes, ils ne devront « recevoir aucun étranger » ni dʼautres personnes venant de lieux suspects… Le 17 août, la cité de Castelsarrasin étant atteinte par la peste, on décide de nʼaccepter aucun billet de santé de ceux qui venaient de cette ville et les habitants ne peuvent aller dans leurs métairies quʼavec une autorisation « demandant permission à messieurs les consuls et rapportant certificat du curé de la paroisse »20.

  • 21 Arch. mun. Moissac, registres paroissiaux de 1652 et 1653.
  • 22 Françoise Hildesheimer insiste sur la mauvaise qualité des eaux et ses conséquences estiva (...)
  • 23 Après la terrible hécatombe de lʼépisode pesteux de 1628, les consuls de Moissac ont, en e (...)

24La peste a de graves conséquences sur la vie économique locale. Elle sʼajoute à toutes les difficultés qui sont liées aux destructions des récoltes par les armées autour de Moissac. Par la fermeture des portes et par lʼinterdiction des foires et marchés, lʼarrêt des échanges freine brutalement lʼactivité commerciale. Avec son cortège de misère, la guerre fait affluer de nombreux pauvres en ville. Celle-ci est de mieux en mieux inspectée afin dʼexpulser les personnes étrangères, et nul ne peut rentrer sans passeport dûment vérifié. Même si elle nʼest pas touchée par la peste, la population de la ville a été frappée par un nombre record de décès au cours de lʼété 165321. Ce clocher de mortalité est visible sur les courbes démographiques de cette année-là. Il est dû à la disette, à la malnutrition, et aux maladies chroniques comme les dysenteries bacillaires ou la typhoïde22. Autre conséquence, lʼépouvante de la peste incitait les croyants à invoquer Dieu et à recourir à sa protection. Les Moissagais nʼéchappent pas à cette sinistre peur de la mort qui les tenaille. Le souvenir de la terrible contagion dont leur ville a souffert, en 1628, reste gravé dans les mémoires. Une question se pose. La menace de la peste, en 1652, nʼest-elle pas due au châtiment divin qui résulterait dʼune promesse trop longtemps oubliée ? Les manifestations de piété se sont alors multipliées, en ville, afin dʼimplorer la protection de saint Roch, de la Vierge Marie ou de saint Cyprien, le patron de la ville dont les reliques ont été définitivement placées dans une châsse somptueuse, conformément au vœu de 162823.

25Grâce aux mesures de surveillance, Moissac a échappé à la peste. Au milieu du XVIIe siècle, on ne sait toujours pas comment le bacille de Yersin, porté par la puce du rat, se propage, mais pour se protéger, on sait désormais quʼil faut couper tous liens avec les personnes étrangères à la ville quʼils soient rouliers, marchands ou soldats… Cette vigilance a semble-t-il sauvé la ville de Moissac des pires difficultés que provoque la contagion quand elle touche une ville : problèmes posés par lʼévacuation des cadavres, construction de huttes ou de cabanes pour mettre en quarantaine les pestiférés, fuite des notables et des autorités, paralysie économique. Mais il nʼempêche que les Moissagais ont souffert pendant ces deux années des graves difficultés que les déplacements de troupes et la peste ont provoquées dans toute la région. Lʼendettement de la ville qui en est résulté pose de sérieux problèmes de gestion aux consuls. La situation financière de la communauté de Moissac est difficile et, même si la ville est riche, elle fait partie de celles dont Colbert a voulu assainir les comptes, lorsquʼil devient surintendant des finances, à partir de 1661.

26Grâce à la paix enfin revenue, dès la fin de 1653, les Moissagais pouvaient dire amen aux souffrances endurées pendant ces deux années où ils nʼont cessé de prier Dieu en disant : « De la peste, de la faim, de la guerre, délivrez-nous seigneur ».

Notes

1 Le cardinal Mazarin est abbé commendataire de cette abbaye, de 1644 à 1661.

2 Aux Archives municipales de Moissac, grâce au patient travail de M. Barrachin, un inventaire détaillé des délibérations consulaires permet de suivre de manière précise les péripéties des hostilités et leurs conséquences, voir notamment le registre BB 5, avec une lacune pour lʼannée 1651.

3 Daniel Borzeix, René Pautal, Jacques Serbat, Histoire de Moissac, Lectoure, 1976, réédit. 1992. Henri Ricalens, Moissac du début du règne de Louis XIII à la fin de lʼAncien Régime. Contribution à lʼhistoire économique et sociale dʼune ville du Bas-Quercy, Toulouse, Presses de lʼInstitut dʼétudes politiques de Toulouse, 1994.

4 Jean-Gaspard-Ferdinand, comte de Marchin (1601-1673), homme de guerre originaire du pays de Liège dans les Pays-Bas espagnols, devient en 1647, général en chef de lʼarmée de Catalogne en défendant Barcelone contre les Espagnols. Faisant alliance avec les Pays-Bas, le prince de Condé fait appel à lui et lève lʼétendard de la révolte contre Mazarin.

5 Bib. nat. de France, ms. fr. 25025-25026, Relation de ce qui sʼest passé en France pendant la Fronde. À consulter sur le site : http://Ranumspanat.Com/Newsletters.Htm. Transcription de toutes les lettres de 1648 à 1653.

6 Auguste Grèze, « Valence-dʼAgenais des guerres de la Fronde jusquʼà la fin du XVIIe siècle », dans Bulletin de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, 1901, p. 51-70.

7 Louis Couyba, Études sur la Fronde en Agenais et ses origines, t. 3 : Les Dessous et les misères de la Fronde, Villeneuve-sur-Lot, R. Leygues, 1901. Sur tous ces épisodes compliqués (et consultables sur Internet) : comte de Sainte-Aulaire, Histoire de la Fronde, t. 3, Paris, 1827.

8 Dʼaprès le récit que fait de ces événements lʼabbé Barthélemy Taillefer dans Lauzerte. Essai historique, Montauban, Forestié, 1902, rééd. 1990.

9 La « maison du sénéchal » témoigne, encore aujourdʼhui, de la présence dʼun tel juge dans cette ville et le territoire de la sénéchaussée sʼétendait de Montcuq à Moissac. Lorsque le département du Lot a été créé, en 1790, Lauzerte sʼest imposée comme chef-lieu du district de ce département. Ce nʼest quʼen 1808, lors de la création du Tarn-et-Garonne, que Moissac a réussi à sʼimposer comme chef-lieu dʼarrondissement à la place de Lauzerte.

10 Arch. mun. Moissac, BB 5, fol. 89 v°.

11 En temps de peste, la situation reste confuse encore quelques mois, mais la joie moissagaise a été de courte durée. Par un arrêt du 22 janvier 1653, le siège de sénéchaussée est rétabli à Lauzerte.

12 Arch. mun. Moissac, BB 5, fol. 102.

13 Ibidem, fol. 77, 81, 86, 102 et 105 v°.

14 Louis de Nogaret, duc de Candale, est devenu commandant des troupes de Guyenne, à la mort du comte dʼHarcourt, en septembre 1652. Par commission du 16 septembre, il lève un régiment de cavalerie.

15 Arch. mun. Moissac, BB 5, fol. 81 v°, 100, 105 v°., 129, 134 v°, 179 v°, 187.

16 Charles Higounet (dir.), Documents de lʼhistoire de lʼAquitaine, Toulouse, Privat, 1973, p. 269-270. Les plaintes de Jean Castain, un laboureur, témoignent de la cruauté des soldats, dans le diocèse de Bordeaux, en dénonçant des actes de violence inouïe commis à lʼégard des femmes quʼils violèrent, à lʼégard des hommes quʼils tuèrent.

17 Arch. mun. Moissac, BB 5, fol. 86, 160 v°, 163, 172 v°, 174, 179 v°.

18 Sur lʼeffroi provoqué par lʼépidémie de la peste : Jean Delumeau, La peur en Occident, Paris, 1978. Sur la peste dans les pays du Tarn et de la Garonne : Rino Bandoch, Jean-Louis Combes et Jean-François Delord, La peste dans lʼespace tarn-et-garonnais à lʼépoque moderne, Montauban, Service éducatif des Archives, 1997 ; Jean-François Delord, « La peste à Molières (1653) », dans Bulletin de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, t. 125, 2000, p. 189-197.

19 Arch. mun. Moissac, BB 5, fol. 125.

20 Des relevés ont été faits dans les registres des paroisses de Moissac. Ces registres sont bien tenus pendant cette période, et cela confirmerait que la ville ne soit pas touchée par la peste, car, à Valence, sévèrement atteinte par la contagion, les registres de lʼannée 1653 nʼexistent pas, comme lʼindique Auguste Grèze, dans « Valence-dʼAgenais », art. cité, p. 57.

21 Arch. mun. Moissac, registres paroissiaux de 1652 et 1653.

22 Françoise Hildesheimer insiste sur la mauvaise qualité des eaux et ses conséquences estivales dans Fléaux et société : de la Grande Peste au choléra (XIVe-XIXe siècle), Paris, 1993.

23 Après la terrible hécatombe de lʼépisode pesteux de 1628, les consuls de Moissac ont, en effet, fait le vœu dʼoffrir une belle châsse afin de mettre en valeur les reliques de leur saint patron : saint Cyprien. Voir M. Dugué, « La peste de Moissac en 1628 : le vœu des consuls », dans Bulletin de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, t. 16, 1888. Cette promesse est exaucée depuis le 5 juillet 1650, par la décision des consuls de faire fabriquer un reliquaire, en argent. Celui-ci est en place, lors de la visite dʼAlain de Solminhac, lʼévêque de Cahors, en mai 1654. Voir Arch. dép. Tarn-et-Garonne, G 574.

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