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Vivre et mourir en temps de guerre de la préhistoire à nos jours

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Patrice Foissac

Introduction

Jean-Pierre Amalric

Texte intégral

1Tenu à Cahors du 19 au 21 juin 2009, le 59e Congrès de la Fédération historique de Midi-Pyrénées répondait à lʼinvitation de Patrice Foissac, président de lʼune des plus anciennes et des plus actives sociétés savantes de notre région, la Société des Études du Lot, en proposant aux chercheurs dʼexplorer la vie des populations passées du Quercy et des régions voisines dans les périodes les plus difficiles quʼelles aient connues, celles des temps de guerre. Quʼon ne sʼy trompe donc pas : lʼobjet nʼen relevait pas de lʼhistoire militaire ! Cela dans une longue durée, durant laquelle la nature, les implications et les techniques de la guerre changent du tout au tout. Cʼest dire que le défi nʼétait pas facile à relever. Le lecteur du présent ouvrage saura en juger : dans leur diversité, les apports des auteurs lui offrent un riche ensemble dʼinformations fondées sur une solide documentation, souvent originale, qui lui permettront comparaisons et rapprochements.

2Peut-on parler de guerre dans les sociétés préhistoriques, microsociétés qui nʼont pas connu les formes dʼorganisation collective qui sʼaffrontent dans les conflits guerriers ? Sans doute pas, mais on doit admettre avec Jean Guilaine que, nʼen déplaise à Jean-Jacques Rousseau, elles nʼont pas été épargnées par des formes précoces de violence sévissant entre individus, voire entre groupes. La découverte dʼÖtzi, dans les Alpes, frappé à mort dans le dos, en a donné un spectaculaire témoignage. Sans livrer dʼinformation aussi explicite, les fouilles récentes de la grotte de Foissac, présentées dans la communication de Jean-Philippe du Fayet de la Tour, ont mis au jour des indices ténus de violence, peut-être homicide, qui resteraient à confirmer. Cʼest dans un tout autre contexte, celui de la Gaule romanisée et du haut Moyen Âge, que Jean-Luc Boudartchouk et Didier Rigal contribuent à un inventaire des sites quercinois à vocation défensive, parmi lesquels la cité de Cahors et le pech de Saint-Circq qui la domine ne pouvaient être passés sous silence. Lʼenquête archéologique et les quelques textes conservés ne résolvent pas de façon définitive les questions de datation, mais ils tendent à suggérer une date tardive de ces ouvrages, qui ne semblent pas être apparus avant le IVe siècle, à la veille de la crise finale et de lʼeffondrement de lʼEmpire romain. Dans un tel cas, il faut admettre quʼune pax romana de plusieurs siècles aurait régné en territoire cadurque avant la montée dʼune insécurité durable – étonnamment tardive si lʼon devait admettre que Cahors nʼaurait été entourée de remparts quʼau VIIe siècle. Le dossier, on le voit, est loin dʼêtre clos.

3On ne sʼétonnera pas que la période médiévale fasse lʼobjet dʼun plus grand nombre de travaux : les luttes de pouvoir engendrées par la société féodale, entretenant un climat dʼinsécurité dont la population des villes et des campagnes cherche à se protéger, sont amplifiées par de longues guerres. Dès le XIIe siècle, lʼétude de Didier Panfili sʼattache à la grande guerre méridionale, qui met aux prises le comte de Toulouse avec ses puissants rivaux, les Trencavel dʼAlbi, Henri Plantagenêt devenu duc dʼAquitaine, le comte de Barcelone… Dans cette joute, dont lʼintensité reste souvent sous-estimée, il importe aux Toulousains Alphonse Jourdain et Raymond V de consolider leurs positions dans le territoire disputé, en particulier dans le Quercy convoité par son voisin aquitain. Leur stratégie se révèle déterminée : entreprises de peuplement, protection des frontières, mise au pas des vassaux rebelles assurent leur autorité tout en transformant fortement aussi bien les formes de lʼhabitat que les positions sociales.

4Deux siècles plus tard, la guerre de Cent ans réveille des conflits comparables, opposant cette fois les couronnes de France et dʼAngleterre. Le Quercy nʼest plus alors seulement le terrain de la guerre, il en est un enjeu majeur, traversé par la ligne de front fluctuante séparant les territoires soumis à lʼune ou lʼautre des souverainetés qui sʼaffrontent : on sait que le traité de Brétigny, en 1360, en céda la plus grande partie à la couronne anglaise. Les répercussions, qui ne pouvaient manquer de secouer profondément toute lʼorganisation politique et sociale, sont largement étudiées ici, puisque pas moins de six communications leur sont consacrées.

5Les sources se prêtent notamment à une étude précise des structures urbaines, comme celle consacrée à Gourdon par Annie Charnay : la ville, sur pied de guerre, doit lever et équiper par dizaines des sergents envoyés au combat, relever et renforcer ses remparts et même entretenir des chiens dans les fossés, se pourvoir enfin de canons – un effort renouvelé au fil des ans qui pèse lourdement sur les finances municipales et soumet à rude épreuve une population frappée en outre par les épidémies. Grâce à la riche documentation réunie en vue de sa thèse, Nicolas Savy complète ce tableau en mettant en lumière le rôle des grandes compagnies anglo-gasconnes dans la seconde moitié du XIVe siècle. Ne se contentant pas de mettre le territoire en coupe réglée en pratiquant razzias et rapines de tout ordre, ces bandes parviennent à sʼy tailler de véritables enclaves dans lesquelles leur pouvoir sʼimpose, moyennant des traités longuement négociés avec les communautés concernées qui ne sont pas sans évoquer une forme de racket. Elles sʼassurent ainsi de considérables prélèvements en espèces et en nature, qui contribuent au financement de la guerre tout en leur assurant une place dans les circuits dʼéchange. Guilhem Ferrand sʼattache aux implications de lʼinsécurité qui sʼétend, dans les mêmes années, au Rouergue voisin ; certes moins directement frappé, il est cependant soumis à de fortes exigences que les communautés dʼhabitants sʼefforcent de maîtriser en appliquant de nouvelles règles comptables et administratives. De façon paradoxale, la guerre aurait poussé les pouvoirs locaux en charge de la protection de la population à une certaine modernisation. Cette hypothèse est confortée par lʼétude de lʼimplantation des forts villageois, menée par Anaïs Comet dans lʼouest du Quercy lotois : ses recherches lui ont permis dʼen localiser pas moins de 71, dans lʼespace qui sʼétend de la Bouriane au Quercy blanc. Les sources disponibles, assez tardives, ne donnent pas dʼassurance sur les dates de création, ce qui peut laisser penser que celle-ci sʼinscrirait dans la phase de récupération suivant la guerre de Cent Ans, quʼavait si bien mise en lumière Jean Lartigaut.

6Ainsi durant des décennies le Quercy – et à un moindre degré le Rouergue voisin – sʼest-il trouvé exposé à des opérations militaires récurrentes, soumettant sa population à une économie de guerre et son territoire à un véritable quadrillage défensif. De cette longue période de troubles émergent quelques figures dʼacteurs, comme celle de Ratier de Belfort sur laquelle Emmanuel Moureau apporte ici un éclairage nuancé. Certes adepte de la manière forte et avide de rapines pour son propre compte, il sert fidèlement Charles V en entretenant des relations changeantes avec les routiers ; mais ce soudard se montre à lʼoccasion capable de sens politique entre les factions adverses.

7De façon paradoxale, ces temps difficiles ont cherché à conjurer lʼangoisse régnante dans la familiarité dʼun sacré empreint dʼhumanité, dont Jean-Pierre Suau illustre la représentation quʼen donnent les vitraux de lʼéglise des Junies. Les scènes de lʼenfance de Jésus y revêtent « plus de tendresse que de violence », tandis que celles de la Passion y sont dominées par lʼimage consolante de la Résurrection.

8De la Renaissance au siècle des Lumières, lʼaffirmation de lʼÉtat monarchique veille à la mise au pas des grands féodaux, les principaux responsables des guerres médiévales, sans parvenir à juguler les crises où son autorité est battue en brèche. Ainsi durant les guerres civiles que furent les guerres de Religion, dont un épisode – le sac de Caylus par le capitaine huguenot Duras en 1562 – est ici remis en perspective par Ghislain Tranié. Le XVIIe siècle a connu de façon sporadique dʼautres formes de soulèvement, bien différentes, contre lʼautorité. Les révoltes populaires, à dominante antifiscales, dont lʼhistoriographie a été marquée de vives polémiques, font lʼobjet dʼune réflexion critique de la part de René Souriac. À lʼopposé, la Fronde est le chant du cygne des révoltes princières et féodales, qui sévit dans notre région, comme le montre Guy Astoul à propos de Moissac, en y ramenant le cortège des malheurs de la guerre. Ces épisodes frappant directement les populations ne doivent pas faire oublier que, du XVIe au XVIIIe siècle, les entreprises guerrières de la monarchie se déroulent principalement en terre étrangère. Le fardeau fiscal quʼelles font peser est le prix de la gloire quʼy trouvent les souverains, partagée par leurs chefs de guerre : la figure du quercinois Galiot de Genouillac, serviteur de trois rois dans les guerres dʼItalie, en est ici un éclatant exemple.

9Si depuis la Révolution et le Premier Empire les théâtres des « guerres nationales » des deux derniers siècles épargnent nos régions, le choc des guerres qui mobilisent la nation française en frappe en profondeur les populations. Les sources disponibles, notamment celles conservées aux Archives départementales du Lot, présentées par Fabienne Chabert, livrent de nouveaux matériaux aux chercheurs. Ainsi Étienne Baux propose-t-il une réévaluation de lʼampleur atteinte par lʼinsoumission sous le Premier Empire, qui traduit un refus dʼadhésion significatif à la meurtrière épopée impériale. Lʼétat dʼesprit des populations paraît avoir évolué par la suite, comme le suggère lʼanalyse du monument aux morts de 1870, érigé à Figeac, menée par Jean-Pierre Baux, qui autorise à y voir une manifestation explicite dʼunité nationale sous lʼimpulsion de la IIIe République.

10Le phénomène prend ensuite une dimension impressionnante avec la Grande Guerre, celle de 1914-1918, comme le montrent les quatre communications qui lui sont consacrées. En retraçant les expressions de lʼopinion des Lotois dans lʼété 1914 recueillies dans des documents variés, Didier Cambon estime que leur « consentement à la guerre » a été moins enthousiaste quʼil nʼest communément admis. Cependant aucun cas dʼinsoumission nʼest relevé dans le département. Ce serait le sentiment du devoir de défendre la patrie commune qui aurait déterminé lʼacceptation de la guerre. Cʼest ensuite lʼévolution de la société durant les quatre années de guerre que Sophie Villes cherche à caractériser : selon elle, lʼinflation, la pénurie, le manque de main dʼœuvre entraînent un lent effritement de la cohésion sociale. En sʼattachant à réviser, grâce au croisement des diverses sources disponibles, le recensement des morts pour la France tout au long de la guerre, Marie Llosa conclut à une forte révision en hausse : le département du Lot a en effet compté non pas les 6 500 morts couramment cités, mais jusquʼà 7 877, soit une réévaluation de plus de 21 % ! Cette armée de disparus est très majoritairement jeune, comprise dans des tranches dʼâge comprises entre 20 et 40 ans. Cʼest dire la violence du traumatisme que constitue ce deuil collectif. La blessure quʼil a laissée dans la mémoire collective se retrouve dans les débats virulents au sujet du monument aux morts de Cahors, dont Lise Barlangue retrace les péripéties. Le rejet de lʼhommage peint par Henri Martin, jugé trop intimiste et rompant par trop avec lʼaffirmation de la mémoire des morts dans lʼespace public, est alors justifié par la nécessité dʼun « monument de pierre » : en se dressant au regard des survivants, le poilu statufié doit perpétuer la mémoire intangible des morts.

11Enfin, sur le chantier de lʼhistoire de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs études présentent au lecteur lʼapport de recherches récentes, parfois même inédites. La guerre dʼEspagne, qui en fut le prélude, a provoqué lʼexil des républicains espagnols, dont la résonance a fortement marqué lʼhistoire de nos régions. Nathalie Bousquet retrace les prémices et le déroulement de la Retirada, dans des conditions dʼimprévoyance et dʼinorganisation de la part des autorités françaises. Alors même quʼaucun camp dʼinternement nʼy fut implanté, le département du Lot eut à héberger pas moins de 3 000 réfugiés ; leur présence suscita des réactions contrastées de la population, gestes de solidarité des uns, méfiance et hostilité des autres à lʼégard de ces « indésirables ». La communication de Geneviève Dreyfus-Armand offre une synthèse fermement maîtrisée du destin des républicains espagnols dans le Tarn-et-Garonne et le Lot jusquʼà la fin du conflit mondial. Elle décrit ainsi les vicissitudes traversées, la diversité des parcours des exilés, en particulier de ceux, au nombre de plus de 16 000, qui se trouvèrent internés au camp de Septfonds à partir de mars 1939. On retiendra notamment la constitution des Compagnies de travailleurs étrangers en vue de leur engagement dans lʼéconomie de guerre (Poudrerie et Cartoucherie de Toulouse, industrie aéronautique, Houillères de Decazeville… sans oublier les emplois agricoles) et les chantiers de la défense nationale (du camp de Caylus à la ligne Maginot). Le gouvernement de Vichy les soumet à partir de lʼété 1940 à un régime dʼexception, les incorporant à des groupements de travail sous un strict contrôle, puis laissant le champ libre aux autorités allemandes en vue de les embaucher dans lʼorganisation Todt. À ces contraintes sʼajoute une répression politique qui frappe tour à tour les dirigeants du POUM, des responsables anarchistes, puis les communistes. Cʼest à cette dernière mouvance quʼest consacrée la communication de C. et H. Farreny sur lʼaffaire Reconquista de España, du nom du mouvement constitué à lʼinitiative du parti communiste espagnol, démantelé par une opération policière engagée en Lot-et-Garonne à partir de juillet 1942. Le dépouillement des sources leur a permis de dresser des listes nominatives et de préciser lʼitinéraire de la plupart des 195 militants détenus, puis jugés, dont environ la moitié furent déportés en 1944 à Dachau et Buchenwald. À la lumière des documents produits, les conclusions des auteurs pourront être sujettes à discussion, notamment quant au degré dʼautonomie de lʼUNE (Union nationale espagnole) envers lʼappareil dirigeant du Parti communiste espagnol et à la priorité donnée dans les objectifs de Reconquista de España aux actions de résistance en France.

12Lʼhistoire de la Résistance dans la région toulousaine sʼenrichit de deux études novatrices consacrées à des personnages qui nʼavaient pas jusquʼici retenu lʼattention. Marie-France Lecuir tire ainsi de lʼoubli la figure de Robert Cazenave, jeune avocat catholique entré en Résistance dès lʼautomne 1940, bientôt membre du mouvement Combat. Son engagement sʼétend à dʼautres initiatives, à dʼautres réseaux, participant notamment à la diffusion de Témoignage chrétien. Il est en 1942 un des défenseurs dans le procès du réseau Bertaux et, collaborateur du dirigeant du mouvement Libérer et fédérer, Gilbert Zaksas, il anime la branche locale du réseau de renseignement anglais Buckmaster. Après la Libération, il partage les espoirs et les désillusions des résistants socialistes, puis préside jusquʼen 1950 le Conseil départemental de la Résistance de la Haute-Garonne, en sʼopposant à la mainmise du Parti communiste sur la mémoire de la Résistance. La personnalité de Paul Vignaux, dont le séjour à Toulouse est étudié par Jean Lecuir, est mieux connue. On sait que cet historien de la philosophie médiévale joua un rôle de premier plan dans le développement du syndicalisme chrétien, puis dans la « déconfessionnalisation » de la CFTC et la création de la CFDT. Or, après sa démobilisation en juin 1940, chargé dʼenseignement à la Faculté des Lettres de Toulouse, il utilise ses relations dans les milieux syndicaux pour engager la CFTC de la zone non occupée dans le choix de lʼindépendance syndicale envers le régime de Vichy, en mettant en relation les militants toulousains avec ceux de la région lyonnaise. Il contribuera ainsi à engager les milieux syndicaux à participer aux premiers groupes résistants, jusquʼà son départ pour les États-Unis en juin 1941. La lecture de ces deux communications conforte lʼidée de la multiplicité des engagements personnels et des itinéraires collectifs dans la Résistance.

13Lʼidée nʼest sans doute pas faite pour déplaire à Pierre Laborie, à qui revenait la conclusion du Congrès. Son propos incisif vise à cerner la fonction de lʼhistoire aux prises avec les enjeux mémoriels qui se sont construits au fil du temps autour de la Deuxième Guerre mondiale. Guidée autant et plus par les demandes des débats de société que par une programmation rationnelle des recherches, lʼhistoire de ces années de guerre sʼest élaborée autour de priorités successives qui lui ont imprimé « ruptures et ajustements ». Si les effets de mode comme les images médiatiques ont privilégié des visions globalisantes de la vie et du comportement des Français, il est nécessaire au contraire de se représenter leur vie sous lʼoccupation comme un « univers de contrastes » : contrastes dans le sort tragique des victimes, en majorité civiles, contrastes entre les appartenances sociales et les situations régionales, et bien sûr entre les périodes successives. Dʼoù la méfiance qui sʼimpose face aux généralisations faciles sur le comportement des Français et lʼappel à lʼeffort de compréhension dʼun monde de plus en plus « éloigné du nôtre, immensément, en tout ».

14La conclusion pourrait être élargie aux époques, plus éloignées encore dans le temps, qui ont été abordées auparavant dans cet ouvrage. La vérité historique ne peut être approchée quʼau prix dʼun travail difficile pour retrouver « les codes en partie perdus qui donnent accès à son intelligibilité » – oserons-nous dire un travail dʼabnégation par lequel lʼhistorien se libère des évidences immédiates de son temps ? Au lecteur de juger si les auteurs réunis ici lui apportent une meilleure compréhension de ce que les temps de guerre ont fait subir aux générations successives qui ont vécu dans notre région.

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