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Le pouvoir dans la Bonne Ville

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Sylvie Mouysset

Troisième partie. Les consuls en famille

Chapitre 7. Le consulat, « une histoire de familles »

Texte intégral

  • 2 A.D.A., G170, Statuts de la Cité par Bertrand de Chalençon, 1495, article 7. Traduction : « Item af (...)

« Item affy que las honors sian distribuydas entre totas gens, habitans en lad cieutat, lo payre, que sera cossol, non puesca elegir son filh, ny lo segre son genre, nec econtra, ny lo frayre son frayre, ny lo conhat lo conhat, nu lo cosi germa so cosi germa, ny seran monch continuadas las honors entre tals, affin que chascun cognosca que lo cossolat non vay ponch per lignee ny affection de parentatge mas selon l’ordre et polissa et al ben de la causa publicqua »2.

  • 3 GUIGNET (P.), op. cit., p. 318-344. RIGAUDIERE (A.), op. cit., p. 162. SAUPIN (G.), Nantes au XVIIe(...)

1Les statuts du consulat ruthénois érigent le principe de rotation des familles au pouvoir comme garantie de bon gouvernement de la chose publique. Le renouvellement annuel des édiles, les interdits de parenté et les délais de réélection empêchent théoriquement tout monopole d’une poignée de parentèles. Le non respect des règlements d’élection et la gravitation des membres du cercle consulaire dans des institutions d’attente proches du consulat – conseil, bassins, etc. –, permettent-ils le détournement du principe et la constitution de dynasties édilitaires, « noyau dur » de l’oligarchie urbaine ? Philippe Guignet, Guy Saupin et Albert Rigaudière ont démontré qu’il ne faut pas conclure trop vite à l’étroitesse des milieux dirigeants des villes de l’Ancien Régime. L’oligarchie urbaine existe bel et bien, mais son renouvellement rapide assure l’accès d’un grand nombre de familles au consulat3. Cette hypothèse sera vérifiée pour Rodez.

2L’étude des réseaux de parenté montre que les liens de filiation sont insuffisants pour tisser une aire d’influence vaste sur la ville et au-delà. Les alliances matrimoniales et la parenté spirituelle sont conçues comme des instruments d’extension du pouvoir lignager. Du XVIe au XVIIe siècle, l’orientation des alliances évolue, reflet de l’évolution des ambitions politiques et sociales des lignages.

3Famille, parenté, lignage et parentèle sont des termes d’usage courant et les consuls de Rodez les connaissent et les emploient bien avant que leur contenu ne soit étudié avec précision par les anthropologues. Afin de ne pas tenter de confondre sens commun et concept, il convient d’en fixer les éléments principaux de définition.

  • 4 Voir les travaux de W.H. R. RIVERS, A. R. RADCLIFFE-BROWN et M. FORTES.
  • 5 LÉVI-STRAUSS (Cl.), Les structures élémentaires de la parenté, Paris, 1949, reéd.. Mouton, 1971. CO (...)

4Le terme de « famille » sera employé ici en son sens commun de groupe exclusif d’individus unis par la parenté. La parenté regroupe consanguins (kinship) et alliés (affinity). Les trois relations élémentaires de la parenté sont le mariage, la filiation et les liens des frères et sœurs germains. Les systèmes de parenté, définis comme l’ensemble formel ou structuré des usages sociaux observés dans le comportement réciproque des personnes apparentées, constituent un objet d’étude capital pour une meilleure connaissance des sociétés. La théorie de la filiation tient une place déterminante dans l’anthropologie anglaise qui en fait l’élément essentiel de composition de la parenté4. Claude Lévi-Strauss, puis E.R. Leach, R. Needman et L. Dumont, privilégient la théorie de l’alliance : ce n’est plus la filiation mais le mariage qui se trouve au centre des phénomènes de parenté, véritable « archétype de l’échange »5.

5Le lignage implique toujours un lien de parenté par le sang ; il désigne un ensemble d’individus qui descend d’un même ancêtre, en vertu d’une règle de filiation. On distingue lignage patrilinéaire ou agnatique et lignage matrilinéaire ou cognatique : dans le premier cas, la filiation et les droits qui y sont attachés se transmettent par le père, dans le second, la ligne utérine est reconnue déterminante. Un troisième type de lien, dit « indifférencié », ne distingue pas la descendance par le père ou la mère et unit l’individu aux deux groupes de filiation. Si le lignage est un groupe distinct, qui porte un nom et peut agir en relation avec d’autres lignages, la « parentèle »– unissant à partir d’ego l’ensemble de ses consanguins –, constitue seulement une classe d’individus tous parents d’une personne donnée, éphémère et non détentrice de droits particuliers.

Lignages et pouvoir

6Combien de lignages se partagent le pouvoir ? Pour cerner le processus permanent de recomposition des effectifs patriciens, il convient d’en évaluer le poids, c’est-à-dire de cerner l’éventail des lignages qui se succèdent à la maison de ville au fil de la période. La question « combien » ne concerne pas seulement le nombre de familles au pouvoir, mais également leur temps réel de présence et la qualité de la représentation consulaire. La longévité des lignages édilitaires, la volonté et la capacité de se maintenir au consulat distinguent les véritables « dynasties » qui tiennent le pouvoir municipal. Les comportements familiaux ont des ressorts internes qu’il conviendra d’étudier, afin de dévoiler l’ensemble des processus de composition – et de décomposition – du patriciat ruthénois.

Le poids des lignages

  • 6 Voir supra, chapitre 2.
  • 7 L’orthographe variable des noms propres cache également des homonymes de même lignée : les Juéry so (...)
  • 8 Philippe Guignet et Guy Saupin ont procédé de la même manière. Guy Saupin note pour Nantes : « Avec (...)

7La base de données des nominations au consulat, déjà utilisée pour établir la morphologie socioprofessionnelle des édiles, est ici reprise dans sa forme originelle d’une fiche par nomination6. Comme nous l’avons vu, 727 individus se partagent 1282 charges consulaires. Combien de lignages représentent-ils ? La formule la plus simple pour évaluer leur nombre est de procéder au classement homonymique des noms de famille. Bien sûr, cette approche n’est pas complètement satisfaisante, dans la mesure où un nom peut cacher plusieurs lignées7. Mais elle est la plus accessible et finalement assez fiable, si l’on prend la peine de distinguer les homonymes dont on est certain qu’ils forment deux arbres généalogiques distincts8.

1 – Pesée globale des lignages consulaires ruthénois de 1500 à 1670

Rodez 1500-1670

Bourg

Cité

Total

Lignages

146 <

179

325

Consuls

349 <

378

727

Nominations

656 >

626

1282

Nombre moyen de consuls par lignage

2,4 >

2,1

2,2

Nombre moyen de nominations par lignage

4,5 >

3,5

3,9

Nombre moyen de nominations par consul

1,9 >

1,7

1,8

8La recherche patronymique révèle l’existence de 325 lignages ayant accédé au consulat en cent soixante-dix ans. Ce résultat ne peut bien sûr être comparé aux effectifs de villes aussi importantes que Nantes ou Lille, mais donne un indice positif d’ouverture du consulat à un nombre substantiel de lignages patriciens.

  • 9 La différence du nombre de charges, 626 contre 656, tient au surnombre d’incidents d’élection en Ci (...)
  • 10 Plus populaire, le Bourg comporte moins d’individus rompus aux affaires politiques. En outre, la Ci (...)

9De ces données brutes – 325 lignages et 727 consuls pour 1282 nominations – on peut déjà extraire quelques informations essentielles sur le partage du pouvoir dans le Bourg et la Cité. Le premier constat est la différence d’emprise sur le consulat : les patriciens du Bourg constituent un cercle plus étroit que ceux de Cité, phénomène amplifié par le plus grand nombre de charges à se partager9. Le milieu marchand du Bourg est sans aucun doute plus fermé que celui de Cité, dominé par la basoche et l’office, en raison de l’infériorité numérique des individus jugés aptes à gouverner la ville10. Peut-être parmi les marchands trouve-t-on également moins d’« hommes de bonne volonté » qui acceptent de sacrifier une partie de leur temps à l’intérêt de la chose publique. Le fait est que les « principaux » de Cité, plus nombreux qu’en Bourg, ont une meilleure aptitude au passage de relais pour l’administration des affaires de la ville. Les nombres moyens de consuls et de nominations par famille sont en conséquence légèrement plus élevés en Bourg. Ces résultats médians dévoilent une tendance générale qu’il convient d’affiner en distinguant les lignages selon leur assiduité au consulat.

10L’influence politique des 325 familles varie tout d’abord en fonction du nombre de membres qu’elles envoient à la maison commune.

2 – Nombre de consuls par lignage du Bourg et de la Cité (1500-1670)

2 – Nombre de consuls par lignage du Bourg et de la Cité (1500-1670)
  • 11 SAUPIN (G.), op. cit., p. 350.

11La majorité des patronymes ne recouvre qu’un seul nom (56 % des lignages). Comme à Nantes, la supériorité de la « catégorie des individuels » révèle les contacts éphémères de la plupart des lignages avec les affaires de la ville11. Ces « météores » du consulat sont beaucoup plus nombreux dans la Cité que dans le Bourg : la différence numérique des lignages des deux communautés se trouve concentrée principalement ici, avec vingt patronymes d’écart sur trente-trois en tout. A l’autre extrémité du graphe, une poignée de lignages, huit exactement, compte une dizaine de consuls, jusqu’à quinze pour la famille Bonal. Seul le Bourg abrite trois lignages qui dépassent le seuil des dix magistrats et en totalise sept ayant donné plus de sept consuls, contre cinq dans la Cité. Ceci dit, les trois familles du Bourg de plus de dix magistrats ont toutes été nommées au moins une fois au consulat de la Cité. Le passage d’une communauté à l’autre, déjà noté, est le fait d’opulentes familles qui possèdent des biens dans les deux parties de la ville et peuvent ainsi accéder aux honneurs des deux échevinages. Trente et un lignages de la Cité ont fait ce choix, contre seulement dix-neuf du Bourg, différence qui accentue la moindre tendance des gens du Bourg à s’écarter de leurs affaires.

12Le classement statistique des lignages permet de faire apparaître cinq groupes distincts de participation politique.

3 – Typologie des lignages consulaires de Bourg et Cité d’après le nombre de consuls

3 – Typologie des lignages consulaires de Bourg et Cité d’après le nombre de consuls
  • 12 Voir infra, l’étude des réseaux de parenté.

13Un lignage qui n’a donné qu’un édile à sa communauté peut-il être considéré comme « lignage consulaire » ? Pour Nantes, Guy Saupin propose de ne retenir que les groupes de plus de trois magistrats. Si l’hypothèse semble tout à fait justifiée pour une ville de cette envergure, elle doit être revue à la baisse pour la capitale du Rouergue. Considérant le nombre moyen de 2,2 consuls par lignage comme un critère de distinction fiable, on peut ignorer ceux qui ne mentionnent qu’un ou deux consuls, constituant respectivement 56 % et 19 % des patronymes ruthénois. Ainsi, les trois-quarts des consuls qui gouvernent leur communauté ne représentent pas leur lignage. Cette affirmation péremptoire pourrait nous obliger à refermer immédiatement ce chapitre, s’il n’était évident que le consul incarne un groupe plus large, non perceptible par son seul patronyme12.

14Les lignages qui comptent au moins trois consuls constituent exactement 25 % des cas dans les deux communautés, avec une tendance plus marquée pour les grands lignages en Bourg. La plupart d’entre eux se contentent cependant d’envoyer trois à cinq consuls à la maison de ville, les lignages de dix consuls étant très rares, avec moins de 2 % du total.

15Le critère du nombre de consuls distingue nettement deux types de lignage : les intermittents du pouvoir et ceux qui donnent assez régulièrement un membre à la ville. La taille du premier ensemble démontre la relative ouverture du consulat aux caps d’ostal. Le second, constitué de 81 lignages, révèle l’existence d’un groupe plus fermé et aussi plus fidèlement attaché au pouvoir urbain.

  • 13 Par exemple, un lignage A comportant quatre membres une seule fois consul dans leur vie est moins p (...)

16Le nombre de consuls est cependant un élément d’appréciation insuffisant pour mesurer l’importance de l’oligarchie urbaine. Le total des nominations par famille rend mieux compte de la présence réelle des lignages à la maison commune13.

4 – Typologie des lignages selon le nombre de nominations au consulat

4 – Typologie des lignages selon le nombre de nominations au consulat

17La forte proportion des lignages nommés une à quatre fois sur les listes consulaires – 71 % de ceux du Bourg et 92,5 % de ceux de Cité – confirme l’existence d’une masse de charges assez largement distribuées à des familles dont on aurait tort de penser qu’elles accaparent le consulat. La Cité confirme une distribution plus ouverte que le Bourg. Les familles « établies » à la maison de ville, qui comptabilisent plus de dix mentions, sont peu nombreuses – 14 et 11 % -souvent assises dans les deux communautés, au moins pour les plus importantes d’entre elles. La famille Bonal, avec 48 nominations, est de très loin la plus installée aux commandes de la ville. Si l’on retient comme seuil le nombre moyen de nominations par lignage – 4,5 en Bourg et 3,5 en Cité –, on peut considérer qu’à partir de cinq nominations, celui-ci est traditionnellement attaché au consulat. Selon cette cote assez amplement taillée, 86 lignages peuvent être qualifiés de « consulaires », 42 en Bourg et 44 pour la Cité.

18Un troisième moyen d’évaluer le poids des familles au consulat consiste à les classer non plus selon le total de leurs nominations, mais selon le score individuel de leurs membres :

5 – Nombre de nominations par consul

5 – Nombre de nominations par consul

19Le record des huit passages au consulat est détenu par noble Jean Nattes, consul de la Cité de 1463 à 1502. Hugues Caulet, receveur des deniers et habitant du Bourg compte sept nominations de 1569 à 1608. Là encore, les édiles du Bourg se présentent en rangs serrés, avec vingt-deux individus nommés plus de quatre fois, contre douze en Cité. La longévité politique des membres du consulat est moins vigoureuse au XVIIe qu’au XVIe siècle : la désaffection croissante – et non le respect des statuts...– se traduit par un rapide turn over qui empêche la réélection des édiles du Grand siècle au-delà de cinq mandats. La césure semble ici se trouver entre trois et quatre nominations échevinales, puisque de soixante-treize lignages qui comportent au moins un consul ayant exercé trois mandats, on passe brutalement à trente-sept pour quatre nominations individuelles. Selon ce dernier critère, soixante-sept lignages sont retenus, comptant en leur sein des édiles ayant été nommés au moins quatre fois à la maison de ville de Bourg ou de Cité.

20Entre soixante-sept et quatre-vingt-six se situe le nombre des lignages patriciens de Rodez. Un peu plus nombreux dans la Cité, un peu plus figés dans le Bourg, les édiles des deux communautés ont une conception certainement différente de leur charge ; sans doute celle-ci est-elle plus honorable en Bourg, car elle est plus difficile à obtenir et distingue mieux le marchand de son milieu d’origine. Le poids réel des lignages ne peut cependant être pleinement évalué que par la prise en compte de la distinction qualitative des honneurs : tel groupe dont les cinq membres restent au quatrième rang exerce une autorité politique moindre que tel autre qui compte un ou plusieurs premiers magistrats.

6 – Typologie des lignages selon le meilleur rang de leurs membres

6 – Typologie des lignages selon le meilleur rang de leurs membres
  • 14 31 en Bourg et 41 en Cité pour le deuxième rang ; 32 en Bourg et 41 en Cité pour le troisième.

21Le classement des lignages en fonction de la charge la plus honorable incarnée par un ou plusieurs de leurs membres fait apparaître quatre groupes assez homogènes. Le premier, constitué des 93 lignages dont au moins un édile a été élu au premier rang est le plus fourni. L’infériorité du Bourg – 43 sur 93 – confirme ici son relatif élitisme par rapport à la Cité plus ouverte à un nombre plus étendu de familles. En second lieu, 72 et 73 lignages parviennent à se hisser aux rangs médians, en un partage équitable qui recouvre des positions variées de fin de parcours édilitaire ou au contraire d’attente d’un sort meilleur14. Enfin, à la place de quatrième consul se trouvent bloqués 87 lignages, sans espoir d’ascension politique. Très intéressante est la coïncidence entre la hiérarchie des rangs et celle du nombre de nominations par lignage. Cette corrélation taxinomique renforce le principe de « lignages patriciens » : les groupes lignagers dont les membres remplissent l’office de premier échevin ont un niveau de présence bien supérieur à tous les autres, avec presque neuf nominations en moyenne, contre 1,1 pour ceux qui stagnent à la dernière place. L’estimation qualitative renforce ainsi les essais de mesure quantitative de l’oligarchie urbaine.

7 – Rappel des critères successifs de définition des « lignages patriciens »

7 – Rappel des critères successifs de définition des « lignages patriciens »

8 – Les « dynasties consulaires » de Rodez aux XVIe et XVIIe siècles (ordre décroissant)

  • 15 La mention B signifie que le lignage est originaire du Bourg, C de la Cité ; BC signale que le prem (...)

22Essayons maintenant de reprendre l’ensemble des lignages pour n’en retenir que les groupes qui satisfont à tous les critères distinctifs. On obtient de fait l’évaluation la plus élitiste mais certainement la plus sûre du patriciat ruthénois15.

  • 16 LESTOCQUOY (J.), Les villes de Flandre et d’Italie, sous le gouvernement des patriciens (XIe-XVe si (...)
  • 17 Ces lignages refusés par les calculs statistiques sont les suivants, par ordre d’importance décrois (...)

23Au sein d’une sphère constituée d’environ quatre-vingt lignages, on obtient ici par distillation un groupe étroit de trente « dynasties », soit un peu moins de 10 % de l’effectif total des 325 patronymes présents dans les listes consulaires. « Au dessus de ces familles patriciennes », écrit J. Lestocquoy à propos des villes de Flandre et d’Italie du Moyen Âge, « il arrive souvent qu’un très petit groupe prenne une importance encore plus grande et domine le reste du patriciat. Ce sont les lignages en Flandre, les schiatte maggiori à Sienne (...). Pour Arras, il semble bien que ce soit sept ou huit familles qui jouissent d’une prépondérance absolue ; on pense bien du reste que les alliances entre familles patriciennes d’une même ville ou de villes voisines sont de règle »16. Les trente noms retenus sont ceux de familles notables de Rodez, déjà rencontrées au fil des sources. Aucune surprise ne vient enrayer l’harmonie générale du tableau, sinon quelques absents inattendus. Le critère le plus élitiste est le dernier : pouvoir cumuler au moins quatre mandats, et jusqu’à sept pour Hugues Caulet, est une marque d’honneur assez rare qui récompense le dévouement d’un individu à sa communauté et rejaillit sur l’ensemble de la famille. Ce critère élimine de fait une douzaine de lignées dont certaines ont pourtant joué un grand rôle dans les affaires publiques, tels les Parayre, les Sabateri ou les Gibron17.

  • 18 Un coefficient de 0,5 reconnaîtrait une année de présence pour deux années de gravitation. Pour Guy (...)

24Dix-neuf des trente lignages sont issus du Bourg, et notamment huit des dix premiers. La sélection a favorisé les groupes compacts et écarté ceux qui distribuent plus amplement les charges, comme c’est fréquemment le cas dans la Cité. Les « Trente »– ainsi appellerons-nous désormais les lignages de tête qui forment un premier ensemble homogène – sont durablement liés au consulat et présentent une structure assez dense. Le rapport entre le nombre d’années effectives d’exercice du consulat – c’est-à-dire le total des nominations – et la période considérée de cent soixante-dix années révèle l’intensité de l’engagement dans le gouvernement de la ville18. Avec des coefficients variant de 0,1 à 0,28, ces groupes montrent qu’ils peuvent donner au moins un consul tous les dix ans à l’une des deux communautés, et jusqu’à un tous les trois ans pour la famille Bonal. Cette qualité est amplifiée et prend sa pleine mesure en considérant les réseaux de parenté et non les seuls liens de consanguinité.

25Les dix premières dynasties ont presque toutes exercé le consulat dans les deux communautés, preuve de leur implantation parfaite dans les instances politiques de la ville. On a immédiatement envie de savoir s’il s’agit de « vieilles familles ruthénoises », termes communs pour qualifier la notabilité des groupes qui dominent le corps urbain.

Anciens et nouveaux lignages, mesures du renouvellement

  • 19 GUIGNET (P.), « Permanences et renouvellement des oligarchies municipales à Lille et Valenciennes – (...)

26Pendant combien de temps les lignages patriciens gravitent-ils dans l’orbite du consulat ? Les écarts chronologiques entre première et dernière apparition à la maison de ville dessinent l’influence exercée au sein du corps politique, comme consul, conseiller, ou grâce à toute autre fonction liée à l’échevinage. Selon Philippe Guignet, la longue durée est une preuve du maintien de la productivité des liens de solidarité indispensable pour avoir une chance d’entrer au consulat19.

  • 20 Lorsque près d’un siècle sépare deux nominations en amont (XIVe et XVe siècles) dans un lignage peu (...)

27Mesurer l’ancienneté et la longévité des lignages consiste à rechercher ceux-ci en amont de notre période, à partir de la création des consulats, puis de les suivre jusqu’à la fin du XVIIIe siècle20. La distinction tripartite déjà établie entre une poignée de trente « dynasties patriciennes », un ensemble médian constitué des lignages de second et troisième rang, et enfin le groupe plus volatile des météores bloqués à la dernière place constitue, une fois encore, un cadre logique de classement.

9 – Présence des « Trente » dans l’orbite consulaire du XIIIe au XVIIIe siècle

9 – Présence des « Trente » dans l’orbite consulaire du XIIIe au XVIIIe siècle
  • 21 La longévité moyenne de ces dynasties est exactement de 201 années.

28Il n’est pas question ici d’établir un palmarès de longévité qui n’aurait pas grand sens historique ; je ne résiste pas cependant au plaisir d’annoncer le nom du lignage le plus assidu à la maison de ville du XIIIe au XVIIe siècle, qui n’est autre que... Moysset ! Cette éminente famille du Bourg apparaît régulièrement durant 358 ans sur les listes consulaires. En moyenne, les « Trente » restent au moins deux siècles dans le sillage du pouvoir urbain21. Si l’on considère la première nomination du lignage en six siècles, et non plus dans la seule période étudiée, vingt patronymes sont issus du Bourg, contre dix en Cité. Le Bourg formerait donc la plus belle ramure de l’arbre édilitaire. Ceci n’empêche pas le passage dans la Cité de quelques marchands-bourgeois qui, fortune faite, vont s’établir près des basochiens, officiers et gens de bien, et continuent leur carrière édilitaire dans l’une ou l’autre communauté. La mesure de la longévité n’a cependant de sens que mise en perspective avec le temps long du consulat.

10 – Vie et mort des « Trente » du Bourg et de la Cité (XIIIe-XVIIIe siècle)

Origine / Éviction

Les « Trente » selon leur siècle d’origine

XVI

XVII

XVIII

XIII

4

4

XIV

4

2

2

XV

13

4

7

2

XVI

7

4

3

XVII

2

2

29La date de première apparition du lignage au consulat apparaît dans la deuxième colonne – en lecture horizontale –, sa disparition est ordonnée en fin de tableau : ainsi peut-on lire, par exemple, que l’origine de treize « dynasties » remonte au XVe siècle et leur éviction a lieu au XVIe siècle pour quatre d’entre elles, au XVIIe siècle pour sept autres, tandis que les deux dernières, celles des Bonal et des Jouéry, s’éteignent au siècle des Lumières.

30La majorité des grands lignages consulaires sont d’origine ancienne – 21 sur 30 – et méritent la qualité de « vieille famille ruthénoise ». Le « Siècle d’or » de la ville est incontestablement le XVe siècle, période faste pour les affaires ruthénoises au cours de laquelle se créent ou se ramifient les plus belles lignées édilitaires. Sombre XVIIe siècle, en revanche, qui voit s’éteindre dix-sept destins consulaires (56,6 %), tandis que deux familles seulement pénètrent dans le même temps au sein du cercle dynastique. Les disparitions ne signifient pas la mort de la lignée, ni même leur échec, mais le plus souvent un changement de trajectoire politique qui passe par l’abandon pur et simple du traditionnel passage au consulat. Les plus vieilles maisons présentes depuis le XIIIe siècle choisissent toutes de cesser de participer au gouvernement de la ville au Grand siècle ; trois d’entre elles s’en vont entre 1652 et 1662, signe du cours irréversible des temps.

31Qu’en est-il pour les autres lignages ? Les 295 patronymes présents au consulat, derrière les « Trente », ont une durée de vie politique moyenne de cinquante-cinq ans. Cette évaluation globale n’a de valeur qu’indicative. Elle souligne en premier lieu le fossé qui sépare « les Trente » de tous les autres, et se mesure simplement par une longévité presque quatre fois inférieure. Par ailleurs, ce résultat moyen invite à réfléchir une fois encore sur l’application du terme « oligarchie » à un ensemble dont le rythme de renouvellement a deux générations pour tempo. Ceci dit, avant de rejeter en bloc le label oligarchique pour plus de neuf lignages sur dix, il convient de distinguer les parcours de ces 295 unités, en les classant selon le meilleur rang consulaire occupé par leurs membres.

32L’écart chronologique entre arrivée et départ de la mouvance consulaire varie en fonction du rang brigué et obtenu : le désir d’honneur et sa satisfaction attachent le lignage au destin de la ville. De 1 à 4 – et même de 1 à 10 si l’on tient compte des Trente –, l’amplitude des temps moyens de gravitation édilitaire définit clairement les différences d’appréhension du pouvoir urbain, considéré comme un passage plus ou moins éphémère, ou au contraire comme un bien patrimonial transmissible.

11 – Durée moyenne de gravitation des 325 lignages au sein du cercle consulaire

  • 22 Ici se trouvent rassemblés les lignages dont certains membres ont figuré au premier rang sur les li (...)

Groupe de lignages

Longévité moyenne

Vie la plus longue

Vie la plus courte

les Trente (30)

201 ans

358 ans

79 ans

1er rang22 (63)

83

278

1

2e rang (72)

73

326

1

3e rang (73)

54

354

1

4e rang (87)

21

257

1

33L’indication des durées les plus longues contredit cependant toute tentative de schématisation abusive : il existe bel et bien un petit nombre de familles qui s’installent véritablement dans les troisième et quatrième rangs. Au-delà des chiffres moyens, il convient de prendre l’exacte mesure de la répartition des lignages selon leur durée de vie politique.

12 -Typologie des 325 lignages selon leur temps de gravitation autour du consulat

12 -Typologie des 325 lignages selon leur temps de gravitation autour du consulat
  • 23 « Même les familles qui ne sont pas simplement de passage ne durent guère plus d’un siècle ». GUIGN (...)

34La plupart des lignages édilitaires – 73,5 % exactement – ne dépasse pas un siècle d’existence politique. Le comportement des consuls ruthénois ne diffère donc en rien sur ce point de celui des échevins du Nord ou de Nantes23. Un tiers des patronymes n’apparaît qu’une seule fois et pour la durée d’un seul mandat ; si l’on ajoute à ces groupes occasionnels ceux dont la gravitation ne dépasse pas une génération, on peut affirmer qu’un lignage sur deux ne dispose pas des racines nécessaires pour s’installer durablement au consulat. Et l’on retrouve environ quatre-vingt lignages capables de tenir la ville sur au moins trois générations (26,46 %).

13 -Temps de gravitation des 325 lignages selon le rang le plus élevé de leurs membres

13 -Temps de gravitation des 325 lignages selon le rang le plus élevé de leurs membres

35La distinction des comportements est nette entre les différents groupes : alors que ceux du quatrième rang font un passage éclair à la maison de ville (68 % n’y restent qu’un an), la présence du groupe médian dans toutes les partitions témoigne de sa capacité d’adaptation à des stratégies politiques variables. Carrière longue, voire très longue pour certains artisans, marchands ou basochiens couronnée en fin de parcours par l’obtention d’une charge de troisième ou deuxième rang, tel est le cas de 23 % d’entre eux. Plus bref est le parcours de la majorité de ce groupe qui considère le consulat comme un passage obligé de participation à la vie collective, sans en faire pour autant une affaire de famille. Enfin, les lignages portés à la première magistrature ont une forte tendance à marquer durablement le terrain politique de leur nom, comme les Trente. L’apparition fugace de certains météores ne remet pas en cause cette constante de l’élite patricienne et correspond plutôt au choix délibéré de ne pas participer trop longtemps aux affaires de la communauté. Situation professionnelle et sociale jugée au dessus des contingences urbaines, ou bien désir de garder leur influence tout en préservant leur liberté d’opinion, telles sont deux raisons possibles de la discrétion de certains lignages. Guillaume Calviac, docteur ès droits et bailli de Rodez, est l’unique représentant de sa famille, au premier rang du consulat de Cité, en 1657. De même, l’éminente famille Nogaret ne donne qu’un de ses membres à la maison de ville de Cité, Charles, juge de Rodez, contraint et forcé par le duc d’Épernon d’accepter la charge de premier magistrat en 1643, à la suite de la récente révolte des Croquants.

14 – Vie et mort des 295 lignages du Bourg et de la Cité de Rodez (XIVe-XVIIIe siècle)

Origine /
Éviction

Les 295 lignages selon le siècle d’origine

XVI

XVII

XVIII

XIII

0

XIV

5

5

XV

51

30

12

9

XVI

126

88

29

9

XVII

113

88

25

36Peu de lignages anciens figurent parmi les 295 patronymes qui constituent les rangs du consulat, premier indice qui distingue cet ensemble des Trente. Les cinq groupes dont l’accès remonte au XIVe siècle s’éteignent tous dans la première moitié du XVIe siècle, sauf les Calmels qui demeurent au consulat jusqu’en 1597. La majorité des 295 lignages présents entre 1500 et 1670 sont construits pendant cette période (81 %). Moins anciens, ils sont aussi moins solides que les Trente. Le taux d’évaporation des lignages politiques apparus au XVIe siècle est de 70 % en un siècle et de 93 % au siècle suivant. La résistance à l’érosion des lignages s’affaiblit au fil du temps : ceux du XVe siècle sont plus vigoureux que les groupes du XVIe siècle et comptent le même nombre de descendants que ces derniers au XVIIIe siècle. Les plus fragiles sont les lignages formés au Grand siècle qui perdent 78 % de leurs effectifs avant 1700. Dès le milieu du XVIIe siècle, les lignages de la première modernité ont cédé la place à de nouveaux venus dans les affaires de la ville.

37Quels que soient les paramètres utilisés, un groupe d’environ quatre-vingt lignages se distingue au gouvernement de Rodez, tandis qu’un peu moins de 250 patronymes ne font qu’un bref passage sur les listes consulaires. Ces éphémères étoiles dans le ciel du consulat témoignent de l’ouverture théorique du corps politique à un grand nombre de caps d’ostal, mais la rotation rapide des édiles des derniers rangs fait obstacle à l’efficacité de leur influence à long terme.

38Parmi les quatre-vingt planètes, une poignée de trente familles anciennes tient traditionnellement les rênes du pouvoir et se transmet les charges édilitaires des deux communautés comme un bien patrimonial, transformant de fait la chose publique en souci privé. Le nombre trente est le fruit d’une décoction statistique des 325 familles au travers de filtres successifs. La recherche est souvent synonyme de doute, mais elle rencontre parfois d’encourageantes justifications ; une relecture de l’enquête sur les commodités du Rouergue en 1552 a, en effet, conforté a posteriori ce résultat :

  • 24 BOUSQUET (J.) éd., Enquête sur les commodités du Rouergue en 1552, op. cit., p. 155-156.

« En ladite ville de Rodez, y a 25 à 30 personnages, tant gens de robe longue de justice que robe courte comme bourgeois, marchands ou autres trafiquants, que le bien d’aucuns vaut 100 000 livres, 80 000 livres, 60 000 livres, et d’autres de 50 000 livres, de 40 000 livres, de 20 000 livres en matière que se tient pour notoire que leurs biens tout en bloc seraient de la valeur d’un million d’or ou environ »24 .

39L’étude du temps long révélerait mieux que nous ne l’avons suggéré la solidité des lignées qui plongent leurs racines dans le beau siècle ruthénois, ce florissant Quattrocento dont la moitié des familles en place lancent des passerelles vers le siècle suivant. Au XVIIe siècle, le ressort se détend, la dynamique se brise : les lignages anciens se détournent définitivement du consulat, les autres y envoient un nombre plus mesuré de candidats. Cinquante patronymes anciens figurent parmi les cent-douze lignages qui gouvernent la ville au siècle des Lumières. L’uniformisation officière du consulat accompagne le rétrécissement du nombre des échevins. La porte se referme sur un effectif restreint de familles, réforme de 1666 oblige, mais ce rétrécissement a été amorcé par les lignages eux-mêmes au moins trente ans avant la date de l’arrêt royal.

Réseaux de parenté et influence politique

  • 25 LASLETT (P.), « La parenté en chiffres », A.E.S.C., janvier-février 1988, n° 1, p. 5.

« On ne peut comprendre une société à moins d’en connaître son système de parenté, à la fois dimension de sa structure et élément essentiel à sa solidarité »25.

40Tandis que le « linatge » représente la structure simplement consanguine de transmission du pouvoir consulaire, « l’affection de parentatge » élargit très sensiblement l’horizon lignager en offrant aux familles, par le principe de l’association, des capacités démultipliées de protection réciproque et d’influence efficace. De la « maison », traditionnelle forme clanique qui regroupe les agnats, le lignage s’insère dans un réseau hiérarchisé de familles alliées, organisé en un maillage serré qui permet la maîtrise du pouvoir à long terme. Tel un rêt, dont il partage d’ailleurs l’étymologie latine, le réseau enveloppe les individus et organise les liens sociaux en des formes adaptées à la collectivité ainsi créée. Flexible à volonté, le réseau noue des liens conjoncturels et occasionnels entre les différents atomes et tire sa force du potentiel offert par le nombre et la variété des connexions. La cohérence de l’ensemble est en permanente recomposition, par le départ et l’entrée des lignages, si bien qu’il est quasiment impossible d’en fournir une « photographie » nette à un instant précis.

41L’examen du réseau des Trente, véritable constellation qui dévoile sa force par l’importance des liens interlignagers, doit pourtant être tenté, au moins dans ses traits principaux. La distribution des rôles individuels, élément essentiel de la solidité du système, détermine l’union avec tel ou tel clan. Les alliances matrimoniales sont les nœuds vitaux des connexions de lignages, mais non les seuls. D’autres liens contribuent à renforcer les relations familiales des édiles et, partant, leur influence politique comme économique dans la ville : parenté spirituelle, association commerciale, relations amicales et de voisinage participent également à la construction de l’ensemble, en un jeu plus subtil et moins perceptible à la simple lecture des textes.

La constellation des familles

  • 26 Je remercie les généalogistes ruthénois, et parmi eux particulièrement l’historien Henry Creyx, de (...)
  • 27 GUIGNET (Ph.), Le pouvoir dans la ville, op. cit. p. 362.

42Généalogie et prosopographie conjuguent ici leurs efforts26. « De fait, grâce au maniement judicieux des généalogies, il est possible, en renouant les fils des alliances, de voir s’ordonner une bonne part des familles échevinales en vastes constellations unies par un réseau de liens matrimoniaux »27.

15 – La constellation des « Trente », toile des alliances matrimoniales du consulat de Rodez

15 – La constellation des « Trente », toile des alliances matrimoniales du consulat de Rodez

43Renouer le fil des alliances matrimoniales des Trente permet de tisser une constellation à partir d’une centaine de liens qui donne toute sa cohérence au système réel de désignation consulaire. Le réseau ainsi obtenu appelle quelques remarques générales avant d’examiner le cas particulier de la famille Maynard.

44D’une part, les connexions ainsi matérialisées indiquent une réduction sensible des groupes qui tiennent le gouvernement de la ville : de trente lignées, ce sont là quatre ou cinq familles qui occupent les charges de premier plan. Le clan Bonal relie onze lignages, ceux des Cat, des Maynard et des Jouéry huit, tandis que les Masnau en comptent sept et se recoupent en un faisceau de liens inextricable par l’adhésion de certaines lignées communes. La constellation focalise donc le pouvoir sur une poignée de clans unis par des alliances de même nature.

45D’autre part, si chaque mariage provoque la fusion de deux lignées, il permet également l’ouverture de l’horizon familial, grâce aux relations élargies des germains et alliés, du premier au troisième degré. Ainsi se trouve intégré à la noria politique un nombre important de lignages dont la présence à l’intérieur du cercle consulaire n’a pas d’autre justification que celle de l’apparentement à des familles de haut rang. Les alliances matrimoniales des dynasties consulaires ont lieu indifféremment en Bourg et en Cité. La communauté n’est pas considérée comme une forteresse infranchissable, bien au contraire ; certains lignages utilisent le mariage comme moyen d’établissement dans les deux espaces de pouvoir de la ville. Ce don d’ubiquité familiale est même, nous l’avons vu, l’une des principales qualités des Trente.

  • 28 Voir supra, document n° 8.

46Le schéma proposé ci-dessus est limité aux liaisons internes des dynasties consulaires, et ne rend pas compte de leur potentiel de rayonnement alimenté par les connexions externes avec d’autres groupes intéressés au consulat. Si l’on dessine les alliances avec les 295 lignées étudiées plus haut, la constellation se fait alors nébuleuse. Certains lignages du noyau des Trente recherchent d’ailleurs délibérément leurs alliances hors du groupe dynastique. C’est le cas des Landes et des Guirbal qui sont respectivement classés 16e et 20e dans l’ordre de participation au consulat28. La faiblesse des informations recueillies sur ces deux familles ne permet pas de connaître précisément les motifs d’orientation de leurs alliances. Veulent-ils ainsi renforcer leur position au sein du groupe dirigeant en refusant de sacrifier leur indépendance aux clans les plus influents ? Certains lignages importants, tels les Sicard, s’accommodent de même très peu des échanges matrimoniaux avec leurs pairs, et préfèrent s’étendre au-delà du cercle initial, voire au-delà du cercle consulaire.

47Chaque famille suit un parcours original, tant sont infinies les possibilités de construction et de modification du réseau édilitaire. Choisir un exemple afin de déterminer les motifs des alliances est un geste difficile, car aucun groupe n’est vraiment exemplaire.

48Les Maynard, lignée de marchands opulents du Bourg, très enracinée dans le cercle des Trente et 24 fois présente au consulat entre 1500 et 1670, reflètent assez bien le profil et l’orientation générale des stratégies matrimoniales de marchands devenus bourgeois, puis officiers du roi. Particulièrement intéressant est le déploiement de cette famille au-delà des limites du consulat et de la ville de Rodez.

  • 29 Par son mariage avec Astrugue Albrac, Jean Mainard devient propriétaire de l’hôtellerie de Lale qui (...)
  • 30 A.D.A., E 1621.
  • 31 A.D.A., E 1623 et E 1621.

49Place de l’Olmet, trois hôtelleries affichent complet lors des quatre foires annuelles de Rodez, et sont bien fréquentées le reste de l’année par les voyageurs qui font étape dans la ville. Celle du « Gésu » appartient à la famille d’Aulhou, celle de « la fleur de lys » aux Masnau, et la plus importante des trois, « l’hostellerie de Lale », est tenue par les Maynard, depuis le début du XVe siècle29. Située à l’entrée de la rue du Bal, on y accède par une porte cochère proche de la maison commune du Bourg. À l’arrière, la halle aux draps communique avec la grande salle de l’auberge, proximité commode pour les marchands qui y séjournent. La halle a donné son nom à l’hôtel, devenu « Lalo » ; l’enseigne de la porte ainsi que certaines des armoiries de la famille ont intégré ce signe en forme d’aile d’aigle, jeu de mots sur le sens du terme « alo » en langue d’oc. Les propriétaires se font appeler « sieurs de Lale », la qualité de « sieur » identifiant tout marchand prospère de la ville. Puis, ils transforment insensiblement leur hôtellerie en fief et se font appeler « sieur de la seigneurie de Lale ou de Lesle ». Jean Maynard, premier ancêtre connu de la famille, afferme l’établissement en 1443, pour une période de sept ans30. Sa femme Astrugue Albrac achète les mas d’Espinassous et de Grandcamps à Saint-Amans de Salmiech, dont elle reçoit reconnaissance féodale31.

16 – Généalogie simplifiée des Maynard, Hôtes de Lale (Bourg)

16 – Généalogie simplifiée des Maynard, Hôtes de Lale (Bourg)
  • 32 Les lignages Nattes (branche non noble) et Martin sont très présents à la maison commune du Bourg, (...)
  • 33 A.D.A., E1660.
  • 34 A.D.A., E 1196.

50Les enfants et petits-enfants de Jean I sont marchands du Bourg et contractent des alliances dans le même milieu, en ayant soin de choisir leurs conjoints dans les familles les plus fortunées de la boutique et les plus influentes de leur communauté32. Hugues, petit-fils de Jean I, épouse la fille de Guillaume d’Austry, avec lequel il s’est associé pour son commerce, ainsi que pour le placement de ses bénéfices dans l’achat de rentes à Olemps33. Les témoins présents au mariage de sa fille Marguerite avec le marchand ruthénois Pierre Giraud, révèlent déjà les prémices de l’expansion de la famille au delà du cercle étroit de la boutique : Géraud de Masnau et Jean de May, chanoines de la cathédrale, noble Brenguier Brenguier, seigneur d’Arvieu, et noble François de Boyssière, seigneur de Carcenac, apposent leur signature au bas du contrat passé entre les deux familles34.

51Consolidant ses positions dans l’enceinte de la ville, la famille Maynard établit en même temps des liens solides avec des marchands de la région, par des alliances considérées comme autant de comptoirs dans les cités voisines : ainsi Jean III épouse-t-il la fille de Jean Colomb de Villefranche, Anne (IV) est-elle donnée en mariage à Pierre Crozat marchand d’Albi, tandis que Françoise (V) part à Espalion chez les Ayral.

  • 35 AUSTRY 203. Raymond d’Austry fait de Jean un marchand, car il est vrai qu’il a exercé le commerce a (...)
  • 36 A.D.A., 2E 212 CC 156 Bourg. Comptes de l’année 1617.
  • 37 A.D.A., E 668, E 1574, E 1790. Désormais, le sénéchal de Rouergue exercera également les fonctions (...)
  • 38 LEMPEREUR (L.) éd., État du diocèse de Rodez en 1771, Rodez, 1906, p. 443.
  • 39 A.D.A., E 1982.

52À partir de la quatrième génération, les stratégies matrimoniales des Maynard consolident leur position par l’union à des familles dont la réussite sociale est patente et marquée par la possession de seigneuries autour de la ville : les Bernard, par exemple, sont issus d’une lignée d’apothicaires qui a fait fructifier ses biens par l’achat de terres – la seigneurie d’Ortholès leur a procuré un nom – et par un choix judicieux d’alliances. En même temps, les Maynard développent les liens hors du cercle étroit de la boutique et s’orientent lentement vers les familles officières. En 1556, Jean IV épouse Cécile Sicard, fille de Blaise, homme de confiance et officier de Georges d’Armagnac. Leurs fils Jean et François abandonnent la marchandise pour l’office, mais nouent encore des liens avec leur milieu d’origine (les Parayre). En janvier 1599, Jean fait partie de la délégation envoyée auprès de Henri IV pour terminer le différend qui opposait la ville à François de Corneillan35. Nommé quatre fois consul du Bourg, ce patricien dévoué est tué d’un coup de mousquet à Flagnac, près de Firmi, alors qu’il ramenait à Rodez une compagnie de deux cents hommes envoyée contre les ennemis du roi en Gévaudan36. Les enfants de Jean V font tous de très brillants mariages, à l’exception de Jean, resté célibataire : les Jouéry, Focras, Tuilier et Rodat ont en commun fortune et ambition. Jean Tullier, trésorier général de France à Montauban, est seigneur d’Arsac et de Combret, les Ondes et Sébazac ; il achète la château de la Roquette près de Rodez en 1631, la terre du Cayla d’Arjac en 1668 et fonde l’académie des jeux floraux à Rodez en 1675. Pierre Jouéry a assez de fortune pour s’offrir la charge de sénéchal de Rodez ; il règle en 1623 la somme de 33000 livres à François de Solages, baron de Tholet, mais allant trop vite en besogne, il oublie le veto royal. Louis XIII, en effet, refuse d’être servi par un homme d’aussi basse extraction et supprime même la sénéchaussée de Rodez, prétextant du retour du comté à la couronne depuis 160737. L’horizon de la famille Maynard a changé : désormais, plus un seul marchand ne figure parmi les fils, gendres et beaux-pères du clan. Les institutions royales, Élections et présidial, bureau des finances de Montauban, sont désormais les clés de la réussite. François, fils cadet de Jean V, étend même ses filets au-delà de la Haute-Guyenne : son mariage avec la fille du premier président du Parlement de Toulouse et sa charge de conseiller en parlement l’éloignent de Rodez. Pourtant, il perpétue la tradition d’achat de terres de ses ancêtres et acquiert le château et la métairie de Flars, paroisse de Saint-Félix, près Rodez, et la terre de Lestang, en même temps que la baronnie de Belcastel en Lauragais. Les enfants de François, seigneur de Vialatelle, baron de Lestang et de Ségoufielle, oublient la couleur des blés du Causse comtal ; Jean-Thomas de Maynard vend en 1703 le dernier fleuron rouergat de la famille, la seigneurie de Vialatelle38. Depuis le début du siècle précédent, les Maynard se sont détournés des fonctions marchandes qui ont fait la fortune de leurs ancêtres et ont peu à peu négligé le destin de leur ville. Jean, fils de François sieur de Calzins, se souvient-il de la fierté de son grand-père, Jean « sieur de Lale », lorsqu’il vend l’hôtellerie familiale à Jean André, un jour de novembre 162339 ?

  • 40 A.D.A., 2E 212 BB9 Bourg, f. 115v et s., 25 et 27 novembre 1576.

53Pendant plus de deux cents ans, les Maynard et leurs alliés ont sans interruption été présents au consulat. De vingt-neuf nominations pour dix membres du seul lignage entre 1434 et 1654, les alliances matrimoniales apportent à la famille douze consuls supplémentaires nommés trente-trois fois. Les membres de la parenté se transmettent les charges comme un relais et se retrouvent même à plusieurs reprises côte à côte à la maison de ville ; il en est ainsi en 1511, 1534, 1588 et 1610 : en 1588, par exemple, Antoine Carle et Hugues Nattes, beaux-frères, époux de Catherine et Souveraine Maynard, sont respectivement deuxième et troisième consuls du Bourg. En outre, les interdits statutaires qui empêchent d’élire son fils, son gendre, son frère ou beau-frère, ni même son cousin germain, sont ici largement transgressés, de même que les délais de réélection. En 1576, Jean IV Maynard témoigne de sa lassitude en refusant la charge de premier consul. Sollicité moins de quatre ans après son dernier mandat, il est pourtant contraint d’accepter cet honneur indésiré, prié par des amis persuadés qu’en son absence « on ne trouverait que des septuagénaires, infirmes et caducs »40. La présence régulière du clan révèle une distribution concertée des rôles, afin de garder toujours au moins un membre au courant des affaires publiques.

  • 41 Voir supra, chapitre 2 et 6.

54La densité des nominations de la première partie du XVIe siècle cède pourtant du terrain au tournant des années 70, malgré la flambée des deux dernières décennies du siècle, au cours desquelles les familles traditionnellement attachées au pouvoir urbain ressaisissent les rênes du consulat pour un temps bref41. Ensuite, une fois terminée la crise qui les oppose à leur évêque, ces Ruthénois ont fait le choix du roi, et d’autant plus facilement accepté l’ingérence de ses représentants dans leurs affaires, qu’ils ont cessé d’être aussi pointilleusement au rendez-vous annuel de l’élection du 25 novembre.

17 – Nombre de consuls du clan Maynard de 1434 à 1654

17 – Nombre de consuls du clan Maynard de 1434 à 1654

55Dès le début du XVIIe siècle, les abeilles de l’essaim Maynard prennent leurs distances avec la ruche consulaire, comme elles se sont éloignées de la ruche marchande. Au-delà des Causses, leur horizon s’est progressivement étiré vers les plaines du Lauragais et la capitale du Languedoc, ainsi qu’en témoignent leurs alliances matrimoniales et leurs achats de terre.

  • 42 Voir infra, chapitre 8.

56L’exemple de la famille Maynard révèle les motifs des connexions internes à la constellation. Les liens noués avec les Austry, les Nattes – en boucle, à plusieurs reprises –, ou encore avec les Martin ou les Paraire qui sont aussi de grands lignages consulaires proches des Trente, consolident la structure familiale et professionnelle du clan, en élargissant son espace de pouvoir économique et politique à l’intérieur de la ville et dans sa région voisine. Fortune faite, la famille s’établit en achetant des terres. Le nom et le style de vie permis par la position nouvelle de bourgeois, rentier et « seigneur de », portent un peu plus loin les ambitions familiales et donnent au père l’envie de voir son fils fréquenter le collège de Jésuites installé depuis peu, en 1562, revêtir la robe et épouser la fille d’un officier en vue. Et l’on choisit alors ses fréquentations hors de la sphère marchande, du côté de ceux qui ont déjà franchi le pas et chèrement acquis une charge de conseiller d’élection ou de présidial, puis deux, puis trois. Les Sicard, les Jouéry, les Foucras, les Tullier, les Rodat ont tous suivi cette voie, la voie royale qui mène à Montauban, à Toulouse, très rarement au-delà, et contraint les fils de marchands, tel Orphée, à ne pas se retourner sur leur ville natale42.

Pères et fils, frères et sœurs

57La famille Maynard a révélé la précise distribution des rôles qui assure la représentation constante du clan au consulat par au moins un membre de la lignée ou de la parenté. Comment s’effectue cette répartition ? Quel fils donne-t-on à la ville ? Le droit d’aînesse est-il efficient en ce domaine ? L’examen des modes de transmission de la charge consulaire à l’intérieur de la famille suggère la volonté de perpétuation du nom – voire du prénom – sur les listes édilitaires. Par ailleurs, frères et sœurs des magistrats publics se répartissent certaines situations sociales répétitives à l’aune de la génération. L’examen de leurs positions permet d’insérer le consulat dans un ensemble de contraintes fonctionnelles propres aux familles du cercle éminent. Parmi elles, la plus marquante est le « don » à l’Église d’un nombre important de filles et garçons.

  • 43 Le livre de raison de la famille Perrin est rempli de ces marques d’orgueil familial, op. cit.
  • 44 BOY (D.), « Origine sociale et comportement politique », Revue française de Sociologie, t. 19, n° 1 (...)

58Tel père, tel fils : le rêve de tout consul est de transmettre sa charge et conserver ainsi la mémoire du nom du lignage dans les livres de la maison commune. La fierté paternelle est partagée par ses enfants qui s’enorgueillissent de la constance avec laquelle leurs aïeux ont participé aux affaires de la ville43. « L’appartenance de classe », note le sociologue Daniel Boy, « ne se résume pas à sa situation sociale actuelle, mais comporte d’une part une évaluation de sa position par rapport à celle de son père, d’autre part une "espérance sociale", c’est-à-dire une anticipation de son avenir social »44.

59Ainsi, la généalogie consulaire de la lignée et plus largement de la famille contribue-t-elle à renforcer la notabilité du clan. La transmission du patrimoine politique est complexe, car aucune règle préétablie n’en fixe clairement le processus. Certaines tendances émergent de l’ensemble, telle la préférence donnée à l’aîné, légataire universel et successeur au consulat, sans pour autant interdire d’autres alternatives. Le désir d’embrasser les 325 familles dans un tableau synthétique des pratiques successorales du patrimoine politique a été abandonné en cours de route – un chemin parsemé de doutes – car il s’est avéré impossible à mettre en œuvre. Les trop nombreux points d’interrogation sur les branches des arbres généalogiques de consuls ne permettent pas, en effet, d’envisager une étude globale des modes de transmission. En revanche, l’examen de quelques cas particuliers rend bien compte des phénomènes qui transparaissent au fil des sources comme trame essentielle de l’héritage d’honneur. Ces familles choisies peuvent donc être considérées comme exemplaires.

  • 45 Dans la deuxième génération des Aulhou, c’est Barthélémy et non Hugues qui devient consul après son (...)
  • 46 LANDÈS-MALLET (A.-M.), La famille en Rouergue au Moyen Âge, Étude de la pratique notariale, Rouen, (...)
  • 47 LANDÈS-MALLET (A.-M.), op. cit., p. 269.

60L’aîné hérite du patrimoine politique de son père, dans tous les cas envisagés ici, sauf deux45. Mais la fréquence de ce type de transmission privilégiée n’interdit pas le partage des honneurs consulaires avec l’ensemble des fils. Cet échantillon révèle une situation banale que l’on retrouvera fréquemment à la lecture des différents arbres étudiés. Le régime successoral du consulat reflète peu ou prou celui des biens : « Il apparaît ainsi que le testateur hésite entre « aînesse » et partage. Tout nous porte à croire que le testateur rouergat médiéval, au carrefour de plusieurs influences, a conservé sa liberté totale en matière testamentaire et n’est guidé en réalité que par des motivations familiales purement personnelles »46. En fait, le père choisit le plus souvent d’avancer la candidature d’un fils « établi », marié et successeur de son père à la boutique. Ainsi, les cadets Pierre et Raymond – tous deux marchands et mariés –, succèdent-ils à leur père Guillaume de May, plutôt que leur frère aîné Guillaume, licencié en droit et célibataire. « Le choix du fils marié comme héritier universel montre que la préoccupation essentielle du testateur rouergat est de voir se perpétuer sa famille conformément à sa volonté et en lui assurant la jouissance d’un patrimoine, qui traditionnellement, doit rester familial »47. Ces mots d’Anne-Marie Landès-Mallet sur les pratiques successorales rouergates au Moyen Âge s’appliquent parfaitement au régime de transmission des honneurs consulaires à l’époque moderne, tant sont identiques les motifs de perpétuation de la lignée au pouvoir.

61Le consul a tendance à reproduire le modèle paternel. Chez les Cadel, celui qui reprend l’activité de son père occupe sa place à la maison de ville. La réussite, tout au long du XVIe siècle est le fruit de la poursuite de l’œuvre familiale échafaudée et enrichie à chaque génération. Ce procédé en forme de « boule de neige » est lisible sur les graphes par la juxtaposition des icônes. Dans la famille Aulhou, le premier représentant, Pierre, est originaire du mas d’Aulhou, paroisse d’Alcorn. Son fils aîné, Hugues, fonde l’hostellerie du Gésu, place de l’Olmet. Géraud, le fils de ce dernier reprend l’affaire paternelle et devient consul du Bourg, à l’instar de son oncle. Son petit-fils Hugues II est hôte du Gésu et consul comme son père. Bourgeois de Rodez, banquier sur la place de Lyon, Hugues accède à la noblesse par l’achat de fiefs nobles, situés à La Combe, paroisse de Saint-Mayme, et La Roquette, paroisse d’Onet. Il cesse alors toute activité hôtelière et vit noblement dans la belle demeure qu’il vient de faire construire, connue aujourd’hui sous le nom de « maison d’Armagnac ».

  • 48 Tous deux sont morts sans laisser de postérité semble-t-il.

62Les deux fils de Hugues II, Amans et Georges, sont tous deux consuls. Là s’arrête la participation de la famille aux affaires de la ville48.

18 – La transmission de la charge consulaire de père en fils

18 – La transmission de la charge consulaire de père en fils

63L’édification patiente et collective de la réussite lignagère implique la participation au consulat, le service de la ville étant l’une des conditions du succès de la famille.

  • 49 Voir supra, chapitre 6.
  • 50 Une lettre de Charles d’Estaing à son frère Joachim évêque de Clermont lors des États de Rouergue e (...)

64Cette connexité de l’ascension bourgeoise est visible au moins jusqu’à ce que le fil continu des parcours patrilinéaires soit rompu. La discontinuité naît du choix différent des fils qui cessent de poursuivre la carrière paternelle : chez les Austry, on est marchand de père en fils, jusqu’à Jean, à la quatrième génération. Celui-ci ne reprend pas les affaires pourtant très florissantes de son père Raymond. Deux fois consul, Jean abandonne le consulat pour accéder au sommet des institutions d’État, l’Élection tout d’abord, le présidial ensuite. La qualité de président semble incompatible avec celle d’édile, comme on l’a vu, même si le président d’Austry joue officieusement un très grand rôle au consulat, en recevant notamment les échevins chez lui, en conseil secret49. Son frère Jacques, lieutenant au présidial, est le dernier de la lignée à accepter la charge de consul en 1641. Après lui, son fils ne participera pas au gouvernement de Rodez. Le changement d’orientation, de la boutique à l’office, a brisé en moins de deux générations l’engagement édilitaire des Austry et, comme pour les Maynard, élargi les ambitions du clan bien au-delà de la muraille de la ville. Jean, plus souvent nommé « le président d’Austry », rêve longtemps à la baronnie de Landorre, qui donne le deuxième rang de la noblesse aux États de Rouergue, juste derrière d’Arpajon. Mais la maison d’Estaing refuse de vendre la baronnie à un fils de marchand, et la cascade de mépris qui est tombée sur les Maynard à propos de la sénéchaussée de Rodez, s’abat à nouveau sur l’honneur d’un roturier50.

65Un fils, parfois deux exercent le consulat, rarement davantage. Que font les frères ? Et les sœurs ?

66L’arbre de la famille Maynard démontre que la maison commune constitue un passage obligé pour l’ensemble des fils. Quant aux filles, elles participent également à la construction de l’édifice familial, puisqu’elles épousent presque toutes des édiles. Les alliances des frères et sœurs étayent le pouvoir lignager dans une harmonie homogamique qui évolue lentement au fil de l’ascension familiale : lignages marchands auxquels le clan s’associe pour le commerce et la rente, comme les Austry, ou les Caulet, puis familles officières dont la fréquentation est nécessaire pour acquérir une charge du roi et aller plus loin, du côté des cadets de noblesse.

67Le « montage » de la famille Sicard, d’origine étrangère, puisqu’elle vient d’Uzerche, propose un autre modèle bâti sur les carrières officière et ecclésiastique.

  • 51 Les biens de son oncle, Jean V d’Armagnac, ont été confisqués par Louis XI, et celui-ci fut massacr (...)
  • 52 Manuscrit sur la famille Sicard composé par l’un des proches alliés de la famille au XVIIIe siècle, (...)
  • 53 Ibid.
  • 54 Les Mayres sont en effet officiers comtaux de père en fils depuis Pierre, secrétaire du comte d’Arm (...)
  • 55 A.D.A., 2E 212 GG49 Bourg.
  • 56 A.D.A., E 1542. Contrat de mariage passé devant Guillaume Moysset, le 31 mars 1556.

68Blaise Sicard est le fils cadet de Louis, officier de Louis XI, blessé à Montlhéry dans la guerre contre le Duc de Bourgogne et revenu vivre entre les siens le reste de son âge. Louis confie le jeune Blaise à Pierre, bâtard de la maison d’Armagnac, qui cherche à récupérer à la Cour des lambeaux de son domaine perdu51. À ces fins, il vient à Rodez et laisse son protégé auprès de Hugues d’Amboise, administrateur des biens de la comté de Rodez, afin « qu’en cas le dit Hugues d’Amboise qui estoit déjà avancé en âge vint a manquer pour mourir [ces deux derniers mots sont rayés], il peut en etre averti et qu’il eut le loisir se trouvant en Cour d’etre le premier pour demender un bien qu’il croyoit lui appartenir de droit »52. Pierre d’Armagnac meurt peu de temps après avoir réussi son entreprise, et confie Blaise à son fils Georges, à qui il laisse la baronnie de Caussade avec l’espoir qu’il relèvera un jour le nom de la famille à la comté de Rodez. L’amitié et la confiance de Georges, baron de Caussade et protégé de Marguerite de Navarre, comtesse de Rodez, ont fait la fortune de la famille de Blaise : le manuscrit rédigé plus tard par un membre de la parenté souligne que Georges a été « le patron et le bon ami de Blaise », et « qu’il aima si fort Blaise de Sicard qu’il ne se lassa jamais de lui faire du bien »53. Receveur des Décimes, Blaise devient très vite administrateur des revenus du jeune baron, seigneur de Canac, receveur de Castelnau-de-Montmirail et Nègrepelisse, de Meyrueis et de Creissels, puis administrateur et trésorier général de la comté et conservateur du domaine de Navarre. Ce dernier office est créé pour Blaise par le roi de Navarre et reste dans la famille. La fortune rapide de Blaise se traduit par de nombreux achats fonciers – il acquiert notamment par morceaux un important emplacement situé entre la place du Bourg et la rue du Court Comtal –, par sa présence au consulat, ainsi que par des alliances matrimoniales avec les meilleures maisons de Rodez. Blaise épouse Souveraine, fille de Bertrand de Mayres, troisième consul du Bourg en 1521 et ancien secrétaire de François d’Estaing. Au-delà du caractère homogamique de cette alliance, la famille de Mayres ménage à Blaise une entrée de plain pied dans le patriciat ruthénois54. Quatre fois édile du Bourg, Blaise rencontre son beau-père et son beau-frère Jacques à la maison de ville, ainsi qu’aux bassins de la paroisse Saint-Amans55. En ces lieux de sociabilité communautaire, il fait aussi la connaissance de celui qui deviendra son gendre, le « sieur de Lale » Jean Maynard, cinq fois consul du Bourg de 1557 à 1585. À l’occasion de cette union, Blaise constitue un douaire de 2000 livres à sa fille Cécile, avec six robes et l’engagement de « norrir lesd mariez avec leurs enfens ung serviteur une chambriere et une monture a compter du jour de la solempnisation dud. mariaige »56.

69Le fils aîné de Blaise, qui porte le prénom de son parrain Georges d’Armagnac, continue les fonctions de son père, maintenu par lettres données à Pau le 10 septembre 1549. Il a épousé Françoise Maynard, fille de Hugues, marchand, et de Brenguière Austry. Ces mariages croisés avec le lignage Maynard traduisent la volonté de s’enraciner profondément dans le sol ruthénois par le biais d’une de ses plus anciennes familles.

  • 57 A.D.A., E 1966. Un acte retenu par le notaire Moysset, en novembre 1576, énumère les marchandises v (...)

70Le milieu marchand traditionnel est le site choisi par Blaise pour assurer à ses enfants une intégration rapide au cercle patricien. Blaise décide même de faire de Nicolas, son fils cadet, l’un des meilleurs marchands de tissus de la ville, spécialisé dans les soieries et les étoffes précieuses57. Plus que son frère aîné, Nicolas participe régulièrement au consulat de sa communauté, de 1574 à 1602. Son mariage avec Jeanne Du Jou, fille de noble Jean Du Jou, seigneur du Jou, près de Castelnau-de-Mandailles, est la première incursion du lignage au sein de la petite noblesse rouergate.

71À partir de la troisième génération ruthénoise, les Sicard limitent leur participation au consulat à l’aîné de leurs nombreux enfants. Les édiles Jacques, Jean et Guillaume portent successivement le flambeau de leur aïeul Blaise en choisissant les finances et la justice. Ils s’intéressent comme lui aux affaires de leur province et contractent des alliances dans des familles patriciennes ruthénoises, sans avoir pour autant des visées trop gourmandes pour leur rang : leur ascension est lente mais assurée.

19 – Généalogie simplifiée de la famille Sicard, bourgeois de Rodez et serviteurs de Dieu

19 – Généalogie simplifiée de la famille Sicard, bourgeois de Rodez et serviteurs de Dieu

72Marguerite de Cambefort est la fille d’un conseiller au présidial de Villefranche, Gaillarde Lacombe est celle d’un opulent marchand ruthénois, et le père de Jeanne de Calviac appartient au même milieu que son gendre Guillaume, étant docteur et avocat, juge bailli de Rodez, juge de Salles-Curan, Sainte-Radegonde et Moyrazès. Quant aux sœurs mariées de ces aînés, elles sont les figures de proue du clan à l’extérieur de la ville. Marguerite (IV) est envoyée à Réquista dans la famille bourgeoise des Clusel. Jeanne (VI) épouse Gabriel Nouvel, avocat en parlement et demeurant en son domaine de Vios, paroisse de Lagarde ; l’une de ses sœurs, Catherine, est mariée à François Maritan, juge de Naucelle, et la dernière, Magdeleine, à noble Henry de Grimal, sieur de la Bessière, demeurant au village de Malet, paroisse de Cassagnes-Bégonhès.

73Les stratégies matrimoniales des Sicard tissent une toile d’araignée dont le centre masculin demeure au cœur de Rodez, tandis que les fils de trame féminins sont dispersés au gré des achats fonciers et d’amitiés professionnelles choisies dans les mêmes rangs sociaux, en direction du Ségala occidental, entre Naucelle, Cassagnes et Réquista.

74Ces fratries de plus en plus étoffées sont terriblement frappées par le décès d’un nombre considérable d’enfants en bas âge. Les maternités excessivement rapprochées de Gaillarde Lacombe, qui pleure la mort de ses cinq premiers enfants, et les malheurs des temps du premier XVIIe siècle expliquent l’hécatombe de la quatrième génération. Ce lourd tribut payé par la famille diminue considérablement le nombre d’héritiers potentiels.

  • 58 POURCHER (Y.), « La parenté au cœur du traditionalisme politique : l’exemple de la Lozère », in Aux (...)

75Mais un prélèvement d’une autre nature, volontaire celui-ci, empêche l’émiettement du patrimoine entre un trop grand nombre d’ayant-droits. Le don à l’Église est une tradition familiale forte en Rouergue jusqu’au milieu du XXe siècle. « Terre de prêtres, de missionnaires et de religieuses, cette abondance s’enracine dans une culture », comme en Gévaudan, province voisine chère à Yves Pourcher ; « d’un village à l’autre, d’une paroisse à l’autre, chaque famille a à cœur de dévouer plusieurs de ses enfants au service de l’Église. Dans toutes ces maisons, les vocations sont portées : par la mère attentive à l’éveil de la vocation ; par l’oncle prêtre qui choisit et guide l’un de ses neveux, l’une de ses nièces, pour suivre son exemple. (...) Mais ce choix du service de l’Église, cette décision d’entrer au petit, puis au grand séminaire ou au noviciat ne sont pas toujours dégagés des intérêts des familles, de ces règles implacables de la transmission du patrimoine »58.

76Dans la famille Sicard, le service de Dieu permet à la fois de préserver l’unité patrimoniale, mais aussi de se placer dans un réseau qui recouvre la ville et s’étend bien au-delà, celui de l’Église. L’arbre généalogique présenté ci-dessus compte dix membres entrés en religion, mais cet arbre cache une forêt plus vaste de vingt-quatre membres consacrés, du père jésuite Bernardin à Marie-Anne – arrière-petite-fille de Nicolas Sicard et Marie de Grimal – religieuse de Notre-Dame à Toulouse.

  • 59 Cette Catherine, fille de Jean-Jacques (V), auteur de la deuxième branche de Rodez, ne figure pas s (...)
  • 60 L’un des rejetons de la famille, Jean-Amans, prêtre de Cadayrac malgré lui, a rédigé son « journal (...)

77Parmi eux, aucun chanoine Sicard ne figure au chapitre de Rodez. En revanche, le clan préfère la prêtrise et les milieux dynamiques des ordres nouveaux, tels les Capucins et les Jésuites. Certains font une belle carrière sous la protection de l’Église : Jacques est vicaire général de l’archevêque de Bordeaux au début du XVIIe siècle et Catherine supérieure du couvent de l’Annonciade de Rodez59. Même laïcs, les Sicard restent très proches des institutions ecclésiastiques : Jean (IV), conseiller en l’Élection du comté, se fait prêtre après la mort de sa femme en 1662 ; son grand oncle Nicolas (II) est à plusieurs reprises cité dans les registres des généreux donateurs du collège des Jésuites de la ville ; Guillaume (VI) est l’époux de la Supérieure des Dames de la Miséricorde, cette pieuse confrérie qui rassemble les représentantes de la meilleure société de Rodez. Née à l’ombre du pouvoir épiscopal et comtal, la lignée Sicard de Rodez préserve ces deux voies d’ascension sociale jusqu’à la fin du XVIIIe siècle60.

78Conseillers au présidial, avocats en parlement, seigneurs de Saint-Geniez-des-Ers ou de Carcenac-Peyralès, prieur dominicain, père jésuite professeur au collège, mère supérieure du couvent des Annonciades, tels sont les éléments de la réussite familiale, cercle dans lequel s’insèrent pour l’agrandir les alliances des filles – l’« échange des femmes » selon les anthropologues – avec des officiers rentiers du Ségala. Différente de la réussite marchande, cette ascension est plus lente, moins risquée, et reste somme toute plus modeste. Elle ne s’achève pas, comme pour les Maynard, dans le côtoiement prétentieux de princes italiens, mais reste prudemment et solidement attachée à la terre rouergate, les fonctions officières se muant au XIXe siècle en situations confortables dans la fonction publique.

  • 61 GOUBERT (P.), Familles marchandes sous l’Ancien Régime : les Danse et les Motte, de Beauvais, Paris (...)

79Par les témoins présents au contrat de mariage, on découvre la taille réelle du clan. Comme l’a si bien montré Pierre Goubert pour la ville de Beauvais, « une famille se forme, et toutes les familles bourgeoises, sous leurs divers aspects, entrent en scène. L’on pourrait même, sans inconvénient grave, limiter l’étude de cette bourgeoisie de province aux personnages cités, à leur parenté, à leur descendance : de proche en proche, l’on retrouverait le « tout Beauvais » d’Ancien Régime »61.

  • 62 Anne-Marie LANDÈS-MALLET assimile le contrat de mariage rouergat du Moyen Âge à une « véritable cha (...)

80Le « tout Rodez » assiste effectivement au « véritable traité d’alliance entre deux rameaux bourgeois » signé dans l’étude des notaires Rudelle et Ourtoulès, le 12 janvier 1709, onze jours avant la solennisation du mariage62. Jean de Sicard, fils aîné de Jean-Jacques Sicard (V), docteur et avocat, et de Marie de Boissière, se lie ce jour-là à Marie-Anne Azémar, fille de François, avocat en Parlement, premier consul du Bourg en 1674 et 1687, et de Catherine de Foulquier. Les personnes citées témoignent de leur attachement familial ou amical au clan par leur présence à cet acte primordial qui scelle l’union des deux familles. Ainsi, par l’étude systématique des listes de noms de personnes présentes, pourrait-on exactement reconstituer l’influence familiale et extra-familiale des lignages. En cette froide matinée de l’hiver 1709, les parents et amis des deux familles qui se pressent à l’étude des notaires sont tous des « Messieurs de Rodez » : le premier nommé est Étienne de Séguret, président juge-mage – héritier des Rey –, puis viennent Barthélémy Charles de Nogaret, président, et Claude Cabrières, lieutenant particulier, Guillaume Sicard et Guillaume Ignace Azémar conseillers au présidial. Assiste également au contrat une grappe de chanoines : Ferrier, abbé de Charron, Foulquier, et Arnaud de Boissière, du chapitre de Conques et syndic du clergé. La noblesse est là aussi avec Jean de Boissière, seigneur de la Selve et Jean Raymond de Villaret, lieutenant en la maîtrise des Eaux et Forêts. La ville enfin assiste à ce contrat privé, avec ses édiles Franques et Carrier, et messieurs Balsa, Briane, Delmas, Parayre, Moly, Landes, Romieu, accompagnés de quelques autres représentants des meilleures maisons de Rodez.

81Mieux que les seize mille livres constituées par Jean Sicard à son fils – sans oublier la maison de Rodez et ses meubles –, cette assemblée de notables est l’illustration parfaite de la réussite familiale des Sicard. Moins de deux siècles après l’arrivée du jeune Blaise dans la suite de Pierre d’Armagnac, ses descendants ont pénétré tous les milieux influents de la ville et ainsi établi les bases solides de leur fortune.

  • 63 VINCENT-BUFFAULT (A.), L’exercice de l’amitié. Pour une histoire des pratiques amicales aux XVIIIe (...)

82Par-delà le lignage, et recouvrant aussi la parenté, l’exercice de l’amitié « établit des réseaux d’influence, invente des lieux de convivialité et des liens de résistance, tandis que se multiplient pour le plus grand nombre les chances de rencontres et d’interactions »63.

83Les liens d’amitié sont difficiles à distinguer chez des marchands-bourgeois et officiers moyens qui ont laissé relativement peu de traces écrites. En revanche, la parenté spirituelle dessine les contours d’un réseau d’influences élargi, assez facilement identifiable par la lecture suivie des registres paroissiaux. Les livres de raison apportent parfois des renseignements complémentaires sur les motivations des choix de parrains et marraines.

Parenté spirituelle et solidarité familiale

84Lorsque les parents désignent les parrain et marraine de leur enfant, ils songent sans doute à donner à celui-ci des parents spirituels qui l’accompagneront tout au long de sa vie de chrétien. Par ce geste, ils désirent aussi honorer la personne élue, en lui confiant la mission de veiller sur l’enfant. Dans le milieu patricien, on peut alors supposer que le parrainage est utilisé comme instrument de consolidation et d’extension du réseau familial. L’étude du choix des parents électifs et celle de leur rôle au sein de la famille permettront d’apprécier la fiabilité de cette hypothèse.

20 – Parrains et marraines des enfants d’Etienne et de son fils Jacques PERRIN

20 – Parrains et marraines des enfants d’Etienne et de son fils Jacques PERRIN

85En Rouergue, compère et commère app artiennent à la famille proche, tradition qui limite, de fait, le nombre de parrains et marraines potentiels. Ce « compérage intensif » superpose presque parfaitement parenté charnelle et parenté spirituelle, et semble alors figer le périmètre d’influence de la famille en n’y intégrant qu’exceptionnellement des éléments exogènes.

  • 64 SANGOÏ (J. Cl.), « La transmission d’un bien symbolique, le prénom », Terrain, mars 1985, n° 4, p.  (...)
  • 65 FINE (A.), « Transmission des prénoms et parenté en Pays-de-Sault », L’Homme, octobre-décembre 1980 (...)
  • 66 Livre de raison de la famille Perrin, op. cit.

86Comme dans la région voisine du Quercy, étudiée par Jean-Claude Sangoï, les parents établissent un ordre de nomination qui distingue d’abord les grands-parents, puis oncles et tantes64. Le respect de la symétrie des branches permet l’affirmation symbolique de l’égalité entre les deux lignées et consacre la bilatéralité du système de filiation65. Le choix endogamique des parrains et marraines ferme le clan, en apparence tout au moins. À l’intérieur de la parenté, la clôture est soulignée par l’attribution de qualités qui valorisent le lien charnel : ainsi, Étienne Perrin appelle-t-il Charles de Corneillan son « frère », alors qu’il n’est que son beau-frère et allié66.

87Le respect de l’ordre d’attribution souffre parfois quelques exceptions qui permettent de mettre en valeur tel ou tel personnage : parmi les parrains des enfants d’Etienne Perrin, Jacques de Corneillan, évêque de Rodez, prend la place du grand-père maternel décédé, alors qu’il n’est que le grand-oncle de son filleul. Mais sa position dans la ville et le diocèse en font le chef de famille incontesté de la branche utérine. Par ce parrainage, celui-ci est élevé au premier plan de la famille tout entière, devant le grand-père paternel qui parraine seulement le deuxième enfant. Les Corneillan, dont l’influence politique a été évoquée avec l’épisode de la Ligue, sont particulièrement honorés par le compérage masculin de trois des quatre premiers enfants d’Etienne. La place de la nomination dans l’ordre des naissances, mais aussi sa répétition peuvent distinguer tel membre au sein de la famille. Marie Perrin, sœur de Jacques et épouse de noble Mr de la Bessière, est marraine à deux reprises : son premier filleul, Pierre-Jacques, n’ayant vécu que quelques mois, Jacques renouvelle sa désignation pour montrer son attachement à sa sœur nommée trois ans plus tard marraine de François.

  • 67 B.N. Manuscrits N.A.F., 6187 et 4493, Livre de raison de la famille Guirbaldi.

88La règle de la distribution hiérarchisée et symétrique des parrainages se détend après le quatrième ou cinquième enfant, comme si l’échelle d’honneur s’arrêtait aux premières naissances : ainsi les frères et sœurs aînés sont-ils désignés comme parrain et marraine des petits derniers, ou bien encore ne respecte-t-on plus la parité des lignages, parce que celle-ci n’a plus d’importance pour Valentin, ultime fils d’Etienne. Dans la famille Guirbaldi, valets et servantes sont élevés au rang de parrain et marraine des derniers enfants, geste qui souligne à la fois l’intégration de la domesticité au sein de la famille – qui retrouve ici son sens antique – et le peu de sens, sinon affectif, donné à ce type de nomination67. La qualité de parrain et marraine est donc avant tout une marque d’honneur pour les premières naissances du couple.

89L’importance du respect des règles apparaît dans les conflits issus de leur violation. Raymond d’Austry en donne plusieurs exemples dans son livre de raison, au demeurant fort intéressants pour l’histoire des relations fraternelles. À propos de la naissance d’Anselme Frézals, son neveu, Raymond écrit :

  • 68 AUSTRY, 29.

« Plus, sera mémoire que, le 7 juing 1578, ma sœur Anne d’Austry, feist un enffent, son premier. Et feist parrain Ansel Fresal, son beau pere et madonne de Mainart marrine [sa petite cousine]. Et feist grand tort a ses belles sœurz, de mon frere aisné et ma fame »68.

90Deux ans plus tard, son frère Géraud donne la réplique à Anne en nommant Monsieur de Bosignac – c’est-à-dire un membre de la famille Masnau – et Anne de Mainard, toujours elle, parrain et marraine de sa fille Anne, au grand dam de Raymond qui réagit vivement contre cette déviance :

  • 69 Ibid., 30.

« ses cosin et cosine fesant grant tort a ses frere et sœur naturelz, gens de bien et desquelz il recoibt beaucoup d’honeur en la fraternité »69.

  • 70 Ibid., 15. Le partage a lieu le 10 juin 1574, quatre ans avant la naissance d’Anselme.
  • 71 FINE (A.), Parrains, marraines, la parenté spirituelle en Europe, Paris, Fayard, 1994. Dans les soc (...)

91Les raisons de ce remue-ménage sont à rechercher dans le conflit né de la succession des parents de Raymond d’Austry. Le partage s’est fort mal passé entre les enfants, à cause de l’aîné Géraud qui « nous traicta fort inhumenement ; et nous n’estions pas aussy fort paisibles »70. Le parrainage offre ainsi l’occasion de régler ses comptes avec un frère trop gourmand, imbu de son droit d’aînesse. En négligeant de le nommer parrain, Anne lui signifie sa rancune. Géraud rend coup pour coup et indispose également ses frère et sœur en nommant des cousins à leur place. Lorsque la discorde prend fin, les frères et sœur Austry s’échangent à nouveau le parrainage, en signe d’apaisement71. La transgression des règles de compérage démontre son importance dans la représentation taxinomique des honneurs à l’intérieur du clan.

  • 72 KLAPISCH-ZUBER (C.), La maison et le nom. Stratégies et rituels dans l’Italie de la Renaissance, Pa (...)
  • 73 FINE (A.), op. cit., p. 128 : « Là, il s’agit d’étendre les liens parentaux au-delà du cercle de fa (...)
  • 74 Laurent Macte épouse Françoise d’Austry le 3 juillet 1569 ; celle-ci meurt le 15 octobre suivant ou (...)

92Quelle structure familiale le parrainage contribue-t-il à édifier ? Clan fermé ou clan élargi ? À propos du cas florentin, Christiane Klapisch-Zuber, qui a noté l’exogamie totale du compérage et la distinction nette entre parenté charnelle et spirituelle, souligne « l’impressionnante résistance des structures de parenté à ce qui pourrait entamer leur patrimoine moral et symbolique »72. Le comportement diamétralement opposé des Ruthénois pourrait nous amener à des conclusions paradoxalement très voisines : en refusant l’intrusion d’éléments étrangers, la famille se préserve de toute modification des rapports de parenté et des valeurs à transmettre. Or, si l’on regarde de plus près le système du compérage patricien, le choix endogamique des parrains n’obture pas le cercle de famille, car l’insertion de membres extérieurs est permise, grâce au concours des familles alliées. Les beaux-frères et belles-sœurs des parents naturels de l’enfant sont très fréquemment sollicités et apportent non seulement leur contribution, mais celle de leur clan d’origine. Le lien parrain/filleul, loin d’être conçu comme une relation dyadique de l’adulte à l’enfant, noue en fait une boucle supplémentaire qui consolide des connexions précédemment établies par le mariage73. Ce lien est autonome puisqu’il peut survivre à l’extinction de l’alliance matrimoniale : Raymond d’Austry demande à Laurent Macte, son ami et beau-frère médecin, d’être le parrain de son fils Laurent, alors que celui-ci a perdu très tôt son épouse, Françoise d’Austry, et s’est remarié depuis74. Le parrainage peut même dans certains cas se substituer à une alliance qui n’a pas eu lieu :

  • 75 AUSTRY, 210.

« L’an mil six cens & ung et le samedi, entre six & sept heures de soir, troisyeme jour du moys de febvrier, jour de St Blese au 30 jour de lune, au signe de aquarius, Hanry de Borbon, roy de France & de Navarre regnant, dans ma meson acquise de Jehanne de Cat, a la place de Bourg de Roudez, nasquit Cecille d’Austry, ma fille. Et, le dimenche, onzieme dud moys, estant parrin monsieur Me Jehan Le Noir, docteur, juge de Roudez et royal de Compierre, pere a feu Charles Le Noir, fiancé de ma filhe Anne, et marrine damoiselle Jehanne de Jueri, vefve a feu Mr Me Laurens Matti, docteur en medecine, jadis mari de feu Françoise d’Austry, ma sœur, feust baptisée a l’esglise catedralle Notre Dame de Roudez par Me Jehan Sever, de Rieupeyroux, recteur en lad. esglise. Dieu la face prosperer et vivre a son honeur et gloire en filhe et fame de bien. Amen »75.

93L’insertion de la famille Le Noir, qui deviendra la puissante famille Focras Le Noir, par le biais du parrainage, est une habile réparation de l’incident mortel qui a empêché l’alliance des deux familles. Quant à la marraine de Cécile, elle n’a aucun lien de parenté avec Raymond d’Austry ni avec sa femme, Antoinette Causse, mais elle est la seconde épouse de son ex-beau-frère, et à ce titre apporte le soutien des Jouéry au clan Austry, lien plus tard consolidé par le mariage de Cécile avec François Jouéry, neveu de sa marraine.

21 – Mariage et compérage entre les familles Austry et Jouéry

21 – Mariage et compérage entre les familles Austry et Jouéry
  • 76 DELMAS (J.), « Amis et amis charnels », Bulletin du cercle généalogique du Rouergue, janvier 1997, (...)

94Ainsi, la participation des parents alliés, beaux-frères, belles-sœurs, mais aussi cousins et cousines éloignés que Raymond d’Austry se plaît à qualifier de germains, ouvre le réseau familial à d’autres clans et permet de consolider et d’étendre des liens esquissés par les mariages. L’agrégation de parents au deuxième degré ou au-delà distingue parmi eux les amis dans les mailles de la toile, qualifiés d’« amis charnels »76. Ceux-ci, avec l’appui de leur parenté, se fondent alors dans le clan et contribuent à sa puissance.

  • 77 A.D.A., E 1438 : Marie Paraire, femme de Bertrand de Masnau, teste le 06 08 1614 devant le notaire (...)

95Quel est le rôle attribué aux parents spirituels au sein du clan ? Les relations qui les attachent à leur filleul semblent assez ténues et se limitent à quelques dons sous la forme d’« estrenes », comme le signale Raymond d’Austry à plusieurs reprises, ou encore de legs testamentaires77. Très exceptionnelles et d’autant plus belles sont les expressions affectueuses du lien de compérage :

  • 78 A.D.A., E 1819, testament de François Maynard, lieutenant principal d’Election, 15 12 1652, f. 40 e (...)

« Plus [François Maynard, lieutenant principal d’Election] a donné et légué au Sr François de Fraust, Sr de la Motte son beau-frère et filheul pour lequel il a eu tousjours de grande tendresse et affections sa bibliothèque »78.

96En fait, la mission des parrains et marraines est éminemment spirituelle : le don véritable prend la forme d’un bien symbolique, le prénom transmis par le parrain à l’enfant sous le contrôle des parents naturels.

97Dans la famille rouergate de l’époque moderne, c’est effectivement le parrain qui transmet son prénom à son filleul, et la marraine à sa filleule. Il en est ainsi dans presque tous les cas, comme nous avons pu l’observer pour les familles Perrin, Austry, Maynard, Sicard, et dans une moindre mesure Guirbaldi. Le parrain est investi d’une mission particulière, celle de transmettre un patrimoine spirituel aussitôt intégré à celui de la famille.

  • 79 KLAPISCH-ZUBER (C.), « Le nom refait », La maison et le nom, op. cit., p. 105. Voir également PEROU (...)

98Le clan devrait alors s’enrichir d’un petit nombre de prénoms importés par les compères au fil des ans. Or, la lecture des généalogies livre un stock pérenne de prénoms familiaux répétés à chaque génération. Comme le souligne Christiane Klapisch-Zuber à propos de la Toscane du XVe siècle, « les prénoms forment une sorte de patrimoine familial dont rien ne doit être négligé ou perdu. La "maison" idéale, qui inclut tous les membres vivants ou morts du lignage, peut être définie par l’ensemble des prénoms qu’à chaque génération les vivants réactivent »79. On retrouve par exemple les prénoms Jean et Hugues dans toutes les générations Maynard, celui de Valentin chez les Perrin, ou Amans chez les Hébrard. Les apports externes existent, comme Anselme, prénom de Frézals inclus dans la famille Austry, mais restent inférieurs en nombre aux prénoms traditionnels de la famille et souvent attachés aux derniers enfants du couple. Parfois même, pour éviter l’insertion trop brutale d’un nouveau prénom, le prénom composé honore les deux lignages dont l’enfant est issu : Valentin-Dalmas, fils de Jacques Perrin, reprend le prénom totémique de la famille et y accole celui de son parrain, jamais porté jusqu’à ce jour dans le clan. L’influence des prénoms de dévotion, tel Amans ou Dalmas, saints de la paroisse, sont intégrés depuis longtemps au stock familial. Le faible volume de chaque ensemble clanique et la forte répétition d’un petit nombre de prénoms – Jean, Antoine, Pierre, Guillaume, François, pour les garçons, et Marie, Jeanne, Marguerite, Catherine, pour les filles – facilitent la fusion des prénoms de compères et commères le plus souvent déjà portés par des membres de la famille d’accueil. Peut-être même peut-on envisager que le choix du parrain par les parents naturels dépend du prénom porté par ce dernier, et exclut toute nouvelle nomination trop étrangère à la tradition familiale.

99Ainsi, la parenté spirituelle contribue-t-elle à construire et hiérarchiser le clan : à l’intérieur de celui-ci, certains membres éloignés sont mis au premier plan, d’autres sont au contraire mis à l’écart de la famille, par désaffection, franche inimitié ou tout simplement à cause de la moindre capacité d’influence offerte en cadeau de parrainage. La transmission du prénom, bien symbolique patrimonial, conforte l’idée que la famille rouergate tient à sauvegarder son intégrité. Le parrain donne donc le plus souvent un prénom déjà porté par la famille, transmet une nouvelle nomination en fin de lignée, ou accepte de composer avec l’un des prénoms familiaux.

  • 80 KAISER (W.), op. cit., p. 162

100Comme l’a observé Wolfgang Kaiser pour Marseille, le patriciat ruthénois augmente par le parrainage « le potentiel d’une faction politique et renforce sa cohésion interne »80.

  • 81 PETIT-DUTAILLIS (Ch.), Les communes françaises, Paris, 1947, p. 801. DOUCET (R.), Les institutions (...)

101Trois cent vingt-cinq patronymes différents apparaissent sur les listes édilitaires ruthénoises. Aux XVIe et XVIIe siècles, le pouvoir urbain n’est donc pas confisqué par une caste, mais partagé entre le plus grand nombre des caps d’ostal capables d’accéder au consulat. L’ouverture de l’institution municipale contredit le postulat d’une oligarchie fermée qui verrouillerait hermétiquement les issues de la maison de ville81. Cependant, une analyse plus fine du renouvellement nous conduit à distinguer quatre-vingts lignages réellement consulaires, présents de façon durable au gouvernement municipal. Les autres, c’est-à-dire les trois quarts des noms, ne sont que des « météores » qui font nombre et permettent seulement l’apparence d’un respect de la lettre. Cette masse contredit le principe de confiscation, mais le renforce de fait. La présence numérique des « météores » combinée à leur absence pratique dans les instances de décision construisent un système dialectique de mise en valeur du groupe restreint de quatre-vingts lignages qui tiennent réellement la ville par la régularité de leur concours au premier rang.

102Comme avec un jeu de poupées russes, on peut encore ouvrir le milieu édilitaire et en extraire une matriochka plus petite de trente dynasties qui font du consulat une véritable « affaire de familles ». Pour ce groupe des « Trente », la charge municipale est un bien patrimonial à la fois réel et immatériel transmis à celui ou à ceux qui perpétuent l’ensemble des qualités déterminant la notoriété et la puissance de la famille. « Parents et alliés » se distribuent alors les rôles au sein du clan.

  • 82 CHALINE Q.P.), « Structures de sociabilité et stratégies familiales », in Aux sources de la puissan (...)

103Peut-on parler de « stratégies familiales » à propos des Trente ? La construction de la constellation sous la forme d’alliances concertées et consolidées par les liens de parenté spirituelle tendraient à montrer l’existence d’une volonté de monopoliser toutes les instances de pouvoir, y compris le pouvoir consulaire. Le réseau révèle d’ailleurs sa souplesse et ses capacités d’adaptation à l’évolution des rapports de force à l’intérieur de la ville, de la province, ou de l’État. Le groupe est capable de resserrer les rangs en temps de crise – il en est ainsi lors de la reprise en mains du consulat par les vieilles maisons marchandes au temps de la Ligue –, puis de modifier ses ramifications autour de familles officières rénovées, tandis que les lignages traditionnels quittent les branches charpentières au tournant du XVIe siècle. Le terme militaire de « stratégies » induit cependant l’idée par trop figée de plans de conquête et de calculs conscients et à long terme82. Blaise avait sans doute le désir de s’intégrer le plus vite possible au patriciat urbain, mais ses intentions dépassaient-elles la génération de ses enfants ? Toujours en quête de logique dans les destins familiaux, l’on oublie trop souvent de mesurer le degré d’incertitude qui caractérise les choix lignagers et affaiblit l’impact des stratégies : un fiancé décédé avant le mariage, une lignée sans postérité, et tous les plans s’effondrent jusqu’à l’élaboration de nouveaux projets.

104Pourquoi les bourgeois de Rodez se marient-ils entre eux ? Certainement par stratégie, pour conserver intacts ou accroître leur patrimoine et leur position. Mais aussi, et peut-être surtout, parce qu’il est naturel et simple de marier sa fille à celui que l’on côtoie tous les jours, ami, collègue, voisin, qui partage les mêmes intérêts, les mêmes soucis et nourrit les mêmes ambitions. Ce tout petit monde de la bourgeoisie ruthénoise s’est construit un « univers de gens de bien » que l’on va essayer de pénétrer afin de mieux connaître ces hommes qui ont tant aimé revêtir la robe rouge et noire du consulat.

Notes

2 A.D.A., G170, Statuts de la Cité par Bertrand de Chalençon, 1495, article 7. Traduction : « Item afin que les honneurs soient répartis entre tous les gens, habitants la Cité, le père qui était consul ne puisse élire son fils, ni le beau-père son gendre, nec econtra, ni le frère son frère, ni le beau-frère le beau-frère, ni, le cousin germain son cousin germain, ni ne seront point continués les honneurs entre eux afin que chacun sache que le consulat ne se transmet point par lignage ni affection de parenté mais selon l’ordre et police et pour le bien de la chose publique ».

3 GUIGNET (P.), op. cit., p. 318-344. RIGAUDIERE (A.), op. cit., p. 162. SAUPIN (G.), Nantes au XVIIe siècle. Vie politique et société urbaine, Rennes, P.U.R., 1996, p. 345-376.

4 Voir les travaux de W.H. R. RIVERS, A. R. RADCLIFFE-BROWN et M. FORTES.

5 LÉVI-STRAUSS (Cl.), Les structures élémentaires de la parenté, Paris, 1949, reéd.. Mouton, 1971. COPPET (D. de), « Les systèmes de parenté », Encyclopedia Universalis, vol. 17, p. 496-501.

6 Voir supra, chapitre 2.

7 L’orthographe variable des noms propres cache également des homonymes de même lignée : les Juéry sont les Jouéry, les Neufvéglise sont les Novéglise, les Focras sont les Foucras etc. L’harmonisation de leur transcription a été nécessaire pour la construction des documents statistiques. Quant au fil du discours, nous avons laissé vivre les variantes, dans la mesure du possible.

8 Philippe Guignet et Guy Saupin ont procédé de la même manière. Guy Saupin note pour Nantes : « Avec les registres paroissiaux, spécialement ceux du XVIe siècle, qu’on aimerait plus bavards, il est souvent impossible de prouver des liens de parenté proche et effective .../...
entre deux notables municipaux car la répétition des mêmes prénoms choisis dans un registre restreint complique nettement la situation et les preuves manquent rapidement si le rattachement à la souche centrale remonte trop loin vers le XVe siècle. On est donc réduit devant les déficiences des sources à risquer le postulat d’une parenté hypothétique sur la seule base de l’ancienneté du patronyme à Nantes ». SAUPIN (G.), op. cit., p. 349-350.

9 La différence du nombre de charges, 626 contre 656, tient au surnombre d’incidents d’élection en Cité qui pousse les édiles à prolonger d’un an leur magistrature ou bien à ne pas nommer de consul à tel ou tel rang, généralement les derniers.

10 Plus populaire, le Bourg comporte moins d’individus rompus aux affaires politiques. En outre, la Cité est un milieu plus favorable dans lequel les enjeux de pouvoir stimule l’activité publique et l’ambition.

11 SAUPIN (G.), op. cit., p. 350.

12 Voir infra, l’étude des réseaux de parenté.

13 Par exemple, un lignage A comportant quatre membres une seule fois consul dans leur vie est moins présent qu’un lignage B dont les deux membres comptent trois et cinq mandats.

14 31 en Bourg et 41 en Cité pour le deuxième rang ; 32 en Bourg et 41 en Cité pour le troisième.

15 La mention B signifie que le lignage est originaire du Bourg, C de la Cité ; BC signale que le premier membre de la lignée a commencé en Bourg, CB en Cité. Ces données spatiales s’inscrivent dans les limites temporelles de la période étudiée (1500-1670) et peuvent être éventuellement modifiées si l’on considère le temps long du consulat (XIIIe-XVIIIe siècle), voir infra.

16 LESTOCQUOY (J.), Les villes de Flandre et d’Italie, sous le gouvernement des patriciens (XIe-XVe siècles), op. cit., p. 178.

17 Ces lignages refusés par les calculs statistiques sont les suivants, par ordre d’importance décroissant : Dumas, Vedel, Boyssière, Parayre, Focras, Lagorrée, Lavernhe, Guillermy, Sabatery, Gibron, Boyer, Pétri.

18 Un coefficient de 0,5 reconnaîtrait une année de présence pour deux années de gravitation. Pour Guy Saupin, on peut considérer comme faisant partie de l’oligarchie toute famille à partir du coefficient 0,2, c’est-à-dire pour une année d’exercice consulaire sur cinq années de gravitation. SAUPIN (G.), op. cit., p. 372.

19 GUIGNET (P.), « Permanences et renouvellement des oligarchies municipales à Lille et Valenciennes – de Louis XIV à la Révolution – », Pouvoir, ville et société, colloque de Strasbourg, 1983, op. cit., p. 203-216.

20 Lorsque près d’un siècle sépare deux nominations en amont (XIVe et XVe siècles) dans un lignage peu étoffé, nous avons retenu la date la plus proche de la première nomination dans la période considérée. Par exemple : la famille Celles (3 consuls) est signalée pour la première fois en Cité en 1298 et ensuite seulement en 1401. Nous avons donc conservé la date de 1401, plus proche de 1503, date de première apparition du nom dans la période 1500-1670.

21 La longévité moyenne de ces dynasties est exactement de 201 années.

22 Ici se trouvent rassemblés les lignages dont certains membres ont figuré au premier rang sur les listes consulaires, à l’instar des Trente, mais qui ne réunissent pas l’ensemble des quatre conditions pour faire partie du groupe de tête.

23 « Même les familles qui ne sont pas simplement de passage ne durent guère plus d’un siècle ». GUIGNET (Ph.), Le pouvoir dans la ville, op. cit. p. 341. Pour Nantes, voir SAUPIN (G.), op. cit., p. 364.

24 BOUSQUET (J.) éd., Enquête sur les commodités du Rouergue en 1552, op. cit., p. 155-156.

25 LASLETT (P.), « La parenté en chiffres », A.E.S.C., janvier-février 1988, n° 1, p. 5.

26 Je remercie les généalogistes ruthénois, et parmi eux particulièrement l’historien Henry Creyx, de m’avoir guidée sur les sentiers bordés d’arbres généalogiques superbes. Sans eux, l’historien de la famille n’est rien. MOUYSSET (S.), « Étude prosopographique des consuls de Rodez aux XVIe et XVIIe siècles : plaidoyer pour une entraide amicale entre généalogistes et historiens », Bulletin du cercle généalogique du Rouergue, Janvier 1996, n° 15, p. 21-28.

27 GUIGNET (Ph.), Le pouvoir dans la ville, op. cit. p. 362.

28 Voir supra, document n° 8.

29 Par son mariage avec Astrugue Albrac, Jean Mainard devient propriétaire de l’hôtellerie de Lale qui appartenait jusque-là à Dorde Albrac, son beau-père.

30 A.D.A., E 1621.

31 A.D.A., E 1623 et E 1621.

32 Les lignages Nattes (branche non noble) et Martin sont très présents à la maison commune du Bourg, nommés 21 et 26 fois au XVe siècle.

33 A.D.A., E1660.

34 A.D.A., E 1196.

35 AUSTRY 203. Raymond d’Austry fait de Jean un marchand, car il est vrai qu’il a exercé le commerce avant d’acheter la charge de receveur des tailles du Haut Rouergue.

36 A.D.A., 2E 212 CC 156 Bourg. Comptes de l’année 1617.

37 A.D.A., E 668, E 1574, E 1790. Désormais, le sénéchal de Rouergue exercera également les fonctions de sénéchal de Rodez. On pourrait disserter également sur « orgueil et ambitions » des Focras et des Rodat, l’un fils de secrétaire de la chambre du roi, et l’autre futur président du présidial.

38 LEMPEREUR (L.) éd., État du diocèse de Rodez en 1771, Rodez, 1906, p. 443.

39 A.D.A., E 1982.

40 A.D.A., 2E 212 BB9 Bourg, f. 115v et s., 25 et 27 novembre 1576.

41 Voir supra, chapitre 2 et 6.

42 Voir infra, chapitre 8.

43 Le livre de raison de la famille Perrin est rempli de ces marques d’orgueil familial, op. cit.

44 BOY (D.), « Origine sociale et comportement politique », Revue française de Sociologie, t. 19, n° 1, 1978, p. 98.

45 Dans la deuxième génération des Aulhou, c’est Barthélémy et non Hugues qui devient consul après son père Pierre. Dans la troisième génération des May, Guillaume, licencié en droit n’est pas consul.

46 LANDÈS-MALLET (A.-M.), La famille en Rouergue au Moyen Âge, Étude de la pratique notariale, Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 1985, p. 266.

47 LANDÈS-MALLET (A.-M.), op. cit., p. 269.

48 Tous deux sont morts sans laisser de postérité semble-t-il.

49 Voir supra, chapitre 6.

50 Une lettre de Charles d’Estaing à son frère Joachim évêque de Clermont lors des États de Rouergue en 1649 invite ce dernier à « avoir un particulier soin que la baronnie de Landorre ne sorte pas de la maison ; vous avez M. d’Arpajon, M. le Comte de Caylus et M. d’Austry qui ont grande envie sur cette baronnie de Landorre, lesquels n’épargneront or, argent, ni artifices pour l’emporter, que si l’un ou l’autre la peuvent avoir, vous pouvez dire que notre maison est foutue... ». Fonds privé Sahut d’Izarn. SAHUT d’IZARN, op. cit., p. 193-194.

51 Les biens de son oncle, Jean V d’Armagnac, ont été confisqués par Louis XI, et celui-ci fut massacré à Lectoure par l’armée royale en 1472. Sur le rôle de Pierre, fils naturel de Charles, voir Antoine BONAL, Histoire des Évêques de Rodez, Rodez, 1838, tome 2 p. 433 et s.

52 Manuscrit sur la famille Sicard composé par l’un des proches alliés de la famille au XVIIIe siècle, fonds Bouzat, Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron.

53 Ibid.

54 Les Mayres sont en effet officiers comtaux de père en fils depuis Pierre, secrétaire du comte d’Armagnac (1387). Ils sont alliés aux Vigoureux, aux Nattes, ou encore aux Cayssials.

55 A.D.A., 2E 212 GG49 Bourg.

56 A.D.A., E 1542. Contrat de mariage passé devant Guillaume Moysset, le 31 mars 1556.

57 A.D.A., E 1966. Un acte retenu par le notaire Moysset, en novembre 1576, énumère les marchandises vendues dans la boutique de Nicolas Sicard, à propos d’une dette impayée par un mari désolé des frivolités de sa défunte épouse : le sieur de Vennac acquitte la somme de 943 livres pour « les abilhemens de damoiselle Claude de fredauld sa feu famme ne feust en draps de soye tœlle d’or et passemens d’or », mais refuse de régler le complément de la note totale de 1380 livres 10 sols.

58 POURCHER (Y.), « La parenté au cœur du traditionalisme politique : l’exemple de la Lozère », in Aux sources de la puissance, Sociabilité et parenté, colloque de Rouen 12-13 novembre 1987, textes réunis par Françoise Thélamon, Publications de l’Université de Rouen, n° 148, Paris, CNRS, 1988, p. 216.

59 Cette Catherine, fille de Jean-Jacques (V), auteur de la deuxième branche de Rodez, ne figure pas sur l’arbre généalogique présenté, faute de place.

60 L’un des rejetons de la famille, Jean-Amans, prêtre de Cadayrac malgré lui, a rédigé son « journal d’un curé de campagne », dans lequel il raconte sa vocation manquée, ses maux de tête et sa vie gâchée : malmené par les troubles de la Révolution, condamné à la déportation en Guyane et resté à quai en Charente, interné plusieurs fois, finalement renvoyé à ses ouailles contre son gré, il finit ses jours traqué par la maladie et les regrets.

61 GOUBERT (P.), Familles marchandes sous l’Ancien Régime : les Danse et les Motte, de Beauvais, Paris, S.E.V.P.E.N., 1959, p. 17.

62 Anne-Marie LANDÈS-MALLET assimile le contrat de mariage rouergat du Moyen Âge à une « véritable charte entre deux clans ». op. cit., p. 62. A.D.A., E 1585.

63 VINCENT-BUFFAULT (A.), L’exercice de l’amitié. Pour une histoire des pratiques amicales aux XVIIIe et XIXe siècles, Paris, Seuil, 1995, p. 9.

64 SANGOÏ (J. Cl.), « La transmission d’un bien symbolique, le prénom », Terrain, mars 1985, n° 4, p. 70. « Transmission des prénoms et reproduction sociale en Bas-Quercy, XVIIIe-XIXe siècles », Annales de Démographie Historique, 1987, p. 263-293. « La prénomination en Bas-Quercy (XVIIIe-XIXe siècles) », Annales de Démographie Historique, 1988, n° 51, p. 22-44. « Forename, family and society in south west France (18th-19th century) », article à paraître dans le Journal of Modern History. Je remercie l’auteur de m’avoir permis la consultation de ce dernier article et souhaite poursuivre avec lui le dialogue comparatif et diachronique entre Rouergue et Quercy.

65 FINE (A.), « Transmission des prénoms et parenté en Pays-de-Sault », L’Homme, octobre-décembre 1980, XX, n° 4, p. 109-125.

66 Livre de raison de la famille Perrin, op. cit.

67 B.N. Manuscrits N.A.F., 6187 et 4493, Livre de raison de la famille Guirbaldi.

68 AUSTRY, 29.

69 Ibid., 30.

70 Ibid., 15. Le partage a lieu le 10 juin 1574, quatre ans avant la naissance d’Anselme.

71 FINE (A.), Parrains, marraines, la parenté spirituelle en Europe, Paris, Fayard, 1994. Dans les sociétés à vendetta, parrainage et mariage « constituent un des moyens pour arrêter le cycle des vengeances de sang entre deux familles », ibid., p. 128.

72 KLAPISCH-ZUBER (C.), La maison et le nom. Stratégies et rituels dans l’Italie de la Renaissance, Paris, E.H.E.S.S., 1990, p. 122.

73 FINE (A.), op. cit., p. 128 : « Là, il s’agit d’étendre les liens parentaux au-delà du cercle de famille. Le compérage se rapproche alors des liens créés par le mariage. Les deux institutions créent des liens de solidarité, de paix et d’échanges économiques entre groupes ».

74 Laurent Macte épouse Françoise d’Austry le 3 juillet 1569 ; celle-ci meurt le 15 octobre suivant ou le quatre novembre (deux mentions dans le livre de raison de son frère !). AUSTRY, 1,7,143, 196.

75 AUSTRY, 210.

76 DELMAS (J.), « Amis et amis charnels », Bulletin du cercle généalogique du Rouergue, janvier 1997, n° 19, p. 6-8. TURLAN (J.M.), « Amis et amis charnels d’après les actes du Parlement au XIVe siècle », Revue Historique du droit français et étranger, n° 4, 1969, p. 645-698.

77 A.D.A., E 1438 : Marie Paraire, femme de Bertrand de Masnau, teste le 06 08 1614 devant le notaire Besset et lègue 100 livres à sa filleule Marie de Nogaret, « quand ce mariera ou quand ce feroict religieuze ».
A.D.A., 71 J, Antoine Focras, marchand lègue à Antoine, son filleul – et petit-fils – « 200£ quand sera en leaige de 25 ans et si cas estoit qu’il n’eust d’enfant légitime » le legs sera rendu à Guillaume, son père.

78 A.D.A., E 1819, testament de François Maynard, lieutenant principal d’Election, 15 12 1652, f. 40 et s.

79 KLAPISCH-ZUBER (C.), « Le nom refait », La maison et le nom, op. cit., p. 105. Voir également PEROU AS (L.), BARRIERE (B.), BOUTIER (J.), Léonard, Marie, Jean et les autres. Les prénoms en Limousin depuis un millénaire, Paris, 1984.

80 KAISER (W.), op. cit., p. 162

81 PETIT-DUTAILLIS (Ch.), Les communes françaises, Paris, 1947, p. 801. DOUCET (R.), Les institutions de la France au XVIe siècle, Paris, 1948, tome 1, p. 363. RIVET (B.), Une ville au XVIe siècle : Le Puy-en-Velay, 1988, p. 267-294.

82 CHALINE Q.P.), « Structures de sociabilité et stratégies familiales », in Aux sources de la puissance : sociabilité et parenté, Actes du colloque de Rouen 12-13 novembre 1987, Publications de l’Université de Rouen, C.N.R.S., 1988, p. 127-134.

Table des illustrations

Titre 2 – Nombre de consuls par lignage du Bourg et de la Cité (1500-1670)
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Titre 3 – Typologie des lignages consulaires de Bourg et Cité d’après le nombre de consuls
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Titre 4 – Typologie des lignages selon le nombre de nominations au consulat
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Titre 5 – Nombre de nominations par consul
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Titre 6 – Typologie des lignages selon le meilleur rang de leurs membres
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Titre 7 – Rappel des critères successifs de définition des « lignages patriciens »
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Titre 9 – Présence des « Trente » dans l’orbite consulaire du XIIIe au XVIIIe siècle
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Titre 12 -Typologie des 325 lignages selon leur temps de gravitation autour du consulat
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Titre 13 -Temps de gravitation des 325 lignages selon le rang le plus élevé de leurs membres
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Titre 15 – La constellation des « Trente », toile des alliances matrimoniales du consulat de Rodez
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Titre 16 – Généalogie simplifiée des Maynard, Hôtes de Lale (Bourg)
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Titre 17 – Nombre de consuls du clan Maynard de 1434 à 1654
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Titre 18 – La transmission de la charge consulaire de père en fils
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Titre 19 – Généalogie simplifiée de la famille Sicard, bourgeois de Rodez et serviteurs de Dieu
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Titre 20 – Parrains et marraines des enfants d’Etienne et de son fils Jacques PERRIN
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Titre 21 – Mariage et compérage entre les familles Austry et Jouéry
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