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Dissidences en Occident des débuts du christianisme au XXe siècle

 | 
Jean-Pierre Albert
, 
Anne Brenon
, 
Pilar Jiménez

Seconde partie. Hérétiques, incroyants, insoumis : du religieux au politique

Simone Weil : un goût pour l’hérésie ?

Florence De Lussy

Texte intégral

1On serait vivement tenté de voir dans la personne de la philosophe Simone Weil le modèle de l’« hérétique », à savoir le type le plus parfait (au sens de « complet ») de cette attitude de celui qui – conformément à l’étymologie du mot grec qui signifie choix – ne prend pas son parti des opinions et comportements communément professés et répandus. Le terme doit par conséquent être pris dans son sens le plus large, englobant les notions-sœurs de dissidence, révolte, insoumission, indignation… L’esprit de Simone Weil visait naturellement à l’universalité ; glissant sans effort d’un domaine à l’autre de la connaissance et intégrant les angles de visée les plus divers, son mode de pensée va dans le sens de la pluridisciplinarité.

2Sans surprise, mon propos va se dérouler en trois temps : j’évoquerai d’abord les bases philosophiques de cette attitude, puis les applications de celles-ci aux domaines politiques et religieux, l’affaire cathare cristallisant le tout en en concentrant les différents aspects. Je procéderai par grandes enjambées : outre l’immensité du spectre à parcourir, la brièveté de la vie de notre héroïne et le mode particulier de sa pensée qui procède par éclats imposent en quelque sorte un survol en altitude.

3On s’arrêtera cependant un instant dans un premier temps sur les caractéristiques d’une « psyché » qui autorisa une fixation sur des points capitaux d’une position philosophique et on consacrera une ultime partie à l’émergence d’une problématique supérieure mettant en couple les thèmes de l’obéissance et de la liberté.

Les caractéristiques d’une « psyché »

4Les éléments les plus voyants de cette posture foncière sont bien connus. La figure de Simone Weil donne libre accès à la caricature. On relève en effet chez elle, dès son plus jeune âge, des éléments de comportement outranciers et même violents. Ses amis ont souligné ses façons garçonnières, ses manières parfois brutales. L’ironie est souvent cinglante ; les reparties versent volontiers dans l’insolence. Ces divers éléments se rapportent quasi tous à un refus des conventions sociales touchant à la fois son milieu (de moyenne bourgeoisie) et son sexe. Son refus de la féminité (qui n’est pas un antiféminisme) est le signe le plus éclatant de cette tendance à la non-conformité. Fâchée d’être née femme, elle décida au sortir de l’adolescence de nier sa féminité purement et simplement, c’est-à-dire de n’en tenir aucun compte. Elle appliqua ce principe avec la dernière rigueur, et ce n’est pas là la moindre de ses originalités. Cependant la thématique entr’ouverte ici est si vaste et suscite des questions si nombreuses qu’elle ne saurait, sans empiéter lourdement sur le reste, être traitée. La capacité d’indignation qu’elle possédait suprêmement et qui la mit aux premières loges des combats de la classe ouvrière avec des actions d’éclat au moment des grandes grèves de 1936, ne saurait non plus faire ici l’objet de développements. Bien que le thème soit prégnant, cela brille trop fort et nos remarques risqueraient de verser dans l’anecdote.

  • 1 Histoire de Dieu dans ma vie. Souvenirs choisis, Fayard/Mame, 1978, p. 450.

5Néanmoins de cette capacité d’indignation nous retiendrons le substrat d’acharnement. En fille d’Abraham, elle s’obstinait sur le moindre détail et ne lâchait pas. Je fais ici allusion à des réflexions de Stanislas Fumet qui eut l’occasion de la rencontrer à Marseille durant la guerre et eut à souffrir de l’intransigeance de la philosophe1.

Les bases philosophiques de cette posture – L’enseignement d’Alain

6L’enseignement d’Alain, dont la jeune Simone Weil suivit avec délectation les cours en première supérieure et en khâgne au lycée Henri-IV, fixa durablement les tendances naturelles d’un esprit qui était en quelque sorte né dans la dissidence. Parmi les principes inculqués par Alain à ses élèves, on retiendra les points suivants :

  • Tout d’abord l’autonomie absolue de la pensée, c’est-à-dire une liberté absolue de cette dernière dans son exercice. Ce point sur lequel elle ne cédera jamais fut à l’origine de ses difficultés avec l’Église, comme on le verra.

    • 2 Concluant ainsi : « je considère une certaine suspension du jugement à l’égard de toutes les pensée (...)

    Un second principe découle naturellement du premier, à savoir l’exercice systématique du doute, lequel consiste à suspendre le jugement à l’égard de toutes les pensées. L’esprit n’est libre que s’il se maintient dans une posture critique, c’est-à-dire réactive et prompte à réfuter. La marque de la santé de l’esprit réside dans cette propension à la contradiction. Ce principe s’imprima si profondément dans l’esprit de Simone Weil qu’on le retrouve en ouverture de sa Lettre à un religieux d’octobre 1942, où toute opinion doit, selon elle, quel que soit son degré de probabilité ou de certitude, être accompagnée d’un point d’interrogation2.

  • Cette tendance rebelle de l’esprit mène à un troisième principe qui est le refus de toute forme d’oppression ou d’étouffement des esprits. Un esprit libre refuse la servilité.

7C’est là rejoindre cette doctrine de la suréminence de l’individu sur le groupe dont Alain développa inlassablement les différents registres et dont Simone Weil s’empara à son tour non sans ivresse. Les échos des propos d’Alain sur ce thème se retrouvent partout dans son œuvre et cela jusqu’aux derniers jours, nourrissant le combat « spirituel » qui fut la grande affaire de sa vie.

  • 3 Voir l’édition Climats, 2006, édition qui donne en annexe les pages d’Alain, p. 75 et 77.
  • 4 Ibid., p. 35. Gérard Genette, qui un temps appartint au PC, ne dit pas autre chose dans son Bardadr (...)

8L’exemple le plus éclatant de la subordination des individus à la collectivité est donné dans la constitution des partis en politique. Simone Weil consacra à ce thème l’un des plus brillants « papiers » de sa période londonienne, « Note sur la suppression générale des partis politiques », dont Alain, qui en eut connaissance, écrivit qu’il était « écrit avec le pic du terrassier », avec ses « phrases directes, instantes, frappant plusieurs fois au même point3 ». L’ironie est supérieure, et même cruelle, mais elle tombe juste : « La première fin, et, en dernière analyse, l’unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite4 ».

9Cette approche de la notion de parti qui fait se heurter en choc frontal l’individu et la collectivité opère notre transition et nous introduit dans le domaine de la politique. L’opposition devient celle du citoyen contre les pouvoirs qui donna son titre à un essai fameux d’Alain, dont Simone Weil avait, bien entendu, profondément assimilé la substance.

Application au domaine politique

10On aborde à présent un champ d’analyse amplement inventorié. Le terme générique de dissidence recouvre ici les notions de révoltes et rébellions contre toute oppression étatique.

11Nous nous proposons d’aborder succinctement les spéculations de Simone Weil sur ce thème avant d’inventorier quelques-uns de ses modèles, et anti-modèles, dont les noms régulièrement repris à titre d’exemples dans ses textes scandent l’œuvre tout entière.

a) Considérations théoriques

12Quelques thèmes et notions forment le tissu de cette réflexion. Voyons cela rapidement.

13• Le thème de la résistance aux impérialismes et totalitarismes est essentiellement guerrier. Le remarquable chez Simone Weil est qu’elle déplace le thème dont elle constitue un sous-ensemble, en l’englobant dans la notion plus large de colonisation. Pour elle, la colonisation est une catastrophe à la fois matérielle et spirituelle qui engendre la plaie du déracinement. Toute conquête, en effet, présente un double caractère : elle est d’abord annexion de territoires, puis destruction des valeurs qui forment le tissu vivant des zones annexées, provoquant par décomposition morale l’anéantissement de peuples et de communautés. Pour Simone Weil les méthodes de conquête d’Hitler ne sont pas différentes de celles qui furent mises en œuvre lors des conquêtes coloniales. N’oublions pas que l’essentiel de sa vie d’adulte se déroula aux abords et pendant la domination d’Hitler : la guerre – et cette guerre-là – est omniprésente dans sa pensée.

  • 5 Ces considérations doivent beaucoup à Valérie Gérard qui a assuré l’édition du volume collectif Sim (...)

14De plus, ce qui vaut pour une guerre d’annexion vaut mêmement pour l’emprise totalitaire. Une mainmise identique est à l’œuvre dans les deux cas selon un même régime de colonisation5.

  • 6 Dans L’Enracinement, S.W. a décliné ces communautés plus petites que la nation dont elle déplore la (...)

15• Le thème des « petites patries » s’impose en quelque sorte naturellement à Simone Weil en contrepartie de cet asservissement qui est le fruit des entreprises totalitaires. Elle entend par là toute organisation ou communauté de taille modeste, qu’il s’agisse de régions possédant autonomie et particularités ou de cités6. Elle use pour cela de l’appellation d’« organisation dispersée », citant à l’appui de cette thématique les « petites cités » du Moyen Âge et les « liens féodaux » en conclusion de son grand essai d’avant-guerre sur les origines de l’hitlérisme :

  • 7 O.C., vol. II, t. 3, p. 219. S.W. a à l’esprit les cités italiennes du Moyen Âge et la « civilisati (...)

Il y a deux espèces d’organisation dispersée que l’histoire nous permet de connaître assez bien, à savoir les petites cités et les liens féodaux. Aucune n’exclut la tyrannie ni la guerre, mais l’une et l’autre est plus féconde et plus favorable aux meilleures formes de la vie humaine que la centralisation subie par les hommes de l’époque romaine et par ceux de notre époque.7

16• Intervient ici le thème connexe (et qui nous conduit directement à ce pays d’Oc où nous nous trouvons présentement !) de l’esprit chevaleresque que le Moyen Âge connut sous la notion de vassalité et que Simone Weil mit mainte fois à l’honneur dans les pages qu’elle rédigea à Marseille (et déjà avant guerre…), au point de faire naître chez ses contempteurs l’accusation de réactionnaire… C’était mettre en avant le sens de la fidélité personnelle dans les rapports de subordination, par opposition à la subordination par la force où elle voit l’essentiel maléfice de l’État.

  • 8 Cf. ces propos extraits de Le Citoyen contre les pouvoirs, (Paris, Editions du Sagittaire/Simon Kra (...)

17• Sur le thème de l’essentiel maléfice de l’État qui engendre une sorte de « devoir de révolte », Simone Weil fut prolixe. Il compose la toile de fond de nombre de ses textes, en particulier son grand essai sur les origines de l’hitlérisme, et ses Cahiers fourmillent de considérations, adages et aphorismes plus ou moins « tonitruants » à ce sujet. La pensée de son maître Alain en est la source première et évidente8.

18Cette condamnation de l’État repose sur une triple prise de position dont l’expression « carrée » et quelque peu outrée pourrait relever du genre axiomatique.

  • 9 O.C., vol. II, t. 3, p. 215.

19– Premier axiome : « Tout État centralisé et souverain est conquérant et dictatorial en puissance, et devient tel en effet pour autant qu’il croit en avoir la force9. »

  • 10 O.C., vol. II, t. 3, p. 218.
  • 11 Cf. son opuscule La Notion de l’autorité (Gallimard, 2004, p. 68) (écrit en 1942), dans une visée n (...)
  • 12 À propos des conditions de la paix en 1919, dans le même opuscule (chapitre : « Réparer les réparat (...)

20Avec ce corollaire concernant les guerres justes : « La victoire de ceux qui défendent par les armes une cause juste n’est pas nécessairement une victoire juste ; une victoire est plus ou moins juste non pas en fonction de la cause qui a fait prendre les armes, mais en fonction de l’ordre qui s’établit une fois les armes déposées10. » Ce qui est confirmé à la fois par Kojève11 et par Alain12.

  • 13 O.C., vol. II, t. 3, p. 219.

21– Deuxième axiome, sur les nations dominées par un État : « Aussi longtemps que les hommes continueront à n’avoir entre eux d’autres liens que ceux qui passent par l’État, les États continueront systématiquement et périodiquement le massacre mutuel de leurs sujets…13 » Ces propos sont d’une impressionnante actualité !

  • 14 O.C., vol. II, t. 3, p. 217.

22– Troisième axiome sur l’éventualité de l’action d’une autorité qui dominerait les nations, à savoir un ordre international : celui-ci serait doué du pouvoir légitime (c’est-à-dire reconnu) de « dispenser en certains cas les citoyens et sujets d’un État du devoir d’obéissance envers cet État14 ». Là encore, le rapprochement avec la question de la Syrie et les efforts (impuissants) de l’ONU s’impose de lui-même ! !

23Avec ce corollaire qui déroule les conséquences d’une incapacité à agir de cette force d’intervention internationale : soit le triomphe d’un seul État et l’écrasement d’une multitude de peuples sous une nouvelle paix romaine, soit la destruction mutuelle des États dont les structures éclateraient. Qu’on relise l’histoire de notre Europe au cours de l’effrayant XXe siècle ! Et songeons à l’actuelle décomposition du Moyen Orient !

24La solution que préconise Simone Weil face à cet excès de centralisation, encore accentué par une tendance mondiale, qui semble irréversible, à la globalisation, est – on l’a vu – le retour à ce qu’elle a appelé des organisations dispersées, aux frontières non rigides et par là susceptibles de mouvements et d’échanges vivifiants.

b) Modèles et anti-modèles – Les exemples weiliens

25Simone Weil n’était pas historienne. Certes, elle lut copieusement et s’informa autant qu’il lui fut possible, mais à la manière des Weil (son frère le mathématicien l’engagea fortement dans cette voie), c’est-à-dire en ne recourant qu’aux mémoires originaux et en fuyant les synthèses déjà écrites. De plus, cette passion de lectures historiques n’occupa dans sa très courte vie que les trois années qui précédèrent la guerre, à savoir les années 1938-1940, lorsque, épuisée par les épreuves qu’elle avait traversées (ses guerroiements perpétuels contre l’oppression, son année d’usine, son engagement dans la guerre d’Espagne…), elle se mit en congé de l’enseignement.

26Le prisme de ses lectures est fortement clivé et dénote une partialité qui ne laisse pas de faire sursauter. Les méchants et les bons sont alignés sur des colonnes qui ne communiquent pas. Et l’on retrouve indéfiniment les mêmes noms et les mêmes faits.

27– Du côté « négatif », on trouvera, sur le plan collectif, Rome l’impérialiste et la romanité, synonyme d’étatisme brutal, exécrées par Simone Weil. La seconde partie de son grand essai, « Quelques réflexions sur les origines de l’hitlérisme », a pour titre « Hitler et la politique extérieure de la Rome antique ». Rome est du côté de la Bête. Rome est le mal.

  • 15 On renvoie à l’édition Flammarion, coll. « Champs », 2014.
  • 16 O.C., vol. IV, t. 2, p. 422.

28On ne s’étonnera pas dans ces conditions de trouver Richelieu en bonne place sur la liste des bêtes noires de la philosophe. Les chefs d’accusation s’accumulent sur cette figure célèbre dans l’ultime essai de Londres, L’Enracinement. Ils sont assenés avec une violence brutale : « Sauf erreur, la notion d’État comme objet de fidélité est apparue, pour la première fois en France et en Europe avec Richelieu15 » (p. 179). Simone Weil use des mots les plus violents, parlant d’une conception « déjà totalitaire », la monarchie ayant été remplacée, à partir de Richelieu « par une machine d’État à tendances totalitaires » (p. 181) ; et elle va jusqu’à invoquer le « crime d’idolâtrie » (p. 180). Et de continuer sur le même registre : « Son dévouement à l’État a déraciné la France. Sa politique était de tuer systématiquement toute vie spontanée dans le pays » (ibid.), ce qui signifiait déraciner les provinces françaises en détruisant la vie locale qui s’y épanouissait. Elle résumait ce procès contre le cardinal par ces mots : Cet « État inhumain, brutal, bureaucratique, policier, légué par Richelieu à Louis XIV » (p. 191-192) « a tué moralement tout ce qui était, territorialement parlant, plus petit que lui » (p. 186) ; ce qui était reprendre le propos de son texte de Marseille consacré à l’inspiration occitanienne, où elle évoque Richelieu qui, dans son travail d’unification a « tué en France tout ce qui n’était pas Paris16 ».

  • 17 L’Enracinement, op. cit., p. 189.
  • 18 Ibid., p. 179.
  • 19 Cf. Françoise Hildesheimer, Du Siècle d’or au Grand Siècle. L’État en France et en Espagne, XVIe-XV (...)

29On peut juger par là de l’importance pivotale des deux textes que Simone Weil donna au volume du Génie d’Oc coordonné par Les Cahiers du Sud, en particulier « L’agonie d’une civilisation vue à travers un poème épique » dans lequel l’anti-héros Simon de Montfort porte tout le poids de cette malédiction de l’usage de la force contre les valeurs de la pensée. L’homme est alors « relativement obscur et pauvre » et tranche avec l’éclatante supériorité intellectuelle de Richelieu dont Simone Weil loue « certaines observations […] si prodigieusement lucides17 » et « la clarté d’intelligence si fréquente à cette époque18 ». Mais si l’un est le bras armé de la traîtrise et l’un des principaux fauteurs du massacre d’une civilisation brillante, si l’autre est le génial concepteur d’une construction de l’État « qui fait sortir du religieux les domaines du droit et de la politique19 », et par conséquent initiateur de l’état moderne, les deux figures sont mêmement honnies.

30– Si nous voulons maintenant évoquer les figures que Simone Weil a dressées comme modèles, face aux anti-modèles, deux noms s’imposent d’eux-mêmes, deux figures de résistance à l’oppresseur, à savoir Lawrence d’Arabie et le général de Gaulle. C’est l’autre face de sa démonstration et les concepts qu’elle manie prennent l’exact contre-pied de ceux dont elle use pour fustiger ceux qu’elle couvre de son mépris.

  • 20 « Héros authentique et penseur lucide » pour S.W. qui allait jusqu’à voir en lui « une espèce de sa (...)
  • 21 O.C., IV 2, 409.
  • 22 « Réflexions sur la révolte », in Ecrits de Londres et dernières lettres, Paris, Gallimard, coll. « (...)

31Pour preuve : le nom de Thomas Edward Lawrence20 qui apparaît dans « L’agonie d’une civilisation… » est directement articulé à la démonstration, en tant que contre exemple, à propos de « cette conception qui – en pays d’oc – rend le serviteur égal au maître par une fidélité volontaire », « conception de la subordination semblable à celle que T. E. Lawrence a trouvée vivante en Arabie en 191721 ». C’était opposer la discipline requise dans une armée régulière, foule impersonnelle qui efface l’humanité de l’individu, et le dévouement au chef qui est le secret de toute armée irrégulière. Nous soulignons cet adjectif qui en somme peut qualifier toute forme de dissidence. De là une guerre de libération d’une tout autre nature, « série d’actions de guérilla contre les communications ennemies, actions préparées en secret, foudroyantes et réussissant par surprise22 », maintenant sauf l’esprit chevaleresque et soudant les combattants par des liens de solidarité qui décuplent l’efficacité de leurs actions.

32Celui qui aida les Arabes de Fayçal à se libérer du joug ottoman avait mis en œuvre une stratégie de révolte. En refusant l’armistice, le général de Gaulle, conteste une autorité prétendument légitime et entre dans l’illégalité. Avec ce coup d’éclat, on change de paradigme. Le phénomène de dissidence est ici porté au plus haut et ouvre un champ nouveau à la spéculation.

  • 23 L’Enracinement, op. cit., p. 241.
  • 24 Pour évoquer le duel Pétain/de Gaulle, Alexandre Kojève, dans son essai cité supra, La Notion d’aut (...)
  • 25 L’Enracinement, op. cit., p. 249.

33Tout l’effort d’analyse que Simone Weil va déployer dans ses textes de Londres, qu’il s’agisse, dans L’Enracinement, des pages consacrées à la notion de légitimité ou qu’il s’agisse du texte intitulé précisément « Légitimité du gouvernement provisoire », tourne autour de cette thématique. Ce sont des pages d’une grande force qui montrent qu’« il y a eu rupture de continuité dans [l’]histoire récente », et qu’en conséquence la légitimité « ne peut plus avoir un caractère historique ; elle doit procéder de la source éternelle de toute légitimité23 ». Dispensant les citoyens du devoir d’obéissance, la dissidence endosse ainsi une dimension quasi sacrée. En assumant avec panache ce rôle inédit, de Gaulle a montré qu’il avait l’étoffe d’un héros24. De cela Simone Weil ne disconvenait pas. Cependant il n’est cité qu’une seule fois dans L’Enracinement. Le raisonnement de la philosophe est le suivant : s’il joue le rôle du prince en ces circonstances dramatique, son poids et sa fonction sont d’être un symbole, « le symbole de la fidélité de la France à elle-même, concentrée un moment en lui presque seul25 ». Mais l’exercice du pouvoir provisoire « implique la renonciation à une carrière politique ultérieure ». Or les luttes menées en interne à Londres, les événements d’Alger, les manœuvres en vue du pouvoir et la guerre des chefs qui faisait rage n’ont cessé de lui démontrer les ambitions politiques du général. Cela permet de comprendre pourquoi Simone Weil rompit violemment avec les activités de la France combattante et la lettre de démission qu’elle adressa à son supérieur direct, François-Louis Closon le 26 juillet 1943 quelques semaines avant de mourir.

34Toutes ces postures et tous ces actes, tels que nous les avons présentés jusqu’à présent relèvent finalement d’un principe unique – noyau dur de la « dissidence » en tant que telle –, à savoir un refus de mise sous tutelle que résume cette injonction que la philosophe inscrivit en conclusion de son « grand œuvre » de 1934, demandant que l’on réagisse « contre la subordination de l’individu à la collectivité ». Le vocabulaire s’est focalisé sur deux termes : celui de « révolte » et – sur un plan plus abstrait et d’ordre spéculatif – celui d’« illégalité ».

Application au domaine religieux

35Le vocabulaire se fait ici technique. Pour les déviances et divergences doctrinales, on parlera d’hérésie. Mais si le vocabulaire se différencie quand on passe d’un domaine à l’autre, les principes que l’on retrouve à la base des théories et des discours sont identiques. N’intervient qu’une simple interversion des facteurs d’analyse. Ce que démontre supérieurement Ernst Kantorowicz dans son maître ouvrage, Les Deux Corps du Roi (Paris, Gallimard, 1989) :

Sous l’autorité du pape en tant que princeps et verus imperator, l’appareil hiérarchique de l’Église romaine […] montra une tendance à devenir le prototype parfait d’une monarchie absolue et rationnelle sur une base mystique, tandis que simultanément, l’État manifesta de plus en plus une tendance à devenir une quasi-Église, et, à bien des égards, une monarchie mystique sur une base rationnelle.

  • 26 Du Siècle d’or au Grand Siècle, op. cit., p. 82.

36Françoise Hildesheimer qui le cite parle à ce sujet d’« évolution mimétique » de l’Église et des États26.

37Ainsi, même modèle, même matrice pour l’Église et pour l’Empire ! Cette analyse eût ravi Simone Weil. Non seulement sa pensée allait dans ce sens, mais elle aggrava l’effet de mimétisme, resserrant les connexions jusqu’à établir une superposition pure et simple des phénomènes analysés. Comme le montre à l’envi ces deux paragraphes de la Lettre à un religieux, écrite à l’automne 1942 à New York, et dont le noyau d’hérésie, c’est-à-dire d’insoumission, se concentre sur le refus de la tutelle de l’Église :

  • 27 Lettre à un religieux, Gallimard, 1951, coll. « Espoir », p. 84.

Comment s’est accomplie cette collusion entre l’Église du Christ et la Bête ? Car la Bête de l’Apocalypse est presque sûrement l’Empire.
L’Empire romain était un régime totalitaire et grossièrement matérialiste, fondé sur l’adoration exclusive de l’État, comme le nazisme.27

  • 28 L’Enracinement, op. cit., p. 331.

38Quelques mois plus tard, à Londres, dans L’Enracinement, la violence des propos restera au même niveau, Simone Weil évoquant « l’obéissance à une Église armée de l’Inquisition et proposant une conception esclavagiste de Dieu28 ».

39Cette simplification outrancière qui est chez elle le fruit d’une vindicte acharnée est le reflet de son âme impérieuse, qui ne recule devant aucun éclat de parole. La Lettre à un religieux n’est qu’un interminable plaidoyer en faveur de l’attitude hérésiarque, c’est-à-dire contre l’étouffoir que représente toute orthodoxie. « C’est la première fois que je fais une liste de mes hérésies supposées », écrit-elle avec impertinence à ce religieux dans la première version de cette lettre.

  • 29 Au même moment dans le Cahier qu’elle tient alors (K16), S.W. dresse la liste des loci évangéliques (...)

40Elle fait de la secte des Samaritains, telle que la présente les évangiles29, la communauté-type à l’aune de laquelle elle juge et commente le fait hérétique, y compris l’hérésie des « bons hommes » en pays cathare, en posant l’équation suivante :

  • 30 Lettre à un religieux, op. cit., p. 42. S.W. reprend le même argument dans « Israël et les Gentils  (...)

Les Samaritains étaient à l’ancienne Loi ce que les hérétiques sont à l’Église. Les « Parfaits » cathares (entre autres) étaient à quantité de théologiens ce qu’est le Samaritain de la parabole au prêtre et au lévite30.

41Nous savons que Simone Weil avait été vivement attirée par les cathares et la doctrine qu’ils professaient ; nous savons aussi que la raison principale de cette attraction résidait dans le fait qu’ils refusaient le Dieu de la Bible, et que cette raison l’emportait sur leur refus de la tutelle romaine. La révolte contre une oppression « totalitaire » se double donc du refus d’un héritage qui gît au secret de cette âme religieuse tourmentée.

  • 31 D’esprit large et fort accueillant aux idées les plus diverses, le cardinal ne fut jamais inquiété, (...)
  • 32 La philosophie de Nicolas de Cues, Paris, Aubier, 1941.
  • 33 « qui n’était pas loin d’invoquer comme Erasme : saint Socrate », op. cit., p. 49, n. 51.
  • 34 O.C., vol. VI, t. 3, p. 393.

42Quoi qu’il en soit, elle consonait à tout ce qui dans l’histoire des religions se révélait « dissident », ou plus simplement « libéral » au sens d’un syncrétisme accueillant, allant dans le sens d’une église universelle. Avec quelle délectation, en effet, elle prit soin de relever en 1942, à propos de Nicolas de Cues31, au sein de la thèse que Maurice de Gandillac consacra à ce dernier et qui venait de paraître32, tout ce qui relevait d’une quelconque déviance doctrinale : elle note pêle-mêle les noms de saint Justin33, Abélard, Bernard Silvestre, Thierry de Chartres, Jean de Salisbury, David de Dinant, Amaury de Benes, Lulle, dont elle précise qu’il « veut ramener tout le monde dans l’Église », Maître Eckhart, Giordano Bruno, etc.34

43Pour cette philosophe si proche du catholicisme, le problème se posait essentiellement en termes disciplinaires. L’impossibilité pour elle de faire allégeance à une hiérarchie révèle à vif un tempérament d’insoumise.

  • 35 D’une façon plus révolutionnaire, S.W. fera entrer dans le camp mystique, c’est-à-dire, selon elle, (...)
  • 36 Attente de Dieu, Paris, Fayard, 1966, p. 22 et 29.

44Fort logiquement, Simone Weil se rangera dans le camp des mystiques contre celui des dogmatiques (même si elle reconnaît adhérer aux points principaux de la doctrine catholique)35. C’était l’assurance de conserver cette libre disposition de soi en quoi consistait l’inexpugnable trésor de sa personne. C’était aussi s’engager sur la pente de ce qu’on pourrait appeler un excès de soi. N’attend-elle pas de ressentir une impulsion irrésistible pour demander le baptême ? N’attend-elle pas d’avoir reçu directement un appel de Dieu36.

45Ce qu’on pourrait qualifier d’excessif ou d’intempérant, parce que trop violemment personnel, dans la posture qu’adopte Simone Weil face aux rigidités des Églises ne doit pas nous faire oublier la force et la rigueur de ses analyses, touchant non pas directement le problème de la dissidence mais la problématique englobante du couple obéissance/liberté. Derrière les opérations d’un esprit qui use du lance-flamme on découvre une pensée très profonde.

Émergence d’une problématique supérieure

46Avec l’émergence de cette problématique, l’esprit se trouve confronté au principe de réalité et contraint d’affiner ses analyses en usant de va-et-vient dialectiques. Où l’on retrouve le grand souffle et les plus hautes inspirations de la géniale philosophe.

  • 37 Voir Œuvres, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », p. 489-494.

47Un texte, court mais très dense de Simone Weil, datant du début de l’année 1938, nous mène d’un coup au plus haut. Il est intitulé « Méditation sur l’obéissance et la liberté37 ». Méditation, certes, mais soutenue par une démonstration toute de rigueur, qui se joue en trois temps :

  • 38 S.W. fait une exception pour la Révolution de 1789 dont les effets, non éteints, continuent de marq (...)
  • 39 S.W. reprend ici un propos de son maître Alain dans Le Citoyen contre les pouvoirs (op. cit., p. 15 (...)

48a) Sous l’effet d’une émotion vive et générale, il arrive que les foules soumises « cristallisent », suscitant l’unanimité. Mais le feu retombe vite. Simone Weil décrit avec un grand talent ce type de révoltes nées de ces moments d’ivresse : « À certains moments de l’histoire, un grand souffle passe sur les masses ; leurs respirations, leurs paroles, leurs mouvements se confondent. Alors rien ne leur résiste [etc.] » (p. 491). Ces révoltes sont de courte durée ; elles sont vouées à l’échec38 parce que cette unanimité « n’est compatible avec aucune action méthodique39 » (p. 492). C’est que l’on a affaire à une juxtaposition d’individus, c’est-à-dire à la faiblesse. Cette foule mue par la passion n’a pas de cohérence. Et Simone Weil de se référer aux événements de 36 qu’elle a partagés récemment. Le cours quotidien de la vie est momentanément suspendu, mais, bientôt, « la masse se dissout de nouveau en individus » et « la situation primitive, ou une situation équivalente, se rétablit peu à peu » (p. 492).

49b) La force révolutionnaire de la pensée (surtout si elle se trouve conjuguée à l’amour) constitue un danger social ; car « tout ce qu’il y a de plus haut dans la vie humaine, tout effort de penser, tout effort d’amour est corrosif pour l’ordre » ; c’est à juste titre que l’on peut leur reprocher de « tendre à détruire ce qui est sans rien construire à la place » (p. 493).

  • 40 Lettre à un religieux, op. cit., p. 88.

50Brassant hardiment les ères historiques, qu’il s’agisse des premiers siècles chrétiens et les sanglantes persécutions qui accompagnèrent les progrès de la nouvelle doctrine, ou qu’il s’agisse de la lutte que mena l’Inquisition contre les hérétiques, Simone Weil pousse son raisonnement, dans la Lettre à un religieux, jusqu’à ses dernières conséquences, laissant à penser que ces massacres étaient en quelque sorte justifiés : « Il est certain qu’une vague de désobéissance parmi les esclaves de l’Empire aurait fait crouler tout l’édifice au milieu d’affreux désordres40. »

51c) De cette confrontation en apparence insoluble entre obéissance et liberté, Simone Weil tire, sur le mode spéculatif, les conséquences suivantes : « La pensée peut aussi bien, à aussi juste titre, être flétrie comme révolutionnaire d’un côté, comme contre-révolutionnaire de l’autre », entendant par là que les entreprises qui tendent à bouleverser ou à transformer la société impliquent « la soumission du plus grand nombre au plus petit, le dédain des privilégiés pour la masse anonyme et le maniement du mensonge » (p. 493). Les exemples de ces dérives ne sont pas à rechercher loin. Pensons aux méfaits du soviétisme…

52Simone Weil se résout en conséquence à un douloureux compromis mettant en jeu dialectiquement des forces antinomiques, fondé sur une constatation, en forme d’adage, qui exprime le plus noir pessimisme : « L’ordre social, quoique nécessaire, est essentiellement mauvais, quel qu’il soit » (p. 494). D’autres ont pu, à sa suite, telle la philosophe Myriam Revault d’Allonnes, évoquer le « malheur de l’histoire »…

***

  • 41 Comment ne pas citer ce propos d’Alain donné dans le Bulletin de l’Association des Amis d’Alain, no(...)

53Ce ne serait pas trop forcer la note que de dire que Simone Weil était habitée par un penchant pour l’hérésie, quelle que soit la réalité que l’on met sous ce mot. C’était le climat naturel de son esprit. En termes nobles, on peut voir en elle une Antigone des temps modernes. Allons plus loin : elle était de tendance anarchiste et révolutionnaire41. Ce qu’Alain avait bien vu, lui qui applaudissait aux hauts faits du jeune professeur nommé au Puy, mais qui, quant à lui, se gardait bien de mettre ses actes en rapport avec ses propos et préférait souffler sur les braises de l’esprit de feu de son élève ! On peut voir dans cette tendance si fortement ancrée chez elle le signe d’une vitalité exceptionnelle réagissant aux consensus mous.

54Cependant s’en tenir à cette constatation serait simplifier à l’extrême une figure d’une grande complexité et que n’épargne aucun paradoxe. Paradoxe d’une rebelle qui poursuivit la vertu d’obéissance (une obéissance suprêmement active, bien entendu…), et qui tissa si serré la toile de fond de la nécessité qu’elle conclut, juste avant de mourir, son essai de L’Enracinement par une célébration de cet enserrement :

C’est une seule et même chose qui relativement à Dieu est Sagesse éternelle, relativement à l’univers parfaite obéissance, relativement à notre amour beauté, relativement à notre intelligence équilibre de relations nécessaires, relativement à notre chair force brutale.

55Simone Weil, « l’irrégulière », consentit à l’obéissance après avoir usé sa volonté. L’impatiente s’immobilisa.

Notes

1 Histoire de Dieu dans ma vie. Souvenirs choisis, Fayard/Mame, 1978, p. 450.

2 Concluant ainsi : « je considère une certaine suspension du jugement à l’égard de toutes les pensées quelles qu’elles soient, sans exception, comme constituant la vertu d’humilité dans le domaine de l’intelligence. » (Lettre à un religieux, Paris, Gallimard, coll. « Espoir », 1963, p. 11.)

3 Voir l’édition Climats, 2006, édition qui donne en annexe les pages d’Alain, p. 75 et 77.

4 Ibid., p. 35. Gérard Genette, qui un temps appartint au PC, ne dit pas autre chose dans son Bardadrac si savoureux. On soupçonne d’ailleurs qu’il a lu la « Note » de Simone Weil : « Tout parti politique est en grande part une machine autotélique, dont la fonction cardinale est de s’entretenir elle-même, par combustion interne. » (Paris, Seuil, « Points/essais », 2012, p. 408).

5 Ces considérations doivent beaucoup à Valérie Gérard qui a assuré l’édition du volume collectif Simone Weil, lectures politiques, Paris, Editions rue d’Ulm, 2011. Sa contribution dans ce volume porte le titre de « Contradictions du pouvoir politique ».

6 Dans L’Enracinement, S.W. a décliné ces communautés plus petites que la nation dont elle déplore la disparition : « … le village, la ville, la contrée, la province, la région, toutes les unités géographiques plus petites que la nation, ont presque cessé de compter » (Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2014, p. 165-166).

7 O.C., vol. II, t. 3, p. 219. S.W. a à l’esprit les cités italiennes du Moyen Âge et la « civilisation de la cité » qu’elle avait étudiée et admirée avant guerre, à travers son intérêt pour la pensée de Machiavel.

8 Cf. ces propos extraits de Le Citoyen contre les pouvoirs, (Paris, Editions du Sagittaire/Simon Kra, 1926, p. 87) qui en donne la définition suivante : « L’État […] non point une volonté, mais une effrayante machine. […] J’eus plus d’une fois l’occasion de remarquer par la suite la puissance de cette organisation mécanique, qui pousse les hommes comme des wagons. […] Ce tyran sans visage ne laisse jamais aucune espérance. »

9 O.C., vol. II, t. 3, p. 215.

10 O.C., vol. II, t. 3, p. 218.

11 Cf. son opuscule La Notion de l’autorité (Gallimard, 2004, p. 68) (écrit en 1942), dans une visée non pas morale mais strictement analytique, à propos de l’autorité du vainqueur : « Il va de soi que, pour qu’il y ait Autorité, le Vainqueur doit être ”reconnu” en tant que tel par le Vaincu, c’est-à-dire que le Vaincu doit ”reconnaître” sa défaite. Cf. le slogan allemand ”im Felde unbesiegt”, qui a détruit l’Autorité naissante des vainqueurs de 1918. »

12 À propos des conditions de la paix en 1919, dans le même opuscule (chapitre : « Réparer les réparations »), p. 164 : « Et quand la force obtiendrait maintenant des promesses, c’est toujours la force qui en réglera l’exécution. Il n’y a nul respect dû à la force ; et toute promesse imposée est nulle. Telles sont les lois de la force, et que le plus fort doit subir aussi bien que l’autre. »

13 O.C., vol. II, t. 3, p. 219.

14 O.C., vol. II, t. 3, p. 217.

15 On renvoie à l’édition Flammarion, coll. « Champs », 2014.

16 O.C., vol. IV, t. 2, p. 422.

17 L’Enracinement, op. cit., p. 189.

18 Ibid., p. 179.

19 Cf. Françoise Hildesheimer, Du Siècle d’or au Grand Siècle. L’État en France et en Espagne, XVIe-XVIIe siècle, Paris, Flammarion, « Champs/université », p. 116. L’historienne précise en ces termes : « La construction de l’État se résume… dans la ligne générale d’une sécularisation qui n’implique aucune désacralisation » (p. 117). C’est bien là que le bât blesse pour S.W. N’a-t-elle pas relevé à plusieurs reprises ce passage du Testament politique, cité en un raccourci hardi : « … j’ai cru que […] je ne pouvais me dispenser de laisser à votre Majesté quelques mémoires de ce que j’estime le plus important pour le gouvernement de votre royaume sans en être responsable devant Dieu. » (O.C., vol. IV, t. 2, p. 419.)

20 « Héros authentique et penseur lucide » pour S.W. qui allait jusqu’à voir en lui « une espèce de saint ». Cf. Simone Pétrement, La Vie de Simone Weil, t. 2, Paris, Fayard, 1973, p. 190.

21 O.C., IV 2, 409.

22 « Réflexions sur la révolte », in Ecrits de Londres et dernières lettres, Paris, Gallimard, coll. « Espoir », 1957, p. 111.

23 L’Enracinement, op. cit., p. 241.

24 Pour évoquer le duel Pétain/de Gaulle, Alexandre Kojève, dans son essai cité supra, La Notion d’autorité, rédigé en mai 1942, fait jouer les notions de « pape » et d’« anti-pape » ! ! Un tribunal qui aurait à juger « l’anti-pape », c’est-à-dire l’adversaire du Chef, aurait le choix entre le reconnaître, c’est-à-dire sanctionner une « révolution politique » et voir en lui un « héros », ou bien taxer son Autorité de « haute trahison », op. cit., p. 163.

25 L’Enracinement, op. cit., p. 249.

26 Du Siècle d’or au Grand Siècle, op. cit., p. 82.

27 Lettre à un religieux, Gallimard, 1951, coll. « Espoir », p. 84.

28 L’Enracinement, op. cit., p. 331.

29 Au même moment dans le Cahier qu’elle tient alors (K16), S.W. dresse la liste des loci évangéliques relatifs aux Samaritains. Cf. O.C., vol. VI, t. 4, p. 295.

30 Lettre à un religieux, op. cit., p. 42. S.W. reprend le même argument dans « Israël et les Gentils », texte strictement contemporain.

31 D’esprit large et fort accueillant aux idées les plus diverses, le cardinal ne fut jamais inquiété, ce que d’ailleurs S.W. s’empresse de préciser.

32 La philosophie de Nicolas de Cues, Paris, Aubier, 1941.

33 « qui n’était pas loin d’invoquer comme Erasme : saint Socrate », op. cit., p. 49, n. 51.

34 O.C., vol. VI, t. 3, p. 393.

35 D’une façon plus révolutionnaire, S.W. fera entrer dans le camp mystique, c’est-à-dire, selon elle, celui du génie, ceux que l’on appelle des « idiots ». Cf. « La personne et le sacré » (Écrits de Londres et dernières lettres, Paris, Gallimard, coll. « Espoir », 1957, p. 31) : « Il faut encourager les idiots, les gens sans talent, les gens de talent médiocre ou à peine mieux que moyen, qui ont du génie. »

36 Attente de Dieu, Paris, Fayard, 1966, p. 22 et 29.

37 Voir Œuvres, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », p. 489-494.

38 S.W. fait une exception pour la Révolution de 1789 dont les effets, non éteints, continuent de marquer les esprits.

39 S.W. reprend ici un propos de son maître Alain dans Le Citoyen contre les pouvoirs (op. cit., p. 151) : « Il est plus facile de mener les citoyens aux barricades que d’obtenir qu’ils observent et jugent à chaque instant. »

40 Lettre à un religieux, op. cit., p. 88.

41 Comment ne pas citer ce propos d’Alain donné dans le Bulletin de l’Association des Amis d’Alain, no 81, juillet 1996, p. 29 : « La pensée éveillée est merveilleusement divisée contre elle-même. […] ce qui est posé par l’hérésie, c’est le droit à l’hérésie. […] L’esprit anarchique est au fond de l’esprit révolutionnaire. »

Auteur

Conservateur Général du Patrimoine, BnF, Paris.

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