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Vicomtes et vicomtés

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Hélène Débax

Annexes

Aux sources du pouvoir des vicomtes de Millau (xie siècle)

Jérôme Belmon

Texte intégral

ANNEXE 1. NOTES

1Deux ouvrages sont fondamentaux pour la connaissance du Rouergue au XIe siècle : Jacques Bousquet, Le Rouergue au premier Moyen Âge (vers 800-vers 1250) : les pouvoirs, leurs rapports et leurs domaines, 2 vol., Rodez, 1992-1994 ; Frédéric de Gournay, Le Rouergue au tournant de l’an Mil : de l’ordre carolingien à l’ordre féodal (IXe-XIIe siècle), Rodez-Toulouse, 2004. Par ailleurs, on dispose d’une synthèse très fouillée des derniers travaux prosopographiques sur les élites carolingiennes dans le Midi de la France avec Christian Settipani, La noblesse du Midi carolingien. Etudes sur quelques grandes familles d’Aquitaine et du Languedoc du IXe au XIe siècle (Toulousain, Périgord, Limousin, Poitou, Auvergne), Oxford, 2004, aux p. 135-139 pour les vicomtes rouergats ; les nombreuses corrections qu’apporte l’auteur aux recherches de ses prédécesseurs démontrent la fragilité de beaucoup de reconstitutions généalogiques, qui accordent un poids souvent excessif à l’anthroponymie. Sur les vicomtes rouergats, nous nous permettons de renvoyer à notre thèse d’Ecole des chartes, Les vicomtes de Rouergue-Millau (Xe-XIe siècles), 1992 [on peut en consulter des exemplaires dactylographiés aux archives départementales de l’Aveyron, à la bibliothèque de la Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron à Rodez ou à la bibliothèque de CROM-FRAMESPA à Toulouse].

Les survivances de l’ordre politique ancien

Être vicomte sous l’autorité d’un comte en Rouergue

2Les actes comtaux souscrits par les vicomtes millavois en 1031-1032, 1051-1052 et 1071 figurent au catalogue sous les no 4, 9 et 19, ainsi que la cession du domaine de Soulages, sous le no 7. La reconnaissance conjointe de l’autorité du comte et du vicomte par le bienfaiteur de Gellone correspond à une situation générale dont on trouve d’autres traces dans la documentation. Ainsi, Nicéphore de Montferrier, probable gardien d’un château du même nom situé dans la forêt des Palanges, donna-t-il une villa à l’abbaye de Conques pour l’âme du comte Hugues de Rouergue vers 1060-1065 (Cartulaire de l’abbaye de Conques en Rouergue, éd. Gustave Desjardins, Paris, 1879, no 455, p. 329-330) ; or, il s’agissait assurément d’un fidèle des vicomtes de Millau, car il accompagna le vicomte Bérenger le 1er juillet 1060 lors de la cession de La Canourgue à Saint-Victor de Marseille (acte no 11 du catalogue) et souscrivit en 1061 la donation par Bernard de quarante manses pris sur sa part d’héritage lors de son entrée à l’abbaye marseillaise (acte no 12 du catalogue).

3L’achat des droits comtaux sur Rodez par le vicomte Richard n’est connu que grâce à la formule de datation de la copie d’un testament aujourd’hui perdu, formule transmise par l’historien Antoine Bonal au début du XVIIe siècle (acte no 46 du catalogue).

4Pour le maintien des droits des comtes raimondins sur les évêchés de la région, on lira Jean-Louis Biget, « L’épiscopat du Rouergue et de l’Albigeois (Xe-XIe siècle) », dans La Catalogne et la France méridionale autour de l’an Mil. Actes du colloque international Hugues Capet 987-1987. La France de l’an Mil (Barcelone, 2-5 juillet 1987), Barcelone, 1991, p. 181-199 (pour Albi et Rodez) et Elisabeth Magnou-Nortier, La société laïque et l’Église dans la province ecclésiastique de Narbonne (zone cispyrénéenne) de la fin du VIIIe à la fin du XIe siècle, Toulouse, 1974, p. 331-332 (pour une élection épiscopale à Cahors en 991). La cité de Rodez, avec les droits comtaux et épiscopaux (civitatem Ruthenam cum comitatu et episcopio), figure en 1095 dans le sponsalitium constitué pour Hélène de Bourgogne, épouse du fils du comte Raimond de Saint-Gilles, Bertrand (Histoire générale de Languedoc, éd. Privat, t. V, Toulouse, 1875, Preuves, no 389, col. 738). On ne saurait conclure à des droits des vicomtes de Millau sur l’évêché de Rodez, en s’appuyant sur l’accession d’un de leurs proches parents, Pierre-Bérenger de Narbonne, au siège ruthénois vers 1050 : le prélat acheta probablement sa charge au comte Hugues de Rouergue, qui lui était lié par une parenté au moins aussi étroite que les Millavois (C. Settipani, La noblesse du Midi carolingien…, op. cit., p. 138-139) et qui disposait lui-même d’intérêts à Narbonne (Histoire générale de Languedoc, éd. Privat, t. V, Toulouse, 1875, Preuves, no 198, col. 399-401).

5Les droits des Millavois sur le siège épiscopal de Lodève se déduisent notamment du contrôle du temporel de l’évêché lors des vacances épiscopales par leurs successeurs, les comtes de Rodez, au XIIe siècle ; voir abbé J. Rouquette, Annales de l’Église de Lodève, Montpellier, 1913, p. 96-97, 103-107 et 112-113.

6Les attestations des droits comtaux sur Vabres se retrouvent : 1°. chez Adémar de Chabannes, dans son second sermon consacré vers 1030-1033 à la première translation de Saint Martial, où il évoque deux miracles du saint en faveur du « prince ecclésiastique de Vabres », qui n’était autre que le comte Raimond II de Rouergue (Raphaël Richter, Martial et Adémar : édition de 23 sermons du mss autographe d’Adémar de Chabannes, BNF lat. 2469, ff. 1-76, circa 1030, thèse d’Ecole des chartes, 2003, sermon XXI, § 4, t. II, p. 198) ; 2°. dans les deux donations du monastère de Vabres, successivement en faveur de Saint-Victor de Marseille le 12 juin 1061 (Cartulaire de Saint-Victor de Marseille, éd. Benjamin Guérard, Paris, 1857, t. II, no 827, p. 181-184), puis de Moissac le 12 novembre 1062 (Arch. dép. Tarn-et-Garonne, G 677) ; 3°. dans une lettre adressée entre 1061 et 1064 par l’abbé de Saint-Victor, Durand, au comte de Rouergue au sujet de l’envoi de moines marseillais à l’abbaye de Vabres (Arch. dép. Bouches-du-Rhône, 1 H 45, no 212).

7La présence des comtes de Rouergue à Saint-Amans de Rodez apparaît en 1028 et 1060 dans la Chronique d’Hugues de Flavigny, à l’occasion des dernières relations entretenues avec l’abbaye lorraine de Saint-Vanne de Verdun, dont Saint-Amans était une dépendance depuis les temps mérovingiens (Monumenta Germaniae historica, Scriptores, t. VIII, Hanovre, 1848, p. 400). On se reportera à J. Bousquet, Le Rouergue au premier Moyen Âge…, t. I, p. 261, pour l’intervention de Raimond de Saint-Gilles vers 1080 (d’après une Vita de saint Gaubert), et aux no 30 (lettre de l’archevêque Richard de Bourges) et 49 (confirmation de 1120) du catalogue.

8Pour la souscription par le vicomte Rainon de la donation de Vabres à Saint-Victor de Marseille, voir Cartulaire de Saint-Victor…, t. II, no 827, p. 181-184, à la p. 184. Il n’y a pas lieu de suivre l’identification « Raimond vicomte de Millau » avancée par l’éditeur B. Guérard et acceptée depuis par tous les historiens. Signalons pour être complet l’existence d’un fugace vicomte de Broquiès, Frotard, dans le second quart du XIIe siècle : il prêta un serment de fidélité au comte de Rodez Hugues Ier pour le château d’Ayssènes vers 1132-1144 (éd. F. de Gournay, Le Rouergue…, p. 426-427) et fit une donation aux Hospitaliers de Martrin vers 1135-1160 (Clovis Brunel, Les plus anciennes chartes en langue provençale, Paris, 1926, no 89, p. 87-88). Puis plus aucune trace de titulaires de cette « vicomté », qui disparut aussi mystérieusement qu’elle était apparue. Les châteaux de Broquiès et d’Ayssènes se situant dans la partie de la vallée du Tarn où la parenté du vicomte Rainon était attestée au Xe siècle, peut-être s’agit-il d’une même lignée, dont la prétention au titre vicomtal aurait traversé environ deux siècles avec de furtifs éclairs en 1061 et dans les années 1140, au gré des hasards de la documentation ?

Être vicomte dans un comté sans titulaire en Gévaudan

9La meilleure synthèse récente sur le Gévaudan aux Xe-XIIe siècles est constituée par l’introduction de l’ouvrage d’Anne Trémolet de Villers, Églises romanes oubliées du Gévaudan, Montpellier, 1998. La tradition historiographique admet, sans beaucoup de preuves, que le vicomte Richard II de Millau aurait succédé vers 1030 au vicomte de Gévaudan, Etienne, fondateur du prieuré de Langogne en 998 (Cartulaire de l’abbaye de Saint-Chaffre du Monastier, éd. Ulysse Chevallier, Paris, 1884, no 376, p. 130-132).

10Le Bref de la paix de Mende figure au dernier feuillet d’un cahier, dont les sept premiers contiennent le censier des vicomtes Gerbert et Richard de Millau ; voir acte no 5 du catalogue. Pour le miracle de sainte Enimie évoquant l’intervention du vicecomes patrie, voir l’acte no 33.

11Sur les Peyre, on se reportera à notre article : « Une seigneurie châtelaine en Gévaudan aux XIe-XIIe siècles : la terre et le lignage des sires de Peyre », dans Seigneurs et seigneuries au Moyen Âge. Actes du 117e congrès national des sociétés savantes, Clermont-Ferrand, 1992. Paris, 1993, p. 69-97.

La terre aux sources de la domination locale

Un domaine important et compact

12Voir les références du censier et de son édition par C. Brunel, sous le no 45 du catalogue. Le mérite d’avoir corrigé l’attribution fautive aux sires de Peyre revient à André Soutou (« Inventaire toponymique de la vicomté de Millau au XIe siècle », Annales du Midi, t. 80, 1968, p. 233-254), dont les premières identifications de toponymes ont été ensuite enrichies par lui-même (« Documents sur quelques églises du Rouergue, XIe et XIIe siècles) », ibid., t. 81, 1969, p. 349-378, surtout p. 371), par Jean-Pierre Chambon (« Identification d’anciens noms de lieux rouergats », Annales du Midi, t. 92, 1980, p. 453-459, plus particulièrement p. 453-456) et par moi-même (Les vicomtes de Rouergue-Millau…, p. 300-316). Le censier est complété par les actes no 12, 14, 26 et 27 du catalogue pour aboutir aux estimations proposées.

13Les droits des vicomtes sont avérés sur les églises de Salars (com. Pont-de-Salars) et d’Arques (com.), cédées à Conques vers 1080 par le vicomte Hugues (acte no 26 du catalogue), ainsi que sur celles de Lugagnac (com. Bertholène) et de Sévérac-l’Église (com.) (respectivement actes no 22 et 2) ; ils sont très probables pour Saint-Martin de Cormières (com. Le Vibal) et Saint-Aignan de Ségur (com. Ségur), qui sont au nombre des dépendances de Lugagnac en 1115 (voir infra). Les deux autres dépendances de Lugagnac, Saint-Martin de Lenne et Notre-Dame de Lenne (com. Saint-Martin de Lenne), correspondent aussi à une zone d’implantation vicomtale.

14Dans la donation qu’il fit de la villa de Mascle à Conques et à son prieuré de Trébosc, Nicéphore de Montferrier, fidèle des vicomtes, transféra aussi « illas convenientias quas habemus in ipsa villa de omnes homines qui non possunt vendere vel inpignorare nisi nobis… » (Cartulaire de l’abbaye de Conques…, no 455, p. 329-330). Il serait douteux que les vicomtes de Millau n’aient pas imposé de telles conditions aux alleutiers qui vivaient dans leur voisinage.

Châteaux et féodalité

15La première mention d’un vicomte de Millau en 1050 et le serment d’Aldebert de Canillac figurent au catalogue sous les no 6 et 31.

16La liste des châteaux retenus est la suivante, du sud au nord : Latour, dans la vallée de la Sorgues (com. Marnhagues-et-Latour), et Cornalach, sur le Larzac (com. Sainte-Eulalie-de-Cernon) ; Creissels (com.) et probablement Compeyre (com.) et Le Monna (com. Millau), dans la vallée du Tarn, de part et d’autre de Millau ; La Britouyre (com. Verrières) et Vezins (com.), en Lévezou ; Salmiech (com.) et Camboulas (com. Pont-de-Salars), à la jonction du Lévezou et du Ségala ; Montferrier (com. Bertholène), Prévinquières (com. Recoules-Prévinquières), Lapanousse-de-Sévérac (com.), dans la vallée de l’Aveyron, auxquels s’ajoutent une forteresse, Vivers, dont la localisation reste problématique (Bibiès, com Saint-Cômed’Olt ?) et les six châteaux tenus par les Canillac dans la vallée du Lot : en Rouergue, Saint-Laurent-d’Olt (com.) et Aurelle (com. Aurelle-Verlac) ; en Gévaudan, Canillac (Lozère, com.), les Hermaux (Lozère, com.), Saint-Amans et Brametourte (Lozère, com. La Canourgue). Cette liste exclut les châteaux situés hors de la vicomté de Millau stricto sensu sur lesquels les Millavois ont pu avoir des droits, comme par exemple celui de Paulhan, en Biterrois (Hérault, com.).

17On retrouve chez les Peyre le même phénomène de concentration des châteaux sur les frontières de la seigneurie, alors que le cœur de leur terre en est dépourvu ; voir J. Belmon, « Une seigneurie châtelaine en Gévaudan… », aux p. 88-89.

18Lorsque l’historien dispose d’un éclairage qui va au-delà d’un simple nom de forteresse, les droits des vicomtes interviennent dans des configurations complexes. Prenons l’exemple de trois des six châteaux (Canillac, Aurelle, Saint-Laurent d’Olt) qu’Aldebert de Canillac reconnut tenir des vicomtes de Millau vers 1080-1090. Canillac était certes le berceau éponyme de la lignée, mais les vicomtes possédaient quatre manses à Canillac même.

19Sur les pentes méridionales de l’Aubrac, Aurelle semble relever des Canillac au moins depuis les années 1050-1060, puisqu’on repère alors parmi leurs milites un certain Georges (Joris) d’Aurelle, probable gardien de la forteresse : ce personnage figure entre 1030-1060, aux côtés de Déodat de Canillac, comme témoin d’une donation à l’abbaye d’Aniane (Cartulaire d’Aniane, éd. Abbé Cassan et E. Meynial, Montpellier, 1900, no 189, p. 327), est expressément qualifié de miles de Déodat de Canillac, lorsque ce dernier vend divers biens au prieur du Rozier, dépendance d’Aniane (ibid., no 216, p. 348) et assiste enfin à la remise par ce même Déodat de Canillac de la collégiale de La Canourgue à Saint-Victor de Marseille (acte no 11 du catalogue). Mais là aussi le censier des vicomtes ne livre pas moins de onze manses répartis en huit lieux dans le mandement d’Aurelle.

20Le château de Saint-Laurent-d’Olt figure dans ce même censier au nombre des biens transmis aux vicomtes par leur parent Alquier de Mellancha. Or on retrouve à la même époque un certain Abbon, homo nobilis castri Sancti Laurenti, dans un miracle de sainte Enimie (« Vita, inventio et miracula sanctae Enimiae », éd. Clovis Brunel, Analecta Bollandiana, t. 57, 1939, p. 237-298, no 4, à la p. 287) et comme bienfaiteur de l’abbaye du Monastier-Saint-Chaffre (Cartulaire de l’abbaye de Saint-Chaffre…, no 396, p. 139) ; il pourrait s’agir en fait d’un frère d’Alquier de Mellancha, attesté par ailleurs en 1051 (acte no 8 du catalogue). On est donc obligé d’envisager soit une concession en fief par les vicomtes aux Canillac, soit une coseigneurie associant Canillac à la lignée de Mellancha (Alquier et Abbon), puis aux vicomtes.

21Les droits du vicomte Hugues sur la leude de Millau, ainsi que le service que lui devait l’un de ses hommes (… in villa Ameliavensi Durantum Petitum et domos ipsius et servicium et omnia quae de me tenet et in ipso Ameliavo partem quam habeo in ledda…), figurent dans l’acte no 26 du catalogue. Pour les grandes routes de la région, même si les données datent des XIIIe-XIVe siècles, on se reportera à Olivier Guyotjeannin, Atlas de l’histoire de France. La France médiévale IXe-XVe siècle, Paris, 2005, plus précisément à la carte de la p. 64 établie d’après les recherches de Robert-Henri Bautier.

Genèse, transmission et préservation du patrimoine

22Les donations faites à Saint-Victor de Marseille par Bernard en 1061 et par son frère Hugues vers 1080 figurent au catalogue, sous les no 12, 26 et 27. À titre d’exemple de clauses jamais appliquées, Hugues donna au prieuré victorin de Saint-Léons, entre autres biens, toute la viguerie de Richard Arlan, que l’on retrouve plus tard dans le censier de ses neveux, les vicomtes Gerbert et Richard.

23On trouvera un autre bel exemple de libéralités ainsi remises en cause par la parenté avec le réseau des églises rattachées au prieuré de Lugagnac (com. Bertholène). Église implantée dans les Palanges et dont la propriété éminente appartenait aux vicomtes Bérenger et Raimond, Lugagnac fut restaurée vers 1072 par un moine de l’abbaye auvergnate d’Ebreuil (acte no 22 du catalogue) et fut ensuite dotée par les vicomtes et par leurs fidèles, comme en témoigne a posteriori une bulle de confirmation concédée en 1115 par le pape Pascal II (Gallia christiana…, 2e éd., t. II, Paris, 1720, Preuves, no 54, col. 121-122 ; J. Bousquet, Le Rouergue au premier Moyen Âge…, t. II, p. 465-467). Les six églises placées alors sous l’autorité de Lugagnac (Sévérac-l’Église, Saint Martin-de-Cormières, Saint-Aignan de Ségur, Notre-Dame de Lenne, Saint Martin-de-Lenne, Marnhac) étaient toutes situées dans des zones où le domaine vicomtal était dense et deux d’entre elles avaient déjà fait l’objet de dons par des vicomtes : Sévérac-l’Église, concédée à Conques par le vicomte Richard Ier au début du XIe siècle (acte no 2 du catalogue), et Marnhac, apportée à Saint-Victor de Marseille par l’abbé Richard, puis à nouveau confirmée aux Victorins vers 1080 par son frère, le vicomte Hugues, qui s’en était emparé (acte no 27 du catalogue).

La parenté et l’Église au cœur des réseaux de pouvoir

24Pour la convenientia concernant Tarragone, la remise d’otages au comte de Carcassonne et les serments de sécurité du début du XIIe siècle, voir respectivement les actes no 6, 20, 39 et 40 du catalogue.

La chasse aux héritières

25Sur ces alliances, voir J. Belmon, Les vicomtes de Rouergue-Millau…, p. 223-264, passim. L’alliance entre le vicomte Richard, attesté au début du XIe siècle, et Sénégonde, fille du vicomte de Béziers-Agde Guillaume, est la moins assurée ; elle repose traditionnellement sur un plaid tenu en juillet 1013 à la suite d’un différend qui opposa Sénégonde, accompagné de son mari Richard – qui n’est pas qualifié de vicomte –, à sa sœur, la vicomtesse Garsinde, pour la propriété du domaine salicole de Pallas (acte no 1 du catalogue). Claudie Duhamel-Amado a suggéré une autre hypothèse pour identifier le couple Richard-Sénégonde attesté lors de ce plaid ; Genèse des lignages méridionaux, t. I : L’aristocratie languedocienne du Xe au XIIe siècle, Toulouse, 2001, p. 355-361, aux p. 357-358. Sans pouvoir conclure définitivement, on relèvera que le petit-fils du vicomte Richard Ier, Richard, abbé de Saint-Victor de Marseille, avait reçu dans sa part d’héritage la moitié du château de Paulhan, en Biterrois (acte no 27 du catalogue), qui faisait bien partie du patrimoine des vicomtes de Béziers-Agde à la fin du Xe siècle ; C. Duhamel-Amado, ibid., p. 59. Il paraît donc fondé de s’en tenir à l’hypothèse traditionnelle d’un mariage du vicomte Richard Ier avec une fille du vicomte Béziers-Agde, qui est conforme du reste avec l’orientation générale des relations extérieures des Millavois.

26Pour le plaid de 1023 à Narbonne et la convenientia de 1050 sur Tarragone, voir les actes no 3 et 6 du catalogue.

27L’union d’une sœur du vicomte Richard II avec Alquier de Mellancha se déduit de l’acte no 8 du catalogue, qui présente les fils de Richard II comme des neveux d’Alquier ; on comprend dès lors aisément que le censier des vicomtes Gerbert et Richard comprenne « un bref de l’honneur qui appartenait à Alquier de Mellancha », que la relative convergence géographique avec la vicomté de Millau pourrait inviter à considérer comme la possible dot de l’épouse d’Alquier de Mellancha ; le château de Mellancha est en Lozère (l.-d. disparu, com. Saint-Etienne-du Valdonnez), comme le montre une charte de Gellone de 1031-1060 (Cartulaire de Gellone, éd. Paul Alaus, abbé Cassan, E. Meynial, Montpellier, 1898, no 105, p. 91).

28Le mariage d’Arsinde de Millau avec Aicfred de Lévezou se déduit de la donation en mars 1071 du prieuré de Castelnau-de-Lévezou (aujourd’hui Castelnau-Pégayrols) à Saint-Victor de Marseille (Arch. dép. Bouches-du-Rhône, 1 H 48, no 228) et de la mention de deux fils d’Aicfred, Aicfred et Bermond, comme neveux du vicomte Hugues vers 1080 (actes no 26 et 27 du catalogue) ; sur cette lignée, voir J. Belmon, « Parenté et seigneurie en Rouergue aux XIe et XIIe siècles : l’exemple des sires de Lévezou », Etudes aveyronnaises, 1999, p. 75-102.

29La donation faite par le vicomte Hugues vers 1080 aux prieurés rouergats de Saint-Victor de Marseille mentionne deux de ses neveux, Bérenger Guillaume et son frère Ermangaud, à propos de la moitié du château de Paulhan, en Biterrois (acte no 27 du catalogue). On retrouve bien à la fin du XIe siècle en Lodévois deux frères de ce nom, Ermengaud et Bérenger Guillaume des Deux-Vierges, fils de Guillaume et d’Arsinde, qui serait alors une Millavoise ; C. Duhamel-Amado, Genèse des lignages…, op. cit., p. 243, 259 et 397.

30L’alliance entre vicomtes millavois et marseillais est une hypothèse de Thierry Stasser, « Une alliance Millau-Marseille au XIe siècle ? », Provence historique, t. 44, 1994, p. 65-75. Pour l’hypothèse d’un mariage avec un vicomte de Bruniquel, voir notre thèse Les vicomtes de Rouergue-Millau…, op. cit., p. 255-258.

La projection spatiale et sociale de l’influence millavoise au sein de l’Église

31Au-delà des contestations par les vicomtes de donations pieuses concédées par l’un des leurs, cette divergence presque irréductible entre soutien au mouvement réformateur et défense des intérêts patrimoniaux transparaît, par exemple, dans le refus du vicomte Bérenger de reconnaître la supériorité de l’abbé d’Aurillac sur plusieurs biens qu’il détenait en Carladès (voir la bulle de Grégoire VII du 12 avril 1080, qui constitue le no 28 du catalogue) ou dans les difficultés créées au prieuré victorin du Poujol, près du château de Camboulas, par le vicomte Hugues (acte no 23 du catalogue).

32Pour les liens entre Saint-Victor de Marseille et les Millavois, on se reportera à Paul Amargier, Un âge d’or du monachisme : Saint-Victor de Marseille (990-1090), Marseille, 1990, à Eliana Magnani Soares-Christen, Monastères et aristocratie en Provence (milieu Xe-début XIIe siècle), Munster, 1999, et à Florian Mazel, La noblesse et l’Église en Provence (fin Xe-début XIVe siècle). L’exemple des familles d’Agoult-Simiane, de Baux et de Marseille, Paris, 2002.

33Pour la fondation de Montsalvy, en Carladès, voir l’acte no 17 du catalogue. Les relations étroites nouées entre les Millavois et les prieurés victorins en Rouergue se retrouvent dans les actes no 12, 14, 15, 16, 18 (=47), 23, 25 (=49), 27 du catalogue ; pour La Canourgue, voir l’acte no 11 du catalogue ; pour Castelnau-de-Lévezou et le Monastier-Chirac, nous renvoyons à nos deux articles : « Parenté et seigneurie en Rouergue… », et « Les débuts d’un prieuré victorin en Gévaudan : Le Monastier-Chirac (XIe-XIIe siècles) », Bibliothèque de l’Ecole des chartes, t. 152, 1994, p. 5-90.

34Pour la proposition d’identification d’Aton, attesté comme neveu de Richard de Millau en juin 1112 (Histoire générale de Languedoc, éd. Privat, t. V, Toulouse, 1875, Preuves, no 843, col. 827 et 829), avec l’archevêque d’Arles et le prieur de La Canourgue, voir notre thèse Les vicomtes de Rouergue-Millau…, op. cit., p. 255-258. Cette parenté pourrait découler d’une alliance d’une sœur de Richard avec un vicomte de Bruniquel, si on admet l’hypothèse traditionnelle qui fait de l’archevêque d’Arles le fils d’un vicomte de Bruniquel du même nom (Guillaume Lacoste, Histoire générale de la province de Quercy, t. II, Cahors, 1884, p. 20-21).

ANNEXE 2. CATALOGUE DES ACTES DES VICOMTES DE MILLAU

ANNEXE 3. LES VICOMTES CAROLINGIENS EN ROUERGUE

35[Sont réunies ici de manière synthétique les principales conclusions que permet d’esquisser la maigre documentation (dix-sept actes) concernant les vicomtes carolingiens en Rouergue. Le lecteur trouvera de plus amples informations dans ma thèse d’Ecole des chartes, Les vicomtes de Rouergue-Millau (Xe-XIe siècles), 1992, p. 37-184 ; dans Frédéric de Gournay, Le Rouergue au tournant de l’an Mil : de l’ordre carolingien à l’ordre féodal (IXe-XIIe siècle), Rodez-Toulouse, 2004, p. 48-63 et dans Christian Settipani, La noblesse du Midi carolingien. Etudes sur quelques grandes familles d’Aquitaine et du Languedoc du IXe au XIe siècles (Toulousain, Périgord, Limousin, Poitou, Auvergne), Oxford, 2004, p. 135-139]

36Le terme même (vice comes) l’indique sans ambiguïté : à l’origine carolingienne de l’institution, le vicomte était un lieutenant nommé par un comte pour l’assister dans l’exercice de sa charge publique. Logiquement, six des dix actes qui mentionnent un vicomte en Rouergue entre 850 et 950 font directement intervenir un comte ou supposent une délégation de pouvoir concédée par ce dernier.

37Déjà attestés dans les années 830 en Gothie comme successeurs des vice domini, des vicomtes ont dû être nommés par les comtes de la dynastie raimondine dès leur installation dans la région : ainsi, un vicomte Bégon était présent en 855/856, en 862 et en 868 dans l’entourage proche des comtes de Toulouse-Rouergue, Raimond et Bernard. Toutefois, déduire de la provenance des sources (les chartriers de l’église cathédrale de Rodez et de l’abbaye de Vabres) une installation certaine de Bégon en Rouergue paraît aventureux, du fait de l’étroitesse de la base documentaire, comme il serait vain de rattacher cet individu à des homonymes antérieurs – le comte Bégon de Toulouse, sous Louis le Pieux – ou postérieurs – des magnats auvergnats du Xe siècle ou les sires rouergats de Calmont d’Olt.

38Les occurrences suivantes interviennent au début du Xe siècle dans le cadre d’une principauté raimondine désormais autonome du pouvoir royal et fermement dirigée par un cogouvernement familial. Les comtes détenaient alors la plénitude des prérogatives publiques sur un regroupement de pagi qui dépassait les ressorts originels de Toulouse et de Rodez. Ce cumul de comtés nourrissait leur prétention au rang de princeps – comme marquis de Gothie ou comme duc d’Aquitaine – et renforçait la nécessité d’un échelon administratif intermédiaire entre un territoire égal à environ deux régions actuelles et des circonscriptions locales de la taille d’un canton, confiées à des viguiers (vicarii). Apparaissent alors en Rouergue les vicomtes Bernard, dans les années 910, et Rainon, attesté vers 930. On a l’impression que le comte les a choisis parmi ses viguiers. Cette origine est indiscutable pour Rainon, qualifié de manière explicite vers 934 de vicecomes et vicarius : l’intervention du comte Ermengaud et de son fils Raimond comme contractants et la nature de l’établissement bénéficiaire et rédacteur de l’acte – le monastère de Vabres, fondé et encore contrôlé par les Raimondins – interdisent d’envisager une usurpation du titre vicomtal par Rainon, alors que la tradition des actes de Vabres ne paraît pas corrompue pour cette époque et ne conduit pas à mettre en doute ce témoignage. Sur des bases plus fragiles, une origine similaire a été avancée pour l’autre vicomte rouergat, Bernard, qui aurait pu être fils du viguier Georges, un vassal (vassus) du comte Ermengaud mentionné en 909 ; elle sous-tend de même la reconstitution des origines des Trencavel, en faisant d’Aton, vicomte en Albigeois en 942, le fils d’un viguier Bernard attesté en 918 comme représentant (missus) du comte de Toulouse.

39Quelles que soient les incertitudes pesant sur ces dernières hypothèses, le cas avéré de Rainon pose la question de l’origine de ces viguiers. Etaient-ils des membres de rang secondaire de la Reichsaristokratie qui auraient accompagné dans le Midi les comtes francs, raimondins ou autres, quelques décennies plutôt ? N’étaient-ils pas plutôt des notables locaux qui appartenaient à ce milieu des boni homines si essentiel à l’administration locale, qui cumulait richesse foncière et prééminence sociale de fait ? Une réponse assurée est bien sûr impossible, mais des indices plaident pour identifier certains d’entre eux à de riches propriétaires terriens. Ainsi, le patrimoine de deux parents du vicomte Rainon, Garfred et son fils le diacre Elie, se montait-il à au moins deux grands domaines (curtes), cinq villae, deux châteaux, six églises et plus de quatre-vingt manses dans la vallée du Tarn, si l’on s’en tient à deux donations faites en 885 et en 942 en faveur de Vabres ; à l’échelle des fortunes de l’aristocratie laïque carolingienne, un tel ensemble était du niveau d’un « petit » comte du début du IXe siècle. Le patrimoine des vicomtes millavois au XIe siècle accrédite aussi l’hypothèse d’une assise foncière ancienne, dont une partie pouvait remonter au IXe siècle.

40Dans la première moitié du Xe siècle, la réalité des rapports de force garantissait aux comtes l’obéissance des vicomtes, encore mus par la reconnaissance d’avoir été distingués parmi leurs pairs et par la crainte de perdre une situation dont la pérennité dépendait toujours de la volonté du comte. Dans ces conditions, une transmission héréditaire de la charge vicomtale, observée à Narbonne et probable en Rouergue, ne saurait être analysée comme un obstacle au plein exercice de l’autorité comtale. Le respect de la hiérarchie s’accompagnait du reste d’une forte solidarité du groupe dirigeant, consolidée par des relations de vassalité et de parenté.

41En effet, bien que le terme de vassus du comte ne qualifie jamais un vicomte dans les actes – alors qu’une telle mention est très fréquente pour des viguiers ou pour d’autres représentants comtaux dans des plaids judiciaires –, il est impossible que les vicomtes raimondins soient restés à l’écart de relations qui structuraient les élites administratives locales. Du reste, en 924, le vicomte de Narbonne Eudes et, en 932, celui de Cahors Frotard ne qualifiaient-ils pas de seigneur (senior) le comte Raimond-Pons. Bien sûr, les vicomtes eux-mêmes étaient à la tête d’une clientèle d’obligés : ainsi, en 909 le vicomte Bernard, sa mère Sénégonde et son frère Frédelon firent don de plusieurs manses près de Rodez, en pleine propriété, à leur fidèle Robert, par ailleurs qualifié de prévôt et probable dignitaire d’un chapitre de chanoines.

42La reconstitution proposée pour la parenté de Bernard, si elle était totalement assurée, lèverait un voile sur une autre condition importante de l’exercice du pouvoir vicomtal : la légitimité procurée par une alliance avec la parenté du comte. Des marqueurs anthroponymiques signifiants et peu répandus (Sénégonde, Frédelon) permettent en effet d’avancer l’hypothèse que la mère du vicomte Bernard, Sénégonde, était issue de la lignée raimondine et qu’elle cousinait avec les représentants du comte basés à Anduze et dénommés Frédelon. Le sang comtal justifierait donc que les fils de Sénégonde aient accédé à la charge vicomtale, en la personne de Bernard, et à l’abbatiat du monastère comtal de Vabres, avec Frédelon. On retrouverait en Rouergue un type de promotion par ailleurs bien connu avec Ramnulf, nommé vicomte par son beau-père Vulgrin, comte d’Angoulême, dans le dernier quart du IXe siècle.

43L’exercice par les vicomtes rouergats de leurs fonctions publiques n’a guère laissé de trace. Un plaid tenu à Anduze en 914 cite un vicecomes Rotenensis ; la qualification géographique – que justifie aux yeux du rédacteur cévenol l’origine étrangère du vicomte – prouve que le comté de Rouergue était bien perçu comme le ressort de cet officier. La situation des années 930 démontre toutefois que le comte Ermengaud était assisté simultanément en Rouergue par au moins deux vicomtes, sans que des circonscriptions particulières puissent être distinguées. La documentation livre aussi un exemple de partage de domaines fiscaux : vers 934, les comtes Ermengaud et Raimond et le vicomte Rainon donnèrent conjointement à Vabres des manses qui dépendaient de villae du fisc (de fisco). De même, charges et patrimoines ecclésiastiques étaient alors considérés comme relevant du fisc sous la protection, bientôt la mainmise, des comtes. Dans ces conditions, les vicomtes ont pu être associés à la détention d’honores ecclésiastiques au travers de l’accession de parents à des sièges épiscopaux et abbatiaux : Frédelon, abbé de Vabres (915-932), était le frère du vicomte Bernard ; Georges et Mainfroi (Magenfred), évêques de Rodez dans les années 940, pourraient se rattacher respectivement aux groupes de parenté des vicomtes Bernard et Rainon.

44Que retenir de cette éclairage ponctuel ? En premier lieu, la dépendance étroite des vicomtes par rapport aux comtes : ils devaient à leurs patrons et protecteurs l’exercice de leurs responsabilités publiques et la part de revenus afférente. Pour autant, certains vicomtes pouvaient disposer d’un patrimoine personnel qui en faisaient des magnats assurés d’une prééminence sociale dans certaines régions. Cette assise foncière rendait plus impérative encore pour les comtes la nécessité de conforter la fidélité de leurs lieutenants, en nouant avec eux des alliances matrimoniales qui doublaient les relations de vassalité.

ANNEXE 4. TERRES PUBLIQUES ET PRIVÉES AUX ORIGINES DU DOMINIUM VICOMTAL

45Biens publics et patrimoine d’origine privée étaient amalgamés sans distinction sous une même domination au XIe siècle. Toutefois, au début du XIe siècle, le titre d’un dénombrement des biens des comtes de Rouergue, aujourd’hui perdu, distinguait encore l’honor de la terra ; de la même manière, l’intitulé du censier des vicomtes s’en tenait à la seule terra. Sans ressusciter une distinction artificielle entre seigneuries foncière et banale, l’évaluation du pouvoir des vicomtes de Millau invite donc à s’interroger sur la part respective qu’ont pu tenir les biens hérités de leurs ancêtres et les anciennes terres publiques au sein de leur dominium.

46Le Lévezou devait abriter une partie du patrimoine originel des vicomtes. Cette présomption repose autant sur la forte concentration des biens vicomtaux que sur l’histoire de Saint-Léons, petite collégiale de chanoines contrôlée par les vicomtes de Millau au milieu du XIe siècle, avant d’être confiée aux moines de Saint-Victor de Marseille dans les années 1060. En effet, selon un témoignage de deux moines septuagénaires vers 1120 et nourris à Saint-Léons depuis leur enfance, le prévôt alors à la tête de l’établissement, Emenon, – nous sommes donc avant la réforme victorine, vers 1050-1060 – avait acheté sa charge au vicomte local (de vicecomite terre). Une confirmation faite en 1112 par Richard, peu de temps après être devenu comte de Rodez, précise que Saint-Léons avait été confié aux Marseillais par son père, le vicomte Bérenger, agissant conjointement avec ses frères Bernard abbé de Saint-Victor, Hugues et Raimond, soit vers 1065-1070. On est tenté de voir en Saint-Léons un ancien sanctuaire familial des vicomtes, à l’instar de la collégiale de Belmont-sur-Rance, fondée par les ancêtres des Trencavel dans le sud-ouest du Rouergue au Xe siècle. En effet, la villa originelle de Saint-Léons, alors appelée Nobiliacum et située dans la viguerie de Millau, fut vendue en 873-874 par le comte Bernard Plantevelue – qui l’avait lui-même obtenue par achat – à un certain Richard, magnificus dominus, et à son épouse, qui la rétrocédèrent en 875 au jeune monastère raimondin de Vabres pour le salut de l’âme de leurs seigneurs, les comtes Frédelon, Raimond et Bernard. Par ailleurs, plusieurs historiens, dont Jacques Bousquet, ont reconnu un lointain ancêtre des vicomtes de Millau en la personne de ce Richard que l’anthroponymie ne permet pas de rattacher aux vicomtes du Xe siècle. La convergence de ces indices invite donc à formuler l’hypothèse que les vicomtes de Millau tiraient leur origine d’une groupe de parenté implanté dans la région située entre Rodez et Millau au moins depuis la fin du IXe siècle, d’un niveau social et économique qui lui permettait d’entretenir des relations avec les comtes de l’époque et qui aurait justifié son accession au rang vicomtal dans la seconde moitié du Xe siècle, avec l’assentiment des comtes.

47Par ailleurs, d’autres éléments démontrent que le patrimoine vicomtal intégrait, dans la seconde moitié du XIe siècle, d’anciens biens publics : vers 1080, le vicomte Hugues céda ainsi à Saint-Victor de Marseille totam illam terram quam vocant fiscum. Mais il est impossible de savoir si le contrôle de ces lambeaux du fisc intervenait toujours dans le cadre d’un gestion commune avec le comte. Jacques Bousquet a cru repérer vers 1050 un tel partage sur la villa de Trébosc, située près de Rodez, donnée par le comte de Rouergue à Conques et possible héritière d’un ancien fisc mérovingien, mais sa démonstration reste malheureusement hypothétique quant aux droits éventuels du vicomte Bérenger. Quoi qu’il en soit, il est frappant de constater que comtes et vicomtes pouvaient posséder des biens situés à très peu de distance les uns des autres, comme on en trouve des attestations dans la partie occidentale de l’actuelle forêt des Palanges ou dans la haute vallée du Viaur. Dans cette dernière zone, où la concentration des propriétés millavoises était parmi les plus fortes, le comte Raimond de Saint-Gilles détenait vers Ségur trois domaines exploités en faire-valoir direct, donnés en 1096 à l’église du Puy-en-Velay. De là à penser à une origine publique pour une part du domaine vicomtal, il n’y a qu’un pas que d’autres indices invitent à faire.

48Comparons tout d’abord le patrimoine des vicomtes de Millau avec celui de leurs prédécesseurs du Xe siècle. Certes l’exercice trahit globalement une absence de continuité de part et d’autre de l’an mil : les rares biens connus des vicomtes carolingiens (huit grands domaines, curtes, comprenant six églises et un château, et une dizaine de manses épars) sont dispersés sur l’ensemble du territoire du pagus, avec des occurrences en Viadène, dans le Rouergue occidental, dans le Ségala, près de Rodez et aux confins de l’Albigeois, soit dans des zones où les Millau n’auront aucun droit un siècle plus tard. Apparaît toutefois un bien commun : le grand domaine (curtis) de Salmiech, donné avec son château en 937 au vicomte Bernard et à ses deux fils par l’abbé de Vabres et que l’on retrouve comme siège d’un mandement vicomtal en 1061. Le cas de Salmiech témoignerait donc de deux évolutions : la mise en place d’une nouvelle géographie de l’encadrement, désormais organisée autour d’un château qui n’était pas chef-lieu de viguerie à l’époque carolingienne ; de manière moins assurée, la patrimonialisation d’un domaine qu’on est tenté d’assimiler à un bien du fisc, du fait de sa circulation au sein du groupe des détenteurs d’honores publics.

49Cette probable origine publique de Salmiech expliquerait une singularité que l’on peut observer dans la gestion du domaine vicomtal. En 1061, l’un des fils du vicomte Richard II, Bernard, céda quarante manses lors de sa prise d’habit à Saint-Victor de Marseille. Ces exploitations étaient localisées dans quatre territoires : onze relevaient de deux des vigueries citées dans le censier vicomtal, alors que les vingt-neuf autres se situaient dans les mandements de deux châteaux : Salmiech (in Solmegesio), pour dix d’entre eux, et Camboulas (in Cambolasses), pour les dix-neuf derniers. Or ni Salmiech, ni Camboulas, ni surtout les propriétés des vicomtes qui en dépendaient ne figurent dans le censier, alors qu’il est établi par exemple que le vicomte Hugues possédait de nombreux manses près de Camboulas vers 1080 et alors que ces deux ressorts relèveront au siècle suivant des comtes de Rodez, héritiers directs des vicomtes. Comment interpréter cette distinction entre, d’une part, les manses décrits dans le censier et gérés dans le cadre de vigueries sans continuité avec les anciens ressorts carolingiens, ni référence à des châteaux contemporains – déconnections qui en disent long sur la primauté de la terre par rapport aux cadres spatiaux politiques – et, d’autre part, des propriétés similaires, absentes du censier, dont la localisation et la gestion échappaient au cadre des vigueries et s’inscrivaient dans celle de deux châtellenies ? Une explication plausible pourrait tenir au statut particulier, en l’occurrence à leur origine publique, dont jouissaient les forteresses de Salmiech et de Camboulas, parties prenantes de l’honor vicomtal à partir du Xe siècle.

50Malgré le caractère hypothétique des analyses qui précèdent, on a bien le sentiment que le domaine vicomtal est issu d’un double mouvement de patrimonialisation d’anciens biens fiscaux et de châteaux publics et de transmission de terres ancestrales dont la propriété remontait bien avant l’an Mil, notamment autour du probable sanctuaire familial de Saint-Léons.

Notes de l’annexe 4

51Le titre du dénombrement des comtes de Rouergue (« Breve de illa terra et de illa onore de Raymundo comite Ruthenensis et de Berteldis mater sua et de Ugone comite filio suo et de Ricardis mater sua ») est connu grâce à l’historien Antoine Bonal, qui l’a vu dans les archives des comtes de Rodez au début du XVIIe siècle (Comté et comtes de Rodez, Rodez, 1885, p. 38-39).

52Le dossier de Nobiliacum-Saint Léons est constitué par : la vente à Richard par Bernard Plantevelue en 873-874 (Arch. dép. Bouches-du-Rhône, 1 H 3, no 5 ; éd. René Poupardin, « Une charte inédite de Bernard Plantevelue », Annales du Midi, t. 14, 1902, p. 350-353) ; la rétrocession par Richard à Vabres en 875 (Cartulaire de l’abbaye de Vabres au diocèse de Rodez, éd. Etienne Fournial, Rodez-Saint-Etienne, 1989, no 38, p. 120-123) ; la confirmation de 1112 et le témoignage des deux moines vers 1120 (respectivement actes no 47 et 15 du catalogue). Dans ce dernier acte, les deux moines prétendent que le prévôt Emenon fit venir d’Aniane un prieur pour administrer Saint-Léons sous son autorité : il est possible que ce prévôt Emenon soit devenu ensuite l’abbé d’Aniane attesté sous ce nom, après 1062 et au moins jusqu’en 1075.

53La terre fiscale donnée par le vicomte Hugues figure dans l’acte no 27 du catalogue. Pour l’hypothèse d’un partage des droits entre le comte Hugues de Rouergue et le vicomte Bérenger sur le domaine de Trébosc, voir J. Bousquet, Le Rouergue au premier Moyen Âge…, t. I, p. 69 et note 16, p. 88 ; à dire vrai, rien ne prouve que Bérenger, époux d’Etiennette, qui donna à Conques le fief presbytéral de l’église de Trébosc, était bien le vicomte du même nom (Cartulaire de Conques…, no 8-9, p. 11-13). C’est encore à J. Bousquet que l’on doit la découverte des droits de Raimond de Saint-Gilles autour de Ségur : « La donation de Ségur par Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, à l’église du Puy-en-Velay (1096) », Annales du Midi, t. 74, 1962, p. 65-70.

54Pour le patrimoine des vicomtes du Xe siècle, nous renvoyons à notre thèse Les vicomtes de Rouergue-Millau…, p. 119-123.

55La particularité de la situation des châteaux de Salmiech et de Camboulas découle du croisement du censier avec les donations de Bernard en 1061 et de son frère Hugues vers 1080, respectivement actes no 12, 26 et 27 du catalogue. Ces deux ressorts continuent du reste à jouir alors d’une forte identité chez les comtes de Rodez : la châtellenie de Salmiech constitue à la fin du XIIe siècle la dotation d’un des cadets de la famille comtale, Richard, tige de la famille de Landorre (voir, par exemple, Paul Ourliac, Anne-Marie Magnou, Le cartulaire de la Selve. La terre, les hommes et le pouvoir en Rouergue au XIIe siècle, Toulouse, 1985, p. 22 et notes 129-130, p. 39) ; Camboulas est qualifié de vicomté dans un hommage rendu par le comte Henri de Rodez à Simon de Montfort en 1214 (Histoire générale de Languedoc, éd. Privat, t. VIII, Toulouse, 1879, Preuves, no 178, col. 655-658)

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