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Violences au travail

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François Courcy
, 
André Savoie
, 
Luc Brunet

3. La victimisation et ses effets

Luc Brunet, André Savoie, François Courcy et Marie-France Savard

Texte intégral

1Existe-t-il des victimes types ? Selon la croyance populaire, lorsque des personnes se sentent harcelées ou se plaignent de harcèlement, c’est qu'elles sont fragiles, faibles et geignardes. Du moins, ce sont les raisons souvent évoquées par les harceleurs pour justifier leurs comportements. La réalité serait tout autre. Hirigoyen (1998) tend à assimiler la victime au bouc émissaire, dont la fonction historique était de servir d’exutoire à la violence tout en sacralisant la victime. À notre époque, au lieu de sacraliser la victime, on la fait passer pour faible et plaignarde. Bien que certains individus, pour des raisons d’ordre personnel ou organisationnel, soient plus sujets à souffrir de violence au travail, il n’en demeure pas moins que la recherche en psychologie n’est pas encore arrivée à tracer un profil type du harcelé. Tous les acteurs d’une organisation peuvent être des victimes, mais à cause de certaines conjonctures situationnelles, organisationnelles ou personnelles, certains risquent davantage de le devenir.

2Toutefois, il y a lieu d’être prudent face aux propos de certaines personnes qui, confondant droit de gérance et harcèlement, vont se plaindre du fait que l’organisation met en place des politiques de surveillance, de rémunération au mérite, de gestion des absences ou d’amélioration de la performance (Zapf et Gross, 2001). Tout comme la notion de stress, celle de violence au travail risque de devenir une expression fourre-tout pour désigner tous les types de problèmes ou de souffrances qu’une personne peut éprouver au travail. Comme nous l’avons vu plus tôt, bien que la violence au travail soit une des formes que peut prendre la souffrance au travail, toute souffrance au travail n’est pas nécessairement du harcèlement moral ou de la violence. La violence au travail se différencie des autres formes de pression au travail en ce que c’est la personne même qui est visée et non pas l’accomplissement d’une tâche, accomplissement qui s’accompagne de contraintes et même de sanctions en cas de non-exécution ou de mauvaise exécution.

3Par ailleurs, il faut aussi souligner qu’une personne qui subit de la violence au travail va se considérer comme une victime seulement si elle considère ces actes comme étant déplaisants, dégradants et la visant spécifiquement. Selon Hogh et Doffadottir (2001), ce n’est pas nécessairement le nombre de gestes de violence dirigés contre une personne qui crée le sentiment d’être victime, mais beaucoup plus le fait de subir de façon consciente cette violence.

4Cette notion de la personne cible est reprise par Hirigoyen (2003) : selon elle, le harcèlement moral est une notion subjective qui tient compte à la fois des agissements malveillants d’un individu ou d’un groupe d’individus et des conséquences sur la santé et la dignité de la victime. Cette auteure précise toutefois qu’il ne faut pas perdre de vue la violence interne du monde du travail, qui permet l’exécution de toute forme de violence. C’est donc la raison pour laquelle on ne peut véritablement parler de profil de victime sans prendre en considération le milieu de travail de celle-ci. Les prochaines sections de ce chapitre traiteront des caractéristiques des victimes potentielles au niveau de leurs traits individuels, mais aussi en fonction de l’environnement dans lequel elles travaillent.

La perspective individuelle

5Bien que, dans ce volume, on considère la violence comme étant le résultat de l’interaction entre la personne et son environnement, certains auteurs considèrent la violence comme le fait de la victime. Pour Seigne, Coyne et Randall (2001), les victimes de violence au travail ont souvent un passé de victime et elles sont souvent plus anxieuses, instables, soumises, introverties et méticuleuses que la plupart des travailleurs. Dans le même ordre d’idées, Brodsky (1976) postule que les victimes sont souvent plus minutieuses, rigides, travaillantes et moins conscientes de leurs capacités et ressources que ne le sont les autres. Pour vérifier cette assertion, Matthiesen et Einarsen (2001) ont réalisé une étude visant à tracer un profil psychologique auprès de 85 travailleurs victimes de violence au travail. Ils ont observé que les individus venant de groupes sérieusement touchés par la violence étaient dépressifs, anxieux, un peu confus et manquaient de confiance en eux. Ceux qui avaient déjà souffert de problèmes psychologiques étaient vraisemblablement plus susceptibles de souffrir à long terme de problèmes psychologiques et physiques lors de violence ou de conflits interpersonnels sérieux. De même, ceux qui démontraient des problèmes psychologiques, une faible estime de soi et un haut degré d’anxiété lorsqu’ils sont en groupe pourraient aussi être plus fragiles que les autres par rapport à la violence et au harcèlement et avoir aussi plus de difficultés à se défendre lorsqu’ils sont soumis à de tels événements. De la même façon, les personnes silencieuses ou discrètes, dociles et timides, les personnes influençables seraient plus facilement victimes de harcèlement que les personnes qui savent se défendre.

6Cependant, un questionnement important se pose en regard des résultats observés dans cette recherche a posteriori : les profils observés ne seraient-ils pas biaisés du fait que les gens étudiés avaient fait l’expérience de la violence au travail avant l’étude ? N’observe-t-on pas alors un comportement déjà modifié par la violence subie ? Ces questions ont aussi été soulevées par Skeene (1996, dans Moreau, 1999). C’est pourquoi, selon Leyman (1996), considérer que les traits de personnalité du harcelé sont la seule cause du phénomène nous conduit à faire fausse route.

7Hirigoyen (1998) s’oppose à cette vision de la victime comme un être faible ou soumis, ou encore masochiste. Il s’agit souvent au contraire d’une personne qui possède ce que l’agresseur n’a pas et qu’il désire : la beauté, l’expérience, la compétence, le succès, les relations, etc. L’envie (chez l’agresseur) peut donc s’avérer une motivation de violence extrêmement puissante. Certaines victimes peuvent aussi avoir l’air naïves, tout simplement parce qu’elles ne s’imaginent pas qu’un(e) collègue puisse être aussi méchant(e) et mal intentionné(e). Les victimes peuvent aussi avoir une propension à se culpabiliser, à se demander ce qu’elles ont pu faire pour provoquer l’autre.

8Au-delà des attributs, des comportements et des attitudes de la victime, d’autres caractéristiques différentielles à caractère sociodémographique peuvent inciter à la violence. Ainsi, l’âge peut être un facteur de victimisation selon Jauvin, Dompierre et Vézina (1999) et Hirigoyen (2003). Les travailleurs âgés de 50 ans et plus, jugés moins performants ou pas suffisamment versatiles, pourraient plus facilement être la cible de harcèlement moral. La même chose peut aussi s’observer chez des travailleurs jeunes dans un groupe composé majoritairement de travailleurs expérimentés. De fait, un travailleur peut être victime de violence à cause de sa différence, que celle-ci provienne de sa position sociale, de son origine familiale, de sa formation, de son orientation sexuelle, de son origine ethnique, de sa nationalité ou de ses convictions politiques ou religieuses. Même un handicap physique ou mental peut être un déclencheur. Dans tous ces cas, la violence se conjugue à la discrimination. Le seul fait d’être différent en regard d’une caractéristique servirait alors de motif pour victimiser une personne.

La perspective organisationnelle

L'environnement de travail

9L’environnement de travail peut-il être une cause de violence, voire d’incitation à la violence ? Plusieurs études (Giacalone et Greenberg, 1997 ; Zapf et Gross, 2001 ; Seigne, Coyne et Randall, 2001 ; Aries, 2002 ; Hirigoyen, 2003) montrent le rôle de l’organisation elle-même dans le déclenchement de la violence. Selon Hirigoyen (2003), les nouvelles méthodes de management — intensification des rythmes de travail, diminution des espaces d’autonomie, polyvalence, précarité du travail, changements organisationnels fréquents — risquent de faire déraper certains employés et de les transformer en bourreaux. Aries (2002), dans son livre intitulé Harcèlement moral ou nouveau management ?, dénonce lui aussi les nouveaux modes de gestion qui brisent les cultures de métier, les identités collectives, qui imposent à chacun une façon de travailler, de s’habiller, de sourire, de parler, voire même de penser. Selon cet auteur, plusieurs nouveaux modes de gestion infantilisent le personnel, vraisemblablement pour mieux le dominer. Que penser de cette politique qui consiste à publiciser « l’employé du mois » avec photo à l’apl’appui ? Il s’agit certes d’un excellent moyen de reconnaître et renforcer la performance d’un employé, mais ce dernier risque par ailleurs de devenir la tête de Turc de certains employés, sur qui ceux-ci pourront se venger de la pression causée par les exigences de production de l’administration.

L’organisation du travail

10L’organisation du travail pourrait également favoriser la persécution d’une personne. Pour Jauvin, Dompierre et Vézina (1999), chez les femmes, la violence au travail est souvent associée aux déterminants organisationnels suivants : travail qui exige un faible effort mental, faible contrôle du travail, responsabilité d’autrui mal définie, conflit de rôles, sous-utilisation des habiletés, faibles possibilités d’avancement. Chez les hommes, selon ces auteurs, la violence éclaterait surtout dans les conditions suivantes : faible contrôle du travail, responsabilité d’autrui mal définie, faibles possibilités d’avancement, sous-utilisation des habiletés.

Le niveau hiérarchique

11Selon Mikkelsen et Einarsen (2001), les employés aux échelons subalternes déclarent plus souvent souffrir de violence au travail que les employés de niveaux supérieurs ou professionnels. En général, les coupables d’actes violents auraient un statut hiérarchique supérieur aux victimes. Par contre, certains individus peuvent être victimes de violence parce qu'elles ne veulent ou ne peuvent pas respecter certaines conventions ou lois non écrites de l’organisation. À l’inverse, il arrive que ce soit le supérieur hiérarchique qui soit victime d’une violence orchestrée par ses subordonnés en vue d’exercer le pouvoir effectif dans l’organisation concernée. L’argumentation classique de ces insurgés est celle de la solidarité nécessaire entre travailleurs, solidarité qui ne recule pas devant certains gestes pour assurer sa cohésion (Brunet et Savoie, 2003). Selon Hirigoyen (2003), la violence existe dans toutes les organisations et certaines sont plus à risques : ce sont les administrations publiques et parapubliques, le secteur médicosocial, les établissements d’enseignement. En fait, toutes les organisations où les rôles et les tâches ne sont pas clairement définis et où, par conséquent, on peut toujours reprocher quelque chose à quelqu’un. Citons, entre autres, le cas suivant qui s’est déroulé dans un établissement d’enseignement primaire :

Régime d’intimidation
Dans cette petite école de quartier, sept directeurs d’école ont démissionné de leur poste en dix ans pour cause de dépression majeure. En effet, quatre institutrices avaient littéralement pris le contrôle de l’école. Elles avaient instauré un régime de quasi-terreur. Chaque fois qu’un nouveau directeur était nommé, elles voulaient sa tête. Les paris étaient ouverts : combien de temps allait-il rester en poste ? Ces institutrices n’acceptaient pas que l’on ait d’exigence de performance envers elles. Le milieu de travail était avant tout, pour elles, un milieu social de bien-être. Ces personnes s’assuraient que la direction n’était pas invitée aux activités sociales, elles interceptaient son courrier, ne lui adressaient pas la parole, faisaient de l’intimidation lors de réunions du personnel, etc. Les quatre institutrices exerçaient une pression considérable sur l’ensemble du personnel. Quiconque se portait à la défense de la direction subissait le même traitement.

Culture et climat organisationnels

12Dans nos interventions, il a été observé que la culture organisationnelle peut soutenir des croyances susceptibles d’engendrer de la violence ou de favoriser son déclenchement. Lorsque des politiques concurrentielles sont vigoureusement appliquées aux travailleurs, une compétition effrénée tend à surgir entre les acteurs. Tous les coups deviennent permis. L’organisation, dans sa quête de compétitivité et de rendement, ferme les yeux sur des actes de violence, car les travailleurs les plus forts et les plus agressifs peuvent lui être plus utiles. Par conséquent, ce mode de fonctionnement renforce la conviction que de tels comportements sont nécessaires pour réussir dans l’organisation.

13Le climat organisationnel peut aussi être impliqué dans la violence. Si les employés ont l’impression d’être injustement traités et de ne pas être impliqué, dans la vie de l’organisation, ils risquent de ressentir un sentiment de frustration susceptible de dégénérer en violence (Brunet et Savoie, 1999). Il peut y avoir une recherche de bouc émissaire (collègue ou supérieur hiérarchique) qui servira d’objet de défoulement face à l’injustice perçue.

Les changements organisationnels

14Selon Hirigoyen (2003), les changements organisationnels (restructuration, changement de hiérarchie, de politiques, etc.) sont souvent à l’origine du développement de comportements de violence. Le changement organisationnel est souvent source d’inquiétude, d’incertitude et de stress. Confrontés à cette situation, les employés vont avoir tendance à préserver et à défendre leurs acquis, quitte à user de comportements violents. Le changement nécessite de la part de la direction un partage d’informations, du soutien et du renforcement.

La gestion du personnel et des conflits

15Plusieurs éléments liés à la gestion du personnel sont susceptibles d’engendrer des comportements de violence. Citons, entre autres, une gestion autoritaire et coercitive, le manque de communication ascendante et descendante, l’absence de participation à la prise de décision, la mauvaise définition des rôles de travail ou l’ambiguïté dans la prescription des rôles, l’absence de définition des objectifs de travail ou une définition inadéquate de ceux-ci, et un manque de soutien dans le travail.

16Un conflit survient lorsque des acteurs poursuivent des buts différents, défendent des valeurs contradictoires, ont des intérêts opposés ou différents, ou poursuivent simultanément et de façon compétitive le même but. Contrairement à Hirigoyen (2003) qui ne semble pas fier le harcèlement moral à des situations de conflits où les protagonistes sont capables de nommer les reproches, Zapf et Gross (2001) postulent que la violence vient fréquemment de l’escalade du conflit. Un conflit est voué à l’escalade à partir du moment où l’on voit apparaître une augmentation de la tension entre deux parties et que l’une des deux ou les deux à la fois peuvent changer leurs orientations comportementales, leurs objectifs stratégiques et leurs techniques en réaction au comportement de l’autre. Le mécanisme d’escalade produit de nombreuses modifications perceptuelles et comportementales (Thomas, 1992). Il faut souligner, entre autres, le développement de perceptions biaisées (stéréotypes), la simplification cognitive, l’augmentation du niveau d’hostilité, la détérioration de la communication, la substitution et la prolifération des buts. Selon Zapf et Gross (2001), lorsque la violence est en escalade, les seules solutions possibles d’intervention consistent bien souvent dans le départ de la victime ou du harceleur, ou encore dans le transfert de l’une des deux personnes dans un autre département ou unité de l’organisation, si cela s’avère possible.

Les effets de la violence

17Les effets de l’agression en milieu de travail préoccupent beaucoup la plupart des travailleurs et des intervenants. Cet aspect de la problématique de la violence au travail est largement discuté dans la documentation et représente un enjeu de premier plan. Cependant, malgré cet intérêt, peu d’études scientifiques ont été menées pour identifier distinctement les méfaits de telles conduites violentes. Les effets connus à ce jour le sont essentiellement grâce à des observations et des enquêtes de spécialistes et d’intervenants auprès des victimes (Aurousseau et Landry, 1996 ; Braverman et Braverman, 1997 ; Damant, Dompierre et Jauvin, 1997 ; Eddie, 1998 ; Keashly, 1998 ; Leyman dans Rayner et Hoel, 1997 ; Leyman, 1990). Malgré cette pénurie, les résultats d’enquêtes et les observations semblent converger, ce qui apporte un important appui à leur véracité, compte tenu de la variété des moyens employés pour les identifier et de la diversité des populations consultées. Les résultats de ces travaux amènent à identifier actuellement quatre types de conséquence des agressions : les effets sur la santé physique, les effets sur la santé psychologique, les effets sur le travail et les effets sur la famille et les témoins.

Les effets sur la santé physique

18Certaines personnes interrogées rapportent un phénomène qu’elles nomment « les blues du dimanche soir », syndrome de malaises physiologiques apparaissant, selon elles, en fin de journée la dernière journée du week-end, quand le travail revient au centre de leurs préoccupations. Certaines victimes affirment également avoir ressenti ces malaises le matin avant de partir au travail. Ce syndrome serait un des premiers symptômes physiques des agressions et du harcèlement qui apparaît chez les victimes. Généralement, la personne ressent des maux de ventre et de tête. Elle dit éprouver une angoisse diffuse, qu’elle associe à la crainte de retourner au travail. La victime peut également éprouver des problèmes de digestion qui peuvent l’amener à vomir. Plusieurs victimes pleurent également, sans pouvoir s’arrêter.

19Outre ces symptômes, plusieurs effets sur la santé physique ont été relevés : désordres gastro-intestinaux et digestifs, nausées, augmentation du rythme cardiaque en l’absence de stimulation physique et insomnie. Des problèmes particuliers peuvent aussi devenir beaucoup plus sérieux et difficiles à gérer, tels les blessures découlant de l’agression, les maladies transmises sexuellement (MTS), les avortements spontanés, les handicaps temporaires ou permanents (Barling, 1996 ; Damant, Dompierre et Jauvin, 1997 ; Hornstein, 1996 ; Quinty, 1999 ; Skeene, 1996). Des études indiquent qui plus est que le seul présage d’actes de violence entraînerait des symptômes de maladie chez certaines personnes (Hall et Spector, 1991).

Les effets sur la santé psychologique

20Parmi les conséquences sur la santé psychologique, on retrouve principalement le stress et de fortes émotions liées à l’insécurité et à la colère (la surprise, la peur, l’angoisse, la frustration et la tristesse). Les agressions peuvent également fragiliser l’estime de soi et la confiance en soi des victimes en les amenant à développer des sentiments négatifs vis-à-vis d’eux-mêmes (impuissance, abandon, honte, culpabilité et persécution).

21Ces réactions affectives s’accompagnent, chez certaines victimes, de détresse psychologique encore plus manifeste (idées suicidaires, fatigue mentale, développement de certains symptômes de troubles mentaux). En ce sens, des témoignages ont lié les agressions à l’adoption de conduites dangereuses pour la santé (consommation de drogues ou d’alcool, perte d’appétit et jeu compulsif) (Damant, Dompierre et Jauvin, 1997 ; Skeene, 1996). Braverman et Braverman (1997) signalent qu’en l’absence d’intervention rapide et efficace, la santé des travailleurs et leur aptitude au travail peuvent être altérées à long terme. Des victimes se disent ainsi moins confiantes, amicales, ambitieuses, résistantes au stress et habiles socialement (Moreau, 1999 ; Skeene, 1996). De plus, l’exposition à la violence, même si elle est de courte durée, pourrait être associée à la présence de troubles mentaux (par exemple, la dépression) (Damant, Dompierre et Jauvin, 1997 ; Skeene, 1996). Certaines personnes iraient même jusqu’à poser des gestes désespérés comme le suicide (Marsolais, 2001).

Les effets sur les relations au travail

22Sur le plan des rapports avec les collègues et les autres membres de l’organisation, on note également une tendance à s’isoler ayant pour cause des relations tendues et des conflits. Cette détérioration des relations au travail entraîne habituellement la perte de crédibilité de la victime aux yeux de ses collègues et superviseurs. Au lieu d’attirer la sympathie, ou du moins de provoquer des interrogations, ces répercussions tendent à marquer négativement la personne. Le soutien social au travail, si important pour la rémission et l’affirmation de soi, s’effrite. Certains travailleurs aux prises avec ce problème en viendront à être taxés d’« incompétents », de « paresseux », de « chialeux » ou encore, pour les personnes plus âgées, de « fardeaux pour l’organisation ». Ces commentaires ne font qu’accentuer les méfaits du harcèlement. Ces personnes pourront devenir aussi des cibles d’attaques de toutes sortes, provenant de toute part. Un cercle vicieux risque alors de s’installer. Ces conséquences individuelles ne sont pas sans répercussions sur l’efficacité des individus dans leur production au travail et dans leur cheminement de carrière. À cet égard, on observe chez les victimes une baisse notable de productivité et de motivation, un désengagement, des départs volontaires et une augmentation des risques d’accidents. Un congédiement pourrait résulter de tous ces effets.

Les effets sur la famille

23Les membres de la famille subissent également des contrecoups des agressions survenant en milieu de travail (Aurousseau et Landry, 1996 ; FTQ, 1993). En effet, des victimes rapportent fréquemment des difficultés conjugales (Stuart, 1992), parentales (Barling, Mac Ewen et Nolte, 1993 ; MacEwen et Barling, 1993) et familiales (Grant et Barling, 1994). Ces difficultés seraient marquées par des disputes, des conflits, des menaces de séparations et, malheureusement, des gestes de violence. La zone de chocs s’élargit donc bien au-delà des murs de l’organisation.

Les effets sur les témoins

24Cette prolifération de victimes amène à prêter une attention particulière aux témoins, car les méfaits des agressions ne se limitent pas uniquement aux victimes, mais s’étendent souvent aux témoins de ces scènes (Damant, Dompierre et Jauvin, 1997). Ces auteurs ont observé chez certains témoins un sentiment d’insécurité et de peur, du stress ainsi qu’une baisse de motivation, d’engagement et d’assiduité. Les témoins craindraient en outre de devenir les prochaines victimes. Soares (2001) rapporte que les témoins ont un indice global de détresse psychologique 59 % plus élevé que celui des personnes qui n’ont pas vécu ou n’ont pas été témoin de harcèlement psychologique dans l’année. Ceci vient corroborer les nombreux témoignages accumulés au cours d’interventions. La plupart des personnes témoins ne sont pas d’accord avec ce qui se passe et rapportent vivre une grande gamme de sentiments : culpabilité et honte de ne pas agir, peur pour la victime et elles-mêmes, colère, frustration, impuissance, perte de motivation et d’efficacité au travail. Les témoins de violence ou de harcèlement au travail sont parfois plus enclins à demander un changement de service ou tout simplement à quitter l’entreprise après ces expériences négatives.

25La victime n’œuvre pas de façon isolée dans son milieu de travail, elle est partie prenante d’un entourage humain. Selon Dejours (1998), la violence au travail ne peut pas être analysée comme un simple avatar de la relation entre deux personnes puisqu’elle se produit au travail et qu’il y a nécessairement des tiers. C’est justement le rôle de ces tiers, du collectif qu’ils représentent, qui sera déterminant, dans la mesure où ils rempliront ou non une fonction d’interposition. De façon générale, les personnes témoins choisissent de ne pas intervenir en gardant le silence devant une telle situation. C’est entre autres la passivité des collègues qui permet que la violence peut éclater.

26Pourquoi le témoin se tait-il ? Les études identifient trois types de justification au silence et à l’inaction. Le premier groupe de justifications pourrait se rapporter au concept de la responsabilité diffuse, soit l’attitude de celui qui ne se sent pas concerné : « Moi, je ne m’en mêle pas, cela ne me regarde pas, c’est à la direction de réagir. » Le deuxième groupe de justifications a tendance à banaliser ce qui se passe et, par conséquent, à ne pas reconnaître la gravité des attitudes et des comportements de violence au travail : « Ici, c’est comme cela qu’on se parle, moi cela ne me dérangerait pas, ce n’est pas de la violence, c’est un conflit de personnalité. » Un troisième groupe de justifications se rapporte au besoin de se protéger dans le cas où l’on perçoit un danger quelconque : « Je ne veux pas envenimer les choses, je ne voudrais pas être la prochaine victime, je ne sais pas bien comment réagir. »

27Une illusion fréquemment répandue chez les témoins est de croire que leur silence représente une position de neutralité. Au contraire, garder le silence est un acte de complicité qui permet le développement et le maintien des attitudes et des comportements de violence. Bien que plusieurs personnes tentent de se convaincre que la violence au travail ne les regarde pas si elles ne sont pas directement impliquées dans la situation, la réalité est bien différente. Toute personne a la responsabilité sociale de porter secours à une personne en danger.

Les responsabilités du témoin
Pour réagir avec succès contre la violence au travail, l’implication des témoins est primordiale. Ils peuvent jouer un rôle important en restant vigilant, en faisant preuve d’empathie, en offrant du soutien et de l’appui, dans certains cas, en témoignant de ce qui a été vu et entendu. Les rôles et les responsabilités attendus des témoins doivent être clairement identifiés dans la politique en matière de harcèlement et violence au travail élaborée par l’organisation. Tout membre d’une organisation devrait donc :
• Prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité et son intégrité physique et psychologique, ainsi que celles des autres personnes qui se trouvent dans son milieu de travail.
• Promouvoir un climat de travail sain et collaborer à le maintenir.
• Agir avec respect et considération envers les personnes avec qui il est en contact au travail en évitant des paroles et des gestes offensants.
• Intervenir immédiatement, s’il est témoin d’une situation de violence. S’il ne veut ou ne peut pas intervenir directement, il doit signaler la situation aux personnes concernées le plus rapidement possible.
• Apporter son témoignage s’il y a enquête lors du traitement d’une plainte et respecter la confidentialité en regard de cette situation.
• Suggérer des solutions à des situations qui pourraient dégénérer en violence au travail et par conséquent, participer à sa prévention.

28Face à l’ampleur que prennent les conséquences de la violence au travail, personne ne peut rester indifférent. On conviendra que les effets varieront d’une victime à l’autre, en fonction des gestes posés, de la durée de l’exposition aux mauvais traitements, du soutien social dont bénéficie la personne, de son état de santé avant sa victimisation. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’un seul geste peut avoir des répercussions graves et à long terme. Certaines personnes peuvent en arriver à devenir inaptes au travail.

Auteurs

Ph.D., professeur titulaire en psychologie à l’Université de Montréal, est coauteur de 16 livres dont La face cachée de l’organisation (PUM, 2003) et de plus de 100 articles en psychologie du travail et des organisations ainsi qu’en administration de l’éducation. Ses recherches et interventions portent sur la violence au travail, le climat organisationnel, le mitan de la vie et l’efficacité des organisations.

Ph.D., coordonnateur du programme en Psychologie du travail et des organisations à l’Université de Montréal, est coauteur de 9 livres, dont La face cachée de l’organisation (PUM, 2003), et de 91 publications. Ses activités actuelles de recherche et d’intervention portent sur les conditions du travail intégrant des objectifs de santé individuelle, d’efficacité groupale et de performance organisationnelle.

Ph.D., psychologue de l’organisation, est professeur au Département de psychologie de l’Université de Sherbrooke. Ses travaux de recherche portent principalement sur la mesure et la prédiction des conduites de violence au travail. En consultation, il favorise la prévention de la violence au travail et le développement d’un climat de travail sain.

Psychologue et agit comme conseillère en formation et en développement organisationnel depuis 1983. Ses interventions sont colorées de ses valeurs : collaboration, responsabilisation et soutien aux personnes. Elle a travaillé à plusieurs projets paritaires visant la prévention du harcèlement et de la violence au travail.

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