Marie-Victorin à Cuba
| ,La correspondance annotée 1907-1944
Texte intégral
Frère Léon à Marie-Victorin – 19 octobre 19081
- 1 Alors que presque toutes les lettres présentées dans cette correspondance ont été déposées aux Arch (...)
1Bien cher Frère et Collègue,
- 2 Le 4 novembre 1908, dans son journal, intitulé Mon miroir, Marie-Victorin avait écrit : « Flora hab (...)
- 3 Charles Fuller Baker (1872-1927) a joué un rôle de premier plan dans la carrière scientifique du fr (...)
2J’ai reçu le mandat-poste et au premier moment libre, je m’en fus à La Havane, pour acheter la flore en question ; cette flore que depuis plusieurs mois le Bulletin de l’Académie des Sciences annonce comme étant en vente, comme vous pourrez le voir d’ailleurs à la dernière page dudit Bulletin que je vous envoie, n’est pas en vente du tout, elle ne sera publiée probablement pas avant quelques années ; vous vous imaginez si je tombais des nues, quand le bibliothécaire même m’avait dit qu’il les vendait $ 3 me dit ensuite qu’on ne les a pas encore publiées ; il n’y a qu’à Cuba qu’on voit cela ; après m’être creusé la tête je m’en fus acheter la seule et unique flore actuellement à Cuba2, c’est loin d’être la perfection, mais je n’ai pas l’embarras du choix ; on me la fit payer $ 3 ; cela tombait bien ! Je reparlerai au Consul de France d’en échanger avec vous ; au besoin je lui déterminerai ses échantillons, car lui ne connaît pas les plantes ; il en ramasse et les envoie à Paris où elles sont déterminées ; pour quant à vous trouver une autre personne, c’est impossible ; s’il fallait en croire Mr Baker3, il n’y aurait dans toute l’île aucun botaniste actif, allant par monts et par vaux recueillir des plantes, sinon votre serviteur ; c’est je suppose à cause des sueurs abondantes qu’il faut verser tant pour les récolter que pour les préparer.
- 4 Loma : « On nomme “loma”, une montagne à profil arrondi, par opposition à “sierra”, qui comporte un (...)
3J’ai récolté pas mal de plantes ces temps-ci, malgré la saison des pluies qui est à peu près achevée ; je n’ai jamais tant reçu de douches que cette année, parfois en particulier que nous étions allés nous promener dans les lomas4 abruptes, rocheuses et boisées ; rien de plus pittoresque ; quelles jolies fougères et autres plantes j’ai trouvées là-bas ; ainsi que quantité de broméliacées, et des orchidées épiphytes dont je vous envoie une fleur ; c’étaient les premières que je ramassais, car dans les environs de la Havane il y en a peu ou point, sauf deux espèces que j’ai collectionnées sur des arbres du jardin ; je n’en ai aucune déterminée ; je n’en ai séché qu’une et il faut une patience d’archange pour en venir à bout. Je regrette de ne pas pouvoir vous envoyer de plantes immédiatement mais je ne désespère pas de pouvoir le faire un peu plus tard.
4Je me ferai également un plaisir de vous faire parvenir les publications en espagnol qui pourront me tomber sous la main. À propos de cela je connais 2 revues en Espagnol très jolies, l’une agricole, l’autre plus générale : 1re la Hacienda et 2e América, publiée toutes deux à Buffalo. Adresse : Hacienda Company. Buffalo, N.Y., É.U.A. Vous pourriez leur en en demander un numéro de chaque pour les examiner.
- 5 Frère Arsène, un Canadien des frères des Écoles chrétiennes, a enseigné quelques années à Cuba, d’a (...)
- 6 Sancti Spiritus, ville du centre de l’île de Cuba, dans la province du même nom. À Cuba, les provin (...)
5Le frère Arsène5 arrive de New York pour Sancti Spiritus6 où le Collège marche très bien. Ici tout va bien, toujours beaucoup d’élèves.
6Tout le monde vous salue bien cordialement. Saluez, je vous prie de ma part, le ch. Frère Directeur, Sous-Dir. et toute la Communauté.
7Votre bien dévoué dans le cœur de Jésus,
8Fre Léon
9Si par hasard vous rencontrez des médailles ou images sans destination ; vous savez qu’ici elles font les délices des indigènes blancs ou noirs qui vous demandent la bénédiction mais surtout la medallita.
Frère Léon à Marie-Victorin – 9 janvier 1911
- 7 Il s’agit de spécimens, récoltés dans la nature puis séchés entre des cartons. Ces spécimens seront (...)
- 8 Percy Wilson (1879-1944). Engagé comme technicien par le Jardin botanique de New York, son directeu (...)
- 9 En sélectionnant les lettres et leurs extraits, un effort a été fait pour exclure les nombreuses de (...)
10Bien cher Frère Victorin, Je n’ignore pas que c’est à mon tour de vous écrire et de vous annoncer un paquet de plantes cubaines7 ; cependant, je ne suis pas encore en mesure de vous faire cette annonce. Comme vous m’aviez proposé de faire une liste de plantes canadiennes reçues, de même faites-moi parvenir S.V.P. une liste des plantes cubaines que vous avez, afin de m’éviter de vous envoyer les mêmes à moins que vous désiriez en recevoir de nouveaux échantillons de celles que vous avez déjà. Je ne mettrai pas encore cette fois ma liste en question dans cette lettre, de peur de retarder cette lettre qui n’est déjà pas très en avance. J’ai été pas mal occupé ces temps derniers, précisément par la botanique, ayant dû accompagner dans les excursions aux environs, Mr Wilson du Jardin botanique de New York8 ; j’ai pu aussi profiter un peu de l’expérience d’un botaniste de profession et qui connaît pas mal la flore des Antilles. Quelles plantes aimeriez-vous mieux ? des Graminées, des Cypéracées, ou des Phanérogames9 quelconques ?
11Je ramasse quelques mousses mais je n’ai pas l’occasion d’en ramasser des quantités suffisantes pour vous en faire parvenir à présent. Pour quant aux fougères, je n’ai pas non plus l’occasion d’en ramasser de nouvelles, et c’est peut-être la famille de plantes la moins fixée, la plus difficile à faire déterminer, pour la flore tropicale du moins à ce qu’il me semble. Je puis me tromper cependant.
12Vos amis de Québec comptent-ils revenir voir Cuba ? En ce cas, je profiterais de la voiture, pour vous envoyer le paquet susdit.
- 10 Le Congrès eucharistique dont il est question s’est tenu à Montréal du 6 au 11 septembre 1910. Dans(...)
- 11 Le Colegio De La Salle, situé dans le quartier chic de Vedado, à La Havane, fut fondé en 1905 par l (...)
13Nous avons tous lu avec beaucoup d’intérêt les détails de votre magnifique Congrès Eucharistique10. Notre pauvre Cuba est bien misérable sous ce rapport, l’élan religieux ici étant à peu près nul. Malgré cela notre nouveau Collège marche assez bien, les nouveaux arrivent en grand nombre et nous dépassons 270 externes et demi-pensionnaires11. Si nous admettions des pensionnaires, nous serions de suite pour le nombre d’élèves le premier Collège de la Havane.
14Laissez-moi maintenant vous souhaiter une bonne et Sainte année, abondante récolte de mérites et de plantes aussi, une santé de plus en plus robuste ; que la bonne odeur du foin et autres plantes vous fasse l’effet de la meilleure huile de foie de morue.
15Veuillez, je vous prie réitérer mes meilleurs vœux au ch. Fre Directeur et à tous, en particulier au ch. Fr. & Dr Fre René Auguste, qui doit être heureux et fier de déployer son zèle dans un grand et beau collège, comparable à notre ancien St. Jh de Dijon.
16Merci sincèrement à vous.
17Fre Léon
Frère Léon à Marie-Victorin – 27 septembre 191212
- 12 Alors que les deux premières lettres, celles du 19 octobre 1908 et du 9 janvier 1911, sont intégral (...)
18J’ai pu aussi grâce à Dieu faire une gentille exploration dans une partie intéressante de Cuba, où il y a des noyers, des chênes, des pins… des palmiers de 7 ou 8 espèces, voire même fougères arborescentes, tout cela aux frais du Jardin botanique de New York, de plus l’explorateur à son retour me ramena environ 250 espèces de plantes peu communes. Il y en a pour vous.
19Si parfois il y a un délai un peu long à vous envoyer quelque chose comme le dernier qui vient de s’écouler, croyez que le manque de temps en est cause.
20Nous avons grâce à Dieu chaque année une centaine d’élèves de plus que l’année précédente, et comme vous dites la prospérité est parfois embarrassante quand le personnel n’augmente pas. De plus, chaque année il faut une nouvelle classe supérieure jusqu’à arriver à la quatrième de Baccalauréat et s’ingurgiter chaque année de nouveaux cours et programmes, c’est pourquoi les loisirs deviennent rares.
- 13 La langue de Balmès (1810-1848) est l’espagnol. Le 12 juillet 1908, Marie-Victorin avait mentionné (...)
21Quand comptez-vous venir pratiquer au milieu de nous la langue de Balmès13, voyons si vous trouverez une issue ?
Frère Léon à Marie-Victorin – 20 avril 1913
22Je réponds seulement à votre lettre du 20 mars parce que le colis de vos belles plantes canadiennes vient seulement d’arriver ; vous savez comment ces colis vont quelquefois faire un tour en Europe et prennent leur temps pour parvenir à destination.
23J’ai trouvé vos plantes fort intéressantes, comme la Sarracenia, la Clématite de Beloeil, l’Utricularia, les Droseras, etc. et autres que peu à peu j’apprécierai à leur valeur au fur et à mesure que j’aurai le temps de m’en occuper.
24Dans ce rapport-là j’envie votre sort, vous avez le temps de faire de la botanique, d’étudier les échantillons que vous récoltez, tout cela m’est impossible faute de temps.
- 14 Le Naturaliste canadien est un périodique scientifique qui fut fondé en 1868 par l’abbé Léon Provan (...)
- 15 Le field botanist est un botaniste travaillant sur le terrain et dont la tâche est principalement l (...)
25Les compliments que vous m’adressez dans votre lettre vous conviennent plutôt qu’à moi. Vous voilà une autorité botanique au Canada, je l’ai vu ! Vous ne direz pas le contraire, dans le Naturaliste canadien14 que vous avez eu la gentillesse de m’envoyer. Quant à moi, je ne suis, qu’un « field botanist »15 comme disent les Américains, n’ayant même pas le temps d’étudier et de mettre en herbier au fur et à mesure les exemplaires récoltés.
- 16 Avant de s’établir à Cuba, le frère Léon avait séjourné au Canada, plus particulièrement à Hull, où (...)
26Je suis très content d’avoir des nouvelles du Frère Damase Henri, je garde le meilleur souvenir des relations que nous avons eu à Hull16. Je serai très heureux de le revoir. Dites-lui bien que Cuba est un charmant pays, il y a des gens de Paris, du Cantal, de la vallée de Loire, etc.… pas de reptiles venimeux du tout on peut se fourrer où l’on veut à la campagne, voire même dans l’eau de la mer sans danger ; tandis qu’au Mexique il y a des lézards très venimeux, des scorpions très dangereux, des révolutionnaires en quantité, des serpents à sonnette, etc. etc. Cuba, voilà l’idéal ! dites-lui qu’il se dépêche.
Frère Léon à Marie-Victorin – 25 décembre 1913
- 17 La santé de Marie-Victorin fut toujours chancelante ; ce thème est omniprésent dans la correspondan (...)
27Merci de vos bons souhaits et merci aussi pour les bonnes prières que vous ferez à mon intention pour qu’ils se réalisent. À mon tour je vous souhaite aussi une bonne et heureuse année et Sainte aussi et méritoire au milieu des travaux apostoliques que le bon Dieu a confiés à votre zèle. Je demande à l’Enfant-Jésus que cette année soit meilleure encore si possible que les précédentes sous le rapport de la santé17 et des travaux scientifiques.
- 18 Le frère Léon portera une attention particulière à cette famille, comprenant de nombreuses espèces, (...)
28Votre lettre m’est parvenue le 23 et le paquet contenant la flore du Bas St-Laurent le 24, veille de Noël, c’est un beau cadeau de Noël que vous m’avez envoyé. Les graminées18 surtout m’ont fait plaisir ; et les orchidées ! potentilles, Juniperus, Lycopodium, etc. Les fougères doivent être rares par là-bas.
29Ç’a été beaucoup d’amabilité de votre part de penser à moi quand vous fîtes la répartition de vos spécimens, car c’était à mon tour de vous faire un envoi. Ce n’est pas tant les plantes qui manquent, c’est le temps ! Je suis endetté partout, car depuis pas mal de temps, j’ai dû cesser tout envoi de plantes faute de temps. Tous les ans il y a des cours nouveaux et il faut même parfois suppléer au livre qui manque par un cours qu’il faut composer soi-même. J’attends avec impatience la fin de tout cela.
Frère Léon à Marie-Victorin, sans date, probablement en 1914
30San Diego de Los Baños
31Très cher Frère Victorin,
- 19 Les frères des Écoles chrétiennes auraient eu une maison de campagne à San Diego de Los Baños. Selo (...)
32Je vous écris ces quelques mots de notre maison de campagne, au milieu de montagnes fort pittoresques où les sierras calcaires alternent avec les collines de serpentine, de silice, limonite, couvertes de pins19. À chaque sortie de la journée je ramène plus de 60 ou 70 espèces de plantes qui me sont inconnues. Naturellement je vous en réserve votre part : j’ai recueilli entre autres plusieurs espèces d’orchidées dont une habenaria qui croît dans les pins.
33Vous aurez reçu je suppose le paquet de plantes que je vous ai expédié fin juin ; il est parti au plus tard dans les premiers jours de juillet par un bateau allemand, et bien à temps je suppose pour que la guerre ne l’empêche pas d’arriver.
34À propos de guerre je vous serais reconnaissant de me dire et par retour du courrier si possible, si les frères français du Canada, soumis à la loi militaire sont partis pour la France ou non.
35Ceux d’Espagne, paraît-il et plus que probable ceux qui étaient dans le voisinage de la France sont partis, ceux du Mexique aussi vont partir. Vous savez que tous les Frères du Mexique ont été expulsés, une partie est déjà arrivée ici. Nous autres nous sommes sur le qui-vive.
36Vous pouvez m’écrire au Colegio De La Salle comme de coutume, nous serons de retour là-bas dans peu de jours. Les quelques novices mexicains qui veulent s’expatrier viendront paraît-il ici à San Diego avec d’autres frères.
37En attendant de vos nouvelles, bien affectueusement à vous.
Frère Léon à Marie-Victorin – 20 mai 1914
- 20 Le frère Léon utilise souvent des expressions anglaises. Français d’origine, parlant couramment l’e (...)
38À présent venons-en à ce fameux paquet de plantes. J’ai dû vous dire qu’il était fait mais non pas qu’il était envoyé. Il est fait en ce sens que les sheets20 à vous destinées ont été mises à part jusqu’à ce que j’aie le temps de faire les étiquettes.
39Depuis lors il y a eu tant à faire, de jour et de nuit, que les étiquettes sont encore à faire. Les paupières se ferment malgré moi le soir avant d’avoir eu le temps de faire de la botanique.
40Mais espérez, d’ici peu nous sommes en vacances, et coûte que coûte il faudra qu’il parte.
41Quelle chance vous avez de pouvoir vous occuper des plantes de tant de contrées diverses, voire même de l’Australie, peut-être avez-vous des graminées australiennes ! !
42Mes respects au Ch. Fre Directeur et salut aux connaissances.
43Votre bien cordialement dévoué.
Frère Léon à Marie-Victorin – 25 juin 1914
44Nous voilà donc en vacances, et ma première pensée a été pour vous, c’est-à-dire que j’ai fait les étiquettes de ce fameux paquet égaré seulement dans un placard depuis le Nouvel An, de sorte qu’il va enfin partir.
- 21 Non possumus : expression latine qui veut dire « nous ne pouvons pas », « pas question » ou « non n (...)
45Je n’ai pas beaucoup de nouvelles à ajouter à celles de ma dernière lettre sinon que depuis peu nous avons ici 19 Frères de Monterey qui sont venus échouer à la Havane, victimes de la Révolution des Villa, Carranza et Cie. Comme ces gens-là mangent les curés tout cru, la première chose qu’ils firent en entrant à Monterrey fut de leur demander à eux et aux Maristes un ½ million pour les frais de la guerre ; comme ils répondirent par un non possumus21 ils furent conduits en prison ; grâce au consul français ils purent en sortir au bout de deux heures pour préparer leurs malles et partir le lendemain.
- 22 Si Dios quiere : expression souvent utilisée par le frère Léon qui veut dire « Si Dieu le veut ».
46Ils occupent en ce moment une maison de campagne que nous venons d’acheter aux pieds de belles montagnes, et où j’espère, si Dios quiere22, aller dans peu faire une petite exploration.
- 23 Dans la correspondance, il sera souvent question de la retraite. Les frères des Écoles chrétiennes (...)
47Là-dessus je vous souhaite de bonnes et fructueuses vacances, et donnez le bonjour à la retraite23 aux connaissances.
Frère Léon à Marie-Victorin – 16 septembre 1914
48Mon très cher Frère Victorin,
49Merci pour votre lettre du 29 août. Ici aussi nous avons été assez longtemps sans nouvelles des Supérieurs. Il n’y a que le Fre Sulpice qui soit parti, plus une dizaine de Frères du Mexique. Je suis toujours à Cuba grâce à Dieu, d’autant plus que ma classe n’est pas appelée hors d’Europe.
- 24 Spathelia Brittonii sp. nov. Le spécimen type de cette nouvelle espèce (sp. nov.), c’est-à-dire cel (...)
50Je suis inquiet au sujet de l’envoi que je vous ai fait, ce serait dommage que les Allemands l’aient confisqué. Il aurait fallu attendre trois semaines pour qu’il prît le bateau français ; peut-être aurait-ce été préférable. Ce paquet renfermait quelques plantes comme la Spathelia Brittonii sp. nov.24 peu faciles à recueillir de nouveau, c’est une rutacée comme un palmier de 10 à 15 m avec les fleurs et feuilles au sommet, et on n’en voit que dans les sierras à 200 km de la Havane.
- 25 L’anse à Persi : observations botaniques et géologiques sur une portion de la côte sud du Saint-Lau (...)
- 26 Dès le début de cette correspondance, qui s’étale du milieu des années 1900 à 1944, le frère Léon c (...)
51Je vous suis fort reconnaissant de votre gentillesse à m’envoyer votre intéressante relation sur l’Anse à Persi25 ; inutile de vous dire que je l’ai lue d’un trait, combien vous auriez de plaisir à décrire écologiquement les sites si variés et de flore si différente qu’on rencontre à Cuba26. La première chose qui me manque c’est le temps…
52Fre Léon
Frère Léon à Marie-Victorin – 24 février 1915
- 27 Le frère Léon a séjourné à Hull (Gatineau) pendant son court séjour au Québec, en 1904 et 1905. Évi (...)
53Si vous poussez une pointe jusqu’à Hull, Ottawa, vous trouverez dans la Flore quelques-unes de mes anciennes connaissances27.
54Je devrais vous envoyer un beau paquet de beaux spécimens ; faites-moi un peu de crédit, car je suis accablé d’ouvrage, désespéré de n’avoir que la nuit pour faire de la botanique, et encore j’en ai besoin pour me reposer.
- 28 Le Dr Manuel Gómez de la Maza (1867-1916) et le Dr Juan Tomás Roig ont publié, en 1914, un ouvrage (...)
55Pour le moment je vous envoie un ouvrage qui vient de paraître sur la Flore de Cuba, ce n’est pas une Flore, c’est plutôt une liste des plantes économiques à différents points de vue28…
- 29 Les « autres raisons » étaient de protéger la propriété intellectuelle de ses découvertes et de ne (...)
56Par le passé, je n’ai offert aux auteurs que peu de plantes, voilà pourquoi ils se réfèrent à un tout petit nombre de spécimens de notre herbier. Le Dr Maza aurait bien voulu que je lui passe la liste des espèces que j’ai recueillies, mais faute de temps, et pour d’autres raisons je me suis abstenu29.
57Je vous félicite d’être arrivé à monter un Laboratoire de Botanique en bonne forme. Que de belles choses nous ferions si vous étiez ici !
Frère Léon à Marie-Victorin – 15 juillet 1915
58Avez-vous déjà vu poindre à l’horizon notre cher Frère Arsène avec son compagnon ch. Fre Adrias lesquels sont partis d’ici il y a quelque temps en pèlerinage à N.D. de Beaupré. J’ai profité de la circonstance pour glisser dans les bagages du Fre Arsène un paquet de foin d’ici, afin qu’il n’aille pas cette fois s’interner à Metz ; il n’en sortirait plus.
59Peut-être serez-vous en train d’explorer quelque coin ignoré du Canada quand arrivera cette lettre.
- 30 Agnes Chase (1869-1963) fut une des plus grandes spécialistes de la famille des Graminées. Selon He (...)
60Mrs Agnes Chase30, du U.S. Depart. of Agriculture, m’a demandé si j’avais des amis botanistes qui recevraient volontiers son supplément au « North American Panicum ». Ne soyez donc pas surpris si vous recevez cette brochure. C’est une personne très savante en graminées. Si vous avez quelque graminée rare à lui offrir, elle vous en sera reconnaissante.
Frère Léon à Marie-Victorin – 1er novembre 1916
- 31 Marie-Victorin publia plusieurs articles sur la flore du Témiscouata dans la revue Le Naturaliste c (...)
61Aujourd’hui, fête de tous les Saints, que de loin je vous souhaite bonne et heureuse, j’ai constaté pour la première fois depuis la rentrée que le plus pressant du travail arriéré était à peu près à jour et pour célébrer la chose je me suis payé le plaisir de parcourir votre intéressant et savant mémoire sur la Flore du Témiscouata31. Je lisais cela avec au moins le même intérêt que d’autres ont à lire un roman ; vos observations écologiques et géologiques captivent l’attention, et je vous félicite chaleureusement d’avoir mené à bien ce bel ouvrage qui fait honneur aux Canadiens français. Et moi, malheureux, je ronge mon frein, car l’envie ne me manque pas de vous imiter, j’ai même un matériel assez considérable, une revue (pas celle du collège) à ma disposition ; mais le temps ! et cette année le bon Dieu pour l’expiation de mes péchés probablement a permis que j’aie la classe la plus difficile que j’aie jamais eue. Fiat !
Frère Léon à Marie-Victorin – 20 janvier 191832
- 32 Il ne semble pas y avoir de lettres en 1917 ; par contre, la lettre du 20 janvier 1918 du frère Léo (...)
62Je n’osais pas vous écrire au commencement de cette année, me trouvant dans la situation embarrassante et peu agréable d’un homme qui n’accomplit pas ses promesses. Mon temps, à dédier à la science aimable, est en effet si limité que depuis pas mal de temps je ne fais plus d’échanges nulle part. Qui sait, cela changera peut-être ?
63En attendant nous avons à dîner ici aujourd’hui un ecclésiastique du collège de Rigaud, nous avons même parlé un peu botanique et botanistes, sans vous oublier, car ce Père Phaneuf a accompagné bien des fois dans leurs excursions les Pères botanistes du collège de Rigaud, dans cette riche région que peut-être vous connaissez.
64Sur ce, une irrésistible envie de vous écrire quelques mots s’est subitement emparée de moi, pour vous demander ce que devient ce vieux Longueuil où nous balbutiâmes les premiers mots espagnols, et votre cercle de jeunes gens, et votre laboratoire de botanique.
65Et vous, avez-vous beaucoup de temps disponible ? Peut-être en êtes-vous à la même enseigne que moi, en ce cas nous pouvons nous consoler l’un l’autre, en attendant que le bon Dieu dont la Providence s’occupe de tout et des botanistes aussi, en dispose autrement.
66Si nous faisons la volonté de Dieu ici-bas, si nous travaillons à son service, que pouvons-nous désirer de mieux ? En dehors de cela, il n’y a rien qui vaille en ce monde.
67Si je puis, d’ici peu, je vous enverrai un peu de ma mauvaise prose en espagnol, en retour de vos beaux travaux sur la flore canadienne.
68Et je termine en vous souhaitant pour cette année que le bon Dieu comble tous vos désirs d’apôtre et de botaniste et vous accorde un plein succès dans tout ce que vous entreprendrez pour sa gloire.
69Mes meilleurs vœux aussi au cher Fre Directeur et à toute la Communauté.
Frère Léon à Marie-Victorin – 14 mars 1918
- 33 La ferme de Guatao, une propriété des frères des Écoles chrétiennes, était aussi le Petit Noviciat (...)
70J’ai reçu votre bonne lettre du 20 février, et je vous écris de notre ferme de Guatao33, où je viens d’arriver il y a cinq minutes, en promenade régulière du jeudi, j’y apporte la correspondance que je n’arrive pas à mettre à jour au Vedado et je commence par vous.
- 34 Le nom civil du frère Léon était Joseph Sylvestre Sauget. Ce genre Saugetia lui fut donc dédié pour (...)
71Je constate d’abord que vous avez reçu le papier du Dr Britton ; c’est lui-même qui m’avait demandé de le lui traduire. Dedans se trouvaient un ou deux exemplaires du nouveau genre « Saugetia fasciculata », je suppose que vous les avez trouvés. Il y avait déjà trois plantes qu’on avait baptisées Leonia, sans compter les Leonotis, Leonurus,…34 donc, ne soyez pas surpris.
- 35 Le Catalogue of the Flora of Cuba, signé ainsi sur le manuscrit « N. L. Britton, Percy Wilson and B (...)
72Pour quant à la Flore de Cuba35, elle est en préparation, et on m’a même fait l’honneur de me demander d’y collaborer, ce que je pense faire si Dios quiere et si j’ai le temps ; je me charge de demander un peu plus de temps et je compte sur vos prières pour que le bon Dieu fasse en sorte qu’on m’en donne.
Frère Léon à Marie-Victorin – 15 décembre 1918
- 36 Le frère Rolland-Germain (1881-1972) fut le principal collaborateur de Marie-Victorin pour ses rech (...)
73Je vous félicite bien sincèrement pour le travail que vous avez déjà fait sur la Flore de Québec, et je me réjouis à l’avance de vous la voir mener à bonne fin. Quel beau travail cela va être avec un dessinateur comme le Fre Rolland36 pour les illustrations.
74Je travaille bien aussi à la Flore de Cuba, ou plutôt au catalogue de la Flore de Cuba ; c’est un travail considérable, et au lieu d’avoir le Dr Britton pour associé, c’est moi qui ai l’honneur d’être son associé.
- 37 Joaquin Echave Echarran, né dans le Pays Basque, est arrivé à la fin de la colonisation espagnole à (...)
75Il n’y a pas longtemps, j’ai rencontré Mr Echave37 dans le train, il est comme toujours enchanté de tout ce que vous faites pour son fils et de l’avoir dans un si bon collège, il n’ose pas le dire à n’importe qui de peur de vous faire parvenir des sujets qui ne soient pas assez recommandables.
76Vive les Canadiens qui comme les Américains ont fait du si beau travail pour l’écrasement de l’ennemi commun, et la victoire générale.
Frère Léon à Marie-Victorin – 28 mars 1923
77Bien cher frère Victorin et illustre collègue :
- 38 « Esquisse systématique et écologique de la flore dendrologique d’une portion de la rive sud du Sai (...)
- 39 Dans la correspondance, le terme « Institut » est utilisé souvent sans qualificatif. Pour Marie-Vic (...)
78J’ai bien reçu vos deux excellents travaux « Esquisse systématique… » et « Filicinées du Québec »38, ils sont fort intéressants et honorent le Canada et l’Institut39, en même temps que vous. Mille mercis pour avoir pensé à moi.
79C’est une jolie thèse que vous avez faite sur les Filicinées du Québec ! Le titre de Docteur es Sciences a dû vous être remis de suite ! So, I take off my hat to you.
Marie-Victorin au frère Léon – 8 juin 192340
- 40 C’est la première lettre dactylographiée de Marie-Victorin au frère Léon, avec une copie en papier (...)
80Je ne sais pas encore si j’aurai le plaisir d’aller vous voir cet été.
81Fraternelles salutations.
Frère Léon à Marie-Victorin – 11 juin 1923
- 41 La Sierra Maestra est une chaîne de montagnes située au sud-est de Cuba, dans la province de Santia (...)
82J’aurais mieux aimé que vous m’annonciez la vôtre… afin de vous présenter cette fée enchanteresse qu’est la Flore cubaine. On m’a écrit de Santiago de Cuba et ils comptent sur vous pour vous faire voir leur villa perchée sur la crête de la Sierra Maestra à près de 1 000 m41.
83… ce sera une fameuse transition pour vous ! que de passer de la chaleur suffocante des bords du Saint-Laurent, dans une région tempérée, fraîche, où il faut se couvrir la nuit pour n’avoir pas froid ! Et puis, quelle flore… Je ne devrais pas vous mettre ainsi l’eau à la bouche, de peur que la permission n’arrive pas ; mais même en ce cas, tout ne serait pas perdu, car le sacrifice n’en serait que plus méritoire !
Frère Léon à Marie-Victorin – 5 juillet 1923
- 42 Cette publication est : Hermano León, Una excursión al Pico Turquino, vol. 11, no 101, 1923 : 349-3 (...)
84Ce matin, la retraite étant finie, on m’a remis votre lettre du 25 juin, et je vous réponds de suite pour que ma lettre vous arrive avant le départ pour la Gaspésie, où je vous souhaite une abondante récolte que vous respiriez du bon air pour vous donner dix ans de vie. Je crois que les explorations vous ont donné pas mal de santé et de vigueur. Nous devons avoir dans le tempérament quelque chose de commun, car j’imagine que sans elles je serais peut-être déjà mort. Je vous envoie en même temps une relation de celle de l’an dernier sur le plus haut sommet de Cuba42, pour que vous connaissiez un peu à l’avance comment on vit dans la Sierra Maestra. Je regrette bien sincèrement que ce soit raté pour cette année, et que je sois privé du plaisir de botaniser en votre compagnie. C’est vraiment un sacrifice qui en vaut la peine à offrir au bon Dieu, et en cela je vous accompagne, car si vous ne venez pas, la conséquence la plus probable est que je n’y irai pas non plus. Le bon Dieu sait ce qui nous faut, il connaît le temps et le moment le plus propice ; il savait par exemple que cette année je ne serais pas assez libre de mes mouvements pour vous accompagner, en effet, on vient de me dire d’étudier une spécialité en plus, et que j’ignore complètement, la Civique qui ici est un vrai cours de droit politique, pour l’enseigner au mois de septembre. Mais, après le bon Dieu, « le temps et moi » comme disait Louis XIV, et comme dit une autre devise « tout vient à point pour qui sait attendre ». La persévérance obtient tout, et je compte bien, l’an prochain, vous voir aborder sur nos plages hospitalières.
Frère Léon à Marie-Victorin – 28 avril 1924
- 43 Vicente Lino Echave Garcia, né à la Havane le 22 septembre 1900, avait œuvré dans le secteur bancai (...)
- 44 L’Institut des frères des Écoles chrétiennes était divisé en districts. Les frères de Cuba formaien (...)
85J’ai vu l’autre jour Vicente Echave43, il m’a donné la bonne nouvelle que vous allez enfin diriger vos pas vers nos plages tropicales ; je m’en réjouis ! J’en ai parlé au ch. Fre Visiteur44, et je dois vous dire de sa part qu’on fera tout ce qu’on pourra pour vous recevoir comme il convient.
- 45 Société royale du Canada, dans la section lettres, en 1924. Par ailleurs, en 1925, il confia au pro (...)
86J’ai su aussi par certains habitants de l’autre bout de l’Île, qu’on vous a nommé membre de la Société Royale de………… on n’a pas su me dire d’où45. Je suppose que peut-être ce sera de Londres ! quoi qu’il en soit comme c’est une Société Royale, cela en vaut la peine et je vous adresse mes plus chaleureuses félicitations.
87En attendant la confirmation de la bonne nouvelle de votre voyage, je prie le bon Dieu que ce soit une réalité sans nouveau sursis.
Marie-Victorin au frère Léon – 13 juin 1924
88Mon bien cher frère Léon,
89Il est entendu que je n’irai pas à la Havane cette année. Je n’ai pas voulu demander de nouveau, surtout parce que ma santé, un peu ébranlée par mon expédition de l’année dernière, ne me permettrait peut-être pas un aussi long voyage.
90C’est donc à remettre encore. Je suis de loin votre beau travail botanique et je reçois toujours avec grand plaisir vos belles plantes. J’ai presque envie de vous demander autre chose. Mais je vous sais si occupé, que j’hésite. Mon laboratoire manque absolument de matériel d’étude pour tout ce qui concerne la flore tropicale. Je me demande s’il vous serait possible de me faire préparer quelques envois de choses typiques pour l’enseignement, dans le formol à 4 % qui conserve n’importe quoi. Il y a une infinité de choses dont nous entendons parler continuellement et que nous ne pouvons pas montrer aux élèves : fruits tropicaux, fleurs de bananier, canne à sucre, racines aériennes, prothalles de fougères, etc. La préparation est absolument simple. Mettez le matériel dans des bocaux très communs, bocaux à confitures, à marinades, etc. mais bien bouchés et paraffinés, et ajoutez du formol à 4 % (le formol du commerce est à 40 %, donc une solution au dixième de formol du commerce). Le tout dans une caisse à la fin de la saison et expédié à mon adresse à l’université. Il est bien entendu que je solde tous les frais et que je vous paie de retour si vous aviez besoin de quelque exemplaire de notre pauvre flore tempérée.
91C’est peut-être une grosse corvée que je vous mets sur les bras ? Faites en ce que vous voudrez et, en tous cas, ne vous pressez pas.
92Je vous remercie de vos invitations réitérées que j’espère pouvoir accepter un jour. En attendant, saluez tous nos amis et croyez-moi.
93Votre très reconnaissant.
Frère Léon à Marie-Victorin – 28 juin 1924
94Je regrette que vous n’ayez pu venir cette année à Cuba, je vous aurais emmené dans des endroits inexplorés de la plus riche partie de l’Île, où sans doute nous aurions trouvé des nouveautés à foison. Que la volonté de Dieu soit faite. L’an prochain il me sera probablement moins facile de vous accompagner. Mais il vaut mieux vous remettre pour de bon, avant de vous soumettre à de nouvelles fatigues.
Frère Léon à Marie-Victorin – 11 septembre 1927
95J’étais absent quand le gros paquet de plantes que vous m’avez envoyé est arrivé. Je l’ai trouvé à mon retour ; j’ai admiré les beaux exemplaires de graminées, fougères, etc… et je vous remercie de ne pas m’avoir oublié.
- 46 En 1927, la Columbia University, à New York, décerna un doctorat honoris causa au frère Léon. Cette (...)
96J’étais parti de vos côtés pendant ces vacances, puisque vous ne venez pas de ces côtés-ci. Comme ils avaient décidé de me donner un prix à l’Université de Columbia, j’ai dû aller à la distribution des prix46. J’en ai profité pour aller au Canada ! Malheureusement le temps me manquait et je n’ai pas pu aller plus loin que le Parc Victoria au Niagara. D’ailleurs c’est plus que probable que je ne vous aurais pas trouvé.
Frère Léon à Marie-Victorin – 25 décembre 1927
97Très cher Marie-Victorin Je vous remercie, bien qu’un peu tard de votre aimable lettre du 25 octobre. Étant à New York j’ai bien poussé jusqu’au Canada ; mais Buffalo et le Niagara sont loin de Montréal, et, comme vous dites il n’y avait guère d’espoir de nous y rencontrer.
- 47 Située dans la province de Holguín, au nord-est de Cuba, cette région caractérisée par une géologie (...)
98De la flore subarctique c’est très bien que vous pensiez passer à la Flore tropicale. Comme je connais les endroits les plus riches, je m’offre « Si Dios quiere » à vous guider. Des savanes de Pinar del Rio, si riches en graminées, cypéracées, etc.… nous passerions aux collines de serpentine de Sta Clara et du Camagüey, puis à Holguin et la Sierra de Nipe47 qui a fourni ces dernières années 400 à 500 plantes (espèces) nouvelles pour la science. Puis à la riche région de Baracoa ou de la Sierra Maestra.
99J’ai déjà mis de côté quelques plantes pour vous mais ce serait plus intéressant de les récolter vous-même.
100C’est la grâce que je vous souhaite pour cette année avec beaucoup de santé, de consolations et de mérites.
101Fre Gaston s’arrondit de plus en plus et se porte de mieux en mieux, il vous envoie ses meilleurs vœux.
*
102Du 25 décembre 1927 au 23 mai 1932, il y a un hiatus dans la correspondance de près de cinq ans. Ou bien ces lettres ont été égarées ou bien les activités de Marie-Victorin ont détourné son intérêt pour Cuba et son confrère, le frère Léon. Michel Champagne, archiviste à la Division des archives de l’Université de Montréal, a dépouillé entièrement l’instrument de recherche du fonds E 118, Institut Botanique pour y chercher de la correspondance avec d’autres frères ou avec des correspondants cubains pour la période comprise entre décembre 1927 et mai 1932. Aucune de ses recherches n’a permis de découvrir des lettres entre Marie-Victorin et le frère Léon. La possibilité qu’une telle correspondance ait été classée par erreur dans un autre dossier est infinitésimale : au cours des ans, le fonds a été largement utilisé sans que jamais une erreur de classement ne soit découverte (Diane Baillargeon, adjointe au directeur de la Division des archives, communication personnelle, 22 septembre 2006).
Pour cette période silencieuse dans la correspondance, il est essentiel de présenter sommairement les principales activités de Marie-Victorin et leur contexte pour mieux comprendre leurs échanges à venir. Son voyage « À travers trois continents » et le lancement officiel du projet du Jardin botanique de Montréal ont dominé ces années. En 1929, « l’état de santé du frère Marie-Victorin, pulmonaire et cardiaque, ne s’améliore pas. Le frère doit suspendre ses cours. Le médecin conseille, exige même l’éloignement des soucis quotidiens » (Rumilly, 1949). De plus, Gilles Beaudet (dans Marie-Victorin, 1969) a ajouté de l’information sur sa santé : « Un témoin (Docteur Joseph Gauvreau, le père de Marcelle Gauvreau) a raconté souvent que le frère Marie-Victorin a entrepris son voyage de 1929 en très mauvais état de santé, « pour aller mourir très loin à l’autre bout du monde », aurait-il dit. Lorsqu’il en parlait par la suite, le frère Marie-Victorin mentionnait souvent sa « dépression » de 1929 (témoignage de Marcelle Gauvreau [1907-1968], novembre 1968). Le 16 mai 1929, Marie-Victorin avait quitté Montréal pour assister au congrès de la British Association for the Advancement of Sciences, à Capetown, en Afrique du Sud ; il ne revint au Québec que le 23 novembre. Marie-Victorin a rédigé un journal intitulé « À travers trois continents » qui relate ce séjour exceptionnel (voir Marie-Victorin, 1931). Pendant ce voyage de plus de six mois en Afrique, en Asie et en Europe, il en avait profité pour visiter les institutions scientifiques, plus particulièrement les jardins botaniques. Dès son retour, le 14 décembre, dans son discours présidentiel à la Société canadienne d’Histoire naturelle, il avait lancé publiquement l’idée d’un jardin botanique à Montréal, s’inspirant des institutions qu’il venait de visiter.
Frère Léon à Marie-Victorin – 23 mai 1932
- 48 En 1931, Marie-Victorin avait remis au Comité exécutif de la Ville de Montréal un rapport esquissan (...)
- 49 En 1932, la Société botanique de France avait décerné à Marie-Victorin le prix Gandoger.
- 50 A.M.D.G. : Ad majorem Dei gloriam ; « À la plus grande gloire de Dieu » est une expression souvent (...)
- 51 Institut des frères des Écoles chrétiennes.
103J’ai ouï-dire que vous avez obtenu un Jardin Botanique48, que c’est vous le Directeur ; que vous avez gagné un prix important en métallique49 pour vos publications ! En ce cas, acceptez je vous prie mes plus chaudes congratulations A.M.D.G.50 et pour l’honneur de notre Institut51. Vous avez bien gagné le prix, car je lis avec un vrai plaisir vos publications.
- 52 Liberty Hyde Bailey (1858-1954) fut un des plus grands spécialistes sur les plantes cultivées. Aprè (...)
- 53 Ellsworth Paine Killip (1890-1968) avait obtenu son B.A. de l’Université de Rochester, dans le nord (...)
104Et à quand votre visite à Cuba ? Venez pendant que mes jambes marchent encore un peu ; si vous attendez trop, je ne pourrai plus vous servir de guide. Plusieurs fois on m’a parlé de vous ici, soit le Dr Bailey52, soit le Dr Killip53.
Marie-Victorin au frère Léon – 6 juin 1932
105Grand plaisir et grande surprise de recevoir vos plantes ! Elles m’apportent un parfum que j’ai respiré de loin en janvier alors que j’ai traversé la Floride en auto jusqu’à Miami. Avec l’ami qui me conduisait nous avons eu une furieuse envie de traverser à la Havane. Mais faire ce trajet pour quelques heures, c’était trop pénible, et j’ai tourné bride.
106Mais Cuba est mon prochain voyage, certainement. Il faut que je vois ça avant de mourir, et avant que vous perdiez vos pattes…
107Ici nous travaillons toujours. Le Jardin Botanique de Montréal est en train de devenir une réalité. Ce sera long, mais le succès est assuré.
108Je vous suis de loin, par mes amis, et les vôtres. J’ai rencontré Killip à la Nouvelle-Orléans et nous avons parlé de vous. Ai-je encore des amis au Vedado ? Si oui, saluez-les tous de ma part.
Frère Léon à Marie-Victorin – 7 août 1932
109J’ai bien reçu votre bonne lettre il y a quelque temps, celle qui m’apporta l’heureuse nouvelle qu’enfin vous dirigez vos regards scrutateurs sur la Perle des Antilles. Je m’en réjouis, et si je ne vous ai pas écrit de suite pour vous en féliciter c’est que j’étais en partance pour une excursion de trois semaines dans plusieurs provinces plutôt riches : Sta Clara, Camagüey et Oriente où j’ai récolté d’excellentes choses. J’ai quelques bons coins à vous montrer dans l’Île ; voire même des coins inexplorés si vous le désirez.
110J’espère que rien ne s’opposera audit voyage, en attendant je lis avec grand intérêt vos publications si complètes sur la Flore du Québec. C’est tellement complet que je me demande ce que pourront bien y ajouter vos successeurs.
- 54 Nunc dimittis : lorsque Jésus fut présenté au temple, huit jours après sa naissance, un ancien nomm (...)
111Si vous traitez ainsi toutes les familles, A.M.D.G., vous pourrez chanter un fameux Nunc dimittis54.
Marie-Victorin au frère Léon – 13 octobre 1932
- 55 Le Jardin botanique de Montréal fut fondé en 1931 par Marie-Victorin. Cependant, à ses débuts, le p (...)
112Le Jardin Botanique de Montréal va piano55, mais enfin l’idée ne meurt pas. Quand venez-vous voir ça ? J’ai toujours l’œil sur la Havane et vous me verrez arriver quelque jour.
Frère Léon à Marie-Victorin – 17 février 1933
113Bien qu’il y ait 29 ans que je n’ai pas revu la terre natale, je n’ai pas demandé à y aller cette année, pour être là quand vous viendrez.
Marie-Victorin au frère Léon – 22 février 1933
114Je relève d’une période de maladie de deux mois. Je dois vous avouer que je suis allé en Floride, que j’y ai séjourné quinze jours, et que j’ai atteint Key Largo. Je n’étais plus guère qu’à quelques heures de la Havane, et si j’avais été en meilleure santé je crois bien que je m’y serais rendu. C’est mon deuxième voyage en Floride. Il est absolument certain que le troisième me mènera à la Havane. J’y viendrai en auto avec un ami à moi qui passe l’hiver en Floride. Je commence à me familiariser avec la flore d’hiver subtropicale. Mais je suppose que Cuba… c’est bien autre chose.
Frère Léon à Marie-Victorin – 15 juin 1933
115On m’envoie en France, en vacances, mais deux ans après avoir demandé la permission, de sorte que mes plans sont bouleversés ; ce que j’aurais dû faire à présent. Je tâcherai de le faire au Nouvel An, « si Dios quiere ». Que cela ne vous empêche pas de venir, au contraire, car il y aura de beaux endroits à visiter. Notre ami le Dr Killip viendra probablement vers la même époque.
Marie-Victorin au frère Léon – 13 juillet 1933
116Je suis heureux de savoir que vous allez en France cette année. Vous l’avez bien gagné, si vraiment il faut que cela se gagne.
117Je devais moi aussi aller en Europe, comme invité d’honneur de la British Association for the Advancement of Science au Congrès de Leicester. Mais on me refuse la permission après que tous les imprimés sont déjà distribués. Il y a des jours où l’on se sent moine à la blessure que le joug fait aux muscles du cou : vous connaissez cela sans doute.
118Je suis allé en Floride en janvier ; mais j’étais malade et je n’ai pas osé pousser jusqu’à Cuba. Je me suis rendu dans les Everglades et sur le Key Largo, à l’endroit où la végétation devient vraiment tropicale. Si je retourne dans le Sud cet hiver, il est possible que je risque de traverser.
Frère Léon à Marie-Victorin – 16 septembre 1933
119J’ai trouvé votre lettre du 13 juillet à mon retour d’Europe. C’est avec peine que j’apprends que vous n’avez pas pu aller au Congrès de Leicester, j’espère que vous aurez réussi à atténuer le drôle d’effet produit sur les congressistes. Les choses de ce monde passent. Dieu leur reste ! mais il faut de la patience à certains moments.
120Au Nouvel An, il me faudra presque sûrement passer quelques jours en Orient et dans Santa Clara, de sorte que si vous nous faites l’agréable surprise de venir, avertissez-moi que je puisse prendre mes dispositions pour vous emmener avec moi.
Frère Léon à Marie-Victorin – 25 août 1934
- 56 En 1934, Marie-Victorin fut délégué au chapitre général de sa congrégation qui s’était réuni à Lemb (...)
- 57 Frère Sennen (1861-1937), né Étienne Grannier : Français de naissance, ce frère des Écoles chrétien (...)
121J’ai votre bonne lettre depuis quelque temps déjà, j’y réponds seulement à présent, pendant que votre splendide excursion touche à sa fin56. Vous aurez remporté d’agréables impressions de l’Espagne et du Fre Sennen57. Avez-vous été voir l’herbier de Mutis à Madrid, que notre ami Killip a été consulter ? Avez-vous vu mon correspondant en palmiers Mr Burret à Berlin ? c’est plus que douteux, vu que sa spécialité ne vous intéresse guère. Vos impressions de voyage doivent déjà former plusieurs volumes, à en juger par les miennes, car j’ai moins voyagé que vous.
122Je vous attends toujours ; cette année sont passés ici le Fre Rogatian d’Edmonton et le Fre directeur de Scranton, Pennsylvanie. Votre tour ne tardera pas je l’espère.
- 58 Le problème mentionné dans cette lettre devait provenir d’une divergence d’opinion entre Nathaniel (...)
123Merci des renseignements que vous avez eu la gentillesse de m’envoyer ; le Dr Britton58 lui-même a résolu mon problème, mais d’une manière fatale pour lui. Ce vieil ami que j’aimais bien n’a pas pu survivre à son épouse ; dans la dernière lettre qu’il m’écrivit peu avant sa mort il espérait se rétablir, mais il est allé en déclinant chaque jour jusqu’au 25 juin où il est décédé. Que Dieu ait son âme malgré son manque d’éducation chrétienne.
Frère Léon à Marie-Victorin – 29 février 193659
- 59 En 1935, il ne semble pas y avoir de correspondance entre Marie-Victorin et le frère Léon, possible (...)
- 60 Cap & gown décrit la toge et l’épitoge en hermine de docteur, vêtements d’apparat, que portait Mari (...)
124J’ai bien reçu la visite très agréable de votre élève de botanique qui m’a donné de vos nouvelles et remis la splendide photo que vous avez eu la gentillesse de me réserver. Je n’ai pas de bonne photo en « cap & gown » qui ne s’emploie guère ici ; je vous l’envoie avec un simple crachat qu’on m’a octroyé l’an dernier60.
125Je profite de l’occasion pour vous rappeler votre promesse de venir par ici ; vous pourriez comparer la flore tropicale américaine avec l’africaine que vous connaissez déjà. J’en ai parlé à notre cher Frère Directeur qui est tout à fait d’avis et sera heureux de vous recevoir. Si vous craignez la chaleur plus ou moins suffocante de l’été, venez au moins aux vacances du Nouvel An, à moins que vous préfériez la prochaine Semaine Sainte, ce qui serait peut-être encore mieux, et où il ne fait pas encore trop chaud.
126Dans le cas où vous connaîtriez le « Phytogeographic Survey of North America » par Harsnberger, auriez-vous la bonté quand vous aurez un instant libre, de me dire s’il existe à présent quelque chose de mieux comme géographie botanique de l’Amérique (centrale et Antilles surtout).
127Dans l’espoir que votre santé est assez bonne et vous permettra une visite à Cuba, je me répète.
Frère Léon à Marie-Victorin – 1er janvier 1937
128Le bruit courait ici, il y a peu de temps, que vous alliez venir à Cuba, mais on n’a pu obtenir nulle part aucune confirmation, et pour cause… télépathie peut-être ?
- 61 La lettre du 18 décembre 1936 n’a pas été retracée. Il se peut que celle-ci ait été rédigée à la ma (...)
129Vous voyez par la date que votre lettre du 18 décembre61 vient de m’arriver aujourd’hui 1er janvier. Bien que ma lettre soit peut-être inutile pour arriver trop tard, je vous écris cependant à l’adresse indiquée.
- 62 En écrivant « mais celui-ci a fouillé Haïti et St-Domingue et ne vous aura pas laissé grand-chose » (...)
130À Haïti, il y a des prêtres français ; il y a aussi des Frères, de Ploermel si je ne me trompe, français aussi, et puis le jargon du pays est le français créole, je vous souhaite le plaisir de le comprendre surtout les premières fois. En Haïti vous avez aussi monsieur H. Busch, pharmacien, je crois, qui doit pas mal s’y connaître. Vous pouvez explorer le massif de la Selle ou le massif de la Hotte, et tâcher de retrouver le peu d’espèces de Plumier et son compagnon Sloane (avec qui il se taquinait constamment) qui n’auraient pas encore été retrouvées par Ekman62, mais celui-ci a fouillé Haïti et St-Domingue et ne vous aura pas laissé grand-chose.
131C’est tout ce que je puis vous dire, car je n’ai jamais mis le pied en Haïti ni St-Domingue, et je vous souhaite une intéressante excursion, en attendant que vous fassiez escale à la Havane au retour.
132Je vous laisse, car dans un moment le Dr E. P. Killip de Washington, que vous connaissez, vient dîner avec moi.
Frère Léon à Marie-Victorin – 16 novembre 1938
- 63 « Phytogeographical problems of Eastern Canada », The American Midland Naturalist, vol. 19, 1938: 4 (...)
133J’ai bien reçu vos deux dernières publications, je suis en train de lire ligne par ligne votre superbe travail. « Phytogeographical Problems of Eastern Canada », si instructif et si bien documenté et illustré63. Je vous remercie et vous félicite bien sincèrement.
- 64 Marie-Victorin avait demandé au frère visiteur, le frère Paulin, l’autorisation nécessaire. Il emmè (...)
134J’ai toujours présente à la mémoire votre promesse de diriger vos pas à Cuba cette année. C’est donc entendu, je vous attends64. Nous avons une flore variée aussi, et je la connais un peu ; et je suis à votre disposition. Si vous remettiez à plus tard je ne serais probablement plus à même de vous accompagner, à cause de mes jambes usées.
le premier voyage de marie-victorin
135Marie-Victorin fit son premier séjour à Cuba du 25 décembre 1938 au 7 mars 1939. Avec ses deux sœurs et son chauffeur, ils s’y étaient rendus en automobile, traversant en bateau à partir de la Floride. Ses deux sœurs et lui-même logèrent dans un appartement à La Havane. Elles ne l’accompagnaient pas lors de ses grandes excursions. Par ailleurs, son chauffeur, Lucien Charbonneau, l’y conduisit à plusieurs reprises. Le frère Léon fut son guide.
Les excursions de ce premier séjour soulignent son désir de faire un survol de l’ensemble de l’île, d’ouest en est. Il avait aussi découvert l’île de la Jeunesse (île des Pins). Par contre, il n’avait pas exploré, lors de ce premier séjour, la « sierra de Nipe » et le « pays de Moa », dans la province de Holguín, la région qui fut la plus importante pour lui.
Dans les Itinéraires, ce premier voyage occupe une place prépondérante. En effet, il relata ses excursions dans le « Journal de route » (près de 300 pages) On perçoit l’enthousiasme dès le début : « Le roulage est facile et rapide, mais la vitesse ne nous empêche pas d’observer les arbres qui sont évidemment, dans un paysage de plaine, les éléments dominants du paysage. Il faut d’abord saluer le Palmier royal (Roystonea regia), le bien-nommé, qui règne sur la plaine grasse, sur la terre rouge, mère de la « caña » (Canne à sucre). Le tronc lisse, impeccablement vertical du Palmier royal, monte de partout et plaque sur le ciel bleu un élégant panache de longues pennes que le vent agite en des poses gracieusement langoureuses » (Marie-Victorin et Léon, 1942 : mercredi 28 décembre 1938).
Marie-Victorin analysa les paysages de Cuba, en partant de l’assise géologique. Ainsi, dans la province de Pinar del Rio, il décrivit la très belle région des mogotes : « Le massif montagneux de la Sierra de los Organos est célèbre pour la beauté de ses paysages. Le nom de cette chaîne de montagnes fait allusion aux « mogotes », collines presque columnaires, abruptes de tous côtés, qui surgissent du socle de la chaîne, parfois jusqu’à plus de trois cents mètres d’altitude. Ces mogotes se profilent sur l’horizon comme de gigantesques tuyaux d’orgue. Ils sont en réalité des témoins d’érosion sélective souterraine dans les calcaires cénozoïques et les roches métamorphiques anciennes. Cette formidable érosion, entraînant d’abord les matériaux terreux ou solubles, a creusé dans le massif primitif de nombreuses cavernes grandes et petites, les eaux de pénétration allant se perdre dans des sink-holes (« sumideros », littéralement : éviers). Les plafonds des cavernes étaient soutenus par d’énormes pilastres, masses rocheuses moins entamées parce que plus dures. Au cours des âges géologiques, les plafonds s’écroulèrent autour des pilastres qui sont devenus les abrupts mogotes d’aujourd’hui. En un temple ruiné, les tronçons de colonne demeurent souvent les seuls témoins du passé. Ici, les mogotes, ruines magnifiques, mais ruines quand même, nous font assister au dernier acte d’une tragédie de l’érosion – l’érosion, l’éternelle tragédie de la Terre ! » (Marie-Victorin et Léon, 1942 : jeudi 19 janvier 1939).
Frère Léon à Marie-Victorin – 15 mars 1939
136Très cher Frère M. Victorin
137Illustre collègue et excellent ami,
- 65 David Grandison Fairchild (1869-1954) et Robert H. Montgomery (1872-1953) étaient très connus de to (...)
138J’ai bien reçu les quelques mots si aimables que vous m’avez adressés, à peine arrivé au seuil de la Floride, et j’ai su par le C. Fre Directeur comment vous avez retrouvé à Coconut Grove le Dr Fairchild en compagnie du Colonel Montgomery, et vous aurez sans doute parlé un peu ou beaucoup peut-être de Cuba65.
139Pensant que vous devez être à cette date sur le point d’arriver, je vous écris pour vous dire à mon tour combien j’ai joui de votre séjour tant dans le laboratoire comme sur les champs de Cuba, et combien je souhaite votre prompt retour.
140En même temps, il faut que je vous donne quelques nouvelles, les unes bonnes les autres mauvaises.
- 66 José Perez Carabia (né en 1910) : natif de Santa Clara, à Cuba, il fit des études universitaires à (...)
- 67 Le frère Adrien Rivard (1890-1969) était un religieux de la communauté des frères de Sainte-Croix, (...)
- 68 R.I.P. signifie requiescat in pace ou que le défunt repose en paix. Dans le contexte de cette lettr (...)
141Commençant par ces dernières, je dois dire… hélas… cela m’a fait de la peine, bien qu’habitué aux déceptions, et à Carabia66 qui vous admire et vous aime beaucoup, ça lui a broyé le cœur quand je lui ai dit que la Victorinia a vécu ce que durent les roses ! Tant qu’on n’avait pas le fruit, c’était prématuré, car je croyais la plante tout d’abord de la tribu des Hibiscae. J’attendais le fruit pour en pousser l’étude à fond. Nous profitâmes du Chrysler du Fre Adrien67 pour aller à Viñales, et en passant on trouva la plante parfaitement fructifiée. À la maison je me rendis compte qu’elle était de la tribu Urenae, et que ce n’était autre chose que la Lopimia malacophylla, espèce pas très commune puisque je ne l’avais jamais rencontrée. R.I.P.68.
- 69 Le frère Léon a voulu d’abord dédier à Marie-Victorin un taxon, Victorinia, qui n’était pas nouveau (...)
142Une autre nouvelle moins mauvaise, c’est que la défunte a contribué à la résurrection de Coccothrinax Victorinii69. Non pas que je fasse et défasse à plaisir suivant les besoins de la cause, mais il y a des jours où l’on est pris d’un conservatisme à outrance, et c’est ce qui m’était arrivé. J’ai examiné de nouveau l’espèce que je trouve très bonne.
- 70 Le frère Clément (1878-1951), né en France, fit ses études primaires et secondaires chez les frères (...)
143Donc nous désirons tous vous revoir, sans oublier le Fre Clément70 de Santiago qui aimerait vous y voir plus longtemps. Il y a de beaux endroits près de Santiago où nous n’avions pas le temps de nous arrêter davantage.
144Je termine en vous priant de me rappeler au bon souvenir de Mme Lebel et Mme Laurin et de M. Charbonneau.
Marie-Victorin au frère Léon – 22 mars 1939
145Mon cher frère Léon, Il y a déjà plus de quinze jours que, vous ayant serré la main une dernière fois au débarcadère, j’ai vu s’éloigner graduellement la ligne d’horizon de la Havane, le Capitole, le Malacon et la longue ligne de Ficus du Prado. Vous le dirai-je ? Je m’étais déjà tellement attaché à votre beau pays ; je laissais derrière moi tant et de si chers amis, que dans mon fauteuil sur le pont, j’ai versé de vraies larmes, tout en pensant que c’était bien indigne d’un homme de cinquante-quatre ans !
146Nous avons fait un bon voyage de retour. Au volant, Charbonneau faisait des 400 milles par jour, et rapidement, vous le comprenez, les fleurs disparaissaient, et les feuilles, et le bon et chaud soleil. À Washington nous trouvâmes la pluie, et à New York un froid très vif. J’ai fait à New York la réaction ordinaire. J’ai eu le cœur serré suffisamment pour avoir de sérieuses inquiétudes. Ainsi indisposés, nous ne sommes demeurés qu’un jour à New York. Et mercredi le 14, nous faisions les 400 milles qui séparent cette ville de Montréal. À la frontière une forte tempête de neige nous surprit le long du lac Champlain. La « poudrerie » était tellement forte que nous voyions à peine l’avant de l’auto. Les bancs de neige barraient la route. Mes sœurs à l’arrière disaient leur chapelet, et Madame Laurin appelait sa défunte maman ! C’est dans ces conditions que nous avons passé la douane, mes sœurs devant déballer tout leur bagage pour faire estampiller les cigarettes cubaines ! À dix heures du soir, par un froid sibérien nous étions à Montréal.
147Mon serrement de cœur est disparu au bout de deux jours, et maintenant je suis revenu au travail avec une vraie joie. Tout le monde, et moi le premier.
- 71 Les voyages de Marie-Victorin à Cuba sont illustrés par environ 4 300 documents photographiques, co (...)
- 72 Acqui finita Cuba signifie « Ici finit Cuba. » Il s’agit de l’extrémité est de l’île de Cuba.
148Savez-vous que j’ai 600 kodachromes71 de Cuba seulement ? Je viens de donner une conférence universitaire où j’en ai montré 150 avec un texte approprié. Mes derniers mots ont été à propos de Maisi : Acqui finita Cuba72 !
149Ma santé n’est pas très reluisante ; je souffre de troubles de muqueuses nasales, qui sont probablement dus à notre affreux climat, et qui me font désirer davantage l’hiver habanais. Je ne sais pas encore si je pourrai sauter trois mois dangereux en les passant avec vous. Si je me décide, et si c’est possible, ce sera un peu plus tard, afin de revenir l’hiver canadien complètement passé. Que pensez-vous de cette idée : février, mars et avril ?
- 73 Le frère économe était celui qui avait la tâche de gérer les biens de la maison, entre autres, fair (...)
- 74 Le frère Alain était devenu le principal collaborateur du frère Léon. Après avoir quitté Cuba, en 1 (...)
150Vous serez assez bon de saluer pour moi tous vos excellents confrères de la communauté du Vedado. Leur cordialité et leurs bontés pour moi en toutes occasions m’ont profondément touché. Rappelez-moi particulièrement au souvenir du cher Frère sous-directeur, du Frère Économe73, et des jeunes qui vous entourent, sans oublier l’ami Alain74.
151Et quand, dans la nuit divine, vous serez prosterné devant Dieu, n’oubliez pas votre ami du Canada qui partage avec vous les ennuis de l’âge, et l’amour de toutes ces belles choses que Dieu a faites, et dont le nombre et la qualité nous dépassent si effroyablement.
152Tout à vous en N. S.,
153Frère Marie-Victorin,
- 75 Marie-Victorin, qui faisait dactylographier ses lettres par sa secrétaire de l’Institut botanique d (...)
154Directeur de l’Institut Botanique75.
Frère Léon à Marie-Victorin – 29 mars 1939
155… à regarder de nouveau les photos, si belles, si détaillées que vous y avez prises, c’est un vrai trésor que vous avez laissé ici comme souvenir de votre première excursion.
Marie-Victorin au frère Léon – 22 avril 1939
- 76 Paper signifie en anglais un article scientifique publié dans un périodique spécialisé.
156Un mot pour vous dire que j’ai reçu votre bonne lettre et votre « paper » sur le Coccothrinax Victorinii. Non, je n’ai pas besoin de la description de l’espèce, car je ne veux pas raser outre mesure ces messieurs de la Société Royale76.
- 77 Marie-Victorin profita de ses voyages à Cuba pour enrichir de plantes tropicales les serres de coll (...)
157Je n’ai pas reçu encore les Zamia, mais je vous en remercie dès maintenant77. Les autres sont plantés soigneusement et je suis à peu près sûr qu’ils vont bien. Dans l’ensemble, ce que nous avons envoyé a bien réussi, même les Fougères. Hier on m’a montré le Phajus du Loma del Gato qui a fait une pousse de 10 cm déjà. C’est très encourageant. Nous sommes à faire des arrangements sur le prochain budget pour vous envoyer de l’argent, par petites sommes, à vous et à Carabia, pour vous permettre de continuer à nous faire des envois. Dites à Carabia de ne pas oublier de m’envoyer les feuilles signées que je lui ai demandées.
158Ici, au Jardin Botanique, on réussit parfaitement les semis de Fougères. C’est vraiment étonnant de voir des Fougères adultes deux ans après la spore. C’est dire que vous n’avez qu’à nous envoyer des pinnules fructifiées des espèces intéressantes que vous rencontrez. Cela peut s’envoyer par la poste sans formalités difficiles.
- 78 « Mon journal de Cuba » est le nom du manuscrit qui deviendra Itinéraires botaniques dans l’île de (...)
159Je travaille dur à mettre au net mon journal de Cuba78. C’est là que je m’aperçois que vos livres et vos journaux de voyage me manquent, et que me manque aussi votre éternelle obligeance à répondre à mes questions. En tous cas, je vous enverrai cela par petites tranches. Annotez copieusement sur le manuscrit même ; épinglez des notes ; le tout sera refondu et recopié.
160Hier soir, le frère Adrien est venu me montrer son film sur Cuba. Il est très bien comme couleur, moins bien comme choix des sujets. Mais j’ai éprouvé une intense émotion en vous revoyant, mon cher ami, en bottes de cuir et culottes blanches, et en revoyant aussi la bonne tête de Carabia.
161Je ne puis m’empêcher de penser que j’ai passé chez vous trois mois de paradis, loin de tout ce qui peine, ce qui fatigue, en ayant toujours près de moi un excellent botaniste, et en plus un excellent ami.
Frère Léon à Marie-Victorin – 1er mai 1939
- 79 En 1901, en prenant l’habit, Conrad Kirouac hérita directement du double nom de Marie-Victorin, lai (...)
162Bien cher Frère Victorin79,
163Ci-joint, je vous envoie la description en latin et en français du Coccothrinax Victorinii, ainsi qu’un adjectorium à mon « Résumé » qui s’allonge ainsi d’une façon démesurée, qu’en pensez-vous ! Si vous avez quelque suggestion sur la manière de le raccourcir, ne vous gênez pas. De plus, je vous expédie par poste recommandée deux feuilles d’herbier de ladite espèce, j’espère qu’elles arriveront à temps pour votre réunion de la Société Royale.
164Carabia est infatigable, il a été récemment au Sumidero, à Pilon, Holguin, et autres lieux d’Orient et il rapporte toujours quelques bonnes choses.
- 80 Mme Geménez Lasnier s’intéressait à l’horticulture et à la botanique. En compagnie du frère Léon, M (...)
- 81 Élisa Godinez Batista, épouse du président de la République Fulgencio Batista (1901-1973). Le dicta (...)
165Madame Geménez Lasnier80 vient d’obtenir qu’il soit mis à la disposition du Président de la République ; de la sorte il a pu préparer l’exposition de Cactus de Madame à l’exposition nationale de Floriculture, et obtenir le premier prix dans chacune des deux sections où elle a exposé. Tandis que la dame du Président de la République, la dame de Batista81, etc. n’ont aucun prix. Vous voyez qu’ici on fait les choses en conscience. (Le juge était un américain).
166À présent, comme ce n’est pas au palais présidentiel que Carabia peut travailler à la Flore de Cuba (de plus en plus d’actualité), il peut travailler avec moi toute la journée avec sa solde accoutumée, hélas bien réduite.
167Je n’ai pas encore répondu au petit mot si aimable de Mesdames vos sœurs. L’adresse indiquée était abrégée et ne sachant au juste comment l’écrire je me suis abstenu, mais je crois que le Fre Directeur l’a.
168Vous devez être archioccupé, car voilà quelque temps que je n’ai pas de vos nouvelles. J’espère que vous gardez encore un peu de la chaleur des tropiques, et aussi que vous reviendrez bientôt en faire provision. N’oubliez pas que vous n’avez pas encore vu le plus intéressant de Cuba.
169Je suppose que je vous ai déjà accusé réception des photos, elles venaient à point.
170Le bonjour à Charbonneau, et croyez-moi toujours bien vôtre en Cristo.
Frère Léon à Marie-Victorin – 12 mai 1939
171J’ai bien reçu votre bonne lettre du 22 avril. Ce que vous dites des fougères est fort intéressant, vous devez avoir un personnel bien exercé pour les réussir si bien. Avec nos 400-500 espèces il y aura de quoi vous satisfaire.
172C’est bien aimable d’avoir pensé dans votre budget à nous qui n’avons pas de budget ; tous les travailleurs de ce laboratoire étant honoraires. Pour cette raison, ce que vous enverrez pour peu que ce soit nous sera de grande utilité pour acheter des livres et du matériel et les frais de voyage.
173Envoyez les tranches de manuscrit quand il vous plaira, j’annoterai avec plaisir et de mon mieux.
174N’allez pas croire qu’on souffre excessivement de la chaleur ou de l’humidité en été. J’ai souffert bien davantage pendant certaine retraite annuelle à Montréal. Ici, on souffre de la chaleur quand on fait une marche assez longue à pied, surtout s’il n’y a pas de brise. À la veille d’un gros orage, j’étais parfois dans l’impossibilité de continuer à marcher, mais ce sont de rares exceptions. La brise souffle presque tous les jours, et à la saison des pluies il ne tombe de l’eau qu’environ une heure ou moins dans l’après-midi, et en juillet il pleut rarement. Vous auriez presque eu le temps de venir ici la deuxième quinzaine de juin et la première de juillet, à moins que cela vous paraisse trop court. Faites ce qui vous parait le plus faisable.
Frère Léon à Marie-Victorin – 18 juin 1939
- 82 Marie-Victorin avait convaincu le gouvernement du Québec, la Ville de Montréal et l’Université de M (...)
175Je suis content de savoir que vous avez reçu les envois en bonnes conditions. Je comprends combien seront grandes à présent vos occupations et préoccupations au sujet de votre installation82. Vous êtes habitués à passer par-dessus les obstacles quand vous ne pouvez pas les contourner, de sorte que je ne doute pas, qu’avec l’aide de Dieu, se termine heureusement la belle œuvre de votre déménagement.
- 83 C’est le premier des trois volumes des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba, publié en 1942.
176Mes plus cordiaux remerciements pour la belle photo que vous m’avez dédiée, elle aura une place d’honneur dans notre Laboratoire. Vous êtes joliment bien réussi de l’avis de tous, ainsi que le bel article que vous avez publié sur Cuba ; c’est de bel augure pour le grand article ou mémoire en préparation, dont je suis désireux de recevoir la première tranche83.
177Madame G. Lasnier vient de me faire cadeau d’un appareil photographique Kodak spécial, j’espère qu’il sera bon. Elle va à présent étudier les fougères, elle est venue prendre sa première leçon, en vue de l’exposition de floriculture de l’an prochain ; je ne me souviens pas d’avoir eu de meilleure élève.
- 84 À Rangel, dans la province de Pinar del Rio, les frères des Écoles chrétiennes du Collège de La Sal (...)
- 85 Cté : communauté.
- 86 p.e. : pointe est ; en effet, Maisi est situé à l’extrémité est de l’île de Cuba.
- 87 Île des Pins, que Fidel Castro a renommée l’île de la Jeunesse (Isla de la Juventud). Le frère Léon (...)
178D’habitude, au mois d’août, la moitié des Frères sont dans les montagnes du Rangel (Pinar del Rio) à notre maison de campagne84, quelques-uns à Guatao, d’autres font des retraites, et une partie de la Cté85 reste au Védado, chacun à ses occupations. Cette année, j’ai ouï-dire que la retraite générale serait au Vedado en août, au lieu d’être en juillet. Les Frères descendront donc du Rangel pour y retourner ensuite. Ce que je pense faire, c’est de demander au C.F. Visiteur pour aller à une autre retraite au mois de juillet, pour être libre au mois d’août, et j’espère l’obtenir. Alors nous irions bien loin pour ne pas les déranger pendant la grande retraite, à Maisi p.e.86 et aux montagnes de Trinidad ou ailleurs, comme vous jugeriez à propos, ou revoir l’Ile des Pins87 si ça vous plaît.
179P.S. On vient de me dire que la retraite de Guato ainsi que celle du Vedado auraient lieu en août, celles de Santiago et de St-Domingue en juillet. Si vous me dites de quelle date à quelle date vous seriez ici, ça me serait peut-être plus facile d’arranger cela avec le Fre Visiteur qui va être de retour du Mexique le 1er juillet et partira de suite pour l’Orient.
Marie-Victorin au frère Léon – 3 juillet 1939
- 88 Ces fleurs « civilisées » sont des plantes horticoles par opposition aux espèces indigènes.
180Je suis enfin installé dans mon bureau au Jardin Botanique, de ma fenêtre, je regarde le plus beau jardin du monde. Ce serait le plus beau jardin du monde s’il y avait à l’horizon quelques Cocothrinax ou quelques Ceiba majestueux. Ces merveilles cubaines sont remplacées ici par des épinettes et des fleurs civilisées88 telles que des œillets et des pivoines.
181Nous sommes dans de grandes difficultés financières et administratives et, comme vous dites si bien, avec l’aide de Dieu nous passerons par-dessus.
182Je partirai vers le milieu de juillet pour San Francisco probablement par avion. Je serai là-bas vers la fin de juillet. Je suis à peu près décidé à passer directement à la Havane en quittant San Francisco. Vous feriez donc bien de faire votre retraite en juillet. Je serai probablement avec vous de bonne heure en août et nous pourrons, comme vous le dites, nous arranger pour ne pas déranger nos confrères en retraite au Vedado.
- 89 Faire la moue, montrer une certaine réticence. Le frère Marie-Victorin était un religieux dans la c (...)
- 90 L’assistant était le frère Romuald-Hoséa (1872-1955). Sa fonction consistait à aider le supérieur g (...)
- 91 En voyage à Cuba, plus particulièrement à La Havane, Marie-Victorin ne logeait pas dans sa communau (...)
183Mon assistant a fait « figure »89 un peu pour le détour de Cuba ; vous savez que les Assistants90 se surveillent entre eux au sujet des permissions de voyage qu’ils accordent. L’ancien assistant de chez nous me recommandait toujours lorsque je partais pour voyage de ne pas visiter les communautés. Peut-être serait-il mieux de ne pas trop me montrer à la Havane cette fois-ci ? En tout cas, en arrivant, je me rendrai à l’Hôtel Savoy91 et nous nous organiserons alors suivant les circonstances.
- 92 C’est le premier des trois volumes des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba qu’il ne faut pas (...)
184Dans quelques jours, je vous enverrai la première tranche de notre beau livre sur la « Flore de Cuba »92. Je dis que c’est un beau livre parce que ce qu’il y a de mieux là dedans vient de vous tout droit. Vous annoterez soigneusement ce manuscrit dans la marge, entre les lignes ou ailleurs ; vous reverrez les identités et vous me ferez toutes les suggestions que vous jugerez à propos. Pendant que je serai avec vous, ayant la bibliographie sous la main, nous mettrons tout cela au point.
185J’ai reçu une bonne lettre de Carabia. Il trouve que le seul acte sensé qu’ait fait le gouvernement cubain dans ces dernières années est de l’avoir mis à la porte. Voilà au moins quelqu’un qui se juge impartialement.
186Je vous laisse quitte à vous réécrire dans quelques jours. En attendant de vous serrer la main, je vous demande de prier pour moi afin que Dieu m’aide à faire mon devoir et le bonheur de tous.
le deuxième voyage de marie-victorin
187En 1939, Marie-Victorin fit encore un séjour à Cuba. Il y séjourna du 2 août au 4 septembre. Ce fut le seul de ses sept voyages pendant l’été. À partir de ce deuxième voyage, il se rendit seul à Cuba, voyageant en avion.
L’excursion à Maisi fut le principal objectif de ce deuxième séjour, à l’extrémité est de l’île de Cuba. Alors que celles de Trinidad et de Cienfuegos furent effectuées en automobile ou en train, il prit l’avion avec le frère Léon pour se rendre à Maisi.
Dans les Itinéraires, ce deuxième voyage, relaté sur plus de 90 pages, complète le premier volume publié en 1942. Son excursion à Maisi en avion lui a donné une occasion unique de faire une analyse de l’ensemble de l’utilisation du territoire. Par exemple, il a écrit : « Succession sans fin de savanes restées à l’état naturel parce que trop silicieuses, alternant avec les échiquiers géométrisés par la culture de la Canne. Masses blanches des usines sucrières, temples d’industrie tous pareils dans ce pays d’une seule religion agricole. À Cuba, la division des terres s’ordonne toujours plus ou moins en fonction de la centrale. […] Ayant survolé la baie de Nipe où se cache Antilla, nous coupons en ligne droite les capricieux méandres du littoral qui forment une série de baies : Lebisa, Cabonico, Tanamo, etc. La mer nous apparaît comme une nappe de mercure moirée de vagues infinies. Elle n’a pas de nom sur la carte, cette minuscule baie cachée dans l’immense mangrove ! Une maison perdue, un petit bateau solitaire, à l’ancre. C’est dans les coins sauvages de cette sorte que devaient se cacher les boucaniers. À l’horizon opposé chemine la Sierra de Cristal, taché de blancs nuages. Sur les pentes, une belle forêt de Pinus cubensis avec parfois un défriché planté de Bananiers. Bondissant dans les gorges profondes de la Sierra, des cours d’eaux torrentueux viennent expirer au rivage. […] Une fois dépassé les croupes montagneuses de Moa, massifs de serpentine et de fer, les Palmiers royaux réapparaissent : l’œil le moins entraîné aux subtiles différences des spécialistes, ne peut pas ne pas voir un certain changement de port et de couleur » (mercredi 16 août 1939).
De Baracoa, il s’était rendu en bateau au Finistère de Maisi où il a étudié pendant quelques jours ses terrasses. Les textes sont particulièrement riches, décrivant la nature et les habitants de cette région isolée. Ses descriptions des communautés végétales sont assez exhaustives, souvent avec des listes de noms latins, mais comprenant de belles analyses comme celle-ci : « Extraordinaire Escalier de Géants ! Impressionnante vision rétrospective que ces successions de l’écorce terrestre, enregistrées par l’éternel marteau-ciseau de la mer haletante, qui frappe, tranche et plane. Et grandiose vision aussi que cette invasion subséquente de la vie sur ces gradins, sur ces jardins suspendus préparés pour la recevoir. Fait remarquable : presque partout où on les voit dans le monde, les terrasses marines sont des voies de migrations, des arches de Noé d’endémiques et de reliques » (mardi 22 août 1939).
Marie-Victorin au frère Léon – 13 septembre 1939
188Mon cher ami,
- 93 Institut botanique de l’Université de Montréal, et pas l’Institut des frères des Écoles chrétiennes
189Je n’ai fait qu’un saut jusqu’au Canada. Arrivé heureusement à Miami après deux heures au-dessus des cayos de la Floride, je montais le lendemain matin dans un de ces grands poissons d’argent qui naviguent dans l’atmosphère et j’étais à New York pour souper. Vous en auriez eu des envies de faire des photos le long de cette côte de l’Atlantique : la Floride et ses pins, la Georgie et son coton, la Pennsylvanie et son charbon. Une petite journée à l’exposition et, après le souper à New York je montais à nouveau dans le grand poisson ; à 9 h 30 du soir je descendais près de Longueuil où mes deux familles, celle de l’Institut93 et celle du Jardin m’attendaient au port d’armes. J’ai commencé à comprendre là que j’avais maintenant assez d’enfants sur les bras pour ne plus être capable d’émigrer, car c’est bien dans les pays tropicaux que sont, comme vous le savez, mon optimum et mon habitat écologique.
- 94 Construire un jardin botanique ne fut jamais un projet facile pour Marie-Victorin, encore moins en (...)
190Je suis maintenant à la « job » comme on dit au Canada ; les problèmes m’y attendent qui valent bien ceux que vous présentent vos paisibles Cocothrinax. Les miens ont souvent plus d’épines que de fleurs et ils ne restent pas en place comme les vôtres94.
- 95 Bohio : « Le bohio, ce rudimentaire abri qui suffit au cubain rural et à sa famille, en cet heureux (...)
191Permettez-moi de vous remercier encore une fois pour toutes vos bontés à mon égard durant mon séjour à la Havane. Votre bohio95 était vraiment ma maison, la maison où je voudrais vivre. Mais hélas !
192J’ai laissé à New York des photos en couleurs et j’en recevrai d’autres ici. Elles sont merveilleuses. Elles me rappelleront toujours votre pays de soleil. L’île de Cuba que je préfère infiniment à la République de Cuba.
193Je travaillerai aussitôt que possible à notre manuscrit et commencerai à faire le choix des photos, puis je vous enverrai des listes de questions auxquelles vous répondrez patiemment. Si les hommes de votre âge ne sont pas patients qu’ont-ils donc appris ?
194Mes amitiés à tout le monde et particulièrement à l’ami Carabia. Dites-lui bien que quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse Cuba est un petit paradis terrestre et les Cubains des Adams et des Èves complets le péché originel compris.
- 96 Caridad : la Virgen de la Caridad del Cobre, la Vierge de la Charité du cuivre, est la patronne de (...)
195Je vous ai recommandé à la Caridad96 le jour de sa fête, j’espère que vous avez fait de même. Quoique les botanistes soient des innocents, ils ont besoin quand même de prières. C’est mon dernier mot pour le moment.
Marie-Victorin au frère Léon – 9 octobre 1939
196J’ai été bien heureux de vous lire encore. Je rêve toujours de Cuba et de son climat qui me desserre si admirablement la poitrine. Ma réaction est maintenant faite, mais tout de même, je constate que je suis fait pour les pays chauds.
- 97 ACFAS : l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences fut fondée en 1923 ; Mari (...)
197Dans deux jours, je ferai à l’Association Canadienne française pour l’avancement des Sciences97, à Québec, une communication sur les « Caractères xérophytiques de la flore de Maisi ». Cette communication sera illustrée de kodachromes.
198J’ai eu un très pénible accident kodachromipie. La grande chaleur et le retard apporté au développement ont ruiné un certain nombre de films en couleurs de Maisi. Ils sont maculés de rouge d’une façon désastreuse. Ceux que j’ai envoyés directement par le bureau de poste de Carmelita sont très bien. Il faut payer pour apprendre ; les kodachromes doivent être développés le plus tôt possible et conservés au frais.
- 98 Ce fut le premier semestre d’enseignement dans les nouveaux locaux de l’Institut botanique de l’Uni (...)
199Nous avons commencé nos cours ces jours-ci. Nous trouvons cela bon d’enseigner dans des salles grandes, aérées, lumineuses98. Nous sommes évidemment encore dans une période d’installation, mais tout s’améliorera.
- 99 Deux jours après la lettre au frère Léon, le 11 octobre 1939, il écrivit à sa sœur Madame Flavius L (...)
200Nous sommes en élection provinciale. L’élection se fait autour de la participation à la guerre. J’espère que mon gouvernement99 – je veux dire celui qui me donne de l’argent pour le jardin botanique – va rester au pouvoir. Si nous sommes battus vous risquez fort de me voir arriver à Cuba pour une cure de dépolitication (sic). À quelque chose malheur serait bon.
201Veuillez présenter mes respectueuses amitiés au cher frère Directeur et à tous vos aimables confrères. Et à vous je demande de ne pas m’oublier devant Dieu. On vit la Vie mais le soir vient. Et je n’espère pas que ma soirée sera aussi longue que la vôtre. Demandez pour moi à Dieu la lumière et le courage. Vous savez qu’il en faut beaucoup.
Marie-Victorin au frère Léon – 15 décembre 1939
202L’an dernier à pareille date, mes sœurs et moi, à travers une tempête de neige, nous mettions le cap sur le soleil de Cuba, et je n’oublierai jamais la messe de minuit, au Vedado, dans cette tiède atmosphère de nuit tropicale ; ces souvenirs me reviennent en foule et m’invitent à me hâter de venir vous souhaiter Joyeux Noël et Bonne et Sainte Année.
203Vous et moi, depuis septembre, nous avons été pris par nos besognes respectives, et les belles semaines que nous avons passées ensemble cet été, commencent déjà à être du passé, mais il ne faut pas laisser la lampe s’éteindre, les amitiés de cette sorte sont trop précieuses, les amitiés à la fois basées sur des conformités d’idéal et de labeur.
204J’ai travaillé beaucoup à mettre en forme la deuxième partie de notre travail. J’achève Maisi, et je pourrai bientôt vous envoyer la première rédaction. Vous bûcherez là-dedans à votre guise, car j’ai entièrement conscience que c’est vous qui connaissez la flore de Cuba, et non pas moi.
Frère Léon à Marie-Victorin – 26 décembre 1939
205J’étais justement sur le point de vous écrire pour vous demander si vous ne sentiez pas le besoin d’une cure de dépolitiquisation (sic) ! sans savoir au juste si les élections ont tourné ou non à votre avantage, autrement dit en faveur du Jardin Botanique.
- 100 William Seifriz (1888-1955) avait obtenu son Ph. D. de la Johns Hopkins University en 1920 et fut p (...)
206[…] j’aurai à vous présenter le Dr William Seifriz100, professeur à l’Université de Pennsylvanie […] je sais par expérience que c’est un excellent compagnon.
207J’imagine comment vos auditeurs ont dû être ébaillis après avoir vu les 150 Kodachromes et entendu les explications ad hoc. Si notre agence nationale du tourisme savait ça, elle serait capable de vous envoyer une subvention.
Marie-Victorin au frère Léon – 21 janvier 1940
- 101 En raison de la guerre, l’aviation voulait utiliser les terrains et le pavillon du Jardin botanique (...)
208J’aurais bien voulu vous écrire plus tôt, mais nous sortons à peine d’une terrible crise qui a failli emporter d’un coup toutes nos œuvres. Le ministère de la Défense Nationale voulait s’emparer du Jardin Botanique, de ses édifices, et même des locaux de l’Institut Botanique, pour y établir une école d’aviation. Malheureusement l’archevêque de Montréal avait lui-même offert cette solution pour éloigner les soldats de ses propres institutions101. La bataille a été difficile, et pour remporter la victoire il a fallu soulever l’opinion publique. Heureusement les journaux ont marché avec moi. Je vous envoie l’un des grands articles publié dans la « Presse », journal quotidien de Montréal, qui est lu par un demi-million de personnes. Vous y prendrez d’ailleurs une bonne idée de ce qui se fait au Jardin Botanique.
- 102 Le principal collaborateur de frère Léon à Cuba, José Perez Carabia, voulait réorienter sa carrière (...)
209Mais ce n’est pas pour cela que je vous écris. J’ai reçu des papiers à remplir pour la bourse de notre ami Carabia. Vous avez dû les recevoir aussi. Il serait bon de nous consulter là-dessus. Le croyez-vous prêt à entreprendre ce travail de liste au Jardin botanique de New York ? Pourrait-il faire auprès de vous, au moyen de l’aide de cette bourse un travail plus utile pour lui ? Ou encore, pourrait-on le mettre à des études préliminaires quelque part102 ?
210J’attendrai votre réponse avant de remplir ces papiers. Dites-moi très librement ce que vous en pensez.
- 103 À cette époque, il était usuel de désigner une femme par le seul nom de son mari. Honoré Parent éta (...)
211Madame Parent103 sera à la Havane le 5 février. Elle ira sans doute vous voir au collège. Je pourrai probablement lui confier le manuscrit de notre voyage de cet été. Vous pourrez travailler là-dessus et probablement l’enrichir des indications que vous avez dû faire sur les plantes récoltées.
212Je ne sais pas encore ce que je ferai moi-même. La situation ici est encore trop dangereuse pour nos œuvres pour que je puisse quitter maintenant. Je vous aviserai aussitôt qu’il me sera possible de prendre une décision.
Frère Léon à Marie-Victorin – 26 janvier 1940
213Je vous félicite bien cordialement pour l’heureuse issue de la lutte avec un ennemi aussi puissant que la Défense nationale ; que le bon Dieu vous aide jusqu’au bout.
214Pour quant à Carabia, je n’ai pas reçu comme de coutume les papiers de la Guggenheim Institution pour y donner mon opinion, sans doute parce qu’ils l’ont depuis l’an dernier. Je crois que la meilleure solution, c’est qu’il ait la bourse cette année pour aller travailler à New York sur la flore de Cuba, afin d’y résoudre en correspondance avec moi les problèmes qui se présenteraient au sujet de ladite liste du catalogue des plantes de Cuba. À New York, il est mieux situé qu’à la Havane pour ce travail, vu qu’il aura sous la main une collection plus complète des plantes de Cuba, une bibliothèque beaucoup plus riche, un laboratoire mieux monté, et des botanistes expérimentés comme Gleason, Barnhart, Moldenke, Camp… tous prêts à l’aider de leurs conseils.
215Nous désirons bien tous vous voir ici. Dieu veuille que votre situation actuelle devienne tout à fait sûre et à l’abri d’une occupation militaire, afin que vous puissiez prendre votre vol vers nos régions ensoleillées. Pour le moment, il fait aussi froid ou plus que le premier jour à l’Ile des Pins, mais cela passera.
216Carabia a travaillé beaucoup pour trouver quelque chose de bien pour Mme Parent, et je crois qu’il a réussi. Pour le moment deux choses : de beaux appartements au Vedado avec petit jardin $ 250 ; et à Prado où vous étiez, de beaux appartements pour $ 160 seulement à cause de vous. On fera de son mieux pour la recevoir, de même que pour soigner votre manuscrit.
Frère Léon à Marie-Victorin – 15 février 1940
217… et j’ai eu le plaisir d’apprendre de la bouche même de Madame Parent que votre victoire est complète… Tous mes compliments, et comme vous devez être fatigué, venez vous reposer ici ; Mme Parent veut vous voir ici avant son retour.
218Je termine en vous disant : à bientôt. Nous ne marcherons pas trop ; nous ferons toutes choses avec calme et sans se fatiguer.
Marie-Victorin au frère Léon – 22 février 1940
219Nous avons eu de durs moments cet hiver comme Madame Parent a dû vous raconter. L’œuvre de toute ma vie a failli disparaître dans la tempête. Mais heureusement il n’est plus question de cela, et le Jardin comme l’Institut vont continuer leur navigation.
220P.S. – Je vous envoie aujourd’hui le manuscrit de la deuxième partie de notre bouquin. Taillez, coupez, injectez, embellissez, vous avez tout pouvoir !
le troisième voyage de marie-victorin
221C’est en 1940 que Marie-Victorin effectua son troisième séjour, du 15 mars au 15 mai. Un peu comme pour le premier voyage, il avait exploré l’ensemble de l’île, retournant cette fois-ci dans certaines régions qu’il avait déjà étudiées, comme Pinar del Rio ou l’île de la Jeunesse. Par contre, en 1940, il a visité pour la première fois la Sierra de Nipe, dans la province de Holguín.
Pour les Itinéraires, il avait changé son approche. Dans le volume I (1942), il avait rapporté dans un ordre chronologique ses observations des deux voyages de 1939. Par contre, pour les volumes II (1944) et III (1956), il regroupa en chapitres géographiques les observations de 1940, 1941, 1942 et 1943. En 1940, il avait commencé à rédiger les pages du troisième volume : « Notre itinéraire nous mènera d’abord à travers un pays cultivé et vallonné aboutissant à un flanc serpentineux à rude végétation de “charrascal”, puis sur un haut plateau uni à sol ferrifère, habitat d’une grande pinède à Pinus cubensis. Tout autour du plateau, les vallées boisées de la sierra de Nipe sont drainées par des cours d’eau rapides qui tombent en cascades. […] Le chemin continue de monter dans les coupes de roches serpentineuses, à travers une végétation toute nouvelle pour nous, et pour presque tout le monde, végétation intensément intéressante tant par ses unités spécifiques que par ses associations. Le Palmier royal a disparu pour faire place à d’autres Palmiers (Copernicia, Coccothrinax) sans exigences calcicoles. […] Quelques centaines de mètres plus haut, et nous voici sur la « loma de la Bandera », toujours dans le “charrascal” serpentineux. Vue étendue sur la grande baie de Nipe. Ça et là un Acajou (Swietenia Mahagoni) et un Copernicia Yarey dressés contre le ciel. […] Mais voilà que nous émergeons au-dessus des rochers et qu’apparaît ce sol rouge, limonitique, résidu de la désintégration de la serpentine. Plus loin, nous verrons que le minerai de fer a été exploité à ciel ouvert. Sur ce plateau ferro-siliceux s’est constitué aux âges anciens une florule qui s’est adaptée aux conditions particulières de cet habitat. Le plus important de ces facteurs écologiques est la nature neutre ou acide du sol, qui élimine la légion des plantes calcicoles formant à Cuba le gros de la forêt tropicale. Des conditions éliminatrices de ce genre engendrent d’ordinaire des formations pures ou des associations très schématisées. C’est ce qui a lieu en effet ici. […] Sur le plateau à sol rouge, le climax, l’axe écologique définitif a été le Pinus cubensis, un Pin endémique de l’est de Cuba dont la sierra de Nipe constitue une importante partie de l’aire, espèce qui s’est vraisemblablement différenciée sur ces hauteurs. Telle est l’importance de ces formations de Pin, que la sierra de Nipe porte aussi le nom de “Pinal de Mayari” » (jeudi 4 avril 1940).
Marie-Victorin au frère Léon – 12 juin 1940
222Ici la situation n’est pas rose et j’ai beaucoup de difficultés au Jardin botanique. Mais mon voyage à Cuba m’a fait tant de bien que je suis revenu capable de me battre un peu. Dieu aidant j’espère que nous passerons à travers tous et chacun.
Frère Léon à Marie-Victorin – 7 juillet 1940
223C’est aujourd’hui que Carabia va me laisser pour s’en aller chez vous en attendant que commence le travail de la Guggenheim. Il sera mieux avec vous pour acquérir du « training » et voir ce qui lui manque encore de préparation. Malgré tout je crois qu’il profitera bien de sa bourse et qu’on sera content de lui.
Frère Léon à Marie-Victorin – 1er août 1940
224Deux mots pour vous dire que je suis de retour de la Sierra de Nipe. Enchanté, c’est peu dire, je suis ravi de ce que j’y ai vu, non seulement des paysages mais de la végétation si variée. Bien des buissons paraissaient stériles, mais en y regardant de près, on leur trouvait des fleurs ou des fruits ; c’est pourquoi je pense avoir récolté beaucoup de choses que Carabia n’a pas récoltées. Trois jours en auto avec notre même chauffeur et nous avions un chargement tel qu’il fallut revenir. Il y en a pour longtemps à étudier.
- 104 Mme Frances Bueno (Señora Alberto Bueno) travaillait au American Photo Studios, au 43, Neptuno, à L (...)
225Je vous écris aussi de la part de Mme Bueno104. Vous avez dû aussi recevoir sa lettre. Elle me dit qu’elle a reçu votre lettre où vous lui dites que vous lui envoyez ci-inclus un chèque de cent et quelques dollars si je ne me trompe. Malheureusement le chèque était absent. Et ils sont à se demander ce qu’est devenu le chèque ? Était-il au porteur ou au nom de l’American Photo ? Une chose curieuse, c’est qu’après avoir été 20 ans sans recevoir la visite d’aucun inspecteur des Postes, il s’en est présenté un la veille de l’arrivée de votre lettre, demandant s’il n’y avait rien d’anormal dans le service de la poste.
Marie-Victorin au frère Léon – 9 août 1940
226Que je suis heureux de savoir que vous avez passé trois jours dans la Sierra de Nipe. Je ne m’étonne pas de votre enthousiasme ; c’est un véritable petit paradis botanique. Si j’eusse su que vous y alliez, je vous aurais demandé des graines des deux Euphorbiodendron que vous avez bien dû revoir, et qui devaient être sans doute enfin mûres.
227Dites à Mme Bueno de ne pas s’inquiéter du chèque. C’est une distraction de ma part et je vais la réparer. J’espère que ce délai n’incommodera pas trop l’American Photos. Dites bien à Mme Bueno que je n’oublie pas sa riche personnalité et sa bienveillance toujours en éveil. Si tous les Cubains et Cubaines sont comme cela, Carabia est dans les patates. Je pense que la vérité est qu’il y a du bon monde partout, que l’intelligence, le cœur, le dévouement n’ont pas de patrie.
228Vous vous demandez sans doute si je compte retourner à Cuba quelque jour. Il va sans dire que c’est l’un de mes plus chers désirs. Mais ce ne sera pas facile pour le moment parce qu’il est difficile d’obtenir la permission de dépenser de l’argent à l’étranger. Mais je ferai certainement un effort l’hiver prochain pour aller prendre un mois ou deux de soleil, et empêcher l’hiver canadien de me mettre entièrement à terre. Il y a sans doute encore de bonnes petites expéditions à faire. Pour le moment les Cours de Vacances, qui ont été un grand succès, étant finis, j’essaie de me reposer un peu et je travaille au manuscrit de Cuba.
229Au sujet de manuscrit, j’ai tenté d’obtenir de l’argent pour publication à l’Association Pan American. La réponse a été négative, et il faudra bien que je me tourne ailleurs.
Frère Léon à Marie-Victorin – 15 novembre 1940
230Aujourd’hui comme par hasard, nous avons mauvais temps ; un temps qui me fait songer qu’au Canada vous avez peut-être quelque tempête de neige ; que le temps gris et triste a fait son apparition ; que le froid qui nous glace le sang dans les veines est à la porte. Ici, cela ne dure pas ; demain il fera beau, et on ne sent pas encore le froid.
231Cela me fait penser qu’une saison de nos côtés vous serait profitable. Tout le monde me demande si vous n’allez pas bientôt venir. Il y a encore des endroits que vous n’avez pas visités.
Marie-Victorin au frère Léon – 26 novembre 1940
232J’ai reçu votre lettre ce matin ; il me fait toujours plaisir de voir votre écriture appliquée, une chose que nous ne voyons pas souvent en Amérique, car nous sommes trop pressés. C’est une des bonnes choses que vous avez gardées de la vieille France avec l’esprit de travail et l’estime des belles et bonnes choses.
- 105 Il s’agit probablement de l’Institut botanique de l’Université de Montréal puisque Marie-Victorin p (...)
233Vous m’invitez à aller passer encore une fois une saison à vos côtés ? Cette invitation est parfaitement inutile : je me considère comme ayant depuis longtemps une invitation générale, tellement vous et tout le monde avez été bons pour moi. Personnellement je suis décidé à aller passer une partie de l’hiver à Cuba, et peut-être plus loin. Mais il y a quelques difficultés dans le chemin. D’abord dans mon Institut105, il y a actuellement une situation instable et que je voudrais voir raisonnablement réglée avant mon départ. Je ne voudrais pas que l’on profite de mon absence pour donner un croc-en-jambe au Jardin botanique : les politiciens, comme vous le savez, sont capables de tout. Une autre difficulté est le transport de l’argent. Il faut prendre cela de longue main. Comme à cause de nos voyages, la vie me coûte cher là-bas, il me faut faire accepter le chiffre par le gouvernement. Le principe actuellement en application est que les Canadiens ne doivent pas aller s’amuser en dehors du pays : il ne se fait d’ailleurs aucun effort pour les empêcher de s’amuser à l’intérieur. Néanmoins j’espère y arriver.
- 106 Guagua est un autobus. Selon Henri Alain Liogier (communication personnelle, 3 septembre 2006), le (...)
234Je voudrais savoir si vous êtes encore conducteur de guagua106. Cette fonction qui vous coupe votre journée en deux est évidemment un grand embarras pour nos travaux. Je ne veux évidemment pas intervenir dans l’excellente organisation du collège, mais je ferais bien dire quelque grand’messe pour que l’on vous décharge de cela.
235Ne pensez pas que j’ai perdu de vue le manuscrit ; au contraire j’y travaille de toutes mes forces, et si je vous arrive, j’apporterai avec moi une copie complète du texte et des illustrations. Je pense avoir trouvé une bonne partie de l’argent nécessaire pour le publier. En tout cas je suis décidé à me ruiner pour ne pas laisser moisir ce livre car ce sera un livre, je vous prie de le croire.
236Si je vais avec vous cet hiver, ce sera naturellement un quatrième chapitre à ajouter. Vous dites qu’il y a encore des lieux que nous n’avons pas vus ? Je pense bien, et mieux encore nous pourrons voir ceux que nous avons déjà vus. Je voudrais bien retourner avec vous dans la Sierra de Nipe. Je suppose que vous découvririez beaucoup de choses que Carabia a dédaignées. Ce pays m’a laissé une impression profonde.
237J’ai eu une lettre dernièrement de Carabia. J’espère qu’il travaille fort et qu’il donnera satisfaction à ses directeurs. Je lui ferai volontiers un petit sermon sur la religion, mais je sais que vous vous occupez de cette matière. Il me l’a avoué lui-même. Ce n’est pas une petite affaire que d’amener un Cubain, si bon soit-il comme Carabia, à partager nos pratiques religieuses positives. Vous savez d’ailleurs ça bien mieux que moi. Mais ne vous en faites pas trop, le fond est très bon.
- 107 Il faut replacer cette lettre dans le contexte du début de la Deuxième Guerre mondiale, alors que b (...)
238Combien j’ai hâte de voir tout le monde au Collège de la Salle, les vieux et les jeunes ! Je voudrais avoir quelque chose à dire pour les consoler des grands malheurs de la France. Ici nous sommes blessés au cœur par ces malheurs compliqués. Il nous déplaît souverainement d’entendre insulter ce grand homme qu’est le maréchal Pétain107, et nous demandons à Dieu que la France se relève vite, et comme le veut son grand chef, se relève par le travail et la réhabilitation de la famille.
239Veuillez présenter mes respects au cher Frère Directeur et à tous vos confrères et particulièrement à votre jeune assistant Frère Alain.
Frère Léon à Marie-Victorin – 9 décembre 1940
240La guagua ne m’enlève guère qu’une heure de travail par jour, car le travail de la digestion, et celui de réciter mon chapelet et autres prières, tout cela se fait en même temps que le travail de la guagua. Et en cela, je suis forcément aux ordres de nos chers Supérieurs et puis pour avoir l’air de gagner mon pain quotidien quand vous êtes là, c’est différent, je voudrais avoir tout ce temps-là avec vous. Je vais voir ce qui pourrait se faire. Je n’aurais pas cette corvée si les Frères n’étaient pas surchargés ; plusieurs en plus de la classe toute la journée ont encore leur part de guagua.
Frère Léon à Marie-Victorin – 2 janvier 1941
241Je ne doute nullement que ce soit nécessaire à votre santé de revenir par ici ; la table d’acajou est un peu solitaire, et elle vous attend.
Marie-Victorin au frère Léon – 15 janvier 1941
- 108 Elmer Drew Merrill (1876-1956) : son diplôme de M.Sc. de la University of Maine fut la dernière éta (...)
- 109 Thomas Barbour (1884-1946) : né à Martha’s Vineyard, au Massachussetts, il obtint trois diplômes (B (...)
- 110 Atkins Institution of the Arnold Arboretum, filiale de la Harvard University, établie à Soledad, pr (...)
242Je viens vous annoncer qu’il est décidé que j’arriverai à la Havane vers le milieu du mois de février, je ne sais pas encore au juste à quelle date. D’ici là je travaille ferme à mettre en train notre publication, et à trouver des fonds pour la payer. J’ai écrit au Dr Merrill108 à ce sujet et je vous envoie copie de sa réponse. Je lui ai demandé s’il lui était possible d’intéresser madame Atkins et M. Claflin. J’aurais besoin d’environ $ 1 200. S’il vous est loisible de rencontrer Merrill et Barbour109 à Soledad110 et de pousser à la roue, notre situation serait complètement sauvée. Vous savez que cette publication va coûter au-delà de $ 2 000. Mais je crois qu’elle sera intéressante, bien éditée, et qu’elle ne nuira pas à l’Institut.
243Dans l’intervalle, pensez un peu aux expéditions que nous pourrions faire dans des territoires que nous n’avons pas encore vus ou qui seraient plus particulièrement intéressants.
Frère Léon à Marie-Victorin – 22 janvier 1941
244D’ailleurs, dans sa lettre, le Dr Merrill espère vous voir avec moi à Soledad. Il y sera probablement du 7 ou 8 au 14 février ; de sorte que si vous arrivez comme vous dites un peu avant la mi-février, nous pourrons y aller ensemble. En attendant, à leur arrivée à la Havane, j’irai les saluer au port, et m’entendre avec eux pour notre visite. Je suppose que le Dr Barbour restera là-bas quelque temps après le Dr Merrill, et au cas où vous seriez obligé de retarder un peu votre voyage, je crois qu’il suffit que nous nous trouvions là-bas avec le Dr Barbour.
245Je suppose que votre intention est de leur offrir un certain nombre d’exemplaires pour leurs amis, pour leur participation ; je crois que Mme Atkins s’intéresserait facilement à un ouvrage de ce genre bien illustré.
246Le Fre Alain est particulièrement content de vous revoir, il est tout à fait botaniste, et malgré sa classe toute la journée il vient travailler avec moi un peu tous les jours, il se joint à moi en un cordial salut.
Marie-Victorin au frère Léon – 27 janvier 1941
247Nous avons un hiver terrible et je constate que je souffre de plus en plus du froid, non pas directement, mais par réflexe sur mon système nerveux. C’est donc Cuba qui est responsable ! et je vous avoue que, s’il m’en coûte de laisser mon poste, j’ai infiniment hâte de sentir sur ma peau votre grand soleil.
- 111 Dans cette lettre, il avait annoncé son arrivée pour un quatrième séjour. Il sera à Cuba du 15 févr (...)
248Je compte arriver à la Havane, lundi le 17 février111.
249Je vous écris aujourd’hui au sujet de quelques petits détails : 1° Avez-vous encore le trépied que je vous ai laissé, cela me dispenserait d’apporter le mien. 2° Avez-vous les dernières publications de Stanley sur la flore de Costa-Rica, Yucatan, Panama, etc. ? 3° Est-ce que je n’aurais pas laissé chez vous par inadvertance la carte que j’avais fait tracer à l’encre de Chine des terrasses de Maisi ; je ne la retrouve pas ici.
250Une autre question. J’ai une espèce d’intuition que ce sera (encore une fois) mon dernier voyage à Cuba. Je voudrais bien en profiter pour obtenir au moyen de vos duplicata une bonne représentation de la flore cubaine, pour l’herbier de l’Université de Montréal. Je sais parfaitement ce que cela représente de travail. Mais ne serait-il pas possible d’engager quelqu’un qui aurait besoin, pour une raison ou une autre, de gagner quelques pesos pour copier les étiquettes. Ou voyez-vous un autre moyen plus pratique ?
- 112 Le « petit trésor » reste inconnu, mais Marie-Victorin savait entretenir de bonnes relations avec s (...)
251Dites au Frère Directeur que j’ai découvert un petit trésor que je lui apporterai : il comprendra sans doute112.
Marie-Victorin au frère Léon – 29 janvier 1941
- 113 Les trois volumes des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba ont été entièrement rédigés par Mar (...)
252Je vous rappelle qu’il manque un tout petit chapitre au commencement… esquisser les régions botaniques113.
Marie-Victorin au frère Léon – 31 janvier 1941
253J’adresse en hâte à Soledad à l’adresse du Dr Merrill quelques échantillons des quelque quatre cents vignettes que nous mettrons dans notre livre. Vous trouverez ci-inclus quelques copies pour vous mais qui sont sur un papier inférieur. Je vais apporter avec moi tout ce qui sera terminé le jour de mon départ. J’espère que vos charmes mâtures vont agir sur l’excellent Dr Barbour qui, comme vous, est un homme d’église. Vos deux églises sont un peu distantes, mais c’est le même Dieu.
Frère Léon à Marie-Victorin – 1er février 1941
254Je suis tout à fait disposé, et avec plaisir, à céder à l’Université de Montréal, le plus grand nombre possible de mes duplicatas.
- 114 Pour le frère Léon et Marie-Victorin, il s’agit d’une période très productive en écriture sur la fl (...)
255Comme à présent je suis attelé à la flore de Cuba pour sa publication en deux ou trois volumes114, au fur et à mesure que je complète chaque famille, je mettrai de côté des doubles pour vous.
Frère Léon à Marie-Victorin – 5 février 1941
256Reçu votre dernière lettre. En allant saluer au port le Dr Barbour et le Dr Merrill, je ne toucherai la question du livre à publier avec les explications contenues dans votre lettre que s’ils s’y prêtent et s’il y a le temps. C’est surtout à Soledad qu’on aura le temps de traiter cela.
257Je vois que vous ne pourrez pas être à Soledad avant le départ du Dr Merrill ; je suppose que comme de coutume, le Dr Barbour y restera plus longtemps, et que nous pourrons y aller ensemble parler de nos projets avec lui.
258Je vais m’atteler au petit chapitre pour qu’il soit prêt quand vous viendrez ; et je suis tout prêt à relire l’ensemble. Avouez que vous aurez fait le plus gros du travail, sans comparaison, et que c’est plus facile à lire qu’à composer.
Marie-Victorin au frère Léon – 12 février 1941
- 115 Un mois plus tard, le 23 mars 1941, Marie-Victorin avait écrit au frère Visiteur : « Mon cher frère (...)
259Pour dire le vrai, je pars très fatigué115. Mais j’espère que le soleil et le repos me remettront sur pied si je puis arriver à atteindre la Havane.
260Demandez donc à votre économe de m’acheter une bonne berceuse à grand dossier. Il la mettra dans mon bureau, je la lui paierai, et quand je partirai, cela entrera dans l’inventaire de la communauté. Vous pensez bien que je ne la transporterai pas en avion.
le quatrième voyage de marie-victorin
261En 1941, Marie-Victorin effectua son quatrième séjour du 15 février au 15 mai. Lors de ce quatrième voyage, il était retourné dans la province de Pinar del Rio, à l’ouest, ainsi que dans l’ancienne province d’Oriente, à l’est, comprenant, entre autres, les provinces de Holguín et de Santiago de Cuba. Dans les Itinéraires, ses observations furent relatées dans les volumes II (1944) et III (1956). Les pages sur les « Everglades » de Cuba, en particulier sur la Ciénaga de Zapata, sont des plus intéressantes : « Ayant décidé de faire une excursion à la Ciénaga, nous quittons la Havane à neuf heures du soir pour Batabano : Frère Léon, Frère Alain et Luis-René Rivas, et moi-même. […] Il est bien onze heures quand nous atteignons la mer et le petit bateau de pêche, “El Corsario”, qui va nous mener dans la Ciénaga. […] Les lits qu’on nous avait promis ne sont que deux bancs en plein air, et plus ou moins protégés par des toiles contre le vent et les moustiques ; heureusement ces bestioles ne se montrèrent pas » (lundi, 24 février 1941). « Le cours d’eau (rio Hatiguanico) est bordé de chaque côté par de hauts et verts Palétuviers appartenant aux quatre espèces ordinaires : Rhizophora Mangle, Avicennia nitida, Laguncularia racemosa, Conocarpus erecta. Peu de pneumatophores d’Avicennia, mais chez les Rhizophora de beaux encorbellements de racines adventives nées très haut sur le tronc ou les branches. […] Dans ces solitudes de boue et de Palétuviers, des “carboneros”, qui fabriquent le charbon de bois essentiel à l’économie de Cuba. […] Le “carbonero”, élément humain de la mangrove de la Ciénaga, est un rouage important dans l’économie de Cuba, où la cuisine populaire se fait presque totalement au charbon de bois. Et parce que la mangrove est pratiquement indestructible, qu’elle se reforme avec une grande facilité dans cet habitat qui ne lui est pas disputé, la source de charbon de bois n’est aucunement menacée par l’hominisation de plus en plus rapide de l’île. Cependant, la matière première s’épuise temporairement et les carboneros doivent quelquefois émigrer. Pour que la production se maintienne, il faut que, sur les cayos isolés du reste du monde, et dans la grande Ciénaga, quelques centaines d’hommes mènent une vie très dure, une vie de paria en somme, et s’exposent au danger constant du paludisme et d’autres fléaux tropicaux. […] Eaux noires. Racines squelettiques des Mangliers et sournois entrelacs de Fougères et de roseaux, repaires de Crocodiles. Traînées de Pélicans, Canards et Cormorans qui passent à tire-d’aile au-dessus de nos têtes. […] Que mangent les carboneros ? Des haricots (“frijoles”), du riz poli, du yucca et des “platanos” (bananes farineuses, Musa paradisiaca). Ils mangent aussi beaucoup de poisson, du “manjuari” (Lepidosteus tritoechus), espèce primitive, fossile vivant disent les ichtyologistes, qui hante les rivières et les canaux de la Ciénaga. À l’occasion cependant les carboneros s’offrent un morceau de choix : une queue de Crocodile ! » (mardi 25 février 1941).
Marie-Victorin au frère Léon – 5 juin 1941
262Veuillez excuser le long retard que j’apporte à venir vous remercier de toutes vos bontés à mon égard durant mon séjour à Cuba.
263Veuillez croire que malgré l’état de ma santé, qui n’a pas été toujours des meilleures, j’ai beaucoup apprécié ce dernier voyage chez vous.
- 116 Roger Gauthier (1906-1982) : fut professeur à l’Institut botanique de l’Université de Montréal. J’a (...)
264Lorsque je suis parti, j’étais dans un état d’instabilité cardiaque qui me donnait des inquiétudes, et je redoutais le long voyage en avion. Enfin, tout s’est bien passé, particulièrement le trajet de Miami à New York. À mon arrivée à l’aéroport de St-Hubert, qui est à quelques kilomètres seulement de Longueuil, mes deux familles du Jardin et de l’Institut étaient réunies malgré l’heure tardive (il était passé onze heures) et la tempête de pluie. Cela m’a réchauffé le cœur et a remplacé, s’il se peut, le bon soleil de la Havane116.
265Je fais le plus grand cas, vous le savez, de vos observations et de vos opinions. Malgré l’éloignement et la difficulté de discuter chaque cas, je ferai pour le mieux. Je pense que nous devons être guidés par le fait suivant : cet ouvrage, suffisamment technique et écrit en langue française, est surtout et presque exclusivement pour les botanistes internationaux qui y prendront une idée générale de la flore de Cuba. Je ne crois pas qu’il y ait dix personnes à Cuba qui le liront jamais. Le ton d’un pareil ouvrage devrait être tout à fait différent s’il s’adressait à la masse populaire cubaine.
266Barbour m’a écrit de lui-même pour s’informer du manuscrit ; c’est dire qu’il s’y intéresse vivement. Je lui ai répondu immédiatement et j’ai pleine confiance que nous allons être financés en cette matière. Ce ne sera pas inutile, car je ne vous parle pas des factures pour ne pas vous faire tomber d’apoplexie. Vous êtes un heureux homme d’être au-dessus de ces contingences.
267J’ai passé une journée avec Carabia à New York. J’ai vu quelques plantes, malheureusement je suis parti trop vite pour examiner particulièrement la question du Zamia angustifolia. Carabia doit m’envoyer toute la documentation, y compris des photostats des planches. D’ailleurs, j’irai probablement à New York avant longtemps ; je veux en avoir le cœur net.
- 117 Un type est le spécimen qui a servi à faire la description d’une nouvelle espèce. Étant donné qu’il (...)
268Je vous encourage à tenter d’identifier le plus possible les plantes de Nipe. Cela va faire un magnifique chapitre de notre livre, le plus intéressant probablement pour les botanistes internationaux. Suivez votre idée d’envoyer des espèces douteuses aux divers spécialistes. D’ailleurs Carabia peut vous rendre quelques services en cette matière puisqu’il y a tant de types117 de ces espèces à New York. Vous pourriez procéder par petits groupes de 5 ou 6 plantes ; comme cela l’ouvrage avance plus vite, quand vous aurez fini de reviser le manuscrit de cette année, envoyez-le-moi, je le ferai copier et vous en enverrai des copies.
269Écrivez-moi souvent, cela sera un substitut à votre présence. Et puis ne m’oubliez pas devant Dieu. À toutes les autres raisons que j’ai d’être près de Lui s’ajoute celle d’une santé chancelante. J’ai remarqué que les gens qui ont beaucoup de santé pensent moins à l’Infini et à l’Éternel. C’est la grâce que Dieu fait aux indigents et aux malades.
270Voulez-vous présenter mes hommages au Frère Directeur, au Frère Sous-Directeur et aux autres, et dire au Frère Alain combien j’ai apprécié sa compagnie, sa sympathie, sa réconfortante et fraternelle amitié. Je ne l’oublierai jamais, et je ne demande qu’une chose, pouvoir le lui rendre un jour.
Marie-Victorin au frère Léon – 20 juin 1941
271Barbour m’a écrit de nouveau me demandant une copie du manuscrit que je lui ai envoyée immédiatement. J’ai bon espoir que nous allons réussir à avoir de l’argent. Ce sera fort heureux car cette publication va être très coûteuse, vous le comprenez.
- 118 Les « galées » proviennent de l’expression anglaise galley proof. À l’époque, l’imprimeur faisait u (...)
272Nous pourrons nous passer des galées118 perdues en route ou arrêtées par la censure. J’avais ici une deuxième copie qui, bien que non complètement corrigée, nous servira par comparaison avec les galées imprimées. Vous avez dû recevoir déjà deux envois de galées. Renvoyez-moi ces galées par petits paquets au fur et à mesure que vous les aurez revues. Je consacre mon été à cette publication. Je ne peux pas travailler beaucoup, mais j’y travaillerai un peu chaque jour.
- 119 Le 8 juin 1941, Marie-Victorin prononça une allocution lors du repas qui suivit la première messe d (...)
273J’ai assisté à la Première Messe de Gontran Lebel et j’ai présidé au déjeuner qui l’a suivie119. C’était bien impressionnant. Gontran Lebel sera un apôtre, un homme d’action, une espèce de Dom Bosco qui n’aura rien à lui. Bien qu’extrêmement intelligent, je ne crois pas qu’il serve le Christ dans le rayon de l’intelligence, je crois qu’il sera dans le rayon de la charité. C’est tout un, vous le savez, la perfection du Christianisme est dans l’unité de tout cela. Vous et moi, à certaines heures de dépression, nous pensons peut-être que comparer des formes de spathes ou compter des poils sur les sépales, que ces opérations n’ont peut-être pas un grand retentissement dans l’éternité. C’est une erreur. Nous observons la loi du travail et nous cherchons la vérité dans les humbles choses. Cela a sa place dans l’unité du Christianisme.
- 120 Frère Cyprien (1909-1971) : en 1941, le frère Cyprien (Conrad Gagnon, né à Hull, Québec), qui avait (...)
274Le Frère Cyprien120 du Mont St-Louis partira dans quelques jours pour la Havane. Je le chargerai de saluts et de quelques petites choses pour vous et le Frère Alain. Dites bien à ce dernier que je garde précieusement le souvenir de tous ses bons offices et que j’ai été fort impressionné de son sérieux et de son esprit de travail. Je crois qu’il ira loin… si les petits cochons ne le mangent pas : c’est une vieille expression canadienne.
Frère Léon à Marie-Victorin – le 20 juin 1941
275Vous savez qu’il faut que je fasse tout ici au Laboratoire, en plus de l’omnibus ; je ne puis dire à l’un Allez… et à l’autre faites cela… comme le centurion de l’Évangile et vous aussi sans doute.
276Ce que je souhaite à présent, c’est qu’on vous nomme Emeritus d’ici peu, pour que vous puissiez prendre un peu de repos, et que votre santé puisse ainsi se stabiliser.
Frère Léon à Marie-Victorin – le 28 janvier (l’année n’est pas mentionnée)
- 121 Lors de ses explorations à travers l’île de Cuba en 1939 et 1940, Marie-Victorin avait vu et entend (...)
277C’est un beau passage, au point de vue littéraire, mais, le Frère Dr lui-même ne veut pas qu’on le publie, cela pourrait nous faire beaucoup de tort, bien que ce qui concerne les révolutions périodiques et conséquences soit si vrai121.
- 122 José Martí (La Havane, 1853 – Dos Rios, 1895) : l’UNESCO a donné son nom à son prix international d (...)
278Pour quant à avoir l’air d’amoindrir Marti122, c’est différent. C’est un grand poète et un grand écrivain, et dans ses ouvrages il y a une foule de passages excellents pour l’éducation de la jeunesse et des hommes de tout âge. C’est un des plus grands génies de l’Amérique. Il a organisé de façon bien désintéressée la lutte pour l’indépendance, il est mort face à l’ennemi sans nécessité, pour donner l’exemple, alors qu’il aurait pu se contenter de son rôle d’organisateur.
279Depuis les fameux discours que nous entendions lors de notre dernière excursion embourbée, le camp opposé maçonnerie et communistes ont organisé quelque chose de pareil contre nous un mois après juste ; et ils ont leurs hommes pour fouiller dans nos livres quoi que ce soit qui puisse nous faire du tort. Les communistes eux-mêmes, pour une parole malheureuse contre les vétérans, et dont ils n’avaient pas calculé les conséquences, ont soulevé contre eux une tempête qui dure encore, et qui terminera probablement par leur suppression.
Frère Léon à Marie-Victorin – 25 juin 1941
- 123 Le frère Léon était préoccupé par trois sujets abordés par Marie-Victorin : la politique, la religi (...)
280J’en accole une à cette lettre (cf. observations plus importantes) ; je préfère qu’elle ne soit pas exposée à être lue par des indiscrets123.
- 124 Marie-Victorin était un lecteur assidu du quotidien Le Devoir (fondé en 1910 par Henri Bourassa [18 (...)
281Désirez-vous recevoir les numéros du Devoir124 qui arrivent encore ici ?
Marie-Victorin au frère Léon – 8 juillet 1941
282J’ai reçu régulièrement vos lettres et vos retours de galées. Je vous en remercie. Aussitôt que je reçois les galées, je fais les corrections sur la série centrale, et je suis actuellement à insérer les vignettes. Nous serons bientôt en état de mettre en pages la matière du premier volume, c’est-à-dire des deux premiers voyages.
283Vous avez complètement raison je pense au sujet des passages à supprimer sur les révolutions politiques et sur Marti. Je fais immédiatement les suppressions nécessaires. Je comprends qu’il faut être très prudent et je ne voudrais pour rien au monde causer des embarras pour une ligne imprudente. Le monde est sur un volcan, ou plutôt le monde est un volcan qui peut éclater sur n’importe quel point.
284J’ai appris avec regret que Carabia n’a pas obtenu le renouvellement de sa bourse. Il me dit qu’il restera quand même à New York, où il essaiera de vivoter jusqu’à ce qu’il puisse obtenir un autre renouvellement. Il avait l’intention de venir au Canada quelques semaines ; je ne sais pas si l’argent qui lui reste lui permettra de le faire.
Frère Léon à Marie-Victorin – 15 juillet 1941
285Je vois avec plaisir que tout va bien, pourvu qu’ils n’oublient pas de nous donner l’argent. Rappelez-vous ce que disait Barbour : de faire un arrangement avec l’Université de Montréal (échange de fonds ?) pour qu’on puisse dire que vous avez une subvention d’elle, mais insuffisante, et qu’ils aient la bonté de compléter.
286Je regrette aussi que Carabia ait à serrer la ceinture. Comme il a pas mal d’amis, il finira peut-être par avoir une place fixe quelque part.
287Frère Cyprien m’a laissé des boîtes (cadeaux) que j’ai fait remettre à Mme Lasnier, etc…
Frère Léon à Marie-Victorin – 18 juillet 1941
- 125 Richard A. Howard (1917-2003) : obtint sa M.A. et son Ph. D. de la Harvard University. Alors qu’il (...)
288Le jeune Dr R. Howard d’Harvard125 (Gray Herbarium, je crois) désire se joindre à nous. C’est probablement providentiel.
- 126 Avec ces quelques lignes, le frère Léon montre la compétition entre les différents projets : le Cat (...)
289Si l’on pouvait retarder un peu la publication du 2e volume, cela viendrait à point pour que je puisse m’occuper de ma Flore de Cuba, abandonnée depuis près de 6 mois et que je ne sais quand je pourrai la reprendre. À New York ils ont mis Carabia à travailler à mettre à jour le manuscrit que vous connaissez, et j’aurais aimé publier au moins le 1er volume de la Flore avant la publication du catalogue126.
Frère Léon à Marie-Victorin – 28 août 1941
- 127 L’état de la religion catholique à Cuba était le deuxième sujet, après la vie politique, que le frè (...)
290Ne vous en faites pas pour certaines remarques au sujet de certains passages, et n’allez pas me croire un peu méchant pour cela. Le C. Fre Dr lui-même m’a dit de les corriger de peur que ça nous fasse du tort. Entre autres choses, pour la Religion, Cuba en est à la même enseigne que tous les pays latins-espagnols d’Amérique et d’ailleurs ; c’est su mais ça ne convient pas toujours à des moinillons étrangers que beaucoup voudraient voir ailleurs, à rendre la chose trop publique127. Et puis le hasard a voulu que vous visitiez l’Église protestante de Maisi le dimanche matin, réunion d’obligation peut-être où tout était en ordre ; et que le dimanche soir vous visitiez l’Église de Baracoa la catholique à une heure qui n’est pas d’obligation et où tout le monde aime aller à la fraîcheur, et vous y décrivez un désordre infernal qui n’est pas à l’avantage de catholicisme, et un brin exagéré. À la messe d’obligation de la matinée du même jour c’aurait peut-être été bien différent, le parallèle n’est pas juste, et on ne peut tirer prudemment des jugements basés sur l’impression d’un moment. Autre chose ce serait si vous étiez seul auteur et qu’on ignore que vous êtes un « cura de La Salle ».
- 128 Enfin, le troisième sujet de la censure demandée était la composition raciale de Cuba. On pourrait (...)
291J’ai une horreur instinctive à voir appeler « négrillons » les enfants qu’on rencontre de çi ou de là ; s’ils sont négrillons, leurs parents sont des nègres, et on fait passer Cuba pour un pays de nègres, alors que les deux tiers de la population sont blancs et que le reste sont surtout des mulâtres. Il y a relativement peu de vrais noirs128. Ceux qu’on rencontre sont souvent des Jamaïcains ou des Haïtiens venus travailler pour faire quelques sous. Les blancs qui liront notre travail n’en seraient pas flattés, et parmi eux il faut compter le Président de la Commission des Écoles privées, un communiste actif qui est toujours prêt à présenter quelque nouveau projet de loi contre nous, sans parler d’un professeur de l’Université qui nous fait de beaux semblants et ensuite vote contre nous à la Commission des Écoles privées, il a déjà nos photogravures (q.q. unes), ayant été désigné pour informer la Société de Géographie au sujet de sa participation à la publication de notre ouvrage qu’il ne va pas lire, mais dévorer pour voir s’il y a quelque chose contre nous.
292Malgré toutes ces élucubrations, allez de l’avant, et voyez bonnement par vous-même ce qui doit aller ou ne pas aller.
Marie-Victorin au frère Léon – 4 septembre 1941
- 129 Le tiré à part est une réimpression d’un article publié dans un périodique scientifique. Les cherch (...)
293J’ai reçu votre tiré-à-part sur le Victorinia regia129. Je ne puis que vous remercier de l’honneur que vous me faites bien que je ne croie pas l’avoir mérité.
Marie-Victorin au frère Léon – 9 septembre 1941
- 130 Un franc parleur.
- 131 En 1920, Marie-Victorin avait publié Croquis laurentiens, édité par l’Imprimerie des frères des Éco (...)
294J’ai tenu le plus grand compte des observations écrites en marge des galées. Je suis peut-être « outspoken »130 mais pas du tout entêté. Même quand je ne suis pas convaincu des faits eux-mêmes, ce qui peut arriver, je comprends très bien la situation où vous êtes placé, et je ne veux pour rien au monde embarrasser mes chers confrères de la Havane. J’ai, en conséquence, supprimé complètement certains passages plutôt que de les mutiler, et j’ai jeté hors du papier un bon nombre de nègres et de négrillons. Voilà Cuba blanchi, peut-être un peu trop entre nous ! Si j’ai une excuse, c’est que certains de ces passages que vous aviez lus ne vous avaient pas frappé à la première lecture comme contenant beaucoup de dynamite. Je me reprendrai peut-être plus tard, bien plus tard, en publiant sous mon nom propre, ou sous un pseudonyme, un volume de croquis cubains131. Mais ce n’est pas bien sûr. Je n’oublie pas que nous avons un deuxième volume en marche.
Frère Léon à Marie-Victorin – 22 septembre 1941
295Vous êtes dynamique pour la parution de notre livre et la recherche des fonds nécessaires. Que serait-ce si vous aviez deux poumons et un cœur solide !
Frère Léon à Marie-Victorin – 5 octobre 1941
296J’ai ouï-dire qu’on avait considérablement réduit votre budget. Qu’en est-il ? Ne vous en faites pas trop. C’est comme ça qu’est la guerre ; mais elle finira, peut-être plus tôt qu’on ne pense.
Marie-Victorin au frère Léon – 27 octobre 1941
297J’ai devant moi vos diverses lettres et je vous envoie un mot de réponse.
- 132 Pascuas de Natividad est la fête de Noël.
- 133 Dans la préface, datée du 15 janvier 1942, de la première série Itinéraires botaniques dans l’île d (...)
298D’abord grande nouvelle : nous avons $ 2 000, pour la publication de notre roman sur Cuba. Cela va couvrir ce que j’appelle la première série, c’est-à-dire les deux voyages de 1939. J’espère que le volume de 500 pages sera sur votre bureau pour la Pascuas de Natividad132. Madame Atkins contribue pour $ 1 500 et Barbour pour $ 500. L’un et l’autre ont demandé que leurs noms n’apparaissent pas, mais que l’on donne crédit à l’Atkins Institution of the Arnold Arboretum133. J’ai écrit immédiatement à Madame Atkins et à Barbour. Au reçu de cette lettre je suppose bien que vous allez leur écrire vous-même. C’est vraiment un beau cadeau et qui vous honore, car je sais bien que c’est surtout pour vous que ces deux mécènes ont marché. Je ferai relier richement deux exemplaires, l’un pour Barbour et l’autre pour Madame Atkins, et nous irons le porter à cette dernière si Dieu veut que je vous retrouve à Cuba cet hiver. L’heureuse conclusion de cette affaire me donne du cœur au ventre pour continuer les autres volumes. J’ai pris bonne note des changements de noms qui sont arrivés à temps. Nous sommes à faire un index détaillé qui comprendra toutes les espèces citées avec les noms d’auteurs. Il va sans dire que cela demande beaucoup de recherches, et je vous enverrai sous peu une petite liste de noms, pour lesquels je n’ai pas la littérature qu’il faut. Vous voudrez bien me répondre par avion double vitesse.
- 134 En 1941, Radio-Canada avait créé Radio-Collège, une émission radiophonique de vulgarisation, qui av (...)
299J’ai reçu ce matin un bon mot du Frère Directeur qui accuse réception de notre brochure de Radio-Canada134. Ce bon Frère Directeur, il garde toujours la même vie et le même enthousiasme. La santé et le courage sont des dons des dieux !
300Je suppose que vous avez bien soin de notre petit Cyprien ; si vous l’engraissez nous vous en enverrons d’autres, car si la guerre continue c’est bientôt à Cuba qu’il faudra aller pour manger du bacon et des œufs. Vous souvenez-vous les bons déjeuners à l’américaine que nous prenions dans les auberges rurales devant les yeux éblouis de toutes ces bonnes gens à café au lait ?
- 135 Cette conférence publique fut donnée dans le très bel Auditorium Henry-Teuscher (1891-1984), du Jar (...)
301J’ai donné ici dans l’auditorium du Jardin botanique135 une conférence intitulée : « Quelques merveilles des Jardins tropicaux ». Elle était entièrement illustrée de kodachromes. Je vous assure que sur un grand écran, avec une lampe de mille watts, c’est un éblouissement de voir les Tripiaris americana, le Spathodea nilotica, le Bougainvillea, le Datura arborea, et autres merveilles que vous autres, blasés, vous ne savez plus apprécier.
- 136 Index Kewensis : depuis 1885, le Jardin botanique de Kew (Kew Gardens, ou Royal Botanic Gardens, à (...)
302Je me fais même dans mon bureau une petite atmosphère cubaine. À côté d’un canot d’écorce authentique de trois pieds de long, je vois en dictant cette lettre, une pousse solide du Ficus macrocarpa que nos jardiniers ont sans doute cultivée à partir d’une bouture que je leur ai envoyée. Je me propose ces jours-ci de faire le tour des serres pour voir comment marchent nos beautés cubaines. Je puis vous dire que le Phajus tancarvilliae (l’on ne trouve ce nom spécifique nulle part, même dans l’Index Kewensis136 ; voulez-vous vérifier !) a fleuri, et également il y a à l’entrée de l’édifice une magnifique Orchidée de la Loma del Gato tout en fleurs. Deux Zamia sont en pleine croissance : Zamia angustifolia de Pilon, et Zamia pygmaea de Pinar del Rio. Les Euphorbiodendron ici marchent bien et j’en enverrai à Soledad.
- 137 Luis René Rivas : avait en quelque sorte remplacé Carabia, comme aide du frère Léon. Par contre, il (...)
- 138 Smalah ou plutôt smala : d’origine arabe, ce mot veut dire un ensemble de tentes abritant la famill (...)
303Pardonnez le décousu de cette lettre : j’ai tant de choses dans la tête qui ne sont pas de votre bergerie, et pour continuer le décousu comment vont Rivas137 et sa smalah138, et Madame Lasnier ?
- 139 Carlos de la Torre y de la Huerta (1858-1950) : un peu comme Marie-Victorin au Québec, un nom très (...)
304Je fais aujourd’hui une petite préface où je remercie l’Atkins Institution, les autorités administratives de la République et quelques personnes éminentes qui nous ont aidés de diverses façons. J’ai mentionné Madame Giménez Lasnier, Gartois (quelles sont ses initiales), Carlos de la Torre139 ; vous trouverez peut-être que je suis généreux, mais ça ne coûte rien de faire plaisir aux gens. Si vous avez quelques noms à faire ajouter avec des mérites au moins égaux, ça ne coûtera rien non plus.
- 140 Kola : substance extraite des graines du kolatier (Cola nitida), un arbre originaire d’Afrique occi (...)
305Bonjour, portez-vous bien avec la grâce de Dieu et la kola140. Continuez de vous sanctifier, car malgré tout, je pense bien que ce ne sont pas nos « Itinéraires » qui nous ouvriront les portes du Ciel ; j’ai plutôt confiance dans les études sur les Coccothrinax.
Frère Léon à Marie-Victorin – 31 octobre 1941
306P.S. Avez-vous des nouvelles de Carabia ? S’il tenait compte de ce qu’on lui dit, tout irait mieux pour lui. Mais ne lui dites rien de cela et ne lui parlez pas de moi.
Frère Léon à Marie-Victorin – 15 novembre 1941
307Par deux fois, les informations demandées par avion vous ont été envoyées le jour même par avion. Je suppose qu’il y aura eu un petit retard à la censure, et qu’à présent elles vous seront parvenues.
Marie-Victorin au frère Léon – 25 novembre 1941
308Un mot à la hâte pour vous demander des précisions sur deux noms.
309Il va sans dire que c’est très pressé car les presses sont rendues à la page 150. Je m’excuse de vous faire courir comme une gazelle à votre âge, mais vous serez bien payé si les Itinéraires sont sur votre bureau pour la Noël.
310J’ai reçu aujourd’hui le chèque de $ 2 000. From the « President and Fellows of Harvard College ». C’est une fiche de consolation.
311Je vous écrirai de nouveau quand je serai moins pressé. Saluez tout le monde et croyez-moi.
312Votre toujours très obligé.
Frère Léon à Marie-Victorin – 27 novembre 1941
- 141 Le frère Léon avait alors près de 70 ans et Marie-Victorin un peu plus de 55 ans. Pour bien compren (...)
313J’ai beaucoup pensé ces derniers jours à l’excès d’optimisme de ma dernière lettre, avec le plan ci-inclus. Tout d’abord, j’ai idée que la proposition que représentent les papiers reçus d’Harvard se réfère plutôt à la publication de notre second volume. Ensuite de cela l’imprimeur me cotise la page actuellement à $ 3,00 (autrefois $ 1,00) sans compter les augmentations que les malheurs de la guerre apporteront, et sans compter les mille difficultés qui se présentent, sans parler de mes jambes qui à présent me rendent difficiles même les mouvements à l’intérieur du laboratoire ; parfois il me faut marcher appuyé sur une canne141.
314De sorte que, mon plan demanderait plutôt d’être remis à plus tard si les choses vont mieux, et, en tout cas, vous pourriez peut-être le remplacer par le vôtre. Voyez les questions à gauche en grosses lettres ; c’est ce qui est imprimé sur les papiers – formes, et ce à quoi il faut répondre.
- 142 Ce désir d’établir une collaboration avec le frère Léon donne un éclairage additionnel pour mieux a (...)
315C’est dommage que les choses soient ainsi. Mr Howard qui était avec moi à Moa. Il sera gradué Dr en Philosophie en juin, et il aurait aimé beaucoup s’associer avec moi pour publier la Flore142.
316Et comment vont les choses à l’imprimerie ?
- 143 Éminemment valable.
317Je crois que vous ferez bien de faire cadeau au Dr Merrill d’un exemplaire de luxe, car on lui doit beaucoup pour avoir dit à Mrs Atkins que notre livre est « eminently worthy »143 ; de la part d’un critique tel que Merrill, cela vaut !
Marie-Victorin au frère Léon – 1er décembre 1941
- 144 Marie-Victorin encourageait alors le frère Léon à essayer d’obtenir de l’aide financière pour sa Fl (...)
318Je reçois en même temps vos deux lettres au sujet de l’application que vous proposez de faire pour une bourse de recherches de Harvard. J’ai relu deux fois vos deux lettres qui me laissent un peu perplexe. Néanmoins voici ce que j’ai à vous dire : Je ne crois pas qu’il y ait de rapport entre ce blanc d’application et notre travail, sans cela Merrill vous en aurait parlé. Il faut séparer complètement ces deux choses, et il ne faudrait pas que vous refusiez cette opportunité pour réserver l’argent pour publier le deuxième volume. À chaque jour suffit sa peine ! et nous trouverons bien quelque chose pour cela144.
319Je sais le grand service que Merrill nous a rendu et lui suis infiniment reconnaissant. Il est bien entendu que je lui enverrai un exemplaire de luxe ainsi qu’à Barbour, Mme Atkins et même au Frère Léon. L’impression va bien et il y a environ 250 pages de tirées, ce qui est à peu près la moitié. Nous allons avoir un magnifique livre, je pense, et vous n’en aurez pas honte. Il y aura bien quelques petites erreurs et coquilles, parce qu’après tout c’est un livre fait par des hommes, et que, comme vous le savez, la nomenclature tropicale est encore tellement confuse.
320Pour revenir à la bourse, cela dépend évidemment de votre santé et de votre puissance de travail actuelle. Mais si l’on s’inquiétait toujours de l’avenir, l’on ne ferait jamais rien. À chaque année suffit sa peine ! Vous pouvez toujours demander ; si la bourse vous est accordée vous la prendrez pour la première année et vous ferez ce que vous pourrez. Quand bien même cela n’irait pas plus loin, vous aurez débrouillé une bonne quantité de matériel qui sans cela court le risque de rester à l’état informe et de chauffer le poêle de cuisine, quand Dieu, le plus tard possible, vous aura rappelé dans la Sierra Maestra céleste.
321Je ne connais pas M. Howard, mais vous avez dû le juger vous-même. D’ailleurs ils sont bien entraînés à Harvard dans ce genre de travail.
322Je me demande ce que Carabia va penser de tout cela. Il ne pourra tout de même pas se plaindre, car il m’a tellement répété qu’il ne veut pas retourner vivre à Cuba. Vous pourrez tout de même essayer de lui adoucir la pilule si vous obtenez cette bourse.
323Je pense beaucoup à aller vous voir cet hiver, mais je ne compte pas le faire avant le mois de février. J’ai encore beaucoup de moutons à tondre dans ma bergerie, ce qui veut dire beaucoup de subventions à obtenir, de budgets à fixer, de choses à mettre en marche.
324Vous ne savez pas comme le soleil de la Havane est deux fois plus beau quand il nous débarrasse de tous ces soucis en plus de nous réchauffer !
325Je serai bien heureux si vous pouvez vous arranger pour que nous puissions faire, au cours de cet hiver, deux ou trois bonnes excursions pour boucher les trous : Moa, etc. J’ai aussi l’intention de retourner avec vous faire certains lieux près de la Havane, et que nous n’avons fait qu’effleurer pour étoffer un peu les rapports sur ces stations. Je pense en ce moment à des endroits comme Tapasta, les lagunes de Pinar del Rio, etc. M’est avis que dans ces itinéraires la province de la Havane devrait être bien représentée, car les botanistes étrangers qui se serviront du livre auront surtout accès à cette partie du pays.
326Faites des projets et parlez-m’en le plus longuement qu’il vous sera possible. Je vous en écrirai ensuite avec plus de détails.
327Mes amitiés à tous, à l’ami Alain, au bon Cyprien, et à tous les excellents Frères qui ont été si bons pour moi et dont je garde le meilleur souvenir. Dites au Frère caissier, qu’il prépare ses pesos ; c’est une denrée qui est toujours utile sur la grande Ile, où l’on apprécie bien les choses intellectuelles, mais…
328J’espère vous écrire pour Noël : si ça n’arrive pas mes meilleurs vœux de la Saison. Il va sans dire que Dieu reste toujours dans la relation que vous savez.
Frère Léon à Marie-Victorin – 18 décembre 1941
329Ayant lu vos sages conseils au sujet de la bourse d’Harvard, j’ai envoyé mon plan à Merrill, avant de faire le pas décisif, et j’attends. Quant à Carabia, je vous en parlerai plus tard. Si vous le voyez ne lui parlez pas de moi, jusqu’à ce que vous soyez renseigné. En tout cas, s’il se plaint de ce que Merrill lui ait dit que pour avoir des fonds il devait obtenir de moi l’approbation de son travail (la révision et publication du manuscrit dont je partage la propriété avec Wilson), vous pourrez lui dire que je n’y suis pour rien, que je n’ai même jamais songé à insinuer cela à Merrill. Par ailleurs, je trouve cela bien naturel qu’avant de donner l’argent il ait l’opinion de quelqu’un qui connaisse la flore de Cuba !
Frère Léon à Marie-Victorin – 29 décembre 1941
330Si par hasard vous vous arrêtez au Jardin à New York en venant ici, sans en avoir l’air, vous pouvez sonder l’ambiance, mais sans souffler mot de ce que je vous ai dit. D’ailleurs vous êtes témoin de ce que personnellement je n’ai parlé mal de personne.
Frère Léon à Marie-Victorin – 13 janvier 1942
331Ne vous en faites pas. S’il y a un peu de retard, c’est la chose la plus naturelle du monde que ce soit complètement terminé plutôt après qu’avant la date supposée, c’est comme dans un tir, la balle arrive toujours plus bas que la trajectoire.
332Je me réjouis de ce que vous ayez obtenu la permission la moins facile. Nous vous attendons donc. Cependant je ne me suis pas mêlé d’annoncer la nouvelle au C. Fre Directeur, pensant que vous l’aurez fait vous-même. Il sera d’ailleurs très content de vous revoir.
Marie-Victorin au frère Léon – 20 janvier 1942
- 145 À la dernière page, il est écrit : Achevé d’imprimer aux Éditions du Richelieu, à St-Jean, le trent (...)
333Je vous envoie un exemplaire des Itinéraires qui vient de sortir des presses145.
334J’enverrai dans quelques jours deux exemplaires en reliure de luxe dont l’un sera pour vous (vous le reconnaîtrez facilement) et l’autre pour le Frère Directeur. Je continuerai à vous envoyer quelques exemplaires pour les besoins de la cause. Deux caisses contenant deux cents exemplaires sont envoyées à Barbour qui les fera transmettre à Soledad.
335Je vous assure que je suis content que ce soit fini ; les dernières semaines ont été pénibles. Vous vous rendez compte de la multitude de détails de toutes sortes que comporte une telle publication, et j’aurais tant voulu qu’elle fut parfaite à tous les points de vue. Il est bien entendu qu’il y a par ci par là des coquilles et autres fautes et probablement aussi de véritables erreurs. Cela arrive toujours. Mais comme nous publierons un deuxième volume, nous en profiterons pour rectifier les choses qui viendront à notre connaissance. Ne nous en faisons pas avec tout cela : l’expérience montre que c’est toujours ainsi. D’ailleurs, nous autres, nous cherchons ces petites bêtes ; le lecteur ordinaire en général n’y voit goutte.
336Il est bien sûr que nous pourrons publier les nouveautés de Maisi au Canada. Nous pourrons y joindre d’autres nouveautés que nous allons décrire ensemble cet hiver. Nous préparerons tout cela bientôt.
337Je m’occuperai des petits coussins, disons de deux petits coussins qui vous faciliteront vos voyages à cheval. Vous êtes incorrigible, je veux dire vous ne cesserez d’aller à cheval que quand vous monterez dans les airs, avec les anges.
338Il va sans dire que j’ai bien hâte d’être auprès de vous et de goûter un peu au soleil qui nous manque bien un peu ici. Au moment où je vous écris le vent hurle dans la tour du nord et à l’extérieur le temps est pisseux, passez-moi l’expression. Nous avons eu des froids à pierre fendre suivis de remontées vertigineuses. Ça prend des canayens pour « toffer » ça (faites traduire par le Frère Cyprien).
339Il y a une chose que je voudrais bien avoir et qui me permettrait de travailler beaucoup plus : ce serait de louer si possible une machine à écrire à clavier français. Pensez-vous que cela existe à la Havane, au Consulat par exemple ? Si je puis obtenir tous mes passeports à temps, je quitterai Montréal à la mi-février ; je vous avertirai du jour.
340J’ai appris que Carabia a perdu sa mère et que, en plus, il a eu un accident qui l’a tenu au lit pendant quelque temps ; tout cela lui est arrivé pendant le temps des fêtes. Je le verrai à New York et vous donnerai des nouvelles.
Frère Léon à Marie-Victorin – 5 février 1942
341Le fils de nos sueurs a fait bon voyage, et vient d’arriver resplendissant de beauté et de fraîcheur. Le cher Frère Directeur ainsi que votre serviteur et tout le monde ici, avons été émerveillés de voir les splendides gravures à la hauteur de votre texte si littéraire. La carte aussi est magnifique. Mes plus chauds compliments.
342Le C. Fre Baudelin du Commerce est allé dans trois firmes de machines à écrire ; la Remington s’est compromise à trouver une en français pour trois mois. Ce sera bon marché.
343J’espère que vous ne tarderez pas, à présent, à vous personnifier sur votre berceuse qui vous attend à bras ouverts comme nous tous. Si vous êtes ici vers le 20, ce serait facile de nous absenter du 23 au 25, sans que j’aie besoin de remplaçant.
344Bon voyage et à bientôt.
le cinquième voyage de marie-victorin
En 1942, Marie-Victorin effectua son cinquième séjour du 19 février au 19 avril. Dans ses autres voyage, il séjournait à La Havane, à son arrivée et avant son départ ; il fit probablement de même en 1942. Lors de ce cinquième voyage, il était retourné dans la province de Pinar del Rio, à l’ouest, avait exploré les régions autour de La Havane, mais surtout avait découvert le « pays de Moa » dans la province de Holguín où il avait découvert une nouvelle espèce, le Dracaena cubensis.
Dans les Itinéraires, ses observations furent relatées dans les volumes II et III, respectivement publiés en 1944 et 1956. La découverte du « pays de Moa » fut un point tournant dans ses explorations. Par la suite, il décida de faire un troisième volume, ne regroupant que la sierra de Nipe et le « pays de Moa », de la province de Holguín : « Il est clair que nous avons affaire à un Dracaena non encore décrit, endémique dans une région restreinte de la province d’Oriente. Qu’une pareille relique africaine soit localisée dans une petite portion de l’ouest de Cuba et ne se trouve nulle part ailleurs dans les Antilles, c’est là l’une de ces anomalies phytogéographiques qui défient toute explication. En reliant par la pensée le Dracaena cubain et celui de l’Amérique centrale d’une part, au Dracaena géant des Canaries d’autre part, on pensera certainement à l’hypothèse séduisante, à la réalité plutôt, d’une ancienne continuité africano-antillaise, d’une migration atlantidienne, […] Atlantide, intercontinent atlantique, dérive wégénérienne de l’Amérique vers l’ouest, tout cela tourne autour d’une même idée, d’un même fait : une continuité ancienne des terres africano-américaines qui a laissé des traces dans la flore actuelle de l’Amérique tropicale. Le Dracaena de Cuba sera désormais, dans la série végétale, l’un des plus évidents vestiges de cette continuité. […] Le Dracaena cubensis, à cause de ses relations spatiales, est l’une des plus remarquables unités de la flore des Antilles. Pour les botanistes, il conférera à la région de Moa une juste célébrité. Après être allés voir sur les “mogotes” de Pinar del Rio, ce majestueux témoin du Crétacé qu’est le Microcycas calocoma, et dans la région des lagunes occidentales l’étrange Palmier ventru […], ils seront sûrement attirés vers la terre de fer de Moa, vers le Dracaena cubensis, témoin irrécusable d’une géographie disparue » (vendredi 27 mars 1942).
Marie-Victorin au frère Léon – le 8 juillet 1942
345J’ai honte de constater que je suis revenu depuis un mois et que je ne vous ai pas encore écrit. Mais, vous savez tout ce que j’ai dû trouver ici à mon arrivée. Le travail et les casse-tête n’ont pas manqué. Maintenant que mon personnel s’en va graduellement en vacances, je commence à faire sérieusement ma correspondance et je vous reviens.
346J’ai reçu une bonne lettre du frère Clément et il m’affirme que vous travaillez encore à embrouiller la question des palmiers royaux. Je suppose que vous êtes décidé à publier ; j’ai bien hâte de voir ça. Je vais publier immédiatement le petit article sur le Dracaena cubensis. J’ai vu, à New York, cinq ou six feuilles d’herbier de cette espèce envoyées par Shafer et une autre feuille envoyée par vous-même. N’est-il pas extraordinaire qu’une pareille plante soit passée entre les dents du peigne ! J’ai vérifié aussi certains autres points dans les herbiers de New York.
347J’ai vu Carabia. Il s’attendait, de jour en jour de partir pour l’Amérique du Sud. Mais, rien n’est certain. Il arrive au bout de son argent et, s’il n’y a pas d’autres développements, il devra bientôt retourner à Cuba. Il est, d’ailleurs, sujet au service militaire, aux États-Unis, s’il y reste.
348Je ne crois pas pouvoir y retourner pour un long séjour, mais je garde un souvenir ému de tout ce que, chez vous, l’on a fait pour moi.
Frère Léon à Marie-Victorin – 15 juillet 1942
349Finally, I received your postal card from New York, telling me that you will write me a letter. This did not come yet; but I hope you have received mine? In view of this it would be perhaps more practical to typewrite our letters in English, to help Censorship and avoid so much delay.
- 146 Par cette phrase, le frère Léon n’avait fait que taquiner Marie-Victorin en imaginant une distincti (...)
350Do you know that I have been appointed Research Fellow in the Arnold Arboretum? As to you, I imagine that after publishing such a fine book, you have been elected Member of the Washington Academy of Sciences146! In that case, my best congratulation!
351I have much work before me; no hope of any trip to Moa. The only trip I am thinking of, is that one from where one never comes back. My legs are bad, and I only wish I can walk sufficiently in our dear laboratory. And dont forget we must pray for each other.
Marie-Victorin au frère Léon – 30 juillet 1942
- 147 Marie-Victorin continue, sans commentaire, sa correspondance en français.
352J’ai bien reçu votre lettre du 15 juillet pour laquelle je vous remercie147.
353Je passe l’été à mon bureau et je mets en forme immédiatement le deuxième volume des Itinéraires. J’ai fait des condensations qui seront, je crois, très intéressantes. Je vous enverrai le sommaire révisé dans quelques jours. J’imprimerai bientôt une petite publication sur le Dracaena cubensis.
Frère Léon à Marie-Victorin – 10 août 1942
354J’ai poussé un soupir de satisfaction en voyant votre lettre, et suis content de savoir que tout vous arrive, en particulier le manuscrit et les négatifs, et que le bon accueil fait au I vol. de nos Itinéraires est de bon augure pour trouver l’argent du II.
355Ne publiez pas encore votre article sur la Dracaena cubana. Tout d’abord j’ai entendu dire par un excellent professeur de latin que cubensis signifie que le pays dépend d’un autre, et qu’il ne pouvait pas s’employer dans un pays officiellement indépendant.
356Pour quant au Hilton Fund, j’en ai reçu déjà un trimestre, et je travaille dur avec Rivas. Et pour légitimer davantage ledit Fund, j’ai reçu ma nomination de Research Associate de l’Arnold Arboretum. Quant à Carabia, il ne m’a pas écrit depuis ma dernière lettre, et je n’ai de ses nouvelles que par vous.
357J’ai encore bien des amis qui désireraient avoir notre livre. Jusqu’ici j’en ai 34 de marqués comme ayant été distribués.
Marie-Victorin au frère Léon – 5 septembre 1942
358Je suis en train de fabriquer un joli petit mémoire – joli à mon sens – sur le Dracaena. C’est quelque chose de très curieux. Vos fleurs sont arrivées à pic. Je fais faire un dessin de la fleur et de la graine (c’est bien la graine que vous m’avez envoyée, et non le fruit) ; si vous avez quelques fruits, je pourrai les faire dessiner, il ne manque que cela pour une illustration complète. Envoyez par avion si possible.
- 148 Ignatz (Ignatius) Urban (1848-1931) : né à Warburg, en Allemagne, il étudia aux universités de Bonn (...)
359Mes augures latinistes, ici, et moi-même, nous comprenons que Dracaena cubensis signifie Dracaena de Cuba et que Dracaena cubana signifie Dracaena cubain. Nous ne pouvons pas voir que cela peut signifier que le pays dépend d’un autre. D’autre part, il paraît bien que toutes les plantes, ou presque toutes, qui ont été décrites avec ce nom spécifique par Ekman, Urban148 et d’autres, portent le nom spécifique de cubensis. Mais cela est un détail.
360Je suppose que votre laboratoire bourdonne d’activité avec la jeunesse de Rivas pour y mettre de la vie. Dites-lui qu’il ne m’écrit pas souvent. J’espère qu’il va faire un bon adjudant et qu’il va prendre goût à la botanique assez pour sacrer tous les poissons à l’eau.
- 149 Dans le contexte actuel, à la suite du 11 septembre 2001 à New York et de la guerre en Irak, cette (...)
361J’ai reçu un mot du Frère Alban qui est rendu comme directeur à Guantanamo. Le pauvre misérable149 ! Vous ne me dites pas qui est directeur à Vedado cette année, si le cher Frère Nestor-Maria a été renouvelé. J’ai bien hâte de le savoir. Vous savez que j’ai beaucoup de considération pour lui, pour son savoir-faire et sa façon de comprendre les choses.
Frère Léon à Marie-Victorin (la date de cette lettre a été censurée)
362J’ai devant moi vos deux dernières lettres, et je commencerai par vous remercier de votre intérêt pour la Flore de Cuba, ayant eu la gentillesse de me signaler la monographie des Jussiaea. Je vais essayer de me la procurer. En passant, donnez-moi donc je vous prie l’adresse de celui qui publie une Flore de Trinidad, à Port of Spain. Et à propos de mon aversion prétendue pour les plantes aquatiques, vous verrez quand viendra le tour des Onagracées, combien j’ai récolté de Jussiaea dans le temps jadis où je n’étais pas distrait par les palmiers. Je vous en préparerai une bonne collection. Pour le moment, nous en sommes encore aux graminées ; il y a un instant qu’on vient de finir le petit genre des Panicum, et nous avons déjà près de deux cents exemplaires préparés pour votre herbier.
363Rivas travaille bien ; il a attaqué la botanique avec enthousiasme et je compte que, Dieu aidant, nous pourrons faire beaucoup de travail.
364Pour quant aux Itinéraires, j’ai déjà dû vous dire qu’en tout j’en ai reçu environ 34 ; depuis quelque temps, je n’en reçois pas. Je serais un peu embarrassé quand ils viendront d’en envoyer aux personnes, qui vous ont écrit, car je n’en ai pas pris note, et ma mémoire est fatale. Vous vous souvenez que le Dr Barbour m’avait demandé une liste d’adresses, pour leur envoyer les Itinéraires ; eh bien, je viens de recevoir une lettre du Fre Dr de notre Collège de Marianas me demandant les Itinéraires pour leur bibliothèque. Il n’aura donc rien reçu du Dr Barbour, bien que je l’aie mis sur la liste d’adresses, et peut-être que les autres non plus n’auront rien reçu. Est-ce à cause de la guerre ? car on commence à sentir que nous sommes en guerre ; l’autre jour les sous-marins nous ont coulé deux bateaux ; une trentaine de morts, auxquels on a fait des funérailles nationales impressionnantes. Hier, des 5e colonnes ont essayé de faire sauter le dépôt de gazoline de la fabrique de ciment du Mariel qui fabrique le ciment pour un (CENSURÉ) à San Antonio de Los Batros, mais l’armée les en a empêchés et les poursuit actuellement. Le courrier arrive cependant, sauf les Itinéraires.
365Rivas, Fre Cyprien, Fre Alain, Chrysostôme, etc. vous saluent cordialement. Quant au Fre Alban il est directeur à Guantanamo, le pauvre !
Marie-Victorin au frère Léon – 24 septembre 1942
366L’article sur le Dracaena cubensis est prêt, sauf pour la description complète des fruits. Je vous ai demandé, dans ma dernière lettre, de m’en envoyer par avion, puisque vous me dites en posséder. Les dessins sont tous faits, sauf ce détail.
- 150 Une variation de 45 °F, la mesure alors utilisée au Canada, semblait plus grande que les 25 °C d’au (...)
367Je ne travaille pas beaucoup ces jours-ci parce que je ne suis pas très bien. Nous avons eu des changements de température brusques (45 degrés de différence dans la même nuit150) qui m’ont flanqué par terre. J’ai le cœur comme un grelot. J’ai bien hâte que tout cela se stabilise pour travailler pour de bon.
368Donnez-moi des nouvelles de votre travail ainsi que de Cuba en général. Je n’ai pas de projet pour cet hiver, car j’ignore jusqu’à quel point je pourrais vivre à Cuba ou ailleurs dans les Antilles. Y a-t-il encore des taxis, de la gazoline et des pneus ? Est-il encore possible d’herboriser ?
Marie-Victorin au frère Léon – 31 octobre 1942
- 151 Au début du mois de mai 1942, Marie-Victorin séjourna quelques jours à Porto Rico. Il avait rédigé (...)
369Je crois que vous finirez par recevoir des « Itinéraires » que je vous fais envoyer de temps en temps, à intervalles irréguliers. N’oubliez pas que les publications de l’Institut botanique dont vous me parlez vous ont été envoyées pendant que j’étais encore à Cuba. Vous voyez d’ici la rapidité, et puis j’ai reçu, ces jours derniers, des lettres qui m’avaient été adressées à Porto-Rico durant le mois de mai151 ; c’est un autre record de rapidité. Donc ne nous en faisons pas sur ce sujet. Comme vous dites, maintenant que la guerre est devenue l’état normal, rien ne nous surprend plus.
370Je vous ai envoyé des épreuves d’illustration pour le petit mémoire du Dracaena. Ledit mémoire va paraître ces jours-ci. Si les communications n’étaient pas interminables, je vous aurais envoyé les épreuves ; néanmoins, comme nous avons discuté tout cela, j’espère qu’il n’y aura pas de choses répréhensibles. Je suis très fier de ce petit travail qui ajoute une si belle unité à votre, ou à notre flore cubaine.
371Je suis tout heureux de ce que vous me dites de l’introduction du carburant national ; cela laisse entendre qu’il y aura encore moyen pour un type de mon espèce de vivre à Cuba si j’y retourne. Je dois avouer que cela est mon grand désir. J’avais projeté de passer un mois ou deux en Haïti avec Holdridge. Mais ce dernier a été envoyé d’office en Colombie, et il ne sait pas pour combien de temps. Par ailleurs, le Dr Camp, de New York, est rendu en Haïti pour toute la durée de la guerre, en mission spéciale, peut-être pour le caoutchouc, ou peut-être pour remplacer Holdridge. Dr Camp va avoir beau à étudier les Éricacées. Je m’étonne qu’il ne soit pas arrêté vous voir en passant.
- 152 En 1945, José Perez Carabia publia « The Vegetation of Sierra de Nipe, Cuba » (Ecological Monograph (...)
372Je n’ai pas de nouvelles dernièrement de Carabia. Je vais lui écrire aujourd’hui même. Je suis très désireux de publier une magnifique carte qu’il a travaillée depuis deux ans de la Sierra de Nipe. Je l’ai vue à New York. Elle est très détaillée152.
- 153 À Montréal, Lucien Charbonneau, son chauffeur, prenait soin de Marie-Victorin comme un aide de camp (...)
373Heureux d’avoir des nouvelles de Rivas. Évidemment, si j’allais à Cuba, je serais dans de meilleures conditions que l’an passé car ce bon ami pourrait me rendre bien des petits services dont vous savez que j’ai extrêmement besoin153.
374Je sors d’une grippe qui m’a un peu affaibli. Comment prend-on ça ? On n’en sait jamais rien. Peut-être est-ce seulement un surcroît de travail de la première semaine des cours universitaires où j’ai dû fournir un effort considérable. Nous avons, cette année, ici au Jardin botanique, 150 étudiants en médecine, 60 en sciences, 35 en pharmacie, 25 en beaux-arts. Vous voyez qu’il y a de quoi prêcher l’Évangile de la nature qui est si proche de l’autre.
Marie-Victorin au frère Léon – 20 novembre 1942
375Je note, avec un intérêt, ce que vous me dites au sujet du transport. Je suis assez indifférent au prix de la gazoline, l’important c’est qu’il y en ait, ainsi que des pneus. Tenez-moi bien renseigné là-dessus.
376Je travaille fort à mettre en forme le deuxième volume des Itinéraires et je commence sérieusement à essayer de trouver l’argent. Ce sera encore une affaire de $ 2 000.
Frère Léon à Marie-Victorin – 21 novembre 1942
377C’est plutôt un espoir qu’une certitude, le futur carburant (gazoline + alcool), car de plusieurs endroits de l’île on se plaint qu’il n’y en a pas, et les camions qui transportent les marchandises sont menacés d’un repos forcé.
Marie-Victorin au frère Léon – 7 décembre 1942
- 154 Harold N. Moldenke (1909-1996) : il avait obtenu son Ph. D. en taxonomie de la Columbia University, (...)
378J’ai communiqué avec Moldenke154, et je vous fais envoyer deux de ces publications qui vous seront sans doute très utiles si vous ne les avez pas. Ne vous occupez pas de les payer. J’ai fait cela pour vous. Moldenke me dit de vous dire que vous pouvez lui envoyer tous les matériaux que vous voudrez dans les groupes dont il s’occupe. Mais il désire que vous les adressiez à sa femme : 631 East, 226th Street, Bronx, New York City. Elle lui apportera les plantes au camp de concentration, et fera les comparaisons elle-même à l’herbier de New York, si c’est nécessaire. S’il y a des choses nouvelles à décrire, ils devront naturellement attendre après la guerre.
379J’ai donné aujourd’hui à l’impression une partie du deuxième volume des « Itinéraires ». Je crains que cela fasse un bien gros livre, et il est possible que les si intéressants chapitres sur Nipe et Moa en fassent un troisième. Auquel cas la publication sera nécessairement retardée, ce qui nous donnera la chance de l’enrichir considérablement.
380Nous avons, depuis quelques jours, de terribles tempêtes de neige. Je vous avoue que cela m’affecte un peu. Mon côté gauche est bien congestionné ce matin et cela me fait désirer le soleil de la Havane.
Marie-Victorin au frère Léon – 15 décembre 1942
381J’ai bien reçu votre lettre et votre page sur les Palmiers royaux. Je ne connais pas grand’chose à la question, mais cela me semble bien intéressant. Il est regrettable que notre premier volume soit publié ; cela aurait enrichi le chapitre de Maisi. Nous aurons peut-être l’occasion de mettre ces nouvelles notions dans un autre chapitre.
- 155 Marie-Victorin s’apprêtait alors à décrire une nouvelle espèce de plante aquatique sous le nom de V (...)
382Une bonne nouvelle : la Vallisnérie de Zapata est une bonne espèce nouvelle que je vais décrire aussitôt que possible155. Sous le microscope on n’a pas à s’y méprendre ; les feuilles sont dentées en scie et il y a sur ces dernières des lignes rouges pigmentées très curieuses. Nous étudions la fleur et je pense que nous aurons aussi des caractères. Cela va m’amener à bouleverser un peu les conceptions courantes sur l’identité de la Vallisnérie de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Dans ces deux dernières, la feuille est absolument entière. Cela va faire une belle addition à ce chapitre de la Ciénaga qui est déjà très intéressant.
383Je commence à faire composer à l’imprimerie le deuxième volume ces jours-ci. Je voudrais mettre en page tous les chapitres, sauf celui de Nipe et de Moa. Il peut se faire que ces deux chapitres soient suffisants pour une troisième série.
- 156 Une température de –4 °F semble encore plus froide en degrés Celsius : il s’agit de –20 °C. Et en 1 (...)
384Je commence à penser sérieusement à fuir mon détestable pays. Si vous étiez ici aujourd’hui vous jouiriez d’une température de 4 en dessous de zéro156, avec un vent du pôle nord à l’avenant. Il y a de la laine sur les épinettes à l’entrée du Jardin botanique. Quand le personnel est entré ce matin, ils étaient tous pâmés rien que d’avoir traversé l’entrée du jardin.
385Continuez à me renseigner sur les conditions à Cuba. S’il est encore possible de voyager vers le milieu de février, il se pourrait que vous me voyiez arriver. J’irai peut-être dans d’autres Antilles, mais je passerai une bonne partie du temps à Cuba à soigner ma santé.
386Voici bientôt Noël : je vous souhaite déjà Joyeux Noël et Bonne et Heureuse Année. Que le bon Dieu qui vous a déjà si bien conservé continue sa job. La botanique cubaine a grand besoin de vous pour terminer votre flore et pour décrire les quelques Palmiers qui ont échappé à votre rapacité. Devant la crèche, nous prierons l’un pour l’autre ; nous sommes deux misérables chacun dans notre genre, mais Dieu est si bon qu’il nous fera miséricorde.
Marie-Victorin au frère Léon – 7 janvier 1943
387Je suis allé passer deux ou trois jours à New York en compagnie de Carabia qui m’a prié de vous présenter ses meilleurs vœux de bonne année.
388J’ai fait des recherches et je crois avoir réussi à régler certains points.
- 157 La correspondance comprend une grande quantité de discussions aussi techniques, susceptibles de n’i (...)
38920340 = Byrsonima lucida B.C. C = B. cuneata. 19265 = Byrsonima biflora Griseb.– Charrascal de la Cueva, Sierra de Nipe, 1940. 19556 = Vicia acutifolia Ell. – Cayo Delicias, Ciénaga de Zapata 1941. J’ai examiné les différentes récoltes de Casearia épineux. Voici le résultat de mon enquête : le Casearia de la Sierra de Nipe est le C. Crassinervis Urb. Toutes nos récoltes et celles de Shafer sont identiques157.
390Je suis très indécis au sujet de mon prochain voyage à Cuba. J’attends avec anxiété des nouvelles sûres au sujet des possibilités pour moi de vivre dans une Havane sans gazoline. Vous connaissez mes infirmités ; il faudrait absolument que je trouve un moyen de me transporter au collège deux ou trois fois par jour. Je ne puis absolument pas gravir la côte. J’ai écrit à ce sujet à Rivas qui vit dans la ville et qui doit être au courant de ce qui s’y passe. Dites-lui de me répondre sans tarder, par voie aérienne. Il va sans dire que je désirerais infiniment m’évader d’un hiver qui est ici très dur ; ma santé en a vraiment besoin. Quand bien même je ne ferais que me reposer à Cuba et travailler tranquillement à n’importe quoi cela vaudrait sans doute mieux que de rester ici. Mais encore une fois, je ne puis aller me jeter dans une situation où j’achèverais de me détruire.
391J’ai commencé à donner à l’imprimerie notre deuxième volume. Ça ne marche pas bien vite et je ne sais pas ce que je pourrai apporter avec moi là-bas.
392P.S. Je suis encore très indécis pour mon voyage aux Antilles dont j’aurais grandement besoin je vous prie de le croire. Mais je redoute beaucoup d’être à la Havane et de ne pas avoir de taxi pour me transporter à mon hôtellerie de la Havane : c’est la grande question. Je veux bien avoir la foi, mais est-ce que vraiment le Bon Dieu a décidé de nous donner de la gazoline et des pneus ? Tenez-moi au courant. Si je pars ce sera vers le milieu de février. Je ne suis pas difficile. N’importe quel véhicule ferait mon affaire. Un vieux cheval attelé à une charrette !
Marie-Victorin au frère Léon – 18 janvier 1943
393Comme monsieur Carabia aura à ce moment publié ses propres Anastraphia, il n’y aura pas d’inconvénient à ce que l’impression définitive retarde un peu. Mais, une fois les épreuves corrigées à Cuba et les illustrations préparées, cela pourra peut-être se faire ici en mon absence. Nous en reparlerons. Tout cela indique qu’il est sage de remettre les chapitres de Moa et de Nipe pour un troisième volume qui contiendra beaucoup de matériel nouveau.
394Je suis convaincu maintenant qu’il y a des taxis à la Havane et, si rien ne vient m’en empêcher, je partirai d’ici vers le 18 février. Je serai à la Havane pas très longtemps après. Ne vous inquiétez pas de moi. Je saurai bien arriver tout seul.
395Je fais de grands efforts pour apporter avec moi la mise en page du deuxième volume afin de pouvoir vérifier tranquillement là-bas toutes sortes de petits points qui ne demanderont pas de changements considérables.
396P.S. Mille mercis pour l’Anastraphia Victorinii. Je suis très fier d’être anastraphié.
Frère Léon à Marie-Victorin – 23 janvier 1943
- 158 Dès le début de cette publication, Marie-Victorin situe cette contribution en écrivant : « Dans les (...)
397J’ai reçu deux exemplaires de votre mémoire magnifique du Dracaena cubensis158, j’en ai donné un à Mme Gimenez Lasnier. Le même jour je lui ai présenté Rivas, et elle m’a donné une superbe collection de bois cubains.
398En ce moment je suis dans mon lit, puisque sans pouvoir me bouger, d’une sorte de lumbago de la pire espèce. J’espère que ça ira mieux quand vous viendrez.
le sixième voyage de marie-victorin
399En 1943, Marie-Victorin effectue son sixième séjour, du 21 février au 31 mai 1943. Dans ses autres voyages, il séjournait souvent à La Havane, à son arrivée et avant son départ. Il a probablement fait de même en 1943. D’ailleurs, sa lettre du 16 juin 1943 au frère Léon donne l’impression qu’il vient tout juste d’arriver à Montréal.
Le troisième volume des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba relate les deux excursions dans le « pays de Moa » pour lesquelles il rédigea ses observations. Par contre, les spécimens conservés dans l’Herbier Marie-Victorin de l’Université de Montréal, au Jardin botanique de Montréal, indiquent qu’il avait aussi herborisé dans la province de Pinar del Rio et autour de La Havane. Dans les Itinéraires, ses observations furent relatées dans le volume III, publié en 1956. D’ailleurs, les deux derniers chapitres s’intitulent : « Le pays de Moa. Deuxième voyage : 15-23 avril 1943 » et « Le pays de Moa. Troisième voyage : 26-31 mai 1943 ».
« C’est grande réjouissance que de faire des préparatifs pour un voyage au pays de Moa, car Moa c’est toujours, pour le botaniste, une sorte d’île aux Trésors, où, à chaque pas, on a devant soi une relique ou un mystère. Alain est parti de La Havane hier, le 14, car il voyage entièrement par voie de terre, via Antilla, Cayo Mambi et Cananova. Moi, je pars aujourd’hui par autobus pour Camagüey, où j’arrive à deux heures de la nuit. Quelques heures de sommeil au Grand Hôtel de la compagnie de chemin de fer, ancienne caserne de cavalerie au temps des Espagnols. Ces interminables corridors, ces vastes pièces et ces jardins forment un ensemble fort curieux. Aujourd’hui, par ces temps de guerre, où il y a peu de circulation de voyageurs, ce caravansérail est presque désert » (jeudi 15 avril 1943). « Par bonne fortune, j’obtiens passage sur l’avion qui va à Santiago. L’aéroport de Camaguëy m’est bien connu » (vendredi 16 avril 1943). « Ce matin, ayant opéré ma jonction avec Frère Clément, nous montons tous deux dans l’avion de Baracoa. J’aime cet avion Ford, aussi désuet que sympathique et familial, où la cabine étant placée au-dessous des ailes, on peut tout à son aise admirer le paysage. […] Ce trajet nous est familier. La “loma Pelada” et ses Agave Underwoodii, dont nous frôlons le sommet à la sortie de l’aéroport ; la montagne calcaire ; le grand plateau limonitique de Nipe, où les cordons rouges des chemins s’entrelacent en tous sens au travers des Pinus cubensis […] Un autre saut et c’est Preston, au-delà de la baie, puis Cayo Mambi. […] Le Pinus cubensis devient maintenant forêt et annonce Moa. Bientôt le grand oiseau de tôle s’engage au-dessus de la prairie naturelle de l’aéroport, et les roues sautillent sur la limonite granulée au beau milieu de la formation d’Hemithrinax savannarum. Il y a un petit kiosque de planches à l’aéroport, car l’avion stoppe maintenant ici tous les jours. Nous sommes bientôt à la scierie, où Monsieur Grist nous reçoit avec cordialité. Comme nous avons une voiture à notre disposition, nous sommes bientôt en campagne. Nous voulons d’abord revoir la plateforme littorale qui s’étend entre le quai et la scierie sur une largeur d’environ un kilomètre. Les pluies récentes ont fait fleurir cette savane, qui est aujourd’hui d’une remarquable richesse floristique » (samedi 17 avril 1943).
Marie-Victorin au frère Léon – 16 juin 1943
400Je suis heureusement rendu à Montréal après une courte station d’une journée et demie au Jardin botanique de New York. Mais je suis toujours tellement fatigué après une journée d’avion que je puis difficilement travailler très fort à New York.
- 159 L’Institut botanique de l’Université de Montréal et non pas l’Institut des frères des Écoles chréti (...)
- 160 Le bureau de Marie-Victorin était situé au dernier étage de l’édifice administratif du Jardin botan (...)
401Je garde un excellent souvenir de mon voyage à Cuba, mais je suis heureux de me remettre au travail ici. Et le travail ne manque pas, et les affaires non plus. Ce matin ma chère famille de l’Institut159 est venue causer avec moi dans mon bureau160 : et maintenant, je suis à l’ouvrage.
Frère Léon à Marie-Victorin – 2 juillet 1943
402Ici tout marche comme de coutume, sauf que notre Visiteur est changé il passe Directeur du Noviciat au Mexique, et celui qu’il remplace, un mexicain que j’aimais beaucoup quand il était petit-novice à San Diego de Los Banos quand il m’aidait à ramasser mes driers ; il est fort gentil, et il est maintenant notre Visiteur.
Frère Léon à Marie-Victorin – 7 juillet 1943
403J’étais comme vous, persuadé que Anastraphia recurva et A. Victorinii étaient deux bonnes espèces. Je passai donc plusieurs heures à décrire cette dernière. Cela fait, il me fallait dire comment on les distingue l’une de l’autre. Je me mis à relire la description de A. refracta, et je vis avec surprise qu’il n’y avait presqu’aucune différence avec la mienne. Et en examinant en détail les parties de la fleur et le fruit, il y en avait moins encore. Britton qui avait beaucoup de matériel était arrivé à la même conclusion.
- 161 Lorsqu’un botaniste fait une mise au point d’un genre regroupant plusieurs espèces, il peut décider (...)
404Pour quant à l’autre espèce, probablement la même que Carabia a décrite, inutile de lui mettre un nom ; les botanistes de l’avenir auront encore assez à faire sans avoir à passer nos espèces à la synonymie161. Vous pouvez si vous voulez bien, appeler A. Victorinii celle de Maisi. J’ai encore d’autres espèces, si vous n’êtes pas trop pressé, à moins que vous préfériez les publier dans une autre contribution. Je suis en retraite et le temps me manque, pour le moment.
405La santé se maintient-elle ? Êtes-vous retourné à New York ? Comment va le IIe volume ?
406En attendant de vos bonnes nouvelles, je vais travailler à sauver mon âme pendant qu’il en est encore temps, et vous souhaiter également une excellente retraite. C’est si utile de remonter le poids de l’horloge.
Marie-Victorin au frère Léon – 16 juillet 1943
407Il y a déjà plus d’un mois que j’ai quitté la Havane, mais les grandes chaleurs qui ont suivi une période de froid m’ont rappelé tout à fait ce beau pays. Je n’ai pas reçu grandes nouvelles de là-bas, mais je sais avec quelle rapidité la poste fonctionne et tout s’explique. Je suppose que votre santé se maintient, et que vos genoux peu à peu rentrent dans l’ordre.
- 162 Symbolae antillanae : voir la lettre du 5 septembre 1942, note 1.
408Je vous ai fait envoyer, ces jours-ci, quelques autres exemplaires des « Itinéraires » ; j’espère que vous les recevrez en bonne condition comme d’habitude. Je travaille avec ardeur sur les plantes de Moa ; ce m’est un infini plaisir de repasser ces matériaux, de compléter les étiquettes et de compléter aussi les études. Il est évident que le Symbolae antillanae162 me manque beaucoup.
409Le Dr Barbour sera à Montréal ces jours-ci et je dois le rencontrer à l’Hôtel Ritz. J’espère qu’il sera capable de m’aider financièrement dans cette grosse entreprise.
410J’ai appris la nomination de votre nouveau visiteur et cette nouvelle m’a un peu surpris, que devient le frère Nester Maria dans ses nouvelles combinaisons ?
411Le dernier numéro de la Geographical Review (Broadway at 156th Street, New York City) contient un article par Léo Waibel: « Place names as an aid in reconstruction of the oriental vegetation of Cuba ». Cet article est bien intéressant bien que son auteur n’ait fait qu’un court séjour à la Havane. Vous y trouverez des renseignements de toutes sortes. Vos publications y sont citées ainsi que les « Itinéraires ». Vous voyez que, petit à petit, nos modestes travaux font leur chemin. Je vous conseillerai de demander une copie ou deux de ces numéros.
412Veuillez présenter mes amitiés à tout le monde autour de vous et ne m’oubliez pas devant Dieu.
Marie-Victorin au frère Léon – 23 juillet 1943
413J’ai bien reçu votre lettre du 7 juillet, et maintenant que vous êtes sorti de retraite, je m’empresse d’y répondre.
414Laissez-moi d’abord vous dire que j’ai eu la mauvaise fortune de manquer la visite du Dr Barbour qui est venu ici une journée plus tôt qu’il ne l’avait annoncée et qui a dû repartir immédiatement appelé par la maladie de sa femme. Mais il doit revenir dans un mois, et dans l’intervalle il s’occupe des « Itinéraires ». Il m’a écrit de nouveau hier et il m’a dit de fort bonnes choses de vous, entre autres ceci qui va vous remplir d’orgueil : « It is the sweetest person I have ever met ».
- 163 Le frère Rolland-Germain (1881-1972) : principal collaborateur de Marie-Victorin pour ses travaux d (...)
415Au sujet d’Anastraphia, riparien de Moa, je persiste à croire que c’est une bonne espèce. Durant les deux derniers voyages, j’ai trouvé l’A. recurva exclusivement sur les terrains très secs. Je ne crois pas qu’il s’agisse de la même plante que celle qui a constamment les pieds dans l’eau des petites rivières. Hier les récoltes me sont passées devant les yeux et je les ai montrées au frère Rolland163, et son instinct de taxonomiste lui dit la même chose qu’à moi. Je crois que la difficulté vient de ceci : Britton avait devant lui cinq ou six récoltes qu’il cite d’ailleurs et qui venaient sans doute de divers habitats. Vous vous rendrez compte que jamais Shafer, dans ses étiquettes, ne se préoccupe de mentionner l’habitat riparien, et rarement les habitats en général.
Marie-Victorin au frère Léon – 28 juillet 1943
- 164 Sa corpulence et sa bonhomie étaient légendaires, et vraisemblablement aussi sa fortune personnelle (...)
416J’ai eu le plaisir, ce matin, de recevoir une lettre du Dr Barbour, contenant un chèque personnel de $ 500 pour aider à la publication du deuxième volume des « Itinéraires ». Ce cher Barbour a vraiment le cœur aussi gros que le reste164. Je viens de lui écrire pour l’en remercier : je suis sûr qu’un mot de vous lui fera énormément plaisir. Vous savez qu’il vous considère toujours comme le « sweetest person ».
Frère Léon à Marie-Victorin – 4 août 1943
- 165 Une variété est un taxon de rang inférieur à une espèce, ayant habituellement des caractères morpho (...)
417J’ai deux de vos lettres à répondre. Je commence par celle du 16 juillet. Je vous remercie bien cordialement pour les « Itinéraires » que vous m’avez envoyés. J’en ai déjà reçu un, et vous savez comme ils sont appréciés. L’autre jour un Américain-canadien-français Mr Phillips qui a attrapé une jambe de bois à la guerre mondiale et qui est descendant de Jean Goujon architecte de Louis XIV, est venu me voir, il désire s’établir avec sa famille à la Havane et nous avons cherché une maison ensemble. Il vivait à Miami ; il est ami de Fairchild, Barbour, et comme il s’intéressait beaucoup à me trouver de l’argent pour la Flore de Cuba, et que de plus il me dit que sa dame était botaniste, je lui offris les Itinéraires. Quand sa dame se mit à en feuilleter elle était comme en extase ! Je pense donc que nos Itinéraires peu à peu porteront leurs fruits, et je me réjouis de ce que le 2e volume paraisse cette année. J’ai honte de ne rien faire financièrement, mais vous savez, les millionnaires, s’ils ont de l’argent, ils mettent soigneusement leur mouchoir dessus.
Pour quant à l’Anastraphia Victorinii j’avais fait tout ce qu’il fallait pour la décrire, mais vient ensuite le quart d’heure de Rabelais, quand il faut dire comment elle se distingue de A. recurva. On ne trouve rien, sauf quelques caractères de la feuille, caractères variables, pour une variété tout juste165, mais non spécifiques ; car la couleur du tomentum varie avec l’âge de la feuille, et dans la même plante, il y a des feuilles + allongées, et dans la même plante, des feuilles à 4 ou 5 pointes, et d’autres entières, et la même espèce peut croître dans des habitats différents. Je vous envoie pour la remplacer la description d’une graminée, que vous avez, (sinon je vous l’enverrai,) très bonne espèce, que j’avais nommée Sacciolepis fusca, et qui à présent est Sacciolepis Victorinii Léon, vous pourrez la mettre à la suite de la Mniochloa ; j’avais essayé de vous dédier l’Ekmaniochloa de Cayoguán, mais je crois que ce n’est qu’une variété.
418C’est bien gentil, ce que Barbour vous a dit de moi. S’il vous demande ce que je pense de lui, dites-lui que je n’ai jamais vu un si bel esprit en symbiose avec un si grand cœur.
Frère Léon à Marie-Victorin – 19 août 1943
- 166 Carlos Guillermo Aguayo fut professeur à l’Université de La Havane, à la Faculté des sciences. Il é (...)
419Je viens de recevoir le deuxième exemplaire depuis votre départ. Aguayo166 m’en a demandé un, parce qu’il fait de l’Écologie dans son cours à l’Université. Il m’a dit qu’ils se vendaient actuellement $ 4.00 à Minerva, librairie en face de Cultural (Moderna Poesia). C’est bon signe, comme vous dites, les Itinéraires feront leur chemin.
- 167 La manigua est la brousse cubaine.
420Je reviens de Santiago de Cuba, histoire de faire lire mon discours au Fre Justo. Fre Clément me dit qu’il était très bien jusqu’à la retraite, mais qu’après la retraite jusqu’à présent, ça n’allait plus. Nous sommes sortis cependant jusqu’à Cuidamar où nous avons parcouru la manigua167 ; il avait l’air un peu mieux. Tout comme moi, il ressuscite, une fois à la campagne, pour peu qu’il y ait du charbon dans la machine.
421Tout le monde vous salue. Je n’oublie pas de prier pour vous, ne m’oubliez pas non plus. J’espère que cette lettre vous trouvera un peu mieux.
Frère Léon à Marie Victorin – 16 octobre 1943
422D’abord l’administration ici a changé et il y a moyen de s’entendre. J’ai soumis votre cas au Frère Visiteur et il m’a dit que pour lui il ne voyait aucun inconvénient à vos voyages, quoique l’ancien visiteur lui avait dit par occasion : « que nous n’y avions rien à gagner. » Vous savez fort bien que nous sommes contents de vous revoir parmi nous, maintenant Cuba est assez grand, il y a de la place pour se retourner et ce n’est pas nécessaire de s’enfermer dans les quatre murs d’un laboratoire où la température intérieure peut être plus ou moins basse.
423Si vous avez besoin de plus de lumière, venez à la source. Voilà tout ce que je puis vous dire par lettre en ces temps-ci.
Marie-Victorin au frère Léon – 19 octobre 1943
424Ce que je fais et comment va ma santé ? Je travaille, je souffre toujours un peu, et parfois, plus qu’un peu. Je ne suis plus jeune moi non plus et j’ai toujours été bon à rien.
425Je reçois souvent des lettres du bon frère Clément et je m’aperçois que sa santé laisse beaucoup à désirer. Néanmoins, comme c’est chronique, chez lui, je suppose que ce n’est pas beaucoup plus grave que de coutume.
- 168 À l’automne 1943, le deuxième volume est terminé. Il est structuré différemment du premier : les he (...)
426Dès que la Vallisnérie sera publiée, nous mettrons à tirer le deuxième volume des « Itinéraires »168. Cela est déjà bien en retard, mais les imprimeurs ici sont surchargés d’ouvrage par suite de la fermeture du marché français.
427Au sujet des « Itinéraires » que l’on vous demande, vous pouvez répondre qu’il y a une librairie de la Havane qui en vend maintenant. Nous leur en avons envoyé, à leur demande, deux douzaines. C’est la librairie Valentin Garcia y Cia, Apartado 2103, La Habana, Cuba.
428Très à la hâte, je vous écrirai plus longuement bientôt.
Marie Victorin au frère Léon – 21 octobre 1943
- 169 L’Herbier Marie-Victorin de l’Université de Montréal comprend 800 000 spécimens de plantes vasculai (...)
429Je ne doute pas que vous travailliez fort à votre flore et que le travail avance. Je me permets de vous rappeler que je suis toujours disposé à recevoir des plantes de Cuba et que en nul lieu de la terre elles ne seront plus en sûreté que chez nous169. Nous sommes trop insignifiants pour que l’on vienne nous bombarder.
- 170 À Maisi, Marie-Victorin avait écrit : « Il est à remarquer que les Ambrosia des régions tempérées ((...)
430Ici aussi nous souffrons un peu de la grippe ; ça n’est pas la grippe espagnole, mais c’est embêtant. J’ai eu, ces jours-ci, un catarro170 qui, par d’abondantes secrétions, me rappelait le catarro carabiné que j’avais attrapé à Maisi. Que de petits papiers j’avais utilisés grand Dieu ! Je suis toujours convaincu que c’était dû, non pas à la poussière, mais à l’Ambrosia hirsuta.
Frère Léon à Marie-Victorin – 9 novembre 1943
- 171 La publication du présent ouvrage permet qu’il y ait enfin la reconnaissance publique que désirait (...)
431À propos des Itinéraires, comme le Dr Cortina, l’an dernier, ministre des Affaires Étrangères, en désirait un exemplaire, je le lui ai dédié ; alors il m’a écrit une longue lettre, très flatteuse, où il me dit que c’est ce qu’on a publié de mieux jusqu’à présent sur la Flore de Cuba. Et pendant que nous sommes sur les Itinéraires, je vous dirai aussi que j’ai reçu une lettre du Dr Barbour où il paraît très satisfait d’avoir quelques-unes de vos gravures, dont il compte se servir dans un livre où il racontera ses excursions. Il me dit aussi qu’il est content de ce que Mrs Atkins et lui aient pu aider à la publication du IIe volume, vu que le « record » de nos excursions est essentiel à l’Histoire de Cuba. Je lui ai répondu qu’il était aussi essentiel à l’Histoire que leurs noms ne soient pas pour toujours cachés sous celui de l’Atkins Institution171. Bientôt, à propos du Nouvel An, je remercierai Mrs Atkins. À propos, vous ont-ils donné les $ 2 000 comme la première fois ? Avant de remercier Mrs Atkins, j’aimerais savoir ce qu’elle vous a donné, s’il n’y a pas d’indiscrétion.
- 172 Ola fría est un front froid qui produit des températures exceptionnellement froides pour une région (...)
432Ici, l’hiver a commencé hier avec la « ola fría » (vent froid du nord)172. Cela me rappelle que j’ai un an de plus et que je vais entrer dans mes 73 ; que la figure de ce monde passe de plus en plus vite, et que l’éternité approche, imperturbable et sans pitié.
Marie Victorin au frère Léon – 22 novembre 1943
- 173 Frère Marie-Victorin, « Les Vallisnéries américaines », Contributions de l’Institut botanique de l’ (...)
- 174 Merritt Lyndon Fernald (1873-1950) : de la Harvard University, un des plus grands spécialistes de l (...)
433Je reçois, presque en même temps, vos lettres du 18 octobre et du 9 novembre pour lesquelles je vous remercie. Je vous fais expédier, aujourd’hui, quelques copies de mon mémoire sur le Vallisneria neotropicalis, et je vous prie de les distribuer173. Ce petit mémoire m’a demandé passablement de travail car j’en ai profité pour reviser de nouveau, après Fernald174, la question de la Vallisnérie américaine.
434Le mémoire sur les Casearia se développe de plus en plus. Finalement, il n’y aura que le Casearia de Nipe (C. crassinervis) qui ne sera pas nouveau, le C. ilicifolia est de Saint-Domingue, mais il y a un vicariant non décrit récolté par Shafer près de Guantanamo. À Moa, les deux Casearia épineux, l’un à fleurs blanches et l’autre à fleurs roses, ne sont pas décrits. Une autre espèce, à feuilles presque entières est peut-être le C. aquifolia, mais ça n’est pas sûr. Je travaille toutes ces questions au moyen des microfilms que je fais venir de Washington ; c’est très commode.
435Je vous assure que la connaissance de notre flore de Cuba est bien rudimentaire. Chaque fois que l’on met le nez dans un petit coin on s’aperçoit du besoin d’étude qui se fait sentir. Comme je comprends la chose, Britton décrivait les nouveautés sans beaucoup faire de recherches, au moins sans les discuter par écrit. Urban décrivait minutieusement ce qui lui était envoyé, mais ne connaissant pas les plantes sur le terrain, il a sans doute multiplié considérablement les deux espèces. Lui aussi ne semble pas s’être beaucoup embarrassé de recherches bibliographiques.
- 175 Gray Index : tout comme l’Index Kewensis, le Gray Index (qui fut d’abord nommé Gray Herbarium Card (...)
- 176 Catalogue de Moscoso : il s’agit de Catalogus Florae Domingensis (Catalogo de la flora dominica) ré (...)
436En mettant la dernière main sur « Itinéraires », deuxième volume, j’ai été obligé de changer passablement de noms. Maintenant que nous avons l’index du Gray175, nous pouvons savoir plus facilement ce qui s’est passé dans la nomenclature de ces espèces depuis les beaux jours de Britton. Là où les changements sont le plus nécessaires, c’est surtout dans les plantes communes et rudérales qui sont de grande distribution tropicale et qui, à cause de cela, ont été bien travaillées. Le catalogue de Moscoso m’a été aussi de grande utilité. Vous savez que Moscoso a passé un an à New York et qu’il a pu se rendre compte de beaucoup de changements de nomenclature qui passent inaperçus lorsque l’on vit loin de ces grands herbiers et de ces grandes bibliothèques176. Tout ne sera pas à jour dans ce deuxième volume des « Itinéraires », mais il y aura une amélioration considérable sur le premier volume. Le troisième qui traitera surtout de plantes endémiques présentera moins de problèmes de nomenclature.
437Je conçois toutes les difficultés qui vous confrontent dans la rédaction de votre flore ; vous devez être constamment arrêté. Il faudra évidemment, avant de publier, que vous fassiez une révision totale de la nomenclature. La partie qui est faite déjà présentait beaucoup moins de ces problèmes ; vous allez en rencontrer beaucoup plus dans les dicotyles. Mais, je n’ai aucun doute que vous passerez au travers. Pour ma part, je serai toujours très heureux d’essayer de vous aider dans les questions de détail qui sont à ma portée.
438Ma santé n’est pas trop sûre de ce temps-ci ; j’ai quelque chose aux yeux et, avec ma pression artérielle très forte, ça n’est pas très rassurant. Le Bon Dieu sait ce qu’Il fait et je m’en rapporte entièrement à Lui. Je n’ai pas encore commencé à faire de projets pour esquiver la moitié de l’hiver comme je l’ai fait depuis quelques années. Le ministre du Canada, au Brésil, est à Montréal et il veut absolument que je me rende là-bas ; mais j’hésite devant l’énormité de ce voyage, j’ai un peu peur de me trouver si loin de tous les miens, et sans véritables amis pour m’aider en cas de difficultés ou de maladie. Quoi qu’il en soit, il faudra que je m’éloigne d’ici et que j’aille vers le soleil. Je vous félicite de votre bon travail, et je me recommande à vos bonnes prières ; bientôt ce sera la Noël et nous nous rencontrerons aux lieux bénis que vous savez.
Marie-Victorin au frère Léon – 1er décembre 1943
439Je pense avoir oublié de vous dire que c’est $ 1 000 que Dr Barbour et madame Atkins ont fourni ensemble pour l’impression du deuxième volume.
Marie-Victorin au frère Léon – 23 décembre 1943
440Moa est un endroit vraiment extraordinaire ; je suis convaincu que si on étudiait soigneusement, avec les moyens comparatifs qu’il faut, toutes les récoltes faites en ce pays, on pourrait en extraire des espèces nouvelles à la douzaine. Pour ma part, j’ai fait trois Casearia nouveaux pour ce district, et je suis sûr de mon coup, ayant fouillé toute la littérature du groupe et obtenu tous les matériaux de Boston et de New York.
- 177 La lettre du frère Léon à Marie-Victorin du 26 janvier 1944 nous permet de comprendre comment cet A (...)
441Je décris aussi l’Acacia de Moa sous le nom d’Acacia Leonii177, d’abord parce que je vous dois bien cet hommage, et ensuite parce que vous avez deux récoltes stériles du même arbre dans la région de Jauco (dites-moi si c’est sur la serpentine). Je suppose que vous ne serez pas offensé de vous voir dans l’affinité du diable, je veux dire de l’Acacia Daemon.
- 178 Sur la rue Côté, à Montréal, les frères des Écoles chrétiennes avaient une imprimerie, une librairi (...)
- 179 En 1944, le frère Léon a publié une étude intitulée « Nouveaux Anastraphia de la flore de Cuba » (É (...)
- 180 En 1944, Marie-Victorin a publié une étude intitulée « Les Casearia ilicoïdes de l’île de Cuba » (É (...)
442Je vous ai dit, je crois, que les « Itinéraires », volume 2, ont été sauvés de l’incendie de la rue Côté178. Il n’en est pas de même de la Flore Laurentienne dont le stock est entièrement brûlé. L’ouvrage, maintenant épuisé, va devenir difficile à trouver. À cause de cet incendie, je ne suis pas sûr de pouvoir imprimer ce mois-ci vos Anastraphia179, mes Casearia180, etc. Il est possible cependant que je fasse faire le travail chez un autre imprimeur. J’aurais bien voulu finir tout cela avant mon départ.
443Mon médecin me conseille de fuir au plus tôt les grands froids qu’il fait ici ; mes yeux sont un peu mieux, mais ils fatiguent facilement. Cela veut dire que j’ai besoin de repos.
- 181 Comme on le sait, le troisième volume des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba ne sera publié (...)
444Je ne suis pas encore bien fixé sur mes plans de voyage ; l’ambassadeur du Canada au Brésil, qui était ici il y a quelques semaines, veut absolument me voir à Rio de Janeiro. Je vais, en tout cas, me rendre à Cuba, et suivant mon état de santé, j’avancerai. Il va sans dire que le frère Clément m’invite à tour de bras pour d’autres travaux à Moa et dans les environs. Je vous avoue que cela me tente beaucoup, car je voudrais que notre troisième volume sur cette région fût un classique sur les flores serpentinicoles181. Cela m’ennuie un peu de n’être pas sûr de pouvoir apporter avec moi tous les résultats obtenus sur les deux années dernières, mais vous savez le temps que prennent ces publications quand on veut les faire bien.
445Dans deux jours nous serons à Noël, et, devant la Crèche, je penserai beaucoup à mon vieil ami de la Havane pour qui je demanderai à Dieu de doubler la dose de joie qui s’accorde généralement aux hommes un peu avancés dans la vie. Je lui demanderai, en outre des biens spirituels, de vous garder la santé nécessaire pour mener à bien votre « Flore de Cuba ».
Frère Léon à Marie-Victorin – 29 décembre 1943
446J’ai reçu dernièrement un exemplaire des Itinéraires, et hier est arrivé le paquet des Vallisnéries pour Fre Alain, Rivas et moi, merci, je l’ai lu de suite ; c’est fort intéressant, bien documenté et parfaitement illustré. Il restera ainsi de bons et appréciés souvenirs de vos voyages à Cuba. Je vous souhaite le même succès pour les Casearia, etc.
- 182 George Bücher. Le jeudi 26 mars 1942, dans ses Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba, Marie-Vic (...)
447Pour quant à ma petite contribution d’espèces nouvelles, dites-moi si je puis y ajouter deux espèces nouvelles et une variété de Rhynchospora, deux pages au plus. N’ayant personne dans toute l’Amérique pour me rédiger ce genre de 70 et quelques espèces cubaines, on s’y est mis, et on a tâché de faire pour le mieux, c’est moins difficile que cela ne paraît, et on ne pouvait moins faire que de trouver quelque chose de nouveau. Je dédie une espèce à Mr Bucher182, qui, parait-il aurait fait remarquer qu’on ne leur dédiait aucune espèce.
448Fre Clément est à bout de forces, il a une extrême difficulté à s’alimenter, faute de pouvoir évacuer. Prions pour lui, et l’un pour l’autre.
Frère Léon à Marie-Victorin – 11 janvier 1944
449Je vous remercie bien cordialement pour l’Acacia Leoni, vous savez que je suis auteur avec Britton du Feracacia Daemon, je ne pouvais lui refuser, et cette espèce appartient au même genre ; malgré cela, croyez bien que je vous suis très reconnaissant d’avoir pensé à moi pour nommer cette espèce ; mais, supposez qu’un vent conservateur vienne à souffler, ou qu’à un botaniste ultraconservateur il semble que ce n’est pas assez distinct de l’Acacia Daemon, et vous verriez un bon chrétien, un religieux, enchaîné dans la synonymie du diable. Ce n’est pas de l’imagination ce que je vous dis là, vu que Britton mit tous les exemplaires de Matanzas et d’Orient dans la même espèce Feracacia Daemon, et puis je ne puis m’empêcher de penser combien Mr Bucher aurait été fier de montrer un Acacia Bucheri à ses amis, en montant de Moa à la scierie ; vous avez dû recevoir la lettre où je vous raconte qu’il aurait fait remarquer à quelqu’un qu’on ne lui avait dédié aucune espèce. Faites pour le mieux, et croyez que j’apprécie sincèrement votre gentillesse.
Marie-Victorin au frère Léon – 13 janvier 1944
450Je m’étais proposé, comme vous le savez, de me rendre cette année jusqu’à Rio de Janeiro. Mais il s’est produit des complications dans ma santé, à ce point que mes supérieurs ne sont pas d’avis que j’entreprenne un aussi long voyage. Ils ne m’ont rien dit, mais je crois bien qu’ils ont consulté médecins et infirmiers. Je crois d’ailleurs qu’ils ont raison. Étant donné l’état de guerre, il y aurait beaucoup de risque si mon état s’aggravait tout à coup. De Cuba à Montréal, il n’y a qu’un saut ; et il n’en est pas de même pour Rio.
451Mon intention est de me rendre à la Havane, de m’y reposer en travaillant un peu, et d’aller faire quelques tournées botaniques, sans me fatiguer trop, du côté d’Oriente et ailleurs. Je sortirai probablement de l’île pour aller à Saint-Domingue, Haïti ou la Jamaïque.
452Je ne vous dérangerai pas dans votre travail, et si je peux vous aider en quelque chose, je serai fort heureux. Vous pourriez, peut-être, me confier un groupe suffisamment cubain pour que vous possédiez la littérature et le matériel, et je pourrai préparer des révisions que je compléterai plus tard dans les bibliothèques d’ici au moyen des microscopes. L’embêtement, à la Havane, pour les micro-films, c’est qu’ils prendront bien du temps à venir car je ne crois pas qu’ils seraient expédiés par voie aérienne.
453Je pense que je vous ai dit que ma santé n’avait pas été très bonne et que j’avais des inquiétudes au sujet de mes yeux. Ce côté-là s’est amélioré un peu, mais je comprends que je dois faire attention et que, moi non plus, je ne suis plus une jeunesse. Vous ne me parlez pas de votre santé, mais je suppose que le Bon Dieu vous laisse encore souffrir quelque chose. Je demande au Ciel qu’IL allège ces souffrances suffisamment pour que vous puissiez continuer à travailler. J’ai bien de la peine de savoir le frère Clément aussi mal ; j’espère que ce ne sera que passager. Je prie pour lui aussi.
Frère Léon à Marie-Victorin – 21 janvier 1944
454Je vous suis bien sincèrement reconnaissant pour votre si aimable télégramme de félicitation, arrivé hier, je ne sais trop par quel miracle, juste avant la session de l’Académie. L’amphithéâtre était rempli, malgré plusieurs autres réunions qui avaient lieu ce soir-là même à la Havane, et tout s’est très bien passé, grâce à Dieu, qui comme vous savez s’occupe aussi des botanistes.
- 183 De La Havane le 20 avril 1944, Marie-Victorin avait écrit au frère visiteur, le frère Nivard-Anselm (...)
- 184 En 1945, il a publié A Naturalist in Cuba (Boston, Little, Brown and Company).
455Entre autres personnes, se trouvait là le Secrétaire de l’Ordre National Carlos Manuel de Céspedes, qui m’a félicité de la part du Ministre d’État, président de l’Ordre (sorte de Légion d’Honneur dont on m’a fait officier autrefois), et il m’a demandé des renseignements sur vous, date de naissance, etc… je lui ai envoyé votre biographie, je veux dire cette brochure où s’aligne la liste de vos travaux, et j’y ai inséré votre nom de famille Conrad Kirouac. Donc, ne vous étonnez pas si, quelque jour, ils vous mettent une belle médaille, car il m’a dit qu’il allait vous proposer183. J’ai profité des Itinéraires reçus pour lui en offrir un ainsi qu’au Ministre d’État. Ils sont fort appréciés, au point que Barbour qui va publier ses impressions de voyage à Cuba184, me dit que le français se prête mieux que l’anglais pour cela ! J’ai pensé mais ne lui ai pas dit, que ce n’est pas le pinceau qui fait l’artiste.
456Mes salutations cordiales aux Canadiens et à ceux de Hull (1904), si grâce à Dieu il en reste encore.
Marie-Victorin au frère Léon – 25 janvier 1944
- 185 Sur la dernière page, il est écrit : « Achevé d’imprimer aux Éditions de-la-Salle le dixième jour d (...)
457Je regrette beaucoup de ne pas pouvoir vous apporter le deuxième volume des Itinéraires mais il nous rejoindra probablement en mars185.
Frère Léon à Marie-Victorin – 26 janvier 1944
458Je suis heureux de savoir que vous allez bientôt revenir par ici, que vos yeux vont mieux, et j’imagine que votre état général n’est pas très compromis, de sorte qu’au contact des rayons solaires tropicaux il retrouvera son assiette normale.
459Je suis très heureux et reconnaissant de votre offre si aimable de coopérer à notre flore. Ne choisissez pas dans les composées ni les Rubiacées, de sorte que je puisse voir cela publié avant de… partir, comme dit le Fre Clément.
- 186 En 1944, Marie-Victorin lui dédia une nouvelle espèce de la famille des Légumineuses : Acacia Buche (...)
460Vous pouvez dédier le bel Acacia de Moa à Mr Bucher186, je crois que cela lui fera grand plaisir, ce qui ne m’empêchera pas de vous être très reconnaissant pour l’aimable attention, que vous avez eue de me le dédier, vous savez que c’est pour des raisons qui nous sont étrangères.
461Le Fre Clément m’écrit souvent, mais il ne me dit pas encore que ça aille mieux. Je lui ai recommandé le repos absolu, mais je doute qu’il m’écoute.
462Bien vôtre en Cristo et bon voyage.
Frère Léon à Marie-Victorin – 7 février 1944
- 187 En 1944, Marie-Victorin publia une étude intitulée « Un nouveau Laplacea serpentinicole » (Études t (...)
463Je viens de recevoir votre lettre du 25 janvier et vous remercie d’avance des photos de types de Casearia, Laplacea187 et Acacia. C’est une heureuse idée de mettre ces photos dans l’herbier, elles y seront très appréciées.
- 188 Au milieu des années 1940, avec toutes les nouvelles connaissances acquises grâce à ses exploration (...)
464Ce que vous dites des Spathelia et autres groupes endémiques stricts de Moa est fort intéressant. Le catalogue de Britton ne sera plus que le squelette de la Flore de Cuba, tout au plus188.
465Je suppose que le Fre Clément reprend de la vie peu à peu ; je crois même qu’il espère encore faire quelques excursions plus tard. Il ne me parle guère de sa santé dans ses dernières lettres.
466Vous me dites que vous ne désespérez pas de visiter encore quelques coins avec moi. C’est ce que j’espérais faire l’an dernier, mais je me sens bien vieux, et je ne sais au juste si cela me sera possible. C’est une de ces choses qui, étant possible et pas trop fatigante, je fais toujours avec plaisir.
- 189 Le 11 février 1944, à sa sœur, mère Marie-des-Anges, Marie-Victorin avait écrit : « Je t’écris pour (...)
467Vous me dites que vous allez venir, mais vous ne me dites jamais quand ? J’ai ouï-dire cependant que ce sera vers la fin de ce mois189. En ce cas bon voyage et à bientôt.
468Bien vôtre.
le septième voyage de marie-victorin
469En 1944, Marie-Victorin effectua son septième et dernier voyage à Cuba du 24 février au 4 juin, soit 3 mois et demi. Les excursions relatées dans les trois tomes des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba permettaient de suivre ses déplacements, mais, pour 1944, il n’y a pas de compte rendu publié de ses explorations. Le septième voyage a donc été retracé à partir des spécimens conservés à l’Herbier Marie-Victorin de l’Université de Montréal, au Jardin botanique de Montréal.
En février, à Tapaste près de La Havane, il fit une excursion avec les frères Léon et Alain. Trois ans plus tôt, le dimanche 16 mars 1941, il avait relaté dans le deuxième volume de ses Itinéraires quelques observations sur cette région : « La région de Tapaste et des lomas de la Jaula, malgré une très modeste altitude (entre 200 et 300 mètres), est la partie la plus élevée de la province de la Havane. Elle est caractérisée botaniquement et nous ne pouvions l’omettre de nos itinéraires. » Du 14 au 18 mars, il fit sa dernière excursion dans la province de Holguin, dans la sierra de Nipe, voulant compléter son troisième volume des Itinéraires. Il avait été accompagné du frère Clément, de Santiago de Cuba. Le 1er mai, fort probablement en route pour l’île des Pins avec le frère Alain, Marie-Victorin fit sa dernière herborisation avec le frère Léon dans la Ciénaga de Cajio, un marécage au sud de la province de La Havane. Deux ans plus tôt, le dimanche 22 mars 1942, il avait relaté sommairement dans le deuxième volume de ses Itinéraires quelques observations sur cette Ciénaga de Cajio. Du 1er au 4 mai, il explora à nouveau l’île des Pins (île de la Jeunesse). Il était accompagné du frère Alain qui fera par la suite son doctorat à l’Université de La Havane sur la flore et la végétation de cette île. Enfin, le 20 mai, Marie-Victorin fit ses dernières explorations dans l’île de Cuba. Avec le frère Alain, il herborisa à San Luis et dans la lagune de Santa Maria, dans la province de Pinar del Rio. Ce survol de ses explorations de 1944, sans écrits de sa part, souligne, par leur absence, la richesse des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba.
Frère Léon à Marie-Victorin – 11 juin 1944
Notes
1 Alors que presque toutes les lettres présentées dans cette correspondance ont été déposées aux Archives de l’Université de Montréal (Fonds de l’Institut botanique ; frère Marie-Victorin, E118), celle-ci, datée du 19 octobre 1908, est l’une des deux lettres qui furent retracées aux Archives des frères des Écoles chrétiennes du Canada, à Laval, Québec, Canada. La première fut rédigée par le frère Léon, le 25 octobre 1907.
2 Le 4 novembre 1908, dans son journal, intitulé Mon miroir, Marie-Victorin avait écrit : « Flora habanera (2 volumes), Don Manuel Gomez. Flore des environs de La Havane que j’ai reçue ces jours derniers. Elle me donnera un aperçu de la Flore tropicale et me formera à l’espagnol (Marie-Victorin, 2004). Le frère Gilles Beaudet et Mme Lucie Jasmin ont précisé la référence : Manuel Gómez de la Maza (1867-1916), Flora habanera : fanerógamas, La Havane, La Moderna Poesía, 1897. Ce dernier naquit à La Havane, puis fit ses études supérieures à l’Université de La Havane, obtenant en 1887 son doctorat en médecine et en sciences naturelles avec une thèse sur la flore de Cuba. À cette même université, il enseigna le cours de botanique et de phytogéographie. Il publia de nombreux articles et livres sur la flore de Cuba, mais ne fut pas un botaniste de terrain qui contribua à l’acquisition de nouvelles connaissances en effectuant des excursions ou des explorations. Correspondant avec des spécialistes américains et européens, il était néanmoins à son époque le botaniste le plus connu de Cuba. Un genre et 30 espèces lui furent dédiés (voir Alvarez Conde, 1958).
3 Charles Fuller Baker (1872-1927) a joué un rôle de premier plan dans la carrière scientifique du frère Léon (voir Alain, frère, 1956). Né à Lansing au Michigan et mort à Manille, il était avant tout un entomologiste, mais aussi un botaniste et un agronome. Il obtint sa maîtrise en sciences de la Stanford University (Californie) en 1903. Il enseigna dans plusieurs institutions, puis, en 1913, devint professeur d’agriculture à l’Université des Philippines, pour ensuite devenir doyen de son collège d’agriculture en 1918, fonction qu’il occupa jusqu’à sa mort (Smithsonian Institution Archives, notice historique 7113). En 1929, le frère Léon fera son éloge : Elogio de Charles Fuller Baker, 1872-1927, La Havane, Tipos-Molina, 28 p.
4 Loma : « On nomme “loma”, une montagne à profil arrondi, par opposition à “sierra”, qui comporte un profil en dents de scie » (Marie-Victorin et Léon, 1942). Une loma est aussi l’équivalent d’une colline.
5 Frère Arsène, un Canadien des frères des Écoles chrétiennes, a enseigné quelques années à Cuba, d’abord à La Havane puis à Sancti Spiritus. Par la suite, il est revenu au Québec, où il travaillera quelques années au Collège de Longueuil (données tirées des dossiers personnels conservés aux Archives des frères des Écoles chrétiennes, Laval, Canada et obtenues par l’intermédiaire du frère Gilles Beaudet, 30 octobre 2006). Il a donc connu et Marie-Victorin et le frère Léon.
6 Sancti Spiritus, ville du centre de l’île de Cuba, dans la province du même nom. À Cuba, les provinces portent le plus souvent le nom de leur capitale : Holguín et Guantánamo, par exemple. Il en est ainsi pour le Québec qui fait exception au Canada.
7 Il s’agit de spécimens, récoltés dans la nature puis séchés entre des cartons. Ces spécimens seront par la suite collés sur des cartons d’herbier avec une étiquette donnant le nom latin de la plante, la date et le lieu de récolte ainsi que le ou les noms des collecteurs.
8 Percy Wilson (1879-1944). Engagé comme technicien par le Jardin botanique de New York, son directeur général et fondateur, Nathaniel Lord Britton, perçut rapidement son efficacité et l’envoya donc à Cuba pour des explorations botaniques. La confiance que Britton avait en Wilson était telle qu’il lui confia des missions jusqu’en Asie. En 1902, il accompagna Britton et sa femme dans leurs premières expéditions dans l’île de Porto Rico. Par la suite, il devint l’assistant personnel de Britton, de 1905 à 1929, l’année de la retraite de celui-ci. En 1914, il fut nommé conservateur associé. Il prit sa retraite en 1939 et mourut en 1944 (notice biographique des Archives du Jardin botanique de New York, 2005). Dès cette deuxième lettre, on peut constater le début du réseau scientifique du frère Léon, en grande partie relié au Jardin botanique de New York et à son directeur, Britton.
9 En sélectionnant les lettres et leurs extraits, un effort a été fait pour exclure les nombreuses descriptions ou discussions plutôt techniques concernant les espèces végétales. Sauf en de rares exceptions, il n’y aura pas de notes sur les noms scientifiques utilisés. Ainsi, le lecteur qui voudra en savoir plus devra consulter des livres spécialisés en botanique.
10 Le Congrès eucharistique dont il est question s’est tenu à Montréal du 6 au 11 septembre 1910. Dans Mon miroir, Marie-Victorin écrit le 14 septembre 1910 : « Le Congrès eucharistique n’est plus qu’un souvenir, mais un souvenir glorieux dont l’histoire du Canada gardera la trace brillante et profonde. Quelle joie pour moi, religieux aimant le Christ, malgré tout, que d’avoir vu de mes yeux vu, mon pays tout entier, en adoration devant Jésus Hostie. Quels triomphes sans pareil il a remporté notre Bon Maître ! Quelles foules, quelles démonstrations ! » (Marie-Victorin, 2004).
11 Le Colegio De La Salle, situé dans le quartier chic de Vedado, à La Havane, fut fondé en 1905 par les frères des Écoles chrétiennes. Ce collège était semblable au Collège de Longueuil ou au Mont-Saint-Louis de Montréal, aussi des frères des Écoles chrétiennes du Québec. Son enseignement allait de l’école primaire jusqu’au baccalauréat cubain. Déserté par les frères à la suite de la révolution de 1959, son impressionnant bâtiment existe toujours sur l’Avenue 13, entre les Rues B et C à Vedado.
12 Alors que les deux premières lettres, celles du 19 octobre 1908 et du 9 janvier 1911, sont intégralement présentées, ne sont reproduits que des extraits de la missive du 27 septembre 1912. Il fallait alléger la correspondance afin d’éviter les très nombreuses discussions plus techniques, avec beaucoup de terminologie taxinomique et de noms latins, peu susceptibles d’intéresser les lecteurs, en faisant une sélection de lettres, puis en choisissant des extraits de celles-ci. Afin de faciliter le suivi et la lecture des extraits, s’échelonnant sur plus de 35 ans, je n’ai pas hachuré le texte de la correspondance par des […] qui seraient devenus trop nombreux. Enfin, il n’a jamais été nécessaire, pour protéger une réputation ou pour garder confidentielle une information, de soustraire une lettre ou un extrait.
De 1907 au 28 mars 1923, nous n’avons que les lettres du frère Léon, rédigées à la main. Évidemment, il aurait été préférable d’avoir celles écrites par Marie-Victorin pour cette période, mais les lettres du frère Léon permettent tout de même de bien suivre l’évolution de leurs échanges.
13 La langue de Balmès (1810-1848) est l’espagnol. Le 12 juillet 1908, Marie-Victorin avait mentionné dans son journal ce philosophe espagnol qui était devenu célèbre au XIXe siècle pour son ouvrage L’art d’arriver au vrai, publié à Paris, en 1893, par Victor Retaux (Marie-Victorin, 2004). Il est possible que Marie-Victorin ait lu cet auteur dans sa langue maternelle et qu’il l’ait écrit au frère Léon dans une lettre précédente (frère Gilles Beaudet, communication personnelle, 23 novembre 2006).
14 Le Naturaliste canadien est un périodique scientifique qui fut fondé en 1868 par l’abbé Léon Provancher (1820-1892). Marie-Victorin publia plusieurs de ses articles dans cette revue. À partir de 1908, il collabora régulièrement à la revue, et ce, jusqu’en 1919. Par la suite, il publia ses articles surtout dans les Contributions de l’Institut botanique de l’Université de Montréal.
15 Le field botanist est un botaniste travaillant sur le terrain et dont la tâche est principalement la recherche pratique, à pied, des spécimens, et leur cueillette. Ce type de botaniste passe donc moins de temps à élaborer l’herbier et à identifier les spécimens : c’est ce à quoi fait allusion le frère Léon.
En sciences naturelles, comme en botanique ou en ornithologie, il est fréquent que des amateurs, passionnés par un groupe d’espèces, possèdent des connaissances beaucoup plus approfondies que des professionnels, tels que des professeurs d’université possédant un prestigieux doctorat. Aussi, des conflits peuvent surgir entre personnalités fortes. On le verra plus tard dans la correspondance, les professeurs Thomas Barbour, de l’Université Harvard, et William Seifriz, de l’Université de Pennsylvanie, ont eu beaucoup plus de respect pour l’œuvre du frère Léon que Richard A. Howard, un diplômé de l’Université Harvard, ne sembla en avoir eu.
16 Avant de s’établir à Cuba, le frère Léon avait séjourné au Canada, plus particulièrement à Hull, où il enseigna à l’école Notre-Dame en 1904 et 1905. À quelques occasions, il fera référence à Hull. Il est intéressant de constater que les premiers échanges botaniques entre les deux frères se sont faits en territoire canadien, pendant la seule année que le frère Léon passera au Canada. Dans son journal, le 18 juillet 1905, Marie-Victorin écrivait : « Reçu du frère Léon quelques plantes récoltées à Hull : Hydrophylle de Virginie – Violette du Canada – Waldsteinie – Potentille argentée » (Marie-Victorin, 2004).
17 La santé de Marie-Victorin fut toujours chancelante ; ce thème est omniprésent dans la correspondance avec le frère Léon. D’ailleurs, ce sera une des principales causes de ses séjours à Cuba.
18 Le frère Léon portera une attention particulière à cette famille, comprenant de nombreuses espèces, souvent difficiles à identifier.
19 Les frères des Écoles chrétiennes auraient eu une maison de campagne à San Diego de Los Baños. Selon Henri Alain Liogier (communication personnelle du 26 août 2006), les frères des Écoles chrétiennes n’avaient pas une telle maison de campagne à cet endroit, où l’on trouvait plutôt des hôtels pour prendre des bains d’eaux thermales. Par contre, le frère Léon aurait pu y séjourner pour se reposer ou seulement herboriser. Toutefois, en 1914, Henri Alain Liogier n’était pas encore né, si bien qu’il est toujours possible que les frères des Écoles chrétiennes aient eu pour quelque temps un tel établissement dont il n’aurait pas entendu parler. Pour le frère Léon, comme pour plusieurs autres religieux, les vacances à la campagne étaient souvent les premières occasions de se familiariser avec la nature. Il en profitait pour herboriser.
Henri Alain Liogier (Enrique E. Liogier y Allut), né en 1916 à Chomelix en France, deviendra le frère Alain (Hermano Alaín). Arrivé à Cuba en 1934 pour enseigner au Colegio De La Salle, il deviendra le principal collaborateur du frère Léon. Dans la correspondance, le nom du frère Alain reviendra souvent, à l’époque où Marie-Victorin fit ses séjours à Cuba. À présent citoyen américain et marié, il réside à Forth Worth, au Texas. Au téléphone et par le biais de plusieurs courriels, il m’a généreusement donné les renseignements demandés.
20 Le frère Léon utilise souvent des expressions anglaises. Français d’origine, parlant couramment l’espagnol, il rencontre à La Havane des chercheurs américains et correspond avec ceux-ci ; il n’est donc pas étonnant qu’il emploie de telles expressions. Les sheets sont des cartons d’herbier sur lesquels sont collés les spécimens séchés avec des étiquettes.
21 Non possumus : expression latine qui veut dire « nous ne pouvons pas », « pas question » ou « non négociable ».
22 Si Dios quiere : expression souvent utilisée par le frère Léon qui veut dire « Si Dieu le veut ».
23 Dans la correspondance, il sera souvent question de la retraite. Les frères des Écoles chrétiennes faisaient une retraite annuelle de huit jours. En silence, les frères assistaient à des conférences et priaient. C’était une pause au milieu des occupations de l’enseignement et elle se faisait durant les vacances d’été.
Pendant ces retraites, Marie-Victorin en profitait pour écrire son journal. Le 12 juillet 1909, il consigna ses pensées, entre autres, sur les voyages : « Nous venons de contempler la flagellation et le couronnement d’épines. Sujet fécond s’il en fut, et de sérieuses réflexions. Oh ! Si j’avais la foi, la vraie foi. Si je croyais réellement que mon Jésus, pour moi, s’est livré à la férocité des brutes romaines, si je voyais réellement à travers le voile meurtri de la chair, la divinité qui m’a fait et (me) fait ce que je suis, je serais capable de tout : capable d’imposer le silence à mes ressentiments, capable de m’assujettir à l’oraison, capable de refréner ma démangeaison de tout dire et de tout juger, capable de faire au Bon Maître le sacrifice de mes aises et de mes goûts de voyage. »
Le 6 avril 1910, il était revenu sur ce thème du voyage : « Je suis allé samedi à Montréal rencontrer papa et Blanche qui revenaient de New York. Occasion d’offrir au Bon Maître un nouveau sacrifice. De toute la famille, je serai toujours celui qui voyagera le moins ! » L’avenir allait détromper ses prévisions et son goût des voyages fut largement comblé. Enfin, le 16 février 1914, il relata que sa sœur Laura lui avait dit qu’il deviendrait fou s’il traversait les Rocheuses, et il avait conclu : « C’est bien possible, mais de par mon état, je dois faire le sacrifice de ces jouissances permises » (Marie-Victorin, 2004).
24 Spathelia Brittonii sp. nov. Le spécimen type de cette nouvelle espèce (sp. nov.), c’est-à-dire celui sur lequel a été basé la description, fut récolté en septembre 1910 « on a jagged rocky hill, Baños San Vincente, Province of Pinar del Rio » par Nathaniel Britton et Charles Stuart Gager. Ce nouveau taxon, Spathelia Brittonii P. Wilson, fut décrit en 1911 par Percy Wilson et le spécimen type a été déposé dans l’Herbier du Jardin botanique de New York. L’espèce Spathelia Brittonii appartient au genre Spathelia de la famille des Rutacées. Le nom d’une espèce, comme Spathelia Brittonii P. Wilson, est suivi de celui du botaniste qui a décrit le nouveau taxon. Pour cette nouvelle espèce, Percy Wilson rendait ainsi hommage au directeur du Jardin botanique de New York, Nathaniel Lord Britton.
Nathaniel Lord Britton (1859-1934) fut le premier directeur du Jardin botanique de New York, un scientifique de très grande renommée et un administrateur reconnu pour son leadership. Diplômé de l’École des mines de Columbia avec le titre d’ingénieur et détenteur d’un Ph. D. obtenu en 1881, il enseigna la géologie et la botanique à la Columbia University. En 1895, il fut nommé directeur général du Jardin botanique de New York ; il prit sa retraite en 1929. Un des plus grands botanistes des États-Unis, il a publié, entre autres, An Illustrated Flora of the Northern United States, Canada, and the British Possessions (avec Addison Brown, 1896-1898), The Bahama Flora (avec Charles Frederick Millspaugh, 1920), et quatre volumes sur les cactus (avec Joseph Nelson Rose, 1919-1923). Il fit de nombreuses expéditions botaniques dans les Tropiques, en particulier à Porto Rico (notice biographique des Archives du Jardin botanique de New York, 2003). Il avait entrepris ses explorations de Cuba en 1903. En 1909, il amorça une série d’explorations (1909, 1910, 1911, 1912 et 1916) afin de produire le Catalogue of the Flora of Cuba. En 1910, il fut accompagné de sa femme, Elisabeth Gertrude Knight, de Percy Wilson et de John Adolph Shafer ; en 1911, il y alla avec sa femme ; en 1912, avec Carlos de la Torre ; et enfin en 1916, avec Carlos de la Torre et le frère Léon. Après ces explorations de Cuba, il s’intéressa plutôt à la flore de Porto Rico (voir Alvarez Conde, 1958).
25 L’anse à Persi : observations botaniques et géologiques sur une portion de la côte sud du Saint-Laurent, dans le comté du Témiscouata (Bulletin de la Société de géographie du Québec, vol. 8, no 3, mai-juin 1914 : 146-159). Marie-Victorin fit aussi imprimer des tirés à part de cet article pour faciliter sa distribution. À cette époque, les chercheurs échangeaient leurs publications et se constituaient ainsi une collection.
26 Dès le début de cette correspondance, qui s’étale du milieu des années 1900 à 1944, le frère Léon cherche à intéresser son collègue à l’exploration de l’île de Cuba dans une perspective écologique plutôt que taxinomique.
27 Le frère Léon a séjourné à Hull (Gatineau) pendant son court séjour au Québec, en 1904 et 1905. Évidemment, il utilise le mot « flore » de façon imagée. Ce n’est pas la Flore des espèces végétales, mais celle de « ses anciennes connaissances ». L’humour, de haut niveau, caractérise toute cette correspondance entre Marie-Victorin et le frère Léon.
28 Le Dr Manuel Gómez de la Maza (1867-1916) et le Dr Juan Tomás Roig ont publié, en 1914, un ouvrage intitulé Flora de Cuba (Datos para su estudio) qui fut édité par la Estación Experimental Agronómica de Santiago de la Vegas. Cette flore de Cuba de 180 pages, divisée en quatre sections, comprend un chapitre sur les plantes économiques (plantes alimentaires, médicinales, textiles, ornementales, etc.). Il est évident que le frère Léon ne reconnaissait pas dans cet ouvrage une véritable flore, comme le seront sa Flora de Cuba, publiée à partir du milieu des années 1940, et la Flore laurentienne, publiée en 1935 par Marie-Victorin, qui sont de véritables ouvrages scientifiques rendant compte de façon systématique des espèces de Cuba ou du Québec méridional.
29 Les « autres raisons » étaient de protéger la propriété intellectuelle de ses découvertes et de ne pas aider un compétiteur éventuel, le Dr Manuel Gómez de la Maza, avec qui il n’avait aucun avantage à s’associer. Nathaniel Lord Britton était un collaborateur beaucoup plus important par sa compétence et leur projet commun de produire le Catalogue of the Flora of Cuba.
30 Agnes Chase (1869-1963) fut une des plus grandes spécialistes de la famille des Graminées. Selon Henri Alain Liogier (communication personnelle du 26 août 2006), elle était très proche du frère Léon. Elle n’avait pas de formation universitaire en botanique, mais après avoir débuté sa carrière en tant qu’illustratrice pour le U.S. Departement of Agriculture (USDA), elle était devenue une professionnelle auprès du spécialiste sur les Graminées Albert S. Hitchcock. De 1939 à 1949, elle œuvra au Smithsonian, prestigieuse institution de musées à Washington. En 1917, elle avait publié un ouvrage très important sur la famille des Graminées, Grasses of the West Indies. Cette publication aida beaucoup les frères Léon et Alain dans leurs travaux sur la Flora de Cuba.
31 Marie-Victorin publia plusieurs articles sur la flore du Témiscouata dans la revue Le Naturaliste canadien, de janvier 1915 à juin 1916. Ils furent colligés sous le titre La flore du Témiscouata : mémoire sur une nouvelle exploration botanique de ce comté de la province de Québec, Québec, Laflamme, 1916, 125 p.
32 Il ne semble pas y avoir de lettres en 1917 ; par contre, la lettre du 20 janvier 1918 du frère Léon à Marie-Victorin pourrait expliquer cette interruption. En effet, le frère Léon écrit que son temps est si limité qu’il ne fait plus d’échanges nulle part.
33 La ferme de Guatao, une propriété des frères des Écoles chrétiennes, était aussi le Petit Noviciat pour les jeunes candidats voulant se joindre à la Communauté. Plus tard, les frères âgés y résideront. Ce fut aussi un lieu de retraite et un centre d’essai pour l’introduction d’arbres fruitiers. Située à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de La Havane, elle permettait aux frères en congé de s’y rendre régulièrement pour se reposer.
34 Le nom civil du frère Léon était Joseph Sylvestre Sauget. Ce genre Saugetia lui fut donc dédié pour son nom laïque, alors que des épithètes spécifiques, Leonia, Leonotis et Leonurus commémorent son nom religieux.
35 Le Catalogue of the Flora of Cuba, signé ainsi sur le manuscrit « N. L. Britton, Percy Wilson and Brother Leon », est un ouvrage considérable qui ne fut pas publié. Le manuscrit dactylographié, de près de 1 500 pages, est conservé aux Archives du Jardin botanique de New York, à la Bibliothèque LuEsther T. Mertz. Il ne comprend pas d’introduction générale ou de description de la végétation et de la flore de Cuba. Pour chaque espèce, les auteurs donnent le genre accompagné du nom spécifique, le nom du botaniste ayant décrit l’espèce et l’ouvrage où fut décrite l’espèce pour la première fois. Puis suivent des données sur l’habitat et la distribution de l’espèce et la distribution à l’extérieur de Cuba. Des clefs analytiques permettant d’identifier les espèces font aussi partie du Catalogue of the Flora of Cuba. Ce projet de Britton, auquel fut associé le frère Léon dès la fin des années 1910, joua un rôle pivot dans sa carrière scientifique, et indirectement dans l’œuvre de Marie-Victorin à Cuba. Grâce à Britton, le frère Léon fut très tôt impliqué dans un ouvrage structurant, le mettant aussi en contact avec des botanistes américains de grande réputation.
36 Le frère Rolland-Germain (1881-1972) fut le principal collaborateur de Marie-Victorin pour ses recherches sur la flore du Québec. Né en France, tout comme le frère Léon, il avait émigré au Canada en 1905, alors que son confrère s’établissait à Cuba. Les frères Léon et Rolland-Germain durent tous deux s’exiler de France en raison des lois anticléricales. Leurs immigrations respectives à Cuba et au Canada eurent un impact majeur sur le développement de la connaissance de la flore de Cuba ainsi que de celle du Québec. À son arrivée au Canada, le frère Rolland-Germain fut d’abord enseignant au Collège de Longueuil où Marie-Victorin professait ; il y fut affecté de 1905 à 1914, puis y reviendra en 1926 (Gilles Beaudet, 2 octobre 2006, communication personnelle). Alors que Marie-Victorin fut enseignant au Collège de Longueuil au début de sa carrière, il a continué à résider dans cette institution, une fois devenu professeur d’université, puis directeur de l’Institut botanique de l’Université de Montréal et du Jardin botanique de Montréal. Le Collège de Longueuil fut l’endroit où il passa la plus grande partie de sa vie, de 1904 à 1944.
Pour la Flore laurentienne, qui sera publiée en 1935, les très belles illustrations seront plutôt l’œuvre du frère Major-Alexandre ou frère Alexandre (Alexandre Blouin, 1892-1987).
37 Joaquin Echave Echarran, né dans le Pays Basque, est arrivé à la fin de la colonisation espagnole à Cuba. Il travaillait dans le secteur bancaire. En 1918, il envoya son fils, Vicente Lino Echave Garcia (1900-1981), étudier au Canada chez les frères des Écoles chrétiennes, entre autres, pour apprendre le français (Vincent Echave, communication personnelle, 3 septembre 2006 ; fils de Vicente Lino Echave Garcia, né à Cuba en 1938 et naturalisé canadien en 1976, médecin et professeur à l’Université de Sherbrooke, Québec, Canada). Deux ans plus tard, le 23 décembre 1920, le frère Léon écrivit à Marie-Victorin : « J’ai parlé un brin avec Vicente Echave à son retour du Canada ; il m’a expliqué comment vous n’aviez pu venir cette année à Cuba, mais que pour 1924 c’est une chose à peu près entendue. » Vicente Lino Echave Garcia (1900-1981,) qui avait étudié au Canada chez les frères des Écoles chrétiennes, avait expliqué au frère Léon pourquoi Marie-Victorin n’avait pu se rendre à Cuba. Alors que Marie-Victorin avait 35 ans, son jeune émissaire n’avait que 20 ans. Plus tard dans la correspondance, Mme Parent va jouer un rôle analogue.
38 « Esquisse systématique et écologique de la flore dendrologique d’une portion de la rive sud du Saint-Laurent, aux environs de Longueuil, P.Q. », Contributions du Laboratoire de botanique de l’Université de Montréal, no 1, 1922, 33 p. (primé au concours du prix David, en 1923) ; « Les Filicinées du Québec », Contributions du Laboratoire de botanique de l’Université de Montréal, no 2, 1923, 98 p. (1re thèse de doctorat présentée à la Faculté des sciences de l’Université de Montréal, en 1922).
En 1922, Marie-Victorin avait lancé cette série intitulée Contributions du Laboratoire de botanique de l’Université de Montréal, qui deviendra Contributions de l’Institut botanique de l’Université de Montréal. Il fut le principal auteur des ouvrages scientifiques publiés dans les Contributions. Avec des couvertures bleues et le blason de l’Université de Montréal, ces volumes ont permis de faire connaître les travaux de Marie-Victorin et de quelques autres chercheurs, et surtout de servir de monnaie d’échange avec les autres institutions scientifiques pour garnir la bibliothèque de l’Institut botanique. La série prendra fin avec la parution de son dernier numéro en 1969.
39 Dans la correspondance, le terme « Institut » est utilisé souvent sans qualificatif. Pour Marie-Victorin, il y avait deux instituts bien différents et auxquels il était très attaché : l’Institut botanique de l’Université de Montréal et l’Institut des frères des Écoles chrétiennes. Dans la présente lettre, le frère Léon fait référence à l’Institut des frères des Écoles chrétiennes.
40 C’est la première lettre dactylographiée de Marie-Victorin au frère Léon, avec une copie en papier carbone conservée dans les papiers de Marie-Victorin, aujourd’hui déposés aux Archives de l’Université de Montréal. Elle provenait du Collège de Longueuil. On peut présumer que les lettres antérieures furent avant tout manuscrites ou si dactylographiées, sans papier carbone. Est-ce que ces dernières ont été conservées par le frère Léon ? Le cas échéant, est-ce qu’elles ont été préservées après sa mort et la révolution cubaine de 1959 ? Pour l’instant, nous n’avons pas de réponses à ces questions.
En 1923-1924, Marie-Victorin a été sur le point de se rendre à Cuba, après près de 15 ans de sollicitation de la part du frère Léon. Marie-Victorin, professeur à l’Université de Montréal, avait dorénavant accès aux revenus provenant de la succession de son père, Cyrille Kirouac (1863-1921).
41 La Sierra Maestra est une chaîne de montagnes située au sud-est de Cuba, dans la province de Santiago de Cuba, en face de la mer des Caraïbes. Pico Turquino est son sommet culminant qui atteint 1 974 mètres.
42 Cette publication est : Hermano León, Una excursión al Pico Turquino, vol. 11, no 101, 1923 : 349-358. Le frère Léon a aussi publié cette contribution en anglais : « A trip to Pico Turquino », The New York Botanical Garden Journal, vol. 24, no 279, mars 1923 : 49-62. L’article sera aussi publié une troisième fois dans Sociedad Cubana de Historia Natural Felipe Poey. Memorias (La Havane), vol. 6, no 3-4, 1923-1924 : 127-140. Pour connaître les publications du frère Léon, on peut consulter à la bibliothèque du Jardin botanique de Montréal l’ouvrage de Garcia, Arce et Quintana, 1980.
Grâce à l’article envoyé par le frère Léon sur son expédition de trois semaines en juillet 1922 pour explorer le Pico Turquino dans la Sierra Maestra, Marie-Victorin a pu constater la très grande résistance physique de son confrère et ses talents exceptionnels d’explorateur. Il a certainement fait un rapprochement avec le frère Rolland-Germain, son précieux collaborateur au Québec, lui aussi possédant une forme physique remarquable et un grand sens de l’observation. La santé de Marie-Victorin ne lui aurait jamais permis de suivre le frère Léon jusqu’au sommet le plus élevé de Cuba, culminant à 1 974 m d’altitude, et de plus nécessitant de se frayer un chemin dans une végétation très dense. Dans cette expédition, organisée par des entomologistes, le frère Léon fut accompagné par le célèbre botaniste suédois, Erik Leonard Ekman (1883-1931), à qui il vouait une grande admiration.
43 Vicente Lino Echave Garcia, né à la Havane le 22 septembre 1900, avait œuvré dans le secteur bancaire, tout comme son père Joaquin Echave Echarran. Vicente Echave fit de nombreux séjours au Canada (Vincent Echave [né en 1938] qui porte le nom de son père, communication personnelle, 3 septembre 2006).
44 L’Institut des frères des Écoles chrétiennes était divisé en districts. Les frères de Cuba formaient le District des Antilles dont le supérieur portait le nom de frère visiteur. Initialement, le District des Antilles comprenait seulement les établissements de Cuba (District de Cuba) ; plus tard il y aura des fondations à Saint-Domingue et à Porto Rico (Henri Alain Liogier, communication personnelle du 26 août 2006). Dans le district de Montréal, la maison provinciale, lieu de résidence du frère visiteur, était le Mont-de-La-Salle (à Maisonneuve de 1887 à 1917, là où est le Jardin botanique de Montréal, puis à Laval-des-Rapides). Il voit à l’administration générale d’un district, avec le mandat de veiller à la saine gestion des finances, à l’admission des candidats à l’Institut, à leur bonne formation et aux nominations des frères dans le district. Il visite une fois l’an les communautés de son territoire (voir Marie-Victorin, 2004).
45 Société royale du Canada, dans la section lettres, en 1924. Par ailleurs, en 1925, il confia au professeur Francis E. Lloyd de l’Université McGill, Montréal, qu’il préférait être transféré dans la section de biologie, étant donné que ses activités principales étaient dorénavant plutôt en botanique qu’en littérature française (frère Gilles Beaudet, s’appuyant sur une lettre de l’abbé Huard, communication personnelle, 7 novembre 2006). Ce transfert fut effectué en 1927, de la section littéraire à la section de biologie, dont il était, à ce moment-là, le seul membre canadien-français (Rumilly, 1949).
46 En 1927, la Columbia University, à New York, décerna un doctorat honoris causa au frère Léon. Cette reconnaissance par la célèbre université de l’Ivy League démontre que le milieu scientifique américain ne le percevait pas comme un amateur. Enseignant dans un collège primaire et secondaire, avec humour et humilité, il associa cette cérémonie protocolaire aux traditionnelles distributions de prix de la fin des années scolaires.
47 Située dans la province de Holguín, au nord-est de Cuba, cette région caractérisée par une géologie particulière deviendra un des lieux les plus importants pour Marie-Victorin. Il est intéressant de constater que non seulement Marie-Victorin s’était familiarisé avec la flore de Cuba par des échanges de spécimens d’herbier, mais qu’il avait acquis une connaissance de la phytogéographie de Cuba par sa correspondance avec son confrère.
48 En 1931, Marie-Victorin avait remis au Comité exécutif de la Ville de Montréal un rapport esquissant le projet du Jardin botanique de Montréal. Peu après, la Ville avait proposé de consacrer au Jardin la partie du parc Maisonneuve qui avait jadis accueilli, de 1887 à 1917, le Mont-de-La-Salle, là où Marie-Victorin entra au noviciat des frères des Écoles chrétiennes. Le Jardin fut alors fondé, mais rien n’était vraiment acquis (Bouchard, 1998). Tout au long de sa correspondance avec le frère Léon, Marie-Victorin lui fera part de l’évolution de son grand projet.
49 En 1932, la Société botanique de France avait décerné à Marie-Victorin le prix Gandoger.
50 A.M.D.G. : Ad majorem Dei gloriam ; « À la plus grande gloire de Dieu » est une expression souvent utilisée dans les établissements dirigés par les pères jésuites.
51 Institut des frères des Écoles chrétiennes.
52 Liberty Hyde Bailey (1858-1954) fut un des plus grands spécialistes sur les plantes cultivées. Après avoir obtenu son B.Sc. et sa M.Sc. du Michigan State Agricultural College, il est devenu professeur d’horticulture à l’Université Cornell, Ithaca, NY, en 1888. Par la suite, il était devenu doyen de la faculté d’agriculture de Cornell. Il publia de nombreux articles autant en horticulture qu’en botanique, en particulier sur les palmiers, et les genres Brassica, Vitis, Cucurbita et Rubus (note biographique du Harvard University Herbaria, 2002).
53 Ellsworth Paine Killip (1890-1968) avait obtenu son B.A. de l’Université de Rochester, dans le nord de l’État de New York. Son service militaire de 1918-1919 lui a valu la Légion d’honneur française. Après la guerre, il fut nommé aide de terrain à la Division des plantes du Smithsonian Institution à Washington, où il était devenu conservateur en chef de 1946 à 1950. Il avait fait des explorations dans les Tropiques, notamment en Argentine, au Brésil, au Chili, en Colombie, à Cuba, au Panama, au Pérou et au Venezuela. Il était un grand spécialiste des Leguminosae et des Passifloraceae.
54 Nunc dimittis : lorsque Jésus fut présenté au temple, huit jours après sa naissance, un ancien nommé Syméon le prit dans ses bras et sa joie s’exprima en un cantique dont les premiers mots latins sont : « Nunc dimittis … », c’est-à-dire : « Maintenant tu peux laisser partir ton serviteur… » (Luc, 2, 29-32). Dans le contexte de cette lettre, l’expression Nunc dimittis, équivaut à peu près à l’expression « chant du cygne » dans l’ordre profane ou à « mission accomplie » (frère Gilles Beaudet, communication personnelle, 28 novembre 2006).
55 Le Jardin botanique de Montréal fut fondé en 1931 par Marie-Victorin. Cependant, à ses débuts, le projet était des plus fragiles : la crise économique continuait de faire des ravages, l’Université de Montréal connaissait une période difficile, le maire Camillien Houde (1889-1958), qui fut l’élève de Marie-Victorin au Collège de Longueuil, avait perdu ses élections. On élevait alors des lapins géants des Flandres dans les premières serres qui avaient été construites. La survie du Jardin botanique de Montréal était loin d’être assurée (voir Bouchard, 1998).
56 En 1934, Marie-Victorin fut délégué au chapitre général de sa congrégation qui s’était réuni à Lembecq-lez-Hal, en Belgique, ainsi que délégué du Conseil national de recherches du Canada et de la Société royale du Canada au congrès de la British Association for the Advancement of Sciences à Aberdeen, en Écosse. Le 2 mai 1934, dans une lettre à sa sœur, mère Marie-des-Anges, Marie-Victorin avait écrit : « Pour ce qui est de mon voyage congrégationnel en Belgique, ne t’en fais pas. De tous mes voyages, c’est celui qui déplaît le plus à mes supérieurs, parce que j’ai été élu par tous les religieux profès de la province de Montréal, et que cette élection a un sens. Lequel ? Deux hypothèses : a) Les religieux de la province sont de mauvais religieux ; b) Je ne suis pas aussi noir qu’on le dit. – Choix absolument libre. – Comme d’habitude, la vérité est au milieu ! » (Marie-Victorin, 1969).
57 Frère Sennen (1861-1937), né Étienne Grannier : Français de naissance, ce frère des Écoles chrétiennes passa en Espagne lors de la persécution combiste de 1904. Au Collège de La Bonanova, à Barcelone, il était devenu l’une des premières autorités sur la flore d’Espagne (voir les notes de Beaudet à ce sujet dans Marie-Victorin, 1969). À l’Institut des frères des Écoles chrétiennes, plusieurs religieux se sont démarqués par leurs contributions scientifiques en sciences naturelles ; il était donc normal que les frères Léon, Marie-Victorin et Sennen se connaissent, s’échangent de l’information et se soutiennent mutuellement.
58 Le problème mentionné dans cette lettre devait provenir d’une divergence d’opinion entre Nathaniel Lord Britton et le frère Léon sur l’interprétation ou la validité d’une espèce. À partir de 1934, le frère Léon pouvait dorénavant occuper tout l’espace scientifique qui lui revenait. Cette année-là, il avait rédigé plusieurs notices nécrologiques. La première fut sur l’épouse de Britton, très impliquée en recherche : « Mrs N. L. Britton (Elisabeth Gertrude Knight) 1858-1934 », Sociedad Cubana de Historia Felipe Poey. Memorias, La Havane, vol. 8, no 2, juillet 1934 : 61-62. Quelques mois plus tard, il publiait dans le même périodique un article suite au décès de celui qui fut une grande inspiration : « Nathaniel Lord Britton. 1859-1934 », Sociedad Cubana de Historia Felipe Poey. Memorias, La Havane, vol. 8, no 6, décembre 1934 : 345-349.
Le Catalogue of the Flora of Cuba, débuté vers la fin des années 1910, avait constitué l’important projet liant Britton au frère Léon. Moins de quatre ans avant la mort du fondateur du Jardin botanique de New York, la publication de cet ouvrage, pourtant cosigné par un botaniste aussi illustre que Britton, était devenue difficile, voire très incertaine. Le 1er juin 1930, le frère Léon qui cherchait à sauver ce manuscrit, lui avait écrit : « Dear Dr. Britton : […] I spoke with Dr. Le Roy, Secretary of Havana Academy of Sciences; he says that after one year or so, which he needs for the publication of the last three years of Academy’s Annals, not yet published, he would be able to publish 16 pages of our Catalogue each month. The Government is poor; they have reduced a 10% of the salaries of the State employees; and the budget of this year will be $ 9 millions less than last year. Nevertheless, if you like, and if a few thousands of dollars are sufficient, I could try to obtain next year the funds necessary for the publication, either in Public Instruction or in Agriculture. Do you think that Mr. George Guggenheim, the American Ambassador in Cuba could help in this matter, if financially or influencely? […] Brother Léon » (lettre conservée aux archives du Jardin botanique de New York, à la Bibliothèque LuEsther T. Mertz). Il n’y a pas eu de suite ; ce Catalogue of the Flora of Cuba deviendra le point de départ de l’œuvre du frère Léon, la Flora de Cuba.
59 En 1935, il ne semble pas y avoir de correspondance entre Marie-Victorin et le frère Léon, possiblement trop occupé à terminer et à publier la Flore laurentienne et à relancer son projet de jardin botanique ; Michel Champagne, archiviste à la Division des archives de l’Université de Montréal, a aussi fait une vérification pour constater cette absence de lettres. Pourtant, 1935 fut une année des plus importantes dans la carrière de Marie-Victorin, qui publiait alors son œuvre maîtresse. Cet ouvrage remarquable, d’abord publié par les frères des Écoles chrétiennes en 1935, puis réédité à plusieurs reprises par les Presses de l’Université de Montréal, constitue la plus grande contribution en recherche de Marie-Victorin, alliant le meilleur du savoir scientifique à une habile vulgarisation. Profitant du lancement de son livre, il fit la promotion du projet de jardin botanique auprès de Camillien Houde, revenu à la mairie : « Mon cher ami, j’ai maintenant quelque chose à vous dire, et je vous demande de m’écouter comme vous m’écoutiez autrefois au cercle La Salle, alors que, jeunes l’un et l’autre, nous cherchions notre voie. […] Il y a quelques années, dans une grande assemblée publique à Maisonneuve, vous promettiez à notre ville un grand jardin botanique. Après l’élection, vous avez noblement tenu votre promesse. Puis, les jours sombres sont venus, où la fadeur capricieuse du peuple vous a laissé tomber […]. Vous êtes revenu au pouvoir, porté par un nouveau mouvement de la faveur populaire. Pourquoi ne pas reprendre sérieusement cette belle idée ? […] Bientôt, on célébrera le tricentenaire de Montréal. À la ville, à votre ville, il vous faudra faire un cadeau, un royal cadeau. Mais Montréal, c’est Ville-Marie. C’est une femme. […] Vous ne pouvez tout de même pas lui offrir un égout collecteur ou un poste de police. […] Alors, pardieu ! Mettez des fleurs à son corsage ! Jetez-lui dans les bras toutes les Roses et tous les Lys des champs » (voir Bouchard, 1998).
60 Cap & gown décrit la toge et l’épitoge en hermine de docteur, vêtements d’apparat, que portait Marie-Victorin pour des photographies officielles ou pour des cérémonies telles que la collation des grades universitaires.
61 La lettre du 18 décembre 1936 n’a pas été retracée. Il se peut que celle-ci ait été rédigée à la main, donc sans copie au papier carbone comme les autres lettres conservées aux Archives de l’Université de Montréal. Dans cette lettre, Marie-Victorin annonçait sûrement son projet de visiter Haïti et demandait des renseignements pour préparer son court voyage qui ne s’effectuera que plusieurs années plus tard. En 1943, Marie-Victorin relata cette exploration dans « Les hautes pinèdes d’Haïti », article publié dans Le Naturaliste canadien (no 70 : 245-258). Au printemps 1942, il y séjourna une semaine, en compagnie d’un ingénieur forestier qui était aussi un botaniste averti, Leslie R. Holdridge. Il écrivait alors : « Malheureusement le carnet de notes qui contenait mes observations détaillées fut perdu dans l’avion qui me transportait d’Haïti à Porto-Rico, et probablement confisqué par une censure plus zélée qu’intelligente. » Aussi, l’article de Marie-Victorin est plus près d’une contribution de vulgarisation, style reportage, que d’une analyse scientifique. « À défaut d’une relation détaillée, il m’est cependant possible de donner ici quelques observations et photographies concernant la belle forêt de Pins des hauts plateaux du Morne des Commissaires. » Ses contributions scientifiques sur Cuba seront beaucoup plus étoffées et importantes, grâce à l’expertise du frère Léon.
62 En écrivant « mais celui-ci a fouillé Haïti et St-Domingue et ne vous aura pas laissé grand-chose », le frère Léon manifeste son admiration pour ce grand explorateur que fut Ekman.
Erik Leonard Ekman (1883-1931) : un des plus grands explorateurs de la flore de Cuba, ce Suédois avait obtenu son Ph.D. de l’Université de Lund en 1914. Il devait initialement séjourner un mois à Cuba pour faire des récoltes de spécimens pour les professeurs Ignatius Urban (de Berlin) et Carl Axel Magnus Lindman (de Stockholm). Celles-ci devaient servir au projet d’Urban : « Symbolae Antillanae ». Ses plans changèrent. Il séjourna à Cuba pendant 10 ans, à partir de 1914, sauf pour une courte expédition à Haïti en 1917. En 1924, il retourna à Haïti pour effectuer des explorations intensives jusqu’en 1928. Par la suite, il fit l’exploration de la République dominicaine, où il mourut en 1931. Il a découvert plus de 2 000 nouvelles espèces pour la science (Swedish Museum of Natural History, Botany History, 1999).
Le frère Alain a donné des précisions intéressantes sur les rapports entre le frère Léon et Ekman : « L’année 1914 commence pour notre botaniste (le frère Léon) une seconde étape. Il connaît déjà assez bien les plantes de Cuba, et commence à penser aux régions peu explorées, qui probablement donneront bien des espèces inconnues pour la science. C’est alors que lui arrive d’Europe un botaniste de race, qui durant 10 ans va parcourir l’île, découvrant près d’un millier d’espèces nouvelles, visitant les régions presque inaccessibles, herborisant à fond, ne laissant pratiquement rien qui n’ait été récolté par lui dans les régions qu’il visite. Travailleur acharné et très original, il va céder au frère Léon ses méthodes de travail, lui communiquer son enthousiasme et sa hardiesse. Ce botaniste est Éric L. Ekman, qui vient de Suède, et se dirige vers l’Amérique du Sud. Mais les communications sont rares, et il est dur pour un botaniste de rester assis dans un hôtel quand on a du temps à perdre, et que les plantes intéressantes sont facilement accessibles. Mis en relation avec frère Léon par une lettre d’introduction du Dr Britton, Ekman, guidé par le seul qui connaisse assez bien les endroits d’herborisation, commence lui aussi à récolter… » (Alain, 1956). En 1931, le frère Léon avait rédigé un court article sur lui, suite à sa mort : « Erik Leonard Ekman (1883-1931) », Sociedad Geográfica de Cuba. Revista, La Havane, vol. 4, no 2 : 60-61.
Quelques années plus tard, le jeudi 4 avril 1940, alors qu’il avait visité la sierra de Nipe dans le nord-est de Cuba, Marie-Victorin était en mesure de porter un jugement sur les grands explorateurs de la Perle des Antilles : « C’est peut-être ici le lieu et le moment de faire remarquer ce que la science cubaine doit à Shafer, Ekman et Wright, qui ont révélé au monde la richesse floristique de la grande île. Des trois, le Suédois Ekman est le plus remarquable » (Marie-Victorin et Léon, 1956).
John Adolph Shafer (1863-1918) : diplômé de la School of Pharmacy de la University of Pittsburgh, il travailla d’abord dans ce secteur. Sa passion pour les plantes le mena à entreprendre une carrière en botanique. En 1895, la University of Pittsburgh lui décerna un doctorat honoris causa en pharmacie. En mars 1903, il accompagna à Cuba le Dr N. L. Britton, directeur du Jardin botanique de New York ; il continua cette exploration jusqu’en mai. En 1904, il fut nommé Custodian (conservateur) du musée du Jardin botanique de New York, poste qu’il occupa jusqu’en 1910. Il était alors retourné à sa ferme, près de Pittsburgh, poursuivant cependant des explorations durant les mois d’hiver dans les régions tropicales, élaborant des collections pour le Jardin botanique de New York, entre autres à Cuba, de 1909 à 1912. Avant tout explorateur, il publia peu de contributions scientifiques. Deux genres et de nombreuses espèces de Cuba lui ont été dédiés. Britton écrivait à son propos: « Dr. Shafer’s several Cuban botanical collections, taken all together, are the largest ever made and studied from that island, and in scientific importance are second only to those of Charles Wright, brought together from 1859 to 1864; they contain specimens of several hundred species new to science and provide a great fund of information relative to habitat and geographic distribution of Cuban species, and many plants previously known from other lands are shown by these collections to inhabit Cuba » (O. E. Jennings, Section of botany, Carnegie Museum of Natural History, site Web consulté le 3 novembre 2006).
Charles Wright (1811-1885) : diplômé de la Yale University, Connecticut, où il avait effectué des études des auteurs classiques et en mathématiques, il commença sa carrière à Natchez, au Mississippi, en devenant le tuteur des enfants d’un propriétaire d’une plantation. Après la faillite de l’entreprise de son employeur, il déménagea au Texas pour faire de l’arpentage et de l’enseignement, herborisant pendant ses moments libres. En 1844, il envoya des spécimens d’herbier à Asa Gray, professeur à la Harvard University. Ce fut le début de leur correspondance. De 1853 à 1855, il fut botaniste pour la U.S. North Pacific Exploring Expedition, connue aussi sous le nom de l’Expédition Ringgold et Roodgers. Partie de la Virginie, sur la côte est des États-Unis, l’expédition traversa l’Atlantique pour le cap de Bonne-Espérance, en faisant escale à Madère et au Cap-Vert. Après un séjour de six semaines en Afrique du Sud, l’expédition se rendit à Sydney, en Australie, et s’arrêta pour un séjour prolongé à Hong Kong. Par la suite, elle visita le Japon et les îles du détroit de Béring. Enfin, elle retourna aux États-Unis en arrivant à San Francisco. En Californie, il quitta l’expédition pour le Nicaragua et revint à New York. De 1856 à 1867, il fit plusieurs explorations à Cuba. Après sa carrière d’explorateur infatigable, il passa beaucoup de temps à travailler au Gray Herbarium de la Harvard University. Fasciné par les grandes explorations, il rédigea peu de travaux, laissant aux autres la tâche de publier ses découvertes (notice biographique du Gray Herbarium, Harvard University).
63 « Phytogeographical problems of Eastern Canada », The American Midland Naturalist, vol. 19, 1938: 489-558. Marie-Victorin ayant publié l’ensemble de son œuvre en français, cette publication, en anglais, est exceptionnelle. Par cet article, il voulait communiquer ses analyses de la flore de l’est de l’Amérique du Nord aux chercheurs américains et canadiens ainsi qu’à l’ensemble de la communauté scientifique internationale.
64 Marie-Victorin avait demandé au frère visiteur, le frère Paulin, l’autorisation nécessaire. Il emmènerait deux de ses sœurs, Mme Flavius Lebel (Laura) et Mme Édouard Laurin (Eudora), ainsi que Lucien Charbonneau, le chauffeur de sa Buick et ami de confiance. Le frère Paulin, qui avait succédé au frère Mandellus, était un supérieur, compréhensif, affable et fier de son brillant subordonné. Il lui accorda donc la permission d’aller à Cuba. Le 14 décembre 1938, Marie-Victorin le remercia ainsi : « Selon que vous avez eu la bonté de me le permettre, je pars demain matin, en compagnie de mes deux sœurs, pour La Havane, où je passerai trois mois pour essayer de refaire ma santé, qui, comme vous le savez, est compromise assez sérieusement. […] À Noël, je serai à La Havane. Cette nuit-là, je penserai à vous » (lettre citée par Robert Rumilly, 1949).
Kirouac, Laura (1887-1990) : deuxième sœur de Marie-Victorin, elle est entrée au couvent des religieuses de Jésus-Marie à Sillery, sous le nom de mère Saint-Cyrille, en 1906. Sortie une première fois en août 1908, puis une seconde fois en juin 1911, car elle souffrait de tuberculose. Elle épousera, en 1916, le docteur Flavius Lebel (1876-1953), un veuf (Marie-Victorin, 2004).
Kirouac, Eudora (1899-1985) : quatrième sœur de Marie-Victorin. Elle épousera, en 1916, Édouard Laurin (1891-1969), président du magasin Paquet de Québec (Marie-Victorin, 2004).
Charbonneau, Lucien (1913-1986) : né le 18 juillet 1913, il a fait ses études primaires au Collège de Longueuil où il a rencontré le jeune frère Marie-Victorin. Le frère lui a demandé en 1934 de devenir son chauffeur et de l’accompagner dans plusieurs voyages, tâche qu’il accomplira jusqu’au décès de Marie-Victorin en 1944 des suites d’un accident d’automobile survenu alors qu’il n’était pas au volant. Lucien Charbonneau avait suivi Marie-Victorin à l’Institut botanique et était devenu employé de l’Université de Montréal, ce qu’il est demeuré jusqu’à sa retraite en août 1979, après 40 ans de services. On dit qu’il entretenait avec Marie-Victorin une relation quasi filiale, veillant à tous ses besoins. Marié en 1951 à Jacqueline Audette, avec qui il a eu quatre enfants, Lucien Charbonneau s’est éteint en 1986 (communication personnelle de Normand Charbonneau, son fils, le 4 janvier 2007).
65 David Grandison Fairchild (1869-1954) et Robert H. Montgomery (1872-1953) étaient très connus de tous ceux qui s’intéressaient aux plantes tropicales. Le célèbre Fairchild Tropical Botanic Garden, situé au sud de Miami en Floride, venait d’ouvrir ses portes au grand public en 1938. Le colonel Montgomery, fondateur du Fairchild Tropical Botanic Garden, avait acheté le terrain de ce nouveau jardin botanique et lui donna le nom de son ami, Fairchild, un des plus grands explorateurs du monde végétal. De plus, Montgomery avait fait aménager le Coconut Grove Palmetum qui deviendra, en 1998, le Montgomery Botanical Center. Les noms de Fairchild et de Montgomery sont aujourd’hui commémorés par deux jardins botaniques de la Floride.
David Fairchild, né au Michigan en 1869, avait obtenu un B.Sc. du Kansas State Agricultural College en 1888, puis une M.Sc. de la même université. En 1916, il reçut un doctorat honoris causa du Oberlin College, Ohio. À l’emploi du USDA (ministère de l’Agriculture des États-Unis), il fut d’abord un phytopathologiste. Par la suite, on lui confia la section sur l’introduction des graines et des plantes étrangères. Passionné par l’exploration, il fit des travaux dans de très nombreux pays à travers le monde, recherchant des plantes d’intérêt économique. Entre autres, il introduisit aux États-Unis les mangues, les nectarines et les dattes. À sa retraite en 1935, il quitta Washington pour Miami afin de se consacrer au Fairchild Tropical Botanic Garden.
Robert H. Montgomery, né en Pennsylvanie en 1872, fut un des fondateurs de la firme Lybrand, Ross Bros. & Montgomery, connue maintenant sous le nom de PricewaterhouseCoopers. Auteur de plusieurs ouvrages en comptabilité et en droit fiscal, il collectionnait avec passion les plantes et les livres. En 1936, il avait fondé le Fairchild Tropical Botanic Garden. Il mourut subitement en 1953 dans sa propriété de Coconut Grove Palmetum où il résidait.
Fairchild et Montgomery connaissaient le frère Léon et le considéraient comme un interlocuteur privilégié pour la flore de Cuba. Marie-Victorin, qui avait fondé le Jardin botanique de Montréal en 1931, en construction au moment de cette lettre, ne pouvait faire autrement que de visiter ces bâtisseurs d’institutions prestigieuses. Source : les archives du Fairchild Tropical Botanic Garden
66 José Perez Carabia (né en 1910) : natif de Santa Clara, à Cuba, il fit des études universitaires à l’Université de la Havane pour devenir ingénieur agronome. En 1939, alors que Marie-Victorin commençait ses explorations botaniques de Cuba, Carabia l’a accompagné avec le frère Léon. Carabia a publié quelques articles sur la flore de Cuba, dont le plus important The Vegetation of Sierra de Nipe, Cuba, en 1945 (Ecological Monographs 15 (4) : 321-341). Dans ce dernier article se trouve la belle carte de Sierra de Nipe, dressée par Carabia et mentionnée par Marie-Victorin à quelques reprises dans la correspondance.
67 Le frère Adrien Rivard (1890-1969) était un religieux de la communauté des frères de Sainte-Croix, alors que Marie-Victorin et le frère Léon appartenaient à l’Institut des frères des Écoles chrétiennes. En 1925, le frère Rivard, un enseignant au primaire, avait amorcé la création des Cercles des jeunes naturalistes (CJN). Marie-Victorin, conscient de l’importance de rallier les jeunes à la cause de la culture scientifique, avait soutenu ce mouvement, basé sur la création d’un grand nombre de cercles – l’idéal visé étant un cercle par école – permettant aux jeunes de s’initier à l’ensemble des sciences naturelles. En 1931, l’année même de la fondation du Jardin botanique de Montréal, les cercles sont officiellement créés par le frère Adrien et ont été affiliés à la Société canadienne d’histoire naturelle (SCHN), alors présidée par Marie-Victorin. Dès l’automne 1931, une centaine de cercles étaient déjà en essor. En 1933, 100 000 visiteurs se sont rendus au Mont-Saint-Louis, rue Sherbrooke, pour la grande exposition qu’y avaient réalisée 137 cercles. En 1935, l’exposition du Collège Notre-Dame a eu le même succès. Rapidement, des tensions sont apparues entre les CJN et la SCHN, le fossé va s’élargir après la mort de Marie-Victorin provoquant ultérieurement la démission du frère Adien. Il possédait une personnalité haute en couleur, n’hésitant pas à innover dans ses approches pédagogiques, allant jusqu’à produire des films (Sœur Marie-Jean-Eudes, février 1974, frère Adrien Rivard, C.S.C. Fondateur et premier directeur général des CJN. Bibliothèque des Jeunes naturalistes, Tract no 141, 8 p. ; communication personnelle du frère Marcel Lafortune (1924-2007), le 9 novembre 2006).
68 R.I.P. signifie requiescat in pace ou que le défunt repose en paix. Dans le contexte de cette lettre, le sens est : « on n’en parle plus ! » ou « l’affaire est close ! ».
69 Le frère Léon a voulu d’abord dédier à Marie-Victorin un taxon, Victorinia, qui n’était pas nouveau, mais a pu se reprendre avec une nouvelle espèce de palmier. Il a publié : « Contribución al estudio de las palmas de Cuba. III. Género Coccothrinax » dans le périodique scientifique de la Sociedad Cubana de Historia Natural Felipe Poey. Memorias. (La Havane). Partie III. 13(3) : 133-156. Il avait ainsi justifié son choix de Victorini : « Esta especie está dedicada a Frère Marie Victorin, Professor de Botánica de la Universidad de Montreal, Canada, y Director del Instituto Botánico de la misma ciudad, en reconocimiento de su valiosa y extensa labor botánica y de sus recientes estudios de la Flora de Cuba. » Quoique la description originale donne l’épithète spécifique de Victorini, ce palmier est souvent désigné sous Victorinii. Alors que Marie-Victorin était encore à Cuba, le Coccothrinax Victorinii fut annoncé dans Le Devoir du jeudi 2 février 1939 : « Une espèce de palmiers de l’île de Cuba portera désormais le nom du frère Marie-Victorin, directeur de l’Institut botanique de Montréal et directeur du Jardin botanique de Maisonneuve. À l’Institut, M. Jules Brunel apprend par une lettre que le frère Léon, des Écoles chrétiennes, botaniste averti, et le frère Marie-Victorin ont découvert ensemble au cours d’excursions aux environs de Media Luna, au bord de la mer, plusieurs variétés nouvelles de palmiers. […] Voilà le nom du frère Marie-Victorin attaché à l’une des plus nobles familles de la flore cubaine. »
70 Le frère Clément (1878-1951), né en France, fit ses études primaires et secondaires chez les frères des Écoles chrétiennes, tout comme le frère Léon et Marie-Victorin. À l’âge de 12 ans, il entra au petit noviciat des frères des Écoles chrétiennes. En 1906, comme l’avaient fait avant lui les frères Léon et Rolland-Germain, il s’expatria de la France. Après un séjour d’un an à Barcelone, en Espagne, pour apprendre l’espagnol, il émigra à Cuba. Il fut professeur puis directeur du Colegio San Julián de Güines. Il en profita pour étudier la flore et la faune autour de Güines. Ensuite il était devenu directeur du Colegio La Natividad, de Sancti Spiritus. Profitant de cette affectation, il a exploré les montagnes de Banao, s’intéressant avant tout aux fougères. En 1918, il fut transféré à Santiago de Cuba, où il passa la plus grande partie de sa vie, ne quittant cette ville d’Oriente pour La Havane que peu de temps avant sa mort en 1951. Lorsqu’il connut Marie-Victorin, le Colegio de La Salle de Santiago de Cuba était situé au 102, calle Heredia. À partir de Santiago de Cuba, il explora des régions extrêmement intéressantes, comme la Sierra Maestra, au sud d’Oriente, ou Moa et Nipe, au nord d’Oriente. En plus d’étudier les fougères, il monta des collections de papillons et de coquillages. Contrairement aux frères Léon et Marie-Victorin, il ne rédigea pas de publications se basant sur ses explorations (Alvarez Conde, 1958). Selon Henri Alain Liogier (communication personnelle, 3 septembre 2006), il a beaucoup exploré les alentours de la maison de campagne des frères des Écoles chrétiennes de Santiago de Cuba, à Loma del Gato dans la Sierra Maestra. Il fut un excellent collaborateur du frère Léon. Il est souvent mentionné dans la correspondance, ayant accompagné Marie-Victorin à quelques reprises dans ses explorations de la province d’Oriente.
71 Les voyages de Marie-Victorin à Cuba sont illustrés par environ 4 300 documents photographiques, conservés dans les Archives de l’Université de Montréal. Dans la vaste majorité des cas, c’est Marie-Victorin lui-même qui a pris ces images. On retrouve environ1 640 photographies noir et blanc, 2 165 diapositives couleurs Kodachrome et près de 555 diapositives couleurs sur verre. Ces diapositives sur verre sont en fait des copies coloriées de certaines de ses photographies noir et blanc. Il s’agit dans la majorité des cas de photographies de plantes qui devaient être utilisées dans le cadre de cours ou de conférences (Michel Champagne, division des Archives, Université de Montréal, communication personnelle du 20 décembre 2006).
72 Acqui finita Cuba signifie « Ici finit Cuba. » Il s’agit de l’extrémité est de l’île de Cuba.
73 Le frère économe était celui qui avait la tâche de gérer les biens de la maison, entre autres, faire les achats, payer les comptes et s’occuper des affaires bancaires.
74 Le frère Alain était devenu le principal collaborateur du frère Léon. Après avoir quitté Cuba, en 1960, le frère Alain deviendra le Dr Henri Alain Liogier, et fera une carrière remarquable, devenant professeur d’université et directeur du Jardin botanique national de Saint-Domingue, en République dominicaine. Par la suite, il sera taxonomiste et directeur du Jardin botanique de l’Université de Porto Rico. Sa liste de publications est impressionnante, avec, entre autres, les volumes de la Flora de Cuba, rédigés avec le frère Léon. Le frère Léon lui a dédié deux espèces : Harpalyce alainii et Paspalum alainii, Marie-Victorin fit de même avec Sabatia alainii et Vaccinium alainii.
75 Marie-Victorin, qui faisait dactylographier ses lettres par sa secrétaire de l’Institut botanique de l’Université de Montréal, signait celles-ci en mettant sous sa signature « Directeur de l’Institut Botanique », n’ajoutant pas qu’il était aussi directeur du Jardin botanique de Montréal.
76 Paper signifie en anglais un article scientifique publié dans un périodique spécialisé.
77 Marie-Victorin profita de ses voyages à Cuba pour enrichir de plantes tropicales les serres de collections du Jardin botanique de Montréal. De 1939 à 1944, il récolta 556 spécimens, pour la plupart indigènes à Cuba. Les végétaux furent expédiés sous forme de bulbes, boutures, rhizomes, semences ou plantes entières. Les récoltes étaient diversifiées : orchidées, xérophytes, épiphytes, fougères, plantes alimentaires, etc. Marie-Victorin effectua ses prélèvements les plus nombreux en 1940 et en 1941, avec 110 et 293 récoltes respectivement. En 1939, le frère Léon et José Perez Carabia, tous deux proches collaborateurs de Marie-Victorin, ont aussi prélevé une cinquantaine de récoltes de la flore indigène cubaine pour le Jardin botanique de Montréal. Grâce aux liens entre Marie-Victorin et l’Atkins Institute of the Arnold Arboretum, une station de recherche de la Harvard University à Cuba, le Jardin botanique de Montréal reçut de cette institution de recherches, de 1939 à 1941, 89 lots de semences de plantes économiques tropicales qui étaient cultivées à Cuba. Au total, 696 récoltes en provenance de Cuba furent intégrées dans les collections du Jardin botanique de Montréal, de 1939 à 1944. De nombreux spécimens de plantes exceptionnelles, certaines devenues rares, contribuent à la richesse des collections du Jardin botanique de Montréal et commémorent son fondateur, Marie-Victorin et ses explorations à Cuba de 1939 à 1944. Les Zamia, des plantes des plus intéressantes, sont associées aux Conifères et représentent des groupes fossiles de quelques centaines de millions d’années. Dans les collections du Jardin botanique de Montréal, nous pouvons toujours admirer Zamia kickxii, Zamia pumila et Zamia pygmaea qui furent récoltées par Marie-Victorin (Stéphane Bailleul, communication personnelle, 29 novembre 2006).
78 « Mon journal de Cuba » est le nom du manuscrit qui deviendra Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba, publiés en trois volumes (Marie-Victorin et Léon, 1942 ; 1944 ; 1956). « La forme adoptée pour ces Itinéraires, qui est celle du Journal de route, est facilement justifiable. Au stade présent d’hominisation de Cuba, l’homme est profondément intégré au milieu naturel. Dans un ouvrage qui veut essayer de rendre justice à la beauté, au charme et à la richesse végétale de la Perle des Antilles, le Journal de route était la meilleure forme possible pour souligner les rapports qui unissent l’homme et la plante […] par la possibilité de fixer, par le texte et la photographie, une multitude d’observations qui, malgré leur importance particulière réelle, se trouveraient élaguées d’un traité systématique » (Marie-Victorin et Léon, 1942).
79 En 1901, en prenant l’habit, Conrad Kirouac hérita directement du double nom de Marie-Victorin, laissé disponible par Joseph J. qui avait quitté l’Institut à 18 ans en 1898 (Communication personnelle du frère Gilles Beaudet, 23 avril 2007). Dans une lettre envoyée à Marcelle Gauvreau, le 15 août 1935, il avait expliqué son nom Marie-Victorin : « C’est aujourd’hui l’Assomption. Je me nomme Marie. C’est ma fête. J’ai été un bien pauvre religieux, il me semble, mais j’ai tenu une résolution prise le 15 août 1901, le jour de ma prise d’habit, de porter toujours bien en évidence le nom de Marie. Aujourd’hui quand presque tout le monde m’appelle non pas Victorin tout court, ni M. Victorin, mais Marie-Victorin, je souris d’aise… » (Marie-Victorin, 2004).
Des années plus tard, certains confrères qui le connaissaient plus personnellement ou depuis plus longtemps, s’adressaient à lui en disant ou en écrivant frère Victorin. Il en était de même du frère Rolland-Germain, le plus précieux collaborateur de Marie-Victorin. Dans la correspondance, le frère Léon a mentionné à quelques reprises le frère Rolland.
80 Mme Geménez Lasnier s’intéressait à l’horticulture et à la botanique. En compagnie du frère Léon, Marie-Victorin avait été reçu chez cette femme influente de la bonne société de La Havane. Il en avait profité pour photographier son très beau jardin privé ; dans son album personnel, il avait retenu quelques-unes de ces photographies en souvenir de son premier voyage. Dans une lettre à Mme Lasnier, rédigée le 15 décembre 1939, pour lui offrir ses meilleurs vœux à l’occasion de « l’époque des Fêtes », Marie-Victorin avait écrit : « Mes sœurs et moi gardons un souvenir très vivace de votre cordiale réception, et je n’exagère rien en vous disant que c’est vous, qui nous avez enseigné à apprécier cette distinguée aristocratie habanaise, que tout le monde ne connaît pas » (Archives de l’Université de Montréal).
81 Élisa Godinez Batista, épouse du président de la République Fulgencio Batista (1901-1973). Le dictateur Batista sera chassé du pouvoir en 1959 par Fidel Castro.
82 Marie-Victorin avait convaincu le gouvernement du Québec, la Ville de Montréal et l’Université de Montréal de loger son Institut botanique dans l’édifice principal du Jardin botanique (de la Ville) de Montréal. En 1990, l’Institut botanique de l’Université de Montréal est devenu l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV).
83 C’est le premier des trois volumes des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba, publié en 1942.
84 À Rangel, dans la province de Pinar del Rio, les frères des Écoles chrétiennes du Collège de La Salle de La Havane avaient une maison de campagne, située dans la Sierra del Rosario.
85 Cté : communauté.
86 p.e. : pointe est ; en effet, Maisi est situé à l’extrémité est de l’île de Cuba.
87 Île des Pins, que Fidel Castro a renommée l’île de la Jeunesse (Isla de la Juventud). Le frère Léon avait amené Marie-Victorin, accompagné de Carabia, visiter cette île du mercredi 22 février au dimanche 26 février 1939. Le frère Alain, fasciné par la flore de cette île, décida d’en faire le sujet d’étude de son doctorat, intitulé Notas taxonómicas y ecológicas sobre la Flora de la Isla de Pinos, Cuba. En 1945, le frère Alain a obtenu son Ph. D. de l’Université de La Havane.
88 Ces fleurs « civilisées » sont des plantes horticoles par opposition aux espèces indigènes.
89 Faire la moue, montrer une certaine réticence. Le frère Marie-Victorin était un religieux dans la communauté des frères des Écoles chrétiennes dont les membres étaient liés par des vœux perpétuels d’obéissance, de pauvreté et de chasteté. Il n’y a pas de doute que son style de vie dérangeait, soit par jalousie ou tout simplement parce que des confrères s’opposaient à de tels écarts par rapport à la vie usuelle dans la communauté. En 1939, il séjourna près de 3 mois et demi à Cuba, alors que le Jardin botanique de Montréal, dont il avait la responsabilité, était en construction et qu’il était toujours directeur de l’Institut botanique de l’Université de Montréal. D’ailleurs, sa propre sœur, mère Marie-des-Anges, s’inquiétait beaucoup de voir son frère s’éloigner ainsi de la vie communautaire. Il se développait de plus en plus d’opposition au sein de la communauté envers les voyages de Marie-Victorin. Un ancien frère des Écoles chrétiennes qui avait beaucoup d’admiration pour Marie-Victorin m’a raconté, sous le couvert de l’anonymat, qu’à sa mort, un frère influent lui avait déclaré : « Il est temps et plus approprié que notre grand malade aille se reposer au Paradis plutôt qu’à Cuba. » Par contre, Cuba aura permis à Marie-Victorin d’avoir l’énergie nécessaire pour faire et gagner de grandes batailles, celles de 1939 à 1942, qui auront menacé son Jardin botanique.
90 L’assistant était le frère Romuald-Hoséa (1872-1955). Sa fonction consistait à aider le supérieur général de toute la communauté des frères des Écoles chrétiennes pour la direction et l’animation de tout l’Institut. De plus, il était responsable d’un certain nombre de districts, dont Montréal. Il était l’autorité suprême, après le supérieur général, sur Marie-Victorin. Heureusement que le visiteur du district (équivalent d’un provincial) pouvait avoir une légère autonomie… et qu’il était sympathique à Marie-Victorin (frère Gilles Beaudet, communication personnelle, 3 janvier 2007).
91 En voyage à Cuba, plus particulièrement à La Havane, Marie-Victorin ne logeait pas dans sa communauté, mais à l’hôtel. Selon Henri Alain Liogier (communication personnelle, 8 septembre 2006), qui fut le frère Alain, Marie-Victorin ne vécut pas au Collège de La Salle. Il ne sut jamais où il se retirait, présumant que c’était dans un hôtel.
92 C’est le premier des trois volumes des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba qu’il ne faut pas confondre avec la Flora de Cuba, le grand projet du frère Léon.
93 Institut botanique de l’Université de Montréal, et pas l’Institut des frères des Écoles chrétiennes.
94 Construire un jardin botanique ne fut jamais un projet facile pour Marie-Victorin, encore moins en ce début de la Deuxième Guerre mondiale. Il avait eu le support du premier ministre du Québec, Maurice Duplessis, mais il craignait que celui-ci perde ses élections prévues pour l’automne.
95 Bohio : « Le bohio, ce rudimentaire abri qui suffit au cubain rural et à sa famille, en cet heureux pays où la maison n’est guère qu’un parasol, le bohio, dis-je, doit tout au Palmier royal » (Marie-Victorin et Léon, 1942). Marie-Victorin exprimait ici l’endroit où il aimerait vivre.
96 Caridad : la Virgen de la Caridad del Cobre, la Vierge de la Charité du cuivre, est la patronne de Cuba qui était fêtée le 8 septembre. « Les origines de ce culte remontent à 1604 ou 1605. Deux jeunes Indiens et un négrillon, allant recueillir du sel dans la baie de Nipe, virent une forme blanche venir à eux, flottant sur les eaux. Ils crurent d’abord que c’était une mouette. Quand ils furent plus près, ils aperçurent une planchette soulevant une image de la Vierge, où on lisait ces mots : “Je suis la Vierge de la Charité.” Avec beaucoup de respect les jeunes gens portèrent la sainte image au “Cobre” (mines de cuivre situées tout près de Santiago) où on lui érigea un sanctuaire. C’est aujourd’hui le grand pèlerinage cubain, Si le véritable esprit catholique laisse un peu à désirer à Cuba, au moins dans sa partie formelle, la Virgen de Caridad del Cobre a la part du lion dans la vie religieuse des Cubains. Son image est partout, dans les maisons, dans les lieux publics, au cou des hommes et des femmes. Il n’est personne ici, si mécréant soit-il, qui ne respecte “la Virgen de la Caridad” » (Marie-Victorin et Léon, 1942).
97 ACFAS : l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences fut fondée en 1923 ; Marie-Victorin, un membre fondateur, fut très impliqué dans cet organisme qui deviendra en 2001 l’Association francophone pour le savoir.
98 Ce fut le premier semestre d’enseignement dans les nouveaux locaux de l’Institut botanique de l’Université de Montréal, qui venait de quitter la rue Saint-Denis pour le Jardin botanique de Montréal.
99 Deux jours après la lettre au frère Léon, le 11 octobre 1939, il écrivit à sa sœur Madame Flavius Lebel, à St-Pascal de Kamouraska : « Nous espérons ici vous voir quelque jour au Jardin Botanique ; à moins que le gouvernement ayant changé, suivant tes désirs, ton frère ne soit exilé quelque part au Brésil – ce qui lui déplairait pas tant que cela. Puisque je touche la situation politique, mon opinion véritable est la suivante : quand bien même monsieur Duplessis serait trois fois plus noir que ne le croient ceux qui regrettent le lait et le miel de la période Taschereautiste, ce serait le devoir des Canadiens français conscients de ce qui pèse sur eux de voter pour lui. Si la province de Québec renverse le gouvernement Duplessis à ce moment, c’est la fin de tout. Nous aurons la conscription, nous ajouterons la banqueroute de guerre à la banqueroute duplessiste (au moins suivant la prétention de ses ennemis) et nous mériterons l’une et l’autre. […] Hitler est probablement un grand menteur, je n’ai aucune objection à le concéder, mais si tu lis les déclarations d’Ernest Lapointe durant l’année qui vient de s’écouler et si tu les compares à son attitude présente, cela n’est pas beaucoup mieux. »
Trois semaines plus tard, le 31 octobre 1939, il a écrit à nouveau à sa sœur Laura : « Comme tout le monde, j’ai entendu dire que Maurice Duplessis a perdu le pouvoir. Naturellement je ne partage pas ton enthousiasme de ce que “la province de Québec ne passera pas, aux yeux du monde entier, pour une réserve de sauvages, se désintéressant des dangers que court le monde entier”. […] Pour ce qui me concerne, je n’ai aucune inquiétude pour mes grandes entreprises, si j’en ai pour les petites. J’ai la plus grande estime personnelle pour monsieur Godbout, et j’aurai des amis très sûrs dans le nouveau ministère. Le Jardin botanique va continuer tout comme précédemment […]. Je désire ardemment que mon ami, Bernard Bissonnette, devienne secrétaire provincial. J’espère qu’on ne nous repêchera pas, avec une gaffe, cette épave d’Athanase David. » Bernard Bissonnette, député et président de l’Assemblée nationale, alors désigné comme orateur de la chambre, aida politiquement Marie-Victorin lorsque Duplessis perdit le pouvoir, recréant des ponts avec le nouveau gouvernement libéral (Bernard Bissonnette [1898-1964] était l’oncle et le parrain d’André Bouchard).
Ces lettres de Marie-Victorin à sa sœur Laura, déposées aux Archives de l’Université de Montréal, se retrouvent dans le Fonds Jules-Brunel (P149) plutôt que dans le Fonds de l’Institut botanique ; frère Marie-Victorin (E118). Il est probable que Jules Brunel qui a succédé à Marie-Victorin à la direction de l’Institut botanique à sa mort en 1944, a préféré les soustraire des filières du secrétariat compte tenu des opinions politiques exprimées par le fondateur du Jardin botanique de Montréal. Par contre, Jules Brunel a voulu qu’elles parviennent aux chercheurs intéressés par la vie et la carrière de Marie-Victorin en les conservant dans ses archives.
100 William Seifriz (1888-1955) avait obtenu son Ph. D. de la Johns Hopkins University en 1920 et fut professeur à la University of Pennsylvania, de 1925 jusqu’à sa mort. Grand spécialiste du protoplasme végétal (composé chimique complexe et variable qui constitue l’essentiel de la cellule vivante), il fut aussi un phytogéographe de renommée. Son article « The Plant Life of Cuba », publié en 1943 dans Ecological Monographs (vol. 13, no 4 : 375-426) est un ouvrage de première importance pour comprendre la végétation de Cuba. Après avoir reconnu neuf grands paysages naturels, allant de la côte à la végétation alpine en passant par les savanes et les forêts, Seifriz a fait une analyse écologique et biogéographique très bien structurée. Dans son article, il a ainsi reconnu l’aide essentielle du frère Léon: « No thorough account of the plant life of Cuba could be written today without the cooperation of the Island’s foremost botanical scholar, Hermano León », avec qui il fit la majorité de ses expéditions. Au début des années 1940, avec une approche très différente, Marie-Victorin était à rédiger et à publier ses Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba. Il avait opté pour une rédaction sous forme de compte rendu quotidien, comme un journal ou une relation de voyage. D’ailleurs, Seifriz a mentionné cet ouvrage dans son article: « The only full presentation of the plant life of Cuba with an ecological flavor is the delightful account given by frère Marie-Victorin and Hermano León (1942) in their book, « Itinéraires Botaniques dans l’Île de Cuba ». A second volume is to follow. »
101 En raison de la guerre, l’aviation voulait utiliser les terrains et le pavillon du Jardin botanique de Montréal. Trois jours plus tôt, le 18, il avait écrit à sa sœur, mère Marie-des-Anges à ce sujet : « L’archevêque de Montréal voulait simplement éviter d’avoir les soldats dans le bâtiment désert de l’Université de la montagne » (Marie-Victorin, 1969). Gilles Beaudet a ajouté cette note : « En raison de la guerre, l’aviation avait jeté son dévolu sur les terrains et le pavillon du Jardin botanique, après avoir été écartée de l’Université de Montréal par Mgr Gauthier. Honoré Parent sauva le Jardin en trouvant un autre emplacement propice à l’aviation » (dans Marie-Victorin, 1969). Le 31 janvier, Marie-Victorin a écrit à nouveau à sa sœur à ce sujet : « Ne crains rien. Le Jardin sera béni quand il sera terminé, mais l’Institut a été béni pieusement devant les élèves en septembre. Malheureusement, ce sont ceux qui l’ont béni qui voulaient le livrer à l’ogre. Tu vois que le diable n’est pas toujours celui qu’on pense. »
102 Le principal collaborateur de frère Léon à Cuba, José Perez Carabia, voulait réorienter sa carrière, en travaillant à l’étranger, plus particulièrement au Jardin botanique de New York. Au moment de cette lettre, il y avait trois projets distincts qui pouvaient être en compétition : a) le catalogue de la flore de Cuba, initié par Nathaniel Lord Britton, le fondateur du Jardin botanique de New York, en collaboration avec le frère Léon ; b) la flore de Cuba que le frère Léon voulait faire lui-même ; et c) les Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba, rédigés par Marie-Victorin et le frère Léon. Le travail de liste pouvait servir autant au catalogue qu’à la flore en préparation par le frère Léon. Par contre, Marie-Victorin, en bon éducateur, se demandait s’il n’était pas plus pertinent qu’il obtienne une formation plus adéquate.
103 À cette époque, il était usuel de désigner une femme par le seul nom de son mari. Honoré Parent était le directeur des services de la Ville de Montréal. Il a joué un rôle de premier plan dans la réalisation du grand projet de Marie-Victorin, le Jardin botanique de Montréal.
104 Mme Frances Bueno (Señora Alberto Bueno) travaillait au American Photo Studios, au 43, Neptuno, à La Havane, et résidait au 1004, Calzada, entre les rues 10 et 12, dans le quartier de Vedado. Quelques lettres, conservées aux Archives de l’Université de Montréal, nous renseignent sur les rapports entre Marie-Victorin et Mme Bueno. Alors qu’elle était en voyage à New York et à Rochester pour visiter la compagnie Kodak, elle lui avait écrit en mai 1939 : « I must thank you heartly for all the pleasure your books brought to me. Of course we miss you! I miss to the kind blue eyes of the French Canadian who loves my country, and I do hope your next trip to Cuba will be a reality soon. […] I have seen our mutual friend Carabia sometimes and always begged of him to write a line for me. » Le 23 juin 1939, Marie-Victorin lui avait répondu : « Vous devez être revenue maintenant derrière votre petit comptoir dans la rue étroite, et vous vous dévouez sans doute de nouveau à servir les touristes difficiles qui veulent obtenir de belles photographies avec de mauvais négatifs. » Le 14 décembre de la même année, il lui avait écrit : « Sous les neiges canadiennes, je n’oublie pas le charme de la Havane et de ma petite promenade quotidienne, matinale, à la rue Neptuno. Quand je ne suis pas là, je me demande qui est-ce qui peut bien vous apporter continuellement des photographies de mauvaises herbes. » L’année suivante, le 30 novembre 1940, il lui fait part de son intention de retourner à La Havane: « I will write to Brother Léon to know whether he will be available to go in the field. Although the climate of Habana is wonderful for me, I cannot stay doing nothing, as you know. You are much too kind to say that you missed me over there, and that I have left friends with you. I am very much surprised at that: I think I am not more attractive in the Tropics than in the Temperate Zone. »
En 1942, Marie-Victorin demanda à sa correspondante de faire enquête sur un jeune Cubain qui voulait épouser une Canadienne française: « They are just anxious to know whether the boy is not already married and if he is pure white… » Une semaine plus tard, Mme Bueno avait envoyé son rapport: « I have the pleasure to inform you that, according to good, reliable information our young Mr E. is single and pure white, including father and mother, although people who know him well, explained that he is short, on the fatty side, his hair quite curly and spends all his spare time at the beach, acquiring that beautifull sun tan… » Cette correspondance avec Mme Bueno témoigne de l’importance que Marie-Victorin accordait à tisser des liens d’amitié, sur une base personnelle, avec ses amis et collaborateurs.
105 Il s’agit probablement de l’Institut botanique de l’Université de Montréal puisque Marie-Victorin poursuit sa lettre avec le Jardin botanique de la Ville de Montréal. Par contre, on ne peut écarter la possibilité que ce soit l’Institut des frères des Écoles chrétiennes.
106 Guagua est un autobus. Selon Henri Alain Liogier (communication personnelle, 3 septembre 2006), le frère Léon n’a jamais eu de permis de conduire. Il devait donc être affecté ou à la coordination des autobus ou à l’accompagnement des étudiants entre leur domicile et le Collège. Marie-Victorin aurait préféré que son correspondant utilise son précieux temps à faire ses travaux de botanique.
107 Il faut replacer cette lettre dans le contexte du début de la Deuxième Guerre mondiale, alors que bien des volets de ce conflit n’étaient pas encore connus. Comme la majorité des Canadiens français de l’époque, Marie-Victorin était opposé à la conscription et partageait les valeurs traditionnelles que représentait le maréchal Pétain.
108 Elmer Drew Merrill (1876-1956) : son diplôme de M.Sc. de la University of Maine fut la dernière étape de sa formation universitaire. Grand spécialiste de la flore de l’Orient et de l’Océanie, il deviendra directeur du Jardin botanique de New York, de 1929 à 1935, tout en étant professeur de botanique à la Columbia University. C’est pendant cette période qu’il a suggéré à Marie-Victorin de retenir les services d’Henry Teuscher (1891-1984), horticulteur et architecte paysagiste, pour faire les plans du Jardin botanique de Montréal. Par la suite, Merrill est devenu professeur à la Harvard University et directeur de son Arnold Arboretum, de 1935 à 1946. Lors des séjours de Marie-Victorin à Cuba, de 1938 à 1944, Merrill était fortement impliqué dans l’administration de l’Atkins Institution of the Arnold Arboretum, filiale de la Harvard University, établie à Soledad, près de Cienfuegos (Cuba). Le frère Léon avait écrit à Merrill que cette collaboration avec Marie-Victorin pour les Itinéraires l’avait aidé pour visiter des localités distantes et intéressantes tout en lui permettant de mieux connaître les plantes de l’île ; par contre, cela lui prenait beaucoup de son temps, ce qui avait retardé sa Flora de Cuba.
109 Thomas Barbour (1884-1946) : né à Martha’s Vineyard, au Massachussetts, il obtint trois diplômes (B.A., M.A. et Ph. D.) de la Harvard University. Il fut directeur, de 1927 à 1946, du Museum of Comparative Zoology de son alma mater. Indépendant de fortune, il fit de nombreux voyages d’explorations autour du monde. Parlant couramment l’espagnol, il fut nommé Custodian de l’Atkins Institution of the Arnold Arboretum, filiale de la Harvard University, en 1927. Aussi, il aimait à effectuer un séjour annuel, pendant l’hiver, à Soledad, Cuba. Sa stature était remarquable ; on rapporte qu’il mesurait 6’6” et qu’il pesait près de 300 livres. Grand spécialiste des reptiles et des amphibiens, connaisseur des oiseaux, il fut l’auteur de nombreux ouvrages. En 1945, l’année suivant celle de la mort de Marie-Victorin, il publia A Naturalist in Cuba (Boston, Little, Brown and Company). Barbour écrivit ce livre dans un style très personnel et pour le grand public. Il mentionne le frère Léon à quelques endroits et de façon très élogieuse, par exemple: « These [les différentes espèces de palmiers] have been straightened out after long confusion by the taxonomic studies of Brother Léon, that erudite, charming, and urbane botanist, affectionate and modest in the face of the many honors which have been bestowed upon him. Like so many of his colleagues among the Christian Brothers, he is the beau ideal of the ecclesiastical man of the world… Then Brother Léon at the Colegio de la Salle, although originally from France, has been in Cuba so many years that everyone has forgotten his homeland, and if I called him the dean of the Spanish-speaking botanists of the world, who would say me nay? » Les 13 chapitres du livre de Barbour relatent ses découvertes et ses observations de la faune, plus particulièrement les reptiles et les amphibiens, les oiseaux, les chauves-souris et les mammifères ; quelques autres chapitres, très intéressants, portent sur les Cubains ou l’agriculture. Enfin, il avait consacré tout un chapitre au Jardin botanique de Soledad, présentant son fondateur Edwin F. Atkins et exposant l’aménagement de cet emplacement. Quelques courts extraits nous montre son attachement: « I suspect that I am the only living American naturalist who visited all parts of the island again and again, for I am not only a Cuban by adoption, but a devoted friend of the land and its people. How many times I have been there since my first visit in 1908 I cannot remember, but I must have made at least thirty separate visits… This Garden should be known far better to plant lovers than it is… It is not generally realized even among Harvard alumni that the university has a tropical outpost which is one of the great botanical collections of the world… I have never been to Soledad without wishing that the years might be rolled back and that I might again be a young man seeing Cuba for the first time… My memories of Harvard House [un pavillon du Jardin botanique de Soledad] and the garden at Soledad stand among those at the very top on the list of all those which I hold treasured most affectionately… Such are the memories which haunt me now with an all-pervading aura more keenly since it has become clear that I shall never enough to go to the tropics again. »
110 Atkins Institution of the Arnold Arboretum, filiale de la Harvard University, établie à Soledad, près de Cienfuegos (Cuba). En 1899, Edwin Atkins, un riche industriel des États-Unis dans le domaine du sucre, fonda la Harvard Experiment Station in Cuba. À ses débuts, les activités de recherche étaient concentrées sur la canne à sucre. Tous les travaux et les dépenses étaient à la charge d’Atkins, propriétaire de la Soledad Sugar Company. La station de recherche va devenir un véritable jardin botanique, jouissant du support de fonds dédiés par Atkins à la Harvard University. Après la mort d’Edwin Atkins, en 1926, sa veuve va poursuivre l’œuvre. De 1932 à 1946, l’administration fut confiée à l’Arnold Arboretum. La Harvard University utilisera l’institution pour ses cours et de la recherche en botanique tropicale. Après la révolution de 1959, il deviendra le Jardin botanique de Soledad, près de Cienfuegos.
111 Dans cette lettre, il avait annoncé son arrivée pour un quatrième séjour. Il sera à Cuba du 15 février au 15 mai 1941, donc pendant trois mois. La date du 15 mai 1941 provient de l’introduction du premier volume des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba. Par contre, dans le deuxième volume, à la page 345, il y a une entrée pour mardi le 20 mai 1941.
112 Le « petit trésor » reste inconnu, mais Marie-Victorin savait entretenir de bonnes relations avec ses supérieurs et tous ceux qui pouvaient l’aider dans la poursuite de son œuvre d’enseignement et de recherche.
113 Les trois volumes des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba ont été entièrement rédigés par Marie-Victorin, sauf le chapitre « Aperçu phytogéographique » du premier tome. Dans l’introduction, il est écrit : « Le texte (sauf l’exception que l’on vient d’indiquer) a été rédigé par frère Marie-Victorin, qui sera désigné lorsque la première personne du singulier sera employée. Mais il est bien entendu que frère Léon, qui a fait d’ailleurs de nombreuses retouches au manuscrit, est la source principale des jugements taxinomiques portés à chaque page de cet ouvrage. Les photographies, sauf indication contraire, sont du frère Marie-Victorin. »
114 Pour le frère Léon et Marie-Victorin, il s’agit d’une période très productive en écriture sur la flore et la végétation de Cuba. Alors que Marie-Victorin fait seul la rédaction des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba, mais avec une incontournable assistance technique du frère Léon, ce dernier entreprend la rédaction de sa Flora de Cuba. Les Itinéraires donnent une perspective écologique et ethnobotanique, alors que la Flora de Cuba constitue un ouvrage beaucoup plus technique présentant de façon systématique les différentes espèces.
115 Un mois plus tard, le 23 mars 1941, Marie-Victorin avait écrit au frère Visiteur : « Mon cher frère Visiteur, je ne sais comment m’excuser d’avoir été ici un mois sans vous donner de mes nouvelles. La vérité est que j’ai pris une grippe en arrivant et que je suis resté plus ou moins bien travaillant assez peu et essayant de suivre le conseil du frère Claude : vivre en vieux. Quand je lis sur les journaux l’hiver terrible qu’il a fait au Canada, je pense que je n’aurais pu résister. Songez qu’ici, quand on ne se sent pas bien, on peut tout de même vivre au soleil extérieur, dans une chaise, dans un air toujours renouvelé, et c’est bien quelque chose. Je me suis mis entre les mains d’un très bon médecin et j’ai subi un examen complet pour savoir où j’en suis » (lettre citée dans Rumilly, 1949).
116 Roger Gauthier (1906-1982) : fut professeur à l’Institut botanique de l’Université de Montréal. J’ai eu la chance de beaucoup discuter avec lui de l’histoire de l’Institut et du Jardin botaniques de Montréal ainsi que de Marie-Victorin ; il m’a raconté que ce dernier, conscient des grandes tensions entre ses principaux collaborateurs, Jules Brunel, Jacques Rousseau et Henry Teuscher, prenait soin de les avertir de son retour, leur donnant le temps de « mettre de l’ordre dans la maison avant son arrivée ». Pour la gestion du Jardin, il faisait confiance au sous-directeur du Jardin, Jacques Rousseau (1905-1970) et à son horticulteur en chef Henry Teuscher (1891-1984), qui deviendra par la suite le conservateur du Jardin botanique de Montréal. Pour l’Institut botanique de l’Université de Montréal, il pouvait compter sur son sous-directeur, Jules Brunel (1905-1986). D’ailleurs, après la mort de Marie-Victorin, en 1944, la mésentente va s’installer entre eux, paralysant à bien des égards le développement du Jardin et de l’Institut (Bouchard, 1998). De Cuba, il envoyait régulièrement des lettres à Jules Brunel, en lui demandant d’en faire la lecture lors des cafés traditionnels de l’Institut, se rendant ainsi présent à ses collègues.
117 Un type est le spécimen qui a servi à faire la description d’une nouvelle espèce. Étant donné qu’il constitue la base de référence pour les interprétations ultérieures, il doit être conservé de façon particulière dans un herbier. Les grands herbiers des grandes institutions, telles que le Jardin botanique de New York, sont reconnus pour la richesse de leurs collections de spécimens types.
118 Les « galées » proviennent de l’expression anglaise galley proof. À l’époque, l’imprimeur faisait une épreuve qui était un texte imprimé tel qu’il sortait de la composition. L’auteur devait la vérifier et y apporter ses corrections. Par ailleurs, il arrivait souvent que l’éditeur n’appréciait pas les ajouts ou les modifications que l’auteur voulait faire.
119 Le 8 juin 1941, Marie-Victorin prononça une allocution lors du repas qui suivit la première messe de son neveu, l’abbé Gontran Lebel. Il rappela alors que son père eût préféré qu’il devînt prêtre plutôt que frère des Écoles chrétiennes, mais que ses souhaits étaient enfin exaucés avec l’ordination de son petit-fils. Le père de Marie-Victorin avait invité à la maison deux pères oblats de Marie-Immaculée pour tenter de le faire changer d’idée. Marie-Victorin ne rentra pas à la maison ce soir-là avant que les deux pères n’eussent quitté le domicile familial. Il raconta dans son allocution : « Qui pourrait me blâmer ? Que vouliez-vous que je fasse, un contre trois, contre mon père, et contre deux théologiens qui m’auraient prouvé en cinq secs que je ne connaissais rien à l’affaire, et que Dieu me voulait indubitablement au juvénat d’Ottawa ? Vous pensez peut-être que je suis plus aguerri aujourd’hui et que je saurais défendre même contre le Jésuite le plus subtil le droit d’embrasser une vocation plus humble que celle du sacerdoce. Peut-être ! » (Marie-Victorin, 1969).
120 Frère Cyprien (1909-1971) : en 1941, le frère Cyprien (Conrad Gagnon, né à Hull, Québec), qui avait enseigné dans quelques institutions comme le Collège Mont-Saint-Louis, sis rue Sherbrooke, à Montréal, a entrepris une carrière de missionnaire à Cuba. Après cette première assignation à Cuba, de 1941 à 1946, il œuvra aussi au Nigeria de 1956 à 1960. Enfin, il fit des séjours plus courts en Guadeloupe et au Bénin. Il mourut au Québec (communication personnelle, frère Gilles Beaudet, 1er novembre 2006). À bien des égards, les religieux missionnaires du Québec furent les premiers à sensibiliser notre société aux dimensions internationales.
121 Lors de ses explorations à travers l’île de Cuba en 1939 et 1940, Marie-Victorin avait vu et entendu des manifestations politiques de la part de contestataires. Il faut se rappeler que Cuba vivait alors une certaine effervescence politique. Tout comme il a relaté dans les Itinéraires des réflexions sur la vie des paysans, il avait l’intention de le faire sur certains aspects politiques. Le frère Léon et son supérieur du Colegio de La Salle firent retirer ces passages. Cette lettre de la fin de janvier 1941 et quelques-unes qui suivent nous indiquent comment s’est effectuée cette censure. Quelques passages plutôt anecdotiques ont toutefois survécu.
122 José Martí (La Havane, 1853 – Dos Rios, 1895) : l’UNESCO a donné son nom à son prix international destiné à récompenser une activité particulièrement méritoire qui est en conformité avec ses idéaux. « Dès sa prime jeunesse, José Martí milita, en actes et en écrits, pour l’indépendance de Cuba, l’unité des pays d’Amérique latine et des Caraïbes et l’idéal de la concorde universelle. Ses idées lui valurent d’être emprisonné, torturé et exilé en Espagne, où il fréquenta les Universités de Madrid et de Saragosse. Pèlerin par la force des choses, il parcourut l’Europe, les États-Unis d’Amérique et l’Amérique latine. Premier journaliste d’Amérique latine à travailler comme correspondant de presse, il fonda plusieurs périodiques et revues. Les 28 volumes de son œuvre illustrent les multiples facettes de l’activité intellectuelle hors pair de celui qui fut poète, éducateur, diplomate, tribun et idéologue de la révolution. José Martí fit le sacrifice de sa vie pendant la guerre d’indépendance de Cuba contre l’Espagne de 1895 » (<http://portal.unesco.org> ; consulté le 19 janvier 2007).
123 Le frère Léon était préoccupé par trois sujets abordés par Marie-Victorin : la politique, la religion et la question raciale. Comme Marie-Victorin travaillait avec le support de son équipe de l’Institut botanique de l’Université de Montréal, le frère Léon mit avec cette lettre une note confidentielle qui probablement concernait des considérations religieuses.
124 Marie-Victorin était un lecteur assidu du quotidien Le Devoir (fondé en 1910 par Henri Bourassa [1868-1952]), qu’il tenait à recevoir même à Cuba. Le Devoir avait procuré une bonne tribune à Marie-Victorin lui permettant de faire la promotion de ses idées, surtout sur l’enseignement et la recherche universitaires. Enfin, ce quotidien a soutenu le Jardin botanique de Montréal, en particulier grâce aux reportages du journaliste Louis Dupire (1887-1942).
125 Richard A. Howard (1917-2003) : obtint sa M.A. et son Ph. D. de la Harvard University. Alors qu’il était étudiant à Harvard, il fit sa première visite à Cuba, grâce au Jardin botanique de Soledad. Il fut assistant-conservateur du Jardin botanique de New York, puis professeur de botanique à la University of Connecticut. Il publia la Flora of the Lesser Antilles (1974-1989), en six volumes. En 1954, il fut nommé directeur du Arnold Arboretum (Harvard University), Jamaican Plain, Massachussetts, position qu’il a occupée pendant 25 ans. Il voulait collaborer avec le frère Léon, en reprenant peut-être la même approche que Nathaniel Lord Britton : un chercheur avec une solide formation universitaire qui structure et dirige un projet à distance en s’assurant les services d’un botaniste de terrain des plus expérimentés. Entre le frère Léon et Howard, il n’y eut pas de collaboration menant à des publications.
126 Avec ces quelques lignes, le frère Léon montre la compétition entre les différents projets : le Catalogue of the Flora of Cuba, signé par « N. L. Britton, Percy Wilson and Brother Leon », sa Flora de Cuba et le deuxième volume des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba qu’il préparait avec Marie-Victorin. Il était contrarié de constater que Carabia, son ancien collaborateur devenu un compétiteur, travaillait à mettre à jour le fameux Catalogue initié par Britton. Il craignait alors que sa Flora de Cuba ne soit publiée qu’après ce Catalogue qui avait pourtant été délaissé depuis plus de 10 ans. Enfin, la Flora de Cuba fut publiée en cinq volumes, éclipsant le Catalogue, mais seulement après le deuxième volume des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba.
127 L’état de la religion catholique à Cuba était le deuxième sujet, après la vie politique, que le frère Léon voulait censurer.
128 Enfin, le troisième sujet de la censure demandée était la composition raciale de Cuba. On pourrait peut-être percevoir dans les propos du frère Léon un certain racisme.
129 Le tiré à part est une réimpression d’un article publié dans un périodique scientifique. Les chercheurs se servaient de ces tirés à part pour les échanger entre eux afin de se constituer une collection documentaire.
En juillet 1941, le frère Léon publia « Cnidoscolus y Victorinia : gen. nov. en Cuba y Española » (Sociedad Cubana de Historia Natural Felipe Poey, La Havane, vol. 15, no 2 : 235-243). Dans cet article, le frère Léon avait écrit que ce nouveau genre Victorinia était dédicacé au révérend frère Marie-Victorin, auteur d’ouvrages importants en botanique, directeur fondateur de l’Institut botanique et du Jardin botanique de Montréal, avec lequel il avait récolté et étudié l’espèce type de ce nouveau genre remarquable. L’espèce type de ce nouveau genre est Victorinia regina (Léon) Léon, de la famille des Euphorbiacées. Cette espèce endémique de Baracoa, dans la partie est de Cuba, est rare et menacée, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (2006).
130 Un franc parleur.
131 En 1920, Marie-Victorin avait publié Croquis laurentiens, édité par l’Imprimerie des frères des Écoles chrétiennes. L’ouvrage de 164 pages, illustré par Edmond-J. Massicotte, comprend plusieurs chapitres : Longueuil, au seuil des Laurentides, les collines montérégiennes, la Côte sud (le lac des Trois-Saumons, le Rocher Panet, et la pointe-des-Monts), le Témiscamingue, l’île-aux-Coudres, Anticosti, et trois chansons (des Liards, des ormes et de la neige). Dans ces écrits, Marie-Victorin avait peint, dans un style très personnel, les paysages et les habitants de ces régions laurentiennes. Il avait commencé à le faire aussi pour Cuba, avec une approche semblable.
Dans les Archives de l’Université de Montréal, il y a effectivement un manuscrit intitulé « Images cubaines » et certains de ces textes se retrouvent aussi dans une autre chemise sous le nom de « Croquis cubains » du Fonds Jules-Brunel. La page couverture de « Images cubaines » par Marie-Victorin est datée de 1946, soit deux ans après sa mort. Ce manuscrit ne fut pas publié. Il est fort probable que ce recueil de textes n’était pas la version définitive de l’ouvrage prévu par Marie-Victorin. La plupart des textes émanent d’écrits déjà publiés partiellement dans les Itinéraires et noyés dans cet ensemble destiné à un public très restreint. Les « Images cubaines », rédigées avec le très beau style de Marie-Victorin, rappellent l’élégance de ses « Croquis laurentiens », mais ne consignent pas des perceptions ou des impressions qu’il aurait retirées de ses manuscrits des Itinéraires. Ces beaux textes sont : « La Havane sous les fleurs », « Cuba à vol d’oiseau », « Au dessus de la Maestra », puis un ensemble sur des villes et villages (Baracoa, Trinidad de Cuba, Mendoza et Marabu, À la centrale Pilon, Le village fleuri de Caimito, La fête de Marti à Pinar del Rio, Le jour de l’an à Manzanillo), deux contributions sur la vie religieuse (« Deux madones » et « Digna Caridad »), quelques plantes (« Le vieux de la montagne », « Le Ceiba », « Mendoza et le Marabu », « La Canne à sucre », « La Palma real », « Le Saman », « Le Palmier ventru »), et enfin des paysages (« La sierra des Colonnes », « À la loma del Gato », « La Passe des vents »).
132 Pascuas de Natividad est la fête de Noël.
133 Dans la préface, datée du 15 janvier 1942, de la première série Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba, il est écrit : « La publication en a été rendue possible grâce à une subvention offerte par l’Atkins Institution of the Arnold Arboretum, filiale de l’Université Harvard, établie à Soledad, près de Cienfuegos (Cuba). » Les noms de Mme Edwin F. Atkins et du Dr Thomas Barbour ne sont pas mentionnés dans la préface ; par contre, sur la première page il est écrit : « À madame Edwin F. Atkins, insigne bienfaitrice de la science, les auteurs dédient cet ouvrage destiné à faire mieux connaître la flore merveilleuse de la perle des Antilles. »
134 En 1941, Radio-Canada avait créé Radio-Collège, une émission radiophonique de vulgarisation, qui avait connu un grand succès. Marie-Victorin en avait profité pour lancer la série La cité des plantes, à laquelle lui ou ses collaborateurs tels Jacques Rousseau ou Auray Blain participaient en présentant leurs sujets favoris.
135 Cette conférence publique fut donnée dans le très bel Auditorium Henry-Teuscher (1891-1984), du Jardin botanique de Montréal. Grand communicateur, conscient que ses Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba n’allaient être lus que par peu de spécialistes, il fit quelques présentations, généreusement illustrées de ses diapositives.
En 1939, Marie-Victorin avait aussi préparé une grande conférence intitulée « Sous le soleil de Cuba », illustrée de plus de 140 diapositives. Le texte de 68 pages, conservé aux Archives de l’Université de Montréal, donne les numéros des diapositives et leurs commentaires correspondants. Marie-Victorin présente Cuba, de Pinar del Rio, à l’ouest, jusqu’à Maisi, à l’extrémité est. Le texte est basé sur ses deux premiers séjours de 1939, ne présentant pas encore la « sierra de Nipe » et le « pays de Moa », deux territoires qui deviendront des plus importants à la suite de ses explorations subséquentes. Il avait écrit : « D’une collection de 600 kodachromes, faites durant quatre mois de séjour, je ne retiendrai que certains documents plus caractéristiques, et qui peuvent être d’intérêt pour la Biologie au sens le plus large, m’attachant particulièrement à la plante, à l’homme, et aux rapports entre l’homme et la plante. L’écologie végétale, l’écologie humaine : avec ses yeux-là, si vous le voulez bien, nous interrogerons cette vaste terre insulaire qui, si on la couchait dans la vallée laurentienne, s’étendrait depuis Ottawa jusqu’à Gaspé. » Il a probablement redonné cette conférence après son troisième séjour de 1940, car les 600 kodachromes sont biffés pour 1 200 et quatre mois pour six. Dans cette conférence surtout sur les plantes et la végétation en rapport avec l’assise rocheuse, il avait donné une grande importance aux variations raciales, l’illustrant avec des diapositives.
136 Index Kewensis : depuis 1885, le Jardin botanique de Kew (Kew Gardens, ou Royal Botanic Gardens, à Kew), près de Londres au Royaume-Uni, a indexé les noms des plantes à fleurs, au niveau des genres et des espèces. Ceux-ci avaient fait l’objet de publication depuis 1753. Ces informations étaient alors rendues disponibles grâce à une série de volumes reliés, avec des suppléments. Cet outil indispensable pour la recherche, avec deux autres index, Gray Card Index et Australian Plant Names Index, sont maintenant disponibles grâce au International Plant Names Index (IPNI). Ce dernier peut-être consulté en ligne à <www.ipni.org>.
137 Luis René Rivas : avait en quelque sorte remplacé Carabia, comme aide du frère Léon. Par contre, il ne fut pas un véritable collaborateur sur le plan scientifique, comme le furent José Perez Carabia et surtout le frère Alain : il avait surtout assumé des tâches techniques. Selon Henri Alain Liogier (communication personnelle du 3 septembre 2006), il avait parfois accompagné le frère Léon dans ses explorations et a aussi été le chauffeur de Marie-Victorin.
138 Smalah ou plutôt smala : d’origine arabe, ce mot veut dire un ensemble de tentes abritant la famille et, par extension, la trimbalée d’enfants de Luis René Rivas.
139 Carlos de la Torre y de la Huerta (1858-1950) : un peu comme Marie-Victorin au Québec, un nom très connu à Cuba. Né à Matanzas, il fit une carrière remarquable comme chercheur, professeur et administrateur. Il avait obtenu son doctorat en sciences naturelles de l’Université de Madrid en 1883 avec une thèse sur la distribution géographique des mollusques de Cuba et leurs relations avec les terres voisines, et décrit un grand nombre de nouvelles espèces terrestres de mollusques de Cuba. Il fut professeur, doyen et recteur de l’Université de La Havane. Sa carrière lui amena plusieurs distinctions ; mentionnons un doctorat honoris causa de la Harvard University, sa nomination à la Légion d’honneur française et l’obtention de la Grande Croix de l’Ordre national de Carlos Manuel de Céspedes, la plus grande distinction conférée par l’État cubain à ses concitoyens (Alvarez Conde, 1958). Grand spécialiste des mollusques, il s’intéressait aussi aux autres disciplines des sciences naturelles. En 1916 avec le frère Léon, il avait accompagné Britton lors de l’une de ses explorations de Cuba. À Holguín, le Musée d’histoire naturelle le commémore (Museo de Historia Natural Carlos de la Torre y Huerta).
140 Kola : substance extraite des graines du kolatier (Cola nitida), un arbre originaire d’Afrique occidentale qui aurait été introduit dans les Antilles par les esclaves. Ce fortifiant, dû aux alcaloïdes comme la caféine et la théobromine, est utilisé pour ses effets potentiellement bénéfiques sur les systèmes musculaires et nerveux. Il ne faut pas confondre kola et coca, de même que son dérivé, la cocaïne. La coca provient des feuilles d’un arbuste (Erythroxylon coca) de l’Amérique du Sud. Depuis des millénaires, les Indiens de ces régions mâchent les feuilles du cocaïer pour supporter des conditions difficiles de la vie ou du travail ainsi que pour participer à certains rituels. Par contre, l’utilisation de la cocaïne, un extrait des feuilles de coca, est plus récente. L’utilisation de la coca fut encouragée à une certaine époque. En 1894, le célèbre cardinal Armand Lavigerie, fondateur des pères blancs d’Afrique, avait écrit : « Venue d’Amérique, votre coca donne à mes Pères blancs, fils d’Europe, la force de civiliser l’Asie et l’Afrique » (Jean Basile, Coca et cocaïne, Montréal, Éditions de l’Aurore, 1977). Évidemment, Marie-Victorin ne cherchait en rien à encourager son collègue à se réfugier dans la kola, un tonifiant naturel, encore moins dans la coca, et certainement pas dans la cocaïne.
141 Le frère Léon avait alors près de 70 ans et Marie-Victorin un peu plus de 55 ans. Pour bien comprendre leurs très nombreux commentaires sur leur santé, il convient de rappeler que le frère Léon jouissait encore d’une santé robuste pour son âge qui lui permettait d’effectuer de nombreuses excursions demandant beaucoup d’efforts physiques. Par contre, il avait des difficultés avec ses jambes. Par ailleurs, Marie-Victorin était de santé fragile. Au moment de ses séjours à Cuba, et il en était ainsi au Québec depuis déjà plusieurs années, il accompagnait ses collaborateurs, ne s’éloignant pas beaucoup du véhicule qui le transportait. Pendant que ses collaborateurs « faisaient du terrain », il en profitait pour rédiger ses notes de voyage.
142 Ce désir d’établir une collaboration avec le frère Léon donne un éclairage additionnel pour mieux apprécier les commentaires plutôt négatifs du chercheur universitaire, Richard A. Howard, publiés en 2000, qui suggérait que la Flora de Cuba du frère Léon n’était qu’une traduction de l’anglais à l’espagnol du Catalogue of the Flora of Cuba initié par Nathaniel Lord Britton.
143 Éminemment valable.
144 Marie-Victorin encourageait alors le frère Léon à essayer d’obtenir de l’aide financière pour sa Flora de Cuba, tandis que ce dernier s’inquiétait que celle-ci aurait pu nuire à leur projet en commun de publier un deuxième volume des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba.
145 À la dernière page, il est écrit : Achevé d’imprimer aux Éditions du Richelieu, à St-Jean, le trentième jour de janvier, mil neuf cent quarante-deux.
146 Par cette phrase, le frère Léon n’avait fait que taquiner Marie-Victorin en imaginant une distinction virtuelle. En d’autres mots ; « Si j’ai mérité une telle nomination à l’Arboretum Arnold de la Harvard University, vous, après avoir publié le premier volume des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba, auriez dû recevoir une distinction encore plus importante. »
147 Marie-Victorin continue, sans commentaire, sa correspondance en français.
148 Ignatz (Ignatius) Urban (1848-1931) : né à Warburg, en Allemagne, il étudia aux universités de Bonn et de Berlin. Il a obtenu son Ph. D. en 1873. En 1878, il fut nommé directeur adjoint du Jardin botanique de Berlin ; en 1883, il fut promu au poste de conservateur. De 1889 à 1913, année de sa retraite, il fut directeur adjoint du Musée, avec le titre de professeur. Urban supervisa le transfert du Jardin botanique de Berlin, de son site historique à celui d’aujourd’hui, Berlin-Dahlem. Pour plusieurs botanistes, son œuvre la plus importante fut la série de publications intitulée Symbolae Antillanae. Cette œuvre magistrale, publiée de 1898 à 1928, comprenait neuf volumes qui constituaient alors la base de nos connaissances sur la flore des Antilles. Autant Ekman fut un botaniste de terrain, ayant une connaissance approfondie des plantes dans leur milieu, autant Urban fut un taxonomiste d’herbier. Pour produire son Symbolae Antillanae, il dut acquérir de grandes collections pour son herbier, en correspondant avec de nombreux botanistes, dont Ekman. Howard écrivit: « The Symbolae Antillanae is one of the most comprehensive of publications on the flora of one small area of the world. It is equally unusual in being largely the work of one man » (Richard A. Howard, « Ignatz Urban and the “Symbolae Antillanae” », Flora of the Greater Antilles Newsletter, no 10, mars 1996).
149 Dans le contexte actuel, à la suite du 11 septembre 2001 à New York et de la guerre en Irak, cette remarque ne peut que nous faire sourire…
150 Une variation de 45 °F, la mesure alors utilisée au Canada, semblait plus grande que les 25 °C d’aujourd’hui.
151 Au début du mois de mai 1942, Marie-Victorin séjourna quelques jours à Porto Rico. Il avait rédigé « Images floristiques portoricaines ». Dans ce court séjour, il ne put faire qu’un survol de la flore et de la végétation de la « plus petite des Grandes Antilles et la plus orientale ». Il avait ainsi caractérisé son article : « Le but des quelques pages qui vont suivre n’est pas d’ajouter techniquement à la connaissance de cette flore, mais bien plutôt, en racontant simplement une semaine d’herborisation, de donner une idée de quelques ensembles botaniques du pays et de faire ressortir, à l’occasion, les analogies et les contrastes présentés par la florule de Porto Rico et celles des autres Grandes Antilles » (Contributions de l’Institut botanique de l’Université de Montréal, no 56, 1944-1945 : 73-92 ; extrait, avec changement de pagination, du Naturaliste canadien, no 71, 1944 : 217-236).
152 En 1945, José Perez Carabia publia « The Vegetation of Sierra de Nipe, Cuba » (Ecological Monographs, vol. 15, no 4 : 321-341). Dans cet article se trouve une belle carte de la Sierra de Nipe, qu’il avait dressée. C’est probablement la carte mentionnée dans cette lettre.
153 À Montréal, Lucien Charbonneau, son chauffeur, prenait soin de Marie-Victorin comme un aide de camp. Il disait affectueusement de lui : « Il faut que je m’occupe de mon bébé », lui rendant une multitude de petits services. Rivas fut le Charbonneau de Cuba.
154 Harold N. Moldenke (1909-1996) : il avait obtenu son Ph. D. en taxonomie de la Columbia University, New York, en 1934, et une bonne partie de sa carrière scientifique se déroula au Jardin botanique de New York. Dès 1929, il était research fellow et assistant à temps partiel. Par la suite, il fut assistant-conservateur (1932-1937) et conservateur associé (1937-1948) sous Henry A. Gleason. En 1949, il fut nommé conservateur et administrateur de l’Herbier. Il fut aussi membre de la Faculté des études supérieures de la Columbia University (1936-1942 ; 1946-1952). En 1952, il démissionna du Jardin botanique de New York, pour continuer sa carrière dans sa ville natale, Watchung, New Jersey, œuvrant par la suite dans plusieurs institutions, notamment le Trailside Museum et le Newark State College. Grand spécialiste de plusieurs familles, comme les Verbénacées, il s’est aussi intéressé à plusieurs autres sujets botaniques. En 1941, avec sa femme, Alma Lance Ericson Moldenke, il avait publié un livre qui fit époque : Plants of the Bible. En 1970, le Jardin botanique de New York le nomma conservateur honoraire (New York Botanical Garden, Mertz Library, 2005, notice biographique).
Objecteur de conscience et pacifiste, Moldenke avait préféré faire du service commandé dans des hôpitaux psychiatriques et dans le Corps civil de conservation, plantant des arbres sur des sols dégradés par l’industrie minière de Pennsylvanie (communication personnelle de Andrew Moldenke, son fils, 14 mai 2007).
155 Marie-Victorin s’apprêtait alors à décrire une nouvelle espèce de plante aquatique sous le nom de Vallisneria neotropicalis Marie-Victorin, qui fut découverte dans la Ciénaga de Zapata. En séparant ce Vallisneria neotropicalis de l’espèce largement répandue dans l’est de l’Amérique du Nord, le Vallisneria americana Michaux, il créait un nouveau taxon restreint à la Floride et à Cuba. Le Vallisneria neotropicalis de Marie-Victorin n’a pas été retenu comme étant une espèce distincte du Vallisneria americana Michaux dans la récente grande mise au point de la flore de toute l’Amérique du Nord, au nord du Mexique (Robert R. Haynes, « Vallisneria americana Michaux », dans Flora of North America Editorial Committee. Flora of North America. North of Mexico, vol. 22, New York/Oxford, Oxford University Press, 2000). Il arrive parfois qu’une espèce réduite à la synonymie soit réhabilitée plus tard. La Vallisnérie américaine, une plante aquatique assez commune dans le sud du Québec, est une des très rares espèces qui se retrouvent à la fois au Québec et à Cuba.
156 Une température de –4 °F semble encore plus froide en degrés Celsius : il s’agit de –20 °C. Et en 1942, on ne donnait probablement pas le facteur éolien…
157 La correspondance comprend une grande quantité de discussions aussi techniques, susceptibles de n’intéresser que le spécialiste cherchant à interpréter un fait très précis. Évidemment, dans la sélection des lettres et des extraits, j’ai laissé de côté ces passages.
158 Dès le début de cette publication, Marie-Victorin situe cette contribution en écrivant : « Dans les régions tropicales, la découverte de nouvelles espèces est assez fréquente pour n’étonner personne, et que l’on pourra peut-être penser que le fait d’ajouter un nom spécifique à un catalogue déjà démesurément chargé, n’ajoute guère à la Science, à moins que cette inscription ne soit accompagnée de précisions qui permettent de situer cette nouvelle espèce dans un système d’antécédences spatiales et temporelles. Mais il est des cas où la mise au jour d’une nouvelle espèce est, par elle-même, un fait d’importance, en raison de problèmes qu’elle pose ou de relations qu’elle établit. Tel est le cas de l’espèce proposée ci-dessous. » Cette nouvelle espèce est probablement la plus intéressante des contributions de Marie-Victorin à la flore de Cuba (Frère Marie-Victorin, « Dracaena cubensis. Une relique d’affinité africaine dans la flore de Cuba », Contributions de l’Institut botanique de Montréal, no 43, 1942).
159 L’Institut botanique de l’Université de Montréal et non pas l’Institut des frères des Écoles chrétiennes.
160 Le bureau de Marie-Victorin était situé au dernier étage de l’édifice administratif du Jardin botanique de Montréal, à l’extrémité sud-ouest. De son bureau, il voyait les jardins art déco de l’entrée et les Montérégiennes à l’horizon, au-delà du fleuve Saint-Laurent. Dans son Institut botanique, déménagé au Jardin botanique de Montréal en 1939, il n’aura profité de ses nouveaux locaux que pendant cinq ans, essentiellement la période cubaine de sa vie.
161 Lorsqu’un botaniste fait une mise au point d’un genre regroupant plusieurs espèces, il peut décider qu’une espèce ne mérite pas ce statut spécifique. Il la met alors en synonyme d’une espèce semblable qui a été décrite antérieurement et qui l’inclut. Selon les spécialistes, les interprétations peuvent varier. Décider qu’une plante est ou non une nouvelle espèce constitue une partie importante du travail du taxinomiste.
162 Symbolae antillanae : voir la lettre du 5 septembre 1942, note 1.
163 Le frère Rolland-Germain (1881-1972) : principal collaborateur de Marie-Victorin pour ses travaux de recherche sur la flore du Québec. Il connaissait probablement mieux la flore du Québec que Marie-Victorin lui-même, du moins pour l’identification technique des espèces. Par contre, Marie-Victorin pouvait faire des analyses et des synthèses beaucoup plus fortes que son collaborateur. Les deux ensemble constituaient l’équipe de base derrière de nombreuses réalisations de Marie-Victorin, y compris sa célèbre Flore laurentienne. Quoique Marie-Victorin ait toujours mis en valeur son précieux collaborateur, avec les règles d’aujourd’hui, le frère Rolland-Germain aurait été souvent un coauteur des ouvrages signés par Marie-Victorin. Dans son ouvrage, Les frères des Écoles chrétiennes au Canada : une ère de prospérité 1880-1946 (1991), Nive Voisine, en se basant sur le témoignage du frère Henri Champagne, a donné une interprétation sur les rôles respectifs de Marie-Victorin et du frère Rolland-Germain qui me semble non justifiée : « Ainsi commença une double carrière où le maître était incontestablement, et sans que ce fût jamais discuté, le F. Rolland-Germain. » Voisine écrit aussi que le frère Henri Champagne, un de leurs confrères, avait le mieux cerné la complémentarité des deux inséparables savants : « F. Rolland-Germain, génie de la recherche et de la découverte ; F. Marie-Victorin, génie de la communication et de l’organisation. » Même s’il y a une certaine réalité derrière ce partage des tâches, cette interprétation est simpliste et fausse.
164 Sa corpulence et sa bonhomie étaient légendaires, et vraisemblablement aussi sa fortune personnelle…
165 Une variété est un taxon de rang inférieur à une espèce, ayant habituellement des caractères morphologiques distincts et provenant d’une aire géographique distincte.
166 Carlos Guillermo Aguayo fut professeur à l’Université de La Havane, à la Faculté des sciences. Il était très impliqué, entre autres, au sein de la Sociedad de Historia Natural Felipe Poey. Grand ami du frère Léon, il enseigna au frère Alain, alors qu’il étudiait dans cette université du quartier Vedado, tout comme le Colegio De La Salle (Henri Alain Liogier, communication personnelle, 2 mai 2007).
167 La manigua est la brousse cubaine.
168 À l’automne 1943, le deuxième volume est terminé. Il est structuré différemment du premier : les herborisations faites par les auteurs en 1940, 1941 et 1942 sont rapportées, toujours selon l’approche d’un journal de voyage. Par contre, dans certains chapitres, les comptes rendus des différentes années sont regroupés ensemble. Par exemple, dans le chapitre XII, intitulé « Les “Everglades” de Cuba – La Ciénaga de Zapata – Le rio Mayabeque – La Ciénaga de Cajio », Marie-Victorin a regroupé ensemble ses observations de 1941 et de 1942.
169 L’Herbier Marie-Victorin de l’Université de Montréal comprend 800 000 spécimens de plantes vasculaires et de mousses, préservés de façon à être consultés et étudiés à perpétuité. Les collections les plus importantes de l’Herbier sont celles du Québec, de Terre-Neuve et de Cuba, ainsi que les quelque 1 200 types (spécimens sur lesquels sont fondées les descriptions originales de nouvelles entités taxinomiques). C’est actuellement le troisième herbier en importance au Canada, et le premier au Québec. Il est conservé au Jardin botanique de Montréal. Le noyau initial de l’Herbier Marie-Victorin fut son herbier personnel du Collège de Longueuil. Alors qu’il s’initiait à la botanique à partir du milieu des années 1900 en faisant des excursions autour de Montréal, il avait déjà entrepris des échanges pour enrichir sa collection, comprenant déjà des spécimens du frère Léon, quelques-uns de la région de Hull en 1905, mais surtout ceux provenant de Cuba. L’Herbier prit de l’ampleur au fil des expéditions floristiques de Marie-Victorin, et de ses principaux collaborateurs, les Rolland-Germain, Jacques Rousseau, Marcel Raymond, James Kucyniak, Ernest Rouleau, etc. Depuis cette époque, les chercheurs de l’Institut botanique, devenu l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV), tant professeurs qu’étudiants diplômés y déposent leurs spécimens récoltés au cours de leurs recherches floristiques, taxinomiques ou écologiques. Les herbiers à travers le monde s’échangent aussi des spécimens afin de compléter la représentation géographique et taxinomique aux fins de recherche, de documentation et d’enseignement. Afin de faciliter la recherche fondamentale, les herbiers du monde entier se prêtent leurs spécimens (communications personnelles de Luc Brouillet et de Stuart Hay, décembre 2006).
La collection de spécimens provenant de Cuba est très importante. Remigiusz Mielcarek l’a évaluée à plus de 4 800 spécimens appartenant à près de 2 200 espèces. Son « Catalogue des plantes cubaines de l’Herbier Marie-Victorin à Montréal » constitue un inventaire utile de la collection (Mielcarek, Remigiusz. 1989. Catalogue des plantes cubaines de l’Herbier Marie-Victorin à Montréal. Publié par Antoni Wysocki Ingénieur Conseil, Montréal, 133 p.).
170 À Maisi, Marie-Victorin avait écrit : « Il est à remarquer que les Ambrosia des régions tempérées (Ambrosia trifida, A. Artemisiaefolia, etc.) ne sont pas notoirement xérophytiques et ne présentent pas ces adaptations. Il y a lieu de croire que cette Herbe à poux est localement une cause de troubles allergiques (fièvre des foins). Durant ce séjour à Maisi, j’ai été affecté d’une terrible irritation des muqueuses, de “catarro”. Nombre de gens du lieu étaient affectés de même, mais ils accusaient le “polvo” (poussière d’érosion des calcaires madréporiques) et ne soupçonnaient aucunement l’Ambrosia hispida d’être la cause du malaise » (Marie-Victorin et Léon, 1942). Dans sa lettre du 21 octobre 1943, Marie-Victorin avait écrit Ambrosia hirsuta, mais il faisait plutôt référence à l’Ambrosia hispida.
171 La publication du présent ouvrage permet qu’il y ait enfin la reconnaissance publique que désirait le frère Léon pour la contribution du Dr Barbour et de Mme Atkins.
172 Ola fría est un front froid qui produit des températures exceptionnellement froides pour une région tropicale.
173 Frère Marie-Victorin, « Les Vallisnéries américaines », Contributions de l’Institut botanique de l’Université de Montréal, no 46, 1943, 38 p.
174 Merritt Lyndon Fernald (1873-1950) : de la Harvard University, un des plus grands spécialistes de la flore de l’est de l’Amérique du Nord, joua un rôle analogue pour Marie-Victorin à celui de Nathaniel Lord Britton pour le frère Léon, du moins au début de leurs carrières scientifiques. Fernald et Marie-Victorin correspondirent ensemble et échangèrent des spécimens d’herbier ainsi que de l’information. Fernald, le professeur chercheur, fut un modèle pour Marie-Victorin, le guidant et l’encourageant dans ses projets de recherche, comprenant, entre autres, la Flore laurentienne. Par contre, leurs territoires respectifs de recherche présentèrent peu de chevauchement. Fernald et Marie-Victorin n’eurent aucun projet en commun comme celui du Catalogue of the Flora of Cuba de Britton et du frère Léon. Fernald avait obtenu en 1897 son B. Sc. de la Harvard University. Dès 1891, il fut associé au Gray Herbarium de la Harvard University, d’abord comme assistant de recherche, et il le sera toute sa vie. De 1935 à 1937, il en fut le conservateur, puis le directeur de 1937 à 1947. Il a aussi été le Fisher Professor of Natural History de 1915 à 1947. Cette même année, il fut nommé professeur émérite. Ses travaux furent avant tout connus par leur contribution à la phytogéographie, en particulier son article intitulé « Persistence of Plants in Unglaciated Areas of Boreal America ». Il publia plus de 750 articles et mémoires. Deux livres, Edible Wild Plants of Eastern North America, rédigé avec Alfred C. Kinsey et publié en 1943, et la huitième édition du Gray’s Manual, cette grande mise au point de toute la flore de l’est de l’Amérique du Nord publiée en 1950, ont beaucoup contribué à sa réputation internationale. Il reçut des doctorats honoris causa de l’Acadia University (Nouvelle-Écosse), en 1933, et de l’Université de Montréal, en 1938 (Harvard University Herbaria, notice biographique, novembre 2006).
175 Gray Index : tout comme l’Index Kewensis, le Gray Index (qui fut d’abord nommé Gray Herbarium Card Index) était un outil indispensable pour les botanistes décrivant de nouvelles espèces ou effectuant des études en floristique. Asa Gray (1810-1888), qui fut professeur à la Harvard University, a développé cet index qui recensait les espèces du Nouveau Monde en donnant des informations sur leurs publications et la présence des types. Cet outil indispensable pour la recherche, avec deux autres index, Index Kewensis et Australian Plant Names Index, sont maintenant disponibles grâce au International Plant Names Index (IPNI), qui peut être consulté en ligne à <www.ipni.org>.
176 Catalogue de Moscoso : il s’agit de Catalogus Florae Domingensis (Catalogo de la flora dominica) rédigé par Rafael M. Moscoso (New York, L. & S. Printing, 1943).
177 La lettre du frère Léon à Marie-Victorin du 26 janvier 1944 nous permet de comprendre comment cet Acacia Leonii est devenu Acacia bucheri.
178 Sur la rue Côté, à Montréal, les frères des Écoles chrétiennes avaient une imprimerie, une librairie et une maison d’édition. L’incendie de l’imprimerie a eu lieu le 20 décembre 1943 (Louis-Marie Côté, 7 mai 2007, communication personnelle).
179 En 1944, le frère Léon a publié une étude intitulée « Nouveaux Anastraphia de la flore de Cuba » (Études taxonomiques sur la flore de Cuba, 3e section, Contributions de l’Institut botanique de l’Université de Montréal, no 49 : 77-86). Il avait écrit que « Ce genre de Composées arbustives et à feuilles presque toujours épineuses, est représenté à Cuba par environ 25 espèces actuellement connues. Elles croissent dans les terrains très arides, généralement sur des roches serpentineuses ou calcaires. » De l’abondant matériel récolté pendant ces dernières années, il avait extrait les nouveautés qui suivent : Anastraphia Gomezii n. sp., dédiée au Dr Nicolas Gomez Sedano mentionné à quelques reprises dans les Itinéraires ; Anastraphia maisiana n. sp., commémorant Maisi, l’extrémité est de l’île de Cuba ; Anastraphia Victorinii n. sp. de la Sierra de Nipe, dont les spécimes furent récoltés par le frère Léon et Marie-Victorin. Le 18 janvier 1943, avec humour, Marie-Victorin s’était déclaré « anastraphié » ; Anastraphia elliptica n. sp., dont le type provient d’une terrasse calcaire d’Ovando, au sud de Baracoa, province d’Oriente.
180 En 1944, Marie-Victorin a publié une étude intitulée « Les Casearia ilicoïdes de l’île de Cuba » (Études taxonomiques sur la flore de Cuba, 3e section, Contributions de l’Institut botanique de l’Université de Montréal, no 49 : 19-56). Marie-Victorin a fait ressortir l’aspect unique dans cette région de la province d’Oriente où se retrouve la majorité des espèces d’Anastraphia et de Casaeria : « Les deux régions de la sierra de Nipe et du pays de Moa (Cuba oriental) sont remarquables par le manteau détritique ferro-silicieux dérivant de la serpentine sous-jacente, et la recouvrant, manteau qui contient jusqu’à 40 % de fer. Ces terrains limoniques, d’une couleur rouge caractéristique, sont célèbres botaniquement par une flore très diversifiée et très largement endémique, dont l’élément pivotal, là où le manteau détritique n’a pas été enlevé par l’érosion, est le Pinus cubensis. Non moins remarquable que la présence de nombreux endémiques, est l’absence totale de certains groupes (Cactacées, Zamia, etc.) sur ces terres pourtant marqués au signe d’un xérophytisme intense. La biocénose végétale de ces pinèdes à Pinus cubensis compte parmi ses éléments particuliers un petit groupe de Casearia (Flacourtiacées) arbustifs dont le feuillage a subi, au cours d’une longue évolution écologique, cette dégénérescence scléreuse particulière (texture coriace et dents épineuses) qui constitue le type ilicoïde, type dont l’exemple le mieux connu se trouve en effet chez un certain nombre d’Ilex. » Dans cette publication, il a décrit quelques espèces : Casearia guantanamensis à partir d’un spécimen récolté par Britton en mars 1909 à la U.S. Naval Station, Casearia ophiticola à partir surtout de collections du pays de Moa effectuées par les frères Léon, Marie-Victorin, Clément et Alain (TYPE dans l’Herbier Marie-Victorin de l’Université de Montréal), Casearia moaensis. à partir de collections du pays de Moa effectuées par les frères Léon, Marie-Victorin, Clément et Alain (TYPE dans l’Herbier Marie-Victorin de l’Université de Montréal), et Casearia variifolia, à partir de collections du pays de Moa effectuées par les frères Marie-Victorin, Clément et Alain (TYPE dans l’Herbier Marie-Victorin de l’Université de Montréal).
181 Comme on le sait, le troisième volume des Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba ne sera publié qu’en 1956, près de 12 ans après la mort de Marie-Victorin et un an après celle du frère Léon. Il réunit les observations des années 1940, 1941, 1942 et 1943, excluant celles de 1944, sur la région nord-est de l’île de Cuba, comprenant la « sierra de Fer » ou « la sierra de Nipe » ainsi que « le pays de Moa ».
182 George Bücher. Le jeudi 26 mars 1942, dans ses Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba, Marie-Victorin avait écrit : « Monsieur et Madame Georges Bücher, qui sont nos hôtes à Moa, sont venus au-devant de nous et c’est avec eux que nous remontons à travers la belle pinède jusqu’à la scierie et à la maison d’habitation. » Monsieur Bücher travaillait dans le secteur de l’industrie forestière. L’année suivante, à la fin du mois de mai 1943, Marie-Victorin avait relaté quelques excursions à Moa en compagnie de ce couple. Dans des notes rédigées par le frère Alain, mais incorporées dans la troisième série des Itinéraires, Madame Bücher est présentée comme une « zélée botaniste qui a beaucoup fait pour révéler la flore admirable de ce district ». Monsieur Bücher connaissait aussi très bien la flore et fit des observations et des récoltes pour Marie-Victorin et le frère Léon (Marie-Victorin et Léon, 1956).
183 De La Havane le 20 avril 1944, Marie-Victorin avait écrit au frère visiteur, le frère Nivard-Anselme, un ami de toujours, et lui avait annoncé qu’il avait été décoré de l’Ordre de Céspedes : « Sous ce pli une découpure du Journal Havana Post qui vous apprendra que le gouvernement cubain m’a décoré – avec l’Archevêque de La Havane et madame Batista – de l’ordre d’Officier d’Honneur (Ordre de Céspedes). »
Carlos Manuel de Céspedes (1819-1874) est commémoré dans l’ensemble de la République de Cuba, par des places, des parcs, des avenues ou des statues. Né à Bayamo, dans l’ancienne province d’Oriente et dans l’actuelle province de Granma, il devint avocat. Il visita plusieurs pays européens pour étudier leur histoire et leur régime politique. Propriétaire d’une plantation dans l’est de Cuba, il libéra ses esclaves et s’engagea dans la résistance contre l’Espagne. Considéré comme le premier président de la République de Cuba, il est mort en 1874 en combattant les Espagnols.
184 En 1945, il a publié A Naturalist in Cuba (Boston, Little, Brown and Company).
185 Sur la dernière page, il est écrit : « Achevé d’imprimer aux Éditions de-la-Salle le dixième jour de mars, mil neuf cent quarante-quatre » (Marie-Victorin et Léon, 1944).
186 En 1944, Marie-Victorin lui dédia une nouvelle espèce de la famille des Légumineuses : Acacia Bucheri. Dans la publication, il écrivit : « C’est un grand plaisir pour l’auteur de dédier cet extraordinaire Acacia endémique de la région de Baracoa-Moa à M. Georges Bücher, distingué naturaliste cubain qui nous a offert dans son domaine de Moa une cordiale hospitalité et toutes les facilités de transport désirables. » Le spécimen type, récolté par les frères Marie-Victorin et Clément, a été déposé dans l’Herbier Marie-Victorin (MT), avec l’information suivante : « Moa (Oriente), Cuba, sur la plateforme littorale serpentino-limonique, en lieu ouvert. 27-31 mai 1943. (« L’Acacia serpentinicole de Moa », 3e section, Études taxonomiques sur la flore de Cuba. Contributions de l’Institut Botanique de l’Université de Montréal, no 49 : 57-67).
187 En 1944, Marie-Victorin publia une étude intitulée « Un nouveau Laplacea serpentinicole » (Études taxonomiques sur la flore de Cuba, 4e section, Contributions de l’Institut botanique de l’Université de Montréal, no 49 : 69-75). Marie-Victorin faisait ressortir, encore une fois, l’aspect unique de la flore du district serpentino-limonique de Moa. Ainsi, il nomma la nouvelle espèce Laplacea moaensis à partir de récoltes effectuées, en 1942 et 1943 par les frères Léon, Marie-Victorin, Clément et Alain (TYPE dans l’Herbier Marie-Victorin de l’Université de Montréal). Dans ce même no 49 des Contributions, Marie-Victorin avait aussi publié, dans l’article « Mise au point sur les Lobéliacées de l’île de Cuba », deux nouvelles espèces de la province d’Oriente : Siphocampylus yumurensis et Siphocampylus baracoensis. Une note liminaire de Jules Brunel précède ce no 49 des Contributions : « Cette publication était entièrement terminée, et même composée typographiquement, plusieurs mois avant la mort accidentelle du frère Marie-Victorin, survenue au Canada, le 15 juillet 1944, peu de temps après son retour de Cuba. L’auteur avait même apporté avec lui, lors de son dernier voyage aux Antilles, les épreuves de ce travail pour y faire quelques retouches. »
Un numéro posthume des Contributions de l’Institut botanique de l’Université de Montréal, intitulé « Nouvelles études taxonomiques sur la flore de Cuba » (no 63, 1948, 77 p.), devient le véritable Nunc Dimittis de Marie-Victorin pour la publication de nouvelles espèces. Il avait revu en 1944, en grande partie lors de son septième séjour à Cuba, quittant peu La Havane, cinq genres : Hedyosmum, de la famille des Chlorantacéées, Belotia, de la famille des Tiliacées, Spathelia, de la famille des Rutacées, Purdiaea, de la famille des Cyrillacées, Ravenia, de la famille des Rutacées. Avec la révision de ces cinq genres, il avait décrit plusieurs espèces : Hedyosmum Leonis, Spathelia Wrightii, Spathelia yumuriensis, S. integra, S. Leonis, S. pinetorum, Purdiaea nipensis, P. ophiticola, P. moaensis, P. Ekmanii, Ravenia Carabiai, R. Leonis, R. Clementiana. Avec la dernière et sixième section de ce no 69 des Contributions de l’Institut botanique de l’Université de Montréal, intitulée « SABBATIA ALAINII, une Gentiancée nouvelle », Marie-Victorin avait décrit sa dernière nouvelle espèce : Sabbatia Alainii. En recevant ce numéro posthume, le frère Léon a probablement dit ou pensé : A.M.D.G.
Dans l’avant-propos de ce no 63 des Nouvelles études taxonomiques sur la flore de Cuba paru en 1948, Jules Brunel, qui était devenu directeur de l’Institut botanique de l’Université de Montréal à la mort de Marie-Victorin en 1944, avait écrit que le manuscrit du présent mémoire était presque terminé et que Marie-Victorin aurait pu le terminer en quelques semaines. Cependant aucun de ses collaborateurs canadiens n’étant familier avec la flore cubaine, les questions qu’il restait à régler ont nécessité beaucoup de temps. Jules Brunel et Ernest Rouleau se sont occupés des références bibliographiques alors que Bernard Boivin et Marcel Raymond firent les diagnoses latines.
188 Au milieu des années 1940, avec toutes les nouvelles connaissances acquises grâce à ses explorations et aux compilations des données des autres botanistes, le frère Léon fut en mesure de dépasser l’ossature du Catalogue et de devenir le premier auteur de la Flora de Cuba, lui assurant une place enviable dans l’histoire de la botanique cubaine.
189 Le 11 février 1944, à sa sœur, mère Marie-des-Anges, Marie-Victorin avait écrit : « Je t’écris pour t’avertir que je pars samedi le 19 pour les Antilles. Je sais que tu vas te désespérer encore une fois, mais je crois que c’est pour moi une nécessité » (Marie-Victorin, 1969).
190 Le 11 juin 1944, le frère Léon n’avait pas encore reçu une lettre de remerciement de Marie-Victorin comme ce dernier avait l’habitude de lui envoyer, souvent avec un certain délai. Un mois plus tard, le 15 juillet 1944, Marie-Victorin est décédé subitement à la suite d’un accident d’automobile.
Table des illustrations
Titre | Le premier voyage 1938-1939 |
---|---|
URL | http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/17529/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 384k |
Titre | Le deuxième voyage 1939 |
URL | http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/17529/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 312k |
Titre | Le troisième voyage 1940 |
URL | http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/17529/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 232k |
Titre | Le quatrième voyage 1941 |
URL | http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/17529/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 340k |
Titre | Le cinquième voyage 1942 |
URL | http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/17529/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 324k |
Titre | Le sixième voyage 1943 |
URL | http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/17529/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 208k |
Titre | Le septième voyage 1944 |
URL | http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/17529/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 195k |
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.