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La gestion écologique des déchets

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Jean-Guy Vaillancourt
, 
Michel Séguin
, 
Louis Maheu
, 
et al.

Chapitre 10. Dynamiques urbaines et enjeux culturels. De la rationalité du marché au communautarisme éthique et sociopolitique

1999

Pierre Hamel, Jean-Guy Vaillancourt et Michel Séguin

Note de l’éditeur

Texte inédit.

Texte intégral

1D’entrée de jeu, soulignons que les sociologues et les autres spécialistes des questions urbaines ont beaucoup de difficulté à s’entendre sur les causes des principaux problèmes urbains contemporains. Plusieurs types de questionnements surgissent à l’intérieur de leurs analyses. Par exemple, voici deux types de questionnements portant sur l’analyse de la cause et sur l’analyse de la résolution potentielle de ces problèmes. Qui donc est responsable de la pénurie de logement social, de la détérioration des conditions de vie dans les quartiers populaires des grandes agglomérations, de l’accroissement des inégalités entre les divers groupes sociaux, de la baisse de la qualité de l’environnement et de la piètre qualité de certains services ? La recherche des causes des problèmes sera souvent complétée par l’exploration de solutions à envisager pour sortir des impasses actuelles. Quelles sortes d’« alternatives » doivent être examinées afin de procéder à des correctifs, voire à de réelles voies de sortie face à ces problèmes urbains et sociaux persistants ? Comment de telles « alternatives » peuvent-elles être développées et mises en application ?

2D’une manière intuitive, il est facile de comprendre que les interrogations que soulèvent ces problèmes ne sont pas sans liens entre elles. Toutefois, les chercheurs doivent également tenir compte du fait que de telles problématiques demeurent formulées à partir d’un cadre normatif et culturel propre à l’observateur. En d’autres termes, il est bien difficile de manifester à ce sujet une parfaite objectivité. Les valeurs de l’analyste demeurent présentes non seulement dans le choix des problèmes mais aussi dans les démarches d’analyse proposées comme dans les solutions anticipées.

3Notre texte comprendra six parties. Après avoir présenté brièvement quelques paramètres de recherche, nous allons, dans un deuxième temps, considérer la nature des problèmes urbains contemporains. Notre capacité à résoudre ces problèmes dépend, en partie, de notre compréhension de la transformation des dynamiques urbaines. Or, depuis la crise économique des années 1970, la capacité de l’État à gérer les services publics a été remise en question. C’est ce qui a amené la nouvelle droite en Grande-Bretagne à proposer un nouveau « managerialism » comme réponse aux difficultés financières, bureaucratiques et politiques de l’État. Mais on retrouve aussi ce discours au Canada et aux États-Unis. C’est ce que nous aborderons dans un troisième temps. De plus, les problèmes auxquels nous sommes confrontés en matière de gestion publique ne se posent pas uniquement en termes sociaux, techniques ou politiques : ils sont aussi culturels. C’est ce que nous considérerons dans un quatrième temps en parlant de la crise des institutions, celles-ci étant considérées comme des reflets de nos choix culturels. Dans un cinquième temps, nous proposerons comment, à cause de la difficulté qu’a l’État de gérer les services publics, les analystes peuvent repérer et comprendre les nouvelles dynamiques urbaines et contribuer à faire avancer la réflexion les concernant. Enfin, dans un sixième temps, nous montrerons comment les ressourceries, entre autres expériences, tracent la voie vers un nouveau mode de fonctionnement communautaire.

Paramètres de recherche

4Par dynamiques urbaines, nous entendons ici l’ensemble des processus et des systèmes (territoriaux, techniques, économiques, politiques et culturels) qui interagissent dans la production et la consommation de la ville. Par culture, nous ne faisons pas référence à un domaine d’activités en particulier, par rapport auquel les administrations locales joueraient un rôle de plus en plus actif, compte tenu de sa pertinence en termes d’image et de promotion dans un climat de compétition accrue entre municipalités. La culture ne se résume pas dans notre esprit aux beaux-arts, ni encore moins à l’industrie culturelle. Elle désigne plutôt l’ensemble des traits distinctifs d’une société dans ses modes de communication, d’échange et d’expression. Elle constitue un reflet des forces de différenciation et d’intégration à l’œuvre dans la production et la reproduction d’une société donnée. Elle alimente à la fois les processus de changement et plus particulièrement d’adaptation à l’environnement socio-économique, et les inévitables résistances à ces processus. Enfin, elle s’exprime dans l’élaboration des institutions qui sont essentielles à l’existence des communautés.

5Comme certains l’ont déjà souligné (Haferkamp et Smelser 1992), il demeure très difficile d’appréhender la culture, compte tenu de la multiplicité de ses manifestations empiriques et compte tenu aussi de ses nombreuses formes d’expression. Il reste que la culture s’avère un enjeu majeur de la modernité et de la modernisation, de même que de leur mise en cause par les courants postmodernes (Featherstone 1991).

6D’un point de vue historique, on peut dire que la modernité a souvent été associée à l’urbanisation, au phénomène urbain, aux nouveaux défis auxquels se sont alors trouvés confrontés les individus lorsqu’ils quittèrent les milieus ruraux traditionnels. La vie urbaine transforme la lutte avec la nature pour la survie qui prédominait dans les sociétés rurales en une lutte « interhumaine » motivée par le gain. La rupture des anciens liens historiques avec la tradition représente à la fois une menace et de nouvelles possibilités d’expression pour l’individu (Simmel 1992).

7Dans les sociétés occidentales, et en particulier aux États-Unis et au Canada, nous avons encore de la difficulté à saisir la nature exacte des problèmes urbains. S’il est facile de convenir que les rapports entre les sociétés, les politiques et les problèmes sociaux sont complexes, il existe peu de théories satisfaisantes qui permettent d’en bien saisir l’articulation (Hoggart 1989). Dans le même sens, compte tenu de la relative « nouveauté » de la forme des villes contemporaines et à cause du fait que les « formes et les fonctions » des villes évoluent sans cesse, il est impossible pour un groupe en particulier d’exercer un contrôle sur l’orientation des politiques urbaines. En fait, c’est que personne ne sait vraiment ce qui est fondamental et déterminant en ce qui concerne l’élaboration de ces politiques, c’est-à-dire que personne ne peut vraiment savoir qui, en dernière analyse, est responsable des décisions prises ou, comme dit Monkkonen, « where the high ground is » (Monkkonen 1990 : 217).

8C’est à l’intérieur de ce contexte général que nous abordons les enjeux relatifs aux dynamiques urbaines et à la culture. Cela nous amène à discuter maintenant du rapport complexe et en évolution constante entre les problèmes urbains, le développement des « alternatives » et les choix culturels.

Nature des problèmes urbains contemporains

9Il est difficile de savoir si les problèmes urbains auxquels nous faisons face aujourd’hui représentent une menace plus grave pour le développement social de nos agglomérations que ceux auxquels devaient faire face les responsables politiques et les populations locales il y a 100 ou 150 ans. Même si les conditions d’insalubrité et l’indigence ne sont en rien comparables aujourd’hui à ce qu’elles étaient il y a 150 ans, il reste que les progrès techniques et la sécurité sociale n’ont pas permis de développer un système qui soit plus équitable sur le plan de la société en général et des milieux urbains en particulier. En d’autres termes, l’aménagement actuel ne correspond pas davantage maintenant aux demandes et aux besoins sociaux qu’il n’y correspondait auparavant (Hamel 1993 ; Sugrue 1996). À ce sujet, il est indéniable que la culture, y compris les valeurs qu’elle véhicule, constitue un élément central de médiation de nos perceptions et de nos jugements. Ce qui était acceptable hier ne l’est plus aujourd’hui. Le défi du chercheur est alors d’identifier, dans la mesure du possible, la relativité de son point de vue afin de dégager les changements réels à l’intérieur du contexte social et culturel dans lequel il évolue.

10Plusieurs chercheurs ont tenté de cerner la nature des problèmes urbains contemporains en faisant appel à la « crise du modèle fordiste » et à l’émergence d’un nouvel entrepreneurship urbain au cours des années 1980 (voir, entre autres, Mayer 1989 ; Harvey 1989 ; Kratke et Schmoll 1991 ; Filion 1993 et 1996). Deux éléments majeurs caractérisent leurs démarches de recherche. D’abord, celles-ci reconnaissent que la forme du développement urbain a changé à cause des nouvelles exigences d’accumulation du capital, celles-ci étant précisément reliées à la crise du fordisme. Ensuite, ces recherches insistent sur les changements contextuels aux plans institutionnel et politique.

11D’une manière très schématique, on peut rappeler que le fordisme a permis de consolider des consensus et a contribué à mettre en place les conditions de la croissance que les pays occidentaux ont connu durant les années 1950 et 1960 (Dahrendorf 1995). Le fordisme a aussi entraîné un nouvel urbanisme influencé d’abord et avant tout par les besoins des grandes entreprises (Lee 1989). Même si des transformations majeures des systèmes urbains sont apparues au tournant du siècle sous l’influence des pressions effectuées par le capitalisme corporatif moderne, ces tendances ont été à la fois accélérées et modifiées par le fordisme. Le principe d’un développement inégal dans le temps et l’espace, dû à la forte concentration du capital autour des grandes corporations, que le fordisme a accentué, résulte en bonne partie du fait que le grand capital ne dépend plus de l’économie d’échelle fournie par les places centrales. Pour une bonne part, il se trouve en mesure de créer ses propres conditions de réalisation en choisissant ses milieux d’investissement (Lee 1989).

12En imposant une relocalisation des activités productives à la périphérie des noyaux urbains des anciens centres industriels — pour répondre à de nouveaux besoins technologiques tout en favorisant une décentralisation de la force de travail —, le fordisme a contribué à la fois à la désintégration et à la transformation des milieux urbains. En effet, cette première vague de redéploiement industriel a entraîné des effets durables sur la vitalité des centres urbains, provoquant une plus grande spécialisation des fonctions tout en redéfinissant la notion même de centralité.

13La crise économique du milieu des années 1970 nous a rappelé la fragilité des institutions municipales (Monkkonen 1986). Cette crise a aussi annoncé la fin du modèle fordiste et son remplacement par un nouveau régime d’accumulation pouvant prendre une orientation qu’on a appelée soit néofordiste, soit postfordiste (Leborgne et Lipietz 1992). Dans les deux cas, en dépit de consensus sociaux différents, on assiste à la mise en place d’une nouvelle géographie de la circulation du capital. Préalablement structurées autour de grandes organisations, les relations capital-travail se réorganisent en fonction de structures de production décentralisées et plus flexibles (Mayer 1989). Ces changements s’articulent à la fois à un processus de globalisation du capital financier, à une nouvelle hiérarchie des villes ayant un statut mondial en fonction de la position qu’elles occupent dans l’espace économique international et à la diffusion de nouvelles technologies reliées à la production de services spécialisés pour les entreprises (Lee 1989).

  • 1 Dans cette perspective, les villes s’inscrivent désormais à l’intérieur d’un « système urbain globa (...)

14Tous ces changements dans le régime d’accumulation, en plus de leurs conséquences sociales sur l’organisation du travail, entraînent aussi des répercussions importantes sur l’organisation de l’espace. La compétition entre les villes s’en trouve accrue. S’il existe une plus grande mobilité géographique du capital, en même temps il y a une nouvelle centralisation des fonctions tertiaires qui se met en place (Coffey et Drolet 1994). Les chances que possèdent les villes d’améliorer leur position relative dépendent de leur capacité de jouer sur des facteurs stratégiques1 pour retenir ou pour attirer des investissements et des entreprises.

15De plus, il apparaît que, dans ce contexte, les villes ont été de plus en plus laissées à elles-mêmes. Alors que, sous le régime fordiste, les villes avaient avant tout pour fonction d’administrer et de mettre en œuvre les décisions qui étaient prises aux échelons supérieurs de l’Etat, dans le contexte néofordiste ou postfordiste, elles sont appelées à jouer un rôle beaucoup plus actif.

16Voici donc une première configuration contemporaine alimentant les problèmes urbains d’aujourd’hui. Confrontées à la déréglementation, à une compétition accrue entre les agglomérations et à une diminution importante des ressources en provenance des paliers supérieurs, les administrations locales doivent compter de plus en plus sur leurs propres ressources lorsqu’elles mettent de l’avant leurs stratégies entrepreneuriales (Mayer 1989). Dans ce sens, elles font appel à un véritable néocorporatisme urbain, néocorporatisme qui va souvent de pair avec diverses formes de privatisation et avec un recours grandissant au partenariat public-privé (Hamel et Vaillancourt 1996).

17Dans le cadre de ce régime post-ou néofordiste, les villes et les administrations locales doivent faire face à de nouvelles demandes de la part des entreprises et des ménages. Il semblerait toutefois qu’elles disposent d’une plus grande marge de manœuvre que lorsqu’elles étaient confrontées aux exigences de l’accumulation fordiste. Si, à l’époque fordiste, les décisions importantes d’investissement à l’échelon local dépendaient peu des administrations locales, ce n’est plus le cas maintenant. De plus, la qualité du cadre de vie sur lequel elles peuvent intervenir plus directement constitue une variable de plus en plus importante dans la compétition que se livrent les agglomérations urbaines (Filion 1993). L’économie ne peut plus constituer la seule variable menant au développement. La nature et la qualité des services urbains deviennent aussi bien un enjeu stratégique qu’économique pour l’aménagement et le développement des agglomérations. C’est souvent en bonne partie autour de la question des services que se joue, aujourd’hui, l’avenir de celles-ci.

18Ces quelques éléments descriptifs reliés au nouveau contexte d’accumulation et d’intervention à l’échelon local ne dévoilent pas cependant la nature profonde des problèmes urbains. Les effets sociaux qui leur sont habituellement associés et qui se définissent parfois en termes de dualisation et d’appauvrissement de certains groupes — familles monoparentales, immigrants, population âgée vivant sous le seuil de la pauvreté — et de marginalisation sociale, génèrent de nouvelles demandes et font peser sur les services urbains des contraintes sévères (Donzelot et Jaillet 1997). De plus, les problèmes et les contradictions engendrées par le nouveau régime d’accumulation s’ajoutent aux problèmes que les processus de modernisation des années 1960 et 1970 n’ont pas réussi à surmonter : étalement urbain, sous-financement des transports publics, vieillissement des infrastructures, détérioration de l’environnement, délabrement de certains quartiers, coûts grandissants d’une gestion de moins en moins rationnelle des déchets urbains, etc.

19Face à cette situation, plusieurs administrations locales ont choisi de rationaliser leur gestion en faisant appel au nouveau « managerialism ». Cette approche fait confiance d’abord et avant tout à la rationalité du marché et à la soi-disant efficacité du secteur privé. Cette approche nous indique qu’il y a, sous-jacent à sa mise en œuvre, un problème fondamental avec les institutions existantes. En effet, nous pouvons dans ce sens parler d’une véritable crise des institutions, car celles qui existent ne peuvent répondre aux besoins : d’où la nécessité de les remplacer, dans le cadre d’une nouvelle perspective, avec de nouvelles institutions plus rationnelles et plus performantes. Mais avant d’aborder cet aspect, il convient d’approfondir quelque peu les caractéristiques de cette « nouvelle » vision de la gestion publique.

Le nouveau « managerialism »

20La nouvelle culture entrepreneuriale des années 1980 et 1990 dans les services publics mise davantage sur le marché pour allouer les ressources et fournir l’aide sociale. Cette « nouvelle » culture se définit en opposition à l’approche qui a prévalu dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale et jusqu’aux années 1980, et qui faisait appel simultanément à l’intervention centralisée de l’État et à une éthique du service public (Farnham et Horton 1993a). En fait, l’intervention de l’État dans l’économie et dans la gestion sociale prenait alors appui sur un compromis social solide qui comportait trois éléments : une économie mixte, un État-providence fort, de même qu’un véritable consensus politique et social sur ce compromis.

21Avec le ralentissement de la croissance économique survenue dans les années 1970, ce compromis s’est effrité. Les principes qui avaient alors servi à fonder l’intervention de l’État (nécessité d’une redistribution collective, reconnaissance des droits sociaux et de l’égalité politique) ont profondément été remis en question. On leur a préféré le principe d’une liberté de choix qui est avant tout fondée sur la logique des marchés (Farnham et Horton 1993a). Ce sont là des valeurs qui ont d’abord été portées par la « nouvelle » droite en Grande-Bretagne. Ces valeurs s’articulent autour de l’individualisme, de la liberté personnelle et du principe d’inégalité sur le plan social.

22L’idéologie de cette « nouvelle » droite a remis en cause l’État-providence keynésien parce qu’il apparaissait que l’interventionnisme constituait une atteinte aux libertés personnelles et tendait à négliger d’autres formes possibles d’aide sociale (offertes notamment par les ménages et le secteur privé). Dans cette perspective, il fut considéré que « les marchés servent mieux les intérêts publics que les politiques » (Farnham et Horton 1993a : 14).

23Tel qu’il se manifeste en Grande Bretagne au cours des années 1980 et 1990, le nouveau « managerialism » n’est pas exclusif au secteur public. On le retrouve aussi dans le secteur privé. Dans le secteur public toutefois, il est caractérisé par trois convictions majeures : 1) nécessité d’un contrôle plus serré des dépenses, tant les dépenses courantes que celles pour la main-d’œuvre ; 2) décentralisation des fonctions et des responsabilités de gestion ; 3) redéfinition des fonctions managériales par l’introduction d’un nouveau système de planification qui met l’accent sur des buts concrets et à court terme (Farnham et Horton 1993a : 47).

24Le nouveau « managerialism » introduit aussi des changements dans les systèmes de gestion à la fois sur le plan des structures et sur celui des organisations. À ce niveau, l’évolution et le changement passent d’abord et avant tout en se calquant sur les processus de gestion et sur les techniques utilisés dans le secteur privé. S’il contribue avant tout à redéfinir le rôle des gestionnaires, c’est en modifiant les principaux mécanismes de gestion. Ses caractéristiques majeures font appel à la rationalité dans les choix décisionnels, à la gestion stratégique, à l’accroissement de la responsabilité des gestionnaires, à la décentralisation et à la réduction des hiérarchies organisationnelles, à la séparation des processus politiques et des processus de gestion et à une orientation des services en fonction de ceux à qui ils sont destinés (Farnham et Horton 1993b : 238).

  • 2 Les perspectives mises de l’avant par le nouveau « managerialism » obligent donc à revoir en profon (...)

25En faisant appel à ces éléments, le nouveau « managerialism » a transformé la gestion des services publics, de même que leur fourniture. Ce sont les principes traditionnels de l’administration publique qui ont été remis en cause. Désormais, ce qui compte, ce sont les clients et leurs attentes. L’accent est mis sur la performance, la rationalité du marché, l’efficacité et, bien sûr, la rentabilité économique2.

26Les défis auxquels se trouvent confrontés les « nouveaux » gestionnaires sont nombreux. En même temps que les ressources diminuent, les demandes augmentent. De plus, ils doivent aussi hausser la qualité des services offerts, qualité qui dépend en bonne partie des travailleurs professionnels aux prises avec les problèmes sur le terrain et qu’il faut convaincre de faire plus avec moins (Farnham et Horton 1993b).

27Il reste que les choix en matière de gestion des services publics demeurent des choix éminemment politiques. Les gestionnaires ont ici la responsabilité d’élaborer un consensus tant avec la classe politique qu’avec les autres acteurs concernés par les services publics, sauf que les principes empruntés au marché et aux entreprises privées entrent souvent en conflit avec la logique même des services publics (Farnham et Horton 1993 b).

28La nouvelle éthique managériale qui a remplacé, du moins en partie, l’ancienne morale de la gestion publique définie autour de la défense de l’intérêt public associé à une certaine vision de l’équité, accorde une plus grande responsabilité aux gestionnaires. Toutefois, le recours au marketing, à la privatisation et au « managerialism » a eu pour effet de rétrécir l’espace politique alloué à la gestion des services publics, de sorte que la légitimité de ces nouveaux gestionnaires demeure fragile (Farnham et Horton 1993b).

29Ce bref aperçu du nouveau « managerialism » permet d’illustrer que la gestion actuelle des services publics est confrontée à des choix qui interpellent les valeurs fondamentales des sociétés démocratiques contemporaines. En optant pour la rationalité du marché, la nouvelle droite se retranche derrière une vision réduite du social et du politique, qui tend en fait à évacuer le politique. La culture qu’elle évoque, qu’elle adopte et qu’elle veut rendre universelle est celle de l’entreprise et de sa rationalité instrumentale. Dans un tel schéma, non seulement les demandes sociales sont atomisées et individualisées, mais elles sont réduites à leur plus simple expression, soit celle de leur forme marchande.

30Cette approche et les valeurs culturelles qui lui sont associées soulèvent plusieurs questions. D’abord, est-ce que ce nouveau « managerialism » est aussi répandu que le laissent entendre les chercheurs qui en parlent ? Ensuite, quels en sont les effets concrets sur le plan social et politique ? Enfin, existe-t-il des alternatives à ce modèle de gestion ? Afin d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions, il nous semble utile de considérer de plus près la crise des institutions qui marque les sociétés contemporaines et qui affecte bien entendu les agglomérations urbaines. Sans cette crise institutionnelle, le nouveau « managerialism » aurait beaucoup plus de difficulté à trouver des adeptes.

La crise des institutions publiques et leur transformation

31Comme nous l’avons vu, si le nouveau « managerialism » a contribué à redéfinir la gestion des services publics dans les années 1980 et 1990 dans un certain nombre de pays occidentaux, c’est parce que le consensus social autour duquel s’est élaboré l’État-providence après la Deuxième Guerre mondiale s’est effrité. En d’autres termes, la nouvelle droite a su profiter de la crise des institutions publiques pour proposer un nouveau modèle de gestion fondé sur la privatisation et sur le recours aux principes de rationalité et d’efficacité qui prévalent dans les entreprises privées. Cette crise des institutions est vécue aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale. Elle reflète, du moins en partie, une incapacité de la part des administrations publiques à s’adapter aux nouvelles exigences de la modernisation.

32En faisant appel aux analyses élaborées par les théoriciens de la postmodernité (voir, entre autres, Featherstone 1991), on peut même dire que la crise des institutions coïncide avec une perte de confiance dans le projet de la modernité. C’est que les valeurs fondamentales autour desquelles ce projet a été construit — les idées de progrès, de raison, d’émancipation, de justice sociale — et dont le libéralisme s’est fait le champion ne font plus l’unanimité. Il en résulte un certain vide politique et culturel, vide favorable aux solutions instrumentales faisant appel à la rationalité du marché telles que celles proposées par la nouvelle droite.

33Les institutions sont définies ici dans une perspective sociopolitique et elles comportent aussi une dimension éthique. Comme le disent Robert N. Bellah et ses collègues (1992), c’est d’abord et avant tout à travers les institutions que nous vivons. Les institutions sont des formes sociales qui permettent de médiatiser les rapports entre l’individu (le self) et le monde (Bellah (dir.) 1992).

34Dans cette perspective il ne faut pas confondre les institutions avec les organisations. Les institutions font partie à la fois d’une organisation et d’un système : « Le social institué, on le sait, est un puissant facteur structurant, depuis quelques siècles déjà, de la modernité radicale. En plus d’être lui-même un produit et un champ de rapport sociaux, le social des systèmes et des organisations construit à son tour des rapports sociaux. »

35Ce regard sur le social institué mène à l’idée selon laquelle l’institution peut être vue comme étant un champ social en débordement. Ce débordement s’applique à la fois aux rapports sociaux « internes », propres aux rayons d’intervention ciblés par les institutions, et aux rapports sociaux « externes », c’est-à-dire qui sont exclus de ces rayons d’intervention. Les programmes, les routines, les objectifs fixés, de même que les voies d’action privilégiées, matérialisent dans les institutions à la fois la volonté politique de l’État et la rationalité menant à l’application de cette volonté politique.

36En d’autres termes, les institutions doivent être considérées différemment dans la modernité avancée. Différentes institutions peuvent maintenant être considérées comme constituant des espaces sociaux issus des caractéristiques, des contradictions et des conflits résultant de la structure d’une société et traversés par différents acteurs sociaux. Même si les institutions se reflètent dans les organisations, c’est-à-dire dans les corporations privées, dans les diverses associations volontaires et professionnelles et dans les organismes publics, elles transcendent leur matérialité et leurs dimensions opérationnelles. Leur signification réside, entre autres choses, dans les modèles normatifs qu’elles instaurent : « Institutions are normative patterns embedded in and enforced by laws and mores (informai customs and practices) » (Bellah (dir.) 1992 : 10-11). En ce sens on ne peut pas séparer la société des institutions qui l’alimentent. C’est dire aussi que l’on ne peut pas concevoir l’autonomie individuelle en marge des institutions.

37Les institutions constituent donc des éléments dynamiques de représentation sociale et de médiation pour une communauté donnée, qui demandent à être sans cesse renouvelées et adaptées compte tenu des changements contextuels et de la conjoncture. Cela signifie que les institutions doivent être constamment transformées. C’est pour cette raison que l’avènement du « managerialism » n’a pas permis à ce dernier de s’imposer complètement. En effet, en mettant de l’avant le principe du marché pour repenser les institutions publiques, le nouveau « managerialism » a proposé une perspective qui tendait à réduire leur mission à des fonctions supplétives et instrumentales.

38Le nouveau « managerialism » n’est donc pas aussi répandu que certains le prétendent. Il constitue une tendance importante parmi la classe politique et parmi une partie des gestionnaires publics. C’est ce qui a été exprimé clairement ces dernières années, à maintes occasions, dans le retour au privé pour la gestion des services publics, et cela, notamment à l’échelon local, sous diverses formes comme la privatisation de la fourniture des services, la sous-traitance et le partenariat public-privé. Il demeure difficile pour l’instant de prévoir l’emprise véritable de cette idéologie : jusqu’à quel point réussira-telle dans son projet visant à créer un État minimal ? En d’autres termes, en prenant appui sur une insatisfaction croissante de la part de la population à l’endroit de la bureaucratie d’État, eu égard à la qualité et aux coûts des services publics, est-ce que le nouveau « managerialism » offre des garanties suffisantes en termes de viabilité. En outre, quelles sont les alternatives au nouveau « managerialism » ?

Vers de nouvelles réflexions concernant les dynamiques urbaines contemporaines et les enjeux culturels

39L’idéologie du nouveau « managerialism » et sa mise en œuvre ont reçu un accueil favorable dans certains milieux (pensons en particulier aux milieux d’affaires et à certains secteurs de la gestion publique). La raison en est qu’elle a réussi à traduire, du moins en partie, le fait que les principes de gestion du social mis de l’avant par l’État-providence à l’échelle des services publics, à plusieurs égards, ne rencontraient plus les attentes de la population. Toutefois, cela ne s’est pas fait sans heurts.

40Plusieurs critiques, par ailleurs, ont été formulées à l’endroit du nouveau « managerialism ». D’abord, en donnant beaucoup de pouvoir aux gestionnaires publics, il affaiblit le principe de neutralité qui a traditionnellement caractérisé la gestion publique. En même temps, il constitue aussi une menace pour la démocratie parce qu’il réduit le champ des politiques publiques et qu’il limite la participation des citoyens au processus politique (Farnham et Horton 1993b). Le nouveau « managerialism » tend à évacuer les débats politiques sur les finalités et les priorités de l’intervention des pouvoirs publics au profit d’une discussion sur les modalités administratives de mise en œuvre.

41Sur le plan social, en faisant la promotion des intérêts individuels définis strictement en termes économiques, le nouveau « managerialism » ramène le social à un système d’échanges marchands. C’est comme si les individus n’étaient pas inscrits dans des rapports institutionnels où ils sont appelés à partager avec d’autres un langage, des significations et un réseau de relations qui s’enracinent dans des traditions et une communauté, lesquels vont bien au-delà des relations marchandes (voir Sayer 1993). En effet, l’identité et la différence que revendiquent certains acteurs sociaux contemporains ne peuvent pas être atteints uniquement par des échanges marchands. Elles font appel tout autant, si ce n’est davantage, à des relations interpersonnelles, à une insertion sociale et communautaire et à la possibilité de s’engager dans diverses formes d’action collective qui échappent complètement à la vision libérale du nouveau « managerialism ».

  • 3 Davantage prêts à reconnaître l’idée d’égalité en principe que de s’attaquer aux inégalités réelles (...)

42Si on interprète le nouveau « managerialism » comme une forme d’expression des valeurs néolibérales — et de la nouvelle droite — sur le plan de la gestion publique, on peut dire que l’opposition la plus forte jusqu’à maintenant est venue du courant « communautarien ». Alors que les libéraux optent pour une justice procédurale, les partisans d’une vision communautaire du social pensent au contraire que cette approche est insuffisante pour empêcher l’« atoatomisation » des sociétés (Etzioni 1996)3. La vision communautaire préconise à l’inverse une « refondation des sociétés modernes autour de valeurs communes » (Spitz 1993 : 2,59). Dans ce cas, il s’agit souvent d’espaces sociaux traversés par des mouvements sociaux.

43Ici, l’action collective des mouvements sociaux ne se situe pas en dehors de la dimension politique, bien au contraire : « Movements act in tbe streets, in civil society. They are, by definition, extra-parliamentary, using means of expression and power other than those available within “straight ahead” politics. But the American experience shows that movements must also interact with the State, not only as a source of pressure on elites from the outside, but as a vehicle for achieving goals. Movement demands have to be legislated; rights claims have to be legitimated » (Flacks 1990: 42).

44Ce qui se passe en Amérique se passe ailleurs dans le monde. Les mouvements sociaux, afin de réaliser leurs revendications, doivent travailler non seulement contre, mais avec et dans les institutions. Dans un tel contexte, l’action collective ne se mesure pas uniquement par une dimension politique, mais aussi par une dimension culturelle.

45En effet, la dimension culturelle s’ajoute à la dimension politique et les deux contribuent à mieux faire comprendre l’ensemble des enjeux qui surgissent par rapport aux responsabilités de l’État ou concernant le problème de régulation. Nous devons donc non seulement répertorier les caractéristiques générales de cette dimension culturelle, mais nous devons également établir quels sont les indicateurs permettant, à travers ce registre d’actions, de confirmer l’existence de divers acteurs sociaux, incluant les mouvements sociaux. C’est en examinant la dimension culturelle de l’action collective et en regardant comment cette dimension s’articule à l’espace social que nous pouvons vérifier nos hypothèses.

46Dans un article sur le mouvement vert aux États-Unis, Edwards affirme que les mouvements sociaux construisent des schèmes cognitifs qui se définissent avant tout en termes symboliques et culturels et qui sont essentiels à l’action : « Collective action frames are narrative maps guiding movements toward their goals. Frames include interpretations of the injustice or immorality of specific social conditions, an attribution of blame for them, some kind of action agenda for solving them and a motivation for taking that action. They are interpretative symbolic schemes socially constructed by movements to orient their actions in an ever-shifting political, social, and cultural context » (Edwards 1995: 41).

47L’encadrement culturel est un processus social qui s’applique à l’ensemble des acteurs sociaux mais, lorsque porté par des mouvements sociaux, il se caractérise de façon particulière. Un ensemble de revendications et de critiques sont véhiculées, qui sont assorties d’une demande constante d’élargissement de la démocratie et de l’imputabilité. Dans cette perspective, on fait appel à des solutions mettant les groupes de citoyens au cœur des nouvelles solutions à définir. À ce titre, les acteurs sociaux recourent à de nouvelles institutions dont le fondement repose sur un nouvel encadrement communautariste en opposition à l’encadrement « managerial » de la droite privilégiant des solutions atomisées basées sur les soi-disant clients.

48Il ne s’agit pas ici de processus dont l’objectif exclusif est de parvenir à une prise de décision ou encore à la promulgation de lois ou de règlements. Il s’agit plutôt de processus visant à mieux encadrer une nouvelle moralité constituée d’un agencement d’éléments incluant certaines valeurs, certaines normes et certaines attitudes et qui, à plusieurs occasions, engendrent l’action collective. En même temps qu’il y a émergence, dans une société, d’un encadrement culturel tourné vers la construction de compromis sociopolitiques, les dynamiques d’ordre culturel mènent les acteurs sociaux à poser des gestes conséquents. C’est pourquoi il est essentiel de considérer les affirmations et les revendications émises par les diverses catégories d’acteurs sociaux à l’intérieur de l’ensemble des processus et des dynamiques où l’on peut observer l’action collective. Comme le mentionne Melucci, les schémas cognitifs et culturels élaborés par les mouvements sociaux sont essentiels à leur action: « However homogenenous or contradictory they might appear, ideological frames correspond to an intrinsic rationale, to orientations and strategies that the actors set in motion within the System of relations to which they belong » (Melucci 1992: 67).

49L’encadrement culturel est à la fois un phénomène social structurant une moralité axée sur des valeurs, des normes et des attitudes de même qu’un champ d’action d’acteurs sociaux ayant leurs propres justifications, voire des légitimations de l’action produites à l’intérieur d’un espace social émergeant de diverses institutions. Nous croyons que cela est un phénomène relativement nouveau qui nécessite d’être articulé à de nouvelles recherches afin d’accroître la réflexivité des acteurs à l’égard des choix normatifs et sociétaux.

Un exemple de prise en charge communautaire : les ressourceries

50Il est difficile, voire impossible de retourner au modèle de gestion bureaucratique des services publics tel qu’élaboré sous l’égide de l’État-providence. En même temps, le modèle que propose le nouveau « managerialism » constitue une négation complète des principes de la démocratie participative, permettant aux acteurs locaux d’intervenir dans l’orientation du développement urbain, notamment par l’entremise d’une planification et d’une gestion plus normative des services urbains.

51Il reste cependant une troisième voie, celle du communautarisme éthique et sociopolitique.

52Comme nous avons pu le constater, le système du « managerialism » n’a été qu’une formule intermédiaire de gestion en attendant qu’émerge une nouvelle façon de concevoir la gestion publique.

53Une tendance prend forme dans les centres urbains. Plusieurs initiatives communautaires se mettent en place pour résoudre les problèmes : itinérance, pauvreté, employabilité, environnement, etc.

54L’absence d’interventions appropriées ou adéquates de l’État dans plusieurs domaines a obligé la population à innover tout en recourant à l’action collective. Ayant peu à peu perdu le pouvoir d’agir, les citoyens se sont formés en groupes communautaires pour avoir plus de poids et pour exprimer leurs besoins.

55On peut penser à ce sujet à l’exemple de Montréal et au cas particulier de la gestion des déchets solides. Le compromis entre l’idéologie et l’engagement politique a, dans ce cas, permis d’expérimenter de nouveaux modes de gestion des déchets tout en relançant le débat social et politique sur l’environnement. L’État ne pouvant plus gérer seul ce service à la population, les groupes communautaires ont choisi de proposer de nouvelles modalités de gestion.

56Les objets ayant terminé leur vie utile et devenant ainsi des déchets appartiennent par convention à l’État, c’est à lui d’en disposer. À cause de la pauvreté croissante d’une bonne partie de la population urbaine, et à cause du niveau de pollution devenu alarmant, la population reprend possession de ses déchets pour les faire fructifier. Des réseaux d’échanges de matières résiduelles se mettent en place. On vise, autant que possible, à tout réutiliser ou recycler. Certains organismes font de l’éducation à l’environnement, d’autres agissent directement sur les déchets en s’appliquant à les réparer et à remettre ces vieilleries sur le marché de façon plus ou moins informelle.

  • 4 Centre communautaire de gestion écologique des déchets offrant en son sein des activités et des ser (...)

57Un réseau québécois de ressourceries4 se met actuellement en place. Ce réseau s’inscrit dans une démarche d’économie sociale environnementale où se mêlent les dynamiques économique, sociale et environnementale, le tout s’articulant à une problématique de développement durable.

58Si l’on considère la transformation des dynamismes urbains dans le contexte du post-ou du néofordisme — et si l’on pense en termes de solutions par rapport aux problèmes reliés à ces formes d’accumulation flexible — on peut dire que l’enjeu de leur réorientation passe par des choix culturels. Bien que le débat concerne l’ensemble de nos institutions, il s’exprime d’une manière particulière en ce qui concerne la gestion des services publics, y compris les services urbains, comme la collecte des déchets. À ce titre, l’option en faveur du nouveau « managerialism » demeure une réponse culturelle et politique circonstancielle — cherchant à évacuer la question de la crise institutionnelle ainsi que les choix culturels et politiques qu’elle implique — qui ne résoud pas le conflit fondamental entre les intérêts individuels et l’intérêt général.

59La nature et la forme des problèmes urbains contemporains exigent au contraire de repenser et de rebâtir les institutions. Non seulement devons-nous examiner de près les façons d’accroître les capacités d’intervention des individus et des groupes sociaux, mais nous devons également comprendre les mutations d’espaces sociaux dans lesquels de tels changements ont lieu. Une telle approche analytique permet de comprendre le rôle des diverses catégories d’acteurs sociaux, notamment des mouvements sociaux, et ainsi de mieux saisir leur contribution à la construction des compromis sociopolitiques qui participent à la redéfinition des institutions. De plus, une telle approche ouvre de nouvelles perspectives quant aux solutions proposées pour faire face aux problèmes urbains. Un tel élargissement de l’horizon des solutions indique, entre autres choses, que les citoyens revendiquent souvent des solutions qui dépendent d’une intervention locale imputable à des personnes responsables plutôt qu’à une constance centralisée contre laquelle ils ont peu de recours. C’est dans ce sens qu’un retour à la rationalité instrumentale du marché tel que préconisé par les tenants du nouveau « managerialism » ne peut ici nous offrir beaucoup d’aide, si ce n’est de nous rappeler que les solutions qui font appel à un collectivisme autoritaire demeurent insatisfaisantes dans le contexte des agglomérations urbaines contemporaines. Au-delà de la rationalité urbaine du marché d’une part, et du collectivisme autoritaire et bureaucratique d’autre part, il semble bien que des expériences d’économie sociale environnementale comme celles des ressourceries, qui sont basées sur un communautarisme éthique et sociopolitique répondant aux besoins immédiats de la population, nous tracent des voies originales à suivre pour éviter tant le nouveau « managerialism » que l’ancien modèle de gestion bureaucratique. La gestion écologique des déchets selon les approches novatrices des 3R et du développement durable nous offre à cet égard et à titre d’exemple pour la gestion des services urbains un modèle intéressant pour nous aider à sortir de l’impasse actuelle.

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Notes

1 Dans cette perspective, les villes s’inscrivent désormais à l’intérieur d’un « système urbain global » où elles doivent miser sur leurs capacités de différenciation: « Crucial features of this differentiation would include the capacity of cities to assume global control functions within the circuit of capital; the productivity, cost, and flexibilité of their labour; the possibilities for private investment in the city to be subsidized by State intervention; and the attractiveness of the city as a centre of consumption and interaction most especially of high-status housing, high order retail goods and services and cultural artefacts and events especially in urban spaces designed for the purpose » (Lee 1989: 68).

2 Les perspectives mises de l’avant par le nouveau « managerialism » obligent donc à revoir en profondeur les anciens principes de gestion publique : « In essence, the orientation of the public services bas changed. They were originally founded on the traditionnal principles of public administration and bureaucratic hiérarchies, co-ordinated by generalist administrators or professionnal specialists and focusing on free services based on need, equity, fairness and altruism. They are now based, in part at least, on the principles of "public business” and “customer awareness” ocusing on the instrumental objectives of economy, effiaency and effectiveness (the 3 Es), and the agency of professional management » (Farnham et Horton 1993b: 241).

3 Davantage prêts à reconnaître l’idée d’égalité en principe que de s’attaquer aux inégalités réelles qui ont cours dans la société, il reste que les libéraux ont soulevé des objections valables aux solutions autoritaires ou collectivistes souvent implicites dans certaines perspectives « communautariennes » de résolution du conflit entre les intérêts individuels et l’intérêt général (Sayer 1993).

4 Centre communautaire de gestion écologique des déchets offrant en son sein des activités et des services rattachés à chacun des 3R : réduction, réutilisation, recyclage-compostage.

Auteurs

(Doctorat en sociologie de l’Université de Montréal) est professeur titulaire à l’Institut d’urbanisme de cette même Université. Il enseigne aussi au département de sociologie et publie abondamment sur les mouvements urbains et la démocratie locale.

(Doctorat en sociologie de l’Université de Californie à Berkeley) est professeur de sociologie de l’environnement au département de sociologie de l’Université de Montréal. Il dirige le Groupe de recherche en écologie sociale et siège au Conseil d’administration du Conseil régional de l’environnement de Montréal et du Groupement forestier du Haut-Yamaska. Il a publié divers ouvrages et articles en écosociologie.

(Doctorat en sociologie de l’Université de Montréal) est chercheur postdoctoral au département de sociologie de l’Université de Montréal. Il est le fondateur et le président d’Action-REbuts ; il a publié un livre intitulé Le scandale des déchets au Québec, aux Éditions Écosociété. Il a été coordonnateur du volet sciences humaines du projet STOPER. Il est coordonnateur du Groupe de recherche sur l’institutionnalisation des mouvements sociaux (GRIMS).

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