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Renouveler l’aménagement et l’urbanisme

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Mario Gauthier
, 
Michel Gariépy
, 
Marie-Odile Trépanier

Troisième partie. Les projets urbains

Chapitre 12. L’effet structurant d’un projet urbain : le cas du Vieux-Port de Montréal

Sabine Courcier

Texte intégral

1La notion d’effet structurant est couramment utilisée a priori quand il s’agit de justifier une opération d’aménagement. L’idée généralement véhiculée est qu’un nouveau projet dynamisera la ville ou l’un de ses secteurs, jouera un rôle de catalyseur de manière quasi automatique. Pourtant, quand on analyse a posteriori les effets d’un projet sur son environnement, les résultats s’avèrent souvent moins simples qu’on ne l’avait estimé au départ. Les répercussions du projet sont parfois décevantes et les effets éventuellement négatifs. Les facteurs qui peuvent donner à un projet un rôle moteur sur la ville sont peu connus et la notion même d’effet structurant est remise en question.

2Dans le domaine des transports, la question de l’effet structurant a été largement étudiée. Les recherches démontrent l’absence d’effets automatiques et l’importance que plusieurs facteurs se confortent pour qu’un changement ait lieu (Plassard, 1990 ; 2003). Pour Offner (1993), l’effet structurant est un mythe scientifique ; il est donc nécessaire de retenir une lecture basée sur l’étude des stratégies des acteurs et des congruences pour comprendre les transformations.

3Dans le cadre des projets urbains, d’une manière générale, peu de lectures critiques de cette notion d’effet structurant ont été faites. Les efforts consacrés à l’évaluation des projets sont plus menés dans une approche prospective d’aide à la décision que dans une attitude rétrospective d’observation d’un projet et de ses effets (Conan, 1986 ; Gourdon et Perrin, 1987). Chaline souligne

que si la littérature est foisonnante lorsqu’il s’agit de décrire des projets, des programmes et des objectifs d’aménagement, elle se tarit dans les méandres de la controverse, dès lors que l’on s’interroge sur les effets et les retombées d’une opération de reconquête de friches. (1999, p. 103)

  • 1 Cet article est tiré de recherches menées dans le cadre d’une thèse de doctorat en aménagement à l’ (...)

4L’article qui suit se situe dans la problématique de l’évaluation a posteriori d’un projet urbain et apporte des éléments de réflexion sur l’utilisation du concept d’effet structurant en planification territoriale. Il précise comment les répercussions d’un projet peuvent être appréhendées et comment le concept d’effet structurant peut être compris, particulièrement dans le cas du réaménagement du Vieux-Port de Montréal. En effet, face aux nombreuses transformations urbaines observées en périphérie du Vieux-Port reconverti dans les années 1990, deux types de questions se sont posées1 : existe-t-il des liens entre les transformations du sud du centre-ville de Montréal et le réaménagement du Vieux-Port, ou encore le Vieux-Port a-t-il eu un effet structurant sur la dynamique urbaine de Montréal ? Comment évaluer les changements ?

Remise en question et remplacement du paradigme déterministe de l’effet structurant

5Les effets structurants ont particulièrement été étudiés dans le domaine des transports. Toutes les études approfondies sur les effets d’une nouvelle infrastructure se complètent et se confortent dans leurs conclusions. S’il existe des effets directs assez simples à appréhender et liés à l’évolution de la mobilité qu’entraîne l’équipement, l’identification et l’interprétation des effets indirects et structurants posent plus de questions (Plassard, 1990 ; 2003 ; Offner et Pumain, 1996). On ne peut établir de relation de causalité simple entre une infrastructure de transport et le développement d’une région. Un certain consensus se dégage sur la nécessité de remplacer le paradigme déterministe, mais on y parvient de différentes façons, soit en relativisant la relation de cause à effet, soit en l’abandonnant totalement (voir Figure 12.1). Les différentes approches éclairent la compréhension des changements et ainsi la façon d’évaluer un projet.

Les effets structurants conditionnels

6Le paradigme déterministe simple est souvent remplacé par la notion d’effets structurants conditionnels. La notion centrale d’effet structurant n’est pas abandonnée – donc l’idée qu’un projet va dynamiser une région –, elle est juste relativisée. Ces effets dépendent des potentialités de la région et des stratégies de développement mises en œuvre par les acteurs dans une perspective économique. Les effets déstructurants que peut avoir une infrastructure sont à peine évoqués par les tenants de cette approche et de rares doutes sont émis sur les potentialités des régions et des acteurs (Claisse et Duchier, 1993). Cette vision reste trop simpliste, elle ne met pas en évidence toute la complexité des changements.

La congruence

7Offner (1993) propose une tout autre logique en parlant de congruence, c’est-à-dire d’adaptation réciproque entre le système de transport et le système économique et social. Dans ce cas, paradigme déterministe et référence à l’impact d’un projet sont totalement abandonnés. La notion de congruence renvoie à une concordance entre deux éléments. Pour Offner, il s’agit de la concordance entre la présence d’une infrastructure nouvelle et le développement de l’espace concerné. L’un ne précède pas l’autre, mais il s’agit plutôt d’une adaptation réciproque. La congruence peut être illustrée par l’exemple suivant : « Le TGV ne provoque pas l’apparition des technopôles, mais il est le mode de transport correspondant le mieux, à un moment donné, à l’apparition de nouvelles formes d’organisation spatiale des entreprises innovantes » (1993, p. 239). La notion de congruence rend compte de l’importance des tendances structurelles, elle met l’accent sur le rôle des stratégies des acteurs et invite à se questionner à leur sujet.

Les effets de valorisation d’opportunités

8On peut aussi considérer que la notion d’effet est intéressante dans la mesure où un projet n’est pas neutre par rapport au changement économique et social, et qu’il faut comprendre les effets des infrastructures comme « des effets de valorisation d’opportunités » (Claisse et Duchier, 1993).

Effets de valorisation, cela signifie que l’infrastructure de transport est un facteur permissif des processus de valorisation et de dévalorisation économique, politique ou symbolique des activités humaines. Opportunités, cela signifie que rien n’est automatique, que l’infrastructure de transport peut révéler des opportunités qui seront ou non valorisées par les acteurs. (Claisse et Duchier, 1993, p. 225)

9Cette lecture des effets accorde une place centrale aux stratégies des acteurs et aux dynamiques économiques et sociales dans lesquelles s’inscrivent les projets. Elle met en évidence la complexité des interactions entre le projet et son environnement.

Compréhension des changements et ouverture méthodologique

10Les notions évoquées font valoir la nécessité de comprendre un changement en dépassant une simple relation de cause à effet, en insérant le projet dans son contexte et dans le cadre d’une évolution plus globale ainsi qu’en mettant en évidence des liens entre différents éléments. Ces notions font ressortir l’importance des stratégies des acteurs qui vont permettre ou non de valoriser des opportunités. Elles sont à mettre en parallèle avec la remise en question de la planification rationnelle qui véhicule une vision simpliste des transformations et que l’on cherche à dépasser dans un modèle plus stratégique et plus collaboratif, ceci pour mieux prendre en compte la complexité des territoires et la multiplicité des acteurs.

11Le concept d’effet structurant reste ambigu. Il est clair qu’il faut se méfier du paradigme déterministe, mais faut-il conserver la notion d’effet ou mettre l’accent sur la congruence entre un projet et son contexte ? La notion d’effet semble garder une certaine pertinence au-delà du discours politique. Un projet n’est pas neutre, ce n’est pas une fin en soi et il aura de nombreuses répercussions. Il se construit par des jeux d’acteurs, il s’inscrit dans un territoire, interagit avec celui-ci et peut contribuer à en modifier de manière positive ou négative la dynamique. Même si l’on ne peut identifier l’ensemble des effets, il est important de mettre en évidence certaines répercussions et il semble possible de dégager une vision générale des changements. Le concept de congruence n’écarte certes pas totalement la notion de causalité, mais ce qui est essentiel, c’est la relation de concordance entre deux phénomènes, car elle favorise un changement. Cette notion de correspondance est reprise par différents auteurs pour expliquer les changements dans l’évolution urbaine. Par exemple, Lacaze (1995, p. 111), en lien avec l’efficacité de l’action d’aménagement, évoque la « résonance » nécessaire entre le projet et le flux du changement socioéconomique. Foret (1990) parle d’« accord » dans le système de représentation des acteurs nécessaires à la revalorisation d’un espace urbain.

figure 12.1. Remplacement du paradigme déterministe par les notions de congruence et d’effets de valorisation d’opportunités, approches illustrant mieux les changements

figure 12.1. Remplacement du paradigme déterministe par les notions de congruence et d’effets de valorisation d’opportunités, approches illustrant mieux les changements

12Ces réflexions sur l’effet structurant, menées en vue d’évaluer a posteriori les répercussions du réaménagement du Vieux-Port de Montréal, invitent à retenir une méthodologie basée sur une double lecture des changements : les évolutions globales observées d’une part, les stratégies des acteurs et l’identification de congruences d’autre part.

Le réaménagement du Vieux-Port de Montréal

13Le Vieux-Port de Montréal est un vaste espace public, récréatif et patrimonial, qui s’étend sur 52 ha. Déserté dans les années 1960 et 1970, le site connaît aujourd’hui un succès remarquable. Il est devenu, avec le Vieux-Montréal, le pôle touristique le plus fréquenté de l’agglomération et du Québec (voir carte 12.1).

Les grandes lignes du processus de planification

14C’est à partir du milieu des années 1970 que des réflexions sont engagées sur le devenir du Vieux-Port. L’espace partiellement en friche pouvait alors conserver une vocation portuaire traditionnelle grâce à l’aménagement d’un terminal à conteneurs entre les quais Jacques-Cartier et de l’Horloge. Ce projet, bien qu’amorcé, a cependant été abandonné. On a considéré qu’il constituait une entrave à la mise en valeur du Vieux-Montréal, quartier historique depuis 1964 et dont l’importance patrimoniale commençait à être reconnue par les Montréalais. Les autorités se sont alors tournées vers une réappropriation urbaine des espaces portuaires.

carte 12.1. Les six pôles touristiques de Montréal

carte 12.1. Les six pôles touristiques de Montréal

Source : Ville de Montréal, 2007, <ville.montreal.qc.ca>.

15L’inauguration officielle du Vieux-Port réaménagé s’est déroulée près de 20 ans après les premières discussions, en 1992, lors des cérémonies entourant le 350e anniversaire de la fondation de la ville. Tout au long du processus de planification, une quinzaine de plans d’aménagement différents couvrant en totalité ou en partie le territoire ont été élaborés et deux séries de consultations publiques ont été organisées. Ces dernières ont joué un rôle majeur dans le processus (Gariépy, 1985 ; 1997 ; Courcier, 2004). D’un développement résidentiel et commercial intensif, les autorités se sont finalement tournées vers un espace public récréotouristique et patrimonial, respectant mieux « le génie du lieu ». La perspective des cérémonies du 350e anniversaire de la ville a stimulé la prise de décision ; cet événement et les ambitions pour le Vieux-Port sont entrés en synchronie. L’aménagement s’est poursuivi après l’inauguration, notamment avec l’ouverture en 2000 du Centre des sciences de Montréal.

carte 12.2. Le sud du centre-ville de Montréal et le territoire de la Société du Havre

carte 12.2. Le sud du centre-ville de Montréal et le territoire de la Société du Havre

Source : Société du Havre, 2006, p. 5.

La renaissance du sud du centre-ville

  • 2 Le sud du centre-ville réunit le Vieux-Montréal et ses faubourgs ainsi que le Quartier internationa (...)
  • 3 Le Vieux-Montréal comptait 555 habitants en 1976 ; en 2006, ce nombre passe à 3 169 ou 4 546 si on (...)
  • 4 En 1979, le quartier comptait un bâtiment sur trois vacant, aujourd’hui ce taux est de un bâtiment (...)
  • 5 D’une offre quasi inexistante dans les années 1970, le quartier compte en 2005 1 164 chambres d’hôt (...)

16Le sud du centre-ville de Montréal2 connaît des transformations majeures ces dernières décennies. Le réaménagement du Vieux-Port a-t-il influencé ces changements ? Le Vieux-Montréal, adjacent au Vieux-Port, est redevenu un quartier habité et animé. Quelques indicateurs témoignent du nouveau dynamisme qui le caractérise : la population résidente a été multipliée par 6 en 30 ans3, le taux de vacance des bâtiments a considérablement diminué4, l’activité touristique a été confortée, telle qu’en témoigne notamment l’augmentation du nombre de chambres d’hôtel5. Jusque dans les années 1990, le Vieux-Montréal était isolé, entouré d’espaces déstructurés (friches, stationnements, infrastructures routières). Aujourd’hui, la périphérie du Vieux-Montréal s’est totalement transformée avec le lancement de la Cité Multimédia dans le faubourg des Récollets (en 1998), l’aménagement du Quartier international à la jonction du Vieux-Montréal et du centre des affaires (dont le plan particulier d’urbanisme date de 1999), l’ouverture du canal de Lachine à la navigation (en mai 2002) et les développements résidentiels du pôle Viger (faubourg Québec). Des changements majeurs sont aussi attendus en bordure du fleuve et du canal de Lachine, depuis la création en 2002 de la Société du Havre de Montréal (SHM). Celle-ci a eu pour mission d’élaborer un plan d’intervention du secteur du Havre (dont le territoire s’étend du pont Champlain au pont Jacques-Cartier, et englobe notamment le Vieux-Port et le Vieux-Montréal, les îles Sainte-Hélène et Notre-Dame, des espaces portuaires et ferroviaires (voir la Carte 12.2). Ce territoire aux nombreux espaces vacants fait l’objet de multiples projets et offre un large potentiel de développement récréatif, touristique, immobilier, résidentiel, culturel et industriel.

17Face à ces transformations, des recherches approfondies ont montré, d’une part, que le dynamisme observé est propre au Vieux-Montréal et à sa périphérie immédiate et, d’autre part, que le réaménagement du Vieux-Port a eu des répercussions qui ont favorisé cette dynamique. Par exemple, la croissance très importante de la population du quartier historique témoigne d’un élan spécifique au Vieux-Montréal, puisqu’au cours de la même période, la croissance de la population de Montréal a été négative ou très légèrement positive. Et si l’on regarde l’ensemble des projets urbains des années 1990 à l’échelle de la ville, on constate que la plupart sont réunis autour du Vieux-Port.

18Le réaménagement du Vieux-Port a eu de nombreux effets directs et indirects, positifs, mais aussi négatifs sur la dynamique urbaine. L’effet probablement le plus important est lié au fait que le réaménagement du Vieux-Port a impulsé une nouvelle dynamique de fréquentation. Parce que l’accès au Vieux-Port se fait par le Vieux-Montréal, le réaménagement du site portuaire a aussi incité les Montréalais à parcourir le quartier historique, à le redécouvrir et éventuellement à y investir. Le réaménagement du Vieux-Port apporte également un atout majeur au Vieux-Montréal par les perspectives visuelles et la qualité de vie que procure ce vaste espace public. Les projets immobiliers vantent d’ailleurs la proximité du Vieux-Port, aussi bien dans leurs discours que dans les illustrations choisies. Enfin, le réaménagement du Vieux-Port a favorisé la mise en valeur de la rue de la Commune – artère qui marque la séparation entre Vieux-Port et Vieux-Montréal – et la mise en œuvre de projets particuliers, tels que le musée d’archéologie et d’histoire de la Pointe-à-Callière. Des effets négatifs liés à l’afflux touristique et aux nuisances associées (bruit, circulation, stationnement) sont cependant ressentis par les résidents.

19L’analyse des transformations montre des changements majeurs propres au Vieux-Montréal et à sa périphérie, et des effets du réaménagement du Vieux-Port qui ont stimulé ces changements. Si l’on situe les changements dans le temps et à l’échelle de l’agglomération, au XIXe siècle et au début du XXe, l’expansion de la ville s’oriente vers le nord ; le nouveau centre-ville se développe au nord-ouest du Vieux-Montréal et sur les flancs du mont Royal, tout en préservant celui-ci. Dans les années 1960 et 1970, de grands projets ont été développés autour du centre des affaires ou lancés à l’occasion d’événements majeurs comme l’Expo 67 et les Jeux olympiques. Peu d’évolutions urbaines majeures ont marqué les années 1980 et le début des années 1990. Depuis, de grands changements ont vu le jour et se mettent en place aujourd’hui autour du Vieux-Port. Le XIXe siècle a rendu la montagne aux Montréalais, le XXe siècle leur a rendu le fleuve : Montréal renoue ainsi avec ses origines.

Les stratégies des acteurs : convergence mais manque de collaboration

20L’étude des stratégies des acteurs a porté particulièrement sur les initiatives mises en œuvre par les trois paliers de gouvernement (fédéral, provincial et municipal) dans le Vieux-Port et sa périphérie. Elle a porté aussi sur les initiatives individuelles et celles de partenaires privés, et plus généralement sur l’évolution des perceptions associées à ces territoires. Cette étude des stratégies a permis d’enrichir le bilan des changements et de mieux comprendre de quelle façon on peut parler d’effet structurant.

21Il ressort que le gouvernement fédéral, propriétaire du territoire et responsable de son aménagement, a été partagé entre la volonté de se départir du territoire dans un impératif budgétaire et la volonté de mener une opération modèle à Montréal pour redorer son image. Il s’est beaucoup inspiré des autres projets de réaménagement portuaires à travers l’Amérique du Nord. Plusieurs hypothèses de cession de terrains ont été élaborées, mais aucune n’a abouti. Le gouvernement fédéral a montré dès le début sa préoccupation de consulter les Montréalais. La Société du Vieux-Port, société de la Couronne chargée de l’aménagement du site, a toujours témoigné de sa volonté d’avancer concrètement dans le projet. Elle a cependant à plusieurs reprises eu de la difficulté à s’affirmer face au gouvernement fédéral. L’approche planificatrice menée conjointement par le gouvernement fédéral et la société du Vieux-Port témoigne de tensions entre le choix d’une planification traditionnelle et une approche de type projet urbain, qui se veut plus ouverte et plus souple, mais qui reste difficile à appliquer (notamment lorsque des interventions ponctuelles sont menées sans plan global approuvé). Aujourd’hui, c’est une logique de gestion qui anime la Société, dans une optique d’animation d’un site récréotouristique et culturel ainsi que d’équilibre budgétaire. Un manque de suivi depuis l’inauguration du Vieux-Port et une perte de la mémoire du réaménagement sont à déplorer.

22Pour le gouvernement du Québec, l’appartenance fédérale du territoire du Vieux-Port a dominé le processus et a constitué un blocage, faisant du provincial un acteur effacé dans le projet, malgré ses compétences nombreuses par rapport à ce dossier (patrimoine, environnement, culture, transports, aménagement, habitation, Vieux-Montréal). Les préoccupations du palier provincial sont restées sectorielles, et il n’y a pas eu reconnaissance du potentiel du site ni de son caractère historique.

23Quant à la Ville, celle-ci a manqué de vision pour ce site et n’a fait aucune proposition d’aménagement. Son attitude a été réactive et non proactive. Elle a considéré le Vieux-Port du point de vue d’une concurrence possible avec le Vieux-Montréal, et beaucoup moins du point de vue de la complémentarité. Le palier municipal n’a pas saisi l’opportunité de s’interroger a priori sur les effets du réaménagement du Vieux-Port sur le Vieux-Montréal et particulièrement sur ses effets négatifs. Aussi il ressort une lecture critique des stratégies de la ville et du gouvernement du Québec par rapport au quartier historique. C’est la volonté de préserver un périmètre, d’intensifier et d’harmoniser les fonctions qui dominent. Elle s’est traduite par une liste de projets distincts, un collage d’objectifs et de visions sans qu’une réflexion partagée sur un cadre d’intervention élargi ne soit élaborée. L’effet structurant attendu ou supposé d’un projet conduit souvent à considérer le problème à l’envers. Quand on cherche à dynamiser un quartier, il peut être plus simple de considérer qu’un projet extérieur va avoir des effets positifs que de se questionner de manière approfondie sur la propre problématique du quartier.

24Plusieurs perspectives d’ententes ont été esquissées entre les trois paliers de gouvernement, mais aucune n’a abouti. Elles auraient pu concevoir un plan d’ensemble à l’échelle du Vieux-Montréal, de ses faubourgs et du Havre de Montréal, mais il a fallu attendre la création de la Société du Havre en 2002 pour que les trois paliers de gouvernement se réunissent et engagent une réflexion commune sur la poursuite de l’aménagement des berges du fleuve.

25Du point de vue des Montréalais, le réaménagement du Vieux-Port est un succès, comme en témoigne la fréquentation du lieu. Et la valorisation qui en résulte favorise le développement des espaces périphériques. Par son caractère public et l’ouverture vers le fleuve qu’il propose, ce réaménagement répond à des demandes très spécifiques. Elles ont été formulées notamment lors des consultations publiques et ont été testées progressivement lors d’interventions ponctuelles mises en œuvre par la Société du Vieux-Port. On peut donc expliquer le succès du Vieux-Port réaménagé par la congruence qui s’est établie entre le parti d’aménagement retenu et les préoccupations des Montréalais.

26L’effet structurant d’une opération d’aménagement doit cependant être compris en considérant l’interdépendance des territoires et des projets, dans le temps et dans l’espace. L’étude des stratégies des acteurs permet de contextualiser les différents changements. Si l’on observe aujourd’hui des effets importants du Vieux-Port réaménagé sur le Vieux-Montréal, il faut souligner que c’est avant tout le Vieux-Montréal qui a accéléré le départ des activités portuaires industrielles. Par la suite, c’est le Vieux-Montréal qui a dicté des conditions à la revitalisation du site portuaire, en s’opposant à un développement commercial et résidentiel qui serait venu faire concurrence au quartier historique et qui aurait bouché des perspectives visuelles. La reconnaissance des qualités historiques et patrimoniales du Vieux-Montréal – par des pionniers et les pouvoirs publics – a ainsi influencé l’avenir du Vieux-Port. Les répercussions du site portuaire réaménagé sur le quartier historique ne peuvent non plus être dissociées des initiatives concrètes mises en œuvre par des particuliers et les pouvoirs publics pour le Vieux-Montréal. Dès les années 1960, des pionniers ont entrepris des travaux de restauration de bâtiments anciens, lesquels travaux sont toutefois restés limités. La Ville et le gouvernement du Québec ont signé à partir de 1979 une série d’ententes pour la mise en valeur du Vieux-Montréal. Ces ententes ont favorisé des interventions sur les espaces publics et privés. Le réaménagement du Vieux-Port a donc permis d’accélérer une tendance préexistante de revitalisation du Vieux-Montréal. Ainsi, doit-on parler d’effet structurant du Vieux-Port sur le Vieux-Montréal ou d’effet structurant du Vieux-Montréal sur le Vieux-Port ? Il faut plutôt voir une convergence de stratégies de reconnaissance et de mise en valeur des origines de Montréal.

27L’étude des stratégies des acteurs révèle, d’une part, un manque de collaboration et de partenariat entre les trois paliers de gouvernement, d’autre part, un manque de réflexion de la Ville et du gouvernement du Québec sur le devenir du Vieux-Montréal, et enfin, un manque de suivi de la part de la Société du Vieux-Port. Cette situation a limité l’approfondissement du projet de réaménagement dans ses multiples dimensions et empêché l’émergence d’un projet commun, ce qui mène aujourd’hui à une certaine banalisation des espaces. L’absence d’accord – sauf en ce qui concerne des projets particuliers, comme la construction du musée de la Pointe-à-Callière – explique que le Vieux-Port et le Vieux-Montréal sont restés des espaces distincts. Le réaménagement du Vieux-Port a été mené dans le respect de son environnement, mais sans planification intégrée, ce qui explique aujourd’hui le peu de nouvelles relations ville-port et les tensions entre les deux espaces. Le Vieux-Port est un site distinct géographiquement et autonome dans son fonctionnement. Il est devenu un espace festif, mais beaucoup d’activités qui s’y déroulent n’ont pas de rapport avec le caractère portuaire et patrimonial du site et sont à l’origine de nuisances pour les résidents du Vieux-Montréal. Pour certains, le Vieux-Montréal est devenu un lieu de stationnement et de passage vers le Vieux-Port, ce qui vient banaliser l’arrondissement historique. Il faut cependant distinguer la périphérie et l’intérieur même du territoire. Si la valorisation de la rue de la Commune est convaincante et profite pleinement des perspectives dégagées sur le Vieux-Port, la valorisation du cœur du Vieux-Montréal est plus discutable.

L’effet structurant du réaménagement du Vieux-Port

28Le réaménagement du Vieux-Port s’est inscrit dans une tendance préexistante de revitalisation du quartier historique. Il a cependant infléchi de manière importante la dynamique urbaine du Vieux-Montréal et favorisé des projets à la périphérie du quartier historique, ce qui permet de parler, avec certaines précautions cependant, de l’effet structurant du réaménagement. Cet effet structurant se manifeste de plusieurs façons. À l’échelle de l’agglomération, on constate d’abord un élargissement de la centralité montréalaise et l’affirmation du pôle Vieux-Port-Vieux-Montréal, comme l’un des principaux pôles touristiques de Montréal et du Québec. Le site portuaire fait de nouveau partie de la vie urbaine et il est devenu en quelques années un lieu incontournable, tant par son paysage et ses activités, que par l’image qu’il véhicule et l’importance de sa fréquentation. L’effet structurant du réaménagement du Vieux-Port se manifeste aussi par la réappropriation et la revalorisation de nombreux espaces publics et privés du sud du centre-ville, par la renaissance d’un quartier animé d’un nouveau dynamisme économique et résidentiel. Le sud du centre-ville représente un secteur particulier de Montréal dans lequel un espace public et dégagé structure le territoire et où se sont multipliées les initiatives depuis les années 1990.

29Cet effet structurant du réaménagement du Vieux-Port est dû à une convergence de sensibilités, d’initiatives, d’intentions et de stratégies pour la mise en valeur du Vieux-Montréal et des berges du fleuve. Cette convergence a permis que le Vieux-Port soit un espace hautement valorisé, à la fois par son aménagement simple et ouvert, et par la réappropriation dont il fait l’objet. Le succès de l’espace public et les perspectives visuelles dégagées sur le Vieux-Port et sur le fleuve confèrent un atout considérable aux espaces situés en périphérie directe.

30La problématique de la requalification du Vieux-Port de Montréal par rapport au site lui-même a été approfondie, mais peu celle de sa relation à son environnement. Cette dernière s’est heurtée au manque de concertation entre les paliers de gouvernement et au manque de réflexion et d’accord sur le devenir du Vieux-Montréal. Pallier ces manques aurait permis une relation ville-port renouvelée et aurait créé des effets structurants plus importants et durables sur le cœur de l’arrondissement historique.

L’effet structurant comme concept intégrateur

31Le concept d’effet structurant véhicule souvent, nous l’avons vu, une vision simpliste des changements. On pourrait donc préconiser l’abolition de ce concept. Ce qui est clair cependant, dans le cas du Vieux-Port, c’est qu’un tel projet peut nettement contribuer à infléchir une dynamique urbaine et permet de parler d’effet structurant. Il semble aussi que la planification a besoin de ce concept comme objectif à atteindre, comme ambition pour une opération d’aménagement, et que ce concept a un potentiel rassembleur et mobilisateur important. Les regards portés a posteriori sur un projet alimentent la réflexion prospective sur les effets structurants. Tout dépend cependant de l’utilisation qui est faite de ce concept.

32L’effet structurant doit donc être retenu dans sa dimension intégratrice, c’est-à-dire qu’il doit inviter à porter un regard global et approfondi sur les changements, en interrogeant les dynamiques en place, les stratégies des acteurs, et tout cela à différentes échelles de territoires et de temps. Le principe des correspondances entre stratégies des acteurs, ou entre contexte et stratégies des acteurs, apporte un éclairage majeur dans la compréhension des changements et invite à une approche plus stratégique et à une ouverture du processus de planification à la concertation.

33Enfin, l’expérience du Vieux-Port nous mène à insister sur l’importance majeure de l’adhésion de la population à un grand projet urbain, quelle que soit l’ampleur des investissements. La valeur d’un projet n’est pas uniquement économique. Et l’abandon du projet de centre de divertissement du bassin Peel, sur le territoire de la Société du Havre, à la suite de nombreuses oppositions, illustre aussi l’intérêt d’une stratégie qui répond aux attentes locales plutôt qu’une approche de commercialisation qui questionne peu les spécificités du lieu d’accueil.

Bibliographie

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Ville de Montréal/Société de développement de Montréal (2005), Portrait socioéconomique du Vieux-Montréal, <http://www.vieux.montreal.qc.ca/images/pdf/soc_econ.pdf>.

Notes

1 Cet article est tiré de recherches menées dans le cadre d’une thèse de doctorat en aménagement à l’Université de Montréal (Courcier, 2003) réalisée sous la direction de Marie Lessard et Michel Gariépy à qui mes remerciements sont adressés.

2 Le sud du centre-ville réunit le Vieux-Montréal et ses faubourgs ainsi que le Quartier international qui se situe à la jonction entre le Vieux-Montréal et le centre-ville. Il faut noter que le nord montréalais diffère du nord géographique, l’usage voulant que la rue Saint-Denis soit orientée nord-sud.

3 Le Vieux-Montréal comptait 555 habitants en 1976 ; en 2006, ce nombre passe à 3 169 ou 4 546 si on compte les faubourgs (Statistique Canada). La Société de développement de Montréal évalue à 3 850 la population du Vieux-Montréal et de ses faubourgs à la fin de l’année 2004.

4 En 1979, le quartier comptait un bâtiment sur trois vacant, aujourd’hui ce taux est de un bâtiment sur dix.

5 D’une offre quasi inexistante dans les années 1970, le quartier compte en 2005 1 164 chambres d’hôtel.

Table des illustrations

Titre figure 12.1. Remplacement du paradigme déterministe par les notions de congruence et d’effets de valorisation d’opportunités, approches illustrant mieux les changements
URL http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/14072/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 140k
Titre carte 12.1. Les six pôles touristiques de Montréal
Légende Source : Ville de Montréal, 2007, <ville.montreal.qc.ca>.
URL http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/14072/img-2.png
Fichier image/png, 1,0M
Titre carte 12.2. Le sud du centre-ville de Montréal et le territoire de la Société du Havre
Légende Source : Société du Havre, 2006, p. 5.
URL http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/14072/img-3.png
Fichier image/png, 697k

Auteur

Agente de recherche à la Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal. Elle a obtenu en 2003 un doctorat en aménagement de cette même université. Ses thèmes de recherche sont le projet urbain et les effets structurants, la protection des paysages, la gestion de l’environnement et la ville. Elle a notamment publié en 2005 « Vers une définition du projet urbain, la planification du réaménagement du Vieux-Port de Montréal ».

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