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L'éducation pour tous

Quatrième partie. Éléments constituants de la réforme

23. Coût et financement de l’éducation

Résumé

La Commission Parent, sachant l’ampleur des réformes qu’elle propose, s’intéresse attentivement à la question du coût et du financement de l’éducation. L’État a la responsabilité première de mobiliser et d’allouer les ressources financières nécessaires à la mise en place d’un système d’enseignement accessible et de qualité. Avant de définir comment doit se réaliser le financement du système, la Commission établit certains principes directeurs en la matière. Il faut d’abord reconnaître l’éducation comme une véritable entreprise nationale : « Les bénéfices de l’éducation dépassent l’individu et la localité ; le progrès de l’enseignement sert principalement les intérêts généraux de la société, de sorte qu’on peut et qu’on doit désormais considérer l’éducation comme une entreprise nationale. » La société entière est responsable de l’éducation de chaque enfant. Cette conception rompt avec la pratique traditionnelle au Québec où l’éducation et son financement étaient perçus comme incombant d’abord à la responsabilité de la famille, de groupes privés comme l’Église et aux communautés locales par le moyen de l’impôt foncier perçu par les commissions scolaires. En définissant l’éducation comme une entreprise nationale et un véritable service public dont bénéficie toute la société, la Commission établit que le fardeau financier de l’éducation doit être pris en charge par toute la société, chacun contribuant à la mesure de ses moyens, comme pour les autres services publics. Ainsi, la Commission fait passer l’éducation du statut de bien privé et à la charge financière de ceux qui le désirent, au statut de bien public, à la charge de la collectivité. Cette conception confirme le rôle fondamental de l’État pour le financement de l’éducation. Comme les besoins seront considérables, un plan global de financement devra être élaboré. En deuxième lieu, la Commission soumet que le financement de l’éducation constitue un investissement et non une dépense, parce qu’elle « contribue à hausser la productivité du travail et à hausser le niveau de vie » et parce qu’elle devient un « important facteur de développement économique ». La technologie avancée requiert une main-d’œuvre qualifiée ; le progrès économique dépend directement du développement des connaissances scientifiques, de l’innovation technologique et de l’adaptation technique ; tout cela rend indispensable un rehaussement du niveau de formation de la population. La Commission se veut très claire quant aux enjeux du financement de l’éducation : « La croissance économique de l’avenir sera conditionnée par les investissements présentement consentis au secteur de l’enseignement. » Ces deux principes généraux renouvellent en profondeur la vision que la société québécoise a du financement de l’éducation.
Comment, sur la base de ces principes, organiser le financement des divers ordres d’enseignement ? Pour l’enseignement élémentaire et secondaire public, il y a gratuité. Le financement proviendra de deux sources : l’impôt foncier prélevé par les commissions scolaires, mais selon des normes du ministère de l’Éducation pour rendre comparables et équitables tant le niveau de l’impôt requis que les dépenses et les services fournis aux élèves. À cet impôt foncier s’ajouteront des subventions gouvernementales statutaires et aussi régies par des normes. Les instituts pratiqueront aussi la gratuité scolaire. L’essentiel de leur financement sera assuré par des subventions gouvernementales. En contrepartie de son soutien financier, qui couvrira la très grande proportion des dépenses, l’État établira des plans de développement pour les instituts de même que des normes pour les différentes catégories de dépenses, dont la rémunération et les immobilisations. L’objectif est de réconcilier gratuité, accessibilité et qualité des études et utilisation équitable et optimale des ressources. Dans le cas des universités, et après un examen minutieux de la question, la Commission juge opportun de maintenir des frais de scolarité. Ceux-ci, avec des subventions gouvernementales statutaires considérablement augmentées, constitueront la base du financement des universités. Cependant, en contrepartie de l’augmentation très considérable de leurs subventions, les universités devront accepter des mesures d’encadrement : l’assujettissement des principales catégories de dépenses (traitements des personnels, dépenses de soutien direct à l’enseignement, immobilisations) à des normes gouvernementales et la mise au point de plans de développement du réseau universitaire. Il faut, en fait, que le Québec se dote d’une politique intégrée de l’enseignement supérieur balisant le partenariat entre les universités, le gouvernement et la société elle-même. Dans le cas des universités, le gouvernement devra aussi consentir un effort financier plus considérable pour assurer le développement de la recherche. Un Conseil provincial de la recherche agira comme organisme subventionnaire, mais verra aussi à faire un inventaire des activités de recherche et à encourager la collaboration entre chercheurs et la coordination de l’effort de recherche.

Texte intégral

1Source : Volume 4, chapitre I, par. 26-34.

2Source : Volume 5, chapitre 8, par. 411.

3Source : Volume 5, chapitre 9, par. 512-517.

4Source : Volume 5, chapitre 10, par. 545-551 ; 568-570 ; 577-579 ; 584 ; 586 ; 590-591.

5Source : Volume 5, chapitre 11, par. 621.

[L’éducation : entreprise nationale et service public]

626. — [...] on reconnaît aujourd’hui que l’école publique déborde la responsabilité locale, par suite de la mobilité de la population, des fonctions économiques et sociales de l’éducation dans l’ensemble de la société. On reconnaît également que l’éducation ne sert pas seulement à celui qui en a bénéficié, mais aussi à la société, au progrès de laquelle il contribuera de façon plus efficace et plus active. Bref, les bénéfices de l’éducation dépassent l’individu et la localité ; le progrès de l’enseignement sert principalement les intérêts généraux de la société, de sorte qu’on peut et qu’on doit désormais considérer l’éducation comme une entreprise nationale. Cela signifie que l’éducation de chaque enfant, et aussi de chaque adulte, n’est plus principalement sous la responsabilité d’une collectivité locale ou de groupes particuliers ; c’est la société tout entière qui est responsable de l’éducation la plus complète possible de chaque étudiant, sans égard à la région qu’il habite ou à son milieu d’origine.

727. — Comme le fait voir l’évolution que nous venons de retracer, l’extension progressive à toute la collectivité de la responsabilité de l’éducation ne s’est produite qu’assez récemment. Il ne faudrait pas croire cependant que cette conception nouvelle soit établie de façon encore incertaine au Québec. L’État a expressément reconnu comme sienne, en ces dernières années, une grande part de responsabilité à l’égard de l’enseignement et l’opinion publique a manifestement souscrit à cette politique. Mais il est particulièrement intéressant de noter avec quelle détermination croissante l’État a jugé à propos de s’acquitter de la double obligation qui incombe partout au pouvoir central en ce qui concerne l’éducation : en contrôler l’étendue et la qualité, en assurer le financement. Le rôle que l’État a choisi de jouer à son endroit mesure, mieux que bien des déclarations, jusqu’à quel point l’éducation est devenue la responsabilité de l’ensemble de la province.

828. — Lorsqu’un service public est reconnu d’intérêt général, il appartient à la collectivité qui en bénéficie dans son ensemble d’en assumer tous les frais, chacun de ses membres étant appelé à faire sa part, au moyen de l’impôt, selon sa capacité de payer et sans égard au bénéfice immédiat qu’il peut ou non en retirer. Dans ces conditions, le mode idéal de financement pour l’enseignement élémentaire et secondaire public, dans la mesure où il doit être considéré comme un service public d’intérêt général pour la province, serait évidemment de constituer le trésor provincial, source unique de tous les fonds destinés à cet enseignement. On en assurerait ainsi le financement complet par des impôts perçus dans le cadre de la fiscalité provinciale et ayant, pour cette raison, un caractère de généralité, quant à leur détermination et à leur incidence, susceptible de produire, pour tous les contribuables de la province, l’effort fiscal uniforme que l’État se doit de leur imposer. Une telle politique entraînerait toutefois la disparition de l’impôt foncier scolaire. Or, il est difficile d’imaginer comment des corps publics électifs comme les commissions scolaires pourraient fonctionner de façon satisfaisante en l’absence d’un impôt local, parce que la nécessité de recourir régulièrement à l’impôt attache un élément important de responsabilité à l’autorité dont une collectivité investit ses représentants. Il semble bien, par ailleurs, qu’il serait difficile à l’État de se procurer par de nouveaux impôts les sommes importantes que rapporte aujourd’hui l’impôt foncier scolaire. Aussi croyons-nous que cet impôt doit être retenu. Mais si l’on retient cet impôt, il devient d’une extrême urgence pour l’État, à notre avis, de voir à ce que les conditions d’administration en soient réformées et uniformisées généralement de façon qu’il puisse mesurer aussi exactement que possible la charge fiscale qui en résulte pour tous les contribuables de la province. Il est indispensable pour l’État de mesurer cette charge afin de déterminer pour l’ensemble de la province quelle part du fardeau des dépenses des commissions scolaires il doit faire supporter par le produit de l’impôt foncier scolaire. Mais il lui est tout aussi indispensable de mesurer cette charge, d’une commission scolaire à l’autre, pour répartir équitablement ses subventions entre toutes les commissions scolaires. Ces subventions, en effet, doivent être réparties en fonction des besoins et des ressources propres à chacune, si l’État veut arriver à établir pour tous les contribuables appelés à payer l’impôt foncier scolaire, où qu’ils se trouvent dans la province, l’uniformité de l’effort fiscal, sans laquelle l’État se rendrait coupable de discrimination à l’endroit d’un grand nombre d’entre eux.

929. — Il faudra que la politique de subventions adoptée par l’État soit suffisamment large et flexible pour permettre de répondre avec une générosité particulière aux besoins pressants engendrés en certains secteurs par le retard des services scolaires, sans pour cela refuser d’appuyer le progrès raisonnable de services développés ailleurs depuis longtemps, ni décourager le recours à un supplément d’impôt, au besoin, de la part des contribuables des collectivités qui désirent améliorer leurs services scolaires au-delà de la moyenne. Cette politique devra en tout état de cause tendre, par tous les moyens, à réduire progressivement l’écart considérable qui a existé pendant trop longtemps entre l’enseignement mis à la portée de la jeunesse dans les milieux ruraux et l’enseignement offert dans les centres urbains aussi bien, il faut le dire, qu’entre l’enseignement dispensé dans les écoles catholiques et celui qui se donne dans les écoles protestantes.

1030. — Il n’est pas facile d’établir un ordre de priorité à l’intérieur du budget de l’enseignement. Selon quels critères objectifs peut-on décider d’une distribution équitable des fonds publics entre l’enseignement élémentaire, l’enseignement secondaire, l’enseignement préuniversitaire et professionnel, l’enseignement supérieur ? On ne peut pas dire qu’on ait trouvé à cette question de réponse satisfaisante. La distribution des fonds publics à chacun des niveaux d’enseignement dépend présentement de la demande et de tous les facteurs qui influencent cette demande. Chaque niveau d’enseignement a sa clientèle particulière, ses exigences propres, ses normes caractéristiques. Comment comparer le coût de l’enseignement universitaire à celui de l’enseignement élémentaire ou de l’enseignement secondaire, le coût de l’enseignement régulier à celui de l’éducation des adultes ? Si on est porté à croire que ces questions sont sans réponse, c’est qu’on commence à peine à se les poser ; on peut espérer que l’expérience et les recherches permettront d’arriver à des solutions fondées sur des données objectives. Car il ne s’agit pas là d’un problème purement théorique ; la planification de l’enseignement dépend pour une part des résultats de ces recherches. Et l’on sait que le progrès équilibré et harmonieux du système d’enseignement exigera dans l’avenir une planification aussi rationnelle que rigoureuse.

1131. — La mise au point et le fonctionnement d’un plan comme celui que nous proposons exigent que le gouvernement établisse des priorités dans l’ensemble des dépenses qu’il doit supporter. Le gouvernement doit faire face à un grand nombre de demandes, répondre à une foule de besoins entre lesquels il n’est pas facile d’établir un ordre d’importance. La part des fonds publics qui est allée à l’éducation a considérablement augmenté dans les dernières années ; il est certain qu’elle est appelée à s’élever encore dans les prochaines années. Il ne nous appartient pas de déterminer la proportion du budget général que le financement de l’éducation doit représenter. C’est là un problème de politique générale sur lequel les gouvernants auront d’importantes décisions à prendre dans l’avenir. Nous souhaitons que les chefs d’État soient assez éclairés pour accepter les dépenses de l’enseignement comme un investissement essentiel au progrès économique et social de la société moderne.

1232. — Par ailleurs, la planification de l’enseignement doit finalement se faire dans le cadre du progrès à prévoir pour toute l’économie. En effet, l’une des importantes fonctions du système scolaire est de fournir les ressources humaines exigées par l’évolution de la technologie, de la main-d’œuvre et des différents secteurs de l’activité économique. Il faut donc chercher le meilleur ajustement possible entre le capital humain que fournit le système d’enseignement, et les besoins du marché du travail. Ce n’est que de cette façon que l’on peut éviter le chômage et assurer un développement économique continu. Le système d’enseignement doit fournir tout le personnel requis aux différents secteurs de production ; par ailleurs, l’économie doit absorber toutes les ressources humaines mises sur le marché. On comprend qu’avec la complexité de la structure économique moderne, ce double objectif ne se réalise pas de soi ; on se rend compte de plus en plus que le développement de l’enseignement devient un élément de planification économique.

1333. — L’intervention de l’État provincial en matière de financement découle aussi de la responsabilité que l’État s’est vu attribuer : c’est à lui qu’il incombe de s’assurer que chacun bénéficie d’un enseignement de bonne qualité, diversifié et susceptible de conduire finalement à un emploi. [...] La collectivité a donc une tâche considérable à entreprendre pour hausser le niveau d’éducation de tous ceux qui ont quitté trop tôt l’école. Le système scolaire public et tous les établissements d’enseignement privé auront besoin de l’encouragement de l’État, sous forme de fortes contributions des deniers publics et de bien d’autres façons, pour mener à bien un programme d’éducation des adultes capable de remédier aux carences actuelles.

1434. — Pour remplir toutes ses obligations à l’endroit des jeunes et des adultes, pour assurer le progrès général de l’enseignement et hausser le niveau des études dans toutes les régions de la province, l’État devra consacrer à l’enseignement des sommes très considérables. Les dépenses d’immobilisation qu’il faudra faire à tous les niveaux d’études et dans toutes les régions de la province, et la croissance des dépenses de fonctionnement vont requérir une planification rationnelle dans l’emploi de fonds publics. Autrement, on risquera de faire des dépenses inutiles, de multiplier les cas de double emploi, voire d’encourager la mauvaise administration. On a vu depuis quelques années le ministère de l’Éducation imposer des contrôles plus rigoureux sur le financement de l’éducation. Les commissions scolaires doivent faire approuver par lui leur budget annuel, elles doivent pour la plupart respecter dans leurs dépenses les normes fixées par ses services et n’entreprendre aucune construction scolaire sans en avoir fait approuver les plans et devis ; les établissements privés subventionnés ont dû accepter certains contrôles du ministère, notamment en ce qui regarde la construction d’immeubles nouveaux. Les universités doivent également présenter leur budget annuel et faire approuver leurs dépenses d’immobilisation, si elles veulent bénéficier des subventions gouvernementales. Cette normalisation des dépenses et ces contrôles étaient inévitables et même nécessaires, compte tenu des sommes très considérables que l’État était appelé à verser dans le domaine de l’enseignement. On doit reconnaître que le contrôle gouvernemental a permis de mettre plus d’ordre dans les dépenses de l’enseignement. C’est ce même contrôle qui permet aussi d’espérer que le gouvernement provincial pourra mettre au point un véritable plan d’ensemble du financement de tout l’enseignement.

15[...]

16411. — [...] nous avons insisté particulièrement sur le rôle dynamique de l’éducation dans le développement économique et sur la rentabilité des investissements dans l’enseignement. C’est qu’il s’agit ici de considérer plus particulièrement les aspects financiers que comporte la réforme pédagogique. Mais on aura sans doute compris que les considérations des chapitres précédents sur le droit de chacun à un enseignement approprié, sur les exigences de la dignité et de la liberté humaines, sur la contribution de l’éducation à l’épanouissement de chaque personne et à l’évolution de la société prennent ici tout leur sens et leur portée pour justifier les dépenses de l’enseignement. Le progrès économique des nations n’est en définitive qu’une condition du développement complet de chaque personne humaine : en tant que facteur de ce progrès, l’éducation contribue donc indirectement au bien-être individuel et collectif en plus de répondre directement, ainsi que nous l’avons vu, aux exigences fondamentales de la vie humaine.

[Financement des commissions scolaires]

17512. — Nous recommandons que soit abandonné le régime des subventions statutaires actuelles de façon à accélérer le mouvement déjà engagé vers un système de financement à la fois plus équitable et plus adapté aux exigences du développement scolaire prévu. Il conviendrait d’abolir ces subventions pour toutes les commissions scolaires de la province, y compris la Commission des écoles catholiques de Montréal, le Bureau métropolitain des écoles protestantes de Montréal, la Commission des écoles catholiques de Québec et le Bureau des écoles protestantes de Québec métropolitain, qui jouissent à cet égard d’un régime d’exception. En effet, ces subventions ont le grave défaut de n’être pas mesurées d’après les charges et les besoins de chaque commission scolaire, ni d’après le fardeau fiscal porté par les contribuables. En même temps, leur distribution à toutes les commissions scolaires permet à celles qui ont le plus de ressources ou le moins de charges de ne pas avoir à compter sur des subventions d’équilibre budgétaire et d’échapper ainsi, à la fois, à la normalisation des dépenses et à la normalisation de l’effort fiscal.

18513. — Au lieu de faire entrer dans le financement des commissions scolaires des subventions de l’État qui sont sans liaison avec les dépenses effectivement engagées et tiennent compte bien imparfaitement des moyens de les acquitter et de l’effort fiscal fourni par la collectivité locale, nous croyons que les subventions destinées aux commissions scolaires devraient toutes être établies de façon à tenir compte, dans toute la mesure du possible, de deux éléments : les besoins essentiels de l’enseignement dont chaque commission scolaire est chargée dans le cadre du développement scolaire d’ensemble, et les moyens financiers qu’elle peut réunir, de source locale, par la seule imposition des particuliers. Ce n’est, en effet, qu’en réduisant à l’impôt général perçu des particuliers la base du financement d’origine locale, et en établissant à l’échelle provinciale un taux uniforme pour les sociétés qu’il sera possible, premièrement, d’assurer que tous les contribuables participent équitablement au financement de l’enseignement dans la province — les particuliers d’une part et les sociétés d’autre part, — et, deuxièmement, d’établir une base de comparaison satisfaisante, à partir de la richesse locale, pour déterminer la proportion des dépenses de chaque commission scolaire que l’« État doit assumer par ses subventions. En effet, sur cette nouvelle base locale de financement on pourrait établir une subvention unique de l’État, calculée et déterminée pour chaque commission scolaire suivant sa situation propre et opérant de l’une à l’autre une péréquation aussi complète que possible. Cette subvention serait calculée comme l’actuelle subvention d’équilibre budgétaire : d’une part, à partir du rendement à obtenir de l’impôt local pour qu’il corresponde à un taux d’impôt normalisé, et d’autre part, suivant ce que nous proposons d’appeler un plan financier de développement scolaire établissant les normes des dépenses admissibles. Bien qu’il ressemble au régime actuel des subventions d’équilibre budgétaire, le nouveau régime de subventions que nous voudrions voir adopter en différerait en ce qu’il ne se limiterait pas à tenir compte des besoins et de l’effort fiscal normal des seules commissions scolaires gravement déficitaires. La subvention gouvernementale serait globale et unique, remplaçant toute la variété des subventions actuelles. Cette subvention assurerait principalement à chaque commission scolaire les moyens de développer progressivement son enseignement et ses services. Le revenu de l’impôt local n’augmenterait — réduisant d’autant les subventions provinciales — que dans la mesure où de nouvelles constructions ou une hausse de la valeur des biens-fonds en élargiraient l’assiette, ou quand le taux de l’impôt foncier scolaire serait élevé partout à travers la province. C’est pourquoi nous proposons d’appeler les crédits octroyés : subvention de développement scolaire, en remplacement du nom actuel : subvention d’équilibre budgétaire. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’un changement de nom, mais d’un changement beaucoup plus profond de régime et de perspective, qui consistera à étendre à toutes les commissions scolaires sans exception le régime actuel des subventions d’équilibre budgétaire, à faire entrer la totalité des dépenses des commissions scolaires dans le plan de développement scolaire, et à établir les normes de ce plan en fonction du progrès de l’enseignement dans la province et dans chaque région économique.

19514. — Le plan provincial de développement scolaire qui servira de base à l’octroi des subventions comportera un ensemble de règles comme celles que le ministère de l’Éducation a mises au point et utilise à l’heure actuelle pour déterminer quelles subventions d’équilibre budgétaire accorder. Mais cet ensemble de règles devra être beaucoup plus élaboré, dans le plan de développement scolaire, qu’il ne l’a été jusqu’ici et ce, pour deux raisons principales. D’abord, le plan provincial de développement scolaire devra être plus étendu par suite des responsabilités nouvelles que nous avons recommandé de confier aux commissions scolaires régionales : développement des classes maternelles, intégration des cours techniques au secondaire, enseignement pour les enfants exceptionnels, enseignement aux adultes, développement du ramassage scolaire, construction et administration de complexes scolaires diversifiés. Ce sont là autant d’éléments nouveaux dont le plan devra tenir compte ou qu’il devra prévoir, dans le calcul des coûts de l’enseignement. En second lieu, ce plan devra établir les normes pour toutes les dépenses que les commissions régionales doivent encourir : dépenses de fonctionnement, y compris les dépenses de ramassage scolaire, et dépenses de construction. Un tel plan, en effet, et l’unique subvention de développement scolaire qui l’accompagne sont appelés à remplacer toutes les subventions actuelles ainsi que la réglementation qui les affecte. Cependant, ce plan provincial de développement scolaire se diversifiera progressivement pour tenir compte des plans régionaux qui seront préparés par les soins des conseils de développement scolaire, dès leur création. Les normes des services scolaires et des dépenses devront, en effet, être adaptées, dans une certaine mesure, aux besoins de chaque région.

20515. — Le plan de développement scolaire dont nous suggérons l’adoption sera en même temps un moyen d’assurer des services scolaires de même qualité par toutes les commissions scolaires et un instrument de normalisation de toutes les dépenses que celles-ci peuvent être appelées à faire pour dispenser les services scolaires approuvés par l’État lui-même. Un tel plan permettra à l’État d’exercer les contrôles nécessaires sur la dépense totale, à la fois par le jeu de la normalisation des éléments divers de dépense et par l’élévation progressive des normes des services scolaires. À la lumière d’un tel plan, les commissions scolaires pourront chaque année établir leur budget en connaissance de cause et l’État, leur accorder ses subventions en liaison aussi étroite que possible avec le chiffre de leurs dépenses dans le cadre du plan, déduction faite seulement du produit de l’impôt foncier local au taux normalisé. Cette formule nous paraît présenter plusieurs avantages ; elle nous semble en particulier bien supérieure au « programme de base » ou « foundation program » adopté dans plusieurs autres provinces canadiennes. Tout d’abord, elle est foncièrement inspirée par le désir de démocratiser l’éducation de la façon la plus complète possible. En effet, le but du plan est de mettre à la disposition de tout élève dans la province l’enseignement et les services auxiliaires jugés nécessaires ou normaux pour le plus grand nombre, quelle que soit la richesse relative de la commission scolaire dont il dépend. Les programmes de base des autres provinces sont généralement conçus plutôt pour déterminer les services minimum qu’une commission scolaire doit offrir, ou encore les éléments du budget des commissions scolaires que le gouvernement s’est engagé à subventionner. Nous recommandons qu’au Québec le plan de développement scolaire comprenne tous les services requis pour organiser le plus tôt possible, dans toutes les régions, des écoles telles que nous les avons décrites [...]. Ainsi, le plan stimulera les commissions scolaires qui, par pauvreté, par manque d’ambition ou de connaissance, offrent aux enfants des services insuffisants ; il servira ainsi à rendre accessibles à tous les élèves de la province un enseignement et des services de qualité équivalente. On peut donc dire que, de sa nature, il permettra au gouvernement et aux commissions scolaires de tendre vers la réalisation des deux objectifs fondamentaux de la démocratisation scolaire : rendre accessibles à chacun l’enseignement correspondant à ses aptitudes et uniformiser la qualité de l’enseignement entre les diverses régions de la province.

21516. — Le plan de développement scolaire permettra également d’assurer une saine administration des fonds publics. [...] Par ailleurs, nous savons que l’augmentation des dépenses des commissions scolaires va se poursuivre et que la contribution de l’État à ces dépenses ira aussi croissant. Dans ces conditions, il est devenu impérieux que l’État, responsable de l’emploi des fonds publics, s’assure d’une administration saine et efficace de la part des commissions scolaires. Le plan répond à cette exigence : il servira de guide aux commissaires et aux administrateurs dans les commissions scolaires pour la meilleure utilisation possible des ressources à leur disposition ; il pourra, à l’occasion, servir de frein à ceux qui veulent entreprendre des dépenses extravagantes ou sacrifier l’essentiel au spectaculaire ; il obligera les commissaires et les administrateurs à prévoir les besoins, à planifier les développements nécessaires et à rationaliser leurs décisions.

22517. — Le plan de développement scolaire offrira, en outre, une bien plus grande souplesse qu’un programme de base. Ce dernier est généralement inscrit dans une loi ; toute modification ou tout ajustement requiert alors une intervention de la Législature. Le plan consistera plutôt en un inventaire des services à offrir et des dépenses à faire, qui devra faire l’objet de révisions fréquentes pour tenir compte du progrès accompli et des besoins nouveaux, ou pour corriger des difficultés d’application. Il sera aisé d’introduire ces adaptations par décision soit du ministre de l’Éducation, soit du conseil des ministres. Mais il sera alors très important de faire participer à ces révisions des représentants des commissions scolaires, des conseils de développement scolaire et des enseignants ; on donnera de la sorte aux décisions un caractère démocratique, et on s’assurera qu’elles tiennent bien compte de tous les besoins réels et des situations particulières. Nous avons souligné, dans un chapitre antérieur, les changements prévus dans le rôle des commissaires d’écoles, qui seront appelés à partager plus directement avec l’État sa responsabilité dans le domaine de l’enseignement : leur participation à l’élaboration du plan de développement scolaire constituera un aspect essentiel de cette responsabilité.

[Financement de l’enseignement post-secondaire : l’« institut »]

23545. — [...] Le gouvernement devra fournir des sommes considérables pour l’enseignement de ce niveau ; c’est pourquoi il nous a semblé préférable de confier les instituts à des organismes constitués et mandatés par l’État. Cependant, à cause de la diversité des ressources et des besoins, dans chaque région les corporations d’institut devront jouir de l’initiative voulue pour opérer les regroupements et prévoir les ententes les mieux adaptées aux conditions particulières de leur région. La corporation possédera aussi les pouvoirs nécessaires pour administrer l’institut en y introduisant des innovations, en y faisant des expériences ; les normes budgétaires, tout en permettant un contrôle raisonnable par le ministère de l’Éducation, doivent laisser à chaque corporation une grande marge de manœuvre dans l’utilisation des ressources mises à sa disposition par l’État. Ces normes de dépenses, et les normes d’organisation des services pédagogiques qu’elles impliquent, devront être élaborées conjointement par le ministère et toutes les corporations d’institut de façon à assurer la coordination indispensable. Les normes provinciales de rémunération du personnel enseignant et non enseignant des instituts, et, le cas échéant, les échelles provinciales de traitements pour ce personnel seront discutées entre le ministère de l’Éducation, les associations ou syndicats groupant ce personnel et les corporations d’institut. Des représentants des universités et du monde du commerce et de l’industrie pourraient utilement participer à l’élaboration des normes, puisque les instituts préparent leurs étudiants soit pour les études supérieures, soit pour le marché du travail.

24546. — Les instituts, comme les universités, devront de plus en plus compter sur le gouvernement du Québec, qui finance déjà largement ce niveau d’enseignement. Les diverses formes de financement ou de subventions en provenance du gouvernement provincial se trouveront unifiées dans les subventions offertes directement à la corporation de l’institut. Le gouvernement fédéral subventionne actuellement 75 % des constructions pour l’enseignement technique, ces subventions étant incorporées dans celles qui viennent du gouvernement provincial. Les subventions du gouvernement provincial aux instituts devront évidemment suivre la courbe normale d’augmentation des dépenses d’enseignement, correspondre aussi à l’augmentation des effectifs, de même qu’à l’augmentation générale de l’activité économique, du produit national brut et du coût de la vie. Il faudrait prévoir pour le financement des instituts, comme pour celui des écoles sous la juridiction des commissions scolaires, un plan de développement adaptable aux circonstances locales. Ce plan devra être établi par le ministère en collaboration avec les instituts, et il pourrait être revu fréquemment, surtout pendant les premières années où cet enseignement s’organisera et prendra forme.

25547. — Nous croyons que les commissions scolaires régionales ou les conseils de développement scolaire, selon le cas, devraient participer au financement des instituts situés dans le territoire qui est sous leur juridiction et y consacrer un certain pourcentage de l’impôt foncier perçu clans la région. En effet, les commissions scolaires n’auront plus à dispenser une 12e année d’enseignement, qui appartiendra désormais à l’institut ; par ailleurs, il est normal et souhaitable que les régions où seront situés les instituts fassent leur part pour le financement de ces établissements qui fourniront une bonne partie du personnel technique et administratif nécessaire à leur développement. La proportion des recettes de l’impôt foncier que les commissions scolaires régionales ou les conseils de développement scolaire, selon le cas, pourraient attribuer aux instituts sera déterminée conjointement par ces organismes eux mêmes, par les instituts et par le ministère de l’Éducation. [...]

26548. — Les villes et les municipalités où seront situés les instituts bénéficieront largement de l’apport culturel et économique que représentera pour elles cet afflux d’étudiants, jeunes et adultes, de professeurs, de même que de toute l’activité dont l’institut sera le centre ; il nous semblerait souhaitable que ces municipalités fournissent pour le développement de l’institut, certains subsides et dons, ou même des terrains et des immeubles. Cette pratique est habituelle dans les autres provinces du Canada et aux États-Unis, lorsqu’un établissement de ce niveau est créé dans une région. Les engagements ainsi contractés par les municipalités s’étendent parfois à une période de plusieurs années et représentent des sommes considérables.

27549. — Les sources privées qui contribuaient jusqu’ici au soutien et au progrès de l’enseignement, en particulier au niveau universitaire, devront inclure désormais le niveau de l’institut parmi leurs préoccupations. Les sociétés industrielles et commerciales pourraient mettre régulièrement des fonds à la disposition des instituts, soit pour le développement des laboratoires ou de la bibliothèque, soit pour des bourses pour les professeurs, etc. La corporation de l’institut devra solliciter des dors de cette sorte, inviter le mécénat à contribuer au développement de l’institut, organiser aussi des souscriptions publiques.

28550. — D’importantes sources privées ont contribué jusqu’ici au soutien et au progrès de l’enseignement à ce niveau. Les congrégations religieuses et les Églises voudront sans doute participer à l’organisation des instituts et leur fourniront ainsi une importante contribution : professeurs expérimentés, équipement scolaire, bibliothèques. Par ailleurs, les associations d’anciens des établissements qui se joindront à l’institut et des donateurs particuliers pourraient s’engager à donner des contributions annuelles régulières qui assureraient un revenu d’appoint aux instituts. [...] La corporation de l’institut devra songer à solliciter des fonds d’autres groupements et organismes sociaux.

Le financement des universités

29551. Le financement des universités pose des problèmes variés : problèmes concrets urgents autant que problèmes de principe et de politique financière générale, problèmes socio-économiques autant que problèmes purement administratifs. Tous ces aspects de la question sont étroitement reliés entre eux et aux modalités mêmes du financement. Les universités sont le cerveau d’une nation, le moteur de son développement ; en formant les esprits, l’université est un multiplicateur du pouvoir de réflexion, de création et d’invention qui est latent dans une nation ; c’est pourquoi investir dans les universités, c’est investir dans des ressources humaines dont le rendement est quasi illimité.

30[...]

31568. La contribution du gouvernement du Québec aux dépenses des universités continuera de croître très rapidement dans les prochaines années. Les dépenses d’immobilisation devront être financées dans une très large mesure par l’État provincial ; les subventions pour les dépenses de fonctionnement devront continuer d’augmenter chaque année, surtout si l’on y inclut les subventions de recherche dont nous parlerons plus loin. Le gouvernement du Québec doit donc déjà envisager qu’il lui faudra investir des sommes élevées dans l’enseignement supérieur, plus encore que dans le passé.

32569. — Mais l’importance de cette contribution du gouvernement réclame que l’on instaure une politique cohérente et ordonnée du développement universitaire pour toute la province, touchant, en particulier, les traitements, les investissements et la recherche. Ce n’est pas aller contre la liberté universitaire que d’exiger qu’une planification rationnelle et une normalisation des dépenses soient établies ; il y va au contraire de l’intérêt même de chaque université et de l’ensemble des universités de ne pas laisser au hasard ou à l’arbitraire des décisions aussi importantes. Les universités doivent avoir leur mot à dire dans ces décisions et dans l’établissement des normes qui s’imposent ; cette politique de participation est la meilleure garantie contre les dangers de favoritisme, d’ingérence indue, ou d’incohérence. Les universités doivent travailler en complémentarité les unes avec les autres, et avec le gouvernement qui les finance à même les deniers publics ; pour s’adapter rapidement et de façon fructueuse au rythme des besoins nouveaux de la société, elles doivent ajuster leur propre dynamisme à celui du milieu ambiant. Elles doivent être présentes à chacune des étapes où le gouvernement doit adopter des mesures les concernant ; leur présence est indispensable quand il s’agit de faire comprendre aux représentants de la population les exigences propres à ce niveau d’enseignement. L’évolution normale des grands organismes publics ou d’utilité publique va dans le sens d’une interdépendance dans la collaboration vers des objectifs communs ; seule cette collaboration organique permettra à des institutions, qui autrefois pouvaient ne dépendre que d’elles-mêmes et de leurs propres ressources, de poursuivre leur développement en accord avec les besoins de la société, tout en sauvegardant la part d’autonomie indispensable à toute université. La nécessité de normes administratives et financières communes aux divers établissements d’enseignement supérieur fait apparaître l’utilité et l’urgence d’un Office pour le développement de l’enseignement supérieur, qui travaillera à établir ces normes et à les appliquer aux universités existantes et à celles qu’il faut créer.

33570. — Les traitements du personnel enseignant étant la principale dépense des universités, c’est là sans doute qu’il faut d’abord établir des normes communes. À l’heure actuelle, il existe des écarts parfois considérables, entre les universités et dans une même université, quant aux traitements payés dans les diverses facultés. Ces disparités proviennent soit du fait que les échelles de traitements varient d’une université à l’autre, soit parce qu’elles sont considérées comme un minimum, l’université gardant toute liberté de faire varier les traitements, pour un certain nombre de professeurs. Les différences de traitements peuvent favoriser, dans la situation actuelle de pénurie, une surenchère entre les universités pour obtenir les services de tel ou tel professeur. Pour parer aux inconvénients qu’entraîne cette inégalité des normes de traitements, on devra songer à établir des normes communes à toutes les universités ; ces normes permettront de mieux comparer les dépenses des universités qui ont toutes recours à des fonds publics.

34[...]

35577. — Le gouvernement provincial, dans sa politique universitaire, devra chercher à développer la recherche dans toutes les universités et dans tous les domaines du savoir. Cela signifie, cependant, qu’on ne doit pas entraver l’expansion et le développement de la recherche là où elle existe et est bien organisée ; la recherche est un atout en soi, pour un pays. Il s’agit plutôt d’aider les universités, les facultés et les départements qui en ont besoin à s’équiper, à former et à importer des chercheurs, s’il y a lieu. Sont actuellement à l’étude un projet de Conseil provincial de la recherche et un projet de Centre provincial de recherches industrielles, nettement distincts l’un de l’autre ; nous croyons que le Conseil provincial de la recherche devrait être étroitement relié à l’Office pour le développement de l’enseignement supérieur et au ministère de l’Éducation. [...]

36578. — Dès sa création, le Conseil provincial de la recherche aura pour tâche de dresser un inventaire de toutes les recherches en cours dans l’industrie et l’entreprise privée, dans les organismes gouvernementaux et dans les universités ; il devra examiner la répartition de ces recherches entre les différentes disciplines et l’importance relative des crédits qui leur sont consacrés, noter les lacunes, les champs de recherche insuffisamment exploités, les secteurs à développer en considération des besoins, des ressources et des possibilités du milieu québécois. Le Conseil de la recherche devra se préoccuper tout particulièrement, dans son travail d’inventaire et de planification, de la formation, du renouvellement et de la multiplication des équipes de chercheurs ; les universités devraient consacrer plus d’attention à cet objectif, et engager plus de jeunes diplômés comme assistants, assurer leur formation et la surveillance de leur travail par des maîtres compétents. Il y a là, par ailleurs, une multiplication du potentiel enseignant de l’université.

37579. — Le Conseil provincial de la recherche devra assurer la distribution des fonds de recherche, amener les diverses institutions à une nouvelle forme de collaboration, d’interdépendance ; la complémentarité des facultés d’un même type dans plusieurs universités, l’échange des chercheurs, la division des tâches entre chercheurs peuvent fournir, dans bien des cas, le minimum d’efforts conjugués nécessaire à la mise en œuvre de recherches valables. Dans une période d’expansion des universités et de pénurie du personnel, cette coordination, que pourrait assurer un Conseil provincial de la recherche, préviendra la prolifération de projets trop semblables, la dispersion des énergies et des ressources, assurera des échanges fructueux. [...] Cette collaboration entre universités, dans le domaine de la recherche, devrait devenir courante dans les milieux universitaires québécois et canadiens.

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39584. — Le financement des universités doit, comme toute la politique de l’enseignement supérieur, se rattacher à quelques principes généralement admis, principes que l’évolution sociale oblige à nuancer, parfois à réviser en les plaçant dans une perspective et une lumière nouvelles. Ces principes sont ceux de la responsabilité de l’État et de l’autonomie des universités.

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41586. — Ce devoir de l’État d’assurer à tous des chances égales en éducation entraîne des obligations administratives et financières considérables, pour l’ensemble du système d’enseignement : entretien, organisation ou expansion des établissements requis pour accueillir les effectifs prévus, participation aux frais de construction et de fonctionnement. L’État doit prendre conscience des priorités et des urgences, planifier le développement de l’éducation, normaliser les dépenses courantes et leur accroissement graduel, être constamment en alerte, afin de répondre avec célérité aux besoins éducatifs de la collectivité. Pour un gouvernement qui veut s’acquitter convenablement de ces fonctions, cela suppose des études nombreuses et complexes, des analyses démographiques, un calcul de pourcentages réels ou souhaitables de scolarisation, des études socio-économiques de toutes sortes : influence de l’état de fortune sur la scolarisation ou sur le succès scolaire, facteurs qui conditionnent la hausse ou l’allongement de la scolarisation, la demande de services éducatifs pour les adultes, de cours de recyclage, influence des diverses formes d’aide aux étudiants sur le taux de scolarisation, etc. Cette responsabilité s’étend à l’enseignement supérieur, et le gouvernement manquerait à son devoir s’il l’abandonnait entièrement aux universités ; en effet, la population pourrait en souffrir de graves conséquences : manque de places dans les universités, répartition ou utilisation inéquitable des deniers publics, pénurie de spécialistes dans divers domaines essentiels, mauvaise utilisation des ressources humaines et des intelligences susceptibles de recevoir une éducation supérieure et de mieux servir la société. L’ampleur de ces tâches, les moyens matériels qu’elles supposent, requièrent que l’État en accepte le fardeau, à cause de sa responsabilité à l’égard du bien commun.

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43590. — En préparant des spécialistes compétents pour diverses professions et pour tous les secteurs de l’activité, les universités rendent à la société un service essentiel. C’est d’ailleurs pour cela que l’État doit les aider à remplir leur fonction le mieux possible. Aujourd’hui, l’influence sociale des universités grandit, à mesure que celles-ci prennent mieux conscience de leurs liens et de leur solidarité avec l’ensemble du milieu, à mesure aussi que leurs diplômés et leurs professeurs sont de plus en plus appelés à fournir leurs conseils ou leur travail au gouvernement et aux organismes sociaux. Ce rapprochement des universités et du gouvernement ira en s’accroissant ; la collectivité devra apporter aux universités des ressources toujours plus importantes mais s’attendra, en retour, à ce que ces ressources soient utilisées le plus efficacement possible, dans l’intérêt de tous ; elle s’attendra aussi à ce que les universités continuent de participer activement au progrès social, à la vie publique. C’est pourquoi les universités doivent envisager aujourd’hui leur fonction dans la perspective de responsabilités nouvelles à partager entre elles et avec le gouvernement, pour le bien de la société et des étudiants ; les relations ne doivent plus être celles d’un bailleur de fonds avec un solliciteur et utilisateur de deniers publics, elles doivent de plus en plus être faites de discussions franches sur tous les problèmes de la politique de l’enseignement supérieur, dont le gouvernement a la responsabilité dernière. L’État, de son côté, ne pourra pas, s’il les a analysées et discutées soigneusement avec les universités, décider de ces questions de façon arbitraire ou partisane. Cependant — et les universités devront s’habituer à respecter cette responsabilité gouvernementale — c’est l’État qui devra, après toutes les études requises, prendre certaines décisions politiques que, dans bien des cas, les universités laissées à elles-mêmes ou groupées ensemble ne pourraient s’imposer. Seul l’État peut décider en dernier ressort de prendre les mesures financières ou autres qui permettront de corriger le retard ou la situation de pénurie des universités de langue française et de résoudre le problème de la trop faible scolarisation de la population de langue française. Même si l’État ne subventionnait pas les universités, celles-ci ne pourraient se dérober à leur fonction sociale ; c’est pourquoi elles se trouvent en quelque sorte les associées de l’État dans sa fonction spécifique de gardien du bien commun ; quand l’État et les universités sont appelés à travailler ensemble, c’est cependant l’État qui garde la responsabilité dernière du bien commun.

44591. — C’est à cause de la liberté intellectuelle absolument indispensable à la formation universitaire et à la recherche que les universités revendiquent à juste titre leur autonomie. Elles ont, en effet, un impérieux devoir de protéger cette liberté du savoir, de la recherche et de l’expression, aussi bien dans leurs propres murs que dans leurs relations avec les organismes extérieurs ; c’est là l’essence même de la liberté universitaire. On ne doit pas cependant l’assimiler à une autonomie financière et administrative absolue, qui serait en contradiction avec les devoirs actuels du gouvernement, dans la mesure où celui-ci est responsable des deniers publics avec lesquels ils subventionne les universités, et dans la mesure où il a des devoirs en matière d’éducation. On doit utiliser des formules administratives susceptibles de favoriser à la fois cette autonomie universitaire dans le domaine de l’esprit et l’exercice des responsabilités gouvernementales que l'État ne pourrait récuser.

[Les frais de scolarité à l’université]

45621. — Entre la gratuité scolaire, réclamée par nombre d’étudiants, et la préférence des universités pour des sources diversifiées de revenus — ceux-ci venant principalement du gouvernement, mais partie directement, par les subventions, et partie, indirectement, par des bourses aux étudiants — on doit faire entrer en ligne de compte un troisième élément ; le budget du gouvernement et la part qu’il peut en réserver pour les universités et pour l’aide aux étudiants. Ce budget n’est pas illimité ; il faut l’utiliser de façon qu’il serve le mieux possible le principe de l’accessibilité de l’enseignement pour tous, principe à notre avis plus fondamental que celui d’une plus ou moins réelle autonomie financière des universités. Pour atteindre cet objectif, l’État doit supprimer autant que possible, par l’aide aux étudiants, les obstacles financiers qui empêcheraient les jeunes qui sont doués de venir à l’institut et à l’université, mais il doit aussi leur assurer des places dans ces établissements. Comme nous l’avons vu [...] l’État sera appelé à augmenter ses subventions d’immobilisation aussi bien que de fonctionnement, ce qui va peut-être déjà requérir toutes ses disponibilités financières. Dans l’hypothèse de ressources publiques illimitées, on devrait sans doute établir immédiatement la gratuité scolaire. Dans la réalité que constituent les limites budgétaires, on doit chercher à voir où placer les priorités. Nous avons vu ci-dessus que les droits de scolarité payés par les étudiants et leurs parents sans l’aide de bourses représentent au moins les trois quarts des revenus que les universités retirent de ces droits, soit $ 18 millions pour l’année 1965-1966.. Le gouvernement, en établissant la gratuité scolaire, libérerait d’autant les familles et les étudiants jusqu’ici capables d’acquitter des frais de scolarité ; mais il pourrait, en se dispensant d’établir une telle gratuité, utiliser les mêmes montants, sans qu’il lui en coûte un sou de plus, sous forme de bourses plus nombreuses ou plus substantielles à des étudiants qui sont dans le besoin et ne pourraient pas faire d’études, même advenant la gratuité, à moins qu’on n’assure leur subsistance. Nous pensons que, pour toute la période de réorganisation de l’enseignement, de scolarisation croissante, d’expansion des services éducatifs, le gouvernement ne peut se permettre d’accorder la priorité à la gratuité scolaire au niveau de l’université, ni se priver ainsi de sommes qu’il pourrait employer utilement pour permettre à des étudiants démunis de faire des études. Nous pensons que la gratuité est un objectif souhaitable à long terme, mais qu’il ne serait pas sage de l’appliquer immédiatement. Et de soi, elle ne réglerait pas le cas des étudiants nécessiteux et de ceux qui ne pourraient pas faire des études si on n’assurait pas leur subsistance durant cette période de leur vie.

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