Version classiqueVersion mobile

Le Patrimoine, atout du développement

 | 
Régis Neyret

1. Le patrimoine face a la demande economique sociale et touristique

La ville face à son patrimoine enfoui

Gérard Aubin

Texte intégral

1La ville juxtapose et superpose les époques. Mais alors que le patrimoine monumental ne demande qu’à être reconnu, le patrimoine archéologique-en raison de son enfouissement- ne s’impose pas. Pire, sa découverte se révèle parfois fâcheuse et inopportune.

L’archéologie support de l’identité

2Les vestiges des époques anciennes (Protohistoire, Gaule indépendante puis romaine, haut moyen-age, voire période moderne) sont le plus souvent enfouis ou partiellement enfouis, donc à découvrir. Ainsi l’héritage du passé, élément habituellement valorisant, peut-il être perçu négativement lorsque son existence jusque là méconnue vient contrecarrer un légitime projet de développement.

3Certes, l’archéologie ne se résume pas à l’enfoui, mais je voudrais insister sur la divergence d’appréciation entre l’archéologue et l’aménageur. Pour le premier, le patrimoine urbain est un tissu complexe et continu, le plus souvent enfoui, dissimulé, invisible ; il est fait de superpositions. Pour le second, il ne peut être que visible ; il est constitué d’éléments ponctuels qui se juxtaposent. A Lyon, les théâtres antiques de Fourvière n’ont été dégagés qu’à partir de 1933 et font aujourd’hui partie du patrimoine monumental lyonnais ; pourtant, il faut sans cesse expliquer que d’autres monuments de cette période sont encore enfouis sur cette colline et justifier des mesures de protection.

4Le patrimoine archéologique, parfois comparé à des archives matérielles -de pierre, de terre, de métal, etc...– ne se réduit pourtant pas à de la matière. Il est le support d’une connaissance, d’une mémoire, et finalement d’une identité. Comme le notait P. Y. BALUT, dans la revue Ramage (2, 1984), il se définit moins comme un bien qu’il s’agit de conserver que comme un lien qu’il s’agit d’accepter. Le patrimoine, c’est ce qui nous relie à une civilisation passée, disparue (ou à un état antérieur de la nôtre), dont on accepte l’héritage qui sert à définir notre identité. Le patrimoine, c’est ce qui fait de nous des héritiers. En ce sens, chaque ville a une personnalité propre, une identité qui la distingue des autres et dont l’archéologie peut contribuer à rendre compte en faisant la part des différents emprunts et héritages dans cette construction. Ce qui manque aux villes nouvelles, n’est-ce pas une absence d’enracinement et de passé ? N’est-ce pas d’un urbanisme synchronique que naît l’ennui ?

5Dès lors la question n’est-elle pas de savoir comment gérer le lien qui nous relie au passé sans que la destruction aveugle de l’héritage op sa conversation obligée soit l’unique alternative ? Cela revient à se demander quel est le rôle de l’archéologie dans la cité.

L’archéologie contractuelle

6On a souvent décrit l’évolution de ces trente dernières années. Le volume des actes du colloque international d’Archéologie Urbaine de Tours (tenu en novembre 1980) est encore plein de constats de destructions inouïes et des fureurs du monde scientifique. Faut-il insister sur ces bibliothèques, constituées depuis deux mille ans et disparues en quelques heures à cause de l’émergence de nouvelles façons de vivre (les parcs de stationnement enterrés) et de construire (sur un sol vierge) ? A Lyon, Jacques LASFARGUES estimait à 7 hectares de zones archéologiques majeures en plein coeur de la ville antique et médiévale les superficies irrémédiablement détruite entre 1960 et 1981, soit 150 000 à 200 000 m3 de sédiments archéologiques, sans parler des îlots moins anciens rasés sans étude préalable. Et encore, avait-on échappé à la disparition du Vieux Lyon "ramassis de taudis tout juste bon pour l’équarrisseur" selon le mot d’Edouard HERRIOT en 1938. Les crises des Hauts de Saint-Just, de la rue des Farges (1975-1981), du Verbe Incarné (1976-198..) furent autant d’électrochocs permettant de progresser.

7Aujourd’hui, nous vivons sous le régime d’un Plan d’Occupation des Sols (POS), élaboré en 1979, et comportant un zonage archéologique composé de trois zones : 1. une réserve archéologique inconstructible de 14 hectares au sommet de Fourvière ; 2. la colline de Fourvière où la densité du bâti est faible (les deux tiers sont en zone verte) et où la reconstruction est limitée au même emplacement, sauf pour les équipements publics ; 3. enfin, la totalité de la surface occupée par l’agglomération antique et médiévale est soumise à un contrôle archéologique du permis de construire. Ce POS a anticipé les contrôles prévus par le décret du 5 février 1986 relatif à la prise en compte de la protection du patrimoine archéologique dans certaines procédures d’urbanisme ; ce texte soumet à l’avis du Préfet -donc des services de l’Etat – les demandes de permis de démolir, de construire, de lotir, pour tous les travaux susceptibles, par leur localisation et leur nature, de compromettre la conservation ou la mise en valeur de vestiges ou d un site archéologique.

8Cet appareil réglementaire a provoqué le développement d’une archéologie préventive fondée sur l’idée qu’un gisement archéologique est avant tout un ensemble documentaire dont la sauvegarde peut parfois se traduire par une étude et un enregistrement rigoureux avant disparition. En effet, l’archéologue n’a pas pour but de figer à tout prix un tissu urbain. Son métier n’est-il pas d’étudier les évolutions historiques ? Ce sont les strates de construction accumulées au même endroit qui lui fournissent son pain quotidien. Sa tâche première de scientifique est de défendre le droit à la documentation et à son traitement.

9L’archéologie contractuelle repose sur le principe suivant, concrétisé par une convention. D’un côté, l’archéologue accepte la disparition du site menacé après étude et s’engage sur un calendrier et des délais ; de l’autre, dès lors que la levée de l’hypothèque archéologique rend possible la réalisation de son projet, l’aménageur prend financièrement à sa charge l’exécution des recherches. On évite ainsi coûteux arrêts de chantiers et situations conflictuelles entre impératifs économiques et préoccupations culturelles. En pratique, on distingue plusieurs phases : instruction du permis de construire ; évaluation du gisement et diagnostic ; négociation du budget et des délais ; réalisation du chantier ; phase d’analyse en laboratoire et de mise en forme des données. Ainsi, en 1991, a-t-on négocié 9 chantiers sur Lyon pour un coût direct de 11,7 MF (hors prestations : décapage, évacuation des déblais, fourniture de locaux de chantier équipés...), ce qui représente 567 mois-homme ou encore l’équivalent de 23 personnes à temps plein pendant deux années.

10Est ce à dire que tout va pour le mieux et qu’il y a connivence entre aménageurs et archéologues ?

Quelle place pour l’archéologie dans la cité ?

11D’exceptionnelle, l’archéologie préventive est devenue, en vingt ans, la norme : mais cette "routine" n’est pas sans poser de problèmes.

12Problèmes matériels d’abord ; le coût croissant des interventions ne couvre que partiellement les dommages causés au patrimoine ; en effet, les méthodes s’affinent, l’exigence scientifique croît devant l’irrémédiable ; la masse documentaire devient difficile à gérer, matériellement (elle génère des mètres linéaires dans des musées inadaptés à ce stockage et dans des dépôts qu’il faut créer alors que ces archives matérielles ne jouissent pas encore de la même considération que les archives de papier), et intellectuellement (manque de temps pour exploiter les résultats ; déficit des publications malgré de gros efforts récents ; insuffisance de la restitution au public).

13Problèmes humains ensuite ; la pression des sauvetages provoque le recrutement de contractuels ou hors-statuts qui doivent, pour exercer cette profession, enchaîner les contrats, sans réelle perspective -pour l’instant- de carrière. Statut, formation, mobilité, autant de thèmes à approfondir.

14Problèmes scientifiques enfin ; nous nous trouvons devant une banalisation du sauvetage, sacrifice accepté, qui accentue avec l’accord de tous l’érosion documentaire. Tout se passe comme si aménageurs et archéologues ne se comportaient plus en usufruitiers du sous-sol mais en propriétaires. Au nom de quoi peut-on détruire avec une telle précipitation -même de la façon la plus intelligente- des vestiges qui ont traversé vingt siècles ? Serions-nous la génération élue ayant mission de fouiller et d’archiver une grande part de notre passé ?

15Deux remarques s’imposent :

  • l’archéologie urbaine vise à rendre compte de l’histoire d’une ville et à appréhender la façon dont la forme complexe que nous avons sous les yeux est parvenue jusqu’à nous. D’où venons nous et comment ? Les questions posées aujourd’hui à la ville reflètent bien nos préoccupations : naissance, développement, parfois échec du phénomène urbain, problèmes d’approvisionnement en eau, systèmes défensifs... Il est clair que les réponses ne peuvent venir des seules études occasionnées par des choix économiques (ceux des aménageurs) et non scientifiques. Voilà une première distorsion. Les archéologues aimeraient aussi pouvoir faire des fouilles sur des lieux sélectionnés en fonction d’un programme. Cela suppose bien évidemment des équipes stables, capables d’assurer une recherche inscrite dans la durée.
  • Nous sommes des héritiers. Mais quel héritage laisserons-nous à nos successeurs dont on peut penser qu’ils auront d’autres questions et d’autres méthodes pour y répondre ? Peut-on continuer à accepter la dilapidation du sous-sol à un tel rythme ? Voyez le quartier de Vaise, à Lyon, où se concentrent les occupations protohistoriques, appelé pendant les vingt ans à venir à être le lieu d’innombrables et incessants chantiers de fouille.

16Y a-t-il des réponses à ces questions ? Voici quelques pistes. Il faut souhaiter la diffusion de techniques de fondations spéciales peu destructrices (radiers ferraillés, pieux forés) ou encore, comme pour certaines lignes de métro, la réalisation des sections courantes en tube à grande profondeur, ce qui limite la fouille aux stations. Au delà, peut-on admettre de confronter le poids du passé et la réalisation d’équipements destructifs mais de brève durée (à l’échelle d’une génération) ? Ne pourrait-on, au coeur de nos villes, réserver quelques espaces, non constructibles, en mettant à profit la vague écologique ? A cet égard, le projet de Parc des hauteurs, à Lyon, autour du parc archéologique de Fourvière, pourrait constituer une excellente expérience, à condition que les aménagements de loisir et de repos ne génèrent pas -par ignorance ou manque d’imagination technique- des destructions insidieuses du sous-sol (décaissements, plantations...).

17Enfin, quelles sont les retombées de l’archéologie dans la cité ? La crise urbaine montre que les villes sont un tissu fragile, fruit d’une expérience collective. Mais les résultats archéologiques sont-ils intégrables par les urbanistes ? En d’autres termes, la connivence va-t-elle jusqu’à utiliser la réflexion historique pour bâtir plus juste et conserver le lien ? Y a t-il, en urbanisme, des leçons du passé, ou l’archéologie n’est-elle qu’un passe-temps accepté par facilité, fournissant, parfois, au mieux un décor ?

18On le voit, ces quelques réflexions sur la pratique de l’archéologie dans une ville nous entraînent dans le champ du social. Elles traduisent le sentiment que patrimoine et développement ne sont pas des termes antinomiques mais que la lutte contre l’amnésie doit être incessante.

19L’archéologie des années 80 a été une archéologie contractuelle et préventive qui a connu une certaine réussite. En rester là, au seuil du XXIème siècle serait paresse intellectuelle.

Auteur

Conservateur régional de l’Archéologie à la Direction Régionale des Affaires Culturelles Rhône Alpes, Lyon

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search