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Le choix des aliments

 | 
Eva Barlösius
, 
Marilyn Nicoud
, 
Martin Bruegel

Introduction. Informations et pratiques alimentaires : repères et questions

Martin Bruegel, Eva Barlösius et Marilyn Nicoud

Texte intégral

« Et l’immense domaine de l’alimentation ? »
Lucien Febvre, Combats pour l’histoire (1953).

  • 1 Sur l’alimentation et la santé, voir J. Worth Estes, « Food as Medicine », dans Kenneth F. Kiple et (...)
  • 2 Igor de Garine, « Les modes alimentaires : histoire de l’alimentation et des manières de table », d (...)
  • 3 Louis Dumont, Homo hierarchicus. Le Système des castes et ses implications (Paris, 1966), p. 113-11 (...)

1Les informations relatives à la nourriture sont de nature extrêmement diverse. Elles concernent aussi bien les produits que leurs caractéristiques, le choix des denrées, leurs modes de préparation et leurs combinaisons, et plus généralement l’hygiène de vie. Elles proviennent de champs tout aussi divers. L’alimentation intervient dans les conceptions de la santé : toutes les cultures font de l’aliment un véhicule de propriétés, positives ou négatives, préventives ou curatives, qui affectent l’état physique du mangeur ; en Europe, l’ars diætæ contient, outre les conseils sur les activités et actions qui préviennent le dérèglement du corps et de l’esprit, une expression systématisée des effets attribués aux aliments ingérés1. L’alimentation a partie liée avec les mœurs car toutes les sociétés élaborent une vision du « bien manger » ; les traités de civilité comprennent systématiquement des instructions sur les manières de table2. Les registres d’information alimentaire ne se résument cependant pas à la préservation et à la restauration de l’équilibre somatique ou mental d’un côté, et des préceptes du « bon goût » de l’autre, tant s’en faut. Toutes les sociétés soumettent l’accès à la nourriture à des codes qui visent à maintenir la structure sociale et l’ordre politique ; l’alimentation et le sens de la justice se trouvent entrelacés3.

2Les sources d’information disponibles sur l’alimentation sont nombreuses et leurs visées respectives peuvent, ou bien se renforcer, ou bien se contredire. C’est sans mentionner que leurs interprétations opposent fréquemment l’opinion autorisée aux exégètes non-conformistes, l’orthodoxie à la dissidence et aux théories alternatives. Le dernier mot revient donc aux usagers, dont le spectrum d’attitudes vis-à-vis des énoncés va de l’ignorance au rejet complet ou partiel, jusqu’à la mise en pratique « au pied de la lettre ». Comment, dans le domaine de l’alimentation, arbitrent-ils entre santé et plaisir, nutrition et saveur, bienséance et confort, croyance et science, tempérament et pression sociale, innovation et habitude, ou encore (pour prendre un cas dans notre actualité) considérations éthiques ou écologiques et servitudes quotidiennes ? Quelle légitimité accordent-ils aux paroles d’interlocuteurs venant d’horizons divers – de la médecine à la publicité, du gouvernement à la philanthropie – et qui diffusent messages et recommandations concernant la nourriture et l’hygiène de vie ? Quel est l’impact du support de diffusion (du verbe à l’écrit, de la voix radiophonique à l’image télévisée, de la consultation privée aux médias et à Internet) sur le poids que donnent les consommateurs aux informations ?

3Les chapitres de ce livre contribuent à la restitution de l’univers informationnel des consommateurs depuis le xive jusqu’au xxe siècle. Plus précisément, ils s’attachent à décrire et expliquer l’émergence et le fonctionnement des repères qui permettent aux consommateurs de s’orienter dans les marchés alimentaires et des services qui s’y rattachent. Le projet est vaste et le résultat collectif ressemble à une mosaïque de problématiques dont la première vertu est de poser de nouvelles questions et de stimuler ainsi de nouvelles recherches. Le but de cette introduction est d’étayer les raisons qui amènent à interroger l’histoire des rapports entre informations et pratiques alimentaires. Notons cependant dès maintenant que ce livre peut aussi se lire comme un inventaire des sources à exploiter en vue de cerner la production des informations, les canaux de leur diffusion, les manières dont elles parviennent aux consommateurs et la réception variée que ceux-ci leur accordent. Chaque contribution – et plus particulièrement celles regroupées dans la 1re partie – offre une interrogation sur la méthode appropriée pour « faire parler » les sources ; chacune s’efforce d’inscrire la communication dans le contexte social et institutionnel particulier qui lui confère sens et pertinence. Les sections thématiques s’organisent autour de l’identification (des produits), de l’imagination (liée à l’aliment et à l’alimentation) et de l’intervention (dans les transactions alimentaires). Les politiques publiques et leurs justifications vis-à-vis des citoyens qui en sont la cible occupent une place importante dans ce livre. Mais d’autres enjeux de taille – la formation et la modification des goûts, la préservation de la santé privée et publique, le maintien de l’ordre social et son dérèglement, la relation entre la société et l’expertise scientifique, les rapports de confiance et le lien social – émergent sous de nouveaux angles grâce à l’inventivité des auteurs réunis dans ce volume.

Faire son marché : confiance et contrainte budgétaire

  • 4 B. Köhler et al. (éd.), Poverty and Food in Welfare Societies (Berlin, 1997) ; Gert Mensink et al., (...)
  • 5 « Patients pauvres : les retards d’accès aux soins augmentent », Libération, 15 oct. 2009 ; « À Par (...)
  • 6 F. Le Play et A. Focillon, « Charpentier de Paris [1856] », dans Frédéric Le Play (dir.), Les Ouvri (...)

4Les informations construisent la réputation, honorable ou fâcheuse, des biens et prestations. Elles ne les identifient pas à elles seules. Les prix sont l’autre critère qui contribue à gouverner les préférences des usagers. La contrainte budgétaire explique en bonne partie l’accès inégal à l’offre alimentaire et médicale. Dans la plupart des sociétés européennes, les familles défavorisées renoncent à la consommation de fruits et légumes pourtant parés d’une myriade de vertus sanitaires ; elles les jugent trop chers4. Un petit budget entrave non seulement certains achats alimentaires qui soutiendraient une bonne santé, mais il retarde également le moment où les groupes sociaux défavorisés, urbains et ruraux, accèdent aux soins médicaux5. En contrepoint, la nécessité aiguise l’habileté tactique. Pour les couches populaires, l’occasion fait souvent le larron. L’opportunisme économique rend possible l’occasionnelle indulgence hédonique au sein des classes pauvres. La vente à bon marché plutôt que la fête calendaire ou les solennités religieuses détermine, dans le Paris du xixe siècle, le moment de l’achat annuel d’une oie grasse comme, dans la France des temps modernes, elle incite à se « graisser le couteau » et acheter de la viande - notons en passant que ces expressions renseignent sans détour sur l’élément limitatif des régimes alimentaires populaires avant le xxe siècle. Aujourd’hui, les familles en situation de précarité sont à l’affût de promotions commerciales6.

  • 7 Pierre Fouilhé, « L’évaluation subjective des prix. Aspects méthodologiques », Revue française de s (...)
  • 8 Héla Hadj Ali, Sébastien Lecocq et Michael Visser, « The Impact of Gurus : Parker Grades and En Pri (...)

5Les études réunies ici sont sensibles aux variables économiques. Mais elles partent du constat que les prix n’éliminent pas l’incertitude sur la qualité des marchandises et des activités professionnelles. L’absence, dans de nombreux cas, d’un lien direct et transparent entre prestation et prix rend nécessaire d’autres types d’informations. Ainsi s’explique l’émergence d’institutions dont la raison d’être consiste dans l’attribution, aux biens et aux services, de signes qui indiquent la présence de caractéristiques distinctives7. L’appellation d’origine, la marque ou encore le label identifient le produit alimentaire tout comme le diplôme certifie une compétence professionnelle. Le marché du vin illustre les deux points. D’une part, il montre que la réputation et les classements fondés sur les jugements critiques (guides, par exemple) exercent une influence certaine sur les prix. D’autre part, il prouve que la notoriété ou la réputation d’excellence se construisent et se maintiennent hors des mécanismes propres des marchés8.

6La définition de la nature des biens alimentaires et des services qui s’y rapportent requiert donc une information au-delà de celle que les prix fournissent aux consommateurs. Elle n’en est pas moins coûteuse et, pour cette raison, le droit de définir les produits et les procédés de production est un enjeu de lutte entre les acteurs économiques et sociaux. C’est une conclusion qui se dégage nettement des études présentées ici. Les objectifs sanitaires dans le Paris du Moyen Âge, la classification des produits dans la Bologne de la Renaissance, la caractérisation des vins typiques dans la Champagne des temps modernes, la détermination des besoins alimentaires dans les Pays-Bas au cours du xxe siècle et l’identification de la frontière qui sépare le mangeable de l’immonde, le naturel de l’artificiel, le pur de l’impur, le bénéfique du nocif, tous ces efforts visent à installer un ordre. Car l’influence sur la qualification des biens et services est un moyen pour obtenir ou restreindre des parts de marché ou des leviers de pouvoir. L’accord sur les principes d’organisation met aux prises des intérêts professionnels, industriels et administratifs. Le consommateur n’en est que rarement le pivot, mais il peut y trouver des repères. C’est seulement à partir de la seconde moitié du xixe siècle que des associations d’acheteurs ou d’usagers font entendre leurs voix ; l’un des premiers objectifs de leur combat est alors d’obtenir une reconnaissance juridique afin de pouvoir agir pleinement devant les tribunaux.

  • 9 Steven L. Kaplan, Le Complot de famine : histoire d’une rumeur au xviiie siècle (Paris, 1982) ; Man (...)

7L’élaboration des signes de qualité vise à établir des conventions d’échange entre producteurs, avant de s’intéresser à leurs effets sur les choix des consommateurs. Bien sûr, dans le meilleur des cas, l’information sur les produits et sur les acteurs vise à réduire la marge de l’aléa. En fournissant des descriptions utiles à la réalisation des échanges, l’information participe à la construction et au maintien de la confiance nécessaire au bon déroulement des interactions – du troc entre voisins jusqu’à l’échange commercial et à la consultation médicale. D’ailleurs, la crédibilité est une valeur sociale qui précède le crédit, monétaire ou personnel. Cette confiance à l’égard des biens et des interlocuteurs est une condition préalable à la conclusion de l’interaction, c’est-à-dire à l’acquisition d’un bien ou à l’adoption d’un comportement. En ce sens, son but est de permettre aux acteurs de faire des choix en connaissance de cause. Quand les institutions échouent dans ce rôle et quand la confiance disparaît, l’effondrement du marché ou l’arrêt de la transaction sont immédiats. La chute brutale de la consommation de viande de bœuf et la recomposition du paysage de la distribution lors de l’affaire de la « vache folle » en 1996 l’ont amplement démontré. Pourtant, cette évocation du rôle positif de l’information ne doit pas dissimuler que l’élaboration conflictuelle et la multiplicité des messages concourent à la désorientation des usagers. C’est dans ces interstices que la rumeur et les théories alternatives du fonctionnement du monde puisent leur force. Elles ébranlent ou questionnent la routine quotidienne. Il arrive qu’elles font basculer la structure institutionnelle dans la confusion jusqu’à faire vaciller l’ordre social9.

Les autorités gouvernementales et les marchés alimentaires

  • 10 Pour une vue succincte, voir Peter Barton Hutt et Peter Barton Hutt II, « A History of Government R (...)

8L’éventualité de la défaillance des autorités publiques et la crainte du désordre consécutif expliquent la permanence de l’engagement du pouvoir dans la surveillance des transactions commerciales, même pendant l’apogée du libéralisme économique au xixe siècle. Mais la relation est réciproque : le bon fonctionnement des marchés renforce la légitimité des gouvernements tout comme la présence des autorités est nécessaire à l’existence des marchés. Cités, princes nourriciers et États modernes partagent le souci d’assurer à leurs peuples un approvisionnement suffisant, sain, à des prix raisonnables, sinon « justes » ; ils veillent aussi à leurs sources de revenus. Plusieurs études dans Informations et pratiques alimentaires illustrent la circonspection et la vigilance permanentes avec lesquelles les administrations surveillent, cajolent, contraignent et disciplinent les acteurs des marchés alimentaires. La panoplie des instruments d’intervention est riche. Par commodité, distinguons trois cas de figure. D’abord, les denrées : quantités et prix d’un côté, intégrité de l’autre. L’action directe des autorités sur les prix ou la fixation de barèmes pour limiter l’impact de leurs variations lors d’à-coups de la production sont un des moyens de garantir l’accès au pain et à la viande (en France aujourd’hui, ce mode d’intervention concerne encore le prix du livre, la fixation d’un salaire minimum et certaines consultations médicales). En temps de guerre, le souci d’assurer un ravitaillement régulier génère des dispositifs logistiques et, en dernière instance, le recours au rationnement des vivres. La détermination des besoins précède la prise des mesures et les injonctions pratiques. Le deuxième point d’application de l’autorité gouvernementale concerne la loyauté des transactions. Cette intervention se fonde sur l’identification des produits et leur inscription dans des classifications (médicales, fiscales, nutritionnelles…). Une batterie de sanctions punit les falsifications (définies comme une altération des aliments) et les fraudes (entendues comme une tromperie sur la nature du bien ou service échangés), qui incluent la tricherie sur les poids et mesures. Finalement, la protection de la santé des consommateurs justifie la codification de la mise sur les marchés des biens. L’interdiction frappe les produits considérés comme nocifs alors que l’autorisation préalable et la distribution sélective (pharmacies, bureaux de tabac…) conditionnent l’accès aux médicaments et autres excitants10.

  • 11 Annerose Menninger, Genuss im kulturellen Wandel. Tabak, Kaffee, Tee und Schokolade in Europa 16.-1 (...)
  • 12 « Medwedew schränkt Bier-Verkauf ein », Tagesanzeiger (Zürich), 11 sept. 2009 ; « Obama réfléchit à (...)

9Le recours à la taxation est un levier éprouvé des politiques publiques. Hier les lois somptuaires frappaient les dépenses ostentatoires, aujourd’hui les impôts sur le tabac et les alcools (et peut-être bientôt sur les matières grasses) visent à en limiter les ventes en vue d’endiguer leur impact sur les coûts de santé. C’est une voie convenue. S’agissant des excitants tels le café, le thé et le tabac mais aussi le sucre, les autorités européennes la suivent aux xviie et xviiie siècles, précisément pour les motifs contradictoires que sont les revenus étatiques (qui augmentent avec la consommation) et la prohibition (pour des raisons religieuses, morales et hygiéniques)11. Pendant l’été 2009, le gouvernement russe l’a appliquée au cas de la bière (en passant sous silence la vodka) alors que l’administration Obama « réfléchit » à son instauration sur les sodas et les jus de fruits. Cependant, l’inéquité des conséquences impose des bornes à leur utilisation aujourd’hui. Les impôts indirects sont « expiatoires » dans la mesure où ils limitent la participation des groupes sociaux défavorisés à ces consommations12. D’où l’importance attachée à l’information qui devrait permettre aux consommateurs de se nourrir selon les recommandations nutritionnelles et de comprendre les raisons qui justifieraient l’adoption des modes de vie sains.

  • 13 C’est l’impression que donne la lecture de Madeleine Ferrières, Histoire des peurs alimentaires du (...)

10Cet inventaire pousse-t-il à conclure au nihil novi sub sole lorsqu’il s’agit de rendre compte des manières dont les autorités publiques s’occupent depuis le xive siècle des marchés alimentaires, des aliments et de leurs producteurs, et des professions qui prennent la consommation alimentaire comme moyen d’entretenir ou de restaurer la santé humaine13 ? La réponse à cette question est catégorique. La fin du xixe siècle marque une rupture. Les grands processus historiques altèrent en effet les conditions des achats au xixe siècle et attirent l’attention sur les nouveaux repères qui organisent le champ des consommations. L’expansion du commerce mondial, l’industrialisation de la production alimentaire, l’augmentation du nombre de marchandises, l’allongement de la chaîne d’approvisionnement qui éloigne l’usager du producteur, amplifient la probabilité de tromperies et accentuent la vulnérabilité des consommateurs. Les habitudes n’offrent plus de bouclier contre l’exposition à la nourriture falsifiée. Altérations et contrefaçons, rendues de plus en plus sophistiquées grâce aux progrès des sciences et… des emballages, frappent les aliments de base : la farine, les matières grasses, la bière, le lait, le vin, la charcuterie, le sel même, se retrouvent adultérés. Les conséquences du commerce frauduleux ne lèsent pas uniquement la santé et les porte-monnaie des consommateurs. Les revenus fiscaux en pâtissent également. L’État est contraint d’inventer ou de perfectionner ses instruments de régulation et de financement. Le progrès des sciences lui sert alors d’outil pour accomplir ce dessein.

  • 14 En Allemagne, des institutions scientifiques qui font partie de l’État (Ressortforschung) travaille (...)
  • 15 Cette émergence des pouvoirs administratifs dans la définition et la classification des produits es (...)

11L’essor de la chimie organique dans la seconde moitié du xixe siècle contribue à mieux connaître la nature des produits. Elle a réussi à décrire les denrées alimentaires en termes de macronutriments (glucides, lipides, protéines). Elle a inventé un nouveau langage pour décrire leur composition. En tant que discipline scientifique, elle s’est professionnalisée et est rentrée dans les enseignements universitaires. Cette connaissance facilite la standardisation des biens élaborés à partir de matériaux organiques, donc par définition mouvants. Les nouvelles capacités analytiques servent à cerner les caractéristiques physiques des aliments et à définir les produits. Ces méthodes permettent de détecter les ingrédients et de repérer les falsifications dont la confection devient alors industrielle. Elles finiront par servir d’armes d’application aux lois régissant la fabrication et la commercialisation de comestibles tels le beurre, la margarine et le vin (mais également les engrais agricoles). Dans le domaine de l’alimentation, l’expertise scientifique intervient à la fois dans la confection des normes des produits et dans leur application juridique. L’adoption, au tournant du xxe siècle, de lois sur les fraudes et falsifications dans de nombreux pays, ravit aux producteurs et aux distributeurs l’ancien privilège corporatif de définir les produits alimentaires et les processus de fabrication autorisés. Ainsi la reconnaissance des compétences de métier recule en faveur de l’État et de ses experts. D’arbitre des transactions commerciales qu’il vise à maintenir loyales en surveillant la conformité des normes des producteurs, l’appareil administratif via l’expertise scientifique se fait acteur dans la construction des normes14. Non sans susciter l’opposition des groupes sur les prérogatives desquels l’État empiète. Les solutions législatives, variées d’un pays à l’autre en fonction du rapport de force entre les groupes de pression (producteurs, distributeurs, consommateurs, professions médicales et administrations…), en portent la griffe : elles privilégient tantôt la protection de la santé publique (Royaume-Uni), tantôt la sanction administrative (États-Unis), la définition légale de certains produits (Allemagne) ou encore un modèle hybride qui combine la définition de l’aliment commercialement pur, élaborée par les producteurs, avec des sanctions pénales (France)15.

Trop d’informations ? La valse des étiquettes

  • 16 La marque commerciale a suscité un grand nombre d’études ; pour commencer, voir Geoffrey Jones et N (...)
  • 17 John Stuart Mill, Principles of Political Economy With Some of the Applications to Social Philosoph (...)

12Les débats sur la définition des denrées alimentaires et pharmaceutiques – précédés par l’interrogation sur les engrais et leurs effets sur les cultures agricoles – animent les controverses sur le rôle que joue l’information dans les pratiques de consommation. Toutes les lois promulguées autour de 1900 mandatent l’inscription de certaines données (notamment concernant l’origine) sur les emballages afin de fournir des repères dans les marchés16. Les étiquettes allaient-elles s’imposer aux informations diffuses et contradictoires en circulation, les mettre en règle, puis faciliter les choix des consommateurs ? Le retournement de la situation est patent : ce n’est plus le déficit, mais la pléthore d’informations qui jugule les transactions et génère des litiges. L’aphorisme l’affirme, du reste : trop d’information tue l’information. Il souligne bien sûr l’effet contre-productif d’une masse qui s’avère écrasante, voire impossible à organiser. L’acuité de ce problème n’avait pas échappé à John Stuart Mill (1806-1873) et Charles Gide (1847-1932) qui, face à un malaise qui ne date donc pas d’aujourd’hui, ont considéré comme nécessaire l’introduction dans l’espace marchand d’un principe qui lui est antagonique afin de protéger la clientèle, notamment celle issue des classes les plus démunies. Aux effets pervers de la recherche du gain, les deux économistes ont opposé la justice sociale17. Mais l’adage attire l’attention également sur les chocs potentiels entre informations contradictoires. L’obligation juridique de l’étiquetage est en effet à double tranchant. Dès que la loi décrète une norme d’identification des produits, le contenu de leurs étiquettes devient un enjeu entre producteurs, distributeurs, législateurs et, de plus en plus souvent, associations de consommateurs.

  • 18 « Des étiquettes pour mieux manger », Le Figaro, 4 fév. 2008 ; « Le “bon pour la santé” réglementé  (...)

13L’opposition est simple : information contre interdiction. Les responsables des politiques publiques soupèsent, d’un côté, le poids de la liste des ingrédients qui permettrait, de l’autre côté, d’éviter la prohibition de la vente d’un produit dont l’absorption journalière, même à petites doses, comporte des dangers pour la santé. La valse des étiquettes mériterait bien une étude historique approfondie, d’autant qu’elle perdure : tant à l’échelle de l’Union européenne qu’à l’échelle nationale (que la Commission européenne souhaite harmoniser), l’information apposée sur les emballages figure parmi les principaux outils mentionnés pour mener des campagnes d’éducation des consommateurs. La normalisation des indications nutritionnelles et des allégations « santé » sur les étiquettes clarifierait, selon cet argument, les choix des acheteurs et les armerait pour adopter des pratiques alimentaires plus saines18.

  • 19 « Manger sain ? Plus facile à dire qu’à faire », Le Monde, 22 jan. 2008 ; « Un site pour déjouer le (...)
  • 20 Patrick Zylberman, « Making Food Safety an Issue : Internationalized Food Politics and French Publi (...)

14La transparence n’est pourtant pas la première vertu du langage des étiquettes. Les caractéristiques affichées ne correspondent pas toujours aux composants effectifs. Le mariage entre le marketing et l’information nutritionnelle induit souvent en erreur. Le langage publicitaire se complaît dans la virtuosité créative au prix d’approximations : un taux élevé d’eau dans la composition d’un aliment industriellement conditionné cacherait une part importante de sauces qui, grâce aux matières grasses, renforcent la saveur et transportent des calories ; l’amidon supplée en partie à la farine ; les arômes sont artificiels ; le jambon n’est que pour moitié viande19 […] Mais l’étiquetage évite d’autres mesures réglementaires qui compromettraient la bonne marche des affaires, d’autant que l’application des lois s’avère souvent problématique. Plusieurs épisodes relatés dans les contributions rassemblées ici montrent que la défaillance n’est pas inédite. L’inquiétude à l’égard de la capacité des institutions de garantir la sécurité des aliments ne date pas de la crise de la « vache folle ». Un regard sur la presse de la seconde moitié du xxe siècle confirme sa persistance. Ainsi, au début des années 1970, la violation des normes légales concernant l’affichage de la composition des mélanges a produit une crise dans le marché français des huiles comestibles. L’insuffisance des moyens de surveillance a rendu possible la rétention d’information. Le scandale a éclaté et la consommation a chuté lorsque les pratiques industrielles se sont trouvées dans le point de mire des médias. La question a été alors de savoir si les producteurs avaient utilisé un ingrédient dont plusieurs études suggéraient la toxicité sur le long terme en fonction de l’effet cumulatif de sa consommation régulière. L’affaire rappelle l’interdiction de « l’huile d’œillet », mélange d’huile d’olive et d’huile de pavot, dont un arrêt de règlement dénoncait en 1742 le danger qu’elle représentait pour le petit peuple consommateur20.

  • 21 Voir Le Canard enchaîné, 22 sept. 2010, p. 5. Georges Séverac, « Le marché alimentaire : l’évolutio (...)

15Un optimisme de bon aloi prévaut cependant dans les milieux politiques. Certes, le consensus admet que les machinations commerciales abusives persistent, mais il est loin d’ébranler la confiance dans la batterie judiciaire qui saura les déceler et les sanctionner. Autre cause qui stimule la confiance des décideurs : la connaissance de notions nutritionnelles progresse parmi les consommateurs. Ce serait donc un indice du succès qui couronne l’éducation nutritionnelle, dont plusieurs des études présentées ici retracent l’histoire aux xixe et xxe siècles. En effet, les appels pour « une éducation critique du consommateur » scandent l’histoire depuis l’émergence du mouvement des coopératives de consommation et des ligues d’acheteurs. C’est aussi le mot d’ordre qui retentit au colloque « Nutrition 72 : le marché alimentaire face à l’opinion » consacré, entre autres, à l’examen des effets de l’information alimentaire sur les modes de vie21.

  • 22 « European consumers spill the beans on food labels… », http://www.eufic.org (consulté le 1er sept. (...)

16Des enquêtes récentes font état d’une bonne proportion d’individus qui regardent l’information sur les aliments et l’alimentation. Les constats se résument ainsi : plus les consommateurs sont aisés, diplômés et avancés en âge, plus ils se tournent vers les médecins, les diététiciens, les médias comme sources de renseignement. Ils se penchent aussi sur les étiquettes. Il n’empêche, un bémol teinte cette candide appréciation : les connaissances nutritionnelles infléchissent rarement les pratiques alimentaires sur le long terme. Comme dans d’autres campagnes publiques d’éducation (concernant la sécurité routière, par exemple, ou la conservation des ressources naturelles par le tri sélectif des déchets), les habitudes résistent aux injonctions. Quand bien même les consommateurs connaissent les risques sanitaires associés à leur alimentation, d’autres facteurs déterminent leurs habitudes et la volonté de les maintenir ou de les modifier. Aux États-Unis, par exemple, les modes de vie et de travail plus sédentaires contribuent certes à une moindre dépense calorique, mais les Américains âgés de 40 à 74 ans ne modifient pas leurs pratiques liées à la santé, et ceci en dépit de leur conscience des risques. Au contraire, entre 1988 et 2006, les mauvaises habitudes s’affirment : le taux de fumeurs descend à peine de 27 à 26 %, la pratique sportive et la consommation de fruits et légumes diminuent alors que la consommation d’alcools augmente (l’évaluation de ce dernier développement reste indécise car une consommation modérée d’alcool semble avoir des effets bénéfiques face aux maladies de civilisation). Partout, le manque de pouvoir d’achat constitue un frein à l’achat journalier des cinq fruits et légumes recommandés. Pour trois Français sur quatre, le consentement à payer plus cher une alimentation dite biologique achoppe sur les bornes financières. La connaissance est certes une condition nécessaire au changement des comportements. Pourtant, le volontarisme ne suffit pas à lui seul : il a besoin de moyens matériels et d’incitations tangibles pour se traduire dans les pratiques quotidiennes22.

Relais d’informations, prescripteurs de normes

  • 23 Rosemarie Buri, Dumm und dick. Mein langer Weg (Zurich, 1998) ; Peter N. Stearns, Fat History. Bodi (...)

17Nul doute de l’importance de la définition des produits pour la consommation. Mais penser et classer l’aliment ne suffit pas. L’intégration aux modes de vie passe par l’expérience. Elle fera évoluer la réticence vers le rejet définitif ou encouragera l’acceptation. Et l’expérience est plus souvent sociale qu’individuelle. L’explication des nouvelles pratiques alimentaires passe donc par leur inscription dans des contextes sociaux précis. Où a lieu la première rencontre avec un aliment inconnu ? Comment les consommateurs apprennent-ils à s’en servir ? En bref, qui les initie aux nouvelles techniques de consommation ? Poser ces questions consiste à rediriger l’enquête vers les processus d’apprentissage. La rencontre ne se pense plus en termes individuels. L’étude des nouvelles pratiques s’oriente ainsi vers les dispositifs d’acquisition d’un savoir. Autrement dit, le regard analytique scrute les instances de familiarisation ou les institutions dans lesquelles se forme le goût pour les nouveaux aliments. L’interrogation porterait ainsi sur les mécanismes par le truchement desquels les connaissances sont acheminées vers les consommateurs pour expliquer leur réception dans différents milieux sociaux. On distinguera bien, dans ce capital de consommation, l’acquisition des techniques nécessaires à l’utilisation des biens nouveaux, de l’adoption de nouvelles pratiques d’hygiène de vie. Les deux ont un coût, mais la modification du mode de vie implique souvent une mise en conformité avec des règles dont la transgression peut se solder de sanctions économiques et sociales : non seulement les primes d’assurances (et peut-être le prix des billets d’avion) peuvent s’ajuster à la hausse, mais la stigmatisation fait son œuvre en associant, par exemple, le surpoids et la bêtise23.

  • 24 Pour un essai résumant la diversité des observations scientifiques et la récente valorisation du se (...)
  • 25 E. F. Hebert et E. Delbet, « Tisseur en châles de la fabrique collective, Paris », dans Le Play (di (...)

18La piste d’investigation institutionnelle reconnaît dans la famille un lieu primordial de socialisation et donc d’initiation alimentaire. Après tout, elle est le premier rouage de la transmission des goûts et des dégoûts, alimentaires et non alimentaires (comme pour l’activité sportive ou encore les premiers passe-temps)24. Ce que ne manquent pas de souligner le sociologue Le Play et ses successeurs. Ils relèvent régulièrement les attitudes et les préjugés inculqués par le biais de la première éducation. À Paris dans les années 1850, la famille des tisseurs de châles évite de manger des haricots « dans la pensée qu’ils doivent exercer une fâcheuse influence sur la santé des enfants » (remarque en 1851 la mention de « l’affliction de Pythagore » – la flatulence due à la consommation de légumineuses – dans le roman Moby Dick de Herman Melville). Un siècle plus tard, Chombart de Lauwe note le socle solide de croyances qui fonde l’imperméabilité des familles ouvrières à l’éducation nutritionnelle : « Les attitudes […] à l’égard du sucre relèvent de dispositions psychologiques qui ne correspondent pas toujours à des besoins réels, et d’où se trouve généralement exclu tout jugement rationnel basé sur des informations précises. » La description sociologique oppose donc l’univers scientifique de l’époque, qui fait autorité, au patrimoine familial de préjugés rétrogrades. Les origines historiques de ces croyances et pratiques restent à examiner. Il s’agit notamment de tester l’hypothèse selon laquelle d’anciens principes diététiques se seraient « intégrés dans les schèmes mentaux […] anciens préceptes [médicaux, c’est-à-dire hippocratiques] depuis longtemps mués en habitudes25 ». La question est de connaître les chemins et temporalités de leur intégration et mise en pratique, y inclus en dehors des ménages familiaux.

  • 26 Howard Becker, Outsiders : Studies in the Sociology of Deviance (New York, 1963), p. 41-78 ; Nichol (...)

19Les réseaux sociaux facilitent l’adoption de nouvelles pratiques aussi bien que de nouveaux objets. Le sociologue Howard Becker a montré le rôle que joue la pression des pairs et la volonté d’en faire partie, dans l’initiation, par étapes (apprivoisement, instruction, premier essai, dégoût, renouvellement des explications, encouragement, nouvelle tentative, etc.), à la consommation de cannabis dans les milieux du jazz américain dans les années 1950. C’est en fait la norme du groupe dont le protagoniste espère obtenir l’accréditation, qui soutient l’acquisition du comportement – ou son abandon. Car c’est aussi le code social de référence qui contribue positivement à renoncer à l’habitude de fumer tout court. Des recherches récentes soulignent d’ailleurs l’aspect pratique plutôt que le discours médical ou savant lorsqu’il s’agit d’expliquer l’introduction du tabac et du chocolat dans les habitudes de consommation en Europe au xviie siècle : les institutions de sociabilité, telle la taverne, plutôt que la prescription médicale privée, contribuent à la diffusion du goût du nouveau et de ses modes d’emploi26.

  • 27 Thierry Nadau, Itinéraires marchands du goût moderne (Paris, 2005), p. 42 ; Pierre Saunier et Marti (...)

20Le modèle beckerien d’explication permet d’envisager la restriction de l’autonomie individuelle face à l’emprise sociale. On se tourne alors vers les institutions que sont l’armée, l’école, mais aussi l’hôpital et la prison, non pas pour les analyser en tant qu’instruments de la reproduction sociale (Pierre Bourdieu) ou de la répression (Michel Foucault), mais pour examiner leur capacité de relais dans l’inculcation de nouveaux comportements. Ainsi, l’Union de la pêche allemande, créée en 1870, s’applique à introduire le poisson sur les menus des casernes, des prisons et des restaurants coopératifs. Les promoteurs savent bien qu’il faut intéresser les consommateurs collectifs pour « placer » de nouveaux produits issus de l’industrialisation de la production alimentaire. C’est le cas des conserves appertisées et des pâtes alimentaires en France, du lait condensé aux États-Unis, du chocolat en Suisse, du biscuit en Angleterre. Tous ces aliments connaissent leur premier succès commercial dans des marchés institutionnels. Les achats des ménages ne représenteront la majeure partie des débouchés qu’après ce lancement auprès des clients collectifs. L’habituation nécessite des efforts, joue de contraintes et prend du temps. Son coût est, pour ainsi dire, socialisé27.

  • 28 Voir, par ex., Marilyn Nicoud, « Les pratiques diététiques à la cour de Francesco Sforza », dans Br (...)
  • 29 Charles Robert, « Décapeur d’outils en acier de la fabrique d’Hérimoncourt, Doubs [1858] », dans Le (...)

21Les institutions permettent également d’appliquer des préceptes médicaux et de les incorporer dans les pratiques quotidiennes. La santé du souverain est un souci d’ordre public dans une société bâtie explicitement sur le principe hiérarchique des ordres. Son maintien génère des archives, qui ouvrent la voie à une appréhension de la discipline avec laquelle le patient privilégié suit – ou ignore – les conseils médicaux. En d’autres termes, les degrés de liberté à l’égard d’une parole autorisée restituent l’efficacité de la culture diététique au niveau des échelons sociaux supérieurs28. Soit encore le décapeur d’outils en acier dans le Doubs dont Charles Robert dresse le portrait en 1858 : l’ouvrier âgé de 72 ans « n’a pas contracté volontairement cette habitude [l’usage du tabac à chiquer dont il consomme environ 17 rouleaux par an], elle a pour cause le séjour de 18 mois qu’il a fait pendant les guerres de l’Empire sur les bords de la Baltique et l’ordre donné à chaque soldat, sous peine de quatre jours de prison, de faire usage des rations de tabac distribuées comme préservatif contre le scorbut ». Le souci de santé préside également à la décision du gouvernement du canton de Thurgovie en Suisse d’introduire du lait préalablement chauffé dans l’alimentation des détenus dans les maisons d’arrêt et de correction au cours du troisième tiers du xixe siècle. Pasteurisation et nutrition convergent alors pour élever le lait dans la hiérarchie des aliments. Elles rendent possible la « rationalisation » de la nourriture. L’efficacité est budgétaire aussi bien que physiologique puisque la base d’équivalence en protéines animales permet de faire du lait, relativement bon marché, un substitut de la viande, assurément chère. Casernes et cantines scolaires sont les vecteurs de la politique du désormais mythique verre de lait distribué sous le gouvernement de Pierre Mendès-France dans sa campagne contre le rachitisme et l’alcoolisme. L’instrumentalisation des leviers étatiques pour familiariser les consommateurs avec le lait et pousser l’augmentation des volumes vendus semble commune au cours du xxe siècle ; elle se retrouve aux États-Unis, en Suisse et sans doute là où les lobbies agricoles sont proches des centres du pouvoir29.

  • 30 Beatrix Mesmer, « Rationelle Ernährung. Sozialmedizinische Reaktionen auf den Wandel der Ess- und T (...)
  • 31 En général, voir Alexander Fenton (éd.), Order and Disorder : The Health Implications of Eating and (...)

22Lorsque les industriels de l’agroalimentaire et les professionnels de la santé joignent leurs forces, les visées réformatrices ont quelques chances d’aboutir sur le long terme. Même si les résultats ne sont pas toujours là où les animateurs les attendent : toute une gamme de produits « santé » (flocons de céréales et pain complet, extrait de viande, soupe en poudre…), conçus pour les couches populaires, trouvent leurs premiers consommateurs parmi les classes moyennes, plutôt économes de leur temps que de leur argent30. Mais l’entente se brise lorsque les intérêts industriels se heurtent aux desseins philanthropiques et aux politiques publiques de santé. Alors commence la valse des étiquettes et les luttes d’influence. Notons ici le poids croissant de l’expertise scientifique des nutritionnistes. Très tôt, ce groupe de professionnels voit une de ses raisons d’être dans la production de normes alimentaires et la diffusion de messages nutritionnels qui tirent leur légitimé de la revendication d’un détachement scientifique. En définissant des conduites appropriées et des comportements déviants, il contribue certes à l’identification des problèmes médicaux. En même temps, le caractère normatif du constat facilite sa traduction en problème social, dont la solution est au principe des recherches menées en nutrition et qui débouchent sur des recommandations. Cette médicalisation des discours publics réussit même à imprégner les points de vue sociologiques, comme le montre le commentaire de Chombart de Lauwe sur les habitudes alimentaires des familles ouvrières parisiennes dans les années 195031.

  • 32 « La France à la traîne dans la prise en charge de l’obésité », Le Figaro, 30 sept. 2009 ; Observat (...)

23Regardons, pour terminer, brièvement l’expérience récente. Elle ne fait que réaffirmer l’importance des lieux de consommation collective. Et elle les confirme comme terrains traversés de visées contradictoires. D’un côté, les campagnes contre l’obésité – tout comme leurs prédécesseurs contre des pathologies tels la tuberculose ou l’alcoolisme – ont transformé cantines scolaires et restaurants d’entreprises. Champs de bataille d’un côté, les clients s’y retrouvent sous les feux croisés des messages nutritionnels promouvant la consommation journalière de cinq portions de fruits et légumes et une offre dont les déterminants sont largement industriels et techniques. Lieux d’expérimentation et d’instruction de l’autre côté, État et entreprises privées utilisent les restaurants collectifs pour initier les usagers à une meilleure hygiène de vie par le truchement de leçons nutritionnelles aussi bien que des menus modèles. Car l’augmentation des coûts de la santé – et des primes d’assurances – est largement due aux maladies tels le diabète type 2, les troubles cardiovasculaires, le cancer et l’obésité qui sont fortement liées à l’alimentation, l’exercice physique et le tabac32.

  • 33 Marc Bloch, « La ségrégation alimentaire », L’Encyclopédie française (Paris, 1956), t. 14, chap. 5  (...)
  • 34 Derrick B. Jelliffe, « Parallel Food Classifications in Developing and Industrialized Countries », (...)

24Il est sans doute précoce de tirer des conclusions générales à partir des études réunies ici. Pourtant, on cède difficilement à la tentation d’affirmer que le consommateur avec un C majuscule n’existe pas. N’en déplaise aux tenants d’une convergence des pratiques alimentaires dans les pays industrialisés, les facteurs sociaux déterminent encore les répertoires alimentaires des différentes couches de la population – comme ils l’ont fait sous l’Ancien Régime33. Il n’y a pas qu’un seul modèle pour entretenir le corps et l’esprit, qui engendrerait des habitudes alimentaires dont seuls les obstacles économiques ou géographiques (la distance à l’offre) expliqueraient les variations. Il y a donc lieu de poursuivre les recherches sur les cultures alimentaires avec comme cible ce que les anthropologues désignent comme les classifications alternatives des aliments, d’expliquer leur robustesse ou, au contraire, leur propension au changement. On rend alors compte de la diversité des expériences et des normes qui sous-tendent les pratiques quotidiennes34.

25Une deuxième observation permet d’étayer le constat de ces discontinuités sociales et de leur efficacité culturelle. Le malade (dont les taxinomies et les perceptions du corps changent avec les époques), l’ouvrière (dont les réformateurs du xixe siècle déplorent l’incompétence ménagère), le soldat (cible privilégiée, si l’on ose dire, des innovations alimentaires), la domestique (qui fait le marché pour ses employeurs), le sommelier (qui allie réseau social et lecture de guide pour constituer une cave) ne partagent ni le même savoir alimentaire, ni la même définition des besoins physiques ou symboliques. La réception qu’ils font aux informations sur l’alimentation et les modes de vie varie en fonction de leur activité et des capacités qui viennent avec elles et, notamment celle – on l’a vu – de posséder un vocabulaire pour cerner, c’est-à-dire identifier et exprimer, des appréciations et des exigences de tous ordres, alimentaires, médicaux, symboliques… L’élaboration de taxinomies et nomenclatures, savantes aussi bien que pratiques, a pour corollaire l’exacerbation des inégalités dans la familiarisation. L’acquisition des aptitudes spécifiques, qui sont aussi techniques, est en effet conditionnée par l’accès à l’apprentissage scolaire et professionnel. D’où la coexistence, voire la concurrence, de savoirs traditionnels (dont certains tombent dans la case des « sagesses populaires ») et de compétences particulières qui leur échappent. Bien sûr, l’instruction ne résume pas la circulation d’information. Mais elle contribue à former les outils mentaux qui rendent possible la compréhension des conseils, injonctions et sollicitations émis en direction des consommateurs.

  • 35 Voir, par exemple, Kirsten Schlegel-Matthies, « Anfänge der modernen Lebens- und Genussmittelwerbun (...)

26La lecture des contributions suggère au moins trois autres pistes de recherche. Elle montre que les réputations des produits se construisent grâce aux nomenclatures dans lesquelles ils s’insèrent. On souhaite donc encourager les enquêtes sur ces classifications et les principes qui sous-tendent leur construction afin de saisir leurs effets sur les marchés et les pratiques alimentaires. Qu’est-ce qui constitue un type, quels sont les critères qui le fondent, comment s’élabore le vocabulaire de la qualité ? Si l’on connaît dorénavant bien la publicité et la critique dont elle fait l’objet parmi les contemporains35, ses effets sur les habitudes alimentaires parmi les différentes classes sociales demandent à être éclairés. Reste l’articulation entre la production et la consommation. Parmi les pistes de recherche, le rayonnement des intermédiaires requiert de nouvelles analyses historiques. Les médecins et les nutritionnistes, ainsi que la presse spécialisée, diffusent des savoirs, donnent des conseils sur l’alimentation et l’hygiène de vie et ce sont leurs interactions avec les consommateurs et les patients qui devraient attirer notre attention. Le domaine qui croise l’alimentation et les informations est immense – et la reconstitution des expériences quotidiennes ne connaît de limites que dans l’imagination des chercheurs.

Notes

1 Sur l’alimentation et la santé, voir J. Worth Estes, « Food as Medicine », dans Kenneth F. Kiple et Kriemhild Conèe Ornelas (éd.), The Cambridge World History of Food (Cambridge, 2000), vol. 2, p. 1534-1553 ; Frédérique Audoin-Rouzeau et Françoise Sabban (éd.), Un aliment sain dans un corps sain : perspectives historiques (Tours, 2007).

2 Igor de Garine, « Les modes alimentaires : histoire de l’alimentation et des manières de table », dans Jean Poirier, Histoire des mœurs (Paris, 1990), vol. I/2, p. 1472-1627 ; Allen J. Grieco, Mary Hyman et Peter Scholliers (éd.), « Food and Drink Excesses in Europe. Admissible and Inadmissible Behaviour from Antiquity to the Twenty-first Century », Food & History vol. 4/no 2 (2006) ; Eva Barlösius, « Von der kollektiven zur individualisierten Essmoral ? Über das “gute Leben” und die widersprüchlichen Grundmuster alltäglichen Essens », dans Hans Jürgen Teuteberg (éd.), Die Revolution am Esstisch. Neue Studien zur Nahrungskultur im 19./20. Jahrhundert (Stuttgart, 2004), p. 39-50.

3 Louis Dumont, Homo hierarchicus. Le Système des castes et ses implications (Paris, 1966), p. 113-115, 168-193 ; Claude Lévi-Strauss, Mythologies, t. 3 : L’Origine des manières de table (Paris, 1969) ; Klaus Eder, Die Vergesellschaftung der Natur. Studien zur sozialen Evolution der praktischen Vernunft (Frankfurt a. M., 1988).

4 B. Köhler et al. (éd.), Poverty and Food in Welfare Societies (Berlin, 1997) ; Gert Mensink et al., Was essen wir heute ? Ernährungsverhalten in Deutschland (Berlin, 2002) ; « Manger frais, est-ce un luxe ? », Le Monde, 2 juin 2006 ; France Caillavet (coord.), « Nutrition et précarité », Cahiers de nutrition et de diététique vol. 41/no 2 (2006), p. 61-124.

5 « Patients pauvres : les retards d’accès aux soins augmentent », Libération, 15 oct. 2009 ; « À Paris, 25 % des médecins refusent de soigner les pauvres », Le Monde, 2 juil. 2009 ; « Accès aux soins : l’inégalité française », Le Monde, 30 jan. 2009.

6 F. Le Play et A. Focillon, « Charpentier de Paris [1856] », dans Frédéric Le Play (dir.), Les Ouvriers des deux mondes (Paris, 1857), t. 1, p. 36 ; A. Focillon, « Tailleur d’habit de Paris [1856] », ibid., t. 2 (Paris, 1858), p. 156 ; E. Avalle, « Porteur d’eau de Paris [1858] », ibid., t. 2, p. 330 ; F. Gautier, « Auvergnat brocanteur en boutique à Paris [1861] », ibid., t. 4 (Paris, 1862), p. 291 ; Daniel Roche (éd.), Journal de ma vie. Jacques-Louis Ménétra, compagnon vitrier au xviiie siècle (Paris, 1998), p. 194 ; Daniel Roche, Histoire des choses banales (Paris, 1997), p. 240-242 ; Sydney Watts, Meat Matters. Butchers, Politics, and Market Culture in Eighteenth-Century Paris (Rochester, 2006), p. 33-37 ; Jeanne Lazarus, « Les pauvres et la consommation », Vingtième Siècle. Revue d’histoire no 91 (juil.-sept. 2006), p. 145-146.

7 Pierre Fouilhé, « L’évaluation subjective des prix. Aspects méthodologiques », Revue française de sociologie vol. I/no 2 (1960), p. 163-172 ; George A. Akerlof, « The Market for Lemons : Quality Uncertainty and the Market Mechanism », Quarterly Journal of Economics vol. 84/no 3 (1970), p. 488-500 ; Joseph E. Stiglitz, « The Causes and Consequences of the Dependence of Quality on Prices », Journal of Economic Literature no 25 (Mars 1987), p. 1-48.

8 Héla Hadj Ali, Sébastien Lecocq et Michael Visser, « The Impact of Gurus : Parker Grades and En Primeur Wine Prices », Economic Journal no 118 (Juin 2008), p. F158-F173.

9 Steven L. Kaplan, Le Complot de famine : histoire d’une rumeur au xviiie siècle (Paris, 1982) ; Manfred Gailus et Heinrich Volkmann (éd.), Der Kampf um das tägliche Brot : Nahrungsmangel, Versorgungspolitik und Protest 1770-1990 (Opladen, 1994).

10 Pour une vue succincte, voir Peter Barton Hutt et Peter Barton Hutt II, « A History of Government Regulation of Adulteration and Misbranding of Food », Food Drug Cosmetic Law Journal no 39 (1984), p. 2-73.

11 Annerose Menninger, Genuss im kulturellen Wandel. Tabak, Kaffee, Tee und Schokolade in Europa 16.-19. Jahrhundert (Stuttgart, 2004), p. 373-409.

12 « Medwedew schränkt Bier-Verkauf ein », Tagesanzeiger (Zürich), 11 sept. 2009 ; « Obama réfléchit à une taxe sur les sodas », Le Monde, 8 sept. 2009 ; « New Targets in the Fat Fight : Soda and Juice », The New York Times, 1er sept. 2009 ; « Die Hamburger-Abgabe. Der rumänische Staat plant eine ‚Fast Food Tax’ und verkauft sie als Gesundheitsmassnahme », Die Welt, 9 jan. 2010.

13 C’est l’impression que donne la lecture de Madeleine Ferrières, Histoire des peurs alimentaires du Moyen Âge à l’aube du xxe siècle (Paris, 2002).

14 En Allemagne, des institutions scientifiques qui font partie de l’État (Ressortforschung) travaillent à faire adopter des normes par la pratique, voir Eva Barlösius, « “Forschen mit Gespür für politische Umsetzung” : Position, interne Strukturierung und Nomos der Ressortforschung », dms – der moderne Staat. Zeitschrift für Public Policy, Recht und Management, 2 (2009), p. 347-366.

15 Cette émergence des pouvoirs administratifs dans la définition et la classification des produits est analysée, pour l’Allemagne, dans Jutta Grüne, Anfänge staatlicher Lebensmittelüberwachung in Deutschland (Stuttgart, 1994), et Uwe Spiekermann, « Warenwelten. Die Normierung der Nahrungsmittel in Deutschland 1850-1930 », dans Ruth-E. Mohrmann (éd.), Essen und Trinken in der Moderne (Münster, 2006), p. 99-124 ; pour les États-Unis, dans James Harvey Young, Pure Food. Securing the Federal Food and Drugs Act to 1906 (Princeton, 1989) ; pour la France, dans Pierre-Antoine Dessaux, « Comment définir les produits alimentaires ? L’élaboration des références pour l’application de la loi du 1er août 1905 entre expertise et consensus professionnel », Histoire, économie et société 1 (jan. 2006), p. 83-108, et Alessandro Stanziani, Histoire de la qualité alimentaire xixe-xxe siècle (Paris, 2005), p. 289-314 ; pour le Royaume-Uni, Michael French et Jim Philips, Cheated, not Poisoned ? Food Regulation in the United King-dom 1875-1938 (Manchester, 2000), p. 33-65. Pour le droit européen, voir « Règlement (CE) no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires », Journal officiel des Communautés européennes L31/1 (1er fév. 2002).

16 La marque commerciale a suscité un grand nombre d’études ; pour commencer, voir Geoffrey Jones et Nicholas J. Morgan (éd.), Adding Value. Brands and Marketing in Food and Drink (Londres, 1994).

17 John Stuart Mill, Principles of Political Economy With Some of the Applications to Social Philosophy, 7e éd. (Londres, 1907), livre 5, p. 23-28 ; Charles Gide, Cours d’économie politique, 7e éd. (Paris, 1923), t. 2, p. 517-525, p. 478-479.

18 « Des étiquettes pour mieux manger », Le Figaro, 4 fév. 2008 ; « Le “bon pour la santé” réglementé », Le Monde, 3 juil. 2007 ; « Agroalimentaire : la bataille des étiquettes », Le Figaro, 15 oct. 2007 ; « Polémique autour du sucre », Le Monde, 17 oct. 2004.

19 « Manger sain ? Plus facile à dire qu’à faire », Le Monde, 22 jan. 2008 ; « Un site pour déjouer les pièges du marketing », Le Figaro, 15 mai 2008 ; « Was wirklich in den Lebensmitteln steckt » et « Wenn Crevetten gepresstes Fischeiweiss sind », Tagesanzeiger (Zürich), 10 juil. 2009.

20 Patrick Zylberman, « Making Food Safety an Issue : Internationalized Food Politics and French Public Health from the 1870s to the Present », Medical History, no 48 (2004), p. 1-28 ; Steven L. Kaplan évoque le climat anxiogène à l’égard de l’alimentation dans Le Pain maudit. Retour sur la France des années oubliées 1945-1958 (Paris, 2008), p. 32-41 ; Robert de Montvalon, « L’information sur l’alimentation dans la presse écrite (l’huile de colza 1971-1972) », Cahiers de nutrition et de diététique vol. 7/no 3 (juil.-sept. 1972), p. 203- 208 ; Arlette Lebigre, « Haro sur les aliments indignes », L’Histoire, no 85 (1986), p. 127.

21 Voir Le Canard enchaîné, 22 sept. 2010, p. 5. Georges Séverac, « Le marché alimentaire : l’évolution du secteur agro-alimentaire », Cahiers de nutrition et de diététique vol. 7/no 3 (juil.-sept. 1972), p. 192. La littérature sur les coopératives est immense, voir Michael Prinz, « Von der Nahrungssicherung zum Einkommensausgleich. Entstehung und Durchsetzung des Selbsthilfemusters Konsumverein 1770-1914 in England und Deutschland », dans Hannes Siegrist et al. (éd.), Europäische Konsumgeschichte. Zur Gesellschafts- und Kulturgeschichte des Konsums 18. bis 20. Jahrhundert (Frankfurt, 1997), p. 717-744 ; Marie-Emmanuelle Chessel, « Consommation, action sociale et engagement public fin de siècle, des États-Unis à la France », dans Alain Chatriot et al. (éd.), Au nom du consommateur. Consommation et politique en Europe et aux États-Unis au xxe siècle (Paris, 2005), p. 247-261.

22 « European consumers spill the beans on food labels… », http://www.eufic.org (consulté le 1er sept. 2009) ; « Read Any Good Nutrition Labels Lately ? », The New York Times, 1er déc. 2004 ; Dana E. King et al., « Adherence to Healthy Lifestyle Habits in US Adults, 1988-2006 », The American Journal of Medicine vol. 122/no 6 (juin 2009), p. 528-534 ; Judie Lannon, « How People Choose Food : the Role of Advertising and Packaging », dans C. Ritson et al. (éd.), The Food Consumer (Chichester/New York, 1986), p. 241-256 ; « Money Is Tight, and Junk Food Beckons », The New York Times, 4 nov. 2008. Pour le jugement mitigé concernant l’alcool, « Un peu d’alcool stimule les endorphines du cerveau », Le Figaro, 25 mars 2009. Les prix : « Une assiette saine et variée : pas à n’importe quel prix ! », Le Monde, 24 mars 2008 ; « En grande distribution, le bio beaucoup plus cher que le conventionnel », Le Monde, 11 nov. 2009. Pour une mise au point sur les attitudes des consommateurs français à l’égard des exhortations nutritionnelles, Faustine Régnier, « Les tourments de la profusion : consommateurs et recommandations nutritionnelles au seuil du troisième millénaire », dans Martin Bruegel (éd.), Profusion et pénurie : les hommes devant leurs besoins alimentaires (Rennes, 2009), p. 121-135.

23 Rosemarie Buri, Dumm und dick. Mein langer Weg (Zurich, 1998) ; Peter N. Stearns, Fat History. Bodies and Beauty in the Modern West (New York, 2002) ; Henning Schmidt-Semisch et Friedrich Schorb (éd.), Kreuzzug gegen Fette. Sozialwissenschaftliche Aspekte des gesellschaftlichen Umgangs mit Übergewicht und Adipositas (Wiesbaden, 2008).

24 Pour un essai résumant la diversité des observations scientifiques et la récente valorisation du sens commun, voir « Parenting and Food : Eat Your Peas. Or Don’t. Whatever », The New York Times, 30 août 2009.

25 E. F. Hebert et E. Delbet, « Tisseur en châles de la fabrique collective, Paris », dans Le Play (dir.), Les Ouvriers des deux mondes, t. 1, p. 311 ; Herman Melville, Moby Dick (1851, New York, 1988), p. 5 ; Paul-Henri Chombart de Lauwe, La Vie quotidienne des familles ouvrières, 3e éd. (Paris, 1977), p. 157 ; Bruno Laurioux, « La cuisine des médecins à la fin du Moyen Âge », dans Maladies, médecines et sociétés : approches historiques pour le présent (Paris, 1993), t. 2, p. 143.

26 Howard Becker, Outsiders : Studies in the Sociology of Deviance (New York, 1963), p. 41-78 ; Nicholas A. Christakis et James H. Fowler, « The Collective Dynamics of Smoking in a Large Social Network », New England Journal of Medicine vol. 358/no 21 (mai 2008), p. 2249-2258 ; Marcy Norton, Sacred Gifts, Profane Pleasures. A History of Tobacco and Chocolate in the Atlantic World (Ithaca, 2008), p. 156-200.

27 Thierry Nadau, Itinéraires marchands du goût moderne (Paris, 2005), p. 42 ; Pierre Saunier et Martin Bruegel, « Nascita e sviluppo dell’industria alimentare », dans Massimo Montanari et Françoise Sabban (éd.), Atlante dell’alimentazione e della gastronomia (Turin, 2004), vol. 1, p. 389-393 ; Pierre-Antoine Dessaux, « Des vermicelliers au groupe Danone : consommer, produire et vendre des pâtes alimentaires en France, xviie-xxe siècles », thèse de doctorat, EHESS (Paris, 2003), p. 98-113 ; Joe B. Frantz, Gail Borden : Dairyman to a Nation (Norman, 1951) ; Roman Rossfeld, « Vom Frauengetränk zur militärischen Notration. Der Konsum von Schokolade aus geschlechtergeschichtlicher Perspektive », dans Yvonne Leimbruber et al. (éd.), « Chocolat Tobler. Zur Geschichte der Schokolade und einer Berner Fabrik », Berner Zeitschrift für Geschichte und Heimatkunde 63/1 (2001), p. 55-65 ; Sigfried Giedion, Mechanization Takes Command. A Contribution to Anonymous History (New York, 1969), p. 77-78, p. 86-89.

28 Voir, par ex., Marilyn Nicoud, « Les pratiques diététiques à la cour de Francesco Sforza », dans Bruno Laurioux et Laurence Moulinier-Brogi (éd.), Scrivere il Medioevo. Lo spazio, la santità, il cibo. Un libro dedicato ad Odile Redon (Roma, 2001), p. 393-404.

29 Charles Robert, « Décapeur d’outils en acier de la fabrique d’Hérimoncourt, Doubs [1858] », dans Le Play (dir.), Les Ouvriers des deux mondes, t. 2, p. 248-249 ; Sabine Lippuner, Bessern und verwahren. Die Praxis der administrativen Versorgung von "Liderlichen” und "Arbeitsscheuen” in der thurgauischen Zwangsarbeitanstalt Kalchrain, 19. und frühes 20. Jahrhundert (Frauenfeld, 2005), p. 121-125 ; Peter Moser et Beat Brodbeck, Milch für alle. Bilder, Dokumente and Analysen zur Milchwirtschaft und Milchpolitik in der Schweiz im 20. Jahrhundert (Baden, 2007), p. 206-223 ; Melanie Dupuis, Nature’s Perfect Food. How Milk Became America’s Drink (New York, 2002), p. 90-121.

30 Beatrix Mesmer, « Rationelle Ernährung. Sozialmedizinische Reaktionen auf den Wandel der Ess- und Trinkgewohnheiten », dans Peter Saladin et al. (éd.), Medizin für die Medizin. Arzt und Ärztin zwischen Wissenschaft und Praxis. Festschrift für Hannes G. Pauli (Basel, 1989), p. 334-343 ; Mark R. Finlay, « Early Marketing of the Theory of Nutrition : the Science and Culture of Liebig’s Meat Extract », dans Harmke Kamminga et Andrew Cunningham (éd.), The Science and Culture of Nutrition, 1840-1940 (Amsterdam, 1995), p. 48-74 ; Martin Schärer, « Ernährungsanalyse, Lebensmittelindustrie und Produktionsinnovation : Der Fall der Leguminosenmehle », Lebensmittel-Technologie 29/12 (1996), p. 591-601.

31 En général, voir Alexander Fenton (éd.), Order and Disorder : The Health Implications of Eating and Drinking in the Nineteenth and Twentieth Centuries (Edinburgh, 2000), p. 96-252.

32 « La France à la traîne dans la prise en charge de l’obésité », Le Figaro, 30 sept. 2009 ; Observatoire économique de l’achat public, « Recommandation concernant la nutrition du 4 mai 2007 », http://agriculture.gouv.fr/sections/thematiques/alimentation, « Améliorer l’offre en restauration collective » (consulté le 15 sept. 2009) ; « Des fruits contre l’injustice et l’obésité », Le Monde, 8 mai 2008 ; « Harlem School Introduces Children to Swiss Chard », The New York Times, 9 sept. 2005 ; « Les entreprises mènent une offensive publicitaire sur l’école », Le Monde, 13 sept. 1998 ; « Latest weapon to cut health care costs : Wellness », International Herald Tribune, 1er déc. 2009.

33 Marc Bloch, « La ségrégation alimentaire », L’Encyclopédie française (Paris, 1956), t. 14, chap. 5 ; Claude Grignon et Christiane Grignon, « Long-Term Trends in Food Consumption : a French Portrait », Food and Foodways vol. 8/no 3 (1999), p. 151-174.

34 Derrick B. Jelliffe, « Parallel Food Classifications in Developing and Industrialized Countries », The American Journal of Clinical Nutrition vol. 20/no 3 (mars 1967), p. 279-281.

35 Voir, par exemple, Kirsten Schlegel-Matthies, « Anfänge der modernen Lebens- und Genussmittelwerbung : Produkte und Konsumgruppen im Spiegel von Zeitschriften-annoncen », dans Hans J. Teuteberg (éd.), Durchbruch zum modernen Massenkonsum. Lebensmittelmärkte und Lebensmittelqualität im Städtewachstum des Industriezeitalters (Münster, 1987), p. 277-308 ; Daniel Pope, The Making of Modern Advertising (New York, 1983).

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