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Dans l’atelier de Michel Pastoureau

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Claudia Rabel
, 
François Jacquesson
, 
Laurent Hablot

Voyage, voyage... dans le temps et dans l’espace

Éloge du cabinet de curiosités

Fanny Caroff

Texte intégral

1 Il a fallu penser une image : quel précieux défi pour entamer cet échange avec Michel Pastoureau. Devant ma bibliothèque, là où ses mots, sa voix, ses idées sont posés, rassurants, inspirants, je me suis laissée distraire, car mes rayonnages me livrent autant à l’étude qu’à la rêverie. Au fil du temps, entre mes ouvrages phares et des souvenirs, une circulation s’est établie. Adossé aux écrits de mon professeur – à mes enfants, j’en parle comme d’un membre de ma famille – il y a un petit fouillis de trouvailles. Alors, je me suis souvenue de notre rencontre, moi exaltée, et comment j’ai été subjuguée, déconcertée par le fouillis de son bureau face au Pont des Arts. Je suivais les cours du médiéviste et je découvrais – grâce à une audace dont je me félicite encore – l’homme, sa curiosité, son inspiration, la liberté : son cabinet d’études, lumineux, riche en livres, peintures et bibelots, si joli mot qui roule en bouche : ses textes prenaient donc forme dans cet univers intime et créatif… qui n’appartient pas au Moyen Âge, et pourtant… Revenant à mes rayonnages, ce souvenir éclatant m’a renvoyée à d’autres ponts : près du Bleu – sans originalité, ma couleur préférée, bien que j’affectionne la turquoise – on trouve un vase en demi-lune de Syrie sur lequel les poissons émaillés dansent. Entre le Rouge et le Noir, des graines bien polies, une clochette rituelle du Gabon, le Vertige de la liste d’Umberto Eco, la reproduction d’une enluminure fantasmant l’Orient des croisades – sujet chéri de mes recherches –, des bigorneaux et littorines de Bretagne – nous partageons le goût de ces côtes – mêlés aux cauris et murex, un grelot pour éloigner les éléphants des villages, un pain de singe velouté comme serre-livre, graines wawa, de palmier ou de raphia, perles de Zanzibar, plumes d’albatros et de pintades pointillées…

2Alors que je partais vivre en Afrique, mon professeur inspiré m’a invitée à relever les couleurs qui m’attendaient. Dans mon carnet, je le cite dès la première page : je sais seulement écrire que je vois du marron. Afin d’être fidèle à sa curiosité gourmande, j’ai composé un herbier théorique de couleurs, un camaïeu de ces marrons incompris, une véritable moisson – mot qui lui est cher – de souvenirs sans luxe pour créer des échos chromatiques. Je crois avoir voulu classer mes trouvailles : texture, matière, forme, coloris, éclat, animal, végétal… mais que, lasse, j’ai conçu un repaire de curiosités pour donner le ton de mes impressions. Les bibelots sans vanité ne proposent pas une destination, mais offrent un permanent voyage, bénéfique pour le nostalgique : la modeste curiosité rapportée vit sur le territoire de la mémoire des lieux parcourus, un pays qui n’existe pas, une géographie à l’échelle des émotions. Ainsi, la première image qui m’est venue pour cet hommage raconte un détail du vertige de ma liste, dédicacée à celui qui me l’a inspirée.

3Pendant ce long séjour, j’ai découvert le plus grand marché du monde, dit-on, même si vous ne le connaissez pas. On raconte que si on ne trouve pas la marchandise recherchée, c’est qu’elle n’existe pas ! Roque Santeiro, à Luanda, couvert de terre sur les toiles bleues des tentes. J’y ai rencontré une vendeuse de pigments et ses sachets roulés contenant une invariable poudre noire ; avec un peu de salive, sur une feuille, elle révèle les couleurs une à une : des verts, des bleus, des rouges indécents… Il me semble que je les découvre pour la première fois. J’ai acheté un peu de ce vert, irruption de gemme dans la poussière, me souvenant que c’est sa préférée. Je n’ai jamais su ce qu’est devenu ce sac tire-bouchonné, improbable présent, qui m’aurait sans doute fait honte en rentrant à Paris.

4Quoiqu’aimant surtout les bois et les cuirs, mais peu les marrons, j’ai persévéré dans l’inventaire de cette palette faisant fusionner les parfums, les teintes, les mots : du pâle funge de manioc à l’ébène, des écorces tordues d’acacia aux souvenirs des viandes boucanées de brousse, du lustre perlé des conques des bénitiers aux troncs des badamiers, bracelets de laiton et de cuivre, petites graines émoussées par le ressac, variation de la latérite des pistes, bois flotté de l’okoumé, odeur des beignets, bananes plantains, maïs ou seiche grillée ; même l’insolence des flamboyants révèle les beiges, comme l’exubérance de l’herbe grasse et des cocoteraies… Je n’ai retrouvé ma sensibilité aux autres couleurs qu’en repartant vers les rivages du monde musulman : les dégradés de bleus et de verts, assortis aux senteurs de muscade et de citronniers.

5Sans doute ne le voyez-vous pas, mais près de la représentation de Saladin arborant des armoiries fictives composées de grelots, sur lesquelles j’ai écrit des pages, j’ai posé ce grelot d’Afrique, lointain, sans réaliser le jeu de mes correspondances intimes.

Table des illustrations

URL http://books.openedition.org/pufr/docannexe/image/30037/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 122k

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