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La Pomme de terre

 | 
Jean-Pierre Williot
, 
Marc de Ferrière le Vayer

Conclusion

Texte intégral

1En guise de conclusion, nécessairement provisoire car les communications rassemblées ouvrent des pistes plus qu’elles ne les ferment, on peut rappeler une question simple : pourquoi la pomme de terre ?

  • 1 FAO, Année internationale de la pomme de terre 2008, Éclairage sur un trésor enfoui, Compte rendu d (...)

2Cette question est posée en ouverture de l’ouvrage bilan de l’année internationale de la pomme de terre, décrétée en 2008, publié par la FAO1. Elle engage la réponse dont la mise en forme a débuté en fait dès le 25 mars 2008, lors de la conférence de Cuzco qui associa la pomme de terre à « l’aliment du futur ». Il faut brièvement rappeler quel était le contexte il y a de cela quelques mois. Le prix des céréales connaissait une progression particulièrement forte dans le monde entier et l’objectif majeur que pouvaient s’assigner scientifiques, agronomes, agriculteurs mais également responsables politiques et gouvernementaux était d’en contourner les effets économiques inquiétants. La conférence internationale rassemblée au Pérou porta l’attention sur une culture qui produit une quantité supérieure de denrée alimentaire par rapport au maïs, au blé et au riz, sur une superficie moindre. Cultivée dans plus d’une centaine de pays, la pomme de terre joue un rôle clé dans le système alimentaire mondial eu égard à une production dépassant 300 millions de tonnes.

3 La conférence de Cuzco posait comme raisonnement de base que la pomme de terre dispose d’un potentiel réel mais certainement encore insuffisamment employé. La mobilisation médiatique qui devait en résulter laissait espérer qu’elle puisse jouer un rôle plus important dans l’agriculture et la sécurité alimentaire, notamment dans les pays les plus pauvres. On ne parlait pas d’aliment dont il fallait vérifier la sûreté sur le plan de la production mais bien d’un produit alimentaire qui apporte leur subsistance à des millions d’êtres à la surface du globe qui ne mangent pas tous les jours ou mangent mal.

4La FAO apporte désormais une réponse qui mérite d’être analysée de près. Elle insiste sur les quelques caractéristiques qui font de la pomme de terre un aliment à part en 2008 et qui justifiaient ainsi la proclamation d’une année internationale. On peut résumer les arguments avancés par la FAO en trois grands ensembles qui constituent autant de qualités du tubercule.

  • 2 « Pommes de terre et nutrition », Communication non reprise dans les actes du Docteur Patrick-Pierr (...)

5Sa première qualité, et ce n’est pas une surprise, est nutritionnelle. Elle repose sur les valeurs élevées en glucides, protéines, acides aminés et vitamines de la pomme de terre en général, toutes variétés confondues. Et cette liste n’est pas limitative, elle est d’ailleurs confirmée par les travaux des médecins nutritionnistes qui illustrent que ses apports sont au moins aussi intéressants que ceux des pâtes par exemple2. Cette haute qualité nutritionnelle justifierait à elle seule l’intérêt de la FAO, puisqu’ainsi, la pomme de terre peut non seulement être un aliment central de la lutte contre la faim, mais en outre assurer un équilibre alimentaire rarement atteint. L’histoire peut être convoquée dans ce raisonnement car à rebours il ne fait plus de doute que son emploi a favorisé au xixe siècle la reconstitution des forces vitales de la population ouvrière qui en faisait sa pauvre ration et qu’en Irlande en particulier, ce fut un moyen de subsistance capital. On s’en rendit compte à la faveur d’une tragédie.

  • 3 FAO, Année internationale de la Pomme de Terre…, p. 3.

6Sa seconde qualité est la capacité de la pomme de terre à s’adapter à pratiquement tous les terroirs, la FAO écrit qu’elle est « cultivée partout dans le monde, […] du plateau du Yunnan en Chine aux plaines subtropicales de l’Inde, aux hauts plateaux équatoriaux de Java et aux steppes de l’Ukraine »3. C’est en effet une caractéristique remarquable, lié au très grand nombre de variétés tant naturelles que créées par l’homme. Hormis un besoin d’humidité pour permettre la croissance du tubercule, elle est pratiquement « tout terrain ». De ce point de vue, elle possède une capacité d’acclimatation beaucoup plus grande que les céréales, en particulier le riz et le maïs, malgré les efforts des agronomes pour développer des variétés végétales qui présentent toutes les mêmes qualités. C’est aux yeux de la FAO un avantage considérable puisqu’on peut ainsi faire profiter pratiquement toutes les populations qui sont en mesure de la cultiver quelles que soient les régions.

7Sa troisième qualité est d’être « un aliment pour les pauvres ». « La pomme de terre est parfaitement adaptée aux sites où les terres sont limitées mais où la main-d’œuvre abonde […]. Elle produit davantage de nourriture nutritive sur moins de terres et dans des climats plus rudes que toute autre grande culture ». Ce troisième point est capital, puisqu’il explique la facilité avec laquelle l’adoption de la pomme de terre se fait, en particulier dans les pays en voie de développement. C’est en effet une culture de main-d’œuvre, puisque plante sarclée, elle offre de très beaux rendements. Elle est donc parfaitement à sa place dans les régions très peuplées, voire surpeuplées, mais aussi aux périphéries des villes, et dans les régions qui se distinguent par le manque de terres agricoles disponibles.

8La FAO montre ainsi que l’IYP (International Year of Potatoe) a contribué à certains des objectifs du Millénaire fixés par l’ONU, en particulier « réduire la pauvreté et la faim », « réduire la mortalité infantile », « améliorer la santé maternelle », ou « assurer un environnement durable ».

9Pourquoi la pomme de terre, serait-on tenté à nouveau d’écrire, en déplaçant la loupe sous le regard des chercheurs en sciences humaines, tant la préoccupation semble d’abord agronomique et culturale ? Les diverses communications qui constituent cet ouvrage montrent que les éléments qui justifient la mise en avant de la pomme de terre par la FAO fournissent une grille de lecture qui permet de mieux replacer la pomme de terre dans l’histoire de l’innovation alimentaire et dans celle de l’alimentation et de la consommation. L’histoire de la diffusion et de l’adoption de la pomme de terre est une parfaite illustration des enjeux de l’adoption de nouveaux aliments. Le rôle des agronomes et l’étude de leurs réseaux de diffusion des plantes, mais aussi des modes de transmission des connaissances qu’ils adoptent, sont parmi les facteurs primordiaux de cette analyse. Plusieurs études publiées ici montrent que cette problématique est de tout temps et de tous lieux.

10L’exemple des frères Bauhin est très caractéristique. Il illustre de manière remarquable comment dès la Renaissance se pose la question de l’alimentation de la population et les solutions que peuvent y apporter les scientifiques comme les politiques. Le combat mené par Cadet de Vaux contre la disette, l’énergie déployée par Parmentier ou les élites ecclésiastiques pour l’introduire dans les champs, ou encore la lutte qui conduit aux plantations à Pistoia lors de la famine de 1816 sont une forme de réponse à cette question. C’est surtout la preuve que le combat de la FAO autour de l’année de la pomme de terre s’inscrit dans une longue tradition.

11 À travers les exemples ici étudiés, on comprend aussi que les trois qualités définies par la FAO sont en réalité intemporelles, ou pour mieux dire, que la pomme de terre les possède depuis son introduction en Europe et qu’elles expliquent sans doute comment elle a réussi à vaincre les nombreuses réticences auxquelles elle se heurtait.

12Dès l’origine de son arrivée en Espagne, puis tout au long de sa plus ou moins lente diffusion à travers l’Europe puis le monde, la pomme de terre profite de ce qu’elle est plus productive que les cultures traditionnelles. On retrouve une de ces qualités mises en avant pour l’International Year of Potatoe. Elle arrive ainsi à supplanter le blé dans le département de l’Indre durant la première moitié du xixe siècle par exemple. Dans les Balkans, elle conquiert également les terres agricoles de la Slovénie ou de la Croatie, l’une au xixe siècle, l’autre au xxe.

13Son adoption par les Irlandais, les Belges ou les peuples en situations difficiles, économiquement ou politiquement, immigrés, en situation de guerre ou d’occupation traduit cette capacité du tubercule à assurer l’alimentation des populations les plus pauvres. On retrouve là aussi un discours qui est repris par la FAO. Cette capacité à s’adapter à tous les terroirs et toutes les cultures qui se traduit dans les chiffres contemporains de consommation, est bien présente dans ce volume. Depuis sa base culturelle dans les Andes, elle devient un élément de la culture norvégienne, un produit de luxe dans la restauration collective, un produit phare dans les fast foods américains comme dans les cafés de Hong-Kong. Il y a de la marge entre le tubercule parfois flétri, aux yeux sombres, entaillé par les coups de bêche qui assure le lendemain du plus pauvre et la dodue pomme de terre dont la suavité est exhaussée par la fantaisie d’un chef de cuisine de restaurant étoilé. Mais ici et là la quête du bonheur alimentaire par la pomme de terre est un ressort puissant.

14Ce caractère particulier de la pomme de terre, qui ne se réduit pas à être un simple aliment, mais bien un produit culturel, prend des formes d’une grande élévation mentale. Elle est un constituant de l’identité bolivienne mais tout autant de celle du Pérou. Mais cette dimension ne se limite pas à son pays d’origine, c’est également vrai de la culture populaire du Nord de la France et des familles françaises, de la littérature et de la culture occidentale, des Lumières à nos jours. Chaque pays l’a intégré dans son registre patrimonial. Le meilleur symbole de cette dimension culturelle se retrouve dans les témoignages que portent l’iconographie des cartes postales, les mesures de la chanson populaire, la sagacité du dicton campagnard et en fin de compte l’abstraction qu’elle offre aux enfants prompts à jouer avec la pomme de terre.

15On retrouve ici le thème de l’année de la pomme de terre, il n’est pas neutre que le titre choisi pour faire le bilan de cette année par la FAO soit Éclairage sur un trésor englouti. Les événements organisés autour de cette opération l’illustrent d’ailleurs très fortement. Il reste désormais à conjuguer l’apport des sciences humaines et de la société sur le long terme avec celui des sciences de la nature et de la biologie pour en convaincre plus largement l’opinion publique. Si cet ouvrage y contribue modestement, l’effort engagé ne sera pas vain.

Notes

1 FAO, Année internationale de la pomme de terre 2008, Éclairage sur un trésor enfoui, Compte rendu de fin d’année, Rome, 2009.

2 « Pommes de terre et nutrition », Communication non reprise dans les actes du Docteur Patrick-Pierre Sabatier lors du colloque.

3 FAO, Année internationale de la Pomme de Terre…, p. 3.

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