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Dompter Prométhée

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François Jarrige

7. Le pianotype et la typographie sociétaire. Travail, technologie et politique sous la monarchie de Juillet

François Jarrige

Texte intégral

  • 1 Thérenty Marie-Ève et Vaillant Alain, 2001, L’An I de l’ère médiatique. Analyse littéraire et histo (...)
  • 2 Chartier Roger, 1981, « L’Ancien Régime typographique », Annales ESC, n° 2, p. 191-210.

1Sous la monarchie de Juillet, les socialistes entretiennent des rapports étroits avec le travail typographique et son univers technique. L’intérêt des saint-simoniens, des phalanstériens et des Icariens pour la typographie – cet art complexe consistant à assembler les caractères mobiles en plomb afin d’imprimer sur du papier au moyen d’une presse – naît d’abord de leur désir de diffuser leur doctrine. La nouvelle « ère médiatique » ouverte notamment par la fondation, en 1836, du journal La Presse d’Émile de Girardin, accompagne en effet un nouvel âge politique modelé par l’apparition de visions de l’avenir ambitieuses en quête d’une audience toujours plus large1. La prolifération des imprimés socialistes s’inscrit dans cette phase de recomposition profonde du régime médiatique et typographique : les années 1830 sont marquées à la fois par la multiplication des journaux et l’évolution de leurs conditions de production. L’éclipse de l’« ancien régime typographique », selon l’heureuse formule de R. Chartier, accompagne l’apparition d’une nouvelle « ère » modelée par des logiques inédites de production et de diffusion2.

  • 3 Beecher Jonathan, 2012 [2001], Victor Considerant. Grandeur et décadence du socialisme romantique ( (...)
  • 4 Mattelart Armand, 2009, Histoire de l’utopie planétaire. De la cité prophétique à la société global (...)

2De nombreux socialistes sont d’ailleurs imprimeurs et connaissent intimement l’imprimerie, à l’image de Proudhon correcteur dans une imprimerie de Besançon, où il compose notamment les épreuves du Nouveau monde industriel et sociétaire de Charles Fourier. Victor Considerant lui-même, le chef de fil de l’école phalanstérienne après la mort de Fourier en 1837, connaissait bien l’imprimerie ; son père, Jean-Baptiste Considerant (1771-1827) en dirigeait d’ailleurs une, avant de devenir professeur au collège de Salins en 18123. Mais l’intérêt des socialistes pour la typographie, ses techniques et leur évolution, tient plus profondément à leur imaginaire de la communication intégrale et de ses possibilités pour l’avènement d’une société émancipée et harmonieuse ; les progrès techniques dans les communications apparaissent comme la source d’une union possible entre les peuples4. Les socialistes font d’ailleurs une large utilisation des imprimés, ils publient de nombreux ouvrages, journaux et almanachs qu’ils tentent d’adapter à différents publics afin d’accroître la circulation de leurs idées.

  • 5 Considerant Victor, 1842 (2e éd.), Bases de la politique positive : manifeste de l’école sociétaire (...)

3Pour les fouriéristes en particulier, le « journal est le pivot de la propagande », toute idée nouvelle doit se créer « à elle-même sa presse périodique […] c’est le seul moyen, aujourd’hui, d’acquérir publicité, créance et puissance », affirmait V. Considerant5. Cette volonté de publicité conduit les phalanstériens à penser et à expérimenter les réformes de l’imprimerie au moment même où les techniques typographiques sont peu à peu transformées. Le mouvement investit les débats sur l’imprimerie, il participe à l’émulation technologique qui aboutit à l’invention de nouvelles méthodes typographiques comme la machine à composer dite « Pianotype ». Le monde de la typographie sociétaire demeure pourtant très mal connu, comme les relations que les socialistes entretenaient avec leurs imprimeurs, et les conditions d’impression de leurs écrits. Qui sont les imprimeurs des fouriéristes ? Existe-t-il une singularité de l’économie de la presse phalanstérienne ? Comment les phalanstériens interprètent-ils les mutations en cours dans les ateliers d’imprimerie ? Quelles relations peut-on tisser entre ces transformations et leur vision du travail attrayant et harmonieux ? Ces questions, apparemment simples, demeurent entourées d’un halo de mystère. Elles ont peu intéressé les historiens qui n’y voyaient sans doute pas des enjeux décisifs pour penser l’utopie. Y répondre permettrait pourtant d’éclairer les conditions de construction des discours et réseaux socialistes, de réfléchir aux contacts qui existent autour de 1840 entre les théoriciens et les mondes du travail à une époque où l’expérimentation technique s’affirme comme une épreuve décisive pour tester l’utopie, son réel et sa capacité à transformer le monde.

I. Imprimer les fouriéristes

  • 6 Fourn François, 2003, « Les brochures socialistes et communistes en France entre 1840 et 1844 », Ca (...)
  • 7 Mercklé Pierre, 2001, « Le socialisme, l’utopie ou la science ? La ’science sociale’ de Charles Fou (...)
  • 8 Celui de 1846 se vend à 22 500 exemplaires.

4Au cours des années 1830, le mouvement phalanstérien, composé des disciples de Charles Fourier, s’étend et s’organise en cherchant à se doter de publications périodiques. Dès 1832, l’hebdomadaire Le Phalanstère doit à la fois accroître la visibilité du mouvement et favoriser la collecte de fonds en vue de la mise en œuvre pratique des théories de Fourier. Après sa disparition en août 1833, la direction parisienne de l’École sociétaire lance en 1836 La Phalange, de parution assez confidentielle. Autour de 1840, les socialistes participent par ailleurs à l’invention de nouvelles stratégies de diffusion des écrits à destination des publics populaires, en éditant des journaux et des brochures en grand nombre comme le firent les Icariens6. Une vive émulation éditoriale s’engage alors entre les groupes socialistes afin de séduire de nouveaux publics. Les phalanstériens créent ainsi la « Société pour la propagation de la doctrine de Fourier » en 1840, leur Bulletin phalanstérien servait d’organe de liaison interne entre les militants et les 33 librairies sociétaires fondées à partir de 1845. En 1843 ils franchissent une étape supplémentaire en transformant La Phalange en journal quotidien intitulé La Démocratie pacifique. Sans jamais atteindre les tirages de la grande presse de l’époque – Le Siècle tirait alors à plus de 30 000 exemplaires et La Presse à plus de 20 000 – La Démocratie pacifique atteint néanmoins 1 665 exemplaires en 1846, autant que La Réforme7. À côté de ces journaux, les disciples de Fourier publient également de nombreuses brochures et, à partir de 1845, un Almanach phalanstérien destiné à un public plus populaire et qui obtient un grand succès8. Ces imprimés comprenaient des versions simplifiées de la doctrine du maître et des textes pratiques.

  • 9 Vernus Michel, 2000, « Un imprimeur bisontin au service des fouriéristes : Louis de Saint-Agathe », (...)

5Mais ces imprimés phalanstériens n’étaient pas composés que de mots et d’idées, derrière la page imprimée il y avait des négociations commerciales incessantes, des rapports sociaux de travail, des machines et des artefacts chargés de mettre en forme la pensée. Le désir de propager la doctrine, de rallier de nouveaux adeptes, d’étendre l’influence du mouvement font de la presse une arme stratégique. Dans les premières années du mouvement, les réseaux militants de Besançon, d’où venaient les premiers disciples de Fourier, semblent jouer un rôle important. L’imprimeur – sans être obligatoirement un militant – appartient alors aux cercles d’interconnaissance des fouriéristes à l’image de Louis de Saint-Agathe, libraire-imprimeur de Besançon, introduit auprès de Considerant par Just Muiron pour imprimer Destinées sociales. De 1834 à 1844, cet imprimeur joue un rôle important, même si après 1844 « l’activité éditoriale de l’École sociétaire est de plus en plus centrée sur Paris. L’implantation parisienne du mouvement l’éloigne progressivement de ses bases originelles bisontines. Désormais, les publications se feront à Paris »9. Si les brochures et les ouvrages peuvent être imprimés en province dans des imprimeries artisanales travaillant au moyen des anciennes presses à bras, les journaux en revanche sont de plus en plus imprimés à Paris, au plus près du marché et au moyen de méthode et d’outils nécessitant de lourds investissements. À l’époque, le fossé – déjà sensible durant la Révolution française – se creuse entre l’imprimerie « de presse » et l’imprimerie dite « de labeur » : la première s’occupe des journaux et travaille dans l’urgence en se préoccupant peu de la qualité de l’impression alors que la seconde prend davantage son temps pour éditer des ouvrages de qualité.

  • 10 École normale supérieure (Paris), Archives Considerant : carton 6, chemise 2.
  • 11 Voir Mollier Jean-Yves, 1984, Michel & Calmann Lévy : Ou la naissance de l’édition moderne 1836-189 (...)
  • 12 École normale supérieure (Paris), Archives Considerant : carton 13/6/1, Imprimerie Lange Lévy et Ci (...)

6La Phalange est ainsi imprimée par le parisien Eugène Duverger (1800-1863). Les archives de l’école conservent des factures qui livrent les conditions d’impression du journal10. Duverger était une figure importante de l’imprimerie parisienne, d’abord spécialisé dans l’imprimerie musicale avant de diversifier ses activités et de devenir le président de la Chambre syndicale patronale de l’imprimerie. À partir de septembre 1840, c’est l’imprimeur parisien Paul Renouard, rue Garancière, qui prend la suite. Le changement de périodicité semble être l’occasion d’un changement d’imprimeur, sans qu’on comprenne réellement les raisons de ce choix. Après 1843, et la naissance du quotidien La Démocratie Pacifique, Lange-Lévy, un ancien typographe qui avait acquis un brevet à la fin de la Restauration, devient l’imprimeur du mouvement phalanstérien. Ce « personnage curieux » (J.-Y. Mollier) occupe une place importante dans l’imprimerie parisienne de la monarchie de Juillet11. Il obtient notamment la fabrication du Siècle et du Charivari en comprimant les coûts. Il était un capitaliste habile et spéculateur, surveillé par la police et condamné à des amendes et à la prison en 1842 pour impression sans dépôt. En 1845 il doit fuir quelques mois vers Jersey et Bruxelles à la suite d’une accusation de fraude. C’est aussi vers cette date que Considerant entre en négociation avec lui pour l’impression de La Démocratie Pacifique. Il semble dès lors occuper un rôle important dans l’impression du journal comme dans divers autres travaux entre 1845 et 185112. Le choix de Lange Lévy, qui n’était ni un militant ni même un sympathisant de la cause fouriériste, témoigne peut-être de la normalisation du mouvement sociétaire qui tente de s’intégrer aux arènes politiques dominantes en accroissant sa visibilité nationale. La nouvelle stratégie politique du mouvement semble imposer un changement d’imprimeur pour permettre la diffusion la plus large du journal.

  • 13 Dans les derniers temps du journal, alors même qu’il est en exil, Considerant continue de s’informe (...)

7Tout au long des années 1840, Considerant accorde une grande importance aux journaux et à leurs conditions de fabrication13. Les périodiques socialistes se développent lorsque la presse d’opinion est de plus en plus concurrencée par la presse commerciale, ce qui pousse la première à calquer les méthodes de la seconde. À partir de 1846, La Démocratie pacifique dispose d’ailleurs de son propre atelier, en cessant de faire travailler à façon Considerant tente de mieux contrôler la fabrication du journal. Dans les années 1840, le quartier général parisien des fouriéristes change plusieurs fois d’adresse et devient le siège de toutes sortes d’activités. Dans l’hôtel particulier du 6 rue de Tournon, Considerant installe à la fois l’imprimerie et les bureaux de la rédaction, ainsi qu’un salon destiné à accueillir les visiteurs et les réunions du mouvement. Cet intérêt de Considerant et des phalanstériens pour l’art typographique les pousse à intervenir dans les expérimentations techniques qui s’intensifient dans l’imprimerie après 1830.

II. Face aux mutations techniques de l’imprimerie

  • 14 Barbier Frédéric, 1985, « L’industrialisation des techniques », in Martin Henri-Jean et Chartier Ro (...)

8Le mouvement phalanstérien se développe à une époque d’intenses bouleversements des conditions de production des imprimés. Après 1830 l’organisation du métier et les conditions de fabrication changent en provoquant d’incessants conflits et débats dans les ateliers. L’imprimeur est encore souvent celui qui compose et imprime à la main, et il faut un ouvrier typographe qui compose pour deux pressiers qui impriment. En France, les procédés mécaniques sont d’abord importés d’Angleterre où sont mises au point les presses métalliques dites Stanhope puis les presses cylindriques à vapeur de Koenig et Bauer (1814). Ces dernières décuplent la rapidité du travail puisqu’elles permettent de réaliser 1 000 impressions à l’heure contre une centaine seulement avec les anciennes presses à bras. En France, leur nombre se multiplie surtout après 1830 : alors qu’il n’y en avait tout au plus une vingtaine à Paris vers 1830 on en trouve déjà 140 dès 1844. La mécanisation de l’impression est toutefois plus lente qu’en Angleterre, du fait de l’opposition des ouvriers et des réticences des imprimeurs « de labeur » dénonçant la mauvaise qualité de ces fabrications : en 1841 seuls 17 % des ateliers parisiens sont équipés de presse mécanique (soit 79 presses). Le mouvement s’accélère surtout après 1846 lorsque la première presse à réaction (c’est-à-dire qui imprime à l’aller et au retour du mouvement du cylindre) est introduite pour l’impression de La Presse de Girardin14. Tous ces bouleversements, qui redessinent l’organisation du travail et les hiérarchies internes du métier, ne s’opèrent pas sans réticences et débats. Balzac en a par exemple rendu compte au début des Illusions perdues paru en 1837. Il y évoque « les vieux outils auxquels Jérome-Nicolas Séchard – imprimeur à Angoulême – portait une superstitieuse affection ». Face à son fils qui lui vantait les nouvelles mécaniques, le vieux pressier rétorque offusqué :

  • 15 Balzac Honoré (de), 1990 [1837], Illusions perdues, Paris, Flammarion, p. 61 et 68.

tu vas voir si vos inventions de méchante serrurerie manœuvrent comme ces bons vieux outils éprouvés. Après tu n’auras pas le cœur d’injurier d’honnêtes presses qui roulent comme des voitures en poste, et qui iront encore pendant toute ta vie sans nécessiter la moindre réparation15.

  • 16 De nombreux ouvrages proposent une typologie des principales machines inventées pour la composition (...)
  • 17 Alkan Alphonse, 1840 (décembre), « Machine propre à la composition et à la décomposition des caract (...)

9Si l’impression est transformée assez rapidement, le travail du compositeur en revanche change peu. Depuis la mise au point de l’imprimerie à caractères mobiles par Gutenberg, l’ouvrier se tient toujours debout devant sa casse, où il assemble en moyenne 1 000 lettres à l’heure. Mais le coût croissant de la composition manuelle, qui ne suit plus les possibilités de tirage des presses, rompt l’équilibre de l’atelier. Il devient nécessaire de disposer d’atelier de composition aux effectifs pléthoriques afin de ne pas casser le rythme de production et satisfaire la demande. C’est pour répondre à cette contrainte que divers procédés mécaniques voient peu à peu le jour16. Les premiers essais afin de composer automatiquement par l’intermédiaire d’un clavier sont réalisés par un américain, dont la machine obtient un brevet en Angleterre en 1822. Mais elle ne semble jamais avoir été construite. Les années 1830 et 1840 connaissent un accroissement des expérimentations en ce domaine en France : l’ouvrier typographe Pierre Leroux mène des essais sous la Restauration ; en 1833 l’imprimeur et philosophe lyonnais Pierre-Simon Ballanche adapte un clavier semblable à celui d’un piano à une casse d’imprimerie. À l’appel d’une touche, les caractères devaient s’assembler en lignes, et les lignes une fois terminées, en pages. En 1840, un professeur de mathématiques met également au point un appareil nommé « Gérotype » pour composer plus rapidement17. Tous ces procédés de composition mécanique restent néanmoins à l’état de prototype et ne sont pas appliqués dans les ateliers, ils annoncent le système du Pianotype sur lequel vont se cristalliser les regards au début des années 1840. Le « Pianotype » est une machine à composer mis au point en Angleterre en 1840 et rapidement importé en France. Il reprend le principe de fonctionnement dit du « piano à caractères » selon lequel les lettres, stockées dans des tubes placés au-dessus de l’appareil, sont libérées par l’action des touches d’un clavier.

  • 18 Reberioux Madeleine, « Les ouvriers du Livre », in Martin Henri-Jean et Chartier Roger (dir.), Hist (...)
  • 19 « Il créa une excitation considérable dans l’imprimerie » précise de son côté le Compositors’Chroni (...)

10Face à ces mutations, les ouvriers réagissent de diverses manières. Si certains pressiers brisent des machines à Paris en 1830 pour « résister à la déqualification et au chômage », la violence demeure pourtant rare18. De nombreux témoignages ouvriers disent les craintes qui circulent alors dans les ateliers. En Angleterre, la presse syndicale dénonce ces innovations qui menacent de réduire l’ouvrier typographe au statut misérable du tisserand à la main. Le Compositors’Chronicle (1841-1843), puis The Printer qui lui succède, décrivent ces innovations comme des « nouveautés très redoutées », ils craignent que leur introduction n’entraîne la ruine d’un métier qui « fournissait autrefois la nourriture au travailleur honnête et honorable »19. En France, les tentatives pour mécaniser le travail de composition après celui de l’impression effraient aussi la main-d’œuvre qui exprime parfois ses inquiétudes dans la presse socialiste.

Figure 1 : Pianotype compositeur de Young et Delcambre

Figure 1 : Pianotype compositeur de Young et Delcambre

Source : Brevet de 15 ans n° 3633 déposé le 23 mai 1846 par Adrien-Arthur Delcambre, imprimeur, pour une « machine-distributeur typographique, propre à distribuer les caractères d’imprimerie », 1BB_3633, © Institut national de la propriété industrielle, Paris.

  • 20 « Enquête industrielle – Les imprimeurs-typographes », Le Populaire (de 1841), n° 9, 11 décembre 18 (...)
  • 21 Mairet Joseph, 1995, Les carnets de Joseph Mairet, ouvrier typographe. Histoire de la Société typog (...)

11L’ouvrier Antonio Watripon remarque par exemple en 1842, dans les colonnes du journal icarien Le Populaire, que « la pensée qui occupe à cette heure, tous les esprits dans les ateliers de composition est celle de l’avenir de leur industrie et de son salut, en présence de la machine à composer récemment découverte »20. Dans ses carnets, le compositeur Joseph Mairet évoque quant à lui « la concurrence meurtrière et immorale [que] les machines font au travail humain, et combien de fois, instrument de luttes aux mains d’un seul homme, elles ont chassé de l’atelier ceux à qui le travail donnait du pain ». Pour Mairet qui rédige son texte tardivement, lorsque la mécanisation semble désormais inéluctable et que les syndicats sont engagés dans une négociation pour retrouver un contrôle sur l’organisation du travail, « les machines sont un progrès pourtant ». « D’où vient donc cette tragique anomalie ? » demande-t-il, « elle vient de ce qu’au sein de l’anarchie industrielle qui règne aujourd’hui, et par suite de la division des intérêts, tout se transforme naturellement en arme de combat. Que l’individualisme soit remplacé par l’association, et l’emploi des machines devient aussitôt un bienfait immense, parce que, dans ce cas, elles profitent à tous, et suppléent au travail sans supprimer le travailleur »21.

  • 22 Leroux Éric, 2004, « Culture ouvrière et métiers du livre : la Société typographique de Québec, 183 (...)
  • 23 Leroux Jules, 1833, Aux ouvriers typographes. De la nécessité de fonder une association ayant pour (...)
  • 24 Lemercier Jean Louis Anatole, 1857, Études sur les associations ouvrières, Paris, Adrien Le Clere e (...)
  • 25 Sur l’aspect « discret » du « fouriérisme populaire », cf. Robert Vincent, 1999, « Géographie de l’ (...)

12Rapidement en effet, les ouvriers du livre tentent de s’organiser pour réguler les transformations. Comme en Grande-Bretagne ou au Canada à la même époque, les associations typographiques fleurissent en France pour protéger le métier menacé22. En 1833, Jules Leroux, lui-même typographe, avait proposé un projet d’association qui devait supprimer les effets négatifs des nouveaux procédés en permettant aux ouvriers de reconquérir une maîtrise sur leur travail : « les mécaniques, les clichés, les stéréotypes, ne nous sont nuisibles que parce que tout cela est propriété des maîtres, parce que tout cela s’interpose entre eux et nous », écrivait-il23. Les typographes sont en effet parmi les premiers à s’organiser en promouvant le principe associationniste. Dès la Restauration, ils étaient déjà nombreux dans les sociétés de secours mutuels parisiennes, après 1830 certains tentent de créer des coopératives de production afin de contrôler leurs outils et ainsi se passer des patrons. À la fin des années 1830, des typographes s’associent par exemple pour acquérir et exploiter le fond de leur patron Everat, ils élisent le prote et le directeur de l’atelier et parviennent à réaliser des « travaux considérables » avant de finalement faire faillite en 185024. C’est également en 1839 que des compositeurs d’imprimerie comme Joseph Mairet ou Amédée Parmentier créent une « Société typographique » à demi clandestine. En 1843, au terme d’une longue négociation avec le patronat, elle parvient à imposer la mise en place d’un tarif réglementant les salaires dans la profession. Parallèlement à ces tentatives d’organisation professionnelle, les typographes du début des années 1830 sont également nombreux dans les rangs socialistes. Si les ouvriers du journal L’Atelier défendent l’associationnisme de Buchez, d’autres soutiennent les idées communistes, ils semblent en revanche assez peu présents dans les rangs du fouriérisme, dont on sait qu’il s’adressait davantage aux classes moyennes et bourgeoises qu’aux artisans et ouvriers25.

III. Composition mécanique et fouriérisme anglais

  • 26 Rignol Loïc, 2003, Les hiéroglyphes de la Nature. Science de l’homme et Science sociale dans la pen (...)
  • 27 Beecher Jonathan, Victor Considerant, op. cit., p. 193.
  • 28 Considerant Victor, 1841, Base de la politique positive. Manifeste de l’école sociétaire fondée par (...)

13À mille lieues des inquiétudes qui s’expriment dans les mondes du travail, les théoriciens socialistes s’enthousiasment pour ces transformations techniques dans lesquelles ils entrevoient d’immenses possibilités de progrès. À la suite des saint-simoniens, les phalanstériens accordent une grande place aux communications, leur objectif est en effet de réformer l’opinion publique « en lui enseignant les vues neuves de la Science sociale »26. Or, les nouvelles techniques typographiques apparaissent comme des auxiliaires précieux pour réaliser cet objectif. Par ailleurs, et à la différence de Fourier qui imaginait le phalanstère comme un univers rural et artisanal, ses disciples des années 1840 ne cessent d’exalter les promesses du développement industriel et mécanique. Victor Considerant notamment « se réjouissait à l’idée de dompter la nature en faisant appel à la technologie moderne »27. Dans ses écrits, la métaphore mécanique acquiert un rôle central pour décrire le fonctionnement de la société et les phalanstériens se pensent comme des « ingénieurs sociaux » qui devaient révéler au monde « la supériorité du Nouveau mécanisme sur les Systèmes en usage »28. Au sein de cet imaginaire technologique sociétaire, l’imprimerie occupe une place à part car elle est à la fois l’instrument de l’instruction du peuple et la condition de possibilité de la diffusion du message fouriériste. Au début des années 1840, cet intérêt pour l’imprimerie et le travail typographique conduit les disciples de Fourier à encourager les innovations techniques, jusqu’à devenir eux-mêmes expérimentateurs de machines.

  • 29 Alors jeune mécanicien, il deviendra plus tard le fameux magnat de l’industrie sidérurgique.
  • 30 « From this brief description of the apparatus, it will readily be perceived that the operation of (...)
  • 31 « Young and Delcambre‘s Type-composing Machine », Mechanics’Magazine, vol. XXX-VI, n° 985, 25 juin  (...)
  • 32 Seyl Antoine, La composition mécanique, op. cit., p. 24.

14C’est en effet dans le milieu des fouriéristes britanniques qu’apparaît le « pianotype », la première machine à composer réellement testée et utilisée. Alors que les procédés précédents restaient des chefs-d’œuvre mécaniques isolés, le pianotype est pris en charge par les militants phalanstériens qui soutiennent son utilisation. En 1840, l’anglais James Young, qui gravite dans l’orbite des phalanstériens, s’associe ainsi avec l’industriel Adrien Delcambre, de Lille, et un jeune mécanicien allemand nommé Henry Bessemer29, pour mettre au point et commercialiser une machine typographique qui, en facilitant le travail de la composition, devait rendre la fabrication des imprimés plus rapide et moins chère. La presse britannique rend compte de cette découverte avec intérêt en notant par exemple que, désormais, « l’opération de la composition est devenue une affaire très simple »30. Le fonctionnement de cette machine a en effet l’apparence de la simplicité puisqu’elle groupe les caractères d’imprimeries classés dans des magasins et, à l’appel d’un clavier à touches, les laisse échapper dans l’ordre pour qu’ils s’assemblent en lignes. À Londres, plusieurs imprimeries acquièrent ce procédé qui est exposé en permanence dans les locaux de Young et Delcambre, au 110 du Chancery Lane31. Le constructeur de ces machines était J.G. Wilson, situé à Clerkenwell au nord de Londres32.

  • 33 London Phalanx, monthly Magazine, n° 62, octobre 1842, p. 160.
  • 34 « Printed at the Composing Machine Establishment » précise chacun des exemplaires du journal.
  • 35 Pankhurst Richard K. P., 1956 (décembre), « Fourierism in Britain », International Review of Social (...)

15Le petit milieu des fouriéristes anglais de Londres donne une large publicité au nouveau procédé. La machine de Young et Delcambre est utilisée à partir d’octobre 1842 pour composer leur journal, The London Phalanx, créé l’année précédente33. Ce périodique, fondé et dirigé par l’Irlandais Hugh Doherty, joue un rôle important dans la promotion de la nouvelle machine, et il est composé sur elle jusqu’à sa disparition en mai 184334. S’il n’eut jamais la même ampleur que le fouriérisme nord-américain, sans doute parce que les attaques de Fourier contre Owen avaient rendu beaucoup de radicaux anglais méfiants, un petit noyau phalanstérien s’était néanmoins développé outre-Manche après la mort de Fourier en 1837, sous l’action de Hugh Doherty et à l’initiative des phalanstériens parisiens qui tentent alors de renforcer leurs liens avec l’Angleterre. En 1840, lors du congrès de la « Société universelle des religions rationnelles » Doherty prononce un discours, en présence d’Owen, sur les liens entre socialistes français et anglais. Il devient rapidement le représentant des disciples d’Owen auprès des Français, il engage d’ailleurs une tournée en Grande-Bretagne pour présenter la pensée de Fourier, en insistant sur les points communs qu’elle entretient avec l’owenisme35. La London Phalanx, publication austère, comporte de longs extraits des écrits de Fourier et des phalanstériens français à côté de nombreux textes à tonalité religieuse. Même si cette publication disparaît dès 1843, Doherty continue ensuite d’expérimenter et de publier des écrits fouriéristes français, jusqu’à ce que le fouriérisme disparaisse complètement Outre-Manche après 1849.

  • 36 Voir la très riche biographie de Jean Fornasiero qui éclaire la trajectoire de ce personnage longte (...)
  • 37 Jeremy David J., 1977, « Damming the Flood : British Government Efforts to Check the Outflow of Tec (...)
  • 38 « Machinery never can be too great in power – for its produce is wealth », The London Phalanx, n° 4 (...)
  • 39 « Mechanical inventions must be regulated for the use of all mankind, but they are not to be suppre (...)

16Au début des années 1840, les frères James et Arthur Young à l’origine du pianotype à composer gravitent dans cette mouvance phalanstérienne à cheval entre l’Angleterre et la France36. Nés dans une famille de notables d’Aberdeen en Écosse, les deux frères étaient marchands comme leur père, un fabricant de gants qui s’était installé à Rotterdam aux Pays-Bas en 1814. Arthur et ses frères disposent d’importants capitaux grâce auxquels ils soutiennent l’école sociétaire à laquelle ils étaient acquis. Ils appartiennent à un milieu cosmopolite circulant entre les Pays-Bas, la France et l’Angleterre. Arthur Young participe d’ailleurs activement à la gestion de la colonie de Cîteaux, tandis que James Young semble avoir eu des relations étroites avec Hugh Doherty, le chef du groupe britannique. Peut-être est-ce d’ailleurs Hugh Doherty qui a initié Arthur et James Young au fouriérisme, même s’ils entretenaient déjà des relations dans le milieu radical londonien. Au début des années 1840, l’Angleterre connaît de vives tensions sociales et politiques : le chartisme bat son plein, l’industrie est en crise, le chômage et les baisses de salaire se multiplient parallèlement à l’accroissement des faillites, les querelles font rage à propos de la diminution du travail, de la loi sur les grains ou de l’exportation des machines37. Dans ce contexte, le journal fouriériste prend la défense inconditionnelle du progrès technique contre tous ceux qui voudraient le restreindre et le freiner, pour lui « les machines ne peuvent être trop puissantes, car ce sont elles qui produisent la richesse »38. Le journal s’en prend aux mouvements « retardataires » qui lancent des « croisades contre les machines », de la même façon que les « Pontifes romains avaient persécuté l’art de l’imprimerie à ses débuts ». Plutôt que d’être « supprimées ou interdites pour satisfaire des intérêts corporatistes ou des préjugés obtus, les inventions mécaniques devraient être régulées pour être mises au service de l’humanité »39.

  • 40 Même si l’échec du journal résulte sans doute de nombreuses autres causes difficiles à démêler, et (...)

17Dans ce contexte de querelles sur les machines et leurs usages, la mise en scène de l’utilisation de la composition mécanique devient un moyen de mettre en conformité les discours et les pratiques. En appliquant le progrès technique tant vanté à la fabrication du journal lui-même, les phalanstériens tentent de montrer la réalité de l’utopie. Le pianotype de James Young, en dépit de ses nombreux problèmes d’utilisation, devient le symbole des pouvoirs de la mécanique. La presse fouriériste londonienne l’investit dès lors pour prouver la justesse de ses analyses. Pourtant, la fabrication de cette machine à composer s’avère rapidement un investissement périlleux. Selon certains témoignages, elle aurait même été à la source des difficultés financières des frères Young et aurait précipité la disparition du London Phalanx40.

IV. Transferts techniques et réseaux phalanstériens

  • 41 Voet Thomas, 2001, La Colonie phalanstérienne de Cîteaux, 1841-1846 : les fouriéristes aux champs, (...)

18En 1843, au moment même où la machine échoue à Londres, elle arrive en France. Au début des années 1840, Arthur Young est occupé par l’expérience de Cîteaux (Côte-d’Or) qu’il a initiée en 1841 et qui dure tant bien que mal jusqu’en 1846 même si, dès 1843, la majorité des sociétaires ont déjà abandonné le lieu. Thomas Voet a retracé l’histoire de cette colonie phalanstérienne et le rôle crucial qu’y joua Arthur Young en quête de l’Harmonie qu’il espérait trouver dans l’établissement d’un Phalanstère41. C’est aussi à ce moment qu’Arthur Young tente de rentabiliser l’invention typographique de son frère en l’important à Paris grâce au soutien de l’école sociétaire. Les réseaux phalanstériens deviennent des espaces de circulations techniques autant qu’intellectuels.

  • 42 Barré Louis, 1841 (8 septembre), « Nouvelle machine typographique », La Phalange, tome IV, n° 4, p. (...)
  • 43 Cabet Étienne, « Machine typographique à composer », Almanach icarien, op. cit., p. 91-93.
  • 44 Selon les mots de M. Dunn lors d’une conférence sur le système industriel de Charles Fourier pronon (...)
  • 45 Meunier Victor, 1844 (25 juillet), « Machines typographiques », La Démocratie pacifique.

19En France, les militants de l’école fouriériste s’étaient d’ailleurs intéressés très tôt à cette machine à composer londonienne. Dès 1842, La Phalange vantait sa mise au point qui devait accélérer la fabrication des journaux : « Une reproduction de la pensée, économique et rapide comme la pensée elle-même, sera d’un immense, d’un universel avantage », la « communication illimitée » annonce « une transformation générale dans les éléments sociaux »42. D’autres publications socialistes vantent alors cette machine presque magique. Dans son Almanach Icarien de 1842, Étienne Cabet décrit cette « machine qui remplacerait le compositeur d’imprimerie, et qui ferait avec ses pièces inanimées ce qu’il fait lui-même avec ses doigts et son intelligence [comme] un prodige surnaturel, [un] miracle qui jadis aurait fait adorer son auteur comme un Dieu ou qui l’aurait fait brûler comme un sorcier »43. La presse socialiste défend la mise au point de la nouvelle technique dans laquelle elle détecte un moyen d’émancipation sociale. Mais la mise en scène des prouesses techniques permet aussi de prouver la possibilité des réalisations utopiques, le réel de l’utopie technique doit révéler celui de l’utopie sociale. La technique devient un outil de légitimation du système sociétaire car seule la réalisation de l’association fouriériste permet d’acclimater réellement et de rendre possible les effets bénéfiques et merveilleux des techniques dont les effets restent toujours néfastes dans le régime de concurrence généralisé. Seule l’application des théories socialistes permettra d’émanciper les machines, de révéler leur potentiel, jusque-là bridé dans le système capitaliste. En France comme en Angleterre, les phalanstériens voient dans le système de Fourier un moyen de « faire travailler les machines pour le peuple plutôt que contre lui, comme c’est le cas dans le système actuel »44. En juillet 1844, dans La Démocratie Pacifique, le jeune journaliste Victor Meunier explique également que la machine « remplace le travail si fatigant du compositeur par une opération simple, facile, élégante même que remplit une femme ou un enfant assis devant le clavier sur lequel il promène ses doigts comme sur les touches d’un piano ». Plus loin il assure d’ailleurs que « le 6e volume des œuvres complètes de Fourier, contenant le Nouveau Monde, est en train de se composer rapidement par ce procédé », sans doute dans l’atelier de Lange Lévy45.

  • 46 Archives nationales (Paris), F18 1754, dossier Delcambre, Paris, 6 août 1853, Rapport sur la demand (...)
  • 47 L’Atelier, organe spécial de la classe laborieuse, n° 12, septembre 1846, p. 384.
  • 48 Bibliothèque municipale d’étude et de conservation de Besançon (BMEC) : Ms. Z. 417. Correspondance (...)
  • 49 BMEC Besançon, Ms. Z 417, Imprimerie Lange-Lévy et Cie, rue du Croissant 16, Hôtel Colbert, Paris, (...)

20Durant l’été 1844, Young présente sa machine à l’exposition industrielle de Paris, en octobre il prend un brevet d’invention de 15 ans ; il ouvre ensuite une imprimerie à Montmartre pour la faire fonctionner. Celle-ci reste ouverte quelques années avant de fermer en 1846 à la suite de lourdes pertes financières46. Le journal L’Atelier se félicite d’ailleurs de cette faillite : certes remarque-t-il cette « invention » était « merveilleuse », mais sa « réussite aurait compromis l’existence de plusieurs milliers de familles d’ouvriers »47. Arthur Young, qui avait naguère soutenu la publication de La Phalange, espère obtenir l’appui de Considerant et se lance dans un vif lobbying afin de faire composer les ouvrages et les journaux de l’École sociétaire par ce moyen. Mais malgré l’énergie qu’il déploie, il peine à convaincre le chef de l’école phalanstérienne, de plus en plus méfiant à l’égard de ce mécène désargenté. Les relations entre Arthur Young et Considerant se tendent autour du pianotype, le premier accusant le second d’un « simplisme […] qui vous tue et qui me tue »48. Leur correspondance conservée à la Bibliothèque d’étude et de conservation de Besançon est d’ailleurs ponctuée de références à la machine pianotype. Le 20 janvier 1844, Young se plaint auprès de Considerant de son manque d’intérêt, de sa « nonchalance » et même de sa « mauvaise volonté », il lui demande de faire un « essai convenable » de la machine afin de pouvoir démontrer son efficacité. En mai 1844, l’imprimeur Lange-Lévy écrit d’ailleurs à Considerant pour l’informer qu’il « compte faire composer par les nouveaux pianos compositeurs ; car c’est la seule cause qui me décide à réduire ainsi le prix en usage dans l’imprimerie »49. En novembre 1845 Young promet encore une économie de 15 000 francs par an sur les travaux typographiques de l’école grâce à l’utilisation de la machine. Pourtant, la machine échoue en France comme elle a échoué en Angleterre, et le pianotype est finalement abandonné. L’innovation technique devient un ferment de discorde qui touche à la définition même du socialisme, aux contradictions et tensions qui traversent le milieu phalanstérien, entre aspiration au travail attrayant et émancipé et expérimentations techniques contestées par la main-d’œuvre.

V. Travail et technologies : qu’est-ce qu’une machine socialiste ?

  • 50 Meunier Victor, 1844 (25 juillet), « Machines typographiques », La Démocratie pacifique.
  • 51 Science et démocratie (1865), cité dans Glaser Catherine, 1989, « Journalisme et critique scientifi (...)

21Si la machine ne fonctionnait pas de façon aussi efficace et rentable que l’espéraient sans doute ses promoteurs, son échec tient aussi aux ambivalences de ceux qui l’ont promu et aux multiples controverses qui ont accompagné le cheminement de l’innovation. Au milieu des années 1840, la machine à composer cristallise en effet plusieurs lectures possibles de l’émancipation et du socialisme. Dans sa description de la machine publiée dans La Démocratie pacifique à l’occasion de l’exposition industrielle de 1844, le jeune Victor Meunier détecte les contradictions possibles entre l’utopie technique et l’utopie sociale, puisque le risque est grand « que ces machines qui […] devaient avoir pour résultat direct d’affranchir une partie de nos semblables d’un travail pénible et de concourir au bien des êtres, viendront faire concurrence à des hommes dont le travail est la seule ressource »50. Pour Meunier, qui deviendra célèbre après 1848 comme vulgarisateur scientifique et chantre du progrès technique, « le socialisme est la science et c’est par la science que les sociétés modernes seront délivrées du mal et conduites à bon port » ; c’est grâce aux machines – œuvres de la science – que les hommes pourront s’affranchir de l’esclavage du travail51. Mais cette définition scientiste et prométhéenne du socialisme moderne qui s’impose progressivement se heurte en permanence aux discours ouvriers comme aux critiques de certains auteurs comme Pierre Leroux qui propose une toute autre définition de la technologie socialiste. Les phalanstériens des années 1840 semblent reprendre la définition de l’innovation promue par les économistes, les ingénieurs et les industriels là où les artisans défendent une toute autre conception, fondée sur la pratique et l’intelligence collective du métier. Alors que l’école sociétaire entendait résoudre la question sociale et la misère ouvrière produite par le capitalisme en promouvant un usage émancipateur des techniques, la main-d’œuvre critique fréquemment ces mêmes techniques accusées de dégrader le métier.

  • 52 Beecher Jonathan, 1993 [1986], Fourier. Le visionnaire et son monde, Paris, Fayard, chap. 19 Le tra (...)
  • 53 Bulletin phalanstérien, n° 1, juillet 1846.

22L’un des aspects centraux de la théorie de Fourier consistait à réconcilier le travail et la quête des plaisirs. Contrairement à d’autres théoriciens Fourier ne pensait pas que le travail devait nécessairement être une source d’aliénation. Au contraire, le but de la science sociale fouriériste était précisément d’organiser le travail afin qu’il devienne « attrayant », qu’il provoque l’enthousiasme et l’adhésion, qu’il repose sur la variété des tâches, de courtes séances et l’équilibre des passions52. Ses disciples ont repris cette ambition. Comme l’expliquait par exemple le premier numéro du Bulletin phalanstérien en 1846, l’objectif de l’École sociétaire est de « convaincre de la nécessité d’une transformation sociale, et de la valeur scientifique de la théorie de Fourier », d’œuvrer à « l’avènement de l’harmonie sur la terre par l’introduction de la loi sériaire dans les relations humaines, c’est-à-dire par l’organisation libre, naturelle et attrayante du travail et de l’activité humaine »53. Mais comment articuler cet idéal du travail attrayant et les conditions concrètes de fabrication dans les ateliers typographiques soumis aux normes de rentabilité et d’efficacité productive ? Comment réconcilier l’imaginaire du travail harmonieux avec des techniques dénoncées par ailleurs comme disharmoniques, comme des sources de chômage et de crise du métier ?

  • 54 Comme il l’affirme : « This mode of composing types by playing on keys arranged precisely like the (...)
  • 55 Howe Ellic et Waite Harold, 1948, The London Society of Compositors. A Centenary History, Londres, (...)
  • 56 Le Bulletin typographique, n° 21-22, mai et juin 1844.
  • 57 Exposition universelle de 1855. Rapports du jury mixte international publiés sous la dir. de S.A.I. (...)
  • 58 Archives nationales (Paris), F18 1754 : Dossier des brevetés parisiens, Paris, 6 août 1853, Rapport (...)

23Les phalanstériens mobilisent deux arguments principaux pour justifier l’utilisation de la machine à composer : l’amélioration des conditions de travail d’une part, la nécessité de diffuser la doctrine en démontrant le caractère pratique de l’utopie. Mais les ouvriers typographes ne l’entendent pas ainsi ; ils proposent une vision très différente du pianotype. Contre les écrivains socialistes, ils ne cessent de condamner le nouveau procédé. Selon Henry Bessemer lui-même c’est le refus des ouvriers typographes de se faire remplacer par des femmes, censées être plus habiles à manier le clavier et moins bien payées, qui aurait scellé le destin de la machine en Angleterre54. Dans ce pays, les pressions exercées par les compositeurs londoniens contribuent à la mise à l’écart des machines55. De leur côté les compositeurs parisiens affluent lors de l’exposition de 1844 pour observer la machine qui devait les remplacer. « Le clavier typographique de MM. Young et Delcambre est le produit relatif à la typographie qui fixe le plus l’attention des visiteurs de l’exposition : il est sans cesse entouré d’une foule de compositeurs qui viennent, non sans quelque inquiétude, examiner son curieux travail, et se demandent s’il amène une révolution prochaine dans la profession » affirme la presse professionnelle56. En 1855, Delcambre dénoncera encore « l’indifférence des imprimeurs pour les perfectionnements qui peuvent contribuer à l’avancement de l’art de la typographie » et l’opposition des ouvriers qu’il dut sans cesse affronter57. Divers témoignages soulignent que l’inventeur « se fit des ennemis » et était « déconsidéré dans le monde typographique »58.

  • 59 « Machines – Pianotype de MM. Young et Delcambre », L’Atelier, n° 10, juillet 1844, p. 155-158.
  • 60 « Le travail attrayant », L’Atelier, n° 10, juin 1842, p. 80.
  • 61 « Le socialisme sommé de se produire », L’Atelier, juillet 1849, p. 364.

24Dans un long article consacré au « Pianotype » en 1844 les ouvriers du journal L’Atelier livrent l’une des analyses les plus précises de la machine59. Fondé après l’échec des insurrections républicaines des années 1830 et au lendemain des grandes grèves parisiennes de l’été 1840, le journal réunit l’« avant-garde des travailleurs » – dont beaucoup de typographes. Ils tentent de mettre au jour les « misères qui tourmentent le peuple », les « maux qui débilitent son corps et tuent son âme », en militant notamment pour la promotion de l’association et de l’organisation du travail. Les ateliéristes étaient particulièrement soucieux de contrer les enquêtes sociales des philanthropes et des économistes en promouvant le regard des travailleurs eux-mêmes sur leur activité. Ils défendent un socialisme modéré, « véritablement pratique et fécond », méfiant à l’égard des « théories sociales qui promettent aux hommes un bonheur parfait ». En 1842, L’Atelier avait d’ailleurs polémiqué contre le « travail attrayant » des fouriéristes en notant qu’on ne « travaille pas pour se procurer une jouissance », mais « pour être utile aux autres »60. Pour les rédacteurs de l’Atelier, « le socialisme vrai » n’est pas dans « le socialisme doctrinal », il n’est ni « une religion, ni une philosophie, ni une morale, ni une économie nouvelles », il est « tout simplement une tendance née de l’esprit et du besoin d’égalité sociale, c’est une aspiration des classes infériorisées vers un état social meilleur »61.

  • 62 « Machines – Pianotype de MM. Young et Delcambre », L’Atelier, n° 10, juillet 1844, p. 156.
  • 63 Alors que les inventeurs affirment par exemple qu’avec la machine un ouvrier peut lever jusqu’à 8 0 (...)
  • 64 « Machines – Pianotype de MM. Young et Delcambre », art. cit., p. 158.

25C’est dans cette perspective que les ateliéristes décrivent la machine, son fonctionnement, et les « difficultés insurmontables » auxquelles elle se heurte dans la pratique. Contre les descriptions abstraites et idéalisées qui circulent dans la presse phalanstérienne, ils insistent sur ses multiples défauts. Les épreuves obtenues par ce moyen « étaient horribles à voir », et « la mauvaise confection de l’ouvrage n’est pas un des moindres reproches que l’on puisse adresser au pianotype ; sous ce rapport, loin de faire progresser la typographie, il la ferait reculer d’un pas immense » concluent-ils62. Contre les « calculs » et les « promesses » des « inventeurs », ils avancent leurs propres évaluations pour prouver que la machine ne pourra fonctionner qu’en comprimant les salaires aux dépens de la main-d’œuvre63. En définitive, concluent-ils contre le rêve technologique des inventeurs et de leurs soutiens phalanstériens, le pianotype est certes une machine « curieuse » qui « atteste de beaucoup de patience de la part de ses auteurs », mais elle ne sera ni économique aux imprimeurs ni utile aux ouvriers. D’ailleurs, remarquent-ils encore, les imprimeurs qui en firent l’essai à Paris « rendirent les machines à leurs inventeurs » après des expériences prolongées. Pour eux, cette machine illustre combien « la science de la mécanique a ses bornes ». Plus généralement, remarquent-ils, le pianotype incarne « cette tendance générale et blâmable des inventeurs, qui calculent toujours sur le travail des femmes et des enfants pour mettre en œuvre leurs inventions ». Ils concluent d’ailleurs leur article en demandant qu’un « un comité des brevets d’invention [soit] créé [qui] déclarerait dangereux et nuisibles à la société toutes les machines qui ne pourraient fonctionner qu’en exploitant indignement les enfants et les femmes »64. Les rédacteurs de L’Atelier ne se situent pas dans le cadre d’une contestation globale du machinisme, ils prennent d’ailleurs soin de préciser leur « impartialité » et leur « sympathie pour les hommes de génie » que sont les inventeurs, loin d’une « critique imméritée » ou stérile leur discours technologique se veut empirique et fondé sur la connaissance du métier et de ses contraintes.

  • 65 Sur Pierre Leroux typographe, voir Peignot Jérome, 1989, Pierre Leroux, inventeur du Socialisme, Pa (...)
  • 66 Leroux Pierre, 1843 (janvier), « D’une nouvelle typographie », Revue Indépendante, p. 275 (réimprim (...)

26À la même époque, Pierre Leroux attaque également le pianotype des phalanstériens. Plongé dans une situation financière précaire, Leroux tente en effet en 1843 de contester l’originalité et l’antériorité du pianotype en mettant en avant ses propres découvertes. Né en 1797, journaliste actif et fondateur de nombreux périodiques, auteur prolixe d’une œuvre déjà abondante comme De L’humanité (1840), Leroux profite des débats autour du Pianotype pour formuler sa propre théorie de l’innovation. Autour de 1820, alors qu’il était prote dans une imprimerie, Leroux avait en effet imaginé un procédé typographique sur lequel il travailla plusieurs années avant d’y renoncer pour se consacrer au journal Le Globe qu’il fonde en 182465. Lorsqu’apparaît le pianotype de Young au début des années 1840, Leroux rappelle l’antériorité et la supériorité de son invention, il écrit à Arago, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, pour la faire reconnaître et obtenir des soutiens. Comme l’Atelier, il ne conteste pas la mécanisation en général – « jamais je n’ai pensé que ma découverte pût être nuisible à mes compagnons ! Je les trouvais trop esclaves pour qu’il ne fût pas bon de perfectionner cet art auquel nous étions enchaînés », écrit-il66. À la différence des dirigeants du mouvement phalanstérien, Leroux prend soin de s’adresser aux ouvriers en se présentant comme l’un des leurs :

  • 67 Ibid., p. 274.

Quel triste et monotone labeur que celui du compositeur d’imprimerie ! Les gens du monde s’imaginent que l’imprimeur lit les livres ou au moins les pages qu’il compose ; il n’en est rien. Il ne lit que des lignes, ou plutôt que des lettres […] Pour gagner ces dix sous, il faut être une habile mécanique, qui ne se dérange pas, qui ne s’amuse pas à lire la copie, ni à réfléchir sur elle67.

  • 68 Le Bras-Chopard Armelle, 1986, De l’égalité dans la différence. Le socialisme de Pierre Leroux, Par (...)

27Il explique à ses compagnons que les machines permettront de diminuer la durée du travail, d’atténuer la pénibilité des tâches, lorsqu’ils seront associés de façon harmonieuse, en fonction d’affinités qui permettront d’instaurer l’égalité tout en maintenant les différences de chacun68. En définitive, Leroux tente de formuler une théorie de l’innovation alternative à celle des économistes libéraux et des industriels bourgeois, auxquels il assimile les fouriéristes.

28Leroux propose une description de l’acte de création technique dans les milieux populaires. Il raconte comment, en 1817, il s’était lancé sans aucun capital avec ses jeunes frères dans la réalisation de sa machine en devenant tour à tour menuisier ou fondeur. L’innovation relève ici d’un savoir-faire artisanal, d’un tâtonnement empirique, Leroux choisit d’ailleurs « l’appareil le plus simple, le moins coûteux, et de tous points le meilleur ». Il raconte les difficultés techniques rencontrées, le manque de moyen. Il se rend même en Angleterre pour étudier les techniques d’imprimerie, les nouvelles presses mécaniques et les procédés de stéréotypie, il raconte aussi le très mauvais accueil réservé par les compagnons Londoniens, et finalement son retour à Paris et son entrée dans la charbonnerie. Mais son bref passage chez les carbonari l’a déçu, et à la place de cette vaine « conspiration à main armée », il en arrive à penser que seule la révolution pacifique des techniques d’imprimerie pourra permettre à terme de répandre partout les brochures libérales et ainsi rendre possible la révolution.

  • 69 Leroux Pierre, 1843, D’une nouvelle typographie, Paris, Schneider et Langrand, p. 8.

29Leroux affirme qu’il a été « le premier » à tenter « de remplacer la composition à la main par une opération mécanique ». Cette antériorité est d’ailleurs « de notoriété parmi les typographes », et « beaucoup de personnes ont vu fonctionner » le petit modèle d’essai en bois qu’il avait lui-même réalisé, affirme-t-il. Si sa machine a échoué, c’est uniquement en raison de sa pauvreté et de son refus de « faire de cette découverte un monopole » en prenant un « brevet d’exploitation » comme le lui proposaient alors plusieurs capitalistes. Leroux distingue son invention de celle de Young car contrairement à ce dernier son projet ne visait pas à faire fortune mais à émanciper l’humanité. En élaborant sa mécanique écrit-il, « nous n’étions pas un pur industriel, mais un révolutionnaire pacifique ». Alors que le pianotype est l’œuvre de spéculateurs soucieux de profits, sa machine était l’œuvre désintéressée d’un révolutionnaire en quête d’une mécanique qui émanciperait l’humanité. Pour lui, les machines ne sauraient être de simples instruments de spéculation : « la machine est un instrument au profit de l’idéal ». Dans le domaine de la mécanique comme dans les questions de philosophie, d’histoire et de politique l’enjeu est toujours la « perfectibilité en vue d’un idéal ; il s’agit toujours de liberté, de fraternité, d’égalité » car « tous les progrès se tiennent »69. En 1844, il échoue pourtant à faire reconnaître l’antériorité de sa machine et doit reprendre son ancien métier de typographe ; il parvient à obtenir un brevet d’imprimeur à la condition expresse qu’il s’établisse loin de Paris. C’est dans ce contexte qu’il décide de s’installer à Boussac, petite ville du Berry, dans les bâtiments de l’ancien bureau de bienfaisance où il aménage un atelier et un appartement. Il justifie d’ailleurs cette demande au nom de l’expérimentation technique puisqu’il entend « passer à la pratique » et mettre « en route la machine », il ajoute même que sa machine ne s’appliquant qu’à « la reproduction d’ouvrages classiques », il ne se trouvera pas en concurrence avec les imprimeries de province, lesquelles impriment surtout « des petits labeurs et ouvrages de ville ». Une fois installé à Boussac pourtant, il ne semble plus question du pianotype.

VI. Conclusion

30En dépit de son échec au cours des années 1840 – la technique de la composition ne sera en effet transformée réellement qu’à la fin du XIXe siècle avec la mise au point des Linotypes – le pianotype a cristallisé de nombreux espoirs mais aussi de nombreux doutes dans les milieux ouvriers, radicaux et socialistes de la monarchie de Juillet. Cette innovation improbable, tour à tour merveilleuse ou illusoire, émancipatrice ou dangereuse, témoigne de l’ardente quête d’une utopie concrète inscrite dans la matérialité des objets. Elle révèle combien, loin d’être de vains utopistes, les socialistes n’ont cessé d’expérimenter les chemins de l’avenir, en relation souvent très étroite avec les débats de leur temps. Mais elle témoigne aussi des illusions techniciennes des phalanstériens comme des circulations et tensions incessantes qui travaillent le socialisme naissant. Tout au long des années 1840, le pianotype cristallise les débats sur les nouveaux moyens de communication. Il est d’abord pris en charge dans un espace transnational par les réseaux phalanstériens qui recherchent les moyens techniques de diffuser leur message auprès du plus grand nombre. Mais cette innovation échoue à s’imposer car son coût divise rapidement les disciples de Fourier alors que son maniement provoque la méfiance des ouvriers et la controverse parmi les théoriciens socialistes.

Notes

1 Thérenty Marie-Ève et Vaillant Alain, 2001, L’An I de l’ère médiatique. Analyse littéraire et historique de la Presse de Girardin, Paris, Nouveau Monde Éditions.

2 Chartier Roger, 1981, « L’Ancien Régime typographique », Annales ESC, n° 2, p. 191-210.

3 Beecher Jonathan, 2012 [2001], Victor Considerant. Grandeur et décadence du socialisme romantique (trad. de l’américain par M. Cordillot), Dijon, Les presses du réel, p. 34.

4 Mattelart Armand, 2009, Histoire de l’utopie planétaire. De la cité prophétique à la société globale, Paris, La Découverte.

5 Considerant Victor, 1842 (2e éd.), Bases de la politique positive : manifeste de l’école sociétaire fondée par Fourier, Paris, Au bureau de La Phalange, p. 177-178 ; cf. Bouchet Thomas, Bourdeau Vincent, Castleton Edward, Frobert Ludovic, Jarrige François (dir.), 2015, Quand les socialistes inventaient l’avenir. Presse, théories et expériences (1825-1860), Paris, La Découverte.

6 Fourn François, 2003, « Les brochures socialistes et communistes en France entre 1840 et 1844 », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 90-91, p. 69-83.

7 Mercklé Pierre, 2001, « Le socialisme, l’utopie ou la science ? La ’science sociale’ de Charles Fourier et les expérimentations sociales de l’École sociétaire au XIXe siècle », Thèse de Doctorat de sociologie, Lyon, Université Lumière-Lyon 2.

8 Celui de 1846 se vend à 22 500 exemplaires.

9 Vernus Michel, 2000, « Un imprimeur bisontin au service des fouriéristes : Louis de Saint-Agathe », Cahiers Charles Fourier, n° 11, [En ligne] URL : <http://www.charlesfou-rier.fr/spip.php?article45 > [consulté le 26 septembre 2013].

10 École normale supérieure (Paris), Archives Considerant : carton 6, chemise 2.

11 Voir Mollier Jean-Yves, 1984, Michel & Calmann Lévy : Ou la naissance de l’édition moderne 1836-1891, Paris, Calmann-Lévy.

12 École normale supérieure (Paris), Archives Considerant : carton 13/6/1, Imprimerie Lange Lévy et Cie (factures 1845-1851).

13 Dans les derniers temps du journal, alors même qu’il est en exil, Considerant continue de s’informer et de prodiguer des conseils sur l’organisation pratique et technique du journal qui sombre dans la crise, il dénonce ainsi les choix typographiques qui donnent à La Démocratie pacifique « l’air d’un journal de province », et discute la mise en page ou le choix des caractères d’imprimerie ; cf. Beecher Jonathan, Victor Considerant, op. cit., p. 375.

14 Barbier Frédéric, 1985, « L’industrialisation des techniques », in Martin Henri-Jean et Chartier Roger (dir.), Histoire de l’édition Française. Tome III : Le temps des éditeurs. Du Romantisme à la Belle Époque, France, Promodis, p. 60. Cf. aussi Feyel Gilles, « Les transformations technologiques de la presse au XIXe siècle », in Kalifa Dominique, Régnier Philippe, Thérenty Marie-Ève et Vaillant Alain (dir.), La civilisation du journal. Une histoire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, p. 113.

15 Balzac Honoré (de), 1990 [1837], Illusions perdues, Paris, Flammarion, p. 61 et 68.

16 De nombreux ouvrages proposent une typologie des principales machines inventées pour la composition : Voir Thompson John S., 1980 [1904], History of Composing Machines, New York, Garland Publishing ; Huss Richard, 1973, The Development of Printer’s Mechanical Typesettings Methods (1822-1925), Charlottesville, University Press of Virginia ; Seyl Antoine, 1926, La composition mécanique, Bruxelles, Imprimerie scientifique et littéraire ; Gouilloud Maurice, 1910, Essai historique sur les machines à composer (1815- 1910), Paris, Imprimerie des cours professionnels.

17 Alkan Alphonse, 1840 (décembre), « Machine propre à la composition et à la décomposition des caractères d’imprimerie », Annales de la typographie française et étrangère, n° 30, p. 82-87 ; sur ces différentes inventions mécaniques, voir aussi la notice de Laboulaye Charles, 1866 (6e éd.), « Imprimerie – Composition mécanique », in Laboulaye Charles, Dictionnaire des arts et manufacture et de l’agriculture, Paris, Librairie du Dictionnaire des arts et manufactures.

18 Reberioux Madeleine, « Les ouvriers du Livre », in Martin Henri-Jean et Chartier Roger (dir.), Histoire de l’édition Française, op. cit., p. 91 ; Jarrige François, 2007 (janvier-mars), « Le mauvais genre de la machine. Les ouvriers du livre et la composition mécanique en France et en Angleterre (1840-1880) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 54-1, p. 193-222.

19 « Il créa une excitation considérable dans l’imprimerie » précise de son côté le Compositors’Chronicle de septembre 1841, cf. aussi Compositors’Chronicle, n° 19, mars 1842 et The Printer, n° 13, novembre 1844, cité par Musson Alfred, 1954, The Typographical Association. Origins and History up to 1949, Oxford, Oxford University Press, p. 20, 50-52.

20 « Enquête industrielle – Les imprimeurs-typographes », Le Populaire (de 1841), n° 9, 11 décembre 1842.

21 Mairet Joseph, 1995, Les carnets de Joseph Mairet, ouvrier typographe. Histoire de la Société typographique parisienne et du Tarif (1839-1851), Paris, Fédération des travailleurs des industries du livre CGT, p. 138.

22 Leroux Éric, 2004, « Culture ouvrière et métiers du livre : la Société typographique de Québec, 1836-1872 », Papers of the Bibliographical Society of Canada/Cahiers de la Société bibliographique du Canada, vol. 42, n° 2, p. 31-32

23 Leroux Jules, 1833, Aux ouvriers typographes. De la nécessité de fonder une association ayant pour but de rendre les ouvriers propriétaires des instruments de travail, Paris, Impr. Herhan, p. 13.

24 Lemercier Jean Louis Anatole, 1857, Études sur les associations ouvrières, Paris, Adrien Le Clere et Cie, p. 27 ; Chauvet Paul, 1956, Les ouvriers du livre en France de 1789 à la constitution de la fédération du livre, Paris, Librairie Marcel Rivière et Cie, chapitre IX Les associations de production dans la typographie parisienne.

25 Sur l’aspect « discret » du « fouriérisme populaire », cf. Robert Vincent, 1999, « Géographie de l’utopie. Icariens et phalanstériens à la veille de 1848 », Cahiers Charles Fourier, n° 10 [En ligne] URL : <http://www.charlesfourier.fr/spip.php?article175 >.

26 Rignol Loïc, 2003, Les hiéroglyphes de la Nature. Science de l’homme et Science sociale dans la pensée socialiste en France. 1830-1851, Thèse de doctorat d’histoire, Paris, Université Paris VIII, p. 59.

27 Beecher Jonathan, Victor Considerant, op. cit., p. 193.

28 Considerant Victor, 1841, Base de la politique positive. Manifeste de l’école sociétaire fondée par Fourier, Paris, Bureaux de la phalange, p. 55-56.

29 Alors jeune mécanicien, il deviendra plus tard le fameux magnat de l’industrie sidérurgique.

30 « From this brief description of the apparatus, it will readily be perceived that the operation of ’composing’ is thus rendered a very simple affair », Mechanics’Magazine, n° XXXIII, 1840, p. 317.

31 « Young and Delcambre‘s Type-composing Machine », Mechanics’Magazine, vol. XXX-VI, n° 985, 25 juin 1842, p. 497-500.

32 Seyl Antoine, La composition mécanique, op. cit., p. 24.

33 London Phalanx, monthly Magazine, n° 62, octobre 1842, p. 160.

34 « Printed at the Composing Machine Establishment » précise chacun des exemplaires du journal.

35 Pankhurst Richard K. P., 1956 (décembre), « Fourierism in Britain », International Review of Social History, vol. 1, n° 03, p 398-432 ; Pilbeam Pamela, 2006, « Fourierists in France and Britain », in Aprile Sylvie et Bensimon Fabrice (dir.), La France et l’Angleterre au XIXe siècle. Échanges, representations, comparaisons, Paris, Creaphis, p. 123-138.

36 Voir la très riche biographie de Jean Fornasiero qui éclaire la trajectoire de ce personnage longtemps mal connu : Fornasiero Jean, 2009, « Le philosophe du Phalanstère. Retouches au portrait d’Arthur Young (1810-1895) », Cahiers Charles Fourier, n° 20 [En ligne] URL : <http://www.charlesfourier.fr/spip.php?article714 > [consulté le 21 mai 2013].

37 Jeremy David J., 1977, « Damming the Flood : British Government Efforts to Check the Outflow of Technicians and Machinery, 1780-1843 », Business History Review, n° 51, p. 1-34.

38 « Machinery never can be too great in power – for its produce is wealth », The London Phalanx, n° 45, 5 février 1842, p. 705,

39 « Mechanical inventions must be regulated for the use of all mankind, but they are not to be suppressed or superseded for the sake of party interest and prejudiced bewilderment », The London Phalanx, n° 43, 22 janvier 1842, p. 673-674.

40 Même si l’échec du journal résulte sans doute de nombreuses autres causes difficiles à démêler, et d’abord de la mauvaise gestion de Hugh Doherty, cf. le témoignage de Young Arthur, 1887, Axial-Polarity of Man’s Word-Embodied-Ideas and its Teachings, Londres, Kegan Paul, Trench and Co., p. 234-235 et 242, cité par Fornasiero Jean, art. cit.

41 Voet Thomas, 2001, La Colonie phalanstérienne de Cîteaux, 1841-1846 : les fouriéristes aux champs, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, en particulier p. 26-35.

42 Barré Louis, 1841 (8 septembre), « Nouvelle machine typographique », La Phalange, tome IV, n° 4, p. 56-57.

43 Cabet Étienne, « Machine typographique à composer », Almanach icarien, op. cit., p. 91-93.

44 Selon les mots de M. Dunn lors d’une conférence sur le système industriel de Charles Fourier prononcé à Glasgow devant des ouvriers le 27 janvier 1843 : The London Phalanx, n° 67, mars 1843, p. 318.

45 Meunier Victor, 1844 (25 juillet), « Machines typographiques », La Démocratie pacifique.

46 Archives nationales (Paris), F18 1754, dossier Delcambre, Paris, 6 août 1853, Rapport sur la demande de brevet d’imprimeur déposée par Delcambre.

47 L’Atelier, organe spécial de la classe laborieuse, n° 12, septembre 1846, p. 384.

48 Bibliothèque municipale d’étude et de conservation de Besançon (BMEC) : Ms. Z. 417. Correspondance de Victor Considerant, lettre d’Arthur Young, 27 novembre 1845.

49 BMEC Besançon, Ms. Z 417, Imprimerie Lange-Lévy et Cie, rue du Croissant 16, Hôtel Colbert, Paris, le 7 mai 1844.

50 Meunier Victor, 1844 (25 juillet), « Machines typographiques », La Démocratie pacifique.

51 Science et démocratie (1865), cité dans Glaser Catherine, 1989, « Journalisme et critique scientifiques : l’exemple de Victor Meunier », Romantisme, vol. 19, n° 65, p. 27-36.

52 Beecher Jonathan, 1993 [1986], Fourier. Le visionnaire et son monde, Paris, Fayard, chap. 19 Le travail en Harmonie ; Desmars Bernard, 2014, « Travailler chez les fouriéristes : du travail ’attrayant’ à la participation aux bénéfices », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 124, p. 63-77.

53 Bulletin phalanstérien, n° 1, juillet 1846.

54 Comme il l’affirme : « This mode of composing types by playing on keys arranged precisely like the keys of a pianoforte would have formed an excellent occupation for women : but it did not find favour with the lords of creation, who strongly objected to such successful competition by female labour, and so the machine eventually died a natural death », Bessemer Henry, op. cit., ch. 3.

55 Howe Ellic et Waite Harold, 1948, The London Society of Compositors. A Centenary History, Londres, Cassel, p. 226.

56 Le Bulletin typographique, n° 21-22, mai et juin 1844.

57 Exposition universelle de 1855. Rapports du jury mixte international publiés sous la dir. de S.A.I. le Prince Napoléon, président de la commission impériale, Paris, Imprimerie impériale, 1856, tome 1, p. 340.

58 Archives nationales (Paris), F18 1754 : Dossier des brevetés parisiens, Paris, 6 août 1853, Rapport du directeur de la sûreté générale.

59 « Machines – Pianotype de MM. Young et Delcambre », L’Atelier, n° 10, juillet 1844, p. 155-158.

60 « Le travail attrayant », L’Atelier, n° 10, juin 1842, p. 80.

61 « Le socialisme sommé de se produire », L’Atelier, juillet 1849, p. 364.

62 « Machines – Pianotype de MM. Young et Delcambre », L’Atelier, n° 10, juillet 1844, p. 156.

63 Alors que les inventeurs affirment par exemple qu’avec la machine un ouvrier peut lever jusqu’à 8 000 caractères à l’heure, contre seulement 1 000 avec les procédés ordinaires, les rédacteurs de l’Atelier évaluent quant à eux à 3 500-4 000 tout au plus la productivité de la mécanique, sans compter qu’elle introduit de nombreuses contraintes supplémentaires qui n’existaient pas avec les anciennes méthodes.

64 « Machines – Pianotype de MM. Young et Delcambre », art. cit., p. 158.

65 Sur Pierre Leroux typographe, voir Peignot Jérome, 1989, Pierre Leroux, inventeur du Socialisme, Paris, Klincksieck ; et 1987 (4e trimestre), « Pierre Leroux : ’D’une nouvelle typographie’ », Communication et langages, n° 74, p. 24-41.

66 Leroux Pierre, 1843 (janvier), « D’une nouvelle typographie », Revue Indépendante, p. 275 (réimprimé sous forme de brochure : Paris, Schneider et Langrand, 1843).

67 Ibid., p. 274.

68 Le Bras-Chopard Armelle, 1986, De l’égalité dans la différence. Le socialisme de Pierre Leroux, Paris, PFNSP, p. 310.

69 Leroux Pierre, 1843, D’une nouvelle typographie, Paris, Schneider et Langrand, p. 8.

Table des illustrations

Titre Figure 1 : Pianotype compositeur de Young et Delcambre
Crédits Source : Brevet de 15 ans n° 3633 déposé le 23 mai 1846 par Adrien-Arthur Delcambre, imprimeur, pour une « machine-distributeur typographique, propre à distribuer les caractères d’imprimerie », 1BB_3633, © Institut national de la propriété industrielle, Paris.
URL http://books.openedition.org/pufc/docannexe/image/22444/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 30k

Auteur

Directeur de recherche au CNRS (Maison française d’Oxford, et chercheur associé à TRIANGLE). Il a publié récemment avec George Sheridan, Le Solitaire du ravin. Pierre Charnier (1795-1857), prud’homme tisseur et canut (Paris, ENS-Éditions, 2014) et a coordonné avec Vincent Bourdeau, Thomas Bouchet, Edward Castleton et François Jarrige le volume, Quand les socialistes inventaient l’avenir (1825-1852), paru aux Éditions La Découverte en 2015.

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