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Grandeur et misère de l'office

 | 
Michel Bertrand

Introduction

Prosopographie et relations sociales dans le Mexique colonial

Texte intégral

A Brigitte,
A Julie et Guillaume,
En souvenir des années sévillanes

  • 1 Comme l’avoue P. Molas Ribalta à propos de ses recherches sur les Audiences espagnoles. « L’étude s (...)
  • 2 Les actes de la Table Ronde édités par Hélène Millet sont une excellente illustration de cet éclate (...)
  • 3 L’étude des 60 000 galériens menée par André Zysberg est un exemple de ce glissement vers des étude (...)
  • 4 Selon la définition qu’en donne Littré en 1863.
  • 5 H. Millet, op. cil., p. II.

1C’est dans la ligne d’une démarche scientifique baptisée au xixe siècle par ses initiateurs de « prosopographie » que notre étude s’inscrit. Ces dernières années, le recours à cette méthode d’exploitation des données s’est répandue au point de déborder le cadre historiographique restreint dans lequel elle était apparue. Le langage historien s’est chargé de traduire tout à la fois ce nouvel intérêt et cette banalisation en recourant à l’un de ces néologismes dont il sait être friand en qualifiant ces études de « prosopographiques » au risque de placer parfois leurs auteurs dans la situation de Monsieur Jourdain1. Bien plus encore, alors que son étymologie supposerait l’application de la démarche à des individus, la prosopographie est devenue une méthode de travail employée à l’analyse d’objets les plus divers et les plus éloignés2. Enfin, alors que la prosopographie avait été élaborée comme une réponse à la pauvreté des sources documentaires – dans le domaine de l’histoire romaine tout particulièrement – l’utilisation de l’informatique a totalement retourné le projet initial. Elle s’applique désormais à des recherches massives pour lesquelles le recours à l’outil informatique se révèle indispensable3. On ne peut donc manquer de s’interroger sur l’existence aujourd’hui d’une démarche prosopographique commune à toutes ces recherches qui, au-delà des diversités thématiques ou chronologiques, garderait un minimum sinon d’unité, au moins de cohérence méthodologique. Peut-on en effet se convaincre que la seule utilisation commune de l’informatique garantirait cette cohésion en lui maintenant un semblant d’unité ? On peut aussi s’interroger sur le statut occupé par la prosopographie dans la production historique. Si ses inventeurs au xixe siècle en avaient fait une simple figure de rhétorique4, certains n’hésitent pas aujourd’hui à la propulser au rang de discipline historique5. Notre objectif ici est de contribuer, en étudiant les officiers de finances de Nouvelle-Espagne aux xviie et xviiie siècles, à une réflexion sur la place occupée par la prosopographie dans l’histoire sociale, ses intérêts mais sans doute aussi ses limites ou ses insuffisances.

  • 6 Définition établie à partir de celle proposée par Françoise Autrand dans Prosopographie et genèse d (...)
  • 7 Introduction au dossier « Prosopographie et histoire sociale : Rome et l’Italie à l’époque républic (...)
  • 8 Tel était bien pour l’essentiel le projet de l’école de Breslau autour de C. Cichorius ainsi que ce (...)

2Dans son acception traditionnelle, elle peut être définie comme une « biographie collective à travers la description des caractères externes du groupe choisi en se fondant notamment sur leurs caractéristiques observables telles que origines, éducation, carrières, patrimoines familiaux, activités... »6. C’était bien à cela que s’attachaient les historiens de l’Antiquité romaine dans leurs recherches prosopographiques, soucieux de surmonter « les conditions d’exceptionnelle pénurie documentaire caractérisant l’histoire ancienne »7. Ils cherchaient, à travers l’élaboration d’un corpus documentaire exploitable, à répondre aux questions qu’ils se posaient sur la nature et la structure d’un État impérial encore mal connu. Ce faisant, ils transformaient une simple technique documentaire, inventée au xixe siècle par les savants allemands pour être une science auxiliaire de l’épigraphie8, en un véritable domaine de recherche à part entière de l’histoire romaine.

  • 9 M. Christel, « Prosopographie et histoire de l’État », op. cit., p. 22 et suivantes.
  • 10 Ibid., p. 24.

3A travers leur démarche originale répondant à une situation documentaire spécifique, ces historiens défrichaient un front de recherche qui allait devenir fort productif bien au-delà de leur propre domaine. En effet, leurs travaux poursuivaient un objectif double : saisir à travers les hommes au service de l’État impérial les structures et les fonctions de ce dernier9. Aussi, ces historiens, tel R. Syme, s’attachaient-ils autant à l’étude des questions juridiques et institutionnelles qu’à celle d’une histoire plus sociologique des acteurs présents dans l’appareil d’État. Bien plus, partant du constat du poids familial dans le déroulement des carrières dans le monde romain, leurs recherches intégrèrent la reconstitution des relations familiales, des alliances, des patronages ou des liens politiques10. C’est ainsi à une reconstitution ample d’un groupe social que la prosopographie appliquée par les historiens de l’Antiquité romaine permettait d’aboutir.

4Sur cette solide base méthodologique répondant à la situation spécifique d’un domaine de la recherche, les historiens d’autres horizons chronologiques ont entrepris d’adapter la méthode, quitte à en malmener parfois quelque peu le projet initial. Certes, à l’image de la prosopographie construite par les pionniers anglo-saxons du début du siècle, elle s’appuie encore et toujours sur une accumulation de données biographiques sélectionnées non pas selon les lois du hasard mais en fonction d’un groupe prédéterminé. Elle s’attache donc à saisir les aspects extérieurs – définis à travers des variables mesurables – d’individus conçus comme les composantes d’un groupe et parvient alors à déterminer ce qu’il faudrait qualifier de « profil moyen » de ses membres. Cependant, des changements importants sont venus réorienter ces objectifs depuis une vingtaine d’années.

  • 11 Non pas nécessairement par un choix lié à un thème de recherche particulier comme cela avait pu l’ê (...)
  • 12 F. Autrand, « Y a-t-il une prosopographie de l’État médiéval ? », in F. Autrand édit., Prosopograph (...)

5La prosopographie actuelle se fonde d’abord sur un quantitatif souvent massif débouchant sur une étude statistique des composantes sociales du groupe observé. Par ailleurs, les orientations récentes insistent sur la mise en place d’une approche analytique plus que descriptive, démarche dominante qui était la sienne auparavant. La prosopographie ne cherche plus alors seulement à mettre en avant le profil moyen mais plutôt les divers éléments originaux et significatifs qui se dégagent des individus regroupés. Enfin, la prosopographie a élargi son champ d’application à des domaines de plus en plus divers. Si sa prédilection pour les corps administratifs reste vive11, elle s’applique aussi bien à des repris de justice, des marchands, des écrivains ou même à des navires, des caractères d’écriture ou des sceaux impériaux. Comme le souligne F. Autrand, faut-il donc toujours réserver le même qualificatif à des études aussi diverses ?12 Sans répondre de manière catégorique à une question aussi large, on ne peut que souligner le flou relatif qui est venu embrumer les rives d’une méthode historique autrefois clairement et rigoureusement délimitée. Surtout, parallèlement à cet éclatement thématique et chronologique, la prosopographie semble atteindre aujourd’hui certaines de ses limites.

  • 13 Expression de Cl. Nicolet, op. cit., p. 1226.

6Le développement d’une prosopographie reposant sur une statistique systématique risque de masquer, derrière une abondance et une précision toutes mathématiques, un réel plus indistinct. L’accumulation de pourcentages, de moyennes ou l’exploitation des données selon l’analyse factorielle débouche sur une représentation modélisée d’une réalité ne correspondant le plus souvent qu’à une faible matérialité. Par ailleurs, cette « rigueur statistique »13, malgré l’attrait qu’elle opère, peut entraîner parfois à négliger l’essentiel. Les données accumulées ne sont toujours que le reflet d’une documentation et des traces qu’y ont laissées des individus. Pourquoi certains d’entre eux et pas d’autres ? A travers cette question, on voit la nécessité pour la prosopographie de considérer les silences des sources autant que les résultats mesurables. Dans cette optique, bien plus que les moyennes, ce sont alors les écarts qui deviennent significatifs. Cependant, la prise en compte des accidents statistiques suppose alors le recours au qualitatif au détriment d’un quantitatif pur.

  • 14 Comme le démontre Cl. Nicolet, op. cit., p. 1227.

7La délimitation d’un groupe-objet représente un deuxième obstacle à surmonter. Tant que sa définition se maintient juridiquement claire ou précise, les difficultés sont moindres, même si elles ne disparaissent jamais totalement14. Cela explique l’attrait de la prosopographie traditionnelle pour les groupes fortement structurés, quels qu’en soient les fondements. On peut cependant s’interroger sur les éléments qui assurent la réalité de la structuration d’un groupe. Certes, dans une société d’ordres, la définition d’un statut est indispensable à l’identification d’un groupe ou « corps ». Cependant, sont-ce toujours et exclusivement les seuls traits à caractères juridiques qui le permettent ? N’existe-t-il pas d’autres liens, d’autres fondements non strictement juridiques mais non moins importants pour autant, pouvant servir de ciment à un groupe social ? N’y a-t-il pas enfin un risque, en postulant l’existence d’un groupe selon les seuls critères juridiques qui le définissent – et qui sont sans doute les plus accessibles à travers la documentation –, à lui donner plus de réalité qu’il n’en possède effectivement ?

8Aussi, en s’attachant à la détermination d’un groupe, à sa composition, à son originalité ou à sa spécificité, la prosopographie risque-t-elle de négliger la nature des liens qui attachent des individus entre eux. Et ce d’autant plus que tous les groupes sociaux ne sont pas structurés à partir de règles claires, lisibles et stables de manière permanente. Il existe entre des individus des relations dont l’intensité, l’activation, la finalité peuvent varier dans le temps et l’espace. C’est dire que la prosopographie se doit aussi d’envisager l’existence de groupes aux contours plus flous, aux structures plus ou moins informelles mais non moins présentes et agissantes.

  • 15 J. Nagle, « Prosopographie et histoire de l’État : la France moderne xvie-xviiie siècles », in F. A (...)
  • 16 Ibid.

9Les principales limites rencontrées par la prosopographie contemporaine résultent finalement de la négligence apportée à l’étude de l’un des objets – les relations sociales – que les fondateurs de la méthode s’étaient, eux, fixée. Comme le propose J. Nagle, ce qui doit maintenant intéresser la prosopographie c’est avant tout l’étude des dynamiques sociales d’un groupe15 et non plus la seule question de sa structure. Elle devrait donc s’attacher aussi bien à des groupes aux statuts définis qu’à la reconstruction de groupes, en apparence plus informels. Cela devient possible en se fondant tout particulièrement sur leur action et en reconstituant ainsi les organes de pouvoir réels, qui ne coïncident pas nécessairement avec des organigrammes officiels. A travers ces propositions, la prosopographie ne ferait que renouer avec ses objectifs originels tout en évitant le risque de dérive qui, à travers eux, « a conduit l’histoire sociale de l’économique vers le politique »16.

10C’est en fonction des limites propres à l’analyse prosopographique et en se fondant sur les suggestions émises à leur propos que ce travail a été orienté. Tout particulièrement pour ce qui nous concerne, nous avons cherché à dépasser l’application systématique et simplificatrice d’une méthode dont l’objectif premier restait de dessiner le portrait robot des membres d’un groupe défini à partir de critères socioprofessionnels. Nous avons donc élargi notre problématique aux dimensions d’un ensemble plus large dans ses délimitations humaines mais non moins importantes pour la société considérée : celui des réseaux de dépendance dans lesquels se trouvent impliqués les officiers de finances de Nouvelle-Espagne. Ce choix a imposé d’adapter les caractéristiques spécifiques de la démarche prosopographique aux objectifs visés tout autant qu’aux réalités des sources disponibles.

  • 17 M. Mörner, Race mixture in the History of Latin America, Boston, 1967.

11L’objectif assigné consistait à mener une étude d’anthropologie sociale et historique sur un groupe d’individus de la société coloniale espagnole. Notre volonté était de saisir l’ensemble des relations maintenues par ces individus autant au sein du groupe que vis-à-vis de l’extérieur. Il s’agissait donc de repérer les stratégies mises en place par ces acteurs afin d’assurer leur survie et leur perpétuation dans la société environnante. Cette recherche ne pouvait cependant évacuer le contexte général dans lequel s’inscrivait cette société : celui d’un univers colonial cloisonné en groupes ethnico-raciaux et se pensant selon une hiérarchie au sein de laquelle les préjugés raciaux et racistes tenaient une place centrale17. Dans notre réflexion, la thématique de l’intégration, ou de son refus, joue alors le rôle de fil conducteur et s’applique à des individus membres de groupes se percevant souvent comme différents voire rivaux ou bien encore en situation d’affrontement.

  • 18 Les arrivées des vice-rois étaient tout particulièrement l’occasion de faire apparaître le corps de (...)

12Conformément aux règles de la prosopographie, nous avons dans un premier temps défini le groupe qui servirait de support à cette entreprise. Notre choix s’est porté sur les officiers de finances de Nouvelle-Espagne des xviie et xviiie siècles. Pourquoi cette option ? Ces officiers constituent en premier lieu un véritable « corps », au sens prosopographique autant que sociologique du terme appliqué aux sociétés d’Ancien Régime. Il se définit d’abord par sa forte homogénéité professionnelle – notamment à travers sa formation essentiellement pratique, ses obligations, ses responsabilités, ses pouvoirs. Il apparaît aussi comme tel lors des manifestations et des fêtes qui ponctuent la vie de la capitale vice-royale18. Enfin, ce groupe se caractérise par une présence et une implantation locales remarquables. Établis sur l’ensemble du territoire de la vice-royauté, ces officiers en contrôlent de vastes circonscriptions administratives. Surtout, ils constituent – avec les juges des audiences, les membres du haut-clergé et les militaires de haut rang – la partie supérieure de l’appareil administratif et étatique espagnol en Amérique. Hors des deux ou trois villes qui comptent durant cette période en Nouvelle-Espagne – Mexico, Guadalajara et Zacatecas –, ils incarnent un pouvoir et une autorité face auxquelles les oppositions s’expriment avec prudence.

  • 19 J. Tutino, Creole Mexico : Spanish Elites, Haciendas and Indians Towns, Ann Arbor, 1976.

13Puissants et constituant un groupe relativement cohérent, ces officiers de finances n’en sont pas moins des individus qui ne relèvent pas pleinement du monde des élites dirigeantes. Pas d’accumulation de titres ou d’honneurs ; pas ou peu d’abondance de biens, tout particulièrement sous la forme aristocratique du majorat ; faiblesse des possibilités matérielles pour vivre dans une ostentation gratifiante pour l’honneur du nom : rien, ou si peu, qui fasse a priori de ces officiers des membres de plein droit de cette puissante mais réduite fraction des élites dirigeantes. En se fondant sur la classification élaborée par J. Tutino, nous pourrions au mieux classer ces administrateurs fiscaux dans un groupe d’élites secondes19.

14Tous ces éléments contribuent certainement à convertir ces officiers en objet idéal d’une prosopographie classique. De fait, nous ne négligerons pas de répondre à ses questions traditionnelles, qu’il s’agisse des aspects démographiques – mariages, enfants –, sociaux – stratégies matrimoniales –, professionnels – déroulement des carrières –, économiques – accumulation et transmissions des biens –, ou enfin culturels – formation, activités en dehors des obligations professionnelles. Cependant, autant l’accès et l’exploitation de sources inhabituelles dans la démarche prosopographique que le secteur administratif choisi nous ont incité à élargir notre problématique à des questions qui permettent de replacer ces individus dans la dynamique sociale et politique de la Nouvelle-Espagne du xviiie siècle.

15La Real Hacienda constituait indiscutablement un secteur administratif stratégique, tout particulièrement au travers de sa fonction de recouvrement. Elle assurait en effet à travers ses rouages administratifs le transit de l’essentiel des richesses américaines destinées à la métropole ou au fonctionnement, sur place, de l’appareil d’État colonial. C’est donc clairement un espace administratif que l’Espagne ne pouvait négliger et par le biais duquel elle cherchait à défendre ses intérêts vitaux. On peut donc admettre en hypothèse que la politique royale de protection et de défense de ses intérêts y est au moins aussi importante que dans les autres secteurs administratifs. La Real Hacienda deviendrait alors un des lieux de prédilection pour l’étude des politiques de réformes, tout particulièrement de celles menées tout au long du xviiie siècle.

  • 20 Les divers travaux de H. Pietschmann offrent une réflexion fondamentale sur la problématique concer (...)
  • 21 A. Buschnell, The King’s Cooffers, Proprietors of the Spanish Florid Treasory, Gainesville, 1981.

16Il se trouve précisément que, malgré son importance cruciale, ce secteur administratif n’a pas encore fait l’objet d’une étude systématique à la différence des autres grands services administratifs20 : un seul travail lui a été à ce jour consacré21. Cependant, la marginalité de l’aire géographique considérée, la Floride, en fait un travail somme toute secondaire par rapport au reste du système impérial espagnol. Notre choix a donc été de réaliser une plongée verticale au sein d’un secteur administratif. Partant des bureaux centraux, nous avons cherché à reconstituer l’ensemble des strates administratives financières de la Nouvelle-Espagne. Cette immersion s’effectue sur un long siècle, entre 1660 et 1780, choix chronologique relativement inhabituel dans l’historiographie américaniste.

17Il nous est apparu que les réformes administratives des années 1780 et leur application – relativement bien étudiées à ce jour – constituaient une réelle rupture au sein de l’appareil administratif des finances, tout particulièrement avec l’apparition des intendances. Ces dernières bouleversèrent la hiérarchie administrative provinciale et remirent en cause la structure de l’administration centrale. Certes, dans leur mise en place, les réformes furent rapidement contestées et souvent atténuées. Il n’empêche : les nombreuses études déjà réalisées sur ces questions confirment sinon la rupture du moins la volonté politique d’y parvenir. Il nous a alors semblé judicieux de réfléchir à la genèse du projet réformateur plutôt que de nous pencher, à la suite d’autres travaux, sur le contenu des réformes elles-mêmes.

  • 22 Le portrait de Charles II réalisé par Carreño de Miranda traduit dans toute sa dureté ce sentiment (...)
  • 23 B. Bennassar, « Une génération perdue ?, 1665-1700 », in Bartolomé Bennassar édit., Histoire des Es (...)
  • 24 J.I. Israel, Razas, clases sociales y vida política en el México colonial, 1610-1670, Mexico, 1980, (...)
  • 25 Si la formule de M.A. Burkholder et D. Chandler est sans doute un peu trop abrupte, elle traduit pa (...)

18Dans cette perspective, la coupure dynastique risquait de faire primer l’aléa politique international sur la logique interne du système colonial hispanique. Au contraire, en amont, les années 1660 se sont alors offertes comme présentant bien des avantages. Elles marquent d’abord le début du règne du malheureux Charles II, qui coïncide selon les contemporains avec la période la plus noire de l’histoire de l’Espagne22. Si les études des historiens ont sans doute fait remonter de vingt ans le début de cette sombre période, il n’empêche : au cours de la première moitié de ce règne, la coïncidence entre le sentiment des contemporains percevant une métropole en crise et touchant le fond, et celui de la réalité reconstituée par les travaux des historiens est pratiquement parfaite23. Quant à l’Empire américain, ces années 1660 marquent aussi le début du retournement d’une conjoncture jusqu’alors favorable. A partir de cette période, bien que sans doute moins violemment, moins durablement que l’Europe et très inégalement d’une région à l’autre, la Nouvelle-Espagne se trouve à son tour affectée par cette « crise générale » du xviie siècle24. La durée d’analyse choisie offre donc une unité temporelle réelle : elle se situe de part et d’autre de deux tournants importants dans l’histoire de l’Espagne et de son Empire, entre la crise de la seconde moitié du xviie siècle et le sursaut réformateur de la seconde moitié du xviiie siècle. Pour ce qui est de l’État colonial, cette époque correspondrait alors au passage défini par M.A. Burkholder et D. Chandler comme celui de l’impuissance vers l’autorité25.

19C’est dire qu’au-delà des officiers de finances notre projet vise deux objectifs complémentaires plaçant la prosopographie au service d’une réflexion plus large. Nous envisageons d’abord de saisir le fonctionnement réel de l’administration dont ces officiers avaient la responsabilité. En reconstituant les hiérarchies internes, les modes de fonctionnement et d’exercice du pouvoir, nous tâcherons de cerner la mécanique de l’appareil administratif colonial et d’en définir les normes qu’il prétendait imposer. Cependant, il ne saurait être question dans ce domaine d’en rester à la seule étude des règles administratives. En regard de ces réglementations particulièrement tatillonnes mais fort éloignées des réalités vécues, c’est une descente dans le quotidien administratif et politique que nous voulons réaliser. Dans le même temps, nous nous employons à replacer le groupe étudié dans son environnement social, tout particulièrement en nous interrogeant sur ses relations avec le milieu local. Les stratégies familiales dans le choix des conjoints, les relations d’amitié, d’entraide ou de solidarité, les liens de dépendances et de protections enfin : tels sont alors les canaux par le biais desquels nous tâcherons de déterminer la capacité d’intégration des officiers de finances à l’univers colonial et à celui de ses élites.

20A nos yeux, cette double réflexion se révèle essentielle à la compréhension d’un univers colonial marqué par la distance vis-à-vis de la métropole et par la tentation, inscrite dans ses origines mêmes, de l’autonomie si ce n’est de l’indépendance. Pour y parvenir, nous avons choisi d’élargir le support sociologique sur lequel se fondait originellement notre projet. Aux officiers de finances clairement et facilement identifiables, se sont alors adjoints les individus retrouvés dans leur environnement, tant familial que professionnel. C’est dire que le groupe étudié se compose d’un noyau dur, entouré d’une multitude de satellites qui gravitent dans son voisinage plus ou moins immédiat. Ses limites en deviennent alors relativement floues du fait de leurs profondes instabilités. A l’intérieur de cet ensemble fluctuant, il s’est agi de mettre en évidence les relations entretenues, leurs fonctionnements et leurs finalités.

  • 26 J.C. Waquet, De la corruption. Morale et pouvoir à Florence au xviie et xviiie siècles, Paris, 1984

21L’analyse que nous cherchons à mener à partir des officiers de finances s’articule autour de deux réalités-clés qui structurent notre réflexion : la corruption et le clientélisme. Certes, l’application du premier terme à propos d’une société moderne pose d’emblée des problèmes théoriques qui imposent dans un premier temps un effort de conceptualisation souvent négligé par les historiens de l’Ancien Régime s’abritant derrière les phénomènes de décalage culturel26. Il ne peut s’agir pour nous de retenir de ce mot la connotation morale qui est attachée aux quatre sens que fournissent invariablement nos dictionnaires contemporains. Il ne peut non plus s’agir, à propos de fonctionnaires royaux, d’utiliser ce mot dans le sens qu’on lui donne aujourd’hui à propos de serviteurs prévaricateurs d’un État au service duquel ils se sont placés. Pour des raisons qui tiennent à la conception même de la charge détenue, des responsabilités exercées, des fidélités à respecter – tous phénomènes sur lesquels nous aurons à revenir – on ne saurait transposer dans le passé, sans risque d’anachronisme, un concept correspondant à une réalité étatique contemporaine.

22Il n’empêche que, malgré ces difficultés et les ambiguïtés qu’elles soulèvent, nous recourrons à cette expression, ne serait-ce d’abord que par facilité d’écriture. Ce choix nous impose cependant autant une explicitation du sens que nous souhaitons lui voir prendre qu’une analyse des réalités que ce mot recouvre au xviiie siècle. Par « corruption » nous entendons toutes sortes d’abus, d’excès, d’exactions ou de déviances imposés par les officiers de finances à leurs administrés dans l’exercice de leurs charges. Notre objet ici va alors être d’en saisir autant les mécanismes – politiques, économiques, sociaux ou mentaux – qui menaient ces officiers à les commettre, que les fonctions et les finalités que ces excès visaient dans la société coloniale. C’est donc une réflexion portant autant sur le pourquoi que sur le comment que nous tenterons de mener à bien.

  • 27 S. de Cobarrubias, Tesoro de la lengua castellana o española, [1611], Madrid, 1977 ; J. Nicot, Trés (...)

23Dans cette perspective, on ne saurait faire l’économie d’une réflexion sur le ou les contenus du mot aux xviie et xviiie siècles. Jean Nicot, au début du xviie siècle, explicite l’action de corruption en citant de nombreux exemples – relevant du droit, de la morale économique, des mœurs ou encore de la biologie – dont celui de juges détournés des devoirs de leurs charges pour cause d’argent. A la même époque, Sébastián de Cobarrubias propose exactement les mêmes significations et le même exemple dans son Tesoro de la lengua castellana o española. Un siècle plus tard, Antoine de Furetière synthétise l’analyse de Jean Nicot en proposant trois significations à l’action de corruption : biologique, épidémiologique et morale. Cependant cette dernière se limite à une acception religieuse, assimilant en fait la corruption au péché. On est alors loin de l’exemple fourni par Nicot ou Cobarrubias, somme toute assez moderne car très proche du contenu que prend aujourd’hui ce mot. Ce n’est finalement qu’avec Emile Littré, proposant quatre significations possibles, que l’on renoue avec le sens indiqué par Nicot ou Cobarrubias au début du xviie siècle. Ces fluctuations confirment tout à la fois le risque d’anachronisme dans l’utilisation inconsidérée de ce mot pour les xviie et Xviiie siècles mais en même temps aussi son caractère opératoire : la corruption perçue comme un abus de pouvoir est clairement une notion que l’Ancien Régime n’ignore pas, même s’il tend très vite à lui faire prendre des contenus autres et tout spécialement moraux ou religieux27.

24L’applicabilité du concept à une société d’Ancien Régime se trouve d’ailleurs renforcée par la littérature morale de l’époque. Elle tend souvent à assimiler les divers abus de pouvoir commis par des officiers aux dépens de leur roi à un crime de lèse-majeté Car, comme l’écrit J.C. Waquet :

  • 28 J.C. Waquet, De la corruption..., op. cil., p. 21.

« En fait, ni la corruption des juges, ni les infidélités des comptables, ni les extorsions des huissiers n’ont attendu l’Age des Lumières pour que les autorités publiques prennent conscience de ce qu’elles avaient de choquant et de répréhensible. Durant tout l’Ancien Régime, les lois ont plu sur les officiers comme elles pleuvent aujourd’hui sur les fonctionnaires africains, pour les enjoindre de respecter les devoirs afférents à leurs charges, et c’est sans doute à tort que l’on a affirmé que dans les sociétés occidentales traditionnelles les normes régissant les employés publics n’étaient pas clairement articulées ou étaient inexistantes. »28

  • 29 N. Herpin, Les sociologues américains et leur siècle, p. 38, Paris, 1973.

25Si la présence de pratiques corruptives au sein des sociétés d’Ancien Régime ne peut faire l’objet d’un doute trop tenace, on n’en doit pas moins s’écarter de l’approche moralisante qui pesait – et pèse sans doute encore – lourdement sur ce mot. En tentant de saisir le pourquoi et le comment de ces abus, c’est plutôt à partir d’une problématique et d’une analyse fonctionnaliste que nous choisissons d’avancer29. Dans cette perspective les déviances deviennent alors une pratique sociale dont les caractères exceptionnels, uniques et accidentels, disparaissent pour se transformer au contraire en une clé assurant en partie la compréhension des rapports sociaux qui les génèrent. Mais il y a plus. L’analyse de la répression menée par un appareil d’État d’Ancien Régime à l’encontre de ces abus peut offrir à son tour un éclairage nouveau sur les relations entretenues entre des officiers locaux et leurs supérieurs métropolitains. En ce sens, l’étude de la corruption devient une seconde clé, permettant de saisir la complexité du fonctionnement d’un appareil bureaucratique d’Ancien Régime, soumis ici à des contraintes de distances exceptionnelles. La corruption et les réponses qu’elle suscite ne peuvent plus alors être perçues, ni systématiquement ni automatiquement, comme synonymes d’un affaiblissement de l’autorité de l’État. En fonction des objectifs poursuivis, des tolérances acceptées et des excès condamnés, elles peuvent aussi mettre à nu la subtilité du jeu politique colonial où s’affrontaient en permanence de nombreux intérêts rivaux et contradictoires.

  • 30 J. Van Klaveren, « Die historische Erscheinung der Korruption, in ihrem Zusammenhang mit der Staats (...)
  • 31 J. Vicéns Vives : « La estructura administrativa estatal en los siglos XVI y XVII », in Coyuntura e (...)

26L’historiographie américaniste sur le sujet est loin d’être totalement silencieuse. Cependant, aucune synthèse n’en a été tentée depuis J. Van Klaveren30. Pour lui, la corruption remplissait d’abord et surtout une fonction économique : il y voyait l’un des agents du dynamisme de l’économie coloniale. Plus tard, dans un travail plus modeste, J. Vicéns Vives tenta de reprendre cette réflexion en reliant surtout la corruption à la politique espagnole31. Il insistait tout particulièrement, dans une perspective très métropolitaine, sur le lien étroit entre corruption et introduction de la vénalité des charges en Amérique.

  • 32 H. Pietschmann, « Burocracia y corrupción en Hispanoamérica colonial, una aproximación tentativa », (...)
  • 33 Tel est le cas de toutes les grandes études sur le commerce américain. L. Garcia Fuentes, El comerc (...)
  • 34 Dans une bibliographie copieuse sur ce sujet, on peut citer en particulier les travaux de A.M. Brén (...)

27Depuis ces publications, nombreux ont été ceux qui évoquent la présence de ces pratiques que précisément les lecteurs de J. Van Klaveren eurent du mal à admettre32. Cependant nombre de ces travaux insistent en priorité sur le côté anecdotique de la fraude. Ils se transforment bien souvent en un catalogue de pratiques délictueuses, dans lequel l’imagination fertile des fraudeurs précède la mise en place de contrôles toujours plus exigeants. Par ailleurs, la corruption tend souvent à disparaître derrière la contrebande commerciale alors qu’elle ne saurait s’y réduire33. Seuls, des travaux portant plus particulièrement sur le corps des alcaldes mayores ont permis de situer l’ampleur de ces pratiques et leur fonction dans le monde colonial au contact de la société indigène34.

  • 35 S. Socolow, The Bureaucrats of Buenos-Aires..., op. cit. et The Merchants of Buenos-Aires, 1778-181 (...)
  • 36 B. Lavallé, Le marquis et la marchand, luttes de pouvoirs au Cuzco (1700-1730), Bordeaux, 1987.
  • 37 H. Pietschmann, « Burocracia y corrupción en Hispanoamérica colonial... », op. cil. ; E. Ruiz Medra (...)
  • 38 A.M. Brénot, « L’étude du non-pouvoir dans 9El estado político del reyno del Perúe de V. Montero de (...)
  • 39 F. Bayard, Le monde des financiers au xviie siècle, Paris, 1988 ; D. Dessert, Argent, pouvoir et so (...)

28Plus récemment enfin, la corruption administrative s’est trouvée au cœur de plusieurs études portant sur des aires géographiques différentes. En liant fraudes et exercice du pouvoir à Buenos-Aires35, dans les Andes36 ou en Nouvelle-Espagne37, leurs auteurs révèlent que les abus pratiqués s’inscrivent dans la pratique du système colonial et ne peuvent être perçus comme des épiphénomènes. Quant à A.M. Brénot, à travers l’étude de l’Estado politico del reyno del Perú de V. Montero del Aguila datant de 1742, elle montre le lien étroit existant durant le xviiie siècle péruvien, entre corruption, conception et exercice du pouvoir38. C’est clairement dans la lignée de ces recherches que nous plaçons notre propre travail sur le monde des officiers de finances de Nouvelle-Espagne. En écartant une recherche des causalités, nous nous pencherons surtout sur les mécanismes qui mènent à des pratiques de pouvoir perçues par les contemporains comme déviantes. Parallèlement, nous essaierons de déterminer la capacité et le seuil de tolérance de ces mêmes contemporains face à ces pratiques. En ce sens, il conviendra de réfléchir tout particulièrement sur la finalité de la répression. Loin de viser à une éradication absolue que la conception même d’une administration d’Ancien Régime rend illusoire, elle tend à devenir avant tout un levier supplémentaire dans l’exercice du pouvoir. Visites, enquêtes, procès et jugements réalisés contre les officiers de finances perdent alors leur caractère premier – c’est-à-dire proprement judiciaire – pour devenir l’un des moyens de la gestion administrative de la distance. De ce point de vue et dans un contexte certes bien différent, l’attitude de la métropole, face à une corruption qu’elle ne pouvait ignorer, n’est pas sans évoquer celle de la monarchie absolutiste française devant le monde des financiers ou partisans. La lutte, menée par l’une contre les abus flagrants et connus des autres, ne pouvait prendre le risque de jeter à bas un système dont finalement tous vivaient, soulignant finalement leur étroite interdépendance. Les poursuites récurrentes entreprises assuraient, plus simplement, au monarque une part complémentaire des revenus extorqués abusivement dans le royaume quand ce n’était pas aux dépens de l’Etat lui-même39.

  • 40 B. Bennassar : « Aux origines du caciquisnre : les familiers de l’Inquisition en Andalousie au xvii(...)

29Le recours à la notion de clientélisme s’inscrit, elle, dans cette recherche des mécanismes sociaux débouchant sur des pratiques politiques et administratives déviantes parmi les élites coloniales. On ne se surprendra probablement pas de l’application de cette notion à l’analyse de la société coloniale ibérique. Comme l’univers méditerranéen d’où il est issu, le monde colonial des élites espagnoles fonctionne en grande partie sur cette réalité40. De même, la détention d’un pouvoir n’est pas exclusivement liée à l’obtention de titres ou de charges officielles permettant son exercice selon la légalité en vigueur. C’est dire que dans cette société coloniale subsistent de fait – et à l’ombre d’un appareil d’État en développement – des centres d’autorité ou de pouvoir actifs bien que sans existence légale et reposant avant tout sur les relations de dépendances établies entre les individus. Sans écarter ni négliger les autres clivages sociaux opérant dans la société coloniale – hiérarchies socio-économiques, appartenances culturelles et ethniques, origines géographiques – nous chercherons à saisir leurs articulations avec les solidarités plus propres à une société d’Ancien Régime aux relations fondées sur la verticalité.

  • 41 Y. Durand, Les solidarités dans les sociétés humaines, pp. 152-183, Paris, 1987.

30Ces relations clientélistes s’organisent toujours selon des schémas qui possèdent une grande rationalité et qui répondent efficacement aux situations auxquelles elles ont à faire face41. Ce sont donc les logiques de ces organisations et leur ampleur que nous analyserons en procédant à la reconstruction des réseaux relationnels auxquels participaient les officiers de finances de Nouvelle-Espagne. A cette fin, nous serons amenés à écarter ou nuancer, pour la période et l’espace étudiés, les schémas traditionnels appliqués à la société coloniale. Tout particulièrement, nous nous proposons de remettre en chantier la question du clivage entre créoles et péninsulaires dont l’historiographie américaniste a traditionnellement fait l’un des moteurs de l’histoire sociale coloniale.

  • 42 AGI aud. de Mexico, leg. 1073, lib. 27, fol. 349, in R. Konetzke, Colección de documentas para la h (...)
  • 43 L’historiographie latino-américaine des xixe et xxe siècles adopte, plus implicitement qu’explicite (...)
  • 44 Aux travaux de M.A. Burkholder et D. Chandler, S. Socolow et L. Arnold déjà cités, on peut ajouter (...)

31Dans cette perspective, nous nous intéresserons notamment au lien établi entre créolisme et corruption administrative. Durant trois siècles, les métropolitains recoururent à cette équation afin d’écarter les créoles de tout poste de responsabilité. Il suffit, dans ce domaine, de rappeler la jurisprudence coloniale du Conseil des Indes qui, dès le xvie siècle, interdit l’exercice de certaines charges aux créoles, affirmant la préférence péninsulaire. C’est ainsi qu’une cédule royale du 26 mars 1662 écartait de l’accès aux charges administratives les descendants de conquistadors et leur préférait, à mérites et valeurs identiques, les péninsulaires résidant en Amérique, exception faite toutefois des proches des vice-rois, des oidores, des gouverneurs et même des corrégidors, qui tous en restaient exclus42. En contrepartie, des historiens latino-américains ont transformé la pratique de la corruption en une expression d’un proto-nationalisme américain43. Si l’historiographie plus récente a écarté ces simplifications, elle n’en reste pas moins tributaire de tels schémas. Certes, les travaux portant sur la question des pratiques administratives insistent d’abord sur le lien étroit entretenu entre corruption et vénalité, la première devenant un simple effet de cette vente des charges qui inciterait le candidat à se rembourser sur ses administrés44. Cependant, en suivant cette approche, ses adeptes retrouvent inéluctablement le vieil argument des métropolitains contre leurs rivaux. La vente des charges se négociant en priorité auprès des créoles, sa généralisation signifierait une créolisation des institutions coloniales et déboucherait sur l’impuissance de la métropole parallèlement à un détournement généralisé du pouvoir détenu.

  • 45 J.L. Phelan, The kindom of Quito in the 17th Century, Bureaucratie Politic in the Spanish Empire, M (...)
  • 46 Voir en particulier les travaux de Z. Moutoukias, E. Ruiz Medrano et S. Socolow, déjà cités. Pour l (...)

32Certes, il ne peut être question d’écarter radicalement ces approches. Il semble cependant nécessaire de les enrichir en les complétant et en les nuançant. Déjà, J.L. Phelan proposait dans ses études sur l’Équateur du xviie siècle une vision bien plus complexe de la réalité coloniale. Selon ses analyses, les officiers se trouveraient placés à l’intersection des intérêts créoles et métropolitains, entre lesquels ils rechercheraient une situation d’équilibre45. Des travaux plus récents ont repris cette vision en intégrant corruption et créolisme dans une approche globale du fonctionnement de la société coloniale et de l’exercice du pouvoir46. En se fondant sur eux, on peut alors émettre un certain nombre d’interrogations concernant d’abord le clivage entre créoles et métropolitains : correspond-il à une rivalité constante et stable depuis le xviie siècle ? Sur quelles bases fonctionne-t-il réellement ? Ne se plie-t-il pas aux conjonctures, politiques ou économiques, impliquant alors des recompositions constantes au gré des remises en cause des positions acquises ? Quel lien maintient-il avec la mobilité sociale ? De même, la corruption administrative n’est-elle que l’expression d’un autonomisme créole ? Comment alors expliquer le rôle que peuvent y jouer les métropolitains ? Quant à la relation entre corruption et vénalité des offices, la disparition de l’une devrait signifier l’évanouissement progressif de l’autre. Qu’en est-il exactement ? Pour répondre à ces questions, il semble nécessaire d’accepter la corruption non pas comme un accident, une exception ou une anomalie, mais au contraire comme l’un des traits originaux de la pratique du pouvoir de l’époque. C’est dans cette perspective qu’il peut sembler fructueux d’établir un lien entre corruption et clientélisme. La reconstitution des réseaux familiaux des officiers de finances rend alors possible une approche nouvelle des relations sociales dans le monde des élites coloniales, et tout particulièrement pour celles vivant à l’abri de l’appareil d’État.

33Par les questionnements mis en avant autant que par les concepts auxquels leur étude suppose de recourir – affirmation de l’État et de son rôle dans la mobilité sociale, corruption et dysfonctionnements administratifs, clientélisme et solidarités familiales –, ce travail s’inscrit par bien des aspects dans la lignée de ceux des historiens de l’Antiquité romaine adeptes de la démarche prosopographique. Cependant il s’en éloigne considérablement par l’utilisation des sources auxquelles il est redevable ainsi que par l’exploitation à laquelle il a été possible de les soumettre. Les sources utilisées se caractérisent surtout par leur extrême diversité. Nous avons dans un premier temps fait appel aux documents classiques de la prosopographie : états de services des officiers, titres et décrets de nomination, états récapitulatifs des ventes des charges royales, généalogies familiales, répertoires des membres des ordres de chevalerie, récapitulatifs des salaires versés, dénombrements des membres d’un service administratif à un moment donné. Cependant ces sources, malgré leur richesse, ont rapidement révélé leurs limites dans le cadre de notre projet. Nous avons donc étendu notre recherche à des documents de diverses natures qui tous à leur manière répondaient en partie à notre attente.

  • 47 Les problèmes spécifiques posés par les sources judiciaires ont été soulignés depuis longtemps par (...)

34Nous nous sommes en priorité portés vers les sources de la répression judiciaire, tout particulièrement les enquêtes précédant les procès intentés aux officiers de finances pour abus dans l’exercice de leur charge. Ces visitas présentent en effet de nombreux intérêts malgré de réelles difficultés d’exploitation47. Elles offrent d’abord une indiscutable homogénéité, étant toutes construites sur le même modèle judiciaire. Elles recèlent surtout une richesse d’informations exceptionnelle, fourmillant de détails concrets et précis : sur la pratique administrative d’abord, sur de nombreux aspects de la vie des personnes impliquées ensuite, qu’il s’agisse de données socio-économiques, professionnelles ou familiales. Enfin, du fait de leur tendance à impliquer un nombre très important de personnes – tout particulièrement à titre de témoins – elles offrent la possibilité de reconstruire l’environnement social des officiers de finances et au-delà, la société dans laquelle ils s’inscrivent.

35Nous avons également utilisé les sources administratives produites par les officiers eux-mêmes, tout particulièrement la correspondance entretenue avec les autres centres de pouvoir en Nouvelle-Espagne et en Espagne. De même, nous avons recouru à la correspondance de personnes privées s’adressant aux diverses autorités, tant en Amérique qu’en Espagne. Cependant, si ce travail extrêmement fastidieux a parfois pu porter quelques fruits, nous avons dû souvent nous contenter de sondages devant l’ampleur de ces séries.

36Enfin, un dernier grand type de sources a été mis à contribution : il s’agit des documents notariaux. Ils permettent en effet d’approcher au plus près les réalités vécues et perçues par les officiers eux-mêmes. Un inconvénient de taille se présentait cependant à nous : la dispersion géographique des officiers étudiés. Il ne nous a pas été possible de prétendre réaliser des recherches dans tous les centres notariaux de la dizaine de villes où exercèrent les officiers royaux. Nous avons donc choisi de limiter notre travail à trois centres représentatifs de la diversité de la Nouvelle-Espagne de l’époque : celui de la capitale, celui du principal centre minier du nord – Zacatecas –, celui enfin d’une petite capitale régionale – Guanajuato. A travers les contrats dotaux, les testaments, les actes d’achats ou de ventes de biens, les reconnaissances de dettes ou de prêts dans lesquels interviennent les officiers royaux, c’est toute la vie sociale du groupe qui s’inscrit devant nos yeux. C’est aussi – et peut-être surtout – la reconstitution des réseaux de proches, d’amis, de dépendants ou de protecteurs d’officiers royaux qui nous est alors offerte.

37La diversité des sources utilisées présentait peut-être le risque d’accumulation de données éclatées, anecdotiques, ponctuelles et donc difficilement exploitables dans une perspective d’histoire sérielle. Sans prétendre l’avoir totalement et toujours résolu, l’utilisation de l’outil informatique a signifié en permanence un effort d’harmonisation des informations obtenues. Notre premier souci a alors été d’en élaborer une codification systématique. Cette méthode imposait une normalisation des traits particuliers ou spécifiques à des situations vécues afin de les rendre comparables. Cela a signifié l’élaboration de variables – ou champs – suffisamment larges pour accueillir des données diverses mais ayant un même sens, sans pour autant élaborer des cases « fourre-tout ». Si la codification des données concernant la structure administrative, le déroulement des carrières ou les étapes d’une enquête ne posent pas de problèmes insurmontables, il n’en allait pas de même pour les aspects plus qualitatifs des informations recueillies, notamment pour tout ce qui a trait à la vie privée. Dans ce domaine, l’utilisation du logiciel GRIOT ALTERNATIVE nous a tout particulièrement facilité la gestion des relations entre les individus en tenant compte d’un large éventail de nuances.

  • 48 A propos de leutilisation d’informations marginales, il est possible aussi de se servir de la métho (...)

38Cela n’empêche pas l’historien de se retrouver parfois avec des réalités trop diverses pour permettre des comptages solides, cohérents ou significatifs selon les normes de la logique statistique. Aussi avons-nous systématiquement recherché à comprendre, au-delà des simples moyennes ou fréquences dominantes, les situations pouvant paraître hors normes. Évitant de nous limiter à l’élaboration d’un profil moyen, nous avons recherché, aussi bien dans les profils de carrières que dans les comportements individuels, à retrouver les cohérences internes des diverses situations observées. Pour cela nous avons accordé toute notre attention aux informations qui auraient pu paraître « marginales » dans un premier temps afin de les situer dans leur logique familiale ou professionnelle : c’est à ce seul prix que telle anecdote personnelle peut devenir révélatrice et significative d’une situation plus large48.

  • 49 F. Braudel, « Leçon inaugurale au Collège de France », 1er décembre 1950, Ecrits sur l’histoire, p. (...)

39L’application de la méthode prosopographique menée ici ne répond donc que partiellement à ses règles habituelles. Notre objectif a certes été de mesurer, compter, comparer les traits définissant le groupe étudié afin d’en saisir l’éventuelle spécificité et son évolution séculaire. Mais nous avons tout autant cherché à comprendre la logique de mécanismes familiaux, sociaux ou politiques – plus difficilement saisissables et réductibles à des données chiffrées eu égard la documentation disponible – auxquels les individus étudiés participent. Utilisant le quantitatif quand les données le permettaient et quand la question étudiée le demandait, nous n’avons pas négligé pour autant le recours au qualitatif tout en essayant d’éviter l’écueil de la juxtaposition d’anecdotes sans cohérence entre elles. Par ce va-et-vient constant entre ces deux approches, par la recherche de complémentarité entre l’écho documentaire ponctuel et une réalité élaborée par l’historien à partir des données accumulées et exploitées statistiquement, c’est une reconstruction plus complète de la réalité vécue par les officiers royaux de Nouvelle-Espagne qui est recherchée. Ne serait-ce pas là un des moyens d’éviter les risques d’une histoire sociale globalisante ? F. Braudel lui-même y invitait déjà quand il écrivait : « Le danger d’une histoire sociale, nous l’apercevons tous : oublier, dans la contemplation des mouvements profonds de la vie des hommes, chaque homme aux prises avec sa propre vie, son propre destin ; oublier, nier peut-être, ce que chaque individu a toujours d’irremplaçable. Car contester le rôle considérable qu’on a voulu donner à quelques hommes abusifs dans la genèse de l’histoire, ce n’est certes pas nier la grandeur de l’individu, en tant qu’individu, et l’intérêt pour un homme de se pencher sur le destin d’un autre homme »49.

Notes

1 Comme l’avoue P. Molas Ribalta à propos de ses recherches sur les Audiences espagnoles. « L’étude sociale des audiencias dans l’Espagne moderne : Valence au xviiie siècle », F. Autrand édit., Prosopographie et genèse de l’Etat moderne, Coll, de l’Ecole Normale Supérieure de jeunes filles, n° 30, Paris, 1986, p. 144.

2 Les actes de la Table Ronde édités par Hélène Millet sont une excellente illustration de cet éclatement de la prosopographie appliquée à des sujets fort éloignés, comme elle l’écrit elle-même non sans humour dans son avant-propos. Informatique et prosopographie. Table Ronde du CNRS, Paris 1984, p. 11, Paris, 1985.

3 L’étude des 60 000 galériens menée par André Zysberg est un exemple de ce glissement vers des études massives de groupes sociaux : Les galériens, vies et destins de 60 000 forçais sur les galères de France (1640-1748), Paris, 1987. D’autres projets, encore plus amples et en cours de réalisation, sont révélateurs de cette « inflation » qui touche les groupes étudiés. On peut citer tout particulièrement le projet du P.A.P.E., coordonné par J.P. Dedieu (CNRS, M. P. I., Bordeaux) et M.V. López Cordon (Univ. Complutense, Madrid) qui met en fiche l’ensenble du personnel administratif et politique espagnol du xviiie siècle. D’autres projets concernant la constitution de bases de données des populations urbaines à certaines époques sont sans doute encore plus ambitieux. Voir notamment A.-M. Hayez, « Prosopographies avignonnaises du xive siècle : perspectives et problèmes d’un projet d’informatisation » et M. Luzzati, « La reconstruction nominative et prosopographique de la population d’une ville médiévale : projet de constitution d’une banque de données pour l’histoire de Pise au xve siècle », in Informatique et prosopographie, op. vit., pp. 135-158.

4 Selon la définition qu’en donne Littré en 1863.

5 H. Millet, op. cil., p. II.

6 Définition établie à partir de celle proposée par Françoise Autrand dans Prosopographie et genèse de l’Etat moderne, op. cit., p. 10.

7 Introduction au dossier « Prosopographie et histoire sociale : Rome et l’Italie à l’époque républicaine », Annales ESC, 25e année, sept.-oct. 1970, n° 5, p. 1210.

8 Tel était bien pour l’essentiel le projet de l’école de Breslau autour de C. Cichorius ainsi que celui élaboré par l’Académie Royale de Prusse autour de Mommsen. Voir M. Christol, « Prosopographie et histoire de l’Etat : le cas de l’Empire romain », F. Autrand édit., Prosopographie et genèse de l’Etat moderne, op. cil., p. 20 et C. Nicolet, « Rome à l’époque républicaine », Annales ESC, n° 5, 1970, pp. 1212-1221.

9 M. Christel, « Prosopographie et histoire de l’État », op. cit., p. 22 et suivantes.

10 Ibid., p. 24.

11 Non pas nécessairement par un choix lié à un thème de recherche particulier comme cela avait pu l’être pour les historiens de l’Antiquité romaine, mais essentiellement du fait de l’abondance documentaire que toute administration secrète sur ses propres membres.

12 F. Autrand, « Y a-t-il une prosopographie de l’État médiéval ? », in F. Autrand édit., Prosopographie et genèse de l’Etat moderne, op. cit., p. 14.

13 Expression de Cl. Nicolet, op. cit., p. 1226.

14 Comme le démontre Cl. Nicolet, op. cit., p. 1227.

15 J. Nagle, « Prosopographie et histoire de l’État : la France moderne xvie-xviiie siècles », in F. Autrand édit., Prosopographie et genèse de l’Etat moderne », op. cit., p. 78.

16 Ibid.

17 M. Mörner, Race mixture in the History of Latin America, Boston, 1967.

18 Les arrivées des vice-rois étaient tout particulièrement l’occasion de faire apparaître le corps des officiers de finances parmi les autres composantes de la société coloniale. C’est ainsi que les membres de la cour des comptes suivaient lors de toutes les fêtes les juges de l’audience qui se trouvaient toujours placés aux premières loges. Puis venaient les officiers royaux symboliquement représentés par ceux de la caisse de Mexico. Cette même préséance était reprise lors des audiences solennelles vice-royales, ou encore lors des processions accompagnant les principales fêtes. C’est ce que révèlent les chroniqueurs de la vie sociale de la Nouvelle-Espagne et plus particulièrement celle de la capitale vice-royale. A. Robles, Diario de sucesos notables (1665-1703), 3 t., Mexico, 1972 ; J.F. Sahagún de Arévalo y Ladrón de Guevara, La Gaceta de México (1722-1742), Mexico, 1986 ; G.M. de Guijo, Diario 1648-1664, Mexico, 1952 ; J.M. de Castro Santa Ana, « Diario curioso de México (1742-1758) », et J. Gómez, « Diario curioso de México (1776-1798) », in M. Orozco y Berra, Documentas para la historia de México, la serie, vols. 4 à 6 et vol. 7 respectivement, Mexico, 1854. On pourrait enfin consulter les plaintes concernant les questions de préséance qui font foi de la vigueur de cet aspect dans les relations sociales en Nouvelle-Espagne dans la section gobierno, série audiencia de México à l’AGI de Séville.

19 J. Tutino, Creole Mexico : Spanish Elites, Haciendas and Indians Towns, Ann Arbor, 1976.

20 Les divers travaux de H. Pietschmann offrent une réflexion fondamentale sur la problématique concernant l’approche de l’appareil administratif colonial et de ses agents : El estado y su évolución al principio de la colonización española de América, Mexico, 1989 et « Les Indes de Castille » in Le premier âge de l’Etat en Espagne (1450-1700), Bordeaux, 1989. L’administration centrale a été étudiée pour deux importantes capitales de vice-royautés du xviiie siècle : Buenos-Aires et Mexico. L. Arnold, Bureaucracy and Bureaucrats in Mexico City, 1742- 1835, Tucson, 1988 et S. Socolow, The Bureaucrats of Buenos-Aires, « El amor al real servicio » (1769-1810), Durham, 1988. Leappareil judiciaire et ses agents ont fait quant à eux l’objet de nombreuses et solides études. Parmi celles-ci nous distinguerons les travaux de M. Burkholder et D. Chandler et celui de A.M. Brénot qui constituent des mises au point importantes et récentes. M. Burkholder et D. Chandler, Front Impotence to Authority, the Spanish Crown and the American Audiencias, 1687-1808, Columbia, 1977 et Biographical Dictionary of Audiencias Ministers in the Americas (1687-1821), Wesport, 1982 ; M.A. Burkholder, Biographical Dictionary of Councilors of the Indies (1717-1808), Wesport, 1986 ; A.M. Brénot, Pouvoirs et profits au Pérou colonial au xviiie siècle. Gouverneurs, clientèles et ventes forcées, Paris, 1989.

21 A. Buschnell, The King’s Cooffers, Proprietors of the Spanish Florid Treasory, Gainesville, 1981.

22 Le portrait de Charles II réalisé par Carreño de Miranda traduit dans toute sa dureté ce sentiment de dégénérescence d’une dynastie qui menace à terme le royaume lui-même. Bibliothèque de l’Escorial.

23 B. Bennassar, « Une génération perdue ?, 1665-1700 », in Bartolomé Bennassar édit., Histoire des Espagnols, pp. 487-511, Paris, 1992.

24 J.I. Israel, Razas, clases sociales y vida política en el México colonial, 1610-1670, Mexico, 1980, pp. 274-275. Il ne peut être ici question de reprendre tous les travaux qui, portant sur la conjoncture du xviie siècle en Nouvelle-Espagne, discutent de la profondeur et de la réalité de cette crise. On peut tout particulièrement se reporter à l’article de J.J. Te Paske et H. Klein, « The seventeenth-century Crisis in New Spain : Myth or Reality ? », Past and Present, février 1981, n° 90, pp. 116-135. Il a efficacement lancé une réflexion qui s’est prolongée depuis, en incluant la conjoncture du xviiie siècle. Le travail de H. Klein et J. Barbier, « Recent Trends in the Study of Spanish American Colonial Public Finance », Latin American Research Review, vol. 23, n° 1, 1988, pp. 35-62, établissait un bilan de ce débat en cours. Un des aboutissements récents en est la synthèse de R.L. Gardner et S.E. Stefanou, Economie Growth and Change in Bourbon Mexico, Gainesville, 1993.

25 Si la formule de M.A. Burkholder et D. Chandler est sans doute un peu trop abrupte, elle traduit parfaitement le caractère de cette période, à la fois aboutissement d’un déclin irrémédiable et genèse d’un renouveau créateur.

26 J.C. Waquet, De la corruption. Morale et pouvoir à Florence au xviie et xviiie siècles, Paris, 1984.

27 S. de Cobarrubias, Tesoro de la lengua castellana o española, [1611], Madrid, 1977 ; J. Nicot, Trésor de la langue française tant ancienne que moderne [1606], Paris, 1979 ; A. de Furetière, Le dictionnaire universel, édit, par A. Rey, Paris, 1978 ; E. Littré, Dictionnaire de la langue française [1877], Paris, 1963.

28 J.C. Waquet, De la corruption..., op. cil., p. 21.

29 N. Herpin, Les sociologues américains et leur siècle, p. 38, Paris, 1973.

30 J. Van Klaveren, « Die historische Erscheinung der Korruption, in ihrem Zusammenhang mit der Staats-und Gesllschaftsstruktur betrachtet », Vierteljahrschrift fur Social-und Wirtschofts-Geschichte, vols. 44-4, 45-4 et 46-2, 1958-59.

31 J. Vicéns Vives : « La estructura administrativa estatal en los siglos XVI y XVII », in Coyuntura económica y reformismo burgués, editorial Ariel, Barcelone, 1969.

32 H. Pietschmann, « Burocracia y corrupción en Hispanoamérica colonial, una aproximación tentativa », Nova Americana, n° 5, Turin 1982.

33 Tel est le cas de toutes les grandes études sur le commerce américain. L. Garcia Fuentes, El comercio español con América (1650-1700), Séville, 1980 ; E. Lorenzo Sanz, El comercio de España con América en la época de Felipe II, 2 t., Valladolid, 1979-1980 ; A. Garcia Baquero, Cádiz y el Allántico, el comercio colonial español bajo el monopolio gaditano, 2 t., Séville, 1976 ; G.J. Walker, Politica española y comercio colonial (1700-1789), Barcelone, 1979 ; M. Morineau, încroyables gazettes et fabuleux métaux, les retours des trésors américains d’après les gazettes hollandaises (xvie-xviiie), Paris, 1985 ; R. Aizpurua Aguirre, Curazao y la Costa de Caracas. Introducción al estudio del contrabando de la provincia de Venezuela en tiempos de la Companía Guipuzcoana (1730-1780), Caracas, 1993.

34 Dans une bibliographie copieuse sur ce sujet, on peut citer en particulier les travaux de A.M. Brénot, Pouvoirs et profits au Pérou colonial..., op. cit. pour les Andes et H. Pietschmann, « Alcaldes mayores, corregidores und subdelegados. Zum problem der distriktsbeamtenschaft im wizekönigreich Neuspanien », Jahrbuch für Geschichte von Staat, Wirtschaft und Gesellschafl Laleinamerikas, vol. 9, 1972, pp. 173-270 ainsi que « El comercio de repartimiento de los alcaldes mayores y corregidores en la región de Puebla-Tlaxcala en el siglo XVIII », Simposio hispanoamericano de indigenismo histórico de la Universidad de Valladolid, in Estudios sobre política indigenista española en América, t. 3, pp. 147-153, Valladolid, 1977.

35 S. Socolow, The Bureaucrats of Buenos-Aires..., op. cit. et The Merchants of Buenos-Aires, 1778-1810, Family and Comerce, Cambridge, 1978 ; Z. Moutoukias, Contrabando y control colonial en el siglo XVII, Buenos-Aires, 1988.

36 B. Lavallé, Le marquis et la marchand, luttes de pouvoirs au Cuzco (1700-1730), Bordeaux, 1987.

37 H. Pietschmann, « Burocracia y corrupción en Hispanoamérica colonial... », op. cil. ; E. Ruiz Medrano, Gobierno y sociedad en Nueva España ; segunda audiencia y Antonio de Mendoza, Mexico, 1991 ; L. Schell Hobermann, Mexico’s Merchant Elite (1590-1660), Silver, State and Society, Durham, 1991 ; J.R. Booker, Veracruz Merchants (1770-1829). A Mercantile Elite in late Bourbon and early Independent Mexico, Boulder, 1993.

38 A.M. Brénot, « L’étude du non-pouvoir dans 9El estado político del reyno del Perúe de V. Montero del Aguila [1742] », Histoire, Economie, Société, vol. 8, n° 2, Paris, 1989.

39 F. Bayard, Le monde des financiers au xviie siècle, Paris, 1988 ; D. Dessert, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, 1984 et M. Bruguière, Gestionnaires et profiteurs de la Révolution : l’administration des finances françaises de Louis XVI à Bonaparte, Paris, 1986.

40 B. Bennassar : « Aux origines du caciquisnre : les familiers de l’Inquisition en Andalousie au xviie siècle », Caravelle, n° 27, pp. 63-71, Toulouse, 1976 et L’homme espagnol, attitudes et mentalités du xvie au xixe siècle, Paris, 1975. Cette réalité est d’ailleurs loin de disparaître avec les Indépendances. Dans sa synthèse sur le politique dans le monde andin, M.D. Demélas montre la continuité qui opère dans ce domaine par-delà les coupures institutionnelles. M.D. Demélas, L’invention politique, Bolivie, Equateur, Pérou au xixe siècle, Paris, 1992.

41 Y. Durand, Les solidarités dans les sociétés humaines, pp. 152-183, Paris, 1987.

42 AGI aud. de Mexico, leg. 1073, lib. 27, fol. 349, in R. Konetzke, Colección de documentas para la historia de la formación social de Hispanoamérica (1493-1810), t. 2, p. 727, Madrid, 1953-58.

43 L’historiographie latino-américaine des xixe et xxe siècles adopte, plus implicitement qu’explicitement, cette vision. On peut se reporter par exemple, à J. Bravo Ugarte, Hisloria de México, 3 vols., Editorial Jus, Mexico, 1941 (7e édition) ou A. Cue Canovas, Historia politica de México, Mexico, 1957 (2e édition).

44 Aux travaux de M.A. Burkholder et D. Chandler, S. Socolow et L. Arnold déjà cités, on peut ajouter ceux de D. Brading, « Gobierno y élite en el México colonial durante el siglo XVIII », Historia Mexicana, vol. 2,3, n° 92, 1974/4, pp. 611-645 ; J.A. Barbier, « Elite and cadre in Bourbon Chile », Hispanic American Hisloriacal Review, vol. 52, n° 3, 1972, pp. 416-435 ; K. Andrien, Crisis and Decline : the Viceroyally of Peru in the Seventeenlh Century, Albuquerque, 1985.

45 J.L. Phelan, The kindom of Quito in the 17th Century, Bureaucratie Politic in the Spanish Empire, Madison, 1968 et « Authority and Flexibility in the Spanish Impérial Bureaucracy », Administrative Science Quaterly, vol. 5, n° 1, pp. 47-65, juin 1960.

46 Voir en particulier les travaux de Z. Moutoukias, E. Ruiz Medrano et S. Socolow, déjà cités. Pour les aspects plus proprement politiques de ces conflits, voir J.J. Israel, Razas y clases sociales y vida política en el México colonial (1610-1670), FCE, 1975.

47 Les problèmes spécifiques posés par les sources judiciaires ont été soulignés depuis longtemps par tous les historiens les ayant utilisées – B. Bennassar et les documents inquisitoriaux, N. et Y. Castan pour ceux produits par la justice civile ou criminelle, E. Leroy Ladurie dans son compte-rendu du travail de R. Mandrou sur les magistrats de Paris, R. Muchembled pour ce qui est des procès infligés aux sorcières... Dans un article récent, A. Farge a proposé à son tour quelques réflexions sur ce matériau difficile à exploiter : « Les archives au singulier. Quelques réflexions à propos des archives judiciaires comme matériau de l’histoire sociale », in C. Charles (coord.), Histoire sociale, histoire globale ?, Paris, 1993. A ces obtacles d’ordre méthodologique se greffent deux inconvénients supplémentaires. Ces visitas se caractérisent par leur lourdeur paperassière. Une enquête d’importance représente au bas mot 2 à 3 000 folios : parmi la vingtaine exploitée ici, une dizaine étaient de cette taille... Surtout, elles sont rarement complètes à cause des procédures d’appels successifs auprès de diverses instances judiciaires rivales et du fait du droit de juger réservé dans certains cas au seul Conseil des Indes.

48 A propos de leutilisation d’informations marginales, il est possible aussi de se servir de la méthode du khi-deux qui mesure le degré de probabilité pour que deux variables qualitatives ne soient pas indépendantes. Cette méthode de calcul permet de voir dans des données a priori marginales ou non corrélées des réalités plus significatives que de simples données brutes ne le laisseraient entrevoir. Voir en particulier P. Cibois, « Les petits effectifs dans les enquêtes et l’usage du khi-deux », Informatique et prosopographie, Table Ronde du CNRS éditée par H. Millet, Paris, 1985 et J. Heffer, J.L. Robert, P. Saly, Outils statistiques pour les historiens, chap. 9, Publications de la Sorbonne, Paris, 1981.

49 F. Braudel, « Leçon inaugurale au Collège de France », 1er décembre 1950, Ecrits sur l’histoire, p. 35, Paris, 1969.

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