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L’Europe des Français, 1943-1959

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Gérard Bossuat

Troisième partie. L’intégration européenne des années 1955-1958, expression de la modernité française

12. Les Français et l’intégration invariants et conjoncture

Texte intégral

  • 1 L’enquête se fonde d’abord et avant tout sur la production historique des jeunes chercheurs de l’I (...)
  • 2 Sondages, 1958, n° 1 et 2, « La politique étrangère de la France et l’opinion publique, 1954-1957  (...)
  • 3 Jean-Baptiste Duroselle, « les invariants de la politique étrangère de la France », Politique étra (...)

1Comment percevoir les intentions des Français face à l’intégration européenne ? La réponse est-elle dans les sondages, encore très rares entre 1945 et 1959 ? Une autre façon de comprendre les Français est de chercher les réactions des milieux économiques, sociaux, politiques et culturels, religieux, auxquels ils s’identifient. Ainsi peut-on dessiner les images de l’Europe au sein de la société française. Mais si l’objectif est clair, l’analyse est plus délicate. Les choix de politique européenne sont connus pour les partis politiques. Dans les pages précédentes nous avons pu les montrer en action, agissant au Parlement ou dans les gouvernements. Mais l’état d’esprit des militants est bien mal connu en raison des difficultés de l’enquête. Le comportement des milieux économiques et financiers est connu, comme l’est aussi celui des hauts fonctionnaires. Ce sont des groupes qui parlent. Mais que dire des femmes par exemple, des milieux artistiques, cosmopolites par vocation, des milieux religieux, des enseignants, des ruraux, des ingénieurs, des milieux du tourisme ? On pourrait ainsi « casser » à l’infini la société française pour analyser l’attitude de chacune de ses parties face à l’intégration européenne et aboutir ainsi à une image plus élaborée de la réalité française1. Retenons ces mots de J.-B. Duroselle avant de nous immerger dans les choix de la société française : « Il existe réellement en France un mythe de la nostalgie, de la solitude, le regret de la grandeur révolue2 ». Ce mythe, qui est aussi un espoir, a influencé la décision en politique européenne. Il a fonctionné encore à l’époque de Maastricht. Il est, semble-t-il un élément structurant du comportement des Français face à l’Europe. Jean-Baptiste Duroselle a essayé de cerner les « invariants » de la politique étrangère de la France3. Il en cite cinq : la volonté d’être un Etat centralisé, la volonté de surpasser l’État (le rêve français d’universalisme), douceur et tolérance, démocratie, « la satisfaction relative ». Existe-t-il en France une disposition profonde, un invariant, qui donnerait la clef des choix français en matière d’unité européenne ?

Les Français, l’Europe et les sondages

2Sans vouloir expliquer la politique européenne des gouvernements par le comportement moyen des Français tel qu’il transparaît dans les sondages, il est utile de mettre en relation les sondages et les prises de décisions de politique européenne de la France.

L’Union de l’Europe

3Dans les années 1956-57, les Français savent ce qu’est l’Union de l’Europe à travers les exemples de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) ou du Conseil de l’Europe. Les sondages montrent la faveur dont jouit l’idée d’Union européenne de 1948 à 1957.

Tableau 1, Attitudes à l’égard de l’Union de l’Europe

Tableau 1, Attitudes à l’égard de l’Union de l’Europe
  • 4 Christine Manigand et Anne Dulphy, « L’opinion publique française face à l’unification européenne  (...)

4Une moyenne de six personnes sur 10 se déclarent continûment favorable à l’effort d’unification européenne4. Toutefois ce type de sondage est très général. De quelle Europe s’agit-il ? Les Français ne conçoivent guère une union européenne sans la Grande-Bretagne. Donc les projets de petite Europe à Six ne font pas l’unanimité. Que signifie être favorable à l’idée d’Europe ? Bien peu des sondés seraient favorables à une union politique européenne (2 sur 10). Quelle différence les sondés font-ils entre coopération intergouvernementale et fédération ? Ces nuances leur échappent manifestement. Les atteintes aux souverainetés nationales sont discutées. En revanche l’intérêt est très fort pour une Union économique qui peut améliorer, croit-on, le niveau de vie. L’analyse de détail menée par les professionnels des sondages montre que les Français résistent à la coopération franco-allemande. Leurs dirigeants, méfiants sur le plan du réarmement allemand, sont donc à l’unisson de la population. Les fruits du plan Schuman, pour réels qu’ils sont, n’ont pas transformé l’esprit des Français. Les structures gouvernementales, en revanche, l’ont été en partie. L’Union dans le domaine militaire est rejetée. L’échec de la CED devant l’Assemblée nationale le prouve, comme le prouve paradoxalement le secret entourant les efforts franco-allemands de coopération militaire. L’absence de la Grande-Bretagne touche les Français qui en conçoivent de l’amertume et de la peur. La notion de supranationalité est-elle comprise pour la CECA ? La réponse est négative. Aussi ne s’étonne-t-on pas que le débat sur les institutions ait été réservé aux spécialistes.

  • 5 Christine Manigand et Anne Dulphy, « L’opinion publique française face à l’unification européenne  (...)
  • 6 Sondages, 1958, n° 1 et 2, La politique étrangère de la France et l’opinion publique, 1954-1957, p (...)

5Les Français veulent-ils l’Europe ? Certainement, comme le prouve le sondage précédent. Depuis dix ans qu’ils sont interrogés, ils sont plus de 6 sur 10 à souhaiter l’Union de l’Europe avec pour partenaires l’Allemagne de l’ouest, l’Italie et les trois pays du Bénélux. Mais en affinant la réflexion on s’aperçoit que seuls 30 % restent fidèles à l’unité européenne, quels que soient les chocs encaissés contre l’idée d’unité. Des auteurs parlent d’un tiers d’activistes pour la cause européenne, d’un tiers de suivistes, d’où la notion de consensus mou sur les questions d’unité européenne5. Quelles institutions veulent-ils ? Quels domaines de l’Union désirent-ils privilégier ? Quelles limites souhaitent-ils à l’Union européenne ? Les réponses montrent qu’un tiers seulement souscrit pleinement aux objectifs d’Euratom, de la CED, du Marché commun, et espère voir l’Union européenne se réaliser de leur vivant. Un autre tiers accepte les créations en cours. Il y a donc à côté des opposants résolus, un bon tiers, un courant d’indécis malléables qui fait les majorités. Les opposants se recrutent à tous les niveaux sociaux, preuve que la résolution anti-européenne est partagée quel que soit le niveau d’instruction. L’expérience récente du traité d’Union européenne de Maastricht confirmer la volatilité de ce courant indécis au point de grossir le camp des opposants et de menacer réellement la majorité décidée à ratifier le traité. La remarque des observateurs de 1958 est très utile pour analyser le comportement des Français de 1993 : « Un courant d’hostilité à l’Union de l’Europe, pour minoritaire qu’il soit, reste en effet parfaitement sensible dans l’opinion, susceptible d’attirer à lui dans certains cas des masses importantes de suffrages flottants6 ».

  • 7 voir Annick Percheron, « Les Français et l’Europe, acquiescement de façade ou adhésion véritable ? (...)

6Le degré d’intérêt pour l’unité européenne est fonction de l’approche concrète. En plein cœur de la bataille pour la CED, dans l’été 1954, 63 % des personnes interrogées sont favorables à l’unité européenne, mais seulement 30 % sont attachées au traité de CED. L’unité dans le domaine militaire, à six, face à l’Allemagne, ne plaît décidément pas. Ne serait-ce pas là l’indication que fonctionne l’un des invariants décelés par Jean-Baptiste Duroselle, la conscience que la France est un vieil État centralisé ? Les Français mettent en avant des objectifs nationaux tels que l’augmentation de leur niveau de vie et la conservation de l’Union française, sauf quand la construction européenne peut améliorer leur niveau de vie. On observe aussi que le désir d’Europe croît avec l’élévation de la formation intellectuelle ou l’aisance des revenus. Ces catégories sociales pensent-elles que l’unité apportera plus de bien-être ou plus d’harmonie et de sécurité dans les relations internationales ? Ce modèle de comportement semble être vrai dans les années 50 comme dans les années 907.

7Mais comment interpréter le fait que les deux tiers (64 %) de la population sont informés du Marché commun en 1957, soit davantage qu’Euratom (53 %), l’OTAN, ou les affaires du Moyen-Orient ? Cet intérêt est relativisé par une meilleure connaissance de deux événements qui ont frappé les Français, la livraison d’armes américaines et britanniques à la Tunisie (82 %) et le lancement du Spoutnik russe (96 %). Pourtant le taux d’information sur la CEE est particulièrement élevé pour le type de thématique. Faut-il y voir les efforts de Guy Mollet pour informer l’opinion française des enjeux européens ? Faut-il comprendre que le tissu économique français était très réactif aux projets de marché commun ?

L’image de l’Allemagne

8Les sondages sur l’image de l’autre sont très contrastés et pleins de renseignements. Dans le cadre de la construction de l’Europe, l’Allemagne de l’ouest est le partenaire désigné par les gouvernements français et par les alliés occidentaux. L’image de l’Allemagne de l’ouest s’est améliorée aux yeux des Français :

Tableau 2. Image de la RFA. en France

Tableau 2. Image de la RFA. en France

9En revanche l’image de l’Angleterre s’est effritée, tout en restant à un niveau de satisfaction très élevée.

Tableau 3. Image de la Grande-Bretagne en France

Tableau 3. Image de la Grande-Bretagne en France
  • 8 Sondages, 1958, n° 1 et 2, La politique étrangère de la France et l’opinion publique, 1954-1957, p (...)

10Si l’on met dans la même colonne les opinions moyennes et bonnes, on est surpris du retournement de tendance envers l’Allemagne. Les chiffres infirment le commentaire de la revue Sondages selon qui « le courant de défaveur l’emporte en ce qui concerne l’Allemagne de l’ouest8 ».

Tableau 4, Opinions françaises sur la RFA. et la Grande-Bretagne en pourcentage

Tableau 4, Opinions françaises sur la RFA. et la Grande-Bretagne en pourcentage

11L’image de l’Allemagne s’est notablement améliorée entre 1954 et 1957, même si l’Allemagne reste un ennemi de la France. Elle est un ennemie de la France en 1953 et en 1954 pour 16 % puis 22 % des sondés, mais l’URSS est encore plus menaçante pour 17 % et 27 % des sondés.

12Curieusement, en dépit de l’amélioration de l’image de l’Allemagne en France, les sondages révèlent la permanence de la méfiance. Les Français estiment encore que les Allemands sont globalement dangereux, que les clauses de Versailles en 1919 n’étaient pas assez dures, alors que les historiens modèrent très fortement cette appréciation. Ils s’interrogent sur les changements de comportement des Allemands dans les années cinquante. Ils sont sceptiques sur les chances d’une entente franco-allemande, mais ils approuvent le rapprochement franco-allemand. Ils demandent une entente avec l’Allemagne de préférence dans un cadre bilatéral (31 %), puis européen (22 %), ensuite mondial (19 %), enfin atlantique (6 %).

Le mythe du nucléaire

  • 9 Sondages, 1958, n° 1 et 2, La politique étrangère de la France et l’opinion publique, 1954-1957, p (...)

13Le gouvernement français a beaucoup insisté pour créer une Europe de l’énergie atomique. L’opinion publique manifeste de son côté le même intérêt. Alors qu’à Messine, la décision est prise de lancer une négociation sur l’Europe atomique, le Marché commun et des autorités dans les transports et les énergies classiques, l’esprit public s’emballe pour le nucléaire9.

Tableau 5, Question : L’énergie atomique sera en définitive pour l’humanité :

Tableau 5, Question : L’énergie atomique sera en définitive pour l’humanité :

14La période de Messine correspond à un grand moment de ferveur nucléaire qui s’estompe rapidement ensuite. L’opinion a-t-elle pris conscience des dangers du nucléaire militaire ? En 1957 les premiers missiles intermédiaires sont opérationnels. Le lancement de Spoutnik confirme la maîtrise du feu nucléaire spatial par les Soviétiques. La bombe H anglaise est expérimentée. Le gouvernement de Guy Mollet a profité de la vague favorable et lancé le débat indicatif dans l’opinion et au Parlement en juillet 1956, avant le débat sur le Marché commun.

  • 10 37 % pour, contre 22 % et 41 % n.s.p.p.

15Les sondages donnent une image très nette du sentiment populaire envers l’énergie atomique. Les Français sont majoritairement favorables (87 %) à l’interdiction de la fabrication des armes atomiques en 1955. Mais en décembre 1957, l’opinion accepterait que la France soit mise au courant des secrets nucléaires américains10. L’insistance des gouvernements de la IVe République à expérimenter la bombe atomique, une décision formelle de Félix Gaillard en avril 1958, s’appuie sur une majorité relative de l’opinion.

La CED et l’Allemagne

16La question des rapports franco-allemands reste difficile. D’un côté l’opinion évolue et accepte de vivre avec l’Allemagne, d’un autre elle garde ses distances. En septembre 1954, 32 % des sondés auraient voulu la CED, contre 33 % qui la rejetaient et 35 % qui ne se prononçaient pas. Cette forte proportion des « ne se prononcent pas » était sans doute la plus troublante après 4 ans de débats. De même que les électeurs du parti socialiste se partageaient également, de même les députés socialistes épousaient les comportements des militants. En revanche 78 % des électeurs proches des communistes refusaient la CED, tandis que 60 % des proches du MRP l’acceptaient. Les sondages reflètent bien les peurs enfouies dans les consciences. La CED ne rallie pas une majorité de Français. Le fait que la Grande-Bretagne en soit absente n’est pas rassurant. Aussi les propositions de Mendès France et d’Eden de créer une Union de l’Europe occidentale, élargie à la Grande-Bretagne, garantie par les États-Unis, ont-elles permis le réarmement de l’Allemagne. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner de voir que 45 % des Français préfèrent une Allemagne divisée, en juillet 1954, contre 23 % qui la veulent unifiée. Cette disposition d’esprit à l’égard de l’Allemagne a duré jusqu’à la réunification de 1989 où les plus éminents dirigeants français ont marqué encore une résistance passive.

  • 11 SGCI, F60, classement provisoire, carton 24, dossier 122-22A, J. Piette, présidence du Conseil, ca (...)

17Que conclure de l’état d’esprit de l’opinion publique française à propos de l’Europe ? Elle manifeste une sympathie prononcée qui soutient l’action des gouvernements. Mais elle doute profondément de l’Allemagne. L’Allemagne joue-t-elle le jeu de la démocratie et de l’entente avec la France ? L’unité européenne est très sympathique quand elle semble augmenter le niveau de vie personnel. Elle n’a guère de sens sans les Britanniques. Le succès du plan Schuman n’est pas dû à une quelconque vertu fédérale, mais à la surprise qu’il procure, et parce qu’il se cantonne au domaine économique. Le Marche commun, critiqué par l’opinion parce qu’il est à Six, obtient le soutien des Français parce qu’on sait bien que les entreprises françaises en profiteront et que le niveau de vie augmentera. Il existe donc un état d’esprit favorable à l’unité économique de l’Europe mais l’opinion semble en rester là. Les sondés n’en font pas un objectif de politique étrangère, à la différence des gouvernements qui généralement choisissent de donner une finalité politique à des projets économiques. L’opinion publique croit-elle à l’Union européenne ? Les sondages évoquent un soutien de raison plus que d’enthousiasme. Comme au moment du traité de Maastricht, se posait alors la question de l’information de l’opinion. Au temps du plan Marshall et de l’OECE, les gouvernements et l’ECA avaient répondu par une action de propagande de nature anti communiste. Â la fin de la IVe République, sans doute en raison de la diminution de la tension est-ouest, on recherche une propagande, voire une information plus ciblée. Comme maintenant, les spécialistes de l’information sentent la vanité d’une information trop technique. Ils se demandent comment intéresser au Marché commun « la ménagère, le paysan, l’ouvrier, l’industriel, l’automobiliste, le touriste, l’étudiant... Sinon il faudra s’en tenir à ce que l’on a fait à présent, i.e. aux généralités techniques qui passent par dessus les têtes11 ».

Les forces sociales et la décision de construire l’Europe.

18Il faut tenter maintenant de définir les positionnements des forces sociales françaises, tout en sachant bien qu’il existe encore de nombreux « blancs ». Mais l’approche plus fine des acteurs de la société française révèle les véritables centres d’intérêt, les tensions et les possibilités de cette société, bousculée par une défaite et l’américanisation.

Les pionniers

  • 12 Voir sur ce thème de la réconciliation le travail de Anne Deschryver, l’Office franco-allemand pou (...)

19Par pionniers nous entendons ceux qui, en 1945, ont dépassé les affrontements nationalistes ou les projets de vengeance. Tout commence autour du couple franco-allemand dans le domaine de l’unité européenne. Â l’opposé d’une opinion moyenne montée contre l’Allemagne, des personnes ou des groupes ont compris qu’une autre voie était possible. Ces pionniers ont été mis en scène au moment où ils intervenaient dans les affaires du pays dans les pages précédentes. Monnet en 1943, Blum et d’autres ont compris que les deux nations devaient vivre ensemble. Mais dans la société civile, des pionniers de la réconciliation et donc de l’unité européenne sont repérables. En zone française d’occupation, le Jésuite Jean Du Rivau fonde une revue éditée en français et en Allemand : Documents et Dokumente. Le premier numéro sort en août 1945. Il crée bientôt le Bureau international de liaison et de documentation, (BILD) et la Gesellschaft für übernationale Zusammenarbeit, (Güz). René Cheval, Emmanuel Mounier, Alfred Grosser, Josef Rovan concourent à cette approche culturelle de l’ex-ennemi allemand12. Mais les témoignages vécus rappellent aussi combien le proche passé pèse sur le présent au point de limiter l’action de réconciliation entre les jeunesses. Cette connaissance de l’autre a culminé dans la mise en place, au temps de l’entente Adenauer-De Gaulle, de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse. Le temps des pionniers s’estompait.

Le camp de la peur

20Le camp de la peur était le plus nombreux en 1945. L’idée d’Europe était suspecte. Les Français avaient entendu parler d’Europe en termes de domination allemande. Marcel Déat, quelques jours après la rafle des Juifs français au Vel’ d’ Hiv, en juillet 1942, enjoignait ses compatriotes d’accepter l’Europe allemande. Le camp de la peur se rendait compte, comme les pionniers, que les États européens ne comptaient plus. Que faire sinon reconstruire toute l’Europe ? Malheureusement, les sources de richesses les plus évidentes à l’époque, le charbon, l’acier, l’industrie se trouvaient en Allemagne. Or les Français repoussaient tout relèvement allemand. L’unité de l’Europe était donc impossible, sauf si une Europe des alliés ou une Europe française imposait sa loi à l’Allemagne. Il fallut qu’un non européen, le général Marshall, demande aux Européens de s’unir pour que s’ébranle un processus d’unité. Le camp de la peur était contradictoire. Il ne pouvait refuser l’unité car il la sent nécessaire. Il pouvait la freiner.

  • 13 dans le carton 560 AP 61, le nom, l’origine et la date de ces déclarations pétitions, ou lettres s (...)

21Mais qui appartient au camp de la peur ? Il désigne à la fois ceux qui sincèrement ont peur de l’unité et ceux qui utilisent la peur pour prendre le pouvoir, comme le montrent les lettres reçues par René Pleven au moment de la CED13. Pourquoi est-on opposés à la CED ou à l’UEO en 1954 ? Les sondages comme l’expression libre le confirment. La raison principale n’a rien à voir avec l’intégration européenne mais avec le réarmement allemand. Cette raison est donnée généralement par les syndicalistes de la CFTC, autonomes, CGT, agriculteurs, la Fédération Nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes. Il ne faut pas donner des armes aux bourreaux ni réarmer les revanchards, disent Frachon ou Le Leap à la CGT. Le SNI a peur d’un réarmement allemand qui donnerait le signal d’une guerre atomique. La Fédération des Travailleurs du Textile de France et des Pays d’Outremer repousse le réarmement allemand parce que le textile est une industrie de paix qui a tout à perdre du réarmement ! Des associations de Polonais en France veulent le respect de la nouvelle frontière Oder-Neisse. « La Wermacht est prête à démarrer dès que les élus de la France auront dit oui » dénoncent-elles. Le secrétaire de la F.E.N. s’oppose à « un accord culturel franco-allemand ». Des agents d’EDF et GDF repoussent l’intégration avec l’Allemagne car ce serait donner l’Afrique aux magnats de la Ruhr. Rares sont ceux qui, tel cet officier, le capitaine S., se réclame de l’Europe unie, tandis que le Mouvement national des Élus locaux dénonce la campagne anti-européenne noyautée par le PCF Ces lettres ou ces déclarations n’ont rien de personnel, sauf cas rares. Elles traduisent les pressions des groupes d’opinion sur un des grands responsables politiques de la IVe République. Elles indiquent à la fois la détermination de certains groupes à jouer sur la peur de l’Allemagne et le caractère convenu des prises de positions. En fait est posée ici la question de la représentation politique au temps de la IVe république. Que sait-on réellement des sentiments et du choix des Français ?

  • 14 Fabrice d’Almeida, l’image de l’Europe dans les affiches politiques françaises au xxe siècle, Mémo (...)

22Les affiches politiques traduisent-elles le sentiment populaire vis-à-vis de l’Europe ?14. Une première affiche liée à l’Europe date de 1948. Elle met en scène Victor Hugo, non pas celui des États-Unis d’Europe, mais celui qui s’oppose au drapeau rouge. La CED permet aux revues et officines de propagande de se déchaîner. Le thème porte plus sur la nocivité des idéologies opposées dans la guerre froide que sur le thème de l’intégration européenne. L’Europe est un prétexte pour mener d’autres combats. L’Europe serait donc un trou noir politique. Le point focal du débat tourne autour du danger allemand, renvoyant clairement à la peur intrinsèque de l’Allemagne dans le corps social français. Ces affiches nous donnent-elles des renseignements sur l’opinion française et l’Europe ? La réponse est négative. Elles informent le public des positions supposées des partis politiques ou de groupes d’influence. Elles collent sur les murs les fantasmes collectifs du peuple français : l’ennemi allemand veille encore, la France sera dépouillée de son empire, la nation se dissoudra dans une Europe allemande, la France perdra son armée, le pays sera américanisé. De telles affiches ont peut-être fait beaucoup pour objectiver l’inconscient populaire. Un progrès vers l’unité était possible après l’exorcisme des démons intérieurs.

Les milieux de la presse

  • 15 Séverine Lamoureux, La presse favorable à Pierre Mendès France et l’Europe (1953-1963), Maîtrise d (...)
  • 16 Guichaoua Eisa, Le comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe et son influence sur la presse (19 (...)

23Il est difficile de distinguer dans les prises de positions d’un journal s’il s’agit de sa ligne éditoriale ou de l’opinion d’un journaliste. La notoriété confère en plus une certaine indépendance d’écriture. Le Monde, L’Express et Témoignage Chrétien veulent une construction européenne. Ils le prouvent en soutenant le plan Schuman et la CECA. En revanche la CED a divisé. Le Monde fut anticédiste, mais soutint Monnet à propos de la relance de Messine15. Au Monde, Maurice Duverger parla de « machine infernale » à propos de la CED, Témoignage chrétien aussi. L’Humanité resta profondément anti européen du fait de l’engagement de l’URSS contre l’unité européenne. Au moment de la relance de Messine, en juin 1955, Hubert Beuve-Mery, le directeur du Monde, donna la parole à Jean Monnet. L’Express, le Figaro présentèrent avec sympathie son action. Combat et le Monde défendirent la relance, contre les accusations d’Europe cléricale. Charles Ronsac, dans Franc-Tireur, est lyrique. Le Populaire signale en première page, la première réunion du Comité d’Action pour les États-Unis d’Europe, le 12 octobre 1955. Les opposants ou les sceptiques ne manquèrent pas. Que l’Humanité traite Monnet de « serviteur bien connu des grands trusts de la petite Europe » n’étonnera personne. Mais dans le fond qui s’intéresse à la création du Comité d’Action pour les États-Unis d’Europe ? Une historienne souligne avec pertinence que les journaux engagés, ceux de l’élite en parlent, pour ou contre, tandis que « l’événement passe quasiment inaperçu dans la presse « populaire »16. Elle ne résiste pas à l’annonce des fiançailles possibles de Margaret et du major Townsend (l’Aurore, Le Parisien libéré, France-Soir).

  • 17 Pierre Grémion, Intelligence de l’Anticommunisme : le Congrès pour la libellé de la Culture à Pari (...)
  • 18 Nicolas Dupont, Anticommunisme, européisme dans les revues européennes liées au Congres pour la li (...)

24Dans cette présentation des positions des journaux, on ne saurait oublier l’engagement personnel de certains journalistes, dont les chroniques, ou les papiers tranchent par leur vigueur. Charles Ronsac à Franc-Tireur est totalement dévoué à la cause européenne de Monnet. Mais Raymond Aron s’oppose à Jean Lecerf au Figaro. André Fontaine au Monde, François Courtet à Combat, Maurice Delarue à France-Soir sont très documentés par Monnet sur ses initiatives. La question est de savoir si ce milieu a ou non des options européennes au delà de la manifestation du devoir d’informer. Dans le cas de ces journalistes sans aucun doute. Pour les journaux politiques le choix est clair. L’Humanité voit dans toute initiative d’intégration européenne occidentale la main des Américains, des capitalistes ou des trusts. Le Populaire soutient les positions du Comité Directeur du Parti socialiste-SFIO, favorable à l’unité. Les autres journaux et journalistes semblent plus nuancés. Ainsi pour l’Euratom, le débat tourne autour de la sécurité de la France. Peut-on accepter de Monnet le projet d’Europe atomique pacifique ? Certains journaux favorables à Monnet ouvrent des tribune libres. Euratom est-elle une relance de l’idée fédérale ? Certains soutiennent Euratom, comme Raymond Aron, mais n’en font pas le début de la fédération européenne. Certains journalistes ont montré la voie à suivre à l’opinion publique, Pierre Drouin et André Fontaine par exemple. Le Monde est très sensible à l’Europe atomique. De même, l’Humanité tente de mobiliser l’opinion contre l’Euratom. Les milieux du journalisme dans le cas d’Euratom et du Marché commun ont-ils été des caisses de résonance de Monnet, du gouvernement ; ont-ils défendu une cause ? Les journaux liés à un parti politique ont épousé les thèses de ce parti. Les autres ont manifesté un intérêt variable. Les plus engagés en faveur de l’unité européenne ont manifesté la plus grande prudence pour les projets d’Europe supranationale et atomique pacifique. Le débat entre Maurice Duverger et Pierre Drouin, au Monde, le confirme, comme celui entre Jean Lecerf et Raymond Aron au Figaro. Certains débats d’intellectuels trouvent un expression dans des revues. L’affaire de la CED a été génératrice de tels débats. Ils sont connus. Le débat sur l’européisme du temps de la guerre froide est moins connu. La revue Preuves porte un sous-titre évocateur, « anticommunisme et européisme ». Elle affirme par anticommunisme un européisme de façade plus qu’elle n’assume un véritable engagement européen. Elle est de plus financée par les Américains de la CIA à travers le Congress for Cultural Freedom (CCF)17. Les Temps modernes de Sartre sont proches des thèses de Spinelli, le bouillant fédéraliste, dans la mesure où la revue défend l’identité culturelle européenne face aux États-Unis18. Ainsi les positions des journalistes se confondent-elles parfois avec le grand combat politique du temps, celui de la guerre froide. La question se pose toujours de trouver les raisons d’être pro ou anti-européen. L’idée d’unité n’est pas forcément au cœur de la décision.

  • 19 Jean-Marie Vial, L’adaptation de l’économie française à la première phase du Marché commun, 1958-1 (...)
  • 20 Robert Marjolin, Le travail d’une vie, Mémoires 1911-1986, Robert Laffont, 1986, p. 281.

25Le test du Marché commun est instructif. Á lire la presse française en 1957 et 1958, l’économie française va souffrir du Marché commun. Certes La Croix, Le Monde, Le Populaire espèrent une issue favorable, tandis que d’autres craignent le gigantesque cartel étatique19. Cette crainte avait été exprimée au moment du plan Schuman, par les milieux financiers. Toutefois, il faut se préparer au choc, ce qui traduit un regard optimiste sur les capacités de l’économie française. Les milieux du journalisme, à travers la cas de l’Euratom et du Marché commun, reflètent les ambiguïtés et les tensions de la société française. Marjolin remarque qu’il a fallu surmonter « l’hostilité de la quasi totalité de l’opinion française à l’abolition, même progressive, de la protection dont jouissait, je dirais plutôt souffrait, l’industrie française20 ». L’idée européenne est une bonne idée, en général, mais sa traduction est délicate en termes institutionnels, et impossible, si elle remet en cause la puissance militaire future de la France. Monnet considérait les journalistes comme de bons baromètres de l’opinion publique française. Il aurait souhaité qu’ils transforment en profondeur l’opinion française, qu’ils la convertissent à l’idée d’Europe, à son Europe. Le Monde et le Figaro sont partagés. Mais la France l’est-elle ? N’est-elle pas davantage indifférente que concernée ?

Les forces économiques

26Les forces économiques, syndicalistes, agriculteurs, industriels ont évidemment exprimé des opinions à propos des constructions européennes. La méfiance ne se transforme-t-elle pas dans bien des cas en une approbation prudente ?

Les syndicalistes.

  • 21 Paule Valois, Les syndicats français ouviiers et fonctionnants face à la « construction de l’Europ (...)
  • 22 Cité par Emmanuel Barraux, Les opposants au traité Je Rome en finance, entre 1955 et 1957, maîtris (...)

27Dans le cadre de la préparation des traités de Marché commun et d’Euratom, FO et CFTC ont manifesté leur intention d’être consultés, comme ils l’avaient été pour la préparation du traité de CECA. L’initiative vient des syndicalistes, membres du Comité d’Action pour les États-Unis d’Europe. Certes ces syndicats pensent d’abord en termes d’intérêts nationaux21. Les milieux syndicalistes craignent que le Marché commun rende plus difficile les augmentations de salaires et diminue les avantages sociaux, comme le croit le délégué CGT des usines Gloria de Carentan22. Le point d’attaque est juste, car la France est dans une situation plus favorable qu’ailleurs en Europe en termes d’avantages sociaux. La CGT s’obstine à voir dans les traités de Rome une mouture rénovée de la CED. Du côté des syndicats chrétiens, de la CFTC de Gaston Tessier, on portait une certaine attention aux questions d’unité européenne. Gaston Tessier joua un rôle au Congrès de la Haye en 1948 (commission économique). Il aida puissamment à la création du mouvement des travailleurs chrétiens pour l’Europe (MTCE) contre les Forces ouvrières européennes, patronnée par FO. Mais il n’eut pas un grand avenir. Ces syndicalistes chrétiens, soit dans le cadre français, soit dans celui de la Confédération internationale des syndicats chrétiens (CISC), espéraient en un marché commun indispensable pour atteindre le développement social. Ils désiraient une institution supranationale. Le plan Schuman répondait à leurs attentes.

La presse économique

  • 23 Hervé Montjotin, Le rôle de la presse économique française dans la relance européenne et l’élabora (...)

28La presse économique (La Vie Française, les Échos, l’Usine Nouvelle, Le Monde économique et financier), a-t-elle eu une influence sur la décision de construire l’Europe ? Est-elle le relais des milieux économiques qui la financent ? Ses analyses de la relance européenne portent essentiellement sur l’aspect économique et ignorent les aspects politiques. « L’Europe a moins besoin de croisés que de techniciens » écrit le Monde économique et financier de septembre 195523. Elle plaide pour un marché unique, générateur de profits et de stabilité. Certains auteurs sont ravis de la libéralisation des échanges, d’autres insistent sur l’égalisation des conditions de production. Il nous semble donc que la presse économique reflète les intérêts divergents des groupes économiques, peut-être aussi les choix divergents de doctrine. La Vie française semble être néo-keynèsienne un moment, et libérale classique à d’autres. Toutes ces revues sont d’accord pour dire que le Marché commun sera l’aiguillon psychologique efficace de la croissance économique. La presse économique traduit en fait les rapports de force des secteurs économiques français. La Vie française exige l’égalisation des charges sociales entre industries participantes au Marché commun et affirme l’intérêt d’un Marché commun pour l’exportation des produits agricoles français et pour le partage des charges d’investissements outremer. Ces journaux et hebdomadaires expriment aussi les intérêts des corporatismes. La question des charges est une obsession sans qu’il soit possible de trancher sur la nature réelle des inconvénients induits par la protection sociale.

Les industriels

29Les milieux industriels les plus opposés aux constructions européennes sont les plus virulents dans leur expression. Les industries mécaniques (François Peugeot) comme l’industrie cotonnière (Bernard Herrenschmidt), les transports routiers (Emmanuel Renaud) renâclent au Marché commun si les règles de la concurrence ne sont pas homogénéisées. La Fédération des Industries mécaniques et transformatrice des métaux « tient pour inadmissible le projet de Marché commun tel qu’il est sorti des travaux des experts, et attire l’attention des pouvoirs publics sur les insupportables dangers que, non corrigés, ce projet ferait courir à notre pays ». Les constructeurs de matériels miniers se rendent compte de leur retard d’organisation et craignent de disparaître. Les constructions navales, les affineurs de métaux réclament le maintien des aides gouvernementales. Il est même suggéré d’exclure la construction navale du Marché commun car il faudra vendre aux prix mondiaux. Les grands ports protestent aussi. La concurrence des autres ports européens met en cause « l’indépendance de notre pays dans ses rapports avec l’Outremer ». Les chimistes ont peur de succomber devant la puissante et renommée industrie chimique allemande. La chimie (Maurice Brulfer) veut un TEC élevé pour protéger l’industrie nationale. Les assemblées d’actionnaires chez Hutchinson montrent que le Marché commun est accepté comme une inconnue. Pas d’enthousiasme, mais pas de refus catégorique. L’industrie encore artisanale du matériel médical rappelle l’importance des coûts de la main d’œuvre et demande, elle aussi, une égalisation des conditions de la production. L’industrie papetière veut être protégée par le TEC.

  • 24 SGCI, F60, classement provisoire, carton 26, dossier 122.23, 24, chambre syndicale des constructeu (...)
  • 25 52 J 115, CNPF 15 janvier 1957, exposé du président Villiers à l’Assemblée Générale du CNPF. 7 pag (...)
  • 26 Philippe Mioche, « L’adaptation du patronat de la sidérurgie française à l’intégration européenne (...)

30Les critiques sévères. Sont-elles définitives ? Probablement pas, car de nombreuses interventions demandent des correctifs au projet de Marché commun, tel un engagement conditionnel dans l’Union douanière24. Le gouvernement de Guy Mollet est sensible à ces remarques. La position française après la conférence de Venise s’en inspire. Toutefois le gouvernement ne peut obtenir une clause générale de retrait. Mais il négocie le passage à la seconde étape de la période de transition, au bout de 4 ans. Elle se fera après constatation unanime que toutes les conditions décidées ensemble ont été réunies. Les positions de certaines industries ont évolué. Le président du CNPF, Georges Villiers, écrit en janvier 1957 : « Si l’économie française, incapable de supporter la concurrence internationale, se laissait isoler dans l’autarcie avec ses ressources naturelles insuffisantes, elle serait condamnée à la régression25 ». La Sidérurgie est passée d’une franche hostilité à une approbation vigilante. Pourquoi ? Elle s’aperçoit que la Haute Autorité du Charbon et de l’Acier est moins dirigiste qu’elle le redoutait, et que les cartels qu’elle affectionne restent possible. En 1945 la Sidérurgie française voulait le rétablissement d’une entente internationale, (A. Aron). En 1949, Pierre Ricard propose un plan de coordination des industries de base européennes sous le contrôle de la profession et des pouvoirs publics européens. Alexis Aron accepte le plan Schuman, « C’est cela ou la mort, aurait-il dit26 ». En fait le patronat de la Sidérurgie manifeste son opposition de septembre 1950 à septembre 1952. Sans doute a-t-il été touché de ne pas être à l’origine du projet de CECA. Mais la campagne contre la CECA échoue parce qu’il se coupe du CNPF, et que le plan Schuman a une finalité tout autant politique qu’économique. La Chambre syndicale de la Sidérurgie française s’oppose au Marché commun et à Euratom, plus parce que le CNPF approuve cette relance et qu’il repousse la Zone de Libre-échange fortement souhaitée par les sidérurgistes. Dans la chimie, Rhône-Poulenc se prépare à réagir à l’extension du marché français à l’Europe. Les PME (Léon Gingembre) savent qu’elles doivent se moderniser pour s’adapter au Marché commun. Elles redoutent essentiellement la cartellisation des grosses entreprises au détriment des PME. Les industries de l’habillement et de la lingerie résistent au Marché commun parce que la libération des échanges intereuropéens sera plus rapide que l’égalisation des salaires masculins et féminins prévus par les traités. Elles craignent la concurrence du textile italien puis celui des pays en voie de développement. Mais le textile français a déjà ratifié le choix de l’Europe puisque il a commencé, avant le Marché commun, à se désengager de l’Afrique Noire, preuve qu’une mutation était en cours. Il est gagné à l’Europe dans les premières années du Marché commun car la Communauté économique européenne assure un grand marché pour les affaires.

  • 27 SGCI, F60, classement provisoire, carton 26, dossier 122 - 23-24, chambre syndicale des constructe (...)
  • 28 Valérie Gas, Les milieux d’affaires de l’industrie face à la construction de l’Euivpe, un exemple  (...)
  • 29 Jean-Marie Vial, L’adaptation de l’économie française à la première phase du Marché commun, 195S-1 (...)

31Á côté des secteurs hésitants ou hostiles, d’autres approuvent franchement. L’automobile (Pierre Lemaigre et Emile Parfait) acceptent la libération des échanges, tout en indiquant que le niveau des prix français est trop élevé du fait des charges sociales et de l’insuffisante production de masse. « Cette position n’est nullement négative », écrit la chambre syndicale au SGCI27. Les industriels de l’automobile acceptent la concurrence qui conduira le profession à réformer ses structures. La création d’un Marché commun accélérera le phénomène de rationalisation et de concentration. L’automobile choisit, comme l’électricité, de jouer le jeu du Marché commun comme si elle se sentait sûre d’elle. Ces industriels comprennent-ils que l’avenir est à la consommation d’énergie et d’automobiles ? Elle demande de définir une politique automobile en France, que nous traduirions aujourd’hui par le « tout automobile ». Elle demande même une PAC pour faire baisser les prix alimentaires en Europe afin d’inciter les salariés à dépenser leurs revenus au profit de l’automobile. Elle a accepté de participer à la libération des échanges intereuropéens à l’OECE, parfois avec résignation, mais sans jamais tenter d’interrompre le processus en cours. Elle repousse une Zone de libre-échange (ZLE) qui ne permettrait pas aux automobiles françaises d’accéder sans restriction aux marchés des pays du Commonwealth.. « L’attitude du milieu automobile a, en fait, été celle d’un milieu avisé, réaliste et conscient des enjeux du moment », écrit un chercheur28. La réforme monétaire Rueff-Pinay en France de décembre 1958 a donné à l’économie française une stabilité monétaire intéressante pour développer un esprit exportateur au sein des entreprises. Mais leur conversion à l’Europe est due aussi à la modernisation entreprise en 1946 et qui porte ses fruits à la fin des années Cinquante en termes de productivité29.

  • 30 Eric Bussière, « Les milieux économiques français et la question de l’unité économique de l’Europe (...)
  • 31 SGCI, F 60, classement provisoire, carton 28, séance du 19 juillet 1957, au Conseil de la Républiq (...)
  • 32 Jean-Marie Vial, L’adaptation de l’économie française à la piemière phase du Marché commun, 1958-1 (...)

32De ces différents exemples il ressort que l’unité économique européenne n’est pas l’objet d’un désir rationnel des milieux économiques français, en dehors du souhait de principe d’un abaissement des obstacles. La peur du Marché commun les a conduits à pratiquer un lobbying très fort auprès du gouvernement : « Que l’État nous garde ! ». Leur position moyenne est traduite par l’idée que ni le protectionnisme, ni le libre-échange ne sont satisfaisants. Éric Bussière conclut que la position des industriels face aux constructions européennes dépend des constantes propres à chacune des branches considérées30. En effet, l’industrie cotonnière, frileuse, s’oppose à l’unité européenne, et défend ses positions dans l’Outremer. Le Tissage de la laine est plus réticent que la Filature qui a investi dans des machines très productives. L’industrie de la Laine avait adhéré aux projets de Loucheur de grand marché européen dans les années Vingt. Le regard n’est-il pas pour cette raison plus européen ? La situation géographique de la Sidérurgie et les types de produits expliquent le soutien à l’unité économique (Midi et Lorraine exportent vers le sud de l’Allemagne) ou l’opposition (le Nord de la France est en concurrence avec la Sarre et la Ruhr, y compris sur le marché français). Mais dès les années 1956-57, en dépit de réticences et de résistances, le Marché commun a été accepté puis mis en œuvre. Il répondait, au fond, aux attentes des milieux économiques (libre-échange), tout en les préservant d’un libéralisme sauvage, puisque des mécanismes d’adaptation étaient institués. Lors des débats de ratification, le Conseiller de la république, Maurice Walker, peut dire : « Le patronat dans son ensemble n’est pas hostile au marché commun, si j’en crois mes renseignements ; la classe ouvrière n’y est pas non plus hostile, car elle estime aussi que demain pourra être meilleur si on bâtit cette communauté31 ». Le projet de Marché commun était ce que l’économie française pouvait supporter, à la différence d’une zone de libre-échange. Il faut se souvenir que l’acceptation du Marché commun signifie la plupart du temps le refus d’une Zone de Libre-échange, perçue comme destructrice. L’OECE, l’Allemagne et les Anglais tenaient beaucoup à cette ZLE. Les industriels français y étaient profondément et unanimement opposés. En effet, ils manifestaient des réticences de principe à l’égard d’un élargissement trop rapide du libre-échange, comme on vient de le voir, mais ils ne comprenaient pas pourquoi la Grande-Bretagne désirait accéder librement au marché de l’Europe continentale sans renoncer à la préférence impériale et donc sans accepter de TEC. En comparaison le projet de Marché commun était rassurant. On n’oubliera pas cependant qu’il n’y a pas un patronat mais des patrons, et donc des différences. Ont-ils peur en général de la concurrence comme le pense Jean Monnet ? La réponse est affirmative d’après les travaux cités précédemment. Mais que cache cette peur ? Une incapacité à s’adapter, à innover dans les types de produits ? Est-ce la peur d’une instabilité du système politique ? Certains croient que les Communautés mises en place vont limiter leur liberté. Le CNPF proteste contre les constructions européennes au nom du libéralisme, assimilé à la liberté. Une fois assurés que le Marché commun est moins dirigiste qu’imaginé, ils jouissent pleinement de l’extension des marchés, au moins pour les industries dans le vent de l’histoire. Les oppositions au Marché commun n’ont pas empêché la mise en ordre de bataille de l’économie française, de l’industrie particulièrement. Les fusions sont multipliées par 2, 3 entre 1959 et 196332.

L’agriculture

33Le sentiment général des agriculteurs rencontre la volonté du gouvernement de signer les traités de Rome. Il faut pouvoir offrir des débouchés à la production française de blé. La future PAC intéresse au plus haut point le monde de la céréaliculture et du vin. L’Union intersyndicale de l’agriculture d’Outremer a transmis aussi en juin 1956 une note favorable au Marché commun. Une certaine tension s’est manifestée en janvier 1957. Peut-être parce qu’on a évoqué une Zone de Libre-échange sans libération des produits agricoles, Commonwealth oblige ! Tel n’était pas le cas du Marché commun, mais les dispositions finales du traité n’étaient pas encore arrêtées. Pierre Mendès France, député d’une circonscription rurale, regrettait que la marché anglais échappe au Marché commun. Les organisations agricoles apportèrent néanmoins leur soutien à Maurice Faure en envoyant des télégrammes à tous les députés pour faire voter les traités.

L’Outremer

34Les territoires d’Outremer ont été concernés par la construction européenne. Plus que pour la France, il est délicat de saisir l’opinion publique. Les témoignages portent donc sur l’opinion des élites africaines, souvent associées aux débats politiques en France, et aux élites françaises dans les TOM II est sûr que les négociations du Marché commun et d’Euratom n’ont pas bouleversé la vie des pays africains. Mais les responsables français et des chefs d’entreprise ont voulu intervenir au nom de l’Outremer pour défendre soit les intérêts politiques de la France, soit les intérêts économiques. Le rapport Spaak d’avril 1956 ne parlait pas des TOM Or comment continuer à faire fonctionner l’Union française, même réformée par la loi Defferre, si les territoires français d’Afrique ou d’Amérique ne faisaient pas partie du Marché commun ? Les gouvernements comme les industriels voulaient financer des investissements productifs. Mais la France souhaitait conserver sa prééminence politique et les chefs d’entreprises continuer à gagner de l’argent Outremer. Pourtant il faut constater que le sentiments des responsables économiques était favorable à des investissements étrangers, européens ou américains. Ils constatent l’impossibilité matérielle pour l’État français d’assumer le développement de l’empire. Voilà donc une raison de presser Maurice Faure de faire entrer les TOM dans le Marché commun. Deux grands projets, déjà envisagés au temps du plan Marshall, celui du Kouilou et du Konkouré au Congo et Guinée, attendent des financements. La mise en valeur hydroélectrique de ces fleuves et la valorisation de la Bauxite intéressaient Péchiney, les Vereinigte Aluminium Werke, Montecatini et la Société suisse pour l’industrie de l’Aluminium. Cet engouement pour les financements mixtes trouve une traduction idéologique simple : faire l’Eurafrique. Les obstacles sont réels, que les contemporains exposent : les hauts prix des matières premières payés à l’Afrique par la France, les risques de destruction des quelques industries locales, la confiscation des profits au détriment des territoires africains sous développés. Un député africain, Aubame, (Indépendants d’Outremer, Gabon), demande une protection des industries d’Outremer contre la concurrence des industries européennes. Il redoute la fin des financements français du FIDES. Derrière cette crainte se profile le risque que la France abandonne l’Afrique. Il n’est pas sûr, pensent certains, que le Marché commun puisse assurer Outremer les investissements nécessaires et accorder les mêmes avantages offerts par la France au titre de ses engagements politiques. L’opinion de ceux qui ont des intérêts en Afrique tourne autour de la nécessité d’un développement que la France seule ne peut plus assumer. L’Eurafrique, terme mythique, raccroche la France à son passé colonial tout en modernisant en apparence la relation entre l’Europe et les colonies.

Quelques autres forces spécifiques.

35Les recherches doivent être poursuivies pour analyser le comportement des acteurs de la société française face aux constructions européennes. L’étude de quelques groupes particuliers peut apporter une connaissance utile du fonctionnement de la société française face aux constructions européennes contemporaines.

Les catholiques sociaux

  • 33 Serge Berstein, Pierre Milza, Jean-Marie Mayeur (sous la direction de), Le MRP et la construction (...)
  • 34 Jean-Dominique Durand, « De la communauté nationale à la communauté européenne. L’Europe dans les (...)

36Á propos des catholiques français et de l’Europe, il faut d’abord distinguer entre partis politiques chrétiens et le peuple catholique. Sur le premier point l’historiographie est riche33. Sur le second elle est plus rare. Jean Dominique Durand a mené une enquête sur les Semaines sociales de France qui rassemblaient des milliers de catholiques sociaux. Il montre qu’en 1946 la question nationale était au cœur du débat, plus que l’Europe34. Il faut attendre 1953 pour que la question européenne soit inscrite au programme de la Semaine sociale de Pau. L’idée était de maintenir une relation étroite entre la nation et la construction de l’Europe, tout en dépassant les nationalismes. Le monde catholique social n’est pas pionnier dans le domaine européen. Il navigue à vue, réaliste et donc prudent, n’oubliant ni la nation, ni l’Afrique, ni le reste du monde. Mais à force d’insister sur les risques de l’Europe, sur les dérives, n’a-t-il pas freiné la construction européenne ?

Les politiques

  • 35 Cahiers Léon Blum, « La SFIO et la politique extérieure de la France, entre 194 5 et 1954 », n° 21 (...)

37Nous les avons vu apparaître très largement sur la scène européenne dans les chapitres précédents. Mais il est utile de synthétiser leurs attitudes face aux constructions européenne. Le débat sur la CED, qualifié d’affaire Dreyfus en France, a remué les consciences. Pour cette raison elle touche à l’opinion publique. Personne, sauf cas très rares, n’a lu le traité de Paris. En revanche la classe politique française a manipulé les grandes valeurs nationales en public : le drapeau, le sang des soldats, la peur de l’ennemi séculaire, la grandeur de la France, l’Empire, la disparition de l’État, le souvenir de smille ans qui ont fait la France ! Au tournant du siècle, il s’est trouvé des députés et des conseillers de la République pour qualifier de traîtres les partisans d’une unité européenne forte ! 30 ans après, les blessures n’étaient pas encore refermées quand les historiens interrogeaient les témoins35. Que représente ce drame de la CED pour la France de l’époque ? Il trahit jusqu’à l’insupportable le sentiment que la France risquait de perdre sa souveraineté et donc disparaître en tant qu’État, mais aussi comme Nation, puisqu’en France, État et Nation sont mêlés comme le dit Ernest Renan en 1882.

  • 36 Premier comité interministériel sur les instructions à donner à la délégation française à la Confé (...)

38Considérons maintenant les membres du gouvernement Mollet face aux projets de Marché commun et d’Euratom. François Mitterrand, (UDSR), garde des Sceaux dans le gouvernement Mollet, est sensible à l’engagement durable de la France dans le Marché commun, en échange d’une transformation des structures commerciales de nos voisins. Mais Maurice Lemaire (Républicain Social), secrétaire d’État à l’industrie et commerce, n’en veut pas en raison de l’absence de compétitivité de l’économie. Jacques Chaban-Delmas, (Républicain Social), ministre d’État aux Anciens Combattants, aurait préféré réaliser Euratom et repousser le marché commun. Alain Savary ((SFIO), secrétaire d’État aux Affaires étrangères, chargé de la Tunisie et du Maroc, s’inquiète des risques qui pèsent sur l’Union douanière franco-tunisienne du fait du Marché commun. Paul Ramadier, (SFIO), ministre des Finances, est clairement réticent au traité de Marché commun. Ses responsabilités l’ont entraîné à manifester cette réserve en raison de la situation de la balance des paiements. Christian Pineau (SFIO), ministre des Affaires étrangères, demande au contraire qu’on adapte la politique économique de la France à la nouvelle politique européenne. Les ministres ont demandé que les TOM soient associés au Marché commun, sauf Maurice Lemaire qui souhaitait que les fonds publics aillent de préférence aux communes françaises. En conclusion, c’est Guy Mollet (SFIO), président du Conseil, qui tranche : « Il faut se convaincre que le Marché commun est un bien en soi, même pour la France36 ». Belle leçon politique !

39De ce bref exposé des positions prises en Comité interministériel, il apparaît que le camp des protectionnistes a trouvé des défenseurs chez les socialistes (Ramadier) comme chez les gaullistes (Lemaire). L’implication de Paul Ramadier, un des participants actifs au Congrès de La Haye de 1948, signifie que l’unité économique de l’Europe n’est pas une évidence. Sa position traduit sans doute le jugement que l’économie et les finances françaises ne sont pas prêtes pour la concurrence. Le clivage politique ne joue pas, puisque le gaulliste Lemaire suit le ministre des Finances. Les raisons sont apparemment techniques. Mais elles sont politiques.

  • 37 Valérie Lathière, François Mitterrand et les grands enjeux de la politique extérieure (1945-1958), (...)
  • 38 François Mitterrand, Présence Française et abandon. Plon, 1957.
  • 39 Rapport de politique étrangère présenté au Congrès national du MRP (12-14 mai 1956), cité par Raym (...)

40D’autres ministres choisissent de faire le pas en avant, alors qu’ils connaissent les difficultés de l’économie française. Ils prennent le risque. Tous sont attachés par conviction ou par sentiment aux TOM et anciens États sous protectorat français. Les ministres traduisent à la foi le souci de maintenir l’État et de le dépasser, deux invariants qui s’entrechoquent et interviennent dans la décision. En 1956 ces hommes politiques ont choisi le mouvement, « la volonté de surpasser l’État » comme dit Duroselle, i.e. la volonté de ne point rester au nationalisme. Le choix de Guy Mollet, de Christian Pineau, de Maurice Faure (Radical) ou de Robert Schuman (MRP) antérieurement, celui de François Mitterrand, s’expliquent par la prise de conscience des horreurs de la guerre. Leur choix de l’unité européenne est dicté par la nécessité d’éviter les erreurs de 1918. Leur choix européen a été préparé durant la guerre. La population française partage avec eux ce sentiment de répulsion envers la guerre. C’est pourquoi la propagande anti allemande revancharde trouve un terreau favorable. Mais c’est pourquoi aussi la solution de l’unité économique européenne est acceptée par l’opinion publique à un autre niveau de conscience. Le cas Mitterrand illustre parfaitement les ambiguïtés de la classe politique de la IVe République, voire de l’opinion publique. François Mitterrand veut renforcer la France dans le monde par l’Union française, sans exclure la construction de l’Europe37. Ces dispositions expliquent les atermoiements de l’opinion et des groupes sociaux sur la forme de la construction européenne. Trop fédérale, l’union nuirait au rôle mondial de la France. Seule, la France ne peut plus rien. Pourtant l’Union française doit former, dit Mitterrand, « du Congo au Rhin, une nation continent qui s’équilibrera autour de notre métropole38 ». Ceci explique-t-il son abstention lors du vote du 30 août 1954 ? Comme le dit de son côté le MRP, « les pays européens pourraient définir et soutenir une politique commune en face du monde musulman, des pays sous-développés et du communisme39 ». L’Eurafrique serait donc la clef des problèmes de la France.

  • 40 E. Bjøl, La France devant l’Europe, la politique européenne de la IVe République (1945-1957), voir (...)
  • 41 José Gotovitch, Pascal Delwit, Jean-Michel De Waele, L’Europe des communistes, Complexe, Bruxelles (...)

41Quels sont les choix des partis politiques français ?40 Le PCF s’est fait une spécialité de s’opposer violemment aux constructions européennes. Il se sert d’arguments forts qui dramatisent les choix des Français. L’intégration c’est la fin de la souveraineté française, la reconnaissance de l’hégémonie allemande sur les Six et le risque d’une domination américaine. Ces arguments sont utilisés aussi par les gaullistes. L’Europe du Marché commun exprime la force du cléricalisme puisque Pie XII a, de nombreuses fois, encouragé l’union des Six. Les Six enfin représenteraient une coalition anti-soviétique, en particulier Euratom qui leur paraît être une organisation militariste. On reconnaît là des arguments anciens utilisés au temps du plan Marshall. Le rejet de la CEE est confirmé par les 17 thèses de l’Institut de l’économie mondiale et des relations internationales de Moscou qui présentent la CEE comme le moyen « d’unir les forces de l’impérialisme » contre le socialisme, les mouvements de libération nationale, et pour le renforcement du capitalisme41. Ses choix ont du poids sur l’opinion. Mais les communistes étaient moins en confiance avec l’opinion depuis le xxe congrès du PCUS.

42La SFIO est officiellement favorable aux Communautés européennes. Mais on sait que des socialistes ont mené un combat violent contre la CED au point de la faire échouer à l’Assemblée nationale en août 1954. Leurs raisons tenaient à la peur de l’Allemagne, aux risques de disparités croissantes au sein du Marché commun, et de l’étroitesse des Communautés en l’absence de la Grande-Bretagne. La cassure des socialistes a entraîné le rejet de la CED. Les anti-cédistes ont adhéré totalement aux réactions anti-allemandes de l’opinion publique qui confondait CED et réarmement allemand. Le réarmement allemand s’est d’ailleurs produit après l’échec de la CED. Ils ont été sensibles à l’attachement des Français à l’armée nationale. L’argument contre l’Europe vaticane a compté aussi. Vincent Auriol, l’ancien président de la République, socialiste, publie un article contre le Marché commun dans France-Soir, le 1er janvier 1957, en raison du risque que la sidérurgie allemande fait courir à la France et de l’étroitesse du Marché commun. La SFIO a pourtant mené la bataille de la Relance avec succès. Ses militants sont désireux de bâtir une entente intereuropéenne.

  • 42 Philippe Manin, Le Rassemblement du Peuple français (RPF) et les problèmes européens, PUF, 1966, p (...)
  • 43 Serge Berstein, « le général De Gaulle, le RPF et la CED », Espoir, n° 87, décembre 1992, p. 16-27 (...)

43Les gaullistes, ou républicains sociaux depuis 1954, craignent la supranationalité qui est une atteinte à la souveraineté sacrée de la nation. Ils veulent, avec Michel Debré, une association des États européens. Ils insistent sur la liberté d’action que la France doit conserver dans le domaine de la fabrication des matériaux fissiles en vue de mettre au point des armes atomiques. Mais leurs positions ont varié. De 1948 à 1953, le RPF a été favorable à une petite Europe sans la Grande-Bretagne. En 1953-54, l’Angleterre ferait désormais partie de l’entente européenne. La CED a donc été un tournant essentiel pour les choix du RPF. Il est traversé par un souci, la grandeur de la France, et jamais la grandeur de l’Europe. Toute unité européenne doit donc être subordonnée au premier terme. La France « est le carrefour ou le point de rencontre de l’Europe et du monde. Elle est en effet européenne, mais elle est aussi africaine et mondiale. Tout la destine à devenir l’interprète des nécessités mondiales pour l’Europe, ce qui devrait lui donner une place eminente dans cette Europe même » explique un auteur. Cette stratégie justifie de réclamer une confédération42. Le RPF agit beaucoup contre la CED. Le RPF c’est De Gaulle en dépit de ses distances avec ses propres amis. Beaucoup d’auteurs (Serge Berstein par exemple ou encore Wilfried Loth) ont chacun insisté sur le fait que De Gaulle avait des projets pour l’Europe et même des projets d’unité européenne. Fédération ou confédération, le terme est encore changeant autour de 194843. Mais sa réaction contre la CED est immédiate, car il lui semble impossible de partager la souveraineté dans le domaine de la défense. L’argument contre la CED vient du fait qu’il y aurait une armée européenne sans qu’il y ait préalablement de fédération européenne. Le RPF s’étiolant, les députés RPF votant la confiance aux gouvernements, y participant même, De Gaulle leur retire la référence RPF. Ils s’appellent désormais républicains sociaux. Ils continuent tout de même à réagir contre la CED. Ils empêchent ainsi sa ratification.

  • 44 Robert Marjolin, Le travail d’une vie, Mémoires 1911-1986, Robert Laffont, 1986, p. 290.
  • 45 In E. Bjøl, op. cit. entretien avec M. Maurice Faure, président du rassemblement démocratique, 1er (...)

44Les radicaux ont un grand leader, Pierre Mendès France, dont les prises de position hostiles ont eu un grand écho lors du débat de ratification des communautés en juillet 1957. Mendès France a voté contre les traités de Rome. Il a fondé son argumentation sur le fait qu’ils privilégieraient les régions industrialisées de l’axe rhénan. Il jugeait donc le traité de Marché commun trop libéral pour le commerce. Il ne croyait pas à l’harmonisation et à l’égalité des conditions de la concurrence dont les traités étaient assortis. Ses réactions sont communes à celles d’une grande partie de la gauche française, communistes inclus, sans leurs blocages de principe sur l’Europe. Mendès France appréhendait comme tous les Français une invasion de travailleurs immigrés italiens. Les travailleurs allemands pourraient eux-aussi envahir la France. Il croyait comme beaucoup que l’économie française était incapable de supporter un Marché commun. Il voulait voir la Grande-Bretagne participer au Marché commun, tout comme le peuple français souhaitait un engagement britannique en Europe. Des proches comme Georges Boris craignaient la perte des marchés franco-africains si on les transformait en marché eurafricain, tout comme l’ensemble du peuple français qui défendait fermement l’Union française. Mendès France espérait l’unité de l’Europe, une fois la France en état d’en profiter, -i.e. de la dominer ?- Il s’est trompé, déclara Robert Marjolin. Il exprimait les blocages des hauts responsables, affolés à l’idée d’une ouverture des frontières, aux conséquences totalement absurdes ou dangereuses, y compris au risque d’une abdication de la Démocratie44. Mais que pense le parti radical ? Une partie des radicaux est hostile aux projets à Six. La clientèle de petits producteurs du parti craint la concurrence des industries européennes. Mais Maurice Faure, membre du parti, fut l’artisan des traités de Rome. Les radicaux, d’après Maurice Faure interrogé en 1964, sont majoritairement européens en raison du changement de génération, du succès du Marché commun et du fait que les traités ont été signés par un gouvernement de gauche. Maurice Faure trouve nécessaire de faire l’Europe en raison de l’évolution générale des techniques « Seulement par l’unité nous pourrons sauvegarder notre dignité, oui dignité », affirme-t-il45.

  • 46 Christophe Meslin, Le Mouvement Poujade et la construction européenne (1953-1957), Maîtrise Paris- (...)

45Les Poujadistes ne sont pas partagés sur l’Europe. Pierre Poujade défend la cause des petits artisans, petits commerçants, petits agriculteurs. Il est protectionniste, nationaliste, voire xénophobe. Il exprime les résistances et les déceptions des laissés pour compte de la société de consommation. Ce parti exprime à l’état brut des thèses extrémistes, partagées à des degrés très divers par l’ensemble de la population française. Le mouvement Poujade manifeste sa peur de la supranationalité et de la technocratie. Ces banalités sont, chez lui, portées à incandescence. Il croit que l’opinion française est manipulée par des mouvements occultes et secrets. Il puise aux racines de la droite français, obsédée par les complots, et plus particulièrement par le complot juif. Il refuse le progrès technique et la science. On reconnaît la peur des petits commerçants d’être anéantis par les managers modernes et les firmes capitalistes. Il craint le déclin de la France, si celle ci renonce à la bombe atomique. Le Mouvement Poujade « offre en quelque sorte une image grossie, exacerbée et un peu décalée des peurs et des appréhensions de la France vis-à-vis de la construction européenne » explique un chercheur46. Mais la différence entre Poujade et Mollet vient du fait que le premier appelle à la révolte un peuple qui a peur, tandis que le second demande habilement un dépassement de la peur.

  • 47 Isabelle Grondin, Georges Bidault face aux constructions européennes (1947-1954), Maîtrise Paris-1 (...)

46Le MRP est devenu un grand mouvement pro-européen en 1950, comme si le plan Schuman lui avait donné ses lettres de noblesse européennes. Le parti et Robert Schuman ont beaucoup fait pour habituer les militants républicains populaires à l’idée d’unité européenne. L’Europe unie fut durant longtemps la fierté du MRP. Mais si la foi européenne de Robert Schuman fut toujours vive, celle de Bidault fut variable, et très représentative des ambiguïtés de la société française et des difficultés à choisir une direction pour le pays. Georges Bidault était en 1946 l’exécuteur testamentaire de la politique européenne du général de Gaulle. Il rêvait d’une politique de force en Allemagne Mais il demande l’élection d’une Assemblée européenne en juillet 1948 après avoir organisé en juin 1947 la réponse de l’Europe à l’offre Marshall d’aide américaine. Il exprime en février 1949 le souhait d’une Confédération européenne en vue de la Fédération. Il ne faut pas écarter l’idée d’un intérêt pour l’Europe unie en raison des combats pour le pouvoir au sein de son parti le MRP. En 1950 Bidault rate un destin européen en ne patronnant pas le plan Monnet de Haute Autorité du charbon et de l’acier. Plus tard encore, en 1953, il répugne à s’engager clairement pour l’Autorité politique européenne au nom de la grandeur française et l’indépendance du pays. Georges Bidault n’est pas européen. Il est fondamentalement soucieux de la puissance française. L’Europe oui, mais demain semble-t-il penser47.

L’armée

  • 48 Philippe Vial, « Le militaire et le politique : le maréchal Juin et le général Ely face à la CED ( (...)
  • 49 Sylvie Makarenko, Une vision française de l’Europe politique et militaire entre 1960 et 1965 : une (...)

47Les historiens montrent que l’armée n’a jamais été la grande muette qu’elle prétendait être. Comment s’est-elle exprimée sur la CED ? Des travaux récents apportent une réponse48. La prise de position du maréchal Juin, le 27 mars 1954, contre la CED n’est pas l’expression d’une position unanime. Le général Ely, chef d’Etat-major général des Forces armées, était d’une autre opinion. S’agit-il d’une opposition stratégique entre les impériaux-atlantistes et les euro-atlantistes ? Il est sûr que Juin représente un courant de l’opinion qui estime que la France doit avoir le leadership au sein de la CED. Mais comme les difficultés en Indochine lui interdisent de peser comme il faudrait en Europe, il est préférable d’abandonner la CED. Pour Ely, il faut une armée européenne forte pour empêcher le retour à une stratégie périphérique dangereuse pour la France. Il faut enfin tenir compte des évolutions du temps. La France ne peut plus vivre sur son Empire. Ces déchirements entre militaires résultent d’analyses géostratégiques propres aux militaires. Néanmoins ces militaires reflètent bien l’état de l’opinion publique dont la majorité croit encore à l’Empire et à la nécessité de l’unité de l’armée. De Gaulle s’était exprimé contre la CED, sans avoir condamné un système européen de défense auquel participeraient des contingents allemands49. En revanche, l’attitude du général Ely s’aligne sur celle des modernistes du gouvernement français qui ont compris que l’Europe était l’avenir de la France parce qu’elle perdait l’Empire. Le débat au sein de la société militaire a repris avec Euratom. L’Euratom laissera-t-elle à la France la disponibilité de l’arme atomique ? En principe non, on l’a vu. Mais cette société militaire, relayée par les hommes politiques au gouvernement et proches des gaullistes, a su préserver l’avenir de l’arme nucléaire en cours d’élaboration, sans en référer à l’opinion publique et en empêchant Euratom de nuire à ce grand projet.

L’éducation au patriotisme européen

  • 50 Marie-Claude Blanc-Chaléard, « La perception de la puissance française à travers les manuels d’his (...)
  • 51 Cité par Florence Mourareau, Les écoles européennes : 1953-1978, les 25 premières années de leur c (...)

48Les Français ont-ils été formés à l’unité européenne par l’enseignement qu’ils ont reçu ? Des travaux sont en cours sur les manuels scolaires. Un esprit d’européisme a saisi le milieu enseignant dans les années cinquante, après le succès de la CECA. L’opinion est formée à l’unité européenne dans la mesure où les manuels d’histoire la mette en avant. Il peut s’agir de principes très généraux, du type : ‘Il faut faire l’Europe’, ou ‘l’Europe unie plutôt que la guerre’, d’une Europe atlantique, d’une Europe troisième force50. En revanche les travaux du Conseil de l’Europe sur l’éducation civique européenne n’ont guère eu de portée pratique en France. Ils cherchaient à réconcilier les peuples européens et à leur donner envie de vivre ensemble. La création de la Haute Autorité du Charbon et de l’Acier a entraîné en revanche la scolarisation « européenne » des enfants des hauts fonctionnaires installés à Luxembourg. Les hauts fonctionnaires européens créèrent une école européenne, pour leurs enfants, à Luxembourg en 1953, avec le soutien de Jean Monnet. L’approbation du Conseil des ministres de la CECA fut obtenue en juin 1954. La création de la CEE posa le problème d’une école européenne à Bruxelles. Elle fut ressentie comme concurrente des établissements français à l’étranger. Les réticences portèrent sur son coût, supérieur aux coûts des lycées français et sur son public, des enfants privilégiés. Or, écrivait un inspecteur général chargé d’évaluer le fonctionnement de ces écoles, « l’Europe sera celle des masses ou ne sera pas51 ». La France n’a donc pas ouvert d’écoles européennes, considérant que le système français était suffisant, y compris pour la scolarisation des enfants de hauts fonctionnaires européens non français. Ce comportement traduisait clairement l’ambiguïté de l’Éducation Nationale française, décidée à défendre la spécificité de la culture française au sein d’une Europe unie, tout en reconnaissant que le nationalisme est dépassé. L’expérience des écoles européennes n’a donc pas pu servir l’esprit de la coopération intereuropéenne en France.

  • 52 « d’azur portant cercle d’or et croix de gueules ».
  • 53 Robert Bichet, Le drapeau de l’Europe, Jacques et Démontrant, 1985, 35 p. « d’azur à un cercle com (...)

49Le drapeau européen aux douze étoiles d’or sur fond d’azur est né le 25 octobre 1955 au sein de l’Assemblée Consultative du Conseil de l’Europe. Les emblèmes européens n’étaient pas très nombreux en 1948 : le E rouge sur fond blanc, le E vert sur fond blanc du Mouvement européen, le drapeau de Paneuropa de Coudenhove52. Les Français eurent l’enthousiasme européen entre 1948 et 1950 et affichèrent le E vert du Mouvement européen. Devant cette révélation, Robert Bichet, député MRP, membre de l’Assemblée Consultative du Conseil de l’Europe, proposa la création d’un emblème européen spécifique. Sa création résulta des travaux d’une commission ad hoc qui reçut plus de 100 projets et en sélectionna 12, plus celui de Salvador de Madariaga composé d’étoiles d’or mises aux places des capitales européennes, sur un fond d’azur. On repoussa la croix comme symbole de l’Europe, et la commission adopta en 1953 un drapeau à 15 étoiles d’or en cercle sur champs d’azur. Des discussions suscitées par l’Allemagne conduisirent à une proposition de drapeau à 12 étoiles d’or en cercle. Le chiffre 12 étant invariable, quel que soit le nombre d’Etats membres du Conseil (ils étaient alors 14), comme étant le symbole de la perfection et de la plénitude53. On observera que ce drapeau ne vient pas d’un mouvement populaire, qu’il est le fruit d’un travail de comité, et qu’il correspond aux référents culturels ou spirituels moyens de la majorité des membres de l’Assemblée Consultative. Pourtant, - est-ce dû à son allure et à son équilibre ? - il a été adopté sans trop de problème par les peuples européens après avoir été choisi par la Communauté Économique Européenne comme son emblème. Il flotte désormais dans toute l’Union européenne, mais la IVe République l’a ignoré.

  • 54 Olivier Bailly, l’idée et le sentiment européens à la fin des années cinquante, étude de l’exposit (...)

50Dans le domaine de la culture et de l’éducation, la France a tendance à défendre des positions nationales qu’elle présente comme un idéal universaliste. Á l’Exposition Universelle de Bruxelles de 1958, le pavillon français est fait, pour un quart de la surface, des prouesses économiques de la reconstruction. La solidarité européenne manifestée par la CECA et par le Marché commun n’apparaît pas, bien que la France fasse déjà 34 % de ses exportations dans les pays de la CEE54. L’aventure coloniale pourtant bien écornée en 1958 était au cœur de l’expression nationale française, mais aussi britannique, belge et hollandaise. Bref, les Français cherchaient encore à mettre en valeur leur capacité économique, culturelle, et scientifique sans lui donner un cadre intereuropéen ou international.

Conclusion

  • 55 Le Monde, 20 juillet 1957.

51Á certains moments de l’histoire de la construction européenne, l’opinion publique est en décalage avec les responsables gouvernementaux. En 1948, au plus fort de la vague favorable à l’unité, entretenue par les gouvernements et les mouvements privés européens, l’opinion publique ne bascule pas vers l’unité. Elle résiste en fait aux évolutions nécessaires que perçoivent ces responsables politiques. L’opinion publique se passionne sans être profondément convaincue. Le plan Schuman n’a rien à voir avec un travail de conviction ou de mise en condition de l’opinion publique. Il faut du temps pour qu’elle le comprenne et l’accepte. Au moment de la CED, alors que le débat fait rage sur l’Autorité Politique européenne, le gouvernement tient compte des réticences de l’opinion à une telle APE, alors que les responsables gouvernementaux y seraient plus favorables. Au temps des traités de Rome, l’opinion publique est, au mieux, indifférente. Que de précautions Guy Mollet ne prend-il pas pour faire accepter par l’Assemblée nationale Euratom et le Marché commun. Le succès des communautés à l’Assemblée nationale en juillet 1957 ne doit rien à l’esprit d’unité européenne au sein de la Nation, mais au sentiment que les temps étaient venus de créer un grand Marché identique à celui des États-Unis, source de leur prospérité. Un tel sentiment apparaît parce que la reconstruction est achevée et que la concurrence se fait plus rude entre les États-Unis et l’Europe occidentale. Le succès du Marché commun vient du succès de l’agriculture française, de la modernisation, de la rationalisation, de l’éducation du monde rural à la productivité. Il vient de l’analyse faite par un grand nombre d’agents économiques que le Marché commun est source de profits et de bien-être, bref que la modernité s’exprime par de telles constructions. Cette analyse rencontre le projet plus politique ou plus culturel de gouvernants et de groupes de pression décidés à réaliser leur rêve internationaliste et humaniste à travers l’unité européenne. La société française à travers ses diverses composantes renvoie cependant l’image d’une France étonnée de devoir entrer en communauté européenne. Les orateurs du Conseil de la République ou de l’Assemblée nationale se sont parfois excusés de devoir expliquer les traités. La guerre d’Algérie pesait de tout son poids, ainsi que les problèmes intérieurs, économiques et financiers. Léo Hamon écrit à propos de la ratification des traités de Rome : « Les débats se déroulent devant des auditoires que déciment la résignation, la chaleur et la répugnance aux controverses des spécialistes. Un jour la France s’étonnera d’apprendre dans quelle apathie son destin aura été engagé55 ». En 1956-57 les élites gouvernementales ont tenu dans leurs assemblées le débats publics qui ont eu lieu lors de la ratification du traité de Maastricht en 1992. En majorité, elles ont joué un rôle d’avant-garde enthousiaste en 1950, subtilement intelligente en 1956-1957. Elles ont infléchi durablement le destin de la France en choisissant l’ouverture européenne, « le dépassement de l’État » propose Jean-Baptiste Duroselle, alors que la plupart des composantes du corps social étaient tournées vers la conservation du passé, i.e. vers l’invariant durosellien de la conservation de l’État.

Notes

1 L’enquête se fonde d’abord et avant tout sur la production historique des jeunes chercheurs de l’Institut Pierre Renouvin de l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne dirigés par le professeur René Girault et sur les colloques, tables rondes, thèses, articles, livres des chercheurs associés de l’Institut Pierre Renouvin, mais aussi des chercheurs du groupe de liaison des Historiens près les communautés européennes, et ceux des programmes de recherches Identités et conscience européennes au xxe siècle (1989-1993) et Identité et solidarité européennes au xxe siècle (1994-1998), financés par l’Union européenne, le CNRS, le Ministère de l’enseignement supérieur français.

2 Sondages, 1958, n° 1 et 2, « La politique étrangère de la France et l’opinion publique, 1954-1957 », Préface, p. XIII.

3 Jean-Baptiste Duroselle, « les invariants de la politique étrangère de la France », Politique étrangère. n° 1, 1986, p. 13-24.

4 Christine Manigand et Anne Dulphy, « L’opinion publique française face à l’unification européenne : approche quantifiée » actes du colloque de la Sorbonne, les élites et l’unité européenne, 3 et 4 mai 1996, programme sur les identités européennes, texte dactylographié.

5 Christine Manigand et Anne Dulphy, « L’opinion publique française face à l’unification européenne : approche quantifiée » actes du colloque de la Sorbonne, les élites et l’unité européenne, 3 et 4 mai 1996, programme sur les identités européennes., texte dactylographié, p. 3.

6 Sondages, 1958, n° 1 et 2, La politique étrangère de la France et l’opinion publique, 1954-1957, p. 31.

7 voir Annick Percheron, « Les Français et l’Europe, acquiescement de façade ou adhésion véritable ? » RFSP, vol 41,3, juin 1991, p. 382-406.

8 Sondages, 1958, n° 1 et 2, La politique étrangère de la France et l’opinion publique, 1954-1957, p. 45.

9 Sondages, 1958, n° 1 et 2, La politique étrangère de la France et l’opinion publique, 1954-1957, p. 27.

10 37 % pour, contre 22 % et 41 % n.s.p.p.

11 SGCI, F60, classement provisoire, carton 24, dossier 122-22A, J. Piette, présidence du Conseil, cabinet. 8 février 1957.

12 Voir sur ce thème de la réconciliation le travail de Anne Deschryver, l’Office franco-allemand pour la Jeunesse : de la réconciliation à l’interculturel, une nouvelle perception de l’autre, depuis 1963, Maîtrise Paris-1, Panthéon-Sorbonne, Institut Pierre Renouvin, direction de G. Bossuat et R. Frank, 1996.

13 dans le carton 560 AP 61, le nom, l’origine et la date de ces déclarations pétitions, ou lettres sont indiqués précisément.

14 Fabrice d’Almeida, l’image de l’Europe dans les affiches politiques françaises au xxe siècle, Mémoire de DEA, dire : prof Pierre Favre, IEP de Paris, 1989, chapitre 8, p. 87, dactylographié.

15 Séverine Lamoureux, La presse favorable à Pierre Mendès France et l’Europe (1953-1963), Maîtrise d’histoire Paris-1, René Girault, Gérard Bossuat, 1993, p. 61.

16 Guichaoua Eisa, Le comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe et son influence sur la presse (1955-1957), Maîtrise Paris-1, René Girault - G. Bossuat, 1992.

17 Pierre Grémion, Intelligence de l’Anticommunisme : le Congrès pour la libellé de la Culture à Paris, 1950-1975, Fayard" Paris, 1995.

18 Nicolas Dupont, Anticommunisme, européisme dans les revues européennes liées au Congres pour la liberté de la culture, de 1953 à 19G8, petit mémoire de DEA, DEA d’histoire des relations internationales et des mondes étrangers, Paris-1, séminaire spécialisé, sous la direction de G. Bossuat, juin 1996. non publié., p. 10.

19 Jean-Marie Vial, L’adaptation de l’économie française à la première phase du Marché commun, 1958-1963, Maîtrise Paris-1, René Girault et Gérard Bossuat, juin 1994, p. 25.

20 Robert Marjolin, Le travail d’une vie, Mémoires 1911-1986, Robert Laffont, 1986, p. 281.

21 Paule Valois, Les syndicats français ouviiers et fonctionnants face à la « construction de l’Europe », 1954-1957, Maîtrise Paris-1, René Girault, 1987.

22 Cité par Emmanuel Barraux, Les opposants au traité Je Rome en finance, entre 1955 et 1957, maîtrise Paris-1, Robert Frank, Gérard Bossuat, 1995, p. 83.

23 Hervé Montjotin, Le rôle de la presse économique française dans la relance européenne et l’élaboration du marché commun (1955-1957), Maîtrise Paris-1, René Girault, 198G, p. 40. Cette maîtrise remarquable a inspiré très largement la présentation des acteurs économiques face au marché commun.

24 SGCI, F60, classement provisoire, carton 26, dossier 122.23, 24, chambre syndicale des constructeurs de navires et de machines marines, 9 février 1957 et 29 janvier 1957 ; syndicat des affineurs de France, 8 février 1957 ; Association des directeurs des grands ports français, 2 janvier 1957 à SGCI ; Fédération des industries mécaniques et transformatrices des métaux, 26 septembre 1956, le vice-président exécutif, J. Martin à Alby, SGCI.

25 52 J 115, CNPF 15 janvier 1957, exposé du président Villiers à l’Assemblée Générale du CNPF. 7 pages dactylographiées.

26 Philippe Mioche, « L’adaptation du patronat de la sidérurgie française à l’intégration européenne de 1945 à 1967 », p. 67, in Dumoulin Michel, Girault René, Trausch Gilbert, L’Europe du patronat, de la guerre froide aux années soixante, Peter Lang, 1993.

27 SGCI, F60, classement provisoire, carton 26, dossier 122 - 23-24, chambre syndicale des constructeurs d’automobiles, n° 28.829,15 janvier 1957, à j. Donnedieu de Vabres, SGCI.

28 Valérie Gas, Les milieux d’affaires de l’industrie face à la construction de l’Euivpe, un exemple : l’automobile, 1953-1957, Maîtrise Paris-1, René Girault, 1990, p. 184.

29 Jean-Marie Vial, L’adaptation de l’économie française à la première phase du Marché commun, 195S-1963, Maîtrise Paris-1, René Girault et Gérard Bossuat, juin 1994, p. 30.

30 Eric Bussière, « Les milieux économiques français et la question de l’unité économique de l’Europe des années vingt aux années cinquante » in Ciampani Andrea (a cura di) L’Altra via per l’Europa. Forze sociali e organizzazione degli interessi nell’integrazione europea (1947-1957), Fondazione Giulio Pastore, FrancoAngeli, Milano, 1995, p. 60.

31 SGCI, F 60, classement provisoire, carton 28, séance du 19 juillet 1957, au Conseil de la République.

32 Jean-Marie Vial, L’adaptation de l’économie française à la piemière phase du Marché commun, 1958-1963, Maîtrise Paris-1, René Girault et Gérard Bossuat, juin 1994, p. 50

33 Serge Berstein, Pierre Milza, Jean-Marie Mayeur (sous la direction de), Le MRP et la construction européenne (1944-1966), Actes du Colloque des 18-19 janvier 1990, Complexe, Bruxelles, 1993, 366 p.

34 Jean-Dominique Durand, « De la communauté nationale à la communauté européenne. L’Europe dans les débats du catholicisme social français (1946-1962), p. 98 et seq. in Ciampani Andrea (a cura di) L’Altra via per l’Euivpa. Forze sociali e oiganizzazione degli interessi nell’integrazione europea (1947-1957), Fondazione Giulio Pastore, FrancoAngeli, Milano, 1995.

35 Cahiers Léon Blum, « La SFIO et la politique extérieure de la France, entre 194 5 et 1954 », n° 21, 1987,104 p.

36 Premier comité interministériel sur les instructions à donner à la délégation française à la Conférence internationale sur la Marché commun, cité par Eric Kocher, Le rôle de la France dans les négociations des traités de Rome (un aspect de la relance, 1954-1957), volume 1, Maîtrise Paris-1, René Girault, 1989, p. 115.

37 Valérie Lathière, François Mitterrand et les grands enjeux de la politique extérieure (1945-1958), Mémoire de DEA d’histoire contemporaine, René Girault, 1991, 74 p. p. 22 à 48.

38 François Mitterrand, Présence Française et abandon. Plon, 1957.

39 Rapport de politique étrangère présenté au Congrès national du MRP (12-14 mai 1956), cité par Raymond Poidevin, Robert Schuman, Beauchêne, 1988, p. 211 -212.

40 E. Bjøl, La France devant l’Europe, la politique européenne de la IVe République (1945-1957), voir les entretiens publiés à la fin de la thèse dactylographiée consultable à l’Institut Pierre Renouvin, Centre d’histoire des relations internationales contemporaines, Université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne, 14 rue Cujas, Paris 5e.

41 José Gotovitch, Pascal Delwit, Jean-Michel De Waele, L’Europe des communistes, Complexe, Bruxelles, 1992, p. 230.

42 Philippe Manin, Le Rassemblement du Peuple français (RPF) et les problèmes européens, PUF, 1966, p. 128.

43 Serge Berstein, « le général De Gaulle, le RPF et la CED », Espoir, n° 87, décembre 1992, p. 16-27.
Wilfried Loth, « De Gaulle et la construction européenne : la révision d’un mythe », Francia, 20/3 1993, p. 61 -72.

44 Robert Marjolin, Le travail d’une vie, Mémoires 1911-1986, Robert Laffont, 1986, p. 290.

45 In E. Bjøl, op. cit. entretien avec M. Maurice Faure, président du rassemblement démocratique, 1er juillet 1964.

46 Christophe Meslin, Le Mouvement Poujade et la construction européenne (1953-1957), Maîtrise Paris-1, René Girault et Gérard Bossuat, 1994, p. 177.

47 Isabelle Grondin, Georges Bidault face aux constructions européennes (1947-1954), Maîtrise Paris-1, G. Bossuat, R. Frank, 1994-1995, p. 129.

48 Philippe Vial, « Le militaire et le politique : le maréchal Juin et le général Ely face à la CED (1948-1954) », in L’échec de la CED : leçons pour demain ? acte du colloque de Louvain-la-Neuve, 30-31 mars, 1er avril 1995, sous la direction de Michel Dumoulin, Bern, Peter Lang, 1996.

49 Sylvie Makarenko, Une vision française de l’Europe politique et militaire entre 1960 et 1965 : une étude de presse spécialisée, Maîtrise d’histoire, Paris-1, René Girault, 1989, p. 247.

50 Marie-Claude Blanc-Chaléard, « La perception de la puissance française à travers les manuels d’histoire et de géographie », p. 53, Travaux et recherches, n° 4, été 1992, Institut Pierre Renouvin, Université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne.

51 Cité par Florence Mourareau, Les écoles européennes : 1953-1978, les 25 premières années de leur création. Maîtrise Paris-1, René Girault, 1991, p. 52.

52 « d’azur portant cercle d’or et croix de gueules ».

53 Robert Bichet, Le drapeau de l’Europe, Jacques et Démontrant, 1985, 35 p. « d’azur à un cercle composé de 12 étoiles d’or à cinq rais dont les pointes ne se touchent pas ».

54 Olivier Bailly, l’idée et le sentiment européens à la fin des années cinquante, étude de l’exposition universelle et internationale de Bruxelles en 1958, maîtrise d’histoire, Paris-1, René Girault, Gérard Bossuat, 1994.

55 Le Monde, 20 juillet 1957.

Table des illustrations

Titre Tableau 1, Attitudes à l’égard de l’Union de l’Europe
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Titre Tableau 2. Image de la RFA. en France
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Titre Tableau 3. Image de la Grande-Bretagne en France
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Titre Tableau 4, Opinions françaises sur la RFA. et la Grande-Bretagne en pourcentage
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Titre Tableau 5, Question : L’énergie atomique sera en définitive pour l’humanité :
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