Chrysalides. Volumes I et II
|Chapitre 5. « Élever » les enfants ou le poids des tâches matérielles
Texte intégral
- 1 Procès-verbal du juge d’instruction de Bar-le-Duc : 3 novembre 1899, A.D., Meuse, 20 U 44.
- 2 Lettre au Procureur : 24 octobre 1933, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 3 Les sociologues limitent l’élevage des enfants, stricto sensu, à l’alimentation, à l’habillement et (...)
- 4 Sur 342 dossiers de déchéances, 53 sont prononcées pour insalubrité du logement et 68 pour défaut d (...)
1La plupart des témoins s’entendent sur une définition minimale de l’« élevage » des enfants, qui reste inchangée, en apparence, pendant toute la IIIe République. Le juge de Bar-le-Duc, s’adressant à un compassier de Ligny, énumère ainsi les soins qui incombent aux parents : « beaucoup d’ouvriers sont comme vous chargés d’enfants et trouvent le moyen d’habiller leurs enfants, de leur faire donner de l’instruction et de les nourrir » 1. Subrogé-tuteur d’un petit-fils négligé par sa mère, une grand-mère souhaite en assumer la garde légale et, écrit-elle, « nous ne demandons que le droit de continuer à nourrir, instruire et éduquer l’enfant »2. Dans la hiérarchie des devoirs, les tâches concrètes l’emportent donc en urgence sur l’« éducation »3. Mais sous des vocables immuables, l’« élevage » des enfants qui est largement tributaire de l’environnement matériel, et d’abord du budget et du logement, évolue avec l’élévation des niveaux de vie et des exigences sociales. Ainsi, au xxe siècle, près de 40 % des déchéances parentales sont requises parce que la famille habite un taudis ou dispose de ressources insuffisantes4. Lorsque les revenus sont faibles, les dépenses consacrées aux enfants sont comprimées au plus juste si bien que de nombreux parents jugés indignes par les institutions de bienfaisance et les médecins, ne sont que misérables. Il convient donc de garder en mémoire la « force des choses » qui pèse lourdement sur l’éducation des enfants, aux côtés de la lutte entre tradition et modernité, entre hygiène et « recettes de bonne femme ». En effet, c’est durant la IIIe République que s’opère un retournement décisif des mentalités. L’opinion longtemps fataliste s’insurge, enfin, devant une mortalité infantile très élevée et d’autant plus scandaleuse que les médecins savent désormais en neutraliser les causes exogènes. La lutte pour l’hygiène, empirique d’abord puis scientifique avec la révolution pastorienne, investit l’élevage des enfants et bouleverse des gestes souvent séculaires. L’étude des pratiques maternelles doit donc également prendre en compte l’entrée de la société française dans l’ère de la médicalisation.
- 5 Selon l’expression de G. Delaisi de Parseval et S. Lallemand, L’art d’accommoder les bébés. Cent an (...)
- 6 La série M est particulièrement pauvre. Les dossiers de l’Assistance Publique sont peu abondants et (...)
- 7 Soit comme médecins des consultations de nourrisssons et Gouttes de lait, soit comme médecins-inspe (...)
- 8 J.-N. Luc, « “A trois ans, l’enfant devient intéressant...11 La découverte médicale de la petite en (...)
- 9 Voir C. Rollet-Echalier, La politique à l’égard de la petite enfance sous la IIIe République, Paris (...)
- 10 J’ai seulement complété quelques notes.
- 11 C. Rollet déclare, au reste, que « cette étude des réactions du “public” reste largement à faire pa (...)
2L’étude des tâches matérielles est plus délicate qu’il n’y paraît. D’une part, elle implique de toujours distinguer entre l’« art d’accommoder les bébés » dont l’âge implique pour les éducateurs une disponibilité de tous les instants, et le contrôle plus rapide exercé sur les enfants plus âgés et réputés autonomes5. Elle se heurte, d’autre part, au même écueil que les tâches ménagères. Autant les archives sont riches sur l’« éducation » et les relations affectives, autant elles négligent les gestes quotidiens. Elles se taisent le plus souvent sur le type d’allaitement pratiqué, a fortiori sur le nombre des tétées. De même, le vestiaire des enfants n’est jamais décrit, seul son état de propreté est signalé, et c’est déjà beaucoup. Lorsque la saleté corporelle est mentionnée, dépeinte même, elle n’est que rarement interprétée en fonction des traditions locales, des superstitions, ainsi pour la croûte de lait des nouveaux-nés. Les archives sanitaires sont tout aussi décevantes, principalement statistiques, trop théoriques souvent, très inégalement réparties surtout6. Il faut donc recourir aux folkloristes et aux ethnologues, très précieux ici, ainsi qu’aux médecins engagés sur le terrain dans la protection de l’enfance7. De nombreux observateurs, toutefois, surtout sensibles au sort des bébés, négligent la deuxième enfance, que certains médecins commencent à isoler de l’âge de raison8. Dernière difficulté : l’absence d’une étude exhaustive sur la politique de l’enfance aux xixe et xxe siècle alors même que se mettent met en place les infrastructures de la P.M.I. Lorsque j’ai rédigé ce chapitre, la thèse de Catherine Rollet était attendue mais pas encore publiée9. Aussi m’étais-je refusé à empiéter sur son domaine de recherche, sans m’interdire, pour la clarté de mon propos, certaines précisions d’ordre institutionnel ou sanitaire. Je n’ai pas jugé nécessaire, après avoir lu son travail, de remanier mon exposé10. Au contraire, j’ai été confortée dans ma démarche, complémentaire et non concurrente d’un projet qui vise à retracer l’histoire d’une politique et non des pratiques11.
- 12 En 1875 et 1910, un ouvrier et un employé de la région parisienne.
- 13 Procès-verbal de gendarmerie de Nouzon : 9 janvier 1913, A.D., Ardennes, 4U315/1.
- 14 Mémoire de l’inculpé sur sa vie, s. d., 1926, A.D., Bouches-du-Rhône, 208 U 22/142. L’inculpé tue s (...)
- 15 L. Wylie, Un village du Vaucluse, Paris, 1968, 2e éd., Gallimard.
- 16 G. Augustins et R. Bonnain, Les Baronnies des Pyrénées, t. 1 : Maisons, modes de vie, société, Pari (...)
3La responsabilité des mères dans l’élevage de leurs enfants est écrasante, surtout de la naissance à l’âge de deux ans. Elle n’est partagée qu’avec d’autres femmes : parentes, voisines, nourrices, personnel féminin des crèches... J’ai retrouvé dans les dossiers de la série U quatre pères seulement pour soigner leur nourrisson. Deux d’entre eux se résignent à changer les langes de l’enfant que la mère laisse croupir dans la fange12. Un frappeur ardennais aide spontanément sa jeune épouse : « pendant le jour je ne me suis jamais personnellement occupé de notre enfant mais il m’arrivait très souvent de me relever la nuit pour lui donner à boire » 13. Je citerai, enfin, le cas exceptionnel d’un Corse vivant à Marseille, mécanicien de son état mais époux oisif d’une riche rentière créole, qui assume l’éducation de sa fille avec un souci particulièrement poussé des détails et de l’hygiène : « j’ai toujours soigné l’enfant comme une nourrisse car ma femme n’a pas voulu allaiter son enfant. (...). C’est moi qui gardé l’enfant la nuit et le matin, j’allais acheter le lait, faisait les biberons, la baigné (...). Lorsque la bonne partait à six heures je sorté mon enfant dans sa voiture jusqu’à sept heures, la je lui donné son biberon la changé et la couché près de moi dans son petit lit », quand elle avait « la diaré, c’est moi qui la berssai dans mes bras la nuit. C’était mon devoir car c’était mon enfant, moi plus a la mère (...). Je n’ai pas fait seulement moin devoir de père mai aussi de mère »14. Mais de tels papas-poules sont rarissimes. En principe, un homme ne fait jamais manger son enfant avant qu’il soit sevré. Il ne lui donne pas le biberon, le lait renvoyant à la physiologie féminine. L’usage interdit même au père toute intervention sauf pour prouver son affection. A Roussillon (Vaucluse), l’opinion condamne toujours en 1950 le père qui pouponne15. On tolère, tout au plus, qu’il se charge des tâches induites par la présence d’un nourrisson : dans les Baronnies, il se lève la nuit pour ranimer le feu afin que le bébé n’ait pas froid16. L’élevage des jeunes enfants retombe donc sur les mères et les femmes qui les aident.
4 C’est une lourde sujétion qui s’ajoute à d’autres travaux, agricoles, industriels et domestiques. Les femmes tentent d’alléger leur tâche en recourant à des solutions rapides mais, en même temps, soucieuses du bien-être de leurs enfants, elles peuvent mettre en œuvre des mesures préventives qui l’alourdissent. De plus, les interventions extérieures se multiplient qui, toutes, exigent une disponibilité maternelle accrue. Aussi, tenterai-je, chemin faisant, de cerner les réponses féminines face à ces pressions qui revalorisent leur rôle mais exagèrent leurs responsabilités et dévorent leur temps.
Nourrir les enfants : la priorité
L’alimentation des bébés
5L’allaitement au sein qui lie la mère au nourrisson est loin d’être la norme pendant la IIIe République. L’usage du biberon qui permet de déléguer à autrui cette tâche, va croissant cependant que parfois très précocement, l’enfant passe à une nourriture mixte.
Déclin et résistance de l’allaitement maternel
- 17 Voir les travaux de C. Rollet, « Allaitement, mise en nourrice et mortalité infantile en France à l (...)
- 18 Selon une circulaire de l’inspecteur pour la protection des enfants du premier âge : 19 mars 1888, (...)
- 19 Ainsi, à Carpentras, « dans le plus grand nombre des ménages pauvres (...) l’allaitement et les soi (...)
- 20 Procès-verbal de gendarmerie de Gilhac : 25 juin 1890, A.D., Ardèche, 2U 394.
- 21 M. Leproux, Du berceau à la tombe, Paris, 1959, PUF. Il signale deux cas extrêmes d’enfants encore (...)
- 22 Ouvriers des deux mondes, 1902-1903, 3e série, t. 2.
- 23 M. Dubesset et M. Zancarini-Foumel, op. cit.
- 24 F. Chapiseau, Le folk-lore de la Beauce et du Perche, t. 1, Paris, 1902, Maisonneuve.
- 25 R. Coursault, Le folklore de la Touraine, Paris, 1972, Maisonneuve. En Beauce blésoise, la mère nou (...)
- 26 L’homme, la vie, la mort dans le Nord au XIXe siècle, Lille, 1979, P.U. de Lille.
- 27 D’après les rapports des médecins-inspecteurs de Seine-Inférieure, dans les années 1899-1911, moins (...)
6Au xixe siècle, l’allaitement est moins répandu en France que dans le reste de l’Europe. Qui plus est, il s’agit d’une pratique géographiquement, voire socialement circonscrite. Absent dans la France du Nord, Bretagne exceptée, l’allaitement résiste bien dans le sud du pays jusqu’en plein xxe siècle17. Il est universel dans les Hautes-Alpes en 1888, y compris pour les enfants placés en nourrice18. De même, en Vaucluse, pour ne citer qu’un exemple chiffré, sur les 4 673 enfants nés en 1897, 452 seulement sont élevés au biberon, principalement dans les familles urbaines les plus pauvres19. Non seulement, l’allaitement est général dans le Midi mais il dure longtemps. Un mineur ardéchois qui signale le départ de sa femme et de ses deux filles de six ans et vingt mois, précise : « cette dernière est encore allaitée par sa mère » 20. En Charente, la règle des dix-huit mois perdure encore dans les années 1920, certaines mères allant même jusqu’à deux ou trois ans21. En Tam-et-Garonne, au début du siècle, le fils du jardinier de Casseras, a été allaité « une paire d’années » 22. En Limousin, l’enfant est élevé au sein jusqu’à un an quoique la nourriture soit diversifiée dès le troisième mois. A Saint-Etienne, dans les années 1930, même les femmes actives nourrissent leur enfant23. De fait, la plupart des 42 dossiers de la série U qui mentionnent l’allaitement, sont concentrés dans la France méridionale. Mais certains en font également état dans le Doubs, l’Aube, la Marne et la Seine où dans les années 1870 et 1880, les enfants élevés par leurs familles semblent souvent allaités. D’autres documents attestent au moins sa survivance dans la France septentrionale. Le biberon ne s’imposerait en Beauce et dans le Perche que vers 190024. En Touraine, René Coursault souligne qu’une femme se sent déshonorée de ne pouvoir allaiter25. Dans le Nord où, pourtant, les médecins se lamentent, la moitié des nouveaux-nés lillois sont allaités en 1877. Les chiffres atteignent même 93 % en 1904 dans le bassin de Béthune où les femmes, faute d’emploi, restent au foyer, et ils sont très voisins dans la zone côtière26. La seule région où l’allaitement a presque disparu depuis le début du xixe siècle est la Normandie27. L’élevage au sein est donc largement déterminé par les habitudes locales mais la situation professionnelle de la mère joue également un rôle important.
- 28 C. Géniaux, La Bretagne vivante, Paris, 1912, H. Champion, p. 19.
- 29 La carte de la mortalité infantile reflète ainsi à la fois le sevrage tardif et l’allaitement artif (...)
- 30 Voir J.-L. Flandrin, Familles, Paris, 1976, Hachette, ainsi que E. et F. Van de Walle, « Allaitemen (...)
- 31 Voir M. Leproux, op. cit., et Coutumes d’enfance en Forez, Saint-Etienne, 1981, Université pour tou (...)
- 32 Procès-verbal du juge d’instruction de Bar-sur-Aube : 10 mai 1891, A.D., Aube, 4U 316.
- 33 Séance du comité départemental de protection de l’enfance du 4 juillet 1896, A.D., Vaucluse, 3X 18. (...)
- 34 Procès-verbal du juge de paix de Boussières : 12 septembre 1876, A.D., Doubs, U 4003.
- 35 Procès-verbal du juge d’instruction de Mamers : 4 janvier 1907, A.D., Sarthe, 1U 915.
- 36 Acte d’accusation : 10 décembre 1908 et procès-verbal de police de Montmorency : 25 janvier 1909, A (...)
- 37 Dans la Seine, en 1880, 80 % des nourrissons sont envoyés en nourrice avant un mois mais 64 % seule (...)
- 38 C. Rollet : « L’allaitement artificiel... », op. cit.
7D’une façon générale, les femmes au foyer et les paysannes le pratiquent plus souvent que les ouvrières. A la campagne, les mères emportent leurs nourrissons aux champs pour les nourrir à la demande tout en travaillant, ou bien elles modulent leurs horaires en fonction des tétées. En revanche, les ouvrières, contraintes financièrement de reprendre au plus vite le chemin de l’usine, y renoncent facilement. L’allaitement peut néanmoins être choisi pour ses avantages, réels ou supposés. En effet, malgré l’assujettissement matériel qui en découle, il est commode. La nuit, la mère n’a pas besoin de se lever : le berceau peut être placé sur le banc accoté au lit des parents comme en Bretagne, il peut être également suspendu au dessus du lit, ainsi en Auvergne. L’absence de coût apparent milite également en sa faveur dans les familles pauvres, car le lait « représente une certaine dépense », d’où les sevrages tardifs28. La durée excessive de l’allaitement engendre alors des carences alimentaires, responsables d’une mortalité infantile aussi élevée qu’en cas d’allaitement artificiel29. Certains couples (mais combien ?) s’y rallient pour ses vertus contraceptives, prisées dès le xviiie siècle et en partie vérifiées par les démographes30. Cette croyance reste vivace en Charente comme en Forez : « ça évitait d’être enceinte », et elle affleure même dans les archives31. Le mari d’une giletière de Voigny (Aube) en témoigne : « tant que ma femme a allaité son enfant, je ne prenais pas de précautions. Elle me disait, “En donnant à boire, il n’y a pas de danger” » cependant que le juge, incrédule, écrit en marge de la déposition : « a-t-il pu vraiment croire qu’une femme qui nourrit ne peut pas devenir enceinte !?!? C’est inadmissible »32. Le coût des nourrices peut également conduire les mères à renouer avec l’allaitement, ainsi en Vaucluse où certaines femmes qui avaient l’habitude de placer leurs nourrissons, « se résignent plus souvent qu’autrefois (...) à allaiter elles mêmes leurs enfants » 33. D’autres sont convaincues de la supériorité du lait maternel. Ainsi, cette lingère de Pouilley-les-Vignes (Doubs) cherche pour son nouveau-né une nourrice « qui lui donnerait le sein parce qu’elle trouvait que la nourriture au biberon n’était pas convenable » 34. Enfin, l’opinion commence à associer allaitement et amour, fustigeant la mère qui, en se soustrayant à cette fonction naturelle, ferait montre d’un cœur sec. Une femme de chambre souligne, en ces termes, l’affection portée à ses quatre enfants par une propriétaire noble, rentière en son château du Chesnay (Sarthe), aidée par une nombreuse domesticité mais disciple de l’Emile : « cette femme aimait beaucoup ses enfants, elle les a allaités elle même » 35. Dans une famille bien plus modeste de pépiniéristes, à Montlignon (Seine-et-Oise), si les deux aînés sont « l’objet d’une grande affection et de soins assidus » et leurs deux sœurs, en revanche, négligées par leur mère, cela tient, selon leur tante, à ce que « les deux jumelles sont restées en nourrice jusqu’en avril dernier tandis que les autres enfants ont été nourris par elle » 36. L’amour maternel passerait ainsi par le contact physique avec le bébé. Ce lien pousse certaines femmes à allaiter au moins pendant leur congé de maternité, d’où l’effondrement des placements dès le premier mois, puis à nourrir leur enfant à temps partiel dès qu’elles retravaillent37. Dans les villes industrielles du Nord, de l’Est ou de Normandie, la mère allaite la nuit l’enfant qui durant la journée, est nourri au biberon par sa gardienne38.
- 39 Dr Legendre, Des préjugés populaires dans les maladies de l’enfance et en particulier dans le Morva (...)
- 40 R. Le Berre, Bretagne d’hier, Rennes, 1937, imprimerie d’Ouest-France, p. 21.
- 41 L. Wylie, op. cit.
- 42 Ainsi, Mme F. s’y refuse jugeant trop rapide une tétée limitée à cinq minutes par sein. Voir M. Dub (...)
- 43 F. Thébaud, Donner la vie, op. cit.
- 44 F. Loux, Le jeune enfant et son corps dans la médecine traditionnelle, Paris, 1978, Flammarion.
- 45 G. Delaisi de Parseval et S. Lallemand, L’art d’accommoder les bébés, op. cit.
- 46 Professeur Budin, « La mortalité infantile dans les Bouches-du-Rhône », L’obstétrique, juillet 1907 (...)
8Si la géographie de l’allaitement peut être grossièrement reconstituée, ses modalités sont rarement mentionnées. Les archives judicaires se taisent. Les folkloristes, disserts sur la durée de l’allaitement, le sont moins sur ses rythmes quotidiens. Les observateurs attentifs s’accordent, cependant, tous sur le primat de l’allaitement à la demande. C’est la règle à la campagne. Si l’enfant pleure, « vite, on lui donne le sein, et on répète ce moyen chaque fois que l’enfant crie », pratique qui explique les indigestions perpétuelles du petit Morvandiau39. En Finistère, les mères obéissent au précepte suivant : « il ne faut ni forcer ni refuser un enfant en quoi que ce soit » 40. En 1950, à Roussillon, les femmes allaitent toujours leur enfant dès qu’il s’impatiente, malgré les prescriptions rigoureuses des médecins et de l’institutrice41. En ville, l’usage est également répandu. A Saint-Etienne dans l’entre-deux-guerres les femmes refusent les horaires fixes préconisés par les sages-femmes42. Dès le xixe siècle, en effet, le corps médical tente d’imposer des tétées toutes les deux heures et demie-trois heures le jour, tout en concédant qu’elles peuvent être plus espacées la nuit. Il est significatif, selon Françoise Thébaud, que de nombreux médecins n’apportent aucune justification scientifique à la règle qu’ils édictent, ce qui donnerait à penser que leur but est d’abord idéologique43. Il s’agirait de discipliner l’enfant dès son plus jeune âge et, partant, sa mère. Françoise Loux y voit la volonté d’imposer à tous le temps parcellaire de la société industrielle44. Germaine Delaisi de Parseval et Suzanne Lallemand, formées à la psychanalyse et à l’ethnologie africaine, y décèlent une idéologie de contrainte et un moyen de conjurer l’angoisse face à l’enfant45. Sans récuser ces interprétations, il convient de souligner, toutefois, que la fixation de rations maximales et la régularisation des tétées reposent sur des raisons objectives. Le gavage des nourrissons est, en effet, un fléau dénoncé par de nombreux médecins. Dans les Bouches-du-Rhône par exemple, où « la plus grande partie des enfants sont élevés au sein », les diarrhées occasionnées par la « suralimentation » sont aussi meurtrières que le biberon46. Toutefois, un allaitement « diététique » suppose des pesées régulières difficiles à exiger faute de pèse-bébés et en raison du refus, surtout à la campagne, de menacer la croissance des enfants par un acte jugé traditionnellement maléfique.
Le triomphe du biberon
- 47 En revanche, à Baudelocque, il progresse, passant, entre 1922 et 1936, de 65,7 % à 92,7 %. Voir F. (...)
- 48 Selon C. Rollet, « Nourrices et nourrrissons... », op. cit.
- 49 L. Bemot et R. Blancard, Nouville, un village français, Paris, 1953, Institut d’ethnologie.
- 50 A. Taverne, Coutumes et superstitions foréziennes, t. 4 : Les étapes de la vie, Ambierle, 1972, éd. (...)
- 51 Je n’ai retrouvé que 19 mentions dans la série U dont neuf cas où le refus d’allaiter est clairemen (...)
9A partir de 1900-1905 et malgré l’intensification de la propagande en faveur de l’allaitement, celui-ci recule. En 1925, le Dr Viment affirme qu’un enfant sur dix seulement en bénéficie et le Dr Sicard songe à le rendre obligatoire. Ce recul est même remarqué dans les consultations de nourrissons où pourtant, deux-tiers à trois-quarts des enfants sont nourris au sein47. Autre signe, le déclin des nourrices allaitantes : on en comptait encore 37 % à la fin du xixe siècle mais 6 % seulement en 1925-192648. L’étiage semble atteint en 1939 puisqu’à Nouville, en Normandie, l’allaitement reprend seulement après la Seconde Guerre mondiale49. L’entre-deux-guerres voit donc se généraliser le biberon, longtemps limité à certaines régions. En Forez, c’est « à partir des années 1930 » que l’allaitement artificiel au lait condensé se développe50. Mais les archives mentionnent rarement le sujet sauf refus manifeste de la mère51.
- 52 Selon E. et F. Van de Walle : « Allaitement, stérilité..., op. cit. ; F. Faÿ-Sallois, Les nourrices (...)
- 53 C. Germain et C. de Panafieu, op. cit., p. 148.
- 54 Procès-verbal du juge de paix de Rives : 3 mars 1881, A.D., Isère, 4U 458.
- 55 Procès-verbal de gendarmerie de Hennebont : 21 juillet 1936, A.D., Morbihan, U 5604.
- 56 Lettre du Dr H. Bourgeois : 12 décembre 1888, citée par L. Bemot et R. Blancard, Nouville, op. cit.
- 57 « Rapport » du mari, février 1874, A.D., Seine-et-Oise, 0489.
- 58 Rapport médical : 8 avril 1885, A.D., Seine, D2 U8 73.
- 59 Procès-verbal de police de Paris (xve) : 5 mars 1884, A.D., Seine, D2 U8 61.
- 60 Procès-verbal de gendarmerie de Lalbenque : 29 mars 1934, A.D., Lot, tribunal correctionnel de Caho (...)
10De multiples raisons se conjuguent pour expliquer le succès du biberon. On croit au xixe siècle encore que les relations sexuelles corrompent le lait, d’où l’exigence de chasteté absolue imposée aux « nourrices sur lieu »52. Puis, on les juge peu convenables. L’abstinence que s’imposent les couples en cas d’allaitement devient pesante et explique, en partie, le développement du placement nourricier depuis le xviiie siècle, mais il peut conduire aussi à l’usage du biberon. L’épouse d’un ingénieur souligne que l’opposition entre intérêt de l’enfant et vie du couple n’a pas disparu dans l’entre-deux-guerres : « j’aurais bien aimé allaiter mais mon mari n’y tenait pas » 53. De plus, la mère doit éviter une nouvelle grossesse avant que l’enfant soit sevré vers neuf ou dix mois pour ne pas compromettre sa survie. Par ailleurs, l’allaitement fatigue, occasionne des lésions mammaires fort douloureuses. La jeune femme d’un ouvrier agricole d’Izeaux (Isère), mère d’une fille non désirée de surcroît, déclare même que « son lait la fatiguait tellement qu’elle voulait aller se noyer » 54. Et un usinier d’Hennebont (Morbihan) explique ainsi la mort précoce de son épouse : « ma femme est décédée le 4 décembre 1924 d’épuisement. Elle a allaité quatorze ou quinze enfants » 55. Un médecin normand souligne le rôle de ces considérations dans le rejet de l’allaitement : « que de commères viennent en visite le déconseiller : on ne peut pas sortir, c’est un esclavage, gare au froid, aux crevasses et aux abcès » 56. L’absence d’amour maternel sous-tend également certains refus. Epouse frigide d’un postier parisien, une mère reporte sur ses enfants le dégoût que lui inspire le père, « refusant son sein au dernier né de huit mois »57. Mariée à dix-huit ans à un propriétaire aisé afin de calmer sa sensualité naissante, une bourgeoise parisienne veut, tout d’abord, nourrir son fils mais soucieuse de retrouver sa liberté et ses amants, « elle se lassa vite de ces soins maternels » 58. Percent même dans la capitale des soucis d’esthétique qui ne transparaissent pas dans les journaux féminins avant l’entre-deux-guerres. Ainsi, la femme d’un lampiste « n’a pas allaité son enfant dans la crainte de compromettre sa santé et de se déformer les seins » 59. D’une façon générale, liberté féminine et prescriptions médicales entrent en conflit. Journalière dans le Lot, une mère « ne se cache pas pour dire à qui veut l’entendre qu’elle ne veut pas être esclave de l’enfant. De plus, elle n’a jamais voulu le nourrir au sein bien que le docteur le lui ait conseillé »60.
- 61 Procès-verbal du juge de paix d’Argueil : 21 mars 1876, A.D., Seine-Inférieure, U 1078.
- 62 Dossier de la 3e division (Assistance et hygiène publique) : « Natalité. Enquête sur les causes qui (...)
- 63 Voir chapitre IV.
- 64 Voir C. Rollet, op. cit.
- 65 Ouvriers des deux mondes, cultivateur-maraîcher de Deuil, 1886, 2e série, t. 1.
11Toutefois, la percée du biberon s’explique avant tout par l’impossibilité d’allaiter pour les femmes qui travaillent. Les commerçantes sont dans ce cas en raison d’un métier très prenant. Une charcutière de Morville (Seine-Inférieure) a dû mettre son fils en nourrice jusqu’à sept mois « parce que notre commerce m’empêchait de le nourrir chez nous », explique-t-elle61. Les ouvrières se heurtent au même obstacle, aggravé jusqu’en 1909 par la crainte de perdre leur emploi puis par la brièveté du congé de maternité légal. A Aubusson, où « les divers membres du même foyer doivent travailler pour subvenir aux nécessités de la vie », l’allaitement est refusé, car « pendant qu’elle allaite son enfant, la femme ne travaille pas à l’usine, ou bien si elle continue à aller travailler, elle confie à des mains mercenaires son enfant » 62. Le choix du biberon découle du travail en usine vital pour la famille et du coût de la garde. La délégation parentale entraîne ainsi le plus souvent l’abandon de l’alimentation au sein. Certes, en 1917, la loi Enguerrand tente de concilier travail et bien-être du nourrisson en imposant la création dans les entreprises de chambres d’allaitement où les femmes disposent de 2 heures 30 par jour pour nourrir leur enfant. Néanmoins, la loi est mal appliquée et les mères manquent d’enthousiasme pour une formule de crèches d’usine qui, nous l’avons vu, perturbe les habitudes et offre un service imparfait63. Certaines paysannes, enfin, s’alignent sur ces pratiques urbaines. En Flandre, les mères adoptent le biberon pour se livrer plus facilement à leurs occupations64. En Seine-et-Oise, débordées par les travaux agricoles et la vente de leur production au marché, « les femmes de maraîchers ne nourrissent jamais leurs enfants ; elles les élèvent au biberon »65.
- 66 Note non signée et non datée précisément, 1913, A.N., F22 446.
- 67 C. Rollet a montré l’énorme publicité dont a bénéficié le dangereux biberon Robert : affiches, pros (...)
- 68 Selon C. Géniaux, 15 centimes en Bretagne, op. cit. Selon une journalière de Crosville-la-Vieille, (...)
- 69 Chiffres cités par C. Rollet et les rapports de la protection de l’enfance de Seine-Inférieure.
- 70 A.D., Loir-et-Cher, 2U3 141.
- 71 Procès-verbal du juge d’instruction de Quimper : 11 octobre 1913, A.D., Finistère, 16U6 46.
- 72 C. Rollet, « L’allaitement artificiel... », op. cit.
12La commodité du biberon que dénoncent ses détracteurs, a également joué : « l’emploi du biberon est dangereux, car, avec la tétine, le lait vient facilement alors qu’au sein, l’enfant est obligé de travailler, aussi le biberon sera-t-il préféré » 66. L’effet de mode a pu également intervenir au point que les médecins dénoncent dès avant la Guerre la publicité en faveur des farines lactées et des biberons67. Mais encore fallait-il pouvoir acheter le lait nécessaire. La résistance de l’allaitement méridional tient largement aussi à la faiblesse de l’élevage bovin. Inversement la Normande a toujours disposé de lait en abondance. Toutefois, la commercialisation du lait, venu du Jura, de Savoie ou du Massif central, se développe rapidement pendant la IIIe République. Par ailleurs, l’élévation du niveau de vie permet à un nombre croissant de familles d’assumer le coût de l’allaitement artificiel qui n’est pas négligeable. Selon les témoins, la dépense journalière atteint 15 à 30 centimes en 1913 mais Catherine Rollet fait état d’une fourchette plus élevée, entre 0,60 et un franc68. La facture s’élève encore lorsque la mère achète du lait stérilisé. Il convient d’ajouter les biberons, à 40-50 centimes pièce, les tétines au prix de 22 centimes l’une alors qu’elles sont hors d’usage au bout d’un mois et demi, l’eau boriquée pour désinfecter les ustensiles, voire le stérilisateur dont le modèle Budin coûte 40 francs69. Aussi, les mères les plus pauvres ne peuvent-elles recourir au biberon : une journalière de Chapelle-Guillaume (Loir-et-Cher) qui dispose, en 1913, de 50 centimes par jour pour vivre, ne peut acheter du lait pour le nouveau-né qu’elle a pris en nourrice et le nourrit d’eau sucrée70. La femme d’un marin de Plogoff n’a pu mieux faire et s’attire une remarque réprobatrice du juge : « vous avez eu dix enfants, cinq sont morts. Il paraît que vous ne leur donniez pas de lait et que vous leur faisiez boire un mélange de thé et d’eau de vie » 71. Enfin, paradoxe seulement apparent, le désir croissant des parents, surtout dans les familles nucléaires, de ne plus se séparer de leur jeune enfant, les pousse à abandonner le placement nourricier au profit de la gardienne à la journée... qui nourrit l’enfant au biberon72. Ainsi, l’amour maternel conduit au biberon alors que les médecins sont convaincus qu’il dicte l’allaitement. Les femmes sensibles à la propagande médicale l’ont réinterprétée et réajustée en fonction de leur emploi du temps ce qui explique son échec.
- 73 G. Jacquemet a calculé le nombre de thèses de médecine soutenues à Paris et consacrées à l’allaitem (...)
- 74 40 % à Saint-Etienne, 56 % à Lille, 68 % à Troyes. Voir Les hommes, la vie, la mort dans le Nord, o (...)
- 75 C. Rollet, « Allaitement, mise en nourrice et mortalité infantile », op. cit. En 1885, la mortalité (...)
- 76 C. Rollet, « L’allaitement artificiel », op. cit. Il convient d’y ajouter les zones de sevrage trop (...)
- 77 « La chambre d’allaitement dans les usines et les magasins », s.d., 1919 sans doute, A.N., F22 446.
- 78 Chiffres cités par le Dr Budin, « La mortalité infantile dans les Bouches-du-Rhône », op. cit.
- 79 Ou 600 francs en bons de lait lorsque l’allaitement s’avère physiologiquement impossible.
- 80 F. Thébaud, op. cit. D’après un entretien, p. 552.
13Les praticiens, en effet, ont tenté de freiner, voire de renverser la tendance en faveur de l’allaitement artificiel, principalement après 189073. Ils disposaient d’arguments solides pour le combattre. Les maladies digestives, en effet, et surtout les redoutables diarrhées estivales, apparaissent comme la première cause de mortalité infantile avec 30,4 % des décès en 1897-1902 et même 40 % à 68 % en ville74. La mortalité des enfants nourris au biberon est partout de deux à trois fois supérieure à celle des bébés allaités75. Aussi, les régions à forte mortalité infantile recoupent-elles les régions d’allaitement artificiel, de Lausanne à la Haute Normandie76. « C’est un droit pour la mère de nourrir son enfant, c’est même un devoir. Toute mère qui, volontairement, supprime son lait commet un vol et malheureusement trop souvent, un infanticide », proclame la ligue contre la mortalité infantile77. Pour convaincre les mères du devoir d’allaiter, le corps médical s’appuie d’abord sur les philanthropes et les associations privées d’aide maternelle, puis sur les consultations de nourrissons où le suivi des enfants permet de persuader les mères des méfaits du biberon. A Rouen et Varengeville, dans la Normandie réfractaire, les consultations affichent, respectivement, deux-tiers et trois-quarts de nourrissons élevés au sein78. Puis les médecins font le siège du parlement pour obtenir une intervention des pouvoirs publics. La loi Strauss prévoit ainsi en 1913 une prime d’allaitement, trop faible cependant pour avoir un rôle incitatif. Il faut attendre la loi sur l’assurance maternité en 1930 pour atteindre une aide plus substantielle avec une allocation de 950 francs sur neuf mois79. Mais cette mesure vient trop tard alors que l’allaitement artificiel est profondément enraciné. Seules les maternités modernes poursuivent leur combat sans nuance pour l’allaitement, allant jusqu’à l’imposer aux accouchées : « on ne leur demandait pas leur avis »80.
- 81 L’homme, la vie, la mort, op. cit.
- 82 A.D., Sarthe, 2U 601.
- 83 Attitude dénoncée par le médecin de Sommery dans Rapport sur la protection... 1902.
- 84 M. Leproux, op. cit.
- 85 Voir C. Rollet, « L’allaitement artificiel », op. cit. F. Loux atteste l’efficacité de cette médica (...)
- 86 Pendant longtemps et même après les découvertes de Pasteur, les médecins se divisent sur la prépara (...)
- 87 En effet, j’ai retrouvé pour la Seine-Inférieure les rapports imprimés du service sur la protection (...)
- 88 Délibérations du comité départemental de protection de l’enfance : 15 juillet 1902, A.D., Vaucluse, (...)
- 89 Voir, pour la Charente, M. Leproux, op. cit., et pour le Cher, M.-P. Weyd, Journal d’une assistante (...)
- 90 Procès-verbal du juge d’instruction de Vannes : 16 février 1925, A.D., Morbihan, U 5680.
- 91 Dont le procédé est proposé seulement en 1891. Voir P. Huard et R. Laplane, Histoire illustrée de l (...)
- 92 Rapport... 1911, p. 56 et Délibérations du comité de protection de l’enfance : 7 juillet 1898, A.D. (...)
- 93 En 1892, à Belleville par le Dr Variot et en 1894, par le Dr Dufour à Fécamp. Les premières Gouttes (...)
- 94 Op. cit., p. 35.
- 95 En un an, son introduction dans la Goutte de lait du Dr Ausset à Lille entraîne une chute de la mor (...)
- 96 Rapport... 1899, p. 77.
- 97 Son lancement par Gail Borden et Ch. Page date de 1856. Le premier lait condensé non sucré est prod (...)
- 98 Procès-verbal de gendarmerie de Pontvallain : 7 mai 1932, A.D., Sarthe, 2U 601.
- 99 A.D., Lot, tribunal correctionnel de Cahors, liasse 358. Les institutions n’hésitent pas à l’utilis (...)
- 100 La première farine lactée est mise au point par Henri Nestlé en 1866-1868.
14Au reste, sans le clamer, les médecins savent le combat perdu puisque, parallèlement, ils ont entrepris une vigoureuse campagne en faveur de l’hygiène alimentaire. Celle-ci porte ses fruits, surtout à partir de 1900. Elle comporte un double volet : généraliser le biberon propre et utiliser du lait bactériologiquement sain. En effet, non seulement, le lait commercialisé est cher mais il peut être de mauvaise qualité : les commerçants peu scrupuleux le coupent d’eau de chaux, d’amidon. De plus, faute de réfrigération, sa conservation, l’été surtout, est aléatoire. Les autorités en prennent conscience tardivement. L’Office sanitaire de Lille ne s’en préoccupe qu’en 1899. Il était temps, car à cette date, sur 694 échantillons analysés, seuls 16 sont satisfaisants et 42 passables. La surveillance des commerçants se renforce alors81. Dans l’entre-deux-guerres, la bataille est gagnée : en 1932, un menuisier de Requeil (Sarthe) s’indigne qu’un couple ait donné à son enfant du lait acheté à un paysan et sanitairement non vérifié82. Mais il faut aussi que les femmes apprennent à conserver le lait et à bien l’utiliser. Les médecins s’efforcent d’en interdire le coupage, fort courant. A Sommery (Seine-Inférieure), les mères ou les nourrices ajoutent de l’eau pannée, de la gomme, voire du café et des spiritueux83. Jusqu’en 1937, les Charentaises coupent le lait d’eau pannée84. Dans le Calvados, elles complètent le biberon par du cidre, pour des raisons essentiellement curatives : dans les campagnes, l’alcool passe, en effet, pour tuer les vers, médication populaire dont les effets sont incontestables mais qui choque le corps médical85. Les praticiens tentent, ensuite, d’obliger mères et nourrices à faire bouillir le lait86. En Seine-Inférieure où l’on peut suivre, année après année, leurs préoccupations, ils n’évoquent ce thème qu’à partir de 1899 mais en douze ans, leur campagne remporte dans la vallée de la Seine d’incontestables succès87. D’autres régions, en revanche, sont en retard : en 1902, à Carpentras, le nourrisson « boit au biberon du lait non stérilisé et souvent non bouilli » 88. Dans l’entre-deux-guerres, seules les campagnes posent encore problème : en Charente, les mères donnent toujours le lait cru, comme dans le Cher, alors que rares sont les étables suivies par un vétérinaire89. On trouve aussi des femmes pleines de bonne volonté mais qui maîtrisent mal les règles d’hygiène comme cette épouse d’un ouvrier agricole de Saint-Jean-la-Poterie (Morbihan) : « j’ai peut-être mal nourri mon enfant par ignorance (...). Je donnais à mon enfant un demi litre de lait de vache par jour, coupé d’un peu d’eau d’orge (...) ; je faisais bouillir le matin tout ce que je devais lui donner et je maintenais au bain-marie le lait. Je lavais les biberons tous les jours à l’eau chaude » 90. Dernière étape de l’offensive, le corps médical tente d’obtenir la stérilisation du lait que le premier, le docteur Budin a préconisée pour prévenir les diarrhées du nourrisson91. Or, comme le note un médecin normand, avec l’appareil Budin, « c’est trop long », donc dissuasif, si bien qu’à Sorgues (Vaucluse), « malheureusement les femmes se soumettent avec peine aux prescriptions faites par le médecin en vue de la stérilisation du lait »92. D’où le développement des Gouttes de lait qui vendent du lait stérilisé ou le donnent gratuitement aux mères indigentes. Fondées d’abord à l’initiative de médecins isolés, elles essaiment, ensuite, dans les consultations de nourrissons et dans les services d’obstétrique93. Leur rapide essor suscite même de la part du Dr Budin des conseils de prudence : « si l’on dit simplement aux femmes du peuple : “Venez chercher le lait, nous vous le donnerons de bonne qualité, stérilisé et gratuit”, elles sèvrent leurs enfants, car elles n’ont pas d’intérêt à le nourrir » 94. Mais en matière de santé publique, la distribution de lait stérilisé apparaît comme une réussite : elle entraîne une chute impressionnante de la mortalité infantile et permet de prévenir le rachitisme grâce à des rations suffisantes95. Toutefois, il faut souvent combattre les préjugés à son encontre. A Luneray (Seine-Inférieure), le médecin-inspecteur se flatte d’avoir fait adopter le lait stérilisé par « quelques mères intelligentes » mais, hélas, « dans leur famille, tous les moyens ont été employés pour les dissuader de changer les anciens systèmes et d’obéir aux caprices de leurs médecins » 96. Après la Guerre, les mères, à la fois convaincues de la supériorité du lait stérile et soucieuses d’économiser leur temps, se rallient à un palliatif inattendu pour les médecins : le lait condensé97. Les archives même en font état. Une épicière de Requeil (Sarthe), mère d’un garçonnet de quinze mois, s’en flatte : « je l’ai nourri avec du lait Nestlé », dit-elle98. Une journalière de Belmont-Sainte-Foy (Lot) concède, en 1935, qu’elle a refusé d’allaiter son fils mais souligne qu’elle l’a élevé au lait Nestlé, à raison de trois boîtes par semaine99. Les farines lactées jouent un rôle analogue100. La santé des nourrissons a bénéficié de ces nouveaux produits alimentaires qui exigent, néanmoins, que soient utilisées des eaux saines et des biberons propres.
- 101 A l’exposition universelle de 1889, ont été exposés le biberon poitevin, fiole de verre ou d’étain (...)
- 102 C. Géniaux, op. cit.
- 103 C. Rollet a relevé les dates des arrêtés préfectoraux interdisant à partir de 1885 et dans 15 dépar (...)
- 104 Rapport... 1902, Rouen, p. 52.
- 105 Comité de protection de l’enfance, séance du 15 juillet 1902, A.D., Vaucluse, 3X 18.
- 106 Rapport... 1911, Rouen, p. 43.
- 107 Délibérations du comité..., 1902, A.D., Vaucluse, 3X 18. Remarque analogue d’un fokloriste pour le (...)
- 108 Rapport... 1911, p. 60.
- 109 Coutumes d’enfance en Forez, op. cit., p. 13.
- 110 M. Leproux, op. cit., p. 37.
- 111 A. Girard, L. Henry, R. Nishu, « La surmortalité infantile dans le Nord et le Pas-de-Calais. Présen (...)
- 112 M. Coissac, op. cit., p. 182.
- 113 Rapport... 1896.
15L’utilisation de récipients hygiéniques n’est pas moins vitale, en effet, que l’adoption de lait sans germes. Au xixe siècle, les mères utilisent des biberons régionaux dont la gamme est très étendue101. En Bretagne, par exemple, elles recourent à la eraule, formée d’une bouteille en terre cuite, dont le bec, enveloppé de chiffons, filtre le lait102. Dominent, cependant, dès le début de la IIIe République et dans la France entière, le biberon à tube et le biberon Robert à bouchon de liège. Tous ces ustensiles se caractérisent par une hygiène douteuse. Les chiffons, le liège, le tube en caoutchouc, long parfois de plus d’un mètre, qui tiennent lieu de tétine, ne peuvent être qu’imparfaitement nettoyés. Aussi, les médecins se battent-ils pour les remplacer par le biberon en verre gradué avec tétine de caoutchouc non vulcanisé. Le combat s’étend sur une vingtaine d’années et se clôt, avant même l’interdiction de vente du biberon à tube en 1910, par une victoire. J’ai tenté d’en suivre les avancées et les échecs momentanés dans les trois départements – le Lot, la Seine-Inférieure et le Vaucluse – pour lesquels je disposais de sources continues103. L’éradication du biberon à tube est un souci plus lancinant en Seine-Inférieure où l’allaitement artificiel domine, que dans le Lot et en Vaucluse où l’élevage au sein résiste. Tous les médecins, cependant, s’entendent sur les raisons de son succès. « C’est encore le meilleur et le plus commode ; pas besoin de tenir l’enfant pour le faire téter ; le biberon est attaché au berceau avec une ficelle et par l’intermédiaire d’un tube en caoutchouc, d’une longueur d’un mètre parfois, l’enfant boit à satiété »104. « Malgré la guerre incessante qui lui est faite, le biberon à tube, si difficile à nettoyer, est encore en usage. Les nourrices se rendent bien compte de ses défauts mais, comme il est plus commode pour elles, il est difficile de les faire renoncer à son emploi. L’enfant, une fois couché dans son berceau ou dans sa voiture, tète ainsi tranquillement ou bien s’endort pendant qu’elles vaquent aux soins du ménage sans souci pour leurs nourrrissons » 105. La similitude des deux textes est frappante et traduit bien les mobiles des nourrices et des mères en général : économiser leur temps et disposer de leur liberté de mouvement. Le biberon moderne doit être tenu pendant la durée de la tétée, mobilisant les femmes plusieurs fois par jour. Son adoption, bénéfique en termes d’hygiène, se traduit par une charge nouvelle. Lorsque les médecins ont convaincu les femmes d’abandonner le biberon à tube, il faut encore les persuader de nettoyer avec soin le nouveau matériel. En effet, « la propreté du biberon (...) est toujours ce qui laisse le plus à désirer » 106. A Avignon, en 1900, « le lait (...) est rarement stérilisé, les biberons ne le sont jamais » 107. Il ne faut donc pas s’étonner que la mortalité en cas d’allaitement artificiel ne chute guère avant le xxe siècle, un lait sain pouvant être contaminé par un biberon sale. Néanmoins, des progrès sont accomplis. A Montivilliers (Seine-Inférieure), le médecin note en 1911, avec satisfaction que « peu à peu les idées d’hygiène font leur chemin : les bouteilles sont bien lavées, le lait est mis au frais, à l’abri des mouches, et les tétines sont rincées et même conservées quelquefois dans l’eau boriquée »108. C’est entre 1900 et 1914 que les mentalités maternelles basculent dans le camp des hygiénistes grâce à la propagande initiée par les médecins et les premières institutions de P.M.I. Puis, l’esprit d’imitation et l’influence des « médiateurs » sociaux, bien insérés dans la société féminine, font le reste. L’entre-deux-guerres voit se généraliser les préceptes pastoriens en matière d’alimentation infantile. Subsistent toutefois des îlots de résistance. En Forez, dans l’entre-deux-guerres, « le biberon n’était pas bouilli mais lavé à l’eau froide puis chaude » 109. A la même époque en Charente, « l’hygiène ou simplement la propreté des récipients (...) laissent encore fort à désirer » 110. En 1958, une enquête réalisée par l’institut d’action démographique dans le Nord révèle la persistance de comportements négligents : l’hygiène du biberon laisse toujours à désirer dans la moitié des familles ouvrières ainsi que chez le tiers des employés et l’alimentation des nourrissons est noté comme « médiocre », voire « très mauvaise », pour 64 % des parents ouvriers et 43 % des employés. Aussi, l’encadrement sanitaire étant irréprochable, la surmortalité infantile de la région est-elle attribuée au premier chef à l’« absence d’éducation sanitaire » 111. Le biberon, enfin, n’a pas éradiqué la suralimentation. En Limousin, « le lait de vache est donné pur et en abondance ; aussi, le nourrisson est-il en état de perpétuelle indigestion » 112. En 1896, certains médecins relèvent qu’en Seine-Inférieure, certains nourrissons de trois à quatre mois ingèrent jusqu’à deux litres de lait par jour113.
16L’allaitement artificiel allège la tâche des femmes, car il peut être délégué à une tierce personne ou au biberon à tube. Certes, l’adoption d’une hygiène alimentaire scrupuleuse augmente le travail maternel, sans lui interdire, toutefois, comme l’allaitement au sein, l’exercice d’une profession. Avec le sevrage, les mères doivent assumer, en sus de la cuisine ordinaire, des préparations destinées aux enfants, ce qui complique momentanément les tâches ménagères.
Sevrage et alimentation mixte
- 114 C. Seignolle, Le folklore du Languedoc (Gard, Hérault, Lozère), Paris, 1960, Maisonneuve.
- 115 A Nouville en Normandie, la panade reste en vigueur jusqu’en 1929 (L. Bernot..., op. cit.).
- 116 M. Leproux, op. cit.
- 117 L. Le Berre, op. cit., p. 17. Pierre-Jakès Hélias a été ainsi nourri par sa mère. A. Orain, Folklor (...)
- 118 H. Baudrillart, Les populations agricoles de la France. Les populations du Midi, Paris, 1893, libra (...)
- 119 Délibérations du comité de protection de l’enfance : 29 juillet 1888, A.D., Vaucluse, 3X 16. Trois (...)
- 120 Ces citations sont extraites des réponses aux questionnaires de 1903 et 1905 par les médecins de Th (...)
17Par souci d’économie, nous l’avons vu, le sevrage peut être tardif mais, le plus souvent, il est progressif. Le sevrage ne doit pas être confondu avec l’usage, dans certaines régions, à la fois pour fortifier l’enfant et associer son père à sa croissance, d’introduire dès le plus jeune âge des aliments divers, principalement des soupes et des bouillies. Dans ce cas, dès le premier mois, la mère peut donner de l’eau pannée : il s’agit d’eau bouillie avec des croûtes de pain, à laquelle on peut ajouter de l’huile en Languedoc114. En Languedoc également, les nourrissons boivent le soir des tisanes de menthe ou de fleurs d’oranger. En Champagne, on associe eau pannée et panade115. En Charente, la mère donne à l’enfant du pain préalablement mastiqué par elle : le « mâché »116. En Bretagne, dès la naissance, « les mères tenaient à la bouillie en dépit des avis contraires et (...) elles se la passaient deux ou trois fois dans la bouche » 117. En Velay, « on échauffe et délabre l’estomac de l’enfant en le bourrant presque dès sa naissance de soupe, de café au lait, même de chocolat, en voulant lui faire partager trop tôt l’ordinaire commun dans la pensée qu’il faut “nourrir fort pour le fortifier” »118. « Il y a dans le midi une coutume fâcheuse entre toutes qui consiste à faire manger l’enfant dès le premier mois de sa naissance ; sans doute cette alimentation n’est pas solide et ne se compose ni de viande ni de légumes mais, sous le nom de soupe, on lui donne une bouillie plus ou moins épaisse qui, presque toujours, est la cause de maladies d’entrailles, si redoutables pour les enfants élevés dans les pays chauds. Cette habitude fait tellement partie des mœurs locales qu’il est impossible de faire comprendre à une femme et même à sa mère qu’elle compromet la santé du nourrisson »119. L’« alimentation prématurée », le « gavage », le « mauvais régime alimentaire » sont également cités comme les causes principales des maladies infantiles dans le Lot120. Ces traditions sont dénoncées par les médecins ainsi que les sevrages inadaptés.
- 121 M. Coissac, op. cit., p. 182.
- 122 C. Géniaux, op. cit.
- 123 Dr Bogros, A travers le Morvand, Château-Chinon, 1873, Dudrague-Bordet et Buteau, p. 34-35.
- 124 Dr Legendre, Des préjugés populaires dans les maladies de l’enfance et, en particulier, dans le Mor (...)
- 125 C. Talon, Histoire de la vie rurale en Bas-Dauphiné, Lyon, 1981, E. Bemier.
- 126 Composée d’eau, ail et croûtes de pain. C. Charuty et al.. Gestes d’amont, op. cit.
- 127 C. Rouleau, Essai de folklore de la Sologne bourbonnaise, Moulins, 1935, Crépin-Leblond.
- 128 M. Seguin, op. cit.
18Chaque région a ses règles en la matière. En Limousin, « à trois mois, quelquefois plus tôt, on les nourrit plus solidement, on en voit même sevrés à six mois. La panade est leur plat principal mais il n’est pas rare de voir des enfants de dix mois manger du pain, des pommes de terre, de la salade » 121. A un an, le petit Morbihannais mange de la soupe, des pommes de terre et boit du cidre moins coûteux que le lait122. En Morvan, « il n’y a qu’un pas de la bouillie à la soupe aux choux. Que de fois, nous avons vu un nourrisson grignoter dans son berceau (...) une croûte de pain de seigle ou un morceau de crapiau de blé noir » 123. Les mères s’en enorgueillissent : « “Il mange comme nous". Le lait lui étant ôté, on l’habitue à l’eau de vie. “Ça le fortifie, vous dit-on” » 124. En Languedoc et en Charente de même, l’enfant est soumis dès un an à l’ordinaire des adultes. Ailleurs, on préfère les bouillies : « bouillies de fleur blanche », réservée aux bébés en Normandie, bouillie au lait et au beurre en Bas-Dauphiné, puis soupe sucrée de pain grillé125. La soupe a également ses adeptes. En pays de Sault, après deux ans d’allaitement, la mère prépare pour l’enfant de la soupe maigre à l’ail puis une panade de lait, pommes de terres et pain126. En Sologne bourbonnaise, les enfants sont bourrés de soupe au point de présenter un ballonnement du ventre très caractéristique127. En basse Normandie, dès que l’enfant a quelques dents, la mère le nourrit de « pain saucé » puis de viande et de cidre, cependant que le père, tout fier, lui fait boire le café128.
- 129 Rapport... 1896, op. cit.
- 130 A. Taverne, op. cit.
- 131 C. Géniaux, op. cit., p. 28.
- 132 A.D., Yonne, 3U3 1151.
19Le sevrage, en effet, s’accompagne de l’initiation alcoolique de l’enfant. Au Petit Quevilly (Seine-Inférieure), les enfants d’ouvriers boivent le café et la goutte129. C’est au père qu’est réservé le droit de donner, à deux ans, leur premier verre de vin aux garçons130. En Bretagne, « on encourage les petits enfants de deux ans de reprendre plusieurs fois du cidre » 131. Selon Françoise Loux, il s’agit là de soigner les vers, de fortifier l’enfant et aussi de l’intégrer dans la société des adultes. Dans l’entre-deux-guerres, cependant, l’opinion commence à condamner l’alcoolisation des enfants. En 1936, une débitante de Villeneuve-sur-Yonne (Yonne) qui propose, comme il est normal selon elle, de la grenadine pour les enfants, est horrifiée de voir un père donner du Pernod à sa fille de dix-huit mois132.
- 133 Notes d’audience du tribunal de Troyes : 27 juillet 1871, A.D., Aube, 5U 299.
- 134 Notes d’audience du tribunal de Versailles : 7 août 1873, A.D., Seine-et-Oise, tribunal correctionn (...)
- 135 C. Géniaux, op. cit., p. 48.
- 136 Procès-verbal de gendarmerie de Berlaimont : 10 août 1925, A.D., Nord, 3U1 1376
- 137 Voir P. Huard et R. Laplane, Histoire de la puériculture, op. cit. En 1884, par exemple, les besoin (...)
- 138 Rapport... 1899, p. 63.
- 139 Qui, par exemple, les délayent trop. Rapport... 1902, p. 52. Cette remarque témoigne de l’avance du (...)
- 140 26 dossiers débattent de ces problèmes de diététique enfantine.
- 141 La vie quotidienne à Saint-Etienne, op. cit., p. 36. Je n’ai pas retrouvé la dite affiche mais une (...)
- 142 Lettre au Procureur : 2 septembre 1939, A.D., Marne, 8U 128.
- 143 Procès-verbal de gendarmerie de Vitry-la-Ville : 20 septembre 1935, A.D., Marne, 8U 217.
20Deux écoles cohabitent pour l’alimentation de l’enfant. La première, par économie et simplification du travail domestique, aligne précocement les enfants sur les adultes. La nourriture des parents étant, surtout au xixe siècle, frugale, le régime des enfants en pâtit. Abandonnée par son mari avec ses dix enfants, une bonnetière de Troyes au chômage et dont le dernier né est mort d’atrepsie, se défend d’en être responsable : « mon pauvre enfant a bien pu mourir de faim car je suis bien malheureuse et je n’avais pas de quoi lui donner à manger » 133. Lorsque le juge accuse une journalière de La Ville-du-Bois (Seine-et-Oise) de mal nourrir son beau-fils – « vous ne lui donnez que du pain ou du beurre et du fromage, et jamais de viande » – il s’attire la réponse suivante : « je ne puis lui donner de la viande, mes moyens ne me le permettent pas » 134. En Bretagne, « des paysannes misérables obligent leurs enfants à se contenter de fruits verts, de galettes et d’épaisses bouillies (...). Des mères laissent mourir leurs enfants de cholérine plutôt que de changer ce régime reconnu comme néfaste » 135. En 1925 encore, le fils d’un maçon de Bouchain (Nord) ne mange, comme sa mère, que « du lait et de la soupe » 136. La seconde école préconise une nourriture « adaptée », fût-elle antidiététique : soupes, panades, bouillies. Là encore, les médecins tentent d’améliorer l’alimentation de l’enfant sevré et de normaliser les comportements maternels. Ce n’est que dans le dernier quart du xixe siècle qu’ils commencent à cerner scientifiquement les besoins des enfants et définissent des règles strictes de sevrage : alimentation exclusivement lactée jusqu’à six voire douze mois, introduction des œufs à un an, de la viande blanche entre dix-huit et vingt mois, plus tard encore pour la viande rouge, usage mesuré des légumes supposés indigestes etc.137. Ils se battent alors contre les préparations inadaptées. En 1899, le médecin de Bihorel (Seine-Inférieure) se réjouit, car grâce à ses conseils, « les soupes sont devenues moins indigestes »138. D’autres confrères relèvent que « la multiplication des farines alimentaires aujourd’hui dans le commerce n’est pas étrangère à ce progrès dans la confection des aliments des enfants sevrés » bien qu’elles exigent « des manipulations très simples mais trop compliquées pour les nourrices » 139. Ces préceptes alimentaires n’effectuent, toutefois, une vraie percée que dans l’entre-deux-guerres. Les notations se multiplient alors dans les archives140. Le plus souvent, les mères associent nourriture traditionnelle et farines. A Saint-Etienne, elles donnent « de la purée de pommes de terre avec beaucoup de lait et de la viande hachée, des soupes de pain cuit – pain grillé avec eau bouillie et noix de beurre » mais elles adoptent également « la phosphatine Fallières et (...) la Blédine Jacquemaire. On se mit également à utiliser le lait concentré Nestlé. La Blédine avait la réputation de rendre les enfants forts, (...) de fortifier les os en général, les dents en particulier. “Plus de jambes en serpette”, lisait-on sur les publicités » 141. Certains parents font d’ailleurs des sacrifices pour acheter ces aliments onéreux. L’épouse divorcée d’un mécanicien de Châlons demande le paiement de la pension alimentaire en raison des dépenses qu’elle doit consentir pour son fils de dix-huit mois qui ne mange que « des farines chères (Jammet) » 142. Les pères eux même intériorisent ces nouvelles normes. Un manœuvre de Pogny (Marne) s’indigne que sa femme donne pour tout repas à leur fille de quatorze mois des pommes de terres froides et du lait tourné et plein de mouches, en vain cependant : « à mes reproches à ce sujet, elle m’envoya promener » 143.
- 144 Procès-verbal de gendarmerie de Pont-Croix : 14 mai 1938, A.D., Finistère, 14U 6/3.
- 145 Procès-verbal de police du Tréport : 18 septembre 1904, A.D., Seine-Inférieure, U 2638.
- 146 Procès-verbal de gendarmerie de Pontoise : 20 novembre 1939, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
21Au reste, dès que l’enfant est sevré, le père a le droit de le nourrir sans déroger, au moins occasionnellement. Il peut remplacer une mère défaillante. Un ferblantier de Pont-Croix (Finistère), père de cinq enfants, « prépare lui même à manger à ses enfants » quand la mère, ivre, en est incapable144. Le père peut également faire manger un jeune enfant. Un employé de chemin de fer du Tréport, père attentif d’un fils de deux ans et demi, s’en flatte : « je le pris dans mes bras, le caressais et le fis manger » 145. A défaut de préparer leurs repas, les pères les plus modernes contrôlent, au moins, l’alimentation des enfants. Un chauffeur de Domont (Seine-et-Oise) interpelle sa femme : « le lait de notre enfant était sur le feu, j’ai fait des reproches à ma femme en lui demandant pour quelles raisons elle ne lui avait pas donné son lait. (...) “Ne t’occupe pas de la gosse. Elle a tout ce qu’il faut’ ’ »146.
Nourrir les « grands enfants »
- 147 Soit 18 dossiers de déchéance parentale.
- 148 Voir D. Tabutin, « La surmortalité féminine en Europe avant 1940 », Population, janvier-février 197 (...)
- 149 A la bibliothèque Fomey, sur les 41 affiches publicitaires consacrées à l’enfant, 28 présentent des (...)
- 150 Procès-verbal du juge d’instruction de Béthune : 25 janvier 1906, A.D., Pas-de-Calais, 3U2 129.
- 151 Procès-verbal de police d’Asnières : 8 novembre 1913, A.D., Seine, D2 U6 183.
- 152 Procès-verbal de gendarmerie de Liévin : 6 mai 1913, A.D., Pas-de-Calais, 3U2 150.
- 153 Ainsi, sur les 41 affiches conservées à la bibliothèque Fomey et qui ont pour acteurs des enfants, (...)
- 154 Lettre de la femme au Procureur : 27 décembre 1930 et lettre du mari à la femme : s. d., A.D., Alpe (...)
- 155 Lettre au « Président » : 1er juillet 1928, A.D., Nord, 2U 155/591.
- 156 Lettre d’un témoin : 28 novembre 1930 et lettre du père : 31 janvier 1932, A.D., Rhône, 3U 1202.
- 157 Lettre au Président de la République : 18 décembre 1935, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 158 Lettre à sa belle-mère, s. d., 1936, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
22Sans originalité particulière, la nourriture des enfants plus âgés n’est mentionnée qu’en cas de malnutrition notoire147. Il est également très difficile de savoir à quel âge un enfant est supposé manger tout seul. Je n’ai trouvé qu’un dossier traitant de cet « apprentissage ». Il est également impossible de confirmer la sous-alimentation dont souffriraient les filles et qui expliquerait leur surmortalité de sept à quatorze ans148. En revanche, les documents attestent l’apparition, à partir de la Belle Epoque, de préoccupations liant santé, croissance et alimentation des enfants plus âgés149. La consommation de lait et de protéines commence à s’imposer, surtout en milieu ouvrier. L’épouse d’un mineur de Lens justifie son avortement par le souci de bien élever ses deux enfants : « il y aura toujours du poulet et du rôti pour les deux premiers enfants, mais le troisième, à la porte » 150. Une blanchisseuse d’Asnières critique un maçon veuf, car « on ne trouvait que du pain dans son logement ce qui est insuffisant comme nourriture pour un jeune enfant » 151. D’une journalière de Liévin, une cabaretière dit qu’« elle aime ses enfants, car souvent elle me demande soit des œufs soit des restes de viande pour leur donner » 152. La publicité sait d’ailleurs exploiter ces convictions ainsi que la propension croissante à gâter les enfants en misant sur les représentations enfantines pour vendre chocolats, biscuits et sucreries153. Dans l’entre-deux-guerres, la norme d’une nourriture saine et diversifiée s’est imposée à tous même si elle n’est pas toujours appliquée. Une journalière cannoise divorcée et son ex-mari, loueur d’automobiles, rivalisent de compétence alimentaire : la mère exige le paiement de la pension alimentaire pour ses enfants, car « étant tous les deux dans une très forte poussée de croissance je dois leur donner de la suralimentation et fortifiants », cependant que le père réclame leur garde afin de préserver leur santé : « je n’accepte pas que les enfants reviennent dans un taudis mangeant des mets insuffisants et tosciques qui atteindrait leur énergie future » 154. Un homme de peine roubaisien se défend d’être un mauvais père, concédant tout au plus qu’en raison de ses modestes ressources, « l’on ne pouvait manger de la viande tous les jours mais du moment que les petits avais leurs cafés en se levant et leurs chocolats au lait avec leurs tartines beurrés pour leurs déjeuner nous étions heureux » 155. Les lettres de défense que les parents menacés de déchéance écrivent aux autorités sont également très révélatrices. Ménagère à Villeurbanne, une mère de trois enfants, dont le dernier selon un témoin est décrit en termes médicalisés comme « rachitique (...) maigre, anémié », est ainsi défendue par son futur mari : « quand a dire que la mère est incapable d’élever ses enfants c’est faux (...) la mère sortez tous les jours ces enfants au grand air et comme nouritur rien leur manquez » 156. Une veuve qui vit à Jouy-en-Josas avec un ouvrier, vante la bonne nourriture qu’elle prépare : elle achète deux litres de lait par jour et cinq ou six livres de pain ; elle élève, de plus, poules, lapins et porc pour améliorer l’ordinaire et donne pour preuve que son dernier né, âgé d’un an et demi, « marche tout seul depuis deux mois, il a ses dents normal, il n’a jamais été malade. Il est superbe puisqu’on lui prend des vêtements pour deux ans » 157. La relation entre la santé, la nourriture et la croissance est, ici, parfaitement soulignée. De même, un divorcé, paralysé, vivant des concerts de violon qu’il donne dans la rue à Versaille et en fait proche de la mendicité, reprend son fils élevé par sa grand-mère maternelle pour le fortifier : « Marcel va toujours manger de bon bifteck pendant qu’il se ra avec moi parce qu’il est bien mègre »158.
23Nourrir les enfants, plus encore que la famille, est une tâche féminine. Jusqu’à l’âge de deux ans, elle est dévoreuse de temps, exigeant, en cas d’allaitement, la présence constante de la mère, puis la confection de mets adaptés dès que l’enfant est sevré, voire une nourriture diététique, même pour les plus âgés, afin de leur assurer une bonne croissance. La mère a réussi lorsque l’enfant est « fort », voire gros, d’où la suralimentation à laquelle elle le soumet, en ville comme à la campagne. Les pères se bornent à observer, intervenant à l’occasion pour sanctionner leur femmme en cas de négligence. Mais ils mettent encore moins souvent la main à la pâte que pour préparer leur propre nourriture. Toutefois, ce sont les deux parents qui intègrent et adaptent les nouvelles notions d’hygiène alimentaire. Celles-ci triomphent dans l’entre-deux-guerres au détriment des traditions locales et uniformisent alors les pratiques. Il en est de même de la propreté corporelle et vestimentaire pour laquelle les exigences de l’opinion vont crescendo.
Habiller les enfants et les « tenir propres »
24L’entretien des vêtements et la propreté corporelle vont souvent de pair, d’autant que les habits traditionnels, comme le maillot, découragent par leur complexité même les changes et donc les lavages fréquents.
Habiller les enfants : une prérogative féminine
25C’est vrai pour l’achat et la confection de la garde-robe comme pour l’habillage proprement dit. Si les ressources de la famille dictent l’importance du vestiaire, la mode et l’hygiène jouent également leur rôles si bien que l’évolution du vêtement est aussi importante sous la IIIe République pour les enfants que pour les adultes.
- 159 De style régional puis, dès la fin du xixe siècle, en osier.
- 160 Les affaires d’infanticides révèlent ainsi que de nombreuses mères célibataires ont effectué quelqu (...)
- 161 Procès-verbal du juge d’instruction de Saint-Marcellin : 4 mars 1881, A.D., Isère, 4U 458.
- 162 C’est un argument souvent avancé par les mères célibataires pour justifier l’absence de préparatifs (...)
- 163 Ainsi, par exemple, la caisse familiale du textile de Lille. Voir rapport de février 1923, A.N., F2 (...)
- 164 A Saint-Etienne dans l’entre-deux-guerres, il porte deux brassières : une en toile fine et une en l (...)
- 165 Ouvriers des deux mondes, 1re série, t. 5.
- 166 Séance du 15 juillet 1902 du Comité de protection de l’enfance, A.D., Vaucluse, 3X 18. Voir aussi C (...)
26Il revient à la mère de confectionner le trousseau du nouveau-né qui comprend, outre la layette, le berceau ainsi que, de plus en plus souvent par imitation de la ville, la voiture pour la promenade159. Dans certaines régions comme la Bretagne ou la Basse-Normandie, la tradition interdit tout préparatif pour ne pas mettre en péril l’enfant à naître. Peu à peu, cependant, il devient normal d’effectuer certains achats ou de coudre quelques habits. Les dossiers d’archives montrent que rares sont les futures mères qui au xixe siècle, n’ont pas réalisé de leurs mains bonnets, brassières et langes, le plus souvent taillés dans de vieux draps et torchons160. Il est également fréquent de prêter la layette aux plus pauvres comme cette journalière de Vinay (Isère) qui n’achète que « trois drapeaux à la foire », soit une dépense de 4 francs161. Le prêt familial est encore plus banal : le premier petit-fils utilise souvent les habits de son plus jeune oncle162. La multiplicité des pièces utilisées exige, toutefois, une dépense ou un travail de couture importants qui en ville, poussent les sociétés de charité maternelle à offrir des « vestiaires » aux indigents163. En effet, un bébé normal porte deux ou trois brassières superposées, un bonnet pour le protéger du froid, un bavoir ou une collerette pour le parer, une bande pour empêcher le nombril de saillir, une couche ou « pointe », un « drapeau » de toile ou de lainage gris, un lange de bure ou de laine, des bandelettes ou des lisières de laine tricotée pour arrimer le tout, voire un corset et un fichu164. Lorsque le jeune enfant revêt la robe, sa tenue comporte souvent, de surcroît, une guimpe, un bonnet et un tablier. Aussi, jusqu’en 1900 et dans les milieux populaires, les nourrissons disposent-ils rarement de nombreux rechanges. Le dernier-né d’un serrurier parisien qui possède, en 1878, 12 brassières, 12 bonnets courants et 36 drapeaux, est un cas exceptionnel mais il convient de souligner qu’il a hérité de la garde-robe de ses sœurs165. Néanmoins, les exigences vont croissant. Ainsi, les enfants placés par l’Assistance Publique en Vaucluse sont dotés, à partir de 1891 d’un berceau avec oreiller et couverture, en 1894 d’une chemise et en 1897, de deux langes et trois drapeaux supplémentaires166.
- 167 H. Baudrillart, Les populations agricoles de la France. Normandie et Bretagne, Paris, 1885, Hachett (...)
- 168 Procès-verbal du juge d’instruction de Meaux : 10 mars 1883, A.D., Seine, D2U8148.
- 169 Abbé M. Gorse, Au bas pays de Limosin, Paris, 1896, E. Leroux.
- 170 Procès-verbal du juge d’instruction d’Auxerre : 9 mars 1896, A.D., Yonne, 3U1 1341.
- 171 Procès-verbal de gendarmerie d’Oullins : 29 juin 1931, A.D., Rhône, 3U 1201. Autre cas analogue à O (...)
- 172 Procès-verbal de gendarmerie de Guillon : 15 février 1937, A.D., Yonne, 3U2 216. Orthographe origin (...)
27A partir de l’âge de deux ans, les parents consacrent peu d’argent aux habits de leurs rejetons. Henri Baudrillart note que les enfants bretons les plus modestes sont « déguenillés, sans souliers et sans bas » et ne portent que des vêtements retaillés dans les habits usagés des adultes167. Cette pratique est, du reste, générale par souci d’économie. Une domestique parisienne, mère attentionnée pourtant, envoie à la nourrice de sa fille, outre une robe et 5 francs pour lui acheter chaussures et bonnet, un jupon à elle « pour lui faire une robe »168. En Limousin, les garçons, en hiver, vont nu-tête, sans bas ni cache-nez169. Dans l’entre-deux-guerres, le sous-prolétariat connaît encore de telles situations. Vêtu de haillons, le fils d’un manœuvre agricole de Chemilly explique : « on ne m’achetait rien » 170. Une femme de ménage de Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône) met à ses filles des habits donnés et fait porter à son fils de six ans « un pagne formant mauvaise culotte, une vraie loque », au point que l’enfant, honteux, n’ose aller à l’école171. En effet, les mères doivent arbitrer entre les priorités budgétaires, voire entre leur vestiaire et celui de leurs enfants. En 1937 encore, les enfants d’une ouvrière agricole de Perrigny (Yonne) sont mal vêtus, selon un témoin, « par la faute de la mère qui est négligeante pour tâcher elle de porter un peu de toilette » 172.
- 173 Procès-verbal du juge d’instruction de la Seine : 25 juillet 1891, A.D., Seine, D2 U8 278.
- 174 J. Lecœur, Esquisses du bocage normand, t. 1, Brionne, 1887, G. Montfort, p. 255.
- 175 C. Géniaux, op. cit.
- 176 Abbé Gorse, op. cit., p. 122.
- 177 H. Soum, La basane. Chronique des bords de Garonne, Toulouse, 1985, Eché, p. 48.
- 178 « Le crime de la rue Neuve de Roubaix à Tourcoing. Au pays de l’assassin », Journal de Roubaix, 26 (...)
- 179 Voir J. Seguin, op. cit., pour la Normandie et La vie quotidienne à Saint-Etienne, op. cit.
- 180 Procès-verbal de police de Lyon : 25 juin 1939, A.D., Rhône, tribunal correctionnel de Lyon, audien (...)
- 181 C. Rhein, Femmes au travail dans le Paris de P entre-deux-guerres, thèse de 3e cycle, 1977, Univers (...)
- 182 C. Rhein, op. cit., p. 221.
- 183 A. Taverne, op. cit. et Les populations du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, 1933, Imprimerie générale (...)
- 184 Procès-verbal de police de Poissy : 2 octobre 1935, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 185 Dossier familial : 7 mai 1938, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
28Peu à peu, cependant, les citadins, dès qu’ils accèdent à une petite aisance, commencent à investir dans l’habillement de leurs enfants. Certains vont même plus loin et parent leur progéniture de façon si bourgeoise que le Vicomte Jacques de Reviers juge la garde-robe des enfants du serrurier parisien déjà cité « d’une élégance exagérée », et ce bien que la mère en ait confectionné la plus grande partie. De fait, le bébé est paré le dimanche d’un ensemble évalué à 25 francs : pelisse blanche à passementerie, robe assortie, bonnet de dentelle. Les filles ont à leur dispostion deux à trois robes de fête, dont l’une en « poil de chèvre » (cashemire), cadeau ostentatoire et preuve de l’intérêt nouveau porté à l’élégance enfantine. Les deux comportements peuvent même cohabiter au sein d’un couple. Une femme de chambre parisienne se plaint de son mari qui « était jaloux de mon enfant, quand j’achetais la moindre chose, il me reprochait de faire des dépenses exagérées. “De la toile d’emballage, c’est bon pour ça” »173. A la campagne, les progrès commencent par les habits du dimanche. En Normandie, les enfants d’ouvriers agricoles « le jour sur semaine (...) sont assez pauvrement vêtus, le dimanche, leur mère les pare et rend chacun d’eux propre comme un petit sou, ainsi qu’elle le dit avec une sorte de fierté » 174. Les mères, parfois, cherchent d’abord à mieux habiller les filles. Dans les familles de journaliers bretons, ces dernières ont, en sus de leur tenue ordinaire, guimpe et bonnet, robe et tablier à corselet de velours, alors que les garçons possèdent seulement trois chemises, six paires de bas et deux ensembles175. En Limousin, « la fillette est plus proprette que les garçons, presque coquette sous son petit fichu à bordure rouge, avec sa cravate bleue et ses cheveux (...) bien lissés et bien nattés. (...) Elle est, du reste, protégée du froid avec beaucoup plus de précaution que le garçon » 176. L’épouse, fort économe pourtant, d’un typographe toulousain achète alors à son aînée une ombrelle, car « elle voulait que sa fille soit à la mode » 177. Dans les familles pauvres et nombreuses, l’idéal de l’enfant coquet est, toutefois, inaccessible avant 1914, quel qu’en soit le désir. Une couturière de Merville (Nord), mère de dix enfants, s’en désole : « Monsieur, je puis dire sans me vanter, j’ai les plus beaux enfants de Merville. Quel dommage que je ne puis les habiller un peu mieux ! Mais nous sommes si pauvres, si pauvres » 178. Mais c’est surtout à partir de l’entre-deux-guerres que les parents consentent des sacrifices pour bien habiller leurs enfants. Il est alors d’usage d’acheter des vêtements neufs au printemps pour les étrenner à Pâques179. Les observateurs et les parents eux même en viennent à lier amour maternel et élégance enfantine. Une institutrice de Villeurbanne ne peut croire qu’une de ses élèves soit victime de mauvais traitements de la part de son père, un ajusteur, car « ses parents la tenaient de façon impeccable. Sa mise était même coquette » 180. Une vendeuse parisienne dont la fille naît en 1942, arrête un temps de travailler pour se consacrer à son éducation et s’exclame : « Ma petite fille était bichonnée. Je l’adorais » 181. Simone, une serveuse, parisienne également, renchérit : « j’étais contente quand mes enfants étaient bien habillés, bien propres » 182. Alors qu’en 1900, seuls les Foréziens aisés avaient adopté la barbotteuse en place de l’antique maillot, trois décennies plus tard, un observateur s’ébahit que les jeunes paysans « soient vêtus commme “les petits bourgeois” de la ville »183. L’opinion condamne désormais la mise négligée des enfants et les dossiers de déchéance parentale décrivent toujours l’état de la garde-robe pour évaluer les qualités maternelles. Un témoin juge ainsi qu’une veuve, caddy de golf (sic) à Poissy, « se désintéresse complètement de ses enfants qu’elle laisse malpropres, sans vêtements et sans chaussures » 184. Selon un informateur anonyme, les enfants d’un chiffonnier et d’une femme de ménage de Saint-Germain-en-Laye sont « moralement abandonnés. Toujours vêtus misérablement, privés de nourriture » 185.
- 186 Ainsi dans les Hautes-Alpes selon C. Seignolle, Le folklore de la Provence, Paris, 1946, Maisonneuv (...)
- 187 Coutumes d’enfance en Forez, Saint-Etienne, 1981, Université pour tous, p. 15.
- 188 Dr Legendre, Des préjugés populaires dans les maladies de l’enfance et en particulier dans le Morva (...)
- 189 Dans l’Ouest selon J. Léonard, op. cit., le maillot est introduit dans les années 1860, preuve qu’o (...)
- 190 Selon une remarque du médecin de Pertuis. Comité de protection de l’enfance, séance du 7 juillet 18 (...)
- 191 Et ce, malgré les recommandations du médecin et de l’institutrice. L. Wylie, Un village du Vaucluse (...)
- 192 E. Sol, Le vieux Quercy, Paris, 1929, E. Nourry, p. 8.
- 193 C. Seignolle, Le folklore de la Provence, op. cit.
- 194 C’est la théorie, exagérée à mon avis, d’E. Shorter : « libérer le tout-petit de ses entraves de to (...)
29Le souci de bien habiller ses enfants, l’achat ou la confection d’un vestiaire abondant ne vont pas forcément de pair avec une modernisation complète du costume. Ainsi, de très nombreuses mères demeurent imperméables aux conseils des médecins et refusent de délaisser le maillot. Certes, lorsqu’elles suivent la mode, elles peuvent se laisser séduire par le maillot anglais, puis la robe, la barbotteuse enfin après la Guerre. Mais elles peuvent aussi rester fidèles au maillot traditionnel pour le bien même de leurs nourrissons. Ce dernier passe, en effet, pour prévenir les coxalgies de la hanche. Il protège bien du froid dans des maisons mal chauffées, d’où sa résistance jusqu’après 1945 dans les régions montagneuses186 : « Ils avaient mieux chaud (sic) » signale une Forézienne187. « Il offre l’avantage d’immobiliser l’enfant et de leur permettre de vaquer à leurs occupations domestiques », relève le Dr Legendre dont la remarque témoigne selon Françoise Loux d’une incompréhension toute bourgeoise des mœurs rurales : « la fonction du maillot n’était pas, quoiqu’on ait pu dire, de tenir l’enfant tranquille pour que les parents puissent vaquer à leurs occupations » puisque « l’on n’aimait pas laisser les enfants seuls » 188. La vérité est sans doute entre les deux assertions, le maillot évitant une surveillance de tous les instants. Enfin, la routine et les habitudes régionales font beaucoup pour la perpétuation du maillot. Au reste, même dans les familles aisées, l’adoption du maillot anglais est rarement antérieure au Second Empire189. Faute d’exemple visuel, il reste mythique pour la plupart des mères, ainsi en Vaucluse où, obéissant aux ordres de l’Académie de médecine, le comité de protection de l’enfance choisit une propagande écrite – « le carnet mis actuellement entre les mains des nourrices indique déjà d’une manière absolue qu’il faut rejeter le maillot complet » – qui demeure inopérante, faute d’une bonne description, voire d’une illustration, du nouveau vêtement190. Et de fait, un demi-siècle plus tard, à Roussillon, les mères continuent d’emmailloter leurs enfants191. Malgré tout, dans l’entre-deux-guerres, la tradition est ébranlée et le recul s’accélère. En Quercy, « la coutume du maillot, lou maillol, tend à disparaître ; elle est même complètement abandonnée dans beaucoup de localités. (...) Le plus souvent, l’ancien maillot est remplacé par une robe » 192. Dans les Hautes-Alpes, « de plus en plus, on aère tout cela. Quand la mère a suivi des cours de puériculture heureusement répandus par l’enseignement ménager dans les chefs-lieux de canton, l’enfant est plus sainement vêtu » 193. Il me semble, néanmoins, que la modernisation du vêtement enfantin doit plus à la mode, à l’imitation des usages urbains, à l’orgueil des parents enfin, qu’aux pressions médicales ou au souci de ne pas brider les mouvements de l’enfant que dicterait un amour maternel plus attentif194. Mais, à terme, la mode devient plus hygiénique et naturelle.
- 195 Voir chapitre 9.
- 196 1926, A.D., Bouches-du-Rhône, 208 U 422/42 et 1938, A.D., Finistère, 14U6 13.
- 197 Procès-verbal de gendarmerie de Busigny : 12 avril et 25 septembre 1936, A.D., Nord, 3U2 428.
- 198 C. Charuty et al., Les femmes du pays de Sault racontent, op. cit., p. 35.
30Quant aux pères, ils n’ont pas voix au chapitre. Aussi n’ai-je trouvé aucun témoignage masculin sur le sujet. Tout au plus interviennent-ils pour financer les achats nécessaires. Et encore, nombre de mères achètent sur leurs propres deniers les vêtements de leurs enfants comme les leurs195. L’habillage des enfants relève également et exclusivement de la sphère féminine, en raison des tabous pesant sur le corps et la nudité. Je n’ai rencontré que trois pères, dans l’entre-deux-guerres, à l’accomplir, mais pour remplacer leur épouse défaillante : le mécanicien marseillais déjà cité qui sert de « nourrisse » à sa fille, un ferblantier de Pont-Croix (Morbihan) qui change son dernier-né lorsque sa mère le néglige196. Un ouvrier agricole de Maretz (Nord) enfin, qui refuse théoriquement cette tâche – « je ne suis pas chargé de les vêtir. C’est ma femme qui s’en charge (...). Ma femme va en journée (...) et part le matin sans les avoir habillés et sans leur avoir donné à manger » – mais, nécessité faisant loi, accepte de trangresser les tabous : « lorsque je me trouve à la maison, je fais le nécessaire » 197. Ce sont donc les femmes – mères, sœurs et grands-mères – qui s’en chargent jusqu’à ce que les enfants soient autonomes. A cinq ans, sept ans ? Rien ne permet de trancher au vu des archives. Cependant, l’opération n’est vraiment longue et fastidieuse que pour les bébés. La description qu’en fait une paysanne du pays de Sault, montre qu’il s’agit bien d’une corvée. « Et alors, c’était la question-clef : “Arrange bien les pieds que ce soit bien droit... et fais bien attention ! Là haut aussi, ne serre pas trop, il faut serrer un peu ici sous les épaules mais pas trop là dans l’estomac”. On commençait par en haut, avec des ceintures que vous m’avez compris, raides comme du tonnerre ! Il fallait relever la chemise et les petites brassières et arranger le petit lange de dessous entre les cuissottes pour qu’il ne se meurtrisse pas. Après, il fallait arranger les draps que ça ne fasse pas de bourrelet ! Après, on mettait encore autre chose, on appelait ça la troussière, la ceinture (...) après, quand on arrivait aux genoux, il fallait bien serrer pour ne pas que les jambes se mettent de travers (...). Oh ! piétot, c’était une inquisition ! c’était une inquisition »198.
Une fierté féminine : des enfants « bien tenus » et « propres »
- 199 Procès-verbal de police de Brive : 8 septembre 1936 et lettre du « 6 stembre » 1935, A.D., Haute-Vi (...)
31Les deux expressions associées reviennent comme un leitmotiv dans les témoignages pour définir la satisfaction du devoir accompli. Les femmes qui s’y soustrayent sont de mauvaises mères comme l’explique bien le fils d’un couple de Brive vivant de mendicité, « ma mère qui est une désordonnée ne me changeait jamais d’effets à tel point que mes vêtements étaient emplis de crasse et de vermine », et il porte plainte auprès du Procureur : « mes parents ne fesais que me battre (...) il ne voulaid jamais que je me lave car mon père étent myope (...) ma mère ne voulait jamais me n’ettoyez car elle ne travaille pas et tous les jours elle et ivres morte (...). je suis malheur avec mes parents »199.
Des enfants vêtus proprement
- 200 Voir chapitre 3.
- 201 Economisé, rappelons-le en Nivernais, jusqu’en 1920 au moins. Voir G. Thuillier, Pour une histoire (...)
- 202 Procès-verbal du juge de paix de Corps : 6 décembre 1870, A.D., Isère, 4U 449.
- 203 J. Seguin, op. cit., p. 39.
- 204 Rapport... 1905, p. 60.
- 205 G.M. Coissac, op. cit., p. 182-183. G. Thuillier signale en Nivernais le même rythme biquotidien (o (...)
- 206 C. Géniaux, op. cit.
- 207 A.D., Eure, 12U 125.
- 208 Procès-verbal de gendarmerie de Berlaimont : 10 août 1925, A.D., Nord, 3U1 1376.
- 209 Procès-verbal de gendarmerie d’Allaire : 16 novembre 1925, A.D., Morbihan, U 5680.
- 210 Dossier familial r° 946, 1939, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 211 C. Géniaux, op. cit., p. 197.
32Les contemporains entendent, par là, des enfants dont les habits ne sont ni (trop) sales ni déchirés. Bien que l’entretien du linge des enfants rejoigne le blanchissage et le raccommodage familial, il présente des traits spécifiques. Dans les foyers modestes, faute de rechanges, les femmes lavent au fur et à mesure le linge des nourrissons comme je l’ai indiqué plus haut, surtout les langes200. Ces savonnages quotidiens, à l’eau froide, sont une contrainte supplémentaire pour la mère et ils entraînent une dépense de savon non négligeable au xixe siècle201. Ils posent, l’hiver, le problème du séchage comme en témoigne une veuve de La Salette (Isère) expliquant à sa belle-sœur que « vu la rareté du charbon, nous aurions beaucoup de peine à faire sécher les langes de nos enfants » 202. Pour toutes ces raisons, les mères, surtout à la campagne, limitent le lavage en changeant rarement les enfants et en renonçant à laver langes et couettes. En Basse-Normandie, « la mère ne démaillotte pas souvent sa progéniture, c’est pourquoi le berceau est garni d’une poudre de balle d’avoine dont le pouvoir absorbant est éprouvé »203. « Il faudrait un véritable miracle pour les empêcher d’emmailloter leur enfant dans un linge souillé d’urine et simplement séché », confirme un médecin de Seine-Inférieure204. En Limousin, « le maillot tombe deux fois par jour à peine pour la toilette obligatoire ». Quant à la couette, également en balle d’avoine, « l’enveloppe n’ est jamais lavée. On se borne à la faire sécher devant le feu quand l’enfant l’a mouillée. Elle est au bout de peu de temps d’une odeur repoussante » 205. En Bretagne, de même, « les langes sont rarement changés » 206. Les archives attestent ces pratiques, dénoncées lors d’enquêtes en déchéance paternelle. Bien qu’il soit impossible de calculer le nombre moyen de changes quotidiens, les mères, de toute évidence, restent très loin du change à chaque tétée préconisé par le corps médical. Il est rare, cependant, qu’une femme, sauf à passer pour une mauvaise mère, ne démaillote au moins une fois par jour son enfant. Les paysannes consciencieuses renouvèlent deux fois l’opération. Au tournant du siècle, l’opinion et surtout les autorités commencent à critiquer ces pratiques jugées longtemps normales. Ainsi, les gendarmes et le curé de Fatouville-Grestain (Eure) s’indignent qu’un enfant couche sur une paillasse à demie pourrie, sentant l’urine et que son père, un journalier, fait, selon ses dires, sécher dès qu’elle est humide207. Après la Guerre, les citadines, même très modestes, connaissent, au moins vaguement, la norme sans pour autant l’appliquer. La femme d’un maçon de Bachant (Nord) soutient : « je nettoyais mon enfant quatre fois par jour », alors que selon la tante, « cet enfant ne paraissait pas avoir été nettoyé depuis plusieurs jours »208. L’épouse d’un terrassier de Saint-Jean-la Poterie (Morbihan) se juge irréprochable : elle possède, en effet, 12 langes qu’elle fait laver une fois par semaine par une blanchisseuse, soit moins de deux rechanges propres par jour, mais soutient-elle, « je certifie que je les renouvellais trois fois par jour. Lorsqu’il n’y avait pas de matières, je les mettais simplement à sécher » 209. Certaines mères, cependant, sont restées complètement imperméables aux nouveautés comme cette femme de ménage de Meulan (Seine-et-Oise) qu’« il fallait presque obliger à changer [son fils] (...) elle jugeait cela inutile » 210. Le reste des vêtements est l’objet de nettoyages encore plus succincts. En Bretagne, « les robes de laine ne sont jamais lavées, beaucoup n’ont même pas de bavettes »211.
- 212 J. Seguin, op. cit., p. 49.
- 213 Sylvère, Toinou, le cri d’un enfant auvergnat, op. cit., et C. Seignolle, Le folklore du Languedoc, (...)
- 214 P.H. Paillou, Mon village à la Belle Epoque, Aurillac, 1962, éd. du Centre.
- 215 C. Talon, Histoire de la vie rurale en Bas Dauphiné, Lyon, 1981, Elie Benier.
33Lorsque les enfants sont plus grands, ils sont changés au même rythme que le reste de la famille, d’une fois par semaine à une fois par mois. Au delà de cette périodicité, une mère est fautive mais, inversement, je n’ai recensé que six femmes pour donner, chaque jour, une chemise propre à leur enfant. De plus, les mères adoptent, surtout pour les garçons, des solutions vestimentaires qui épargnent bien du travail. En Basse-Normandie, les enfants portent un sarrau, une « brachière », « sans culotte ou pantalon – moins de précaution à prendre, moins d’entertien »212 En 1890, Toinou est vêtu dès qu’il est sevré d’une robe sans dessous et en Languedoc, le petit garçon est abonné au pantalon ouvert213. En 1900, les Béarnais quittent la robe pour des culottes fendues et une chemise relevée par des épingles, ensemble appelé « torchon » par leurs aînés et destiné à éviter les salissures214. En Bas-Dauphiné et jusqu’en 1910-1918, les enfants des deux sexes portent, jusqu’à l’âge de huit ans, une robe et rien d’autre215.
- 216 Voir, par exemple, p. 68, dans l’ouvrage de M. Cabaud et R. Hubscher, 1900, la Française au quotidi (...)
- 217 H. Soum, op. cit., p. 39.
- 218 La vie quotidienne à Saint-Etienne entre les deux guerres, op. cit., p. 16.
- 219 Période à partir de laquelle, il est vrai, le gonflement du contentieux des déchéances majore ces r (...)
- 220 Procès-verbal de gendarmerie d’Oullins : 24 septembre 1933, A.D., Rhône, 3 U 1204.
- 221 Procès-verbal de gendarmerie d’Allaire : 16 novembre 1925 et procès-verbal du juge d’instruction de (...)
- 222 Procès-verbal de gendarmerie de Poissy : 19 avril 1935 et procès-verbal de gendarmerie de Meulan : (...)
- 223 Procès-verbal de gendarmerie de Pontvallain : 2 mars 1939, A.D., Sarthe, 18 W98.
34Qui plus est, les adultes considèrent qu’il est normal que l’enfant se salisse et que ses vêtements soient tachés. Les photographies et les cartes postales de la Belle Epoque en témoignent216. Les mères sont ainsi moins à cheval sur la propreté des vêtements de leurs enfants et leurs accrocs que celle de leur mari ou du linge de maison. L’optique change, toutefois, lorsque les parents commencent à acheter à leur progéniture des habits neufs et plus nombreux. L’enfant est alors sommé de ne pas salir et abimer ses habits et sa liberté de mouvement en est d’autant amputée. Mais cette exigence n’apparaît qu’après 1900. Chez des ouvriers toulousains, Maria et Jacques Froment, « le soir, au coucher, les vêtements sont disposés sur le dossier d’une chaise (...), pliés toujours de la même manière : une tache déclenche la panique » 217. A Saint-Etienne où les habits « étaient faits pour durer (...) on en prenait le plus grand soin : ne pas salir, ne pas les abimer étaient les recommandations répétées de nos parents » 218. Le souci de bien habiller ses enfants va alors de pair avec l’exigence de vêtements propres. Dans l’entre-deux-guerres, l’opinion juge sévèrement un laisser-aller vestimentaire longtemps jugé inhérent à l’enfance. Pour trois-quarts, les 36 dossiers dénonçant le mauvais état des vêtements enfantins sont postérieurs à 1914219. La propreté vestimentaire, plus visible que l’hygiène corporelle la plus intime, est désormais requise et perçue, là encore, comme une preuve d’amour. La directrice de l’école fréquentée par les filles du terrassier de Sainte-Foy-lès-Lyon, juge ces enfants « très mal tenues (...). Elles ont des vêtements sales, ce qui dénote que personne ne s’occupe d’elles » 220. La femme d’un journalier agricole breton qui « laisse ses enfants dans la misère, en guenilles et dans la vermine », soutient pourtant le contraire : « je les change tous les jours de linge propre » 221. Désormais, la saleté et la négligence vestimentaire relèvent surtout d’un certain environnement économique et familial. Dans le sous-prolétariat agricole comme urbain, des mères elles mêmes sales élèvent malproprement leurs enfants comme cette ménagère de Chanteloup-les-Vignes (Seine-et-Oise) « révêtue d’effets déplorables et (...) repoussante de malpropreté » ou telle autre, mère de six enfants et ménagère à Meulan, « sale sur elle (...), de tenue très négligée » 222. Dans certains cas également, les mères refusent de laver et raccommoder le linge de leurs enfants pour les mêmes raisons affectives qui leur faisaient refuser de blanchir leur mari. Les déchéances paternelles montrent ainsi que mauvais traitements et malpropreté du vestiaire vont souvent de pair. Issue d’un premier lit, la fille d’un fermier d’Ozé (Sarthe) est ainsi habillée d’une blouse, de bas déchirés « d’une saleté repoussante » et dort sur « un grabat sale et infect », car sa belle-mère la déteste et refuse de laver ses effets223.
35En 1939, les enfants présentent une mise beaucoup plus soignée qu’à la fin du xixe siècle : les vêtements sont changés toutes les semaines et sont rarement déchirés. La propreté corporelle, en revanche, moins visible, très influencée par les traditions et la méfiance générale de la population pour les ablutions, laisse encore à désirer.
Laver les enfants ? « Ça les enrhumerait »224
- 224 G.M. Coissac, op. cit., p. 212.
- 225 Sur 56 dossiers consacrés pour une part aux soins corporels, 39 critiquent le manque d’hygiène.
36Cette réflexion relevée en Limousin vaut pour toute la France rurale et une partie des citadins. Observateurs et archives se rejoignent pour peindre l’indifférence plus que la méticulosité des mères en la matière225. Les superstitions sont, cependant, particulièrement vivaces à la campagne et leur éradication y est plus difficile.
37C’est la mère qui est responsable des ablutions. Il faut des circonstances exceptionnelles pour renverser une norme encore plus stricte que pour l’habillage. Ainsi, le commissaire de Tarare considère qu’un manœuvre, au chômage et dont la femme est paralysée, pourrait assumer cette tâche mais il s’attire une réponse négative :
38« – Pourquoi ne lavez-vous pas votre enfant qui est si sale ?
- 226 Procès-verbal de police de Tarare : 12 septembre 1934, Rhône, 3U corr. d. 2001.
- 227 Procès-verbal de police de Paris (XIVe) : 9 août 1877, A.D., Seine, D2 U6 44.
- 228 Procès-verbal de gendarmerie de Versailles : 27 juin 1936, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 229 M. Perrot, « L’éloge de la ménagère dans le discours des ouvriers français au xixe siècle », Romant (...)
- 230 Procès-verbal de gendarmerie de Demange-aux-Eaux : 10 février 1899, A.D., Meuse, 11U 17.
39– Il y en a d’autres qui sont sales » 226. Trois pères seulement effectuent de tels soins. L’un d’eux, employé de commerce à Paris, « nettoye à fond » une fois par semaine ses enfants nés d’un premier lit, sa nouvelle épouse s’y refusant227. Le musicien des rues versaillais, déjà cité, se vante de ses qualités éducatives en énumérant les tâches matérielles qu’il assume : « je nettoyais cette petite très souvent sur toutes les parties du corps », alors que sa belle-mère y voit des prémisses incestueuses : « c’était lui qui lui lavait les organes génitaux » 228. Les tabous en la matière restent puissants, même parmi les ouvriers pourtant plus flexibles sur les rôles sexuels, comme l’atteste une vignette en faveur de la semaine anglaise, éditée à la veille de la Guerre, par la Fédération des métaux. Celle-ci représente le père, un balai à la main, la mère peignant la fille et un garçonnet se lavant les oreilles avec la légende suivante : « Tu jouiras plus de ton foyer : la maman arrangera les mioches et le papa rangera la “carrée” »229. L’ouvrier peut, sans déroger, faire le ménage mais non peigner son enfant. Toutefois, pour un père, il est normal, voire vivement conseillé par les autorités, de contrôler le respect par sa femme des règles d’hygiène corporelle. « Souvent j’ai fait des reproches à ma femme parce qu’elle la soignait mal et ne la tenait pas propre », souligne un manœuvre de Demange-aux-Eaux (Meuse)230. Reste qu’au vu de remarques de ce type, rares sont les pères à s’intéresser à la propreté de leur enfant. Mais, ce faisant, ils s’alignent sur la conduite de leurs épouses et des adultes dans leur ensemble.
« Mais lous éfans soun sales, miel se fon »231
- 231 « Plus les enfants sont sales, mieux ils se portent ». Cité par G.M. Coissac, op. cit., p. 212.
- 232 C. Géniaux, op. cit., p. 198-199.
- 233 A. Sylvère, op. cit., p. 2 et 8.
- 234 L. Gachon, L’Auvergne et le Velay. La vie populaire d’hier et d’avant-hier, Paris, 1975, Maisonneuv (...)
- 235 Procès-verbal de police de Paris (XIXe) : 9 août 1877, A.D., Seine, D2 U6 44.
- 236 Procès-verbal de police de Montmorency : 25 janvier 1909, A.D., Seine-et-Oise, Assises, liasse « ja (...)
- 237 Dr Legendre, op. cit., p. 29.
40Pour les parents, en effet, la saleté des enfants est, à la fois, naturelle, nécessaire et invisible. L’enfant est naturellement sale. Petit, il est souillé par ses déjections et sa bave. Lorsqu’il rampe, il se macule dans des logements rarement nettoyés et dans des cours boueuses d’autant que sa mère, débordée, ne peut opérer une surveillance de tous les instants. « Il se barbouille de suie et grignote un fruit vert qu’il vient de saupoudrer de cendre » 232. Toinou, après avoir été « un beau bébé crasseux, pétant de santé », se roule par terre et dans le fumier, ne subissant qu’une fois par semaine « un débarbouillage ennuyeux mais sommaire »233. « S’il avait fallu débarbouiller les petits visages teints de jus (...) de mures (...) ça en aurait été une occupation ! », note Lucien Gachon à propos de l’Auvergne et du Velay234. Le fait que les enfants, à peine nettoyés, se salissent à nouveau, dissuade de nombreuses mères de les laver souvent. Elles y sont, cependant, contraintes pour enlever leurs excréments. Aussi, les mères comme les pères exigent-ils que l’enfant rapidement ne fasse plus ses besoins « sous lui », selon l’expression consacrée. L’échec entraîne des représailles et, dans une dizaine de cas, des sévices graves en cas d’incontinence tardive. L’épouse d’un vendeur parisien avoue avoir frappé avec un martinet sa belle-fille âgée de six ans « à cause de sa malpropreté » : « Elle fait sous elle. (...) Je dois continuellement la nettoyer. (...) Cela m’a exaspérée » 235. Le pépiniériste de Montlignon (Seine-et-Oise) excuse sa femme qui a laissé « sales » leurs jumelles, la jugeant « découragée de leur malpropreté naturelle : elles faisaient sous elles » 236. Les paysannes sont, dans ce cas, plus tolérantes et prennent l’énurésie comme une fatalité. « Rien de plus fréquent que l’incontinence d’urine chez les enfants à la campagne. (...) Suivant les parents, le médecin n’y peut rien, c’est une “faiblesse des reins” »237.
- 238 M. Leproux, op. cit.
- 239 Voir pour le Berry, C. Seignolle, Le Berry traditionnel, Paris, 1969, Maisonneuve et Larose, d’aprè (...)
- 240 C. Talon, op. cit. ; M. Leproux, op. cit. ; C. Rouleau, Essai de folklore de la Sologne bourbonnais (...)
- 241 C. Seignolle, op. cit.
- 242 R. Béteille, op. cit.
- 243 Séance du comité de protection de l’enfance : 29 juillet 1886, A.D., Vaucluse, 3X 16.
- 244 On l’appelle « norion » en Sologne bourbonnaise, « crâgne » et « rabanelle » en Charente, « crème »(...)
- 245 M. Leproux, op. cit., p. 60-61. Claude Seignolle a retrouvé une croyance analogue en Languedoc.
- 246 C. Rouleau, op. cit., p. 63.
41La saleté des enfants est encore aggravée par un certain nombre de pratiques supposées bénéfiques pour leur avenir. Ainsi, les mères refusent de couper les ongles avant l’âge d’un an ou avant que l’enfant parle. Les motifs avancés varient selon les régions : son esprit en serait « rogné », croit-on en Saintonge ; son existence serait abrégée en Confolentais ; sa croissance serait menacée en Angoumois238. Mais, surtout et partout, on craint en transgressant l’usage que l’enfant ne devienne voleur239. Cette croyance perdure en Berry pendant l’entre-deux-guerres et jusqu’en 1957 en Champagne. Plus malsain, le refus de laver la tête des nourrissons qui engendre la formation d’une croûte épaisse. En Champagne, on craint de faire tomber les cheveux. En Bas-Dauphiné et en Charente comme en Sologne bourbonnaise, les parents sont convaincus que la crasse nourrit l’enfant240. En Languedoc, la croûte passe pour le « chapeau de la mémoire »241. En Rouergue, résidu du Saint-Chrême, il serait sacrilège de l’ôter242. En Vaucluse, « si la figure est lavée quelquefois, la tête ne l’est jamais. On y laisse s’accumuler la crasse que, bientôt se transforme en croûte qui, sous le nom de crème, doit préserver l’enfant des maladies » 243. La diversité des dénominations témoigne de l’enracinement local des ces comportements qui allient tradition et travail allégé mais qui obéiraient également à des constats objectifs selon F. Loux244. Les ongles des bébés sont, en effet, autoseccables, la croûte protège la fontanelle, etc. Les mères croient également aux vertus esthétiques de l’urine. En Charente avant 1914, « les mères qui débarbouillaient leurs enfants avec des langes mouillés pour l’empêcher d’avoir des boutons, étaient encore nombreuses »245. Bref, « la crasse, c’est la santé »246.
- 247 Dr Francus, Voyage fantaisiste et sérieux à travers l’Ardèche et la Haute-Loire, Le Puy, 1894, A. P (...)
- 248 Procès-verbal de gendarmerie de Sougy : 19 octobre 1911, A.D., Nièvre, 3U21391.
- 249 Réquisitoire : 26 septembre 1893, A.D., Aube, 5U 254.
- 250 Dr Legendre, op. cit., p. 24.
- 251 Procès-verbaux de gendarmerie de Busigny : 12 novembre et 25 septembre 1936, op. cit.
42Faute de lavage, les parasites pulullent mais les parents leur trouvent de nombreuses qualités. Le Dr Francus indigné a vu au Béage (Ardèche) « la malpropreté érigée en système pour ce qui concerne la tête des enfants. Quand ils n’ont pas de poux, on leur en met, en prétendant que le contact de ces insectes est favorable aux enfants » 247. Une paysanne de Bussy (Nièvre) rapporte qu’une de ses voisines refuse de nettoyer la vermine de ses enfants : « elle me disait que cela leur faisait du bien et que cela les réveillait » 248. Les poux, surtout, passent pour « sucer le sang » et préserver des maladies. Rien d’étonnant dans ces conditions que 30 des 36 dossiers décrivant la saleté corporelle des enfants les peignent « couverts de vermine », avec un luxe de détails qui témoigne de l’ampleur d’un problème aujourd’hui oublié. Ainsi, le fils d’une lingère de Troyes, enfant mal aimé de sa mère, est « dans un état d’abandon révoltant (...) recouvert d’une couche de poux épaisse de plusieurs millimètres » 249. Les dossiers signalent aussi, comme les médecins, la fréquence des maladies de peau : teigne, gale. La plupart des enfants à la campagne sont atteints d’impétigo et de parasites, note le docteur Legendre qui le signale en vain aux paysans : « si on guérit sa tête, répond-il, l’humeur se portera autre part, il faut que ça passe tout seul. Quant aux parasites, plusieurs répondent que tous les enfants en ont ; que du reste, c’est la santé »250. « Je n’ignorais pas que mes enfants avaient des poux, pourtant je les peignais tous les jours. (...) Je ne vois pas ce que l’on peut me reprocher sur la façon dont j’élève mes enfants », insiste candidement une ouvrière agricole de Maretz (Nord) qui n’a pas non plus « de goût à entretenir son intérieur, (...) un taudis infect »251.
- 252 Dr Legendre, op. cit., p. 30
- 253 G.M. Coissac, p. 212. En Sologne bourbonnaise, vingt ans plus tôt, les adultes sont un peu plus pro (...)
- 254 Les populations du Puy-de-Dôme, op. cit.
- 255 Cette norme remonte au Moyen Age selon G. Vigarello, Le propre et le sale, Paris, 1985, Seuil. Sur (...)
- 256 Rappelons qu’à Minot, les premières salles de bains sont installées dans les années 1960 et que les (...)
- 257 Monographie sur les fermiers-montagnards du Forez qui, je le rappelle, ne consomment que 3 kilos de (...)
- 258 J. Bouvier, Mes mémoires ou cinquante-neuf années d’activité industrielle, sociale et intellectuell (...)
43En effet, les mères appliquent à leurs enfants les mêmes régies d’« hygiène » qu’aux adultes. Or, la propreté corporelle reste longtemps inconnue. En Morvan, « le paysan est généralement très sale (...). Il a une horreur profonde pour les bains, les ablutions » 252. En Limousin, « les lavages quotidiens sont considérés comme superflus ; les bains ne sont pas connus ; (...) les hommes se font la barbe une fois tous les mois, au plus tous les quinze jours, les femmes se peignent une fois la semaine pour se rendre à l’église » 253. En 1929 encore, en Forez et Livradois, « en dehors des mains et du visage, quelquefois des pieds, le corps n’est jamais lavé » 254. L’enquête de la S.D.N. sur l’habitat rural, achevée en 1939, atteste toujours l’indifférence à la propreté corporelle dans le Massif central, la Bretagne, le Maine, la Corse, sans qu’ailleurs la situation soit parfaite pour autant. D’une façon générale, les plus propres lavent ce qui se voit et oublient le reste255. La toilette intime, en particulier, répugne, sans doute pour des raisons religieuses. De plus, le manque d’eau encourage le laisser-aller comme l’emploi du temps chargé de nombreux ouvriers et paysans256. Enfin, les bienfaits de l’hygiène, faute d’éducation, sont méconnus. En Haut-Forez, « la malpropreté est entretenue chez cette race par une foi inébranlable dans l’antisepsie naturelle » 257. Il ne faut, du reste, pas surestimer l’influence de l’école, au moins au début de la IIIe République. Jeanne Bouvier, née en 1865 d’un père chef d’équipe en Isère, rappelle qu’à la pension, « nous nous lavions la figure et les mains (...) dans une cuvette pour vingt-cinq élèves, tous les mois, on procédait au lavage des pieds mais le reste du corps n’était jamais lavé »258.
- 259 Procès-verbal de police de Pont-Audemer : 31 juillet 1906, A.D., Eure, 12 U 125.
- 260 Procès-verbal de gendarmerie de Parigné : 27 avril 1925, A.D., Sarthe, I U2 283.
44C’est donc à l’aune de l’environnement sanitaire qu’il faut évaluer les soins corporels prodigués aux enfants. Dès lors, ce qu’un médecin considère comme répugnant, renvoie à la norme de l’époque et d’un milieu donné sur laquelle s’appuient, implicitement, les observateurs pour décerner un satisfecit à la mère. Le fils d’un journalier de Pont-Audemer est ainsi « tenu dans un état de propreté satisfaisante, en enfant d’ouvrier ordinaire » 259. Parlant d’une aide de culture de Parigné-l’Evêque (Sarthe), mère de quatre enfants et jugée un peu négligente « au point de vue propreté », les autorités concluent qu’« ew raison du milieu où elle vit, il n’y a pas d’exagération étant donné que les parents ont trois enfants en bas âge et la mère dans une situation intéressante » 260.
- 261 Dr Legendre, op. cit., p. 30.
- 262 G.M. Coissac, op. cit., p. 212.
- 263 C. Géniaux, op. cit., p. 197.
- 264 L. Gachon, op. cit. et G. Thuillier, op. cit., au moins jusqu’en 1900.
- 265 Rapport... 1903, p. 59.
- 266 Procès-verbal du juge de paix du Cheylard : 9 décembre 1885, A.D., Ardèche, 1U 541.
- 267 Procès-verbal médical : 24 novembre 1882, A.D., Puy-de-Dôme, U 10 851.
- 268 A cette date encore, par exemple, le petit Charentais, jamais baigné, est essuyé de temps en temps (...)
- 269 Rapport médical : 14 octobre 1934, A.D., tribunal correctionnel de Cahors, liasse 358.
- 270 Rapport médical : 13 septembre 1939, A.D., Morbihan, U 4964.
45Première certitude, les enfants et surtout les nourrissons ne sont jamais baignés. En Languedoc, les bains sont jugés responsables des maladies pulmonaires. En Morvan, « prescrivez au paysan défaire prendre des bains à sa progéniture, il vous regardera avec stupéfaction. (...) Mais, Monsieur le médecin, mon enfant est trop faible, il mourrait dans le bain ; et il refusera de le faire ; si le docteur donne lui même le bain, les voisins plaignaient ce pauvre enfant qu’on martyrisait sans raison » 261. Dès lors, les soins de propreté sont expéditifs. En Limousin, « on ne leur donne ni bain ni douche », ni même « un coup de torchon » et « s’il vous prenait la fantaisie, comme Monsieur Forot mentionnant l’avoir fait, de donner aux parents quelques conseils d’hygiène et de propreté, on vous répondrait : “ mais tous éfans soun sales, miel se fon ” » 262. En Bretagne, « les bébés ne prennent jamais de bains ; à peine si le gros torchon leur débarbouille la frimousse »263. En Auvergne ou en Nivernais, la mère se borne à mouiller un mouchoir de salive pour décrasser la figure le dimanche ou lors d’une visite264. « Que de fois n’avons-nous pas vu ces nourrices mouiller de leur salive, un coin de la couette de l’enfant pour le sortir de sa fange », soupire d’ailleurs le médecin-inspecteur de Deville-lès-Rouen (Seine-Inférieure)265. Parfois, l’enfant n’est jamais nettoyé. Une propriétaire de Saint-Julien-Labrousse (Ardèche), aisée pourtant et qui élève bénévolement une orpheline de quatre ans, lui lave, dès son arrivée, les vêtements mais ajoute : « je ne lui ai jamais lavé le corps quoiqu’elle fût bien sale » 266. A la même époque, à Clermont-Ferrand, les parents ne sont guère plus soigneux : un médecin note que la fille d’un tisserand, victime d’un attentat à la pudeur, est « dans un état de malpropreté telle que l’examen (...) est difficile » 267. La situation reste médiocre jusqu’à la Belle Epoque, surtout dans la paysannerie comme l’atteste la réflexion d’un médecin du Lot268. Appelé auprès d’un enfant de dix-neuf mois, mort d’inanition en raison de l’incurie de ses parents, agriculteurs à Belmont-Sainte-Foy, ce dernier qui le décrit « mal tenu, sale, couvert de croûtes », la tête et les cheveux « remplis de crème et de poussière », s’étonne, en effet : « dans un milieu ouvrier j’ai été surpris que l’on n’ait pas pris plus de soins. Dans le Nord, les enfants dont les parents travaillent toute la journée, sont mieux soignés » 269. D’une façon générale, la tenue vestimentaire s’est beaucoup plus vite améliorée que l’hygiène corporelle. Examinant le fils d’une cultivatrice de Mériadec (Morbihan) pour constater d’éventuels sévices, un docteur juge le garçonnet « convenablement vêtu (...) ni accrocs, ni déchirure, même une propreté relative. Je n’en dirai pas autant des mains, du visage et des jambes mais beaucoup d’enfants de la campagne, voire de petits citadins, ne sont pas mieux débarbouillés » 270.
- 271 A.D., Eure, 12 U 125.
- 272 Procès-verbal du juge d’instruction de Béthune : 29 avril 1913, A.D., Pas-de-Calais, 3U2 150.
- 273 Procès-verbal de gendarmerie d’Oullins : 24 septembre 1933, A.D., Rhône, op. cit.
- 274 Procès-verbal de police de Lyon : 16 février 1931, A.D., Rhône, 3U 120.
- 275 Procès-verbal de police d’Avallon : 25 janvier 1932, A.D., Yonne, 3U2 216.
46A partir de 1910-1914, la justice et l’Administration, puis le voisinage, dénoncent plus vigoureusement les mauvaises mères du sous-prolétariat, surtout urbain. De fait, les affaires de déchéance regorgent d’exemples consternants. En 1913, les cinq enfants de journaliers agricoles de l’Eure, jamais peignés, sont couchés dans un lit grouillant de puces, cependant que le dernier-né est maculé d’excréments séchés271. A la même date, une ouvrière de Liévin (Pas-de-Calais) « néglige leur entretien », les laisse « jamais nettoyés, pleins de vermine (...) dans un état de malpropreté repoussante » mais le père, qui ne donne pas assez d’argent à son épouse, est également tancé par le juge et promet de s’amender : « j’y ferai attention » 272. Cette négligence perdure encore dans les années 1930. Epouse d’un gazier d’Oullins (Rhône), la mère d’une fillette de deux ans « ne la lave presque jamais (...). Elle avait les jambes recouvertes d’une couche noire comme du charbon » 273. A Lyon également, une ouvrière en couronnes mortuaires avoue négliger la toilette de son fils qui « fait peine à voir tellement il est mal tenu » et « rongé par la vermine », mais s’excuse-t-elle, « étant obligée de travailler (...) je n’avais pas le temps de m’occuper de mon enfant »274. « Au point de vue hygiène, ce n’est pas chez ces gens-là », un couple ouvrier d’Avallon, « qu’il faut chercher la propreté. Jamais, les gosses ne sont lavés et ça ne m’étonnerait pas qu’ils couchent tout habillés », dénonce une voisine275. Comme pour la saleté ménagère, la négligence des mères en matière de soins corporels recoupe l’ignorance et la routine, l’absence de temps et d’argent, d’où le nombre élevé de mères seules et malpropres. Néanmoins et idéologie oblige, le contrôle sanitaire des populations s’exerce surtout sur les citadins indigents alors que la malpropreté des petits paysans est aussi grave et surtout plus répandue.
« Je crois faire mon devoir de mère en les nettoyant tous les jours » 276
- 276 Procès-verbal de gendarmerie de Camières : 31 août 1939, A.D., Nord, 3U2 428.
47Cette remarque d’une journalière de Quiévy (Nord) atteste qu’en 1939 enfin, la toilette quotidienne des enfants est jugée nécessaire. Dès le début de la IIIe République, dans certaines familles, même modestes, la propreté corporelle des enfants est déjà intégrée aux devoirs parentaux. Toutefois, alors que les archives décrivent complaisemment la crasse, les témoins sont elliptiques pour faire l’éloge de la propreté. Le résultat final, l’« enfant propre » compte seul et non les soins dont il est l’objet.
- 277 A.D., Loir-et-Cher, 2U3 121.
- 278 Ouvriers des deux mondes, 3e série, t. 2.
- 279 Ouvriers des deux mondes, 3e série, t. 2.
- 280 R. Jouglet, Les paysans. Enfance et jeunesse, Paris, 1951, Les éditeurs réunis, p. 39.
- 281 P. Dentin, Mémoires I.A l’aube du xxe siècle, op. cit., p. 77.
- 282 H. Soum, op. cit., p. 190.
- 283 J’ai décompté neuf femmes qui, au détour d’une phrase, se décrivent peignant leur fille. Procès-ver (...)
- 284 Il s’agit d’une femme de marin du Finistère en 1913.
- 285 Procès-verbal de gendarmerie de Billy-Montigny : 8 juin 1904, A.D., Pas-de-Calais, 3U2 216.
48Certes les grandes ablutions sont rares. Je n’ai recensé qu’une mère, journalière à Vendôme, qui au tournant du siècle, baigne sa fille277. Les Ouvriers des deux mondes font état à la même époque de deux cas analogues. En 1901, un poseur de rail parisien et son épouse « font de nombreuses ablutions quotidiennes » et « les bains sont pris fréquemment par les enfants » 278. La femme d’un tisseur de Saint-Quentin accepte également, quoique pour des motifs médicaux, de baigner ses deux jumeaux tous les soirs et de les talquer après chaque tétée279. Une mère consciencieuse s’impose, cependant, dès les années 1870, une grande toilette hebdomadaire. Une passementière du Hainaut adopte ce rythme pour son ménage et son fils : « quand j’étais petit, le dimanche, ma mère, dès mon lever, me faisait ma toilette dans le cuvier » 280. La petite bourgeoisie provinciale ne fait pas mieux : dans le Vimeu de la Belle Epoque, chacun s’adonne à « la toilette plus complète du dimanche » 281. Dans le Sud-Ouest, après la Guerre, « le dimanche matin, ma mère Andréa me lavait dans une grande lessiveuse d’eau chaude (...). C’était la séance hebdomadaire de “dérognage” » 282. La toilette quotidienne semble expéditive : lavage des mains et du visage, pas toujours au savon, coup de peigne. En effet, les mères se plaisent à coiffer soigneusement leurs filles, au point que l’une d’elle, cultivatrice à Gonfaron (Var) découvre ainsi l’attentat à la pudeur commis sur son enfant, car elle arrive « toute échevelée (...) alors que le matin elle avait mis tous ses soins pour la coiffer » 283. Les dents, en revanche, ne sont jamais brossées, les premières mentions, toutes négatives, apparaissant dans les enquêtes rurales de 1929. Une seule mention est faite d’un shampooignage de la tête... mais pour traiter la gourme284. Quelques mères seulement vont plus loin, suscitant plus l’étonnement que l’admiration, comme cette femme de mineur, à Hénin-Liétard, qui, en 1904, « soignait la fdlette de son mari comme ne l’était aucune enfant du quartier. Elle la peignait tous les jours, la changeait souvent d’effets et la tenait très proprement »285.
- 286 Où, je le rappelle à nouveau, les médecins-inspecteurs au titre de la loi Roussel notent d’année en (...)
- 287 Rapport... 1902, p. 83 et Rapport... 1903, p. 53.
- 288 Rapport... 1905, p. 59.
- 289 Rapport... 1903, p. 53.
- 290 Rapport... 1905, p. 50.
- 291 Rapport... 1903, p. 60.
49De plus, si les progrès sont réels, ils sont très inégalement répartis, y compris au sein d’une même région. Le cas de la Seine-Inférieure est particulièrement instructif à cet égard286. Les notations sur l’hygiène corporelle se multiplient au début du siècle et témoignent, à la fois, de l’avance urbaine et du rôle que peuvent jouer localement les agents de la modernisation sanitaire. Les communes industrielles dans la vallée de la Seine sont les premières gagnées. A Darnétal, « la plupart des nourrices font leur devoir » et « l’eau n’est (...) plus un objet de répulsion pour les nourrices ; les enfants sont lavés » 287. A Deville-lès-Rouen, « il n’est pas rare de rencontrer des nourrices qui baignent leur enfant deux fois par semaine alors qu’il n’y a pas longtemps encore une tasse à café d’eau suffisait largement pour un nourrisson » 288. A Quincampoix, le Dr Petit se réjouit : « j’ai pu dans le courant de l’année faire adopter le système des bains pour les enfants ! Quelques nourrices m’ont écouté » 289. En revanche, la côte et le pays de Caux et d’une façon générale, les régions rurales sont plus réfractaires. A Criel-sur-Mer, la fréquence de l’érythème fessier s’explique par l’absence de savonnage des bébés qu’on essuie seulement. A Dieppe, « l’usage des bains est chose à peu près inconnue dans le monde des nourrices » 290. A Blainville-Crevon, le médecin se lamente : « quant au manque de propreté c’est un mal incurable dans les campagnes (...). Et la paresse y est évidemment pour beaucoup », tout en notant quelque ouverture : « certaines nourrices sont convaincues que la gourme n’est pas la sauvegarde des enfants » 291. Les pressions administratives s’avèrent néanmoins efficaces lorqu’elles sont répétées.
- 292 Enquête sur l’habitation rurale, S.D.N., op. cit., t. 2, p. 85.
- 293 L’enquête S.D.N. remarque que dans le Cantal, « la propreté individuelle a fait bien des progrès, l (...)
- 294 Enquête S.D.N., op. cit., t. 2, p. 122.
- 295 Enquête S.D.N., op. cit., t. 2, p. 221.
50L’amélioration de l’hygiène corporelle s’accélère après la Guerre. La raison en est simple, « la propreté corporelle suit, peut-on dire, les progrès des installations publiques d’eau potable » 292. Or, comme nous l’avions noté à propos des tâches ménagères, les adductions d’eau courante commencent à gagner alors les campagnes. Par ailleurs, l’élévation du niveau de vie rural, très sensible durant les années 1920, autorise de nouvelles consommations sanitaires : savonnettes, eau de Cologne etc.293. Les enfants qui sont les plus sales sont les premiers à en bénéficier comme en Champagne où « l’hygiène et, en particulier, l’hygiène de l’enfant, sont en grand progrès depuis la guerre »294. Dans le Lot-et-Garonne, de même, « les enfants sont beaucoup mieux tenus qu’autrefois »295.
- 296 La vie quotidienne à Saint-Etienne, op. cit., p. 140.
- 297 Dossier familial n° 946, 1939, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 298 Dossier familial n° 1007, 1939, A.D., Seine-et-Oise, 1161W.
- 299 Examen médico-psychologique, 1938, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 300 Le médecin chargé d’examiner les filles du pépiniériste de Montlignon avoue : « j’osais à peine y t (...)
- 301 Procès-verbal de gendarmerie de Berlaimont : 10 août 1025, A.D., Nord, 3U1 1376.
- 302 Lettre à l’inspecteur de l’Assistance Publique : 23 septembre 1934, A.D., Lot, tribunal corectionne (...)
- 303 Procès-verbal de gendarmerie de Chevreuse : 2 novembre 1934, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 304 Procès-verbal de gendarmerie de Vannes : 22 février 1931, A.D., Morbihan, U 5693.
51Enfin, la pression sociale s’accentue pour faire reculer la saleté d’« habitude » ou d’« indifférence ». L’action de l’école devient plus efficace au xxe siècle. La surveillance exercée sur les enfants pousse les mères à mieux les laver pour qu’ils soient acceptés en classe. A Saint-Etienne, rappelle un témoin, l’institutrice isole « la "sale" sous les sarcasmes de ses camarades au fond de la salle ». Elle distribue également des buvards de publicité et des échantillons de dentifrice Gibbs296. Conseils et coercition ont des résultats mesurables. Une ménagère de Jouy-en-Josas (Seine-et-Oise) « ne lave ses enfants que lorsqu’on la menace de ne plus les recevoir à l’école »297. A la même date et dans la même commune, un couple n’exerçant aucune profession envoie à la maternelle ses deux filles « sales, déguenillées, elles sentaient mauvais (...), avaient des cheveux non peignés, matelassés avec des poux. A la suite des réprimandes multiples et de plusieurs dons de vêtements, les deux petites filles sont actuellement suffisamment propres » 298. Les enfants, eux mêmes, intériorisent les nouvelles normes. Ainsi, le fils d’une femme de ménage de Saint-Germain-en-Laye « venait si sale à l’école que ses camarades s’éloignaient de lui » 299. La saleté suscite peu à peu le haut-le-cœur, et plus seulement chez les professionnels300. La voisine d’un maçon de Bachaut (Nord) déjà évoqué, souligne que son enfant « sentait mauvais » et qu’il était si sale « que l’on aurait osé y toucher avec les mains » 301. Une lettre anonyme dénonce un couple de cultivateurs du Lot que « toute la commune blâme » pour les mauvais soins donnés à leur fils qui « empoisonnait les airs (...) comme une véritable décomposition » 302. Le patron de misérables ouvriers agricoles de Bailly (Seine-et-Oise) s’indigne que leurs six enfants soient « à peine vêtus, dans un état physique lamentable (santé et saleté) » et conclut : « les enfants sont élevés moins propres que des animaux »303. Certains contemporains sont même pointilleux. Le voisin d’un marin de Séné (Morbihan) le critique car sa fille « est dans un état qui laisse à désirer. Elle n’est pas nettoyée tous les jours » 304. Aussi, la propreté des enfants devient-elle dans l’entre-deux-guerres une obligation sociale pour ne pas incommoder autrui.
- 305 Cette tâche ainsi que l’habillage sont évalués en 1947 dans les familles urbaines à 1,3 heure pour (...)
- 306 Procès-verbal du juge d’instruction de la Seine : 29 septembre 1910, A.D., Seine, D2 U6 166.
- 307 Il ne faut pas s’en étonner puisque l’Université est restée longtemps imperméable aux théories de P (...)
52Reste que pendant tout le xixe siècle et pour les paysannes ainsi que le sous-prolétariat, durant toute la IIIe République, le temps consacré par les mères à la toilette de leurs enfants est réduit à sa plus simple expression. Il est incontestable que l’hygiène corporelle reste à la traîne alors que dans les années 1920, tous les milieux connaissent les règles d’une alimentation saine et équilibrée. De même, les parents préfèrent investir dans l’élégance des enfants plutôt que faire leur toilette quotidienne. Ce décalage reflète l’indifférence générale de la population pour les soins du corps. Il renvoie également à un arbitrage de l’urgence des tâches. Comme pour le ménage, les mères parent au plus pressé : il faut d’abord nourrir et habiller les enfants pour assurer leur survie. Faute de temps, la toilette est bâclée, voire oubliée305. « J’ai constaté que cette enfant n’était pas bien soignée au point de vue de la propreté. J’en ai fait l’observation à ma belle-fille qui m’a répondu qu’elle faisait ce qu’elle pouvait » explique la belle-mère d’une biscuitière de Vincennes, veuve et absente toute la journée306. Quand de plus, les préjugés s’en mêlent qui, sous prétexte de santé, interdisent les ablutions approfondies, la saleté perdure. Le corps médical s’en désole mais là encore, allant à l’essentiel, il préfère privilégier l’hygiène alimentaire, rempart contre les entérites mortelles et l’atrepsie. La diffusion des théories pastoriennes renverse les points de vue. La propreté corporelle devient alors gage de santé mais pas avant l’entre-deux-guerres307. Toutefois, dans sa propagation ont joué, au moins autant que la vulgarisation scientifique, l’orgueil maternel et le modèle indéfiniment reproduit – sur les cartes postales, sur les publicités, dans les catalogues – du bel enfant rose et propre.
- 308 Procès-verbal de gendarmerie de Vaucresson : 12 septembre 1935, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 309 Procès-verbal de gendarmerie d’Oullins : 29 juin 1931, A.D., Rhône, 3U 1201.
- 310 Voir D. Tabutin, « La surmortalité féminine en Europe avant 1914 », op. cit. ; M. Poulain et D. Tab (...)
53Sur deux points, toutefois, je ne saurais trancher. Il est difficile de savoir à quel âge un enfant doit se débarbouiller lui même. L’entrée à l’école primaire me semble un tournant. Selon une voisine, les enfants d’un tramino du Chesnay (Seine-et-Oise) sont « très sales sur eux, surtout le plus jeune [six ans] qui ne sait pas encore se laver seul » 308. La femme de ménage de Sainte-Foye-lès-Lyon, mère de cinq enfants âgés de six à douze ans, sait bien qu’« ils ne sont pas propres » mais, dit-elle, « à leur âge, ils pourraient se laver eux même » 309. Par ailleurs, rien n’autorise à conclure que les filles seraient moins lavées que les garçons. L’hypothèse a été avancée par les démographes pour expliquer la surmortalité des filles entre quatre et dix-sept ans : avec leurs longs cheveux rarement coiffés, les filles seraient plus sujettes aux parasites, elles disposeraient plus rarement de mouchoirs etc.310. Or, les cas de saleté excessive signalés dans les dossiers de déchéance de la série U concernent indifféremment filles et garçons. Dans les milieux populaires, les soins me semblent identiques. Certes, les garçons, avec leurs cheveux rasés sont moins gênés par la vermine. Toutefois, plus fréquemment livrés à eux mêmes, ils se salissent plus en jouant. De nombreux observateurs comme G.M. Coissac ou C. Géniaux ont, en revanche, souligné la mise plus pimpante et proprette des fillettes.
De beaux enfants, en bonne santé : une responsabilité maternelle
- 311 Voir le numéro de Pénélope, consacré à La femme soignante, n° 5, automne 1981.
54Pendant longtemps la santé, comme les soins à la petite enfance, furent réservés aux femmes qui se transmettaient, de mère à fille, leurs recettes prophylactiques et curatives311. A partir du xviiie siècle, les praticiens investissent leur domaine. La IIIe République, sans que toutes les superstitions et pratiques traditionnelles disparaissent, voit se généraliser l’intervention médicale dans la famille. La mère reste, cependant, responsable de la santé de ses enfants, prévient les maladies, appelle le docteur dès que nécessaire et, fait nouveau, surveille les troubles pathologiques de sa progéniture jusqu’à l’âge adulte.
La prévention maternelle
55Elle repose sur d’antiques coutumes et une vision moderne de la santé. Prévenir la maladie suppose, d’abord, de protéger les enfants des intempéries et des accidents domestique puis, en les nourrissant bien et en leur offrant le « bon air », de les « fortifier » pour qu’ils résistent aux microbes.
- 312 C’est le père que se lève dans les Baronnies. Voir A. Augustins et R. Bonnain, Les Baronnies des Py (...)
- 313 F. Loux, Le jeune enfant et son corps dans la médecine traditionnelle, op. cit. et « La femme soign (...)
- 314 Voir D. Fabre et J. Lacroix, La vie quotidienne des paysans du Languedoc au xixe siècle, op. cit. V (...)
56Le mauvais chauffage des maisons exige, outre le recours au maillot, de prendre des précautions particulières pour les nourrissons. Les parents placent toujours le berceau près d’une source de chaleur, devant la cheminée ou le poële, et se lèvent la nuit pour ranimer les flammes312. Ils couchent fréquemment le nouveau-né dans leur lit pour lui communiquer leur chaleur et selon Françoise Loux, pour prolonger, au delà de la naissance, un contact physique de tous les instants313. Les autorités condamnent cette habitude, dangereuse en raison des risques de mort par suffocation. L’Eglise y a longtemps décelé une forme déguisée d’infanticide314. De fait, sur les 15 dossiers judiciaires qui mentionnent cette pratique, rurale à deux exceptions près, deux font état de décès suspects. Une ouvrière de Troyes, mère de dix enfants, dont six morts en bas âge, a « étouffé » son dernier né, « mais bien involontairement », soutient-elle au juge,
57« – N’étiez-vous pas ivre à de moment là ?
- 315 Procès-verbal de la Police Judiciaire de Troyes : 4 juillet 1871, A.D., Aube, 2U 299.
- 316 A.D., Morbihan, U 5678.
- 317 Deux dossiers judiciaires sur le sujet en Morbihan et M. Leproux, op. cit.
- 318 Procès-verbal du juge d’instruction de Lille : 22 juin 1888, A.D., Nord, 2U 155/495.
58– Non, je ne buvais pas alors comme aujourd’hui » 315. En 1924, encore, une paysanne de Saint-Gorgon (Morbihan) écrase, en dormant, son nourrisson, accident attribué à l’« imprudence » 316. Après la Guerre, cette « prévention » n’est plus attestée qu’en Morbihan et en Confolentais317. Peu à peu, le souci de mieux couvrir les enfants plus âgés fait son apparition. Les témoins qui dénoncent le mauvais état des vêtements, soulignent ainsi de plus en plus souvent leur inadéquation à la saison froide. Les mères commencent souvent par emmitoufler leurs filles, comme le soulignent certains observateurs de la vie rurale. Chez les ouvriers, cette préoccupation semble particulièrement précoce. Une couturière lilloise qui met un chapeau à sa fille avant de sortir, précise : « il faut toujours que je lui couvre les oreilles pour qu’elle ne prenne pas froid au vent du soir » 318.
- 319 Voir C. Géniaux pour la Bretagne ; M. Leproux pour la Charente ; C. Seignolle pour le Languedoc ; p (...)
- 320 Poueigh, op. cit.
- 321 On appelle l’étui un « bue » en Languedoc (D. Fabre et J. Lacroix, op. cit.) ; une « servante », te (...)
- 322 Procès-verbal de police de Troyes : 9 septembre 1893, A.D., Aube, 5U 254.
- 323 Trois systèmes, soigneusement décrits par les ethnologues, sont utilisés :
– le chariot de bois à r (...) - 324 La vie quotidienne à Saint-Etienne, op. cit., p. 87.
59Les femmes cherchent également à empêcher les accidents mais, faute de temps, elles préfèrent à une surveillance scrupuleuse des dispositifs encadrant les mouvements de l’enfant. Dans de nombreuses régions, les mères emportent aux champs le bébé ligoté dans son berceau319. A Barèges et Gavamie, elles travaillent, l’enfant ficelé sur le dos320. Folkloristes et ethnologues décrivent également l’enfermement dans un étui pendu au mur, voire dans un tonneau ou la cache à cochon mais je n’en ai retrouvé aucune trace dans les archives de même que des bonnets à bourrelets, en recul dès le xixe siècle321. En revanche, lorsqu’ils s’absentent, de nombreux parents couchent leurs enfants jusqu’à l’âge de deux ou trois ans, pour éviter qu’ils ne fassent des bêtises. Une lingère de Troyes qui « emmène avec elle » son fils aîné, « laissant le cadet des journées entières », suscite, d’ailleurs, l’indignation des voisins : « il nous tendait ses petits bras (...) et paraissait nous supplier de ne pas le laisser seul, enfermé »322. De même, aucune allusion n’est faite aux installations d’aide à la marche. Celles-ci, pourtant, facilitent un apprentissage que les parents, par orgueil, souhaitent précoce mais elles ont également pour fonction d’empêcher les chutes graves323. Dans l’entre-deux-guerres, la mode est au youpala et au parc. A Saint-Etienne, « on l’installait (...) sur une couverture ou dans un parc (...). Quelques chaises disposées en carré dans un coin faisaient tout aussi bien »324. Les autres garde-fous, faute de place sûrement, ne semblent pas installés en ville.
- 325 Coutumes d’enfance en Forez, op. cit., p. 10.
- 326 Rapport du juge de paix de Romilly au Procureur : 31 octobre 1879, A.D., Aube, 9U 189.
- 327 Voir rapports des médecins-inspecteurs pour 1903 et 1905, A.D., Lot, 3X 13.
- 328 « Les erreurs de l’éducation familiale », Revue de l’enfance, février 1924.
- 329 Lettre du maire de La Ferté-Loupière à l’inspecteur de l’Assistance Publique : 22 juin 1921, A.D., (...)
60Les parents sont réputés craindre également les animaux. « On ne laissait jamais le petit seul dans une pièce : on redoutait pour lui la peur, la maladie subite, le chat qui pourrait l’étouffer en se couchant sur lui » 325. A la campagne, le portillon qui interdit l’accès de la maison aux animaux domestiques relève des précautions éducatives. En revanche, alors que Françoise Loux souligne la phobie de l’eau et du feu, les archives, comme les médecins-inspecteurs, se taisent sur le sujet. Tout au plus, le juge de paix condamne-t-il une ménagère de Saint-Hilaire (Aube) après la mort de sa fille tombée dans un puits : « on ne peut s’empêcher de lui reprocher l’imprudence coupable d’abandonner quatre enfants en bas âge et un nourrisson dans une maison à côté de laquelle est un puits » 326. Je n’ai, par ailleurs, retrouvé qu’une tentative médicale, dans le Lot, pour promouvoir le pare-feu. Qui plus est, ses résultats sont décevants : en 1903-1905, le pare-feu est inconnu dans quinze communes et s’il est mentionné dans huit villages, toutes les maisons n’en sont pas pourvues327. Dans les milieux bourgeois eux mêmes, la sensibilisation aux dangers domestiques est tardive comme en témoigne la remarque, mise dans la bouche d’un père, par la Revue de l’enfance à propos de dragées : « Tiens, c’est vrai, nous n’avions pas pensé que c’était dangereux » 328. En revanche, les menaces de la circulation automobile sont rapidements perçus. Une ménagère de la Ferté-Loupière (Yonne) est ainsi dénoncée parce qu’elle « laisse vagabonder ses enfants sur les routes au risque d’être écrasés par des voitures »329.
- 330 Voir outre F. Loux, déjà citée, La vie quotidienne à Saint-Etienne dans l’entre-deux-guerres, op. c (...)
- 331 « L’art d’élever son enfant », Pro Juventute, janvier 1926, cité dans La revue familiale de l’enfan (...)
- 332 Lettre du maire de Chevroches à ? : 15 novembre 1911, A.D., Nièvre, 3U2 391.
- 333 Questions et réponses des médecins-inspecteurs, 1905, A.D., Lot, 3X 13.
- 334 Voir P. Huart et R. Laplane, op. cit. Et un sur trois en 1935 : voir C. Rollet, op. cit., chapitre (...)
61Les mères tentent aussi de prévenir la maladie. Elles se tournent d’abord vers des moyens irrationnels : pratiques magiques, recours aux saints, prières, etc.330. Et de fait, en raison de la lente diffusion de la théorie pastorienne, de nombreuses citations témoignent d’une méconnaissance totale des mécanismes d’infection microbienne. Je n’ai ainsi jamais trouvé une mère qui aurait eu « soin de ne lui donner que des objets d’une propreté rigoureuse », les jouets en particulier331. D’où longtemps l’indifférence, voire l’hostilité aux vaccinations. Certes, ces sentiments mitigés reculent et dans la série U, une seule famille de Chevroches (Nièvre), le père bûcheron, la mère ménagère, est mentionnée en 1911, comme « réfractaire à la loi sur les vaccins » 332. Mais, bien que le vaccin antivariolique soit imposé dans les maternelles dès 1887 puis à l’ensemble de la population en 1902, dans le Lot, la loi, ignorée dans deux communes (Bélaye et Théminettes) et partiellement appliquée ailleurs, suscite des réticences ouvertes : « beaucoup de résistance avant six mois », « les parents ne sont pas très zélés pour la vaccination », « les nourrices manifestent surtout de l’indifférence »333. De même, alors que le B.C.G. est disponible, mais non obligatoire, depuis 1925, moins d’un enfant sur cinq en a bénéficié en 193 2334.
- 335 Ouvriers des deux mondes, 1re série, t. 5.
- 336 1904. Ouvriers des deux mondes, 3e série, t. 2.
- 337 Lettre au commissaire de Versailles : 17 août 1935, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 338 Lettre du 30 janvier 1937, A.D., Seine-et-Oise, op. cit.
- 339 Orthographe respectée. Dossier médico-psychologique, 1939, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
62Toutefois, comme nous l’avions noté, dès les années 1890, les mères associent nourriture diversifiée et santé. Elles cherchent même à en renforcer les effets par le recours aux « fortifiants » et ce très précocement dans les milieux populaires urbains étudiés par les Ouvriers des deux mondes. « Les principaux médicaments administrés aux enfants » du serrurier parisien, en 1878, « sont des toniques tels que huile de foie de morue, sirop d’iodure de fer etc. » 335. De même, une fille du tisseur de Saint-Quentin boit du sirop de fer donné par le Bureau de bienfaisance336. Dans l’entre-deux-guerres, la propagande s’amplifie. La publicité exploite le filon avec la Blédine qui « fortifie les bébés » si bien qu’une mère se doit d’employer des adjuvants « pharmaceutiques » pour compléter la nourriture des enfants. Une postière versaillaise qui souhaite élever ses neveux négligés par leurs parents, écrit : « je sais que ces pauvres petits ont grand besoin d’hygiène, de soins, de fortifiants (...) ; chez moi, je peux vous assurer qu’ils auront tout cela » 337. L’épouse d’un chiffonnier de Sartrouville se vante non seulement de bien nourrir son fils, mais encore de lui donner de « l’hémoglobine », car « il est chétif » 338. Les services d’hygiène sociale, très exigeants, en viennent à considérer comme coupables les parents qui s’en dispensent. A huit mois, Daniel est ainsi considéré comme un enfant mal soigné, « l’alimentation n’est nullement réglée : abus de biberons, potages mal préparés et surtout ne sont données aucune vitamine »339.
- 340 Lettre au juge de Briançon : 10 décembre 1937, A.D., Hautes-Alpes, 3 UP 47.
- 341 A.D., Seine-et-Oise, 0437.
- 342 Ouvriers des deux mondes, 3e série, t. 2.
- 343 Procès-verbal de police mobile : 6 décembre 1934, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 344 Trois cas mentionnés dans les archives et trois cas de vacances chez les grands-parents.
- 345 Procès-verbal du juge d’instruction d’Issoire : 11 juillet 1935, A.D., Puy-de-Dôme, U 010912.
- 346 Jugement du tribunal civil de Châteauroux : 11 juillet 1935, A.D., Indre, tribunal correctionnel de (...)
63Se répand aussi la conviction que, pour se développer harmonieusement, les enfants ont besoin de « bon air ». Les campagnes menées depuis la Monarchie de Juillet contre les méfaits de l’air méphitique rencontrent, enfin, un écho sauf lorsque les traditions s’y opposent. « Il nous est impossible de nous rendre a Briacon (...) moi je suis Félicie mère d’un bébé des tois mois il m est impossible de parti n’ayant jamais sorti mon enfant se cerait a sacrifier sa vis », écrit ainsi une paysanne d’Aiguilles (Hautes-Alpes) en 1937340. En ville, l’optique est différente. Certains parents n’hésitent pas à partir pour qu’un enfant de santé fragile jouisse d’un meilleur climat. Les milieux aisés sont les premiers touchés : dès 1882, l’épouse d’un professeur de l’Université de Nancy n’hésite pas à quitter son mari pour s’installer à la campagne avec son fils341. En 1909, une veuve, corsetière à Paris, déménage au Raincy pour sa fille aînée, de santé délicate342. Les témoins vantent également le dévouement de « cet excellent père de famille », chauffeur d’usine, qui a quitté l’Isle-Saint-Denis pour Domont (Seine-et-Oise) à l’air plus pur343. A défaut d’un déménagement, beaucoup de mères considèrent à partir de 1900 que les enfants doivent au moins passer leurs vacances au grand air, d’où la vogue des colonies et surtout des séjours dans la famille restée campagnarde344. « J’avais emmené mes enfants au pays pour les fortifier en leur faisant respirer l’air des montagnes », signale une blanchisseuse d’Auzat (Puy-de-Dôme)345. Une ouvrière divorcée de Châteauroux qui se flatte d’envoyer sa fille chez sa grand-mère au bon air et de multiplier les sorties, refuse à son ex-mari son droit de visite, pour avoir « le plaisir de promener elle même son enfant le dimanche » 346.
- 347 Procès-verbal du juge de paix d’Amay-Ie-Duc (Côte d’Or) : 8 novembre 1874, A.D., Seine, D2 U8 33.
- 348 H. Jouan, Normandie et Provence, Cherbourg, 1874, imprimerie A. Mouchel, p. 15. L’auteur est capita (...)
- 349 Procès-verbal du juge d’instruction de la Seine : 29 septembre 1910, A.D., Seine, D2 U6 166.
- 350 Procès-verbal du juge de paix de l’Isle-d’Adam : 21 juillet 1909, A.D., Seine-et-Oise, Assises, 191 (...)
- 351 Procès-verbal du juge d’instruction de Rambouillet : 19 janvier 1910, A.D., Seine-et-Oise, Assises, (...)
- 352 Procès-verbal de gendarmerie de Pontvallain : 7 mai 1932, A.D., Sarthe, 2U 601.
- 353 J. Stoetzel, « Une étude du budget-temps de la femme mariée dans les agglomérations urbaines », Pop (...)
- 354 Procès-verbal du juge d’instruction de Lyon : 24 avril 1933, A.D., Rhône, 3 UD 134.
64En effet, les mères doivent aussi faire prendre l’air à leurs enfants, si possible chaque jour. C’est une exigence d’abord urbaine. Une limonadière parisienne, trop sollicitée par son commerce, engage, pour vingt francs par mois, une jeune fille qui « allait promener [ses] enfants » 347. La promenade rituelle gagne progressivement les campagnes et un observateur note, dès 1874, que dans le canton des Pieux, en Normandie, « on rencontre par les chemins ces petites voitures à bébés qui encombrent aujourd’hui les trottoirs des villes » 348. L’entourage s’indigne de la claustration des enfants assimilée à de mauvais traitements. Le logeur d’un couple ouvrier de Montreuil s’interroge sur le sort de leur fille âgée de deux ans : « pendant toute la journée, elle était couchée tout le temps ; quelquefois, une voisine la sortait par charité (...). J’en ai fait plusieurs fois l’observation aux époux A. ; ils m’ont répondu que l’enfant avait tout ce qu’il fallait » 349. Un coiffeur utilise ce critère comme preuve d’amour et dit d’une bouchère de L’Isle-d’Adam (Seine-et-Oise) : « quant à ses sentiments maternels, je les ai jugés bien froids (...). Jamais, je ne l’ai vue promener la petite Louise » 350. Même jugement négatif porté sur une journalière de Montfort-l’Amaury, mère d’un garçonnet, car « elle ne lui faisait pas prendre l’air »351. Un « groupe de voisins » dénonce comme mauvaise mère et pour cette seule raison une épicière de Requeil (Sarthe) : « Mme L. sort très peu son enfant », « je lui ai reproché (...) de ne pas le sortir suffisamment au grand air » 352. Pendant longtemps, les mères sont sorties pour vaquer à leurs propres occupations en se faisant naturellement acccompagner de leurs enfants, à la fois pour les distraire et les avoir à l’œil. La promenade sanitaire qui s’impose entre 1870 et 1900 est d’une autre nature, éducative et non sociale. Corvée pour certaines qui s’y soustrayent, plaisir pour les autres, elle mobilise les femmes 0,2 heure par jour en 1947353. Exclusivement féminine pour les plus jeunes enfants, cette tâche éducative, très contraignante, suppose la disponibilité des mères ou leur remplacement en cas d’activité professionnelle. Les hommes se bornent à promener les enfants les plus âgés le dimanche encore qu’une employée d’hôtel lyonnaise, désabusée, s’exclame : « que voulez-vous ! Les hommes n’aiment pas promener les enfants »354.
65Préventions traditionnelle et « scientifique » peuvent se conjuguer. Peu à peu, cependant, les préceptes hygiéniques gagnent un large public, convaincus que vaccination, bon air, fortifiants et nourriture reconstituante font les enfants en bonne santé.
De la mère soignante à l’auxiliaire médicale
- 355 Plainte au Procureur de Mons, s.d., A.D., Pas-de-Calais, tribunal correctionnel de Béthune, audienc (...)
- 356 Procès-verbal du juge de paix de Bonnieux : 10 décembre 1890, A.D., Vaucluse, 2U 556.
- 357 De plus, le feu est éteint et le repas n’est pas prêt ! Procès-verbal du juge d’instruction de Lori (...)
- 358 Procès-verbal du juge de paix d’Herment : 16 janvier 1901, A.D., Puy-de-Dôme, U 010901.
- 359 Procès-verbal du juge d’instruction de la Seine : 2 août 1889, D2 U8 247.
- 360 Procès-verbal du juge de paix de Cadenet : 1er juillet 1872, A.D., Vaucluse, 2U 494.
- 361 Lettre au Procureur : 10 février 1937, A.D., Yonne, 3U2 216.
66Lorsque l’enfant est malade, c’est à la mère de détecter les signes de l’affection, d’appeler le médecin et de mettre en œuvre ses prescriptions. En effet, sur les 84 dossiers où sont évoqués les maladies de l’enfance, neuf seulement peignent une intervention paternelle. Un ouvrier de Douchy (Pas-de-Calais) dont la femme s’est enfuie en Belgique avec son amant et ses enfants, s’inquiète ayant trouvé sa fille « dans un état déplorable et très amaigrie » 355. Mais en général, les pères accordent moins d’attention aux prémisses du mal. De plus, lorsque ce sont des jeunes filles qui sont en cause, ils considèrent que les troubles inhérents au sexe féminin ne relèvent pas de leur compétence. Aussi, interrogés sur la grossesse de leur fille, sont-ils nombreux à prétendre l’ignorer. « Comme ce sont des affaires qui concernent plutôt une mère qu’un père, (...) je ne la croyais pas enceinte », avoue un maçon de Bonnieux (Vaucluse), très représentatif de cette spécialisation éducative356. Toutefois, les pères, s’ils délèguent leurs reponsabilités, ne sont pas indifférents à la santé de leurs enfants. Ils surveillent les traitements et contrôlent leurs épouses. Un aubergiste de Plouay (Morbihan) s’insurge de l’absence de sa femme « quoique mes enfants fussent malades »357. Un sabotier d’Herment (Puy-de- Dôme) « la grondait beaucoup de ne pas avoir fait soigner sa fille plus tôt » 358. En règle générale, les femmes ne cherchent pas à se soustraire à cette tâche comme cette couturière parisienne, dénoncée car, lors de la méningite de sa fille, « elle ne l’a même pas soignée » 359. Au contraire, soigner les enfants est un devoir prioritaire. La femme d’un surveillant de travaux ferroviaires à Cadenet (Vaucluse) avance pour expliquer son avortement l’argument suivant : « je suis bien malheureuse (...). Comment vais-je faire ? J’ai un très jeune enfant malade, et nous sommes pauvres » 360. L’épouse d’un ouvrier agricole de Perrigny (Yonne) se plaint que son mari l’ait chassée et surtout, ajoute-t-elle, « il a pas voulu me laisser soigner mon bébé de quatre mois et demi à peine qui été en pleine coqueluche » 361. A soixante ans d’écart, les réactions sont identiques, même si les prescriptions ont évolué.
- 362 32 dossiers.
- 363 27 affaires.
- 364 17 dossiers.
- 365 8 cas.
- 366 Lettres des 15 novembre 1895 et 4 mars 1896, A.D., Nord, 2U 155/535.
- 367 Les fillettes mentionnées dans les citations sont toutes âgées de huit à dix ans.
- 368 Procès-verbal du juge d’instruction de Mugron : 28 juin 1872, A.D., Landes, 41U 59.
- 369 Procès-verbal du juge de paix de Saint-Germain-en-Laye : 28 août 1875, A.D., Seine-et-Oise, Assises (...)
- 370 L’enfant est également victime d’un attentat à la pudeur. Procès-verbal du juge d’instruction de Bo (...)
- 371 Procès-verbal du juge d’instruction de Vendôme : 13 juillet 1905, A.D., Loir-et-Cher, 2U3 130.
- 372 Séance du comité de protection de l’enfance : 15 juillet 1903, A.D., Vaucluse, 3X 18.
- 373 A.D., Vaucluse, op. cit.
- 374 Procès-verbal du juge d’instruction de Toumon : 28 janvier 1886, A.D., Ardèche, 1U 541.
- 375 Procès-verbal du juge d’instruction de Vannes : 11 décembre 1925, A.D., Morbihan, U 5680.
- 376 Y. Knibiehler en cite plusieurs exemples dans Nous, les assistantes sociales, Paris, 1981, Aubier.
67Les réactions maternelles peuvent être saisies sur le vif grâce aux dossiers de déchéance362. Les affaires d’attentats à la pudeur sont également précieuses qui conduisent les mères à traiter les séquelles physiques, voire à faire confirmer médicalement la matérialité du crime363. Les infanticides et les avortements révèlent également que les mères s’occupent de leurs enfants jusqu’à l’âge adulte, accompagnant leurs filles aux consultations occasionnées par des malaises liés à la grossesse364. Enfin, les litiges de divorce où la santé des enfants est exploitée pour obtenir une révision de garde apportent également des informations365. La mère suit d’abord avec attention la croissance de l’enfant. Une blanchisseuse de Denain, venue travailler à Paris, dépeint à son mari les progrès de leur fille âgée de un an : « ta petite fille se porde bien. (...) Notre fille doit marché tout seul », cependant que sa tante et nourrice écrit : « ta petite fille a encore persé quatre dents sa fait qu elle a douze dent » 366. Ensuite et surtout, une mère vigilante doit observer le comportement et la « mine » de ses enfants, au moins jusqu’à dix ans, pour déceler les premiers signes d’une maladie367. Une paysanne de Mugron (Landes) croit pouvoir déduire un viol dont sa fille aurait été victime, de son sommeil agité, de son air préoccupé mais après examen, « elle sait pour sûr que le viol n’a pas été commis » 368. L’épouse d’un cheminot de Saint-Germain-en-Laye note les traits tirés et les yeux cernés de sa fille, puis s’alarme, car « elle avait moins d’appétit », avant de découvrir un « échaujfement » génital consécutif à un attentat à la pudeur369. Une cultivatrice de Châbons (Isère) s’inquiète de certains symptômes : les maux de ventre, « le teint très jaune », relève que « les urines étaient chargées » puis elle se rassure, sa fille ayant bon appétit370. Trois phénomènes alertent les mères : manque d’appétit, fatigue et mauvaise mine. « J’ai remarqué que ma petite fille avait mauvaise mine et paraissait fatiguée », dit une journalière agricole du Tréhet (Loir-et-Cher) qui utilise la formulation la plus fréquemment rencontrée dans les archives371. Des symptômes, il faut ensuite passer à l’interprétation, toujours délicate. Le diagnostic peut être entaché d’ignorance et de préjugés qui menacent alors la santé de l’enfant. En Vaucluse, « il existe une vieille tradition qui consiste à considérer la lieutérée ou diarrhée verte, appelée ici “gouttelette”, comme bienfaisante » si bien qu’elle n’est jamais traitée, entraînant la mort par déshydratation de nombreux nourrissons372. Autre variante, à Sault, toujours en Vaucluse, la diarrhée verte est attribuée à un refroidissement « qu’elles soignent avec des emplâtres d’encens et de rhum placés sur la poitrine » 373. Une veuve ardéchoise dont la fille a « les yeux chassieux, des maux à la figure et ses oreilles coulaient », laisse faire, « elle croyait que son enfant avait pris des humeurs froides » 374. En 1925, l’épouse ignare d’un terrassier breton, qui a déjà perdu cinq de ses huit enfants, analyse de façon si aberrante la maladie du dernier né que le juge ne peut s’empêcher de manifester par un « sic » son étonnement : « cet enfant avait une infection des intestins depuis sa naissance parce qu’il toussait (sic). Je ne l’ai pas soigné parce que je ne savais pas ce que c’était ; je n’ai pas fait venir le médecin parce que je croyais que cela passerait » 375. Cette mère énumère les trois étapes du bon diagnostic maternel : analyse, soins familiaux, recours médical, mais ne les applique pas faute de connaissances. Aussi, les médecins, conscients du rôle de médiateur joué par les mères, souhaitent-ils les éduquer. Après la Guerre, les premières assistantes sociales ont ainsi organisé des cours de soins familiaux, surtout à la campagne376.
- 377 Procès-verbal du juge d’instruction de Saint-Etienne : 13 juillet 1871, A.D., Loire, Assises, 1er t (...)
- 378 1880, A.D., Loire, 2e trimestre 1880.
- 379 Rapport... 1903, p. 77.
- 380 Séance du comité de protection de l’enfance : 24 mars 1887, A.D., Vaucluse, 3X 17.
- 381 Procès-verbal du juge de paix d’Herment : 18 décembre 1900, A.D., Puy-de-Dôme, U 010901.
- 382 Procès-verbal du juge d’instruction de Banon : 15 septembre 1890, A.D., Vaucluse, 2U 555.
- 383 M. Segalen souligne également cette dualité des intervenants dans Mari et femme dans la société pay (...)
- 384 Dr Bogros, A travers le Morvand, op. cit., p. 37.
- 385 Dr Legendre, op. cit., p. 52.
68La plupart des mères appellent le médecin dès que l’affection dont souffre l’enfant, semble grave. Six seulement se refusent obstinément à le recevoir, mais pour des raisons généralement personnelles : mauvaise entente avec le docteur, litiges financiers... Onze femmes, pour les trois-quarts avant 1914, soignent seules leurs enfants. La plupart, cependant, recourent au docteur lorsque leur science thérapeutique s’avère impuissante. Ainsi, une dévideuse stéphanoise traite elle même l’inflammation génitale dont souffre sa fille : « je l’ai soignée (...) avec des bains de mauve et des cataplasmes d’huile d’olive camphrée », puis, faute d’amélioration, elle l’emmène à une consultation hospitalière377. La femme d’un jardinier de Roanne tente de guérir les vomissements de sa fille par des infusions, et une irritation cutanée par l’universelle eau de mauve, avant que le père ne fasse venir le médecin378. Les soins prodigués sont, dans ce cas, très simples : tisanes et décoctions, bandages en cas de maux de ventre, usage de désinfectants comme l’eau boriquée et les produits camphrés. Naturels chez une mère attentive, ils sont rarement cités par les archives ou les professionnels alors que les observateurs du monde rural, et surtout le corps médical, détaillent avec une délectation réprobatrice les « recettes de bonne femme », les pratiques magiques et surtout le recours aux guérisseurs et autres rebouteux. En Seine-Inférieure, règne « la superstition sous toutes ses formes (neuvaines, baignades, maladies des saints) » 379. En Vaucluse, « la routine a le pas sur la science au grand détriment de la santé des enfants : les femmes, les sages-femmes, les commères et les guérisseurs entravent les conseils médicaux ou les remplacent » 380. La série U est quasi muette sur des pratiques que l’on sait condamnées par les autorités. Je n’en ai trouvé que trois exemples, tous antérieurs à 1900. L’épouse du sabotier d’Herment précité consulte, pour faire revenir les règles de sa fille, une guérisseuse qui prescrit du vin de kola et de « démoglobine », c’est-à-dire un traitement médical alors classique en cas d’aménorrhée381. Un couple de cultivateurs d’Apt fait venir, pour la même raison, « un empirique ». Ce dernier, afin d’éviter un infanticide, nie la grossesse pourtant constatée et tente de « frapper leur imagination par des procédés cabalistiques » – il allume des cierges, cloue une carte à jouer sur la porte... – « qui ne manquent presque jamais de produire de l’effet sur les habitants des campagnes » 382. L’impact de ces soins extra-médicaux est difficile à évaluer d’autant que recours au sorcier et au médecin se succèdent souvent comme en témoigne l’exemple du Morvan383. Dans les années 1870, le Dr Bogros relève que le médecin est toujours convoqué en dernier : « dans l’intervalle sont apparus le sorcier et les bonnes femmes avec leurs formules et leurs recettes infaillibles » 384. A la veille de la Guerre, le Dr Legendre rapporte encore des cas de gangrène enfantines après qu’un membre cassé a été « remis » par le « rebouteur », spécialiste des entorses et fracture. Les Morvandeaux, en effet, sont convaincus qu’en la matière « les médecins n’y connaissent rien », leur savoir se limitant aux « maladies du dedans »385.
- 386 De 1870 à 1890, 14 des 21 mères appelant un docteur pour soigner leurs enfants sont ouvrières ou fe (...)
- 387 Procès-verbal du juge d’instruction d’Yvetot : 4 octobre 1872, A.D., Seine-Inférieure, U 2469 bis.
- 388 Procès-verbal de police de Saint-Etienne : 27 novembre 1882, A.D., Loire, 4e trimestre 1882.
- 389 1883, A.D., Nord, 2U 155/478.
- 390 Ouvriers des deux mondes, 2e série, t. 4. L’ouvrier adhère à une mutuelle.
- 391 Procès-verbal du juge de paix de Bonnieux : 10 décembre 1890, A.D., Vaucluse, 2U 556.
- 392 Lettre au Président de la République : 18 février 1936, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W. Dans six dossi (...)
- 393 Procès-verbal du juge d’instruction de Pontivy : 27 septembre 1916, A.D., Morbihan, U 5534.
- 394 Procès-verbal de gendarmerie de Villeneuve-sur-Yonne : 6 août 1915, A.D., Yonne, 2U 274.
- 395 Les populations du Puy-de-Dôme, op. cit., p. 249.
69En revanche, en ville, la consommation médicale est naturelle dès les années 1870 dans l’aristocratie ouvrière386. L’épouse d’un tisserand d’Yvetot, elle même malade et alitée, modeste au point d’avoir dû placer sa fille, car « le temps était malheureux », la pousse à consulter un médecin pour un point de côté puis insiste pour qu’il vienne une seconde fois à domicile387. Une blanchisseuse stéphanoise, trop « misérable » pour payer une visite chez un docteur, emmène sa fille en consultation gratuite à l’hospice388. A la même date, une ouvrière lilloise qui a noté un arrêt de régies chez sa fille, la conduit chez le médecin trois fois en quatre mois389. L’habitude de consulter un homme de l’art dès avant 1890 s’explique par le nombre relativement élevé des praticiens en ville, par la gratuité des soins dans les hôpitaux et dans les premiers dispensaires, par l’adhésion des ouvriers qualifiés à une mutuelle qui allège les frais, par un idéal sanitaire enfin qui, en 1891, étonne un contemporain observant les usages d’un ébéniste parisien : « rarement (...) le culte matérialiste de la bonne santé défendue par les prescriptions de la science moderne n’a atteint une semblable intensité » puisque non seulement la prévention est reine avec la prohibition de l’alcool et de la « débauche », mais encore « à la moindre indisposition, le recours à la toute puissante faculté est de rigueur » 390. La foi dans le savoir médical peut être même aveugle. Lorsque la sœur d’une domestique de Bonnieux (Vaucluse) a des soupçons sur sa grossesse : « je dis à ma mère qui sait si elle n’aurait pas fait quelques sottise », elle reçoit une réponse pleine d’assurance : « non, dit ma mère, car je l’ai conduite chez Mr B. médecin » dont l’examen superficiel était moins perspicace qu’un regard féminin acéré391. Dans l’entre-deux-guerres, la multiplication des dispensaires, puis l’instauration des assurances sociales font du médecin un familier. La lutte antituberculeuse est alors intériorisée par beaucoup. Une ouvrière de Jouy demande elle même que ses enfants soient placés en préventorium « pour qu’ils ne soient pas en contact avec mon mari », tuberculeux en phase finale392. En revanche, la mauvaise infrastructure sanitaire des campagnes, l’absence d’assurances rurales se lisent jusqu’en 1939 dans les archives puisque, dans le groupe des mères qui consultent un médecin, une sur quatre seulement est une paysanne. La dépense est le frein le plus puissant. Ainsi, une ménagère de Pluméliau (Morbihan) conduit une première fois sa fille chez un praticien mais, lorsqu’elle rechute, elle ne l’appelle pas « dans la crainte des frais » 393. Néanmoins, après la Guerre surtout, les campagnes s’alignent progressivement sur les usages urbains. Une paysanne de Villeneuve-sur-Yonne, détectant « du mal aux parties sexuelles de sa fille », fait appel à un homme de l’art après avoir mesuré les limites de sa science domestique394. Dans les monts du Forez, « pour le moindre bobo, l’on court chez le médecin. Et ses prescriptions, ô miracle, sont suivies à la lettre ».395
- 396 Procès-verbal de police de Chatou : 7 février 1938, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 397 Rapport... 1903, p. 54.
- 398 Procès-verbal du juge d’instruction de Lyon : 8 avril 1933, A.D., Rhône, 3U0134.
- 399 Procès-verbal de gendarmerie de Sablé : 25 juin 1939, A.D., Sarthe, 18U 99.
- 400 Rapport de l’assistante sociale : 20 février 1936, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
70Les mères, malgré les erreurs commises, montrent la meilleure volonté à soigner leurs enfants. Je n’en ai recensé que huit qui refusent de le faire mais ces femmes appartiennent au quart-monde analphabète et fataliste qui s’enkyste après 1918 dans les grandes cités. Pour les responsables sanitaires, il s’agit là d’un motif susceptible, à lui seul, d’entraîner la déchéance parentale. Enquêtant sur une femme de ménage de Chatou, veuve d’un Algérien et concubine d’un cousin du défunt, les policiers qui cherchent à trouver une faille dans l’éducation des enfants pour les soustraire à l’« immoralité » maternelle, sont déçus. Ces derniers, en effet, sont « très bien nourris, bien vêtus et pour tout dire bien soignés, (...) bien traités ». Aussi le rapport tente-t-il de prouver que la mère n’a pas fait son devoir médical : « certes, les enfants paraissent en excellente santé mais ils la doivent à un tempérament particulièrement fort » 396. Comme l’hygiène corporelle, la médicalisation des classes populaires, qui se généralise après la Guerre, a d’abord profité aux enfants, mieux protégés désormais de maladies banales mais dangereuses lorsqu’elles sont négligées. Ce sont les mères, soignantes par tradition qui, en s’ouvrant au progrès, en banalisant la « visite chez le docteur », ont opéré cette révolution sanitaire. Le bel enfant est désormais un enfant bien portant. Certes, le bébé grassouillet garde ses adeptes. A Darnétal (Seine-Inférieure), les nourrices « veulent des bourrelets d’une profondeur telle qu’elles ne peuvent nettoyer le sillon » 397. Une nourrice lyonnaise décrit encore en 1933, une fillette de deux ans confiée à sa garde comme « superbe et joufflue à tel point que dans le quartier on l’avait surnommée “gros caca” (sic) »398. Mais compte désormais tout autant l’apparence saine. Enquêtant sur une famille d’ouvriers agricoles de Savigné (Sarthe), les gendarmes notent avec satisfaction une amélioration : « ces enfants paraissent en bonne santé » 399. Une assistante sociale fait une remarque analogue sur l’épouse d’un mutilé de guerre qui souhaite exercer seule la tutelle sur ses enfants : « elle élève très bien ses enfants ; nous leur trouvons bonne mine » 400.
De la mère à la puéricultrice : un processus d’acculturation féminine ?
- 401 Y. Knibiehler et C. Fouquet, Histoire des mères du Moyen-Age à nos jours, Paris, 1980, Montalba, et (...)
71L’étude des pratiques quotidiennes montre que le stéréotype de la bonne mère recouvre une réalité diverse et changeante. Nourrir, habiller et laver son enfant n’a pas le même contenu en 1870 et en 1940. Entre le bébé gavé de soupe aux choux et le poupon amateur de Blédine, de lait Nestlé et d’huile de foie de morue, entre le garçonnet au pantalon taillé dans un vieux veston paternel et le petit marin des publicités, intervient une révolution éducative qui s’opère pendant la IIIe République. Les rythmes en sont inégaux selon les professions, les niveaux de fortune, le lieu d’habitation ou l’éducation reçue. Les ouvriers qualifiés des grandes villes sont plus rapidement séduits que les paysans mais tous se convertissent aux nouvelles normes. Les mères investies par les médecins de responsabilités nouvelles se sont conformées au modèle proposé de la « puéricultrice » et auxilaire du médecin. Yvonne Knibiehler et Françoise Thébaud voient dans cette mutation une « véritable entreprise d’acculturation des femmes des classes populaires » qui acceptent de saborder leur savoir et leurs gestes ancestraux401. Les bouleversements sont incontestables avec la naissance d’une maternité médicalisée. Mais le processus me semble complexe, long, moins brutal et coercitif qu’on a bien voulu le dire, très lié, qui plus est, à l’évolution de la société et des conditions matérielles. Par ailleurs, les vecteurs du changement qui ne sauraient se limiter aux seuls professionnels de la santé, sont non seulement multiformes et statistiquement insaisissables mais leur impact sur les mentalités est difficilement mesurable. Aussi tenterai-je simplement une esquisse de l’« acculturation » vécue des mères.
Les mères confrontées au nouvel environnement sanitaire et aux pressions médicales institutionnelles
- 402 Voir pour les années 1865-1874, l’étude très fouillée de C. Rollet désormais inégalable. Voir aussi (...)
- 403 Alors que 0,6 % seulement des thèses de médecine soutenues à Paris portaient sur le nourrissons en (...)
- 404 A partir de 1882, la puériculture constitue une partie, mais une partie seulement, du programme d’e (...)
- 405 La loi Roussel, votée en 1874, impose la déclaration obligatoire par les parents et la nourrice à l (...)
- 406 Le néologisme est proposé en 1863 par le Dr Caron mais c’est le Dr Pinard qui le popularise. Ce der (...)
- 407 Grâce à l’antisepsie, toutefois, une lutte fructueuse est engagée contre la fièvre puerpérale mais (...)
72C’est, en effet, entre 1865 et 1940 que l’éducation devient un enjeu de santé public402. La guerre de 1870 relance le débat en liant affaiblissement démographique de la France et mortalité infantile. La loi Roussel, votée en 1874 pour combattre la mortalité des enfants placés en nourrice, instaure l’ingérence officielle du corps médical dans l’éducation. Son action est renforcée, à partir des années 1890, par l’émergence d’institutions spécialisées : consultations de nourrissons et Gouttes de lait403. Après la Guerre, elle s’insère dans le mouvement d’hygiène sociale, créateur de la P.M.I. moderne. Dès lors, s’engage une lutte vigoureuse pour sauver les jeunes vies en promouvant un élevage hygiénique par l’éducation des mères et des futures mères à l’école ainsi que par une surveillance médicale renforcée des nourrissons404. Celle-ci vise d’abord les nourrices, le placement des enfants entre des mains « mercenaires » étant, nous l’avons vu, très développé en France jusqu’en 1914 et la mortalité des enfants placés particulièrement forte405. Puis, elle s’étend à la prévention par la vaccination et le contrôle médical de tous les enfants. Dans le même temps, la puériculture, popularisée réellement au début du siècle par le Docteur Pinard et ses élèves, fait l’objet d’une intense propagande et somme les femmes de se conformer à ses préceptes406. La mère se doit désormais d’appliquer de nouvelles régies d’hygiène alimentaire et ménagère, de propreté corporelle et vestimentaire. Reflet des mentalités ou souci d’économie, les autorités sanitaires ont tenté de réduire, en priorité, la mortalité infantile exogène, certes la plus élevée, en transformant l’élevage des enfants. Ils ont, en revanche, fait l’impasse sur la mortalité endogène, négligeant médicalisation de la grossesse et prévention de la prématurité407. La loi sur la surveillance des femmes en couches n’est votée qu’en 1913 et nul ne s’en émeut, femmes comprises. Je n’ai trouvé aucune réflexion sur ce thème dans les archives alors que 105 dossiers mentionnent le nombre d’enfants précocement décédés et s’interrogent sur les causes de leur mort. Pour combattre la mortalité infantile, la France a demandé aux mères de réformer leurs pratiques éducatives mais a oublié de leur conseiller le repos. Les résultats de cet encadrement sont indiscutables, rapides et mesurables.
- 408 Rapport sur le service de la protection de l’enfance du premier âge pendant l’année 1901. En 1911, (...)
- 409 Rapport... 1907, p. 13.
- 410 Séance du comité départemental de protection de l’enfance : 29 mars 1888, A.D., Vaucluse, 3X 16. La (...)
- 411 Questionnaires de l’Assistance Publique et réponses des médecins pour les années 1903 et 1905, A.D. (...)
- 412 La lutte contre le biberon à tube dure vingt ans. Mentionné pour la première fois en 1896, son recu (...)
- 413 Rapport... 1905, p. 53.
- 414 Rapport... 1903, p. 72.
- 415 L’allaitement reste vivace et le biberon à tube est moribond depuis 1896, soit dix ans avant la Sei (...)
73En Seine-Inférieure, les nourrissons surveillés dans le cadre de la loi Roussel ont en 1901, une mortalité de 75,5 pour mille, soit deux fois moins que la moyenne nationale408. « Un des plus gros bénéfices de la visite répétée des médecins-inspecteurs, nous écrit l’un d’eux, est certainement la modification de la mentalité de la nourrice qui, il y a encore dix ans, accueillait conseils et observations avec l’indifférence la plus complète et même souvent avec mépris », si bien que « nombreux sont les médecins-inspecteurs qui constatent que l’hygiène des enfants confiés à des nourrices est généralement supérieure à celle des enfants élevés dans leurs familles »409. Même satisfaction en Vaucluse : « les nourrices se sentant contrôlées soignent leurs nourrissons de mieux en mieux. A ce point de vue (...) la loi Roussel a produit les résultats heureux qu’on pouvait attendre » 410. Dans le Lot, la réussite est également patente : à Cahors, « les nourrices tiennent un grand compte des conseils qu’on leur donne » et « les enfants sont bien soignés » ; à Vayrac, « le médecin-inspecteur est bien accueilli et écouté » 411. Ces trois départements pour lesquels nous disposons d’investigations approfondies, permettent d’illustrer les effets des campagnes sanitaires. En Seine-Inférieure où l’allaitement maternel est inférieur à 3 % des nouveaux-nés, le premier souci des médecins est de promouvoir l’hygiène du lait et du biberon412. A partir de 1903, les progrès de l’alimentation incitent les docteurs à s’occuper de la propreté corporelle. En 1905, apparaît la première réflexion sur l’environnement des enfants : « une seule amélioration à obtenir, la propreté des logements (...). Je fais la guerre aux nourrices (...). Jamais, je n’ai encore obtenu ce que je désire », écrit le médecin de Caudebec-les-Elbeuf413. La Belle Epoque constitue donc un tournant en Seine-Inférieure. Les municipalités elles mêmes renforcent leur appui aux médecins-inspecteurs : si en 1903, trois communes possédaient un pèse-bébé, elles sont 26 quatre ans plus tard. Même les milieux les plus défavorisés sont atteints par la vague sanitaire. Au Havre, « les notions d’hygiène les plus élémentaires du nourrisson finissent quand même par pénétrer dans la masse, même dans les milieux les plus réfractaires en apparence comme ce quartier Saint-François (...) en grande majorité peuplé de Bretons, et encore des plus pauvres et des plus ignorants »414. Dans le Lot, les médecins se préoccupent peu de l’alimentation des enfants. De même, soit indifférence de leur part, soit banalisation déjà, la propreté est rarement évoquée. En revanche, les praticiens luttent pour l’extension de la vaccination et du pare-feu. En Vaucluse, les médecins combattent surtout une alimentation solide trop précoce415. Ils tentent également de déjouer les superstitions médicales mais semblent satisfaits de l’hygiène corporelle de leurs patients. Les préoccupations sanitaires s’adaptent donc au contexte mais leur efficacité dépend de la réceptivité des femmes. La diversité des comportements transparaît tout particulièrement dans le Lot et la Seine-Inférieure à la géographie et aux activités contrastées. Si l’on cartographie les lamentations médicales en Normandie, on voit se dessiner le retard du pays de Caux et de la boutonnière du pays de Bray, alors que la vallée de la Seine, malgré l’existence d’un prolétariat industriel nombreux, est plus perméable à la propagande médicale. De même, dans le Lot, ce sont les Causses – causse Martel, causses de Gramat et de Limogne – et le ségala de Saint-Céré qui sont les plus traditionalistes, toutes régions pauvres, isolées, faiblement peuplées et à dominante agricole, alors que les vallées prospères sont de plain-pied dans la modernité.
- 416 Rapport... 1907, p. 20.
- 417 Voir C. Rollet, op. cit., et P. Huard et R. Laplane, Histoire illustrée de la puériculture, op. cit (...)
- 418 Ainsi, l’Yonne en possède 120, le Nord 81 en 1908-1909 et le Pas-de-Calais 71. En Seine-Inférieure, (...)
- 419 Rapport de l’inspecteur de l’Assistance publique, 1909, A.D., Lot, 3X 13 et F. Thébaud, op. cit. Si (...)
- 420 Voir F. Thébaud, op. cit.–, M. Dubesset et M. Zancarini-Foumel, Maternités Saint-Etienne (1848-1948 (...)
- 421 Les premières officient avant 1914 mais la profession prend son essor seulement après la guerre. Su (...)
- 422 Si bien que grâce à cette impulsion, les créations se multiplient : en 1925, la Meurthe-et-Moselle (...)
- 423 Surtout les Gouttes de lait de Nîmes et Alès.
- 424 Les associations privées l’emportent qui ont effectué 492 055 visites en 1932 contre 73 415 à l’hôp (...)
- 425 Les départements ruraux faiblement peuplés et à habitat dispersés sont particulièrement défavorisés (...)
74Les consultations de nourrissons ont une fonction analogue aux comités de protection de l’enfance, mais plus étendue puisque « il faut y attirer toutes les mères » selon le préfet de Seine-Inférieure416. Les premières ont été créées en 1890 à Nancy et en 1892 à Belleville, mais le modèle reste la consultation, ouverte aussi en 1892, à l’hôpital de la Charité par le Dr Pierre Budin417. La consultation peut être privée ou subventionnée par les collectivités locales. Elle est souvent annexée à un service d’obstétrique, une crèche ou une Goutte de lait. L’enfant y est pesé, vacciné, examiné une fois par semaine ou une fois par mois. Du lait stérilisé peut y être vendu ou distribué gratuitement aux plus pauvres. Des médicaments et des fortifiants sont également fournis. Jusqu’à la Guerre, le nombre des consultations reste limité : 494 en 1907. Surtout, leur répartition demeure très inégale, tributaire d’initiatives locales. Quelques départements sont très bien équipés comme l’Yonne, le Nord, le Pas-de-Calais, voire la Seine-Inférieure alors que Paris compte seulement 28 établissements en 1912 et que le Lot est très déshérité418. Dans ce département, en effet, il faut attendre 1909 pour que le Conseil général se décide à créer une consultation dans chaque arrondissement419. C’est après 1918 qu’on assiste à une explosion de l’institution avec le triomphe de l’hygiène sociale qui place l’enfant au cœur du nouveau dispositif médical, à la fois préventif et curatif420. Les consultations sont alors souvent intégrées dans les dispensaires et leur action complétée par les infirmières-visiteuses, créées sur le modèle anglo-saxon421. L’aide de la Croix Rouge et de la mission Rockefeller amorce le mouvement dans des régions jusque là négligées. Ainsi, c’est un comité franco-américain qui met sur pied vingt consultations dans le bassin de Briey, très éprouvé par le conflit sur le plan sanitaire422. Ailleurs, comme dans le Gard, l’initiative vient des autorités qui établissent en 1922 le premier plan de quadrillage départemental pour compléter les quelques institutions privées déjà existantes423. Aussi, la France compte-t-elle 3 715 consultations en 1928, cinq fois plus que deux décennies plus tôt. Le chiffre de 5 000 est atteint en 1937 alors que le nombre idéal est fixé à 10 000424. Les campagnes restent défavorisées, toutefois, avec un tiers des consultations seulement425.
- 426 Dr Budin, « La mortalité infantile dans les Bouches-du-Rhône », L’Obstétrique, juillet 1907.
- 427 Elle est fondée en 1906 et suit 147 mères et leurs enfants. La consultation des nourrissons au sein(...)
- 428 L. Spillman et J. Parisot, Guérir c’est bien, prévenir c’est mieux, Paris, 1925, Berger-Levrault.
- 429 Union maternelle du xixe, compte-rendu de l’Assemblée générale de 1909, A.P. Fosseyeux, liasse 686.
- 430 Dr Budin, op. cit., p. 35.
- 431 La mutualité maternelle de Paris, 1920, A.P. Fosseyeux, liasse 686.
- 432 Œuvre des nourrissons de Marseille, rapport del906, A.P., Fosseyeux, liasse 686.
- 433 Le Dr Belcontre à Rouen juge, cependant, cet exposé trop compliqué pour un public populaire et préc (...)
- 434 La consultation des nourrissons au sein, op. cit.
- 435 L’Œuvre des dames assistantes de la Goutte de lait, 1917, A.P. Fosseyeux, liasse 686.
- 436 Dr Budin, op. cit.
- 437 Dr Budin, op. cit.
75L’impact des consultations se lit surtout dans les statistiques. Je ne citerai que trois exemples probants. A Auxerre, le taux de mortalité passe de 205 pour mille en 1898 à 60 pour mille en 1905426. Au Havre, la consultation du nourrisson au sein affiche, dès le première année, une mortalité de 34 pour mille contre 190 pour mille pour l’ensemble de la ville427. A Jœuf, où la mortalité était montée pendant la Guerre à 210 pour mille, elle recule de moitié dans les années 192 0428. Les progrès qualitatifs sont également remarquables. Le Dr Broudic qui officie à l’Union maternelle du XIVe à Paris, se félicite que « tous les enfants qui fréquentent la consultation soient tenus très proprement et n’obtiendrai-je d’autres résultats que la propreté du corps et du linge des nourrissons que je n’aurais pas à regretter mes efforts ». La consultation ne se borne pas, en effet, à surveiller médicalement l’enfant429. Elle a pour objectif parallèle d’inculquer la puériculture. De ce point du vue, comme le souhaitait le Dr Budin, elle peut être définie comme « une école des mères » 430. Les conseils donnés à chaque visite par les médecins et leurs auxiliaires bénévoles favorisent « leur éducation de mère, éducation restée jusqu’ici lettre morte dans la population ouvrière mais qui (...) fait des progrès sensibles grâce à ce contact intime et ce rapprochement des classes » entre les consultantes et les « dames de nos comités (...) appartenant aux classes aisées ou riches de la société » 431. Les recommandations verbales sont complétées par des affiches apposées dans les locaux. A l’Œuvre des nourrissons de Marseille, la mère peut, en attendant son tour, « lire quelques conseils pratiques sur le réglage de l’alimentation, sur l’utilité de venir assidûment à l’œuvre » 432. La plupart des centres distribuent un carnet de santé à chaque enfant, précédé d’informations juridiques et de recommandations émanant de l’Académie de médecine433. Quelques consultations vont jusqu’à mettre sur pied de vrais cours, ainsi au Havre où se tient deux fois par semaine une causerie sur l’hygiène, suivie d’une interrogation des auditrices « qui fortifie leurs connaissances (...), exclut toutes les erreurs néfastes aux nouveaux-nés » 434. A Paris, les « dames assistantes » de la Goutte de lait vont rendre visite aux « femmes du peuple », munies d’un Mémento qu’elles leur expliquent435. A Appoigny (Yonne), le médecin accueille même des femmes sans enfant mais qui « espéraient en avoir et (...) venaient apprendre à les soigner » 436. A Paris, « les institutrices y amenaient leurs élèves les plus âgées », joignant, en amont, enseignement et puériculture437.
- 438 Dr Budin, 1907, op. cit., et lettre du maire d’Orpierre au préfet des Hautes-Alpes : 17 janvier 188 (...)
- 439 Rapport... 1907, p. 22.
- 440 Nous, les assistantes sociales, p. 156.
- 441 La consultation des nourrissons au sein, op. cit.
76Pour que la consultation soit bénéfique, encore faut-il que les femmes la fréquentent, ce qui est difficile pour toute institution nouvelle. Je n’ai ainsi trouvé que cinq mères, dans le Nord et la région parisienne, à s’y rendre régulièrement. Pour séduire, les consultations misent sur les aides proposées, principalement des dons en nature, de lait stérilisé ou de viande au Havre par exemple dès lors que l’enfant a subi deux visites au moins. Avant 1914 où rien ne contraint les mères à s’y présenter, l’imitation et l’émulation ont joué aussi un rôle important. « On ne se doute pas des résultats qu’on peut obtenir par leur amour-propre », souligne le Dr Budin qui recopie, sans le savoir, le maire d’Orpierre (Hautes-Alpes) : « les nourrices, se sachant surveillées et sachant, d’autre part, que les meilleures parmi elles recevraient à titre d’encouragement des gratifications ou quelque distinction honorifique, se piquent d’amour-propre » 438. A Fécamp (Seine-inférieure), deux ans après l’ouverture de la Goutte de lait, « les classes ouvrières aisée et riche de la ville demandèrent à jouir des mêmes avantages que les pauvres pour lesquels l’Œuvre avait été créée » 439. A Echirolles (Isère), dans les années 1920, les femmes de la Cité de la Viscose ont à cœur de présenter à la consultation « des bébés superbes et bien habillés » 440. La consultation agit également par cercles concentriques, à partir des mères qu’elle éduque. Les femmes qui vont à la consultation des nourrissons au sein du Havre sont définies par les responsable comme « 147 petits phares disséminés dans la ville, éclairant leurs amies et voisines » 441. La sociabilité féminine amplifie l’effet de levier.
- 442 Rapport... 1899, p. 77. Sur ce thème, voir les débats autour du carnet de santé, C. Rollet, op. cit (...)
- 443 Conservée dans le Vaucluse, A.D., 3X 53.
- 444 Lettre à l’inspecteur de l’Assistance Publique : 1er août 1922, A.D., Gard, 6X 924.
- 445 Lettre du 17 février 1927, A.D., Gard, 6X 924.
- 446 E Thébaud, op. cit., p. 522.
- 447 Qui crée un centre pour 8 000 nourrissons.
77Mais, dans l’entre-deux-guerres, l’optique change. Les autorités sanitaires tentent alors de surveiller la totalité des nouveaux-nés et commencent à recourir à des procédés coercitifs. Certes, cette aspiration à un contrôle social généralisé existait avant la Guerre. Ainsi, le médecin d’Auffay (Seine-Inférieure), désolé que « le rôle du médecin ne s’étende point encore à la famille », soutient, dès 1899, le principe de l’intervention administrative : « nous devrions avoir carte blanche, sous le couvert de la loi, pour pénétrer dans ces familles ignorantes » 442. Mais, cette tendance se renforce dans les années 1920 comme en témoigne la circulaire du ministre de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociale, en date du 11 janvier 1921, qui charge, désormais, les consultations du versement des primes d’allaitement et ce, afin que les mères soient contraintes d’y présenter leurs enfants443. En application du texte, le préfet du Gard va plus loin et décide, par arrêté du 25 janvier 1922, de suspendre le versement des primes d’allaitement aux mères qui n’auront pas conduit leurs nourrissons à une consultation : l’application stricte de la décision par le maire de la Grand-Combe provoque alors un afflux tel que le médecin doit examiner 168 enfants dans la même journée. Elle suscite, du reste, la protestation de ce dernier qui juge ainsi pervertis les objectifs de l’institution : « notre consultation des nourrissons perdrait son vrai caractère. Et d’une question scientifique et morale, nous viendrions à une question administrative pure et simple (...). Je suis médecin, aimant la puériculture et voulant être utile à ces chers enfants (...). Je veux bien rendre compte à l’administration de ce que je fais médicalement. Mais je vous confesse que je n’ai pas l’esprit tracassier » 444. Quelques années plus tard, l’inspecteur de l’Assistance Publique défend toujours la mesure : « si les mères ne comprennent pas l’intérêt qu’il y a pour l’enfant à être surveillé médicalement, elles comprennent parfaitement leur devoir quand une sanction pécuniaire les frappe » 445. De même, les maternités modernes imposent alors l’allaitement, un témoin signalant même des « engueulades » en cas de refus446. Pressions médicales et administratives, éducation et conviction se sont conjuguées pour développer, en ville, la visite des mères aux centres de protection infantile. L’opération, toutefois, s’est étalée sur quarante ans, des années 1890 à l’ordonnance de 1945, l’effort décisif s’étant accompli dans l’entre-deux-guerres447. Il a donc fallu presque deux générations pour que la P.M.I. entre dans les mœurs.
- 448 L. Spillmann et J. Parisot, op. cit., p. 3-4.
- 449 35 manuels ont été recensés. Voir la liste dans L. Boltansky, Prime éducation et morale de classe, (...)
- 450 Pour plus de précision, voir F. Thébaud et L. Boltansky, op. cit.
- 451 Dr Variot, La puériculture et la guerre, conférences de 1915 à 1918, A.P., Fosseyeux, liasse 686. L (...)
- 452 Nous les assistantes sociales, op. cit., p. 149.
- 453 Voir F. Thébaud, op. cit.
78Ces institutions sanitaires, au maillage longtemps imparfait, ne pouvaient, à elles seules, promouvoir la puériculture d’autant qu’« une population civile n’est pas habituée à une discipline imposée. (...) Elle ne l’acceptera que le jour où, instruite, elle aura compris que là est son devoir et son intérêt. (...) C’est donc une mentalité à créer. (...) C’est une œuvre à laquelle peut seule aboutir une propagande éducative de tous les instants et usant de tous les moyens »448. La puériculture s’est donc aussi diffusée par d’autres voies. Je mentionnerai pour mémoire les manuels destinés aux mères, réservés, en fait, à la bourgeoisie comme les périodiques spécialisés449. Même un journal comme Maman (1929- 1932) qui vulgarise les travaux des professeurs de médecine, tous membres du comité de rédaction, a un lectorat bourgeois malgré un prix modique de 20 francs par an450. Les femmes des milieux populaires n’y ont pas accès. Les brochures éditées en leur faveur, parfois sous forme de « catéchisme », ont également un succès limité, car « les mères occupées sans cesse de leur ménage lisent peu » 451. En revanche, elles lisent les journaux de la presse populaire qui ouvrent des rubriques de puériculture, voire quelques périodiques comme le note une assistante sociale dans la Marne : « les plus jeunes femmes avaient acquis quelques notions de puériculture à la lecture des revues féminines »452. Après la Guerre, une commission d’enseignement cinématographique de l’hygiène sociale est même mise sur pied et en 1924, le Dr Deraigne réalise Future maman qui oppose la vieille mère Mabu, prisonnière de ses préjugés, à Margot une fillette éprise d’hygiène453. L’asile, la crèche et l’école transmettent aussi mais guère avant le xxe siècle, les nouvelles normes sanitaires à la fois par l’enseignement donné et le contrôle exercé sur la propreté des enfants, refoulés en cas de pédiculose ou maladies de peau.
- 454 Rapport... 1902, p. 70.
- 455 Y. Verdier, Façons de dire, façons de faire, Paris, 1979, Gallimard.
- 456 L. Bemot et R. Blancart, op. cit., p. 112.
- 457 Et ce malgré les erreurs également commises. J. Léonard, « Femme, religion et médecine. Les religie (...)
79En dehors de toute didactique, l’iconographie a modifié la perception de l’enfant. Les catalogues des Grands magasins, les publicités, les cartes postales de la Belle Epoque diffusent une image stéréotypée des jeunes enfants. Les concours du plus beau bébé participent de la même entreprise d’homégénisation des représentations. Ils se développent dans les années 1920 mais certains y songent dès avant la Guerre comme en témoigne un médecin de Seine-Inférieure : « l’idée, pour bizarre qu’elle puisse paraître, créerait certainement une émulation parmi les mères de famille » 454. Enfin, l’hygiène, comme la politique, descend aussi de la bourgeoisie aux classes populaires par l’intermédiaire de « médiateurs » sociaux. A Minot, la « femme qui aide », la mère Michel, est la première à stériliser le lait de son petit-fils malade, au début du siècle, et en raison de son ascendant sur les autres villageoises, elle est rapidement imitée455. A Nouville, « l’évolution des soins à donner aux enfants remonte aux environs de la guerre de 1914. On imitait alors “la Madame” du château dont les gestes étaient décrits par une de ses domestiques » 456. Jacques Léonard a montré le rôle joué au xixe siècle, dans la propagation de l’hygiène enfantine, par les religieuses457. Mais, in fine, les progrès de la puériculture et la maternité médicalisée renvoient à une évolution globale de la société et de l’environnement matériel.
La puériculture comme « résultante de données techniques et sociales d’un moment »458
- 458 G. Delaisi de Parseval et S. Lallemand, L’art d’accommoder les bébés, op. cit., p. 237.
80Il faut d’abord que l’intendance suive. La puériculture présuppose des revenus suffisants pour que la part du budget consacrée aux enfants augmente. Elle exige de l’eau en abondance, et si possible de l’eau courante, ainsi que du lait de bonne qualité. Elle profite du développement de la toute jeune industrie alimentaire et de sa gamme de produits pour enfants. Les mutations économiques ont donc une influence indirecte mais importante, sur les pratiques maternelles.
- 459 C. Rollet a fait justice du préjugé, entretenu par les médecins, sur la supériorité des taux frança (...)
- 460 Nous sommes à un taux de 8 % o aujourd’hui. Voir sous la direction de J. Dupâquier, Histoire de la (...)
- 461 Voir J. Faÿ-Sallois, op. cit.
- 462 En 1898-1899, la mortalité infantile oscille entre 283 % o et 289 % o pour les enfants de mères au (...)
- 463 Nous disposons de 105 dossiers sur le sujet.
- 464 Réquisitoire : octobre 1873, A.D., Seine, D2 U6 21.
- 465 Procès-verbal de gendarmerie d’Orbec (Calvados) : 2 juillet 1876, A.D., Nord, 2U 155/438.
- 466 Réquisitoire : 16 avril 1872, A.D., Seine-Inférieure, U 2302.
- 467 La mère, faute de lait, n’a pu nourrir l’enfant. Procès-verbal de gendarmerie de Dommange-aux-Eaux (...)
- 468 Procès-verbal de gendarmerie d’Arles : 13 octobre 1919, A.D., Bouches-du-Rhône, 208 U 22/108.
- 469 Lettre du maire au Procureur : 9 décembre 1923, A.D., Loir-et-Cher, 2U3 150.
- 470 Procès-verbal de police de Vannes : 10 février 1926, A.D., Morbihan, U 5680.
- 471 Procès-verbal du juge d’instruction de Charleville : 9 octobre 1920, A.D., Ardennes, 4U 315/1. De f (...)
81Il faut également que la société toute entière, et non les seuls médecins, juge inacceptable une forte mortalité infantile, longtemps considérée comme une fatalité. Or, la France a des taux très élevés459. En 1880, la mortalité infantile atteint 183 pour mille et encore 158 pour mille en 1900. Ce n’est qu’en 1910 que s’effectue un important décrochage (126 pour mille) avant le rapide déclin de l’entre-deux-guerres : 83 pour mille en 1927 et 60 pour mille en 1940460. Ce sont là des moyennes, certains cantons et certains milieux connaissant des taux supérieurs. A Paris, en 1880, 30 % des enfants meurent avant un an et 70 % des bébés placés en nourrice461. De même, la surmortalité des enfants d’ouvriers est partout vérifiée462. Les archives sont, ici, précieuses qui permettent d’appréhender les réactions face à ce fléau social463. L’optique des protagonistes change progressivement. Au début de la IIIe République, le fait est souligné mais pour décrire un malheur individuel plus qu’une faille sanitaire. Ainsi, les témoins s’apitoyent sur une blanchisseuse de Vanves qui, à trente-et-un ans, a eu le malheur de perdre son mari, sa mère et neuf de ses dix enfants sans qu’on songe à douter de son dévouement maternel puisqu’ » elle paraissait aimer tendrement » son seul fils survivant464. De même, un couple d’ouvriers roubaisiens n’impute pas au placement nourricier la mort en bas âge de trois enfants : « la perte de ces enfants affligeait beaucoup plus le père que la mère ; ces enfants étaient difficiles à élever, le médecin a même conseillé d’élever le dernier au sein », mais il n’a pas été écouté465. Toutefois, dès les années 1870, parallèlement à la loi Roussel, commence à germer dans l’opinion une présomption de négligence en cas de décès trop nombreux. Lorsque l’épouse d’un peintre de Saint-Ouen-sous-Bailly (Seine-Inférieure) perd son premier né, nul dans le village ne s’en émeut ; lors du second décès, le doute s’installe ; et après la disparition de cinq des sept enfants, la mère est ouvertement accusée : » la Fe R. (...) est insouciante, n’apportant pas tous les soins et spécialement les soins de propreté qu’une bonne mère doit donner à ses enfants » 466. En 1899, le maire de Demange-aux-Eaux (Meuse) dénonce la femme d’un manœuvre qui a perdu trois de ses sept enfants et dont la dernière née est morte de malnutrition sans que le médecin eût été appelé : « la Fe B. ne soigne pas bien ses enfants », ce que confirme le mari : « souvent j’ai fait des reproches à ma femme parce qu’elle ne la soignait pas et ne la tenait pas propre » 467. C’est, cependant, dans l’entre-deux-guerres, alors même que la mortalité recule fortement, que cette sensibilité s’exacerbe si bien que 60 % des annotations se concentrent sur cette période. Nombreux sont alors les témoins à mentionner le nombre d’enfants venus au monde et les survivants. De la femme d’un employé des chemins de fer en Arles, un boucher signale qu’elle a eu « huit enfants en dix ans de mariage et quatre seulement sont encore en vie » 468. Le maire de Sambin (Loir-et-Cher) écrit d’une cultivatrice, mère de nombreux enfants : « j’ai souvent entendu dire à sa femme qu’elle en avait eu dix-sept. Il en reste douze » 469. La police de Vannes attribue à un chiffonnier et à son épouse la mort de huit enfants : « le père et la mère du jeune R. sont des alcooliques invétérés, tous deux sont en traitement à l’hôpital pour tuberculose » 470. Notons, au passage, que la tuberculose est moins considérée comme une maladie que comme une tare sociale dont les malades sont responsables. Poursuivis après le décès suspect de quatre de leurs huit enfants, un journalier de Thilay (Ardennes) et sa femme n’ont pas exercé de mauvais traitements mais, explique le maire, « à mon avis ce sont des gens arriérés et qui ne connaissent rien aux règles de l’hygiène et de la propreté »471. Ces quelques observations, choisies parmi de nombreux exemples analogues, témoignent d’une prise de conscience aiguë du scandale que constitue la mortalité infantile, au delà des un ou deux décès qui peuvent passer pour accidentels. Ils établissent un lien explicite entre mortalité, environnement, alimentation et hygiène. Ils soulignent ainsi que certaines familles restent à l’écart de cette mutation mentale qui permet grâce à la maternité médicalisée de sauver de la mort les jeunes enfants.
Mères indociles ou mères indigentes ?
- 472 Lettre au Procureur, s.d., 1884, A.D., Seine-et-Oise, 0438.
- 473 Assistance éducative et service social, février 1934, A.D., Rhône, 3U 1204.
- 474 H. Roger, Le Finistère, op. cit., p. 48.
- 475 Voir P. Ariès, Histoire des populations françaises, Paris, 1973, Ed. du Seuil, et J.-L. Flandrin, « (...)
82Le coût d’une bonne alimentation et de la propreté a été maintes fois signalé. Aussi ne faut-il pas s’étonner que l’indigence soit le frein le plus puissant à la modernisation des soins éducatifs. Cette ménagère de Rueil qui élève un de ses petits-fils, explique ainsi la mort de l’enfant : « faute d’une nourrice pour l’allaiter, tel que me recommandait le médecin, mais mes moyens insuffisants de fortune ne me le permettaient pas, je n’ai pas pu le soigner par les médicaments qui m’étaient prescrits » 472. Après la Guerre encore, la maladie et le chômage, en réduisant dramatiquement le revenu des ménages, touchent par ricochets les enfants. Une famille lyonnaise, la mère femme de ménage, le père invalide de guerre, dispose en 1934 de 4,65 francs par jour et par personne, somme « insuffisante pour une nourriture saine », d’ou l’état pré-tuberculeux des enfants, placés en préventorium473. De même, les familles nombreuses ont plus de difficulté à bien soigner leurs enfants, faute de temps et d’argent. Tout se passe comme si les parents de nombreux enfants étaient moins soucieux du devenir de chacun. Un observateur interprétait déjà ainsi en 1911, quoique avec un esprit de système excessif, la surmortalité des petits Bretons : « les enfants ne les préoccupent guère. Venus souvent malgré eux, les Bretons les acceptent ou plutôt les tolèrent et les laissent grandir sans aucun soin » 474. Mais les témoins eux même, au fil des citations, établissent un lien implicite entre forte natalité et forte mortalité, vérifiée depuis par les démographes475. Inversement, l’effondrement de la natalité pendant la IIIe République avec la prépondérance des familles de un à trois enfants, a permis des dépenses plus importantes et des ambitions croissantes pour des enfants moins nombreux et donc objets de soins plus attentifs. Toutefois, démographie et niveau de vie n’expliquent pas tout. Les mentalités locales, la reproduction des modèles familiaux sont pour beaucoup dans l’adhésion ou le rejet de l’éducation nouvelle.
- 476 H. Roger, op. cit., p. 49.
- 477 « Natalité. Enquête sur les causes qui déterminent la faiblesse et le déclin », « commentaire sur l (...)
- 478 Procès-verbal de gendarmerie de Lalbenque : 29 septembre 1934, A.D., Lot, tribunal correctionnel de (...)
- 479 Séance du comité de protection de l’enfance : 21 juillet 1904, A.D., Vaucluse, 3X 18.
- 480 Rapport... 1896, p. 85.
- 481 La puériculture et la guerre, conférences du Dr Variot de 1915 à 1918, A.P. Fosseyeux, liasse 686.
- 482 20 dossiers attestent pour la seule Seine-et-Oise cette hostilité au concubinage.
- 483 Dossier familial n° 626, 1938, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 484 Procès-verbal de police de Poissy : 1er octobre 1938, A.D., Seine-et-Oise, op. cit.
- 485 Rapport de l’assistante de P.M.I. : 21 février 1938, A.D., Seine-et-Oise, op. cit.
83Ainsi, les paysannes résistent longtemps aux nouveautés surtout lorsqu’elles sont propagées par des personnes étrangères à leur cadre quotidien. En Finistère, « malgré les conseils prodigués, malgré les affiches rédigées en langue bretonne, dans lesquelles on faisait resortir les dangers de l’alimentation précoce, le résultat a été insignifiant » 476. Dans la Creuse, « la résistance bien connue des campagnardes à toute innovation, la perte de temps qu’occasionnerait la fréquentation des consultations ne permettent pas d’espérer que cette excellente institution puisse se généraliser » 477. De même, ces petits cultivateurs du Lot s’insurgent contre toute ingérence dans leur vie privée : « la dame visiteuse, Mme C., avait été priée une fois d’aller voir l’enfant, il y a déjà près de un an, et elle a été très mal reçue. Voyant cela, cette femme n’a plus voulu venir »478. Mais, en ville, des réactions analogues se font également jour. « Il n’y a aucune illusion à se faire sur l’accueil réservé à la plus légitime observation. Ce sont gens particulièrement irritables », relève un médecin avignonnais479. Un médecin de Seine-Inférieure explicite la conviction qui sous-tend une telle attitude : « un enfant est à moi, je le soigne à mon idée. On est chargé de famille, un de moins, on n’y regarde pas ».480 « Il est des femmes tout à fait indociles et réfractaires qui n’acceptent pas volontiers les visites charitables de nos dames assistantes ou qui ne tiennent aucun compte des conseils qui leur sont renouvelés », s’indigne le Dr Variot, alors chef de l’institut de puériculture481. Dans l’entre-deux-guerres, le rejet de l’infirmière-visiteuse, mentionné dans 14 enquêtes sociales retrouvées dans la série U, voire celui de la police mandatée par l’Assistance Publique pour s’informer, révèle le même état d’esprit. Les tentatives maladroites de moralisation qui sont la règle, par exemple, en Seine-et-Oise, faites par des femmes d’origine bourgeoise, ignorantes des mœurs populaires et très opposées, entre autres, au concubinage, renforcent l’hostilité comme en témoignent plusieurs rapports482. Une repasseuse de Croissy, veuve avec deux enfants, « s’emporte dès que nous lui apprenons le but de notre visite, déclare qu’elle ne nous donnera aucune explication (...) prétend que ses enfants lui appartiennent », car c’est elle « qui les a élevés et qui s’est privée pour eux »483. L’épouse d’un ouvrier agricole de Villennes (Seine-et-Oise) « nous regarde avec méfiance ayant l’air de se demander ce que nous venons faire chez elle. Elle s’est toujours bien occupée de ses enfants. Elle n’a jamais rien demandé à personne et se tire très bien d’affaire toute seule » 484. Dans le cas d’une famille de Jouy, ce sont les deux époux qui réagissent à l’identique : la mère « reçoit avec impertinence » l’assistante sociale, le père « prend très mal ma visite – Me met à la porte en m’injuriant. Me poursuit en me menaçant »485.
84Les décisions de déchéance sont même parfois entachées de suspicion en raison de la mésentente entre parents et assistantes sociales comme en témoigne une affaire lyonnaise qui suscite par son caractère scandaleux une campagne de presse et un mouvement de protestation en faveur des parents. Un article, paru dans Le Lyon républicain le 15 avril 1937, dénonce « le kidnapping légal » dont sont victimes d’honnêtes ouvriers de la Guillotière et met en relief les dérapages de l’assistance éducative : les G. ont été dénoncés au Parquet par une association philanthropique, la Société lyonnaise pour le Sauvetage de l’Enfance, dont la plainte déclenche une enquête de l’Assistance Publique. Celle-ci conclut que le foyer, une pièce pour neuf personnes, « constituait un véritable foyer de tuberculose » et met en cause « / ’inertie et l’incurie des parents » ; « néanmoins, aucun fait nettement délictueux ou immoral n’ayant été signalé une mesure d’assistance éducative a d’abord paru suffisante ». Las, elle est confiée à la société qui s’était portée partie civile et qui obtient finalement un retrait de la garde au profit de l’Assistance Publique. Cette décision, critiquée par le journal, semble reposer sur l’incompatibilité de caractère, d’état-civil et de milieu entre l’infirmière visiteuse et Mme G. : « Mme Girod est une femme du peuple et ne s’embarrasse pas de scrupules pour dire ce qu’elle pense. De là nâquit la discussion. (...)
85– Vous ne savez pas élever les gosses !
86– J’en ai élevé six, voilà le septième, répondit la mère. C’est pas vous qui n’en avez sûrement jamais fait qui allez m’apprendre comment on les élève ».
- 486 Le Lyon républicain a publié deux articles les 15 et 17 avril 1937, intitulés : « Le kidnapping lég (...)
87« C’est alors que la visiteuse, furieuse, cria aux Girod, “ qu’ils lui paieraient ça !” » 486. Ce cas extrême, comme d’autres pétitions citées plus haut, montre les limites assignées par l’opinion au contrôle social.
- 487 L’Aide maternelle, 1906, A.P., Fosseyeux, liasse 686.
- 488 L’Œuvre des nourrissons de Marseille, 1908, A.P., Fosseyeux, liasse 686.
- 489 Procès-verbaux de police du Cateau-Cambrésis : 19 août et 27 octobre 1939, A.D., Nord, 3U2 428.
88Même quand les mères semblent accepter un encadrement sanitaire, cette soumission est plus souvent feinte que réelle. Le décompte des visites aux consultations est trompeur. En effet, de nombreuses femmes les considèrent comme des centres de soins et non de prévention. L’Aide maternelle de Paris se désole de voir arriver des enfants, mal soignés depuis des semaines, la mère se bornant à dire : « il ne profite pas »487. « Le mot consultation éveille forcément l’idée de maladie et (...) lorsque les femmes de classe ouvrière ou indigentes se décident à “consulter”, c’est qu’il s’agit de cas graves », note également une œuvre marseillaise488. De plus, quand bien même les femmes font fréquemment visiter leur enfant, se conforment à l’image de la bonne mère, il n’est nullement certain qu’elles appliquent, chez elles, les règles qu’elles prétendent respecter. Le cas d’une ménagère du Cateau-Cambrésis (Nord), dont deux enfants sont décédés coup sur coup, rend bien compte du danger de s’en tenir aux seules apparences comme le concède la responsable du bureau de bienfaisance : « elle fréquentait régulièrement la consultation de nourrissons où ses enfants étaient examinés ; des conseils lui étaient donnés. Il est possible qu’étant donné l’ignorance au point de vue hygiène de la De D. que les conseils donnés n’aient pas été observés », cependant que la présidente de la Croix Rouge analyse les blocages psychologiques et sociaux : « je me suis efforcée de convaincre la Fe D. de la nécessité d’une certaine hygiène et d’une certaine régularité des soins à donner à l’enfant. La Fe D. ne paraissait pas mettre de la mauvaise volonté à suivre mes conseils et ceux du médecin mais elle n’était pas assez intelligente pour se rendre compte de la nécessité de suivre, une fois rentrée chez elle, les conseils donnés »489. En fait, cette inobservance des préceptes médicaux s’explique surtout par la cœxistence de deux systèmes de normes, totalement imperméables l’un à l’autre. L’épouse déjà citée d’un terrassier de Saint-Jean-la-Poterie (Morbihan) dont quatre enfants sont décédés en bas âge, soutient : « ce n’est pas ma faute si j’ai perdu tous ces enfants » mais le juge insiste :
89« – Puisque vous avez perdu quatre enfants en bas âge, vous auriez dû penser que la façon de soigner vos enfants était vicieuse.
- 490 Procès-verbal de gendarmerie d’Allaire : 16 novembre 1925 et procès-verbaux du juge d’instruction d (...)
- 491 Note à compléter
- 492 Procès-verbaux de gendarmerie de Gaillon : 28 octobre 1936 et 15 février 1937, A.D., Yonne, 3U2 216
- 493 Enquête sociale n° 1161, 1939, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
- 494 Procès-verbal du juge d’instruction de Charleville : 25 novembre 1920, A.D., Ardennes, 4U 315/1.
90– Je fais ce que je peux », répond-elle, entendant par là qu’elle ne sait faire autrement. Ses voisins, en revanche, montrent leur connaissance des règles éducatives : « cette personne n’a pas d’ordre ni d’hygiène », note une laveuse, « ses enfants sont vêtus comme les plus misérables de la commune bien que les époux N. aient une certaine aisance. Leurs enfants manquent des soins de propreté les plus élémentaires », ajoute le secrétaire de mairie490. Ecart identique entre une tourneuse de Sartrouville pour qui le fils d’un chiffonnier est « mal nourri », « mal soigné » et « manque des soins élémentaires d’hygiène et de propreté », et la plupart des voisins qui rédigent deux pétitions en faveur de la mère : « Enfant Bertrand. C. ne manque pas de soins au contrarre sa mère le gâte », « j’ai toujours vu sa mère le gâter de nourrirure bonbon gateaux Pour Noël (...). Je ne comprends pas qu’il y ait des gens assez méchants pour inventer ce qui n’est pas »491. De la même mère, cultivatrice à Perrigny (Yonne), deux paysans ont des vues totalement opposées ; pour l’un, ses enfants sont « bien habillés » et bien soignés, « car ils ont une bonne tête et ne sont jamais malades » ; pour le second, ils sont « mal vêtus et malpropres à cause de la mère qui est négligante » 492. La diversité des appréciations dans le même milieu montre que la modernisation de la maternité n’obéit pas qu’à des critères sociaux. L’éducation, les traditions familiales différentient des individus, très proches au départ. Si ce terrassier de Sannois (Seine-et-Oise) et sa femme, une couturière, ont négligé l’éducation de leurs enfants c’est parce que « les parents n’ont reçu chez eux aucune éducation » et ignorent donc « les règles les plus élémentaires d’hygiène » 493. Quant à ce journalier agricole ardennais, « simple d’esprit », il ne faut pas s’étonner qu’il laisse vagabonder ses enfants en haillons et pieds nus et que quatre soient morts en bas âge, puisque c’est ainsi que ses parents l’ont élevé, comme un « demi sauvage »494. De nombreux témoins, en soulignant la « débilité », « l’inintelligence » de certaines mères renvoient à des histoires personnelles difficiles où le poids du milieu n’a pu être compensé par une scolarité irrégulière et où, faute d’instruction et de lectures, les femmes sont inaptes à remettre en cause leurs comportements. Pour sortir de routines dangereuses, il faut d’abord intérioriser des normes puis les appliquer.
91Les résistances à l’« acculturation » des mères sont instructives pour comprendre sa réussite. La puériculture moderne, pour s’imposer, supposait un encadrement médical suffisant, fort avancé déjà en 1939, les moyens matériels d’appliquer l’hygiène moderne, mais aussi une ouverture d’esprit, une capacité à s’informer et à utiliser cette information, c’est à dire, au moins, une bonne instruction primaire, une fécondité contrôlée, un désir enfin. Ce sont les mères malthusiennes et conscientes des classes populaires qui, les premières dans le sillage bourgeois, ont accepté de devenir des auxiliaires de la médecine. Elles ont été suivies par les mères standard, mues par l’amour-propre, l’orgueil, s’alignant par imitation sur la bourgeoise enviée, voire l’amie ou la voisine. Dans l’entre-deux-guerres, s’ajoutent les femmes soumises à la nouvelle tutelle sociale de la P.M.I., qui regimbent mais finissent par s’exécuter : pour elles, l’acculturation qui ne relève pas du choix, fut brutale et vécue comme un viol de leur personnalité.
- 495 Les dossiers retrouvés concernent pour 88 % des cas le xxe siècle et pour 73 % l’entre-deux-guerres (...)
- 496 38,3 % sont ouvriers, 19 % des pères sont au chômage, 18,2 % journaliers agricoles.
- 497 45,5 % sont des ménagères, 12,3 % sont femmes de ménage ou bonnes, 7,1 % journalières agricoles et (...)
- 498 53,2 % de ces couples ont plus de deux enfants et 30 % plus de trois, ce qui les situent légèrement (...)
92Seules, sont restées à l’écart du mouvement les femmes du sous-prolétariat chargées d’enfants. Il est significatif que sur les 154 mères poursuivies en déchéance, celles qui sont accusées de sévices constituent une exception495. Elles sont dénoncées par les autorités exclusivement en raison de la « mauvaise éducation » donnée à leurs enfants. De fait, dans 75 % à 79 % des dossiers concernant l’une ou l’autre tâche matérielle recensée, ces mères étalent leur négligence. Mais pourrait-il en être autrement dans ces familles à revenus très faibles ? Un père sur cinq est au chômage, un sur trois est manœuvre ou ouvrier sans qualification, près d’un sur cinq salarié agricole496. Les mères, plus souvent inactives que dans les autres foyers, contribuent très modestement aux revenus du ménage en raison de la dévalorisation des professions qu’elles exercent497. Le dénuement culturel se lit dans la fréquentation scolaire des enfants, cahotique dans deux cas sur trois, et dans l’insouciance maternelle, la surveillance laissant aussi à désirer dans une famille sur deux. Il est vrai que le nombre d’enfants est supérieur à la moyenne et qu’une femme sur trois entretient une liaison qui peut détourner son attention de ses devoirs maternels498. La mauvaise mère des services sociaux est socialement et intellectuellement marginalisée dans une société où l’aisance et l’instruction ont beaucoup progressé.
- 499 Lettre au Procureur : 13 décembre 1926, A.D., Drôme, UF 104. Seul détail, le couple est alcoolique (...)
93En effet, le processus de modernisation éducative ne touche pas seulement les mères. Les pères connaissent, eux aussi, les normes nouvelles et les rappellent à leurs épouses. Un chômeur de Chabeuil (Drôme) écrit ainsi : « Ici, les enfants sont très bien, le bon aire. Nourriture saine et abondante. Question vêtements, ils sont habillés très chaudement, mon beau-père étant négociant de laine » 499. C’est donc la société toute entière qui a vécu ce processus d’acculturation quoique, en apparence, les mères soient la cible privilégiée. Fait significatif, dans l’entre-deux-guerres, les pères sont surveillés à l’égal de leur femme par les services d’hygiène sociale. Ces mutations qui se sont étalées sur deux générations, au moins, se sont effectuées en douceur d’autant que beaucoup de femmes ont adhéré volontairement et par amour maternel à des règles qui leur semblaient meilleures. La coercition et la « police des familles » se sont limitées au quart-monde. Elles se concentrent sur les années 1920 et, surtout, sur les années 1930, normalisatrices et eugéniques comme en témoigne le Code de la famille. La « familialisation » et la « biopolitique » s’appliquent donc, à mon avis, bien plus tardivement que le pensaient Foucault et ses émules. Par ailleurs, s’il est vrai que la nouvelle mère médicalisée s’est rendue esclave de la puériculture, elle a refusé de renoncer à son emploi. L’allègement progressif du temps de travail à partir de 1900 a permis, par vases communiquants, l’allongement des tâches éducatives.
- 500 Les premières enquêtes après 1945 montrent qu’en ville, une mère consacre 1,7 heure par jour à un e (...)
94L’imbrication entre institutions, mentalités et force des choses rend compte, pour chaque mère, de ses pratiques éducatives. Reste que l’arrivée d’un enfant, en tout état de cause, alourdit le travail des femmes mais je ne saurais chiffrer, pour la IIIe République, le temps qu’elles y ont passé500. Je pense, toutefois, que jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le temps consacré aux enfants oscille entre une heure et deux heures et demie par jour si la famille compte un nourrisson. C’est, à la fois, peu et beaucoup quand on songe au cumul du travail, agricole ou salarié, et des tâches ménagères. Bien des mères sont des femmes harassées qui n’ont pas assez de temps pour aimer leurs petits.
Notes
1 Procès-verbal du juge d’instruction de Bar-le-Duc : 3 novembre 1899, A.D., Meuse, 20 U 44.
2 Lettre au Procureur : 24 octobre 1933, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
3 Les sociologues limitent l’élevage des enfants, stricto sensu, à l’alimentation, à l’habillement et aux soins de propreté. Voir B. Riandey, « L’emploi du temps des mères de famille en France », Les femmes dans la société marchande, Paris, 1978, PUF.
4 Sur 342 dossiers de déchéances, 53 sont prononcées pour insalubrité du logement et 68 pour défaut de ressources, chômage et mendicité inclus.
5 Selon l’expression de G. Delaisi de Parseval et S. Lallemand, L’art d’accommoder les bébés. Cent ans de recettes françaises de puériculture, Paris, 1980, Ed. du Seuil.
6 La série M est particulièrement pauvre. Les dossiers de l’Assistance Publique sont peu abondants et très institutionnels. La maternité est souvent appréhendée par le biais des secours, évoqués par de simples listes d’ayants-droit. On ne peut faire une étude nationale des comités départementaux de protection de l’enfance, faute de conservation de leurs registres dans la série X ou des rapports imprimés qu’ils ont suscités. Par ailleurs, je n’ai pu, en raison de l’ampleur du sujet, dépouiller systématiquement les archives municipales, celles des bureaux de bienfaisance etc., comme M. Dubesset et M. Zancarini-Foumel l’ont fait pour Saint-Etienne, Maternités. Saint-Etienne (1848- 1948), mémoire de D.E.A., sous la direction de Y. Lequin, Lyon, octobre 1983.
7 Soit comme médecins des consultations de nourrisssons et Gouttes de lait, soit comme médecins-inspecteurs dans le cadre de la loi Roussel.
8 J.-N. Luc, « “A trois ans, l’enfant devient intéressant...11 La découverte médicale de la petite enfance (1750-1900) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1989.
9 Voir C. Rollet-Echalier, La politique à l’égard de la petite enfance sous la IIIe République, Paris, 1990, Cahiers de l’INED, PUF. F. Thébaud a, par ailleurs, fait un travail institutionnel très utile sur l’entre-deux-guerres, Donner la vie : histoire de la maternité en France entre les deux guerres, thèse de 3e cycle, 1982, Université de Paris VII.
10 J’ai seulement complété quelques notes.
11 C. Rollet déclare, au reste, que « cette étude des réactions du “public” reste largement à faire par d’autres moyens que ceux utilisés ici » (op. cit., p. 9). Voire avec des moyens voisins. Les mêmes documents peuvent faire, en effet, l’objet de deux lectures différentes, ainsi pour les rapports des médecins-inspecteurs, utiles pour cerner l’institution et le fonctionnement de la loi Roussel ou pour dater et mesurer les progrès accomplis en matière d’hygiène du nourrisson.
12 En 1875 et 1910, un ouvrier et un employé de la région parisienne.
13 Procès-verbal de gendarmerie de Nouzon : 9 janvier 1913, A.D., Ardennes, 4U315/1.
14 Mémoire de l’inculpé sur sa vie, s. d., 1926, A.D., Bouches-du-Rhône, 208 U 22/142. L’inculpé tue son épouse qui veut divorcer et l’empêche de voir sa fille.
15 L. Wylie, Un village du Vaucluse, Paris, 1968, 2e éd., Gallimard.
16 G. Augustins et R. Bonnain, Les Baronnies des Pyrénées, t. 1 : Maisons, modes de vie, société, Paris, 1981, E.H.E.S.S.
17 Voir les travaux de C. Rollet, « Allaitement, mise en nourrice et mortalité infantile en France à la fin du xixe siècle », Population, novembre-décembre 1978 ; « L’allaitement artificiel des nourrissons avant Pasteur », Annales de démographie historique, 1983.
18 Selon une circulaire de l’inspecteur pour la protection des enfants du premier âge : 19 mars 1888, A.D., Hautes-Alpes, 9X 23.
19 Ainsi, à Carpentras, « dans le plus grand nombre des ménages pauvres (...) l’allaitement et les soins les plus élémentaires s’y pratiquent fort mal » (Rapport du médecin-inspecteur de Carpentras : 24 juin 1897, A.D., Vaucluse, 3X 18).
20 Procès-verbal de gendarmerie de Gilhac : 25 juin 1890, A.D., Ardèche, 2U 394.
21 M. Leproux, Du berceau à la tombe, Paris, 1959, PUF. Il signale deux cas extrêmes d’enfants encore allaités à six et sept ans qui laissent le lecteur dubitatif.
22 Ouvriers des deux mondes, 1902-1903, 3e série, t. 2.
23 M. Dubesset et M. Zancarini-Foumel, op. cit.
24 F. Chapiseau, Le folk-lore de la Beauce et du Perche, t. 1, Paris, 1902, Maisonneuve.
25 R. Coursault, Le folklore de la Touraine, Paris, 1972, Maisonneuve. En Beauce blésoise, la mère nourrit longtemps le bébé, car elle juge cette pratique bénéfique (G. Boutet, Ils étaient de leur village. Le temps des traditions (1870-1914), Paris, 1979, Denoël. De même, en Sologne, la durée de l’allaitement oscille entre dix-huit mois et deux ans (B. Edeine, La Sologne, Paris-Genève, 1974, Mouton).
26 L’homme, la vie, la mort dans le Nord au XIXe siècle, Lille, 1979, P.U. de Lille.
27 D’après les rapports des médecins-inspecteurs de Seine-Inférieure, dans les années 1899-1911, moins de 3 % des mères nourrissent leur enfant. En 1937, M. Seguin relève toujours que « les mères n’allaitent que très rarement » (M. Seguin, Comment naît, vit et meurt un Bas Normand, Paris, 1978, Guénégaud, 1re éd. en 1937).
28 C. Géniaux, La Bretagne vivante, Paris, 1912, H. Champion, p. 19.
29 La carte de la mortalité infantile reflète ainsi à la fois le sevrage tardif et l’allaitement artificiel. La surmortalité infantile en Savoie, en Provence, dans le Lyonnais, sur la bordure orientale et méridionale du Massif central, tient largement aux carences quantitatives et qualitatives nées d’un allaitement prolongé à l’excès. Voir C. Rollet, « Allaitement, mise en nourrice et mortalité infantile... », op. cit.
30 Voir J.-L. Flandrin, Familles, Paris, 1976, Hachette, ainsi que E. et F. Van de Walle, « Allaitement, stérilité et contraception : les opinions jusqu’au xixe siècle », Population, juillet-octobre 1972.
31 Voir M. Leproux, op. cit., et Coutumes d’enfance en Forez, Saint-Etienne, 1981, Université pour tous, p. 13.
32 Procès-verbal du juge d’instruction de Bar-sur-Aube : 10 mai 1891, A.D., Aube, 4U 316.
33 Séance du comité départemental de protection de l’enfance du 4 juillet 1896, A.D., Vaucluse, 3X 18. Mais, nous le verrons, le coût de la nourrice peut, inversement et en même temps, favoriser l’usage du biberon.
34 Procès-verbal du juge de paix de Boussières : 12 septembre 1876, A.D., Doubs, U 4003.
35 Procès-verbal du juge d’instruction de Mamers : 4 janvier 1907, A.D., Sarthe, 1U 915.
36 Acte d’accusation : 10 décembre 1908 et procès-verbal de police de Montmorency : 25 janvier 1909, A.D., Seine-et-Oise, Assises, liasse « janvier-mars 1910 ».
37 Dans la Seine, en 1880, 80 % des nourrissons sont envoyés en nourrice avant un mois mais 64 % seulement en 1894-1900 et 57 % en 1911-1913. Voir C. Rollet, « Nourrices et nourrissons dans le département de la Seine et en France de 1880 à 1940 », Population, mai-juin 1982.
38 C. Rollet : « L’allaitement artificiel... », op. cit.
39 Dr Legendre, Des préjugés populaires dans les maladies de l’enfance et en particulier dans le Morvan, Paris, 1883, librairie Gemier-Baillière, p. 16.
40 R. Le Berre, Bretagne d’hier, Rennes, 1937, imprimerie d’Ouest-France, p. 21.
41 L. Wylie, op. cit.
42 Ainsi, Mme F. s’y refuse jugeant trop rapide une tétée limitée à cinq minutes par sein. Voir M. Dubesset et M. Zancarini-Foumel, op. cit.
43 F. Thébaud, Donner la vie, op. cit.
44 F. Loux, Le jeune enfant et son corps dans la médecine traditionnelle, Paris, 1978, Flammarion.
45 G. Delaisi de Parseval et S. Lallemand, L’art d’accommoder les bébés, op. cit.
46 Professeur Budin, « La mortalité infantile dans les Bouches-du-Rhône », L’obstétrique, juillet 1907. Il en est de même dans les Basses-Alpes où règne une « alimentation exagérée », avec, souvent, plus de huit tétées par jour (A. Honnorat, Secours de maternité. La mortalité dans les Basses-Alpes, Digne, 1911, Chaspout).
47 En revanche, à Baudelocque, il progresse, passant, entre 1922 et 1936, de 65,7 % à 92,7 %. Voir F. Thébaud, op. cit.
48 Selon C. Rollet, « Nourrices et nourrrissons... », op. cit.
49 L. Bemot et R. Blancard, Nouville, un village français, Paris, 1953, Institut d’ethnologie.
50 A. Taverne, Coutumes et superstitions foréziennes, t. 4 : Les étapes de la vie, Ambierle, 1972, éd. du Musée forézien.
51 Je n’ai retrouvé que 19 mentions dans la série U dont neuf cas où le refus d’allaiter est clairement exprimé.
52 Selon E. et F. Van de Walle : « Allaitement, stérilité..., op. cit. ; F. Faÿ-Sallois, Les nourrices à Paris au xixe siècle, Paris, 1980, Payot, et A. Martin-Fugier, « La fin des nourrices », Le mouvement social, octobre-décembre 1978.
53 C. Germain et C. de Panafieu, op. cit., p. 148.
54 Procès-verbal du juge de paix de Rives : 3 mars 1881, A.D., Isère, 4U 458.
55 Procès-verbal de gendarmerie de Hennebont : 21 juillet 1936, A.D., Morbihan, U 5604.
56 Lettre du Dr H. Bourgeois : 12 décembre 1888, citée par L. Bemot et R. Blancard, Nouville, op. cit.
57 « Rapport » du mari, février 1874, A.D., Seine-et-Oise, 0489.
58 Rapport médical : 8 avril 1885, A.D., Seine, D2 U8 73.
59 Procès-verbal de police de Paris (xve) : 5 mars 1884, A.D., Seine, D2 U8 61.
60 Procès-verbal de gendarmerie de Lalbenque : 29 mars 1934, A.D., Lot, tribunal correctionnel de Cahors, liasse 358.
61 Procès-verbal du juge de paix d’Argueil : 21 mars 1876, A.D., Seine-Inférieure, U 1078.
62 Dossier de la 3e division (Assistance et hygiène publique) : « Natalité. Enquête sur les causes qui déterminent la faiblesse et le déclin », questionnaire sur Aubusson, 1922, A.D., Creuse, 6M 238. De même, à Caudebec-lès-Elbeuf (Seine-Inférieure), « il y a très peu d’enfants au sein, cela tient à ce que les femmes préfèrent travailler en fabrique et apporter le montant de leur semaine pour les besoins du ménage, (...) payer 30 francs une nourrice qui élèvera l’enfant au biberon plutôt que de donner 50 francs à une nourrice au sein » (Rapport sur le service de la protection des enfants du premier âge pendant l’année 1911 adressé par l’inspecteur départemental au Préfet de Seine-Inférieure, Rouen, 1911, p. 41).
63 Voir chapitre IV.
64 Voir C. Rollet, op. cit.
65 Ouvriers des deux mondes, cultivateur-maraîcher de Deuil, 1886, 2e série, t. 1.
66 Note non signée et non datée précisément, 1913, A.N., F22 446.
67 C. Rollet a montré l’énorme publicité dont a bénéficié le dangereux biberon Robert : affiches, prospectus, et recommandations d’une pseudo-Académie, qui semble désigner l’Académie de médecine et induit en erreur jusqu’aux directrices de crèches. Voir aussi F. Thébaud, op. cit.
68 Selon C. Géniaux, 15 centimes en Bretagne, op. cit. Selon une journalière de Crosville-la-Vieille, 30 centimes (A.D., Eure, 12U 125). Voir C. Rollet, « L’allaitement artificiel... », op. cit.
69 Chiffres cités par C. Rollet et les rapports de la protection de l’enfance de Seine-Inférieure.
70 A.D., Loir-et-Cher, 2U3 141.
71 Procès-verbal du juge d’instruction de Quimper : 11 octobre 1913, A.D., Finistère, 16U6 46.
72 C. Rollet, « L’allaitement artificiel... », op. cit.
73 G. Jacquemet a calculé le nombre de thèses de médecine soutenues à Paris et consacrées à l’allaitement : 8,2 % en 1870-1879, 5,1 % en 1880-1889, puis 28,1 % en 1890-1899 et 47,4 % en 1900-1909. Voir G. Jacquemet, Belleville au xixe siècle, Paris, 1984, E.H.E.S.S., p. 240 et C. Rollet, op. cit.
74 40 % à Saint-Etienne, 56 % à Lille, 68 % à Troyes. Voir Les hommes, la vie, la mort dans le Nord, op. cit.
75 C. Rollet, « Allaitement, mise en nourrice et mortalité infantile », op. cit. En 1885, la mortalité des enfants parisiens nourris au biberon est trois fois supérieure à celle des bébés allaités. Dans le Calvados, elle atteint 307 % c contre 109 % o, à Rouen 180 % o contre 55 % o, et à la maternité Baudelocque 320 % o pour 150 % o.
76 C. Rollet, « L’allaitement artificiel », op. cit. Il convient d’y ajouter les zones de sevrage trop tardif.
77 « La chambre d’allaitement dans les usines et les magasins », s.d., 1919 sans doute, A.N., F22 446.
78 Chiffres cités par le Dr Budin, « La mortalité infantile dans les Bouches-du-Rhône », op. cit.
79 Ou 600 francs en bons de lait lorsque l’allaitement s’avère physiologiquement impossible.
80 F. Thébaud, op. cit. D’après un entretien, p. 552.
81 L’homme, la vie, la mort, op. cit.
82 A.D., Sarthe, 2U 601.
83 Attitude dénoncée par le médecin de Sommery dans Rapport sur la protection... 1902.
84 M. Leproux, op. cit.
85 Voir C. Rollet, « L’allaitement artificiel », op. cit. F. Loux atteste l’efficacité de cette médication populaire.
86 Pendant longtemps et même après les découvertes de Pasteur, les médecins se divisent sur la préparation du lait : tiédi, bouilli, stérilisé. Voir C. Rollet, op. cit.
87 En effet, j’ai retrouvé pour la Seine-Inférieure les rapports imprimés du service sur la protection de l’enfance du premier âge pour les années 1892,1893, 1896, 1899, 1902, 1903, 1905, 1907, 1911, 1912. A Argueil, en 1902, « les tétées [sont] mieux espacées et plus régulières, le lait toujours bouilli, quelquefois stérilisé ». On relève une remarque identique sur Elbeuf dans le rapport de 1903. Et à Rouen, en 1911, le médecin inspecteur ne se satisfait déjà plus que les femmes « se contentent de faire bouillir le lait » au lieu de le stériliser.
88 Délibérations du comité départemental de protection de l’enfance : 15 juillet 1902, A.D., Vaucluse, 3X 18.
89 Voir, pour la Charente, M. Leproux, op. cit., et pour le Cher, M.-P. Weyd, Journal d’une assistante rurale, Paris, 1944, les éd. des loisirs.
90 Procès-verbal du juge d’instruction de Vannes : 16 février 1925, A.D., Morbihan, U 5680.
91 Dont le procédé est proposé seulement en 1891. Voir P. Huard et R. Laplane, Histoire illustrée de la puériculture, Paris, 1979, éd. Dacosta.
92 Rapport... 1911, p. 56 et Délibérations du comité de protection de l’enfance : 7 juillet 1898, A.D., Vaucluse, 3X 18.
93 En 1892, à Belleville par le Dr Variot et en 1894, par le Dr Dufour à Fécamp. Les premières Gouttes de lait distribuent gratuitement les six biberons quotidiens nécessaires à chaque nourrisson. Sur le Dr Variot et Belleville, voir G. Jacquemet, op. cit. et C. Rollet, op. cit.
94 Op. cit., p. 35.
95 En un an, son introduction dans la Goutte de lait du Dr Ausset à Lille entraîne une chute de la mortalité infantile de 209 % o à 15 1 % o (Rapport sur la protection..., Rouen, 1899).
96 Rapport... 1899, p. 77.
97 Son lancement par Gail Borden et Ch. Page date de 1856. Le premier lait condensé non sucré est produit en 1883. Les premiers laits en poudre à dissolution rapide ne sont produits qu’à partir de 1925. Voir P. Huard et R. Laplane, op. cit.
98 Procès-verbal de gendarmerie de Pontvallain : 7 mai 1932, A.D., Sarthe, 2U 601.
99 A.D., Lot, tribunal correctionnel de Cahors, liasse 358. Les institutions n’hésitent pas à l’utiliser non plus. En 1928, lorsque Mme Jean Vilar crée à Villeneuve-lès-Avignon une pouponnière qu’elle veut lucrative, elle souligne que « les enfants seront élevés au lait condensé sucré Nestlé » (Lettre à l’inspecteur de l’Assistance publique : 11 janvier 1928, A.D., Gard, 6X 924).
100 La première farine lactée est mise au point par Henri Nestlé en 1866-1868.
101 A l’exposition universelle de 1889, ont été exposés le biberon poitevin, fiole de verre ou d’étain munie d’une canule ; le biberon savoyard qui utilise comme récipient une corne de vache équipée d’un tube en peau de chamois ; le biberon ariégeois formée d’une cuvette en bois avec un tube grec, sans compter le modèle courant en forme de cafetière à bec verseur. En Normandie, on utilise un récipient en étain. On trouve encore la bouteille avec tampon d’étoffes en guise de tétine. Voir H. Gélin, Au temps passé. A travers Poitou et Charente, t. 1, 1922-1924, rééd. 1977, Marseille, J. Laffitte.
102 C. Géniaux, op. cit.
103 C. Rollet a relevé les dates des arrêtés préfectoraux interdisant à partir de 1885 et dans 15 départements la vente de biberons à tube (op. cit., p. 571).
104 Rapport... 1902, Rouen, p. 52.
105 Comité de protection de l’enfance, séance du 15 juillet 1902, A.D., Vaucluse, 3X 18.
106 Rapport... 1911, Rouen, p. 43.
107 Délibérations du comité..., 1902, A.D., Vaucluse, 3X 18. Remarque analogue d’un fokloriste pour le Limousin où, à la veille de la Guerre, « le biberon est aussi en usage (...) qu’on se contente de rincer de temps en temps à l’eau claire » (M. Coissac, op. cit., p. 182).
108 Rapport... 1911, p. 60.
109 Coutumes d’enfance en Forez, op. cit., p. 13.
110 M. Leproux, op. cit., p. 37.
111 A. Girard, L. Henry, R. Nishu, « La surmortalité infantile dans le Nord et le Pas-de-Calais. Présentation d’une enquête sur le comportement familial », Population, avril-juin 1959.
112 M. Coissac, op. cit., p. 182.
113 Rapport... 1896.
114 C. Seignolle, Le folklore du Languedoc (Gard, Hérault, Lozère), Paris, 1960, Maisonneuve.
115 A Nouville en Normandie, la panade reste en vigueur jusqu’en 1929 (L. Bernot..., op. cit.).
116 M. Leproux, op. cit.
117 L. Le Berre, op. cit., p. 17. Pierre-Jakès Hélias a été ainsi nourri par sa mère. A. Orain, Folklore de P Ille-et-Vilaine. De la vie à la mort, Paris, 1890, Maisonneuve, et Y. Brekilien, La vie quotidienne, en Bretagne, op. cit., confirment que la pratique se situe peu après la naissance.
118 H. Baudrillart, Les populations agricoles de la France. Les populations du Midi, Paris, 1893, librairie Guillaumin, p. 655.
119 Délibérations du comité de protection de l’enfance : 29 juillet 1888, A.D., Vaucluse, 3X 16. Trois lustres tard, le médecin de Carpentras entonne la même antienne : « [l’enfant] est gorgé de soupe (...). Les mères elles même (...) engagent les nourrices à donner (...) des tisanes, du pain bouilli » (Rapport du médecin de Carpentras, 1902, A.D., Vaucluse, 3X 18).
120 Ces citations sont extraites des réponses aux questionnaires de 1903 et 1905 par les médecins de Théminettes, Vayrac et Marcilhac, A.D., Lot, 3X 13.
121 M. Coissac, op. cit., p. 182.
122 C. Géniaux, op. cit.
123 Dr Bogros, A travers le Morvand, Château-Chinon, 1873, Dudrague-Bordet et Buteau, p. 34-35.
124 Dr Legendre, Des préjugés populaires dans les maladies de l’enfance et, en particulier, dans le Morvan, Paris, 1883, librairie Gemier-Baillière, p. 22.
125 C. Talon, Histoire de la vie rurale en Bas-Dauphiné, Lyon, 1981, E. Bemier.
126 Composée d’eau, ail et croûtes de pain. C. Charuty et al.. Gestes d’amont, op. cit.
127 C. Rouleau, Essai de folklore de la Sologne bourbonnaise, Moulins, 1935, Crépin-Leblond.
128 M. Seguin, op. cit.
129 Rapport... 1896, op. cit.
130 A. Taverne, op. cit.
131 C. Géniaux, op. cit., p. 28.
132 A.D., Yonne, 3U3 1151.
133 Notes d’audience du tribunal de Troyes : 27 juillet 1871, A.D., Aube, 5U 299.
134 Notes d’audience du tribunal de Versailles : 7 août 1873, A.D., Seine-et-Oise, tribunal correctionnel de Versailles, 0475.
135 C. Géniaux, op. cit., p. 48.
136 Procès-verbal de gendarmerie de Berlaimont : 10 août 1925, A.D., Nord, 3U1 1376
137 Voir P. Huard et R. Laplane, Histoire de la puériculture, op. cit. En 1884, par exemple, les besoins en protides sont définis.
138 Rapport... 1899, p. 63.
139 Qui, par exemple, les délayent trop. Rapport... 1902, p. 52. Cette remarque témoigne de l’avance du département puisque la première affiche publicitaire que j’ai retrouvée pour ces produits, dessinée par Firmin Bouisset, spécialiste de l’utilisation publicitaire de l’enfance, date de 1909 (Bibliothèque Fomey).
140 26 dossiers débattent de ces problèmes de diététique enfantine.
141 La vie quotidienne à Saint-Etienne, op. cit., p. 36. Je n’ai pas retrouvé la dite affiche mais une publicité très voisine parue dans La famille nombreuse, vers 1930 et reproduite dans Naître, se marier et mourir autrefois, Archives de la Drôme, service éducatif, 1983.
142 Lettre au Procureur : 2 septembre 1939, A.D., Marne, 8U 128.
143 Procès-verbal de gendarmerie de Vitry-la-Ville : 20 septembre 1935, A.D., Marne, 8U 217.
144 Procès-verbal de gendarmerie de Pont-Croix : 14 mai 1938, A.D., Finistère, 14U 6/3.
145 Procès-verbal de police du Tréport : 18 septembre 1904, A.D., Seine-Inférieure, U 2638.
146 Procès-verbal de gendarmerie de Pontoise : 20 novembre 1939, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
147 Soit 18 dossiers de déchéance parentale.
148 Voir D. Tabutin, « La surmortalité féminine en Europe avant 1940 », Population, janvier-février 1978.
149 A la bibliothèque Fomey, sur les 41 affiches publicitaires consacrées à l’enfant, 28 présentent des produits alimentaires, mais en nombre très limité. Les plus anciennes datent des années 1890 : 1890 pour le chocolat Félix Potin, 1892 pour le chocolat Menier et 1895 pour le consommé Maggi, ces deux dernières dessinées par Firmin Bouisset.
150 Procès-verbal du juge d’instruction de Béthune : 25 janvier 1906, A.D., Pas-de-Calais, 3U2 129.
151 Procès-verbal de police d’Asnières : 8 novembre 1913, A.D., Seine, D2 U6 183.
152 Procès-verbal de gendarmerie de Liévin : 6 mai 1913, A.D., Pas-de-Calais, 3U2 150.
153 Ainsi, sur les 41 affiches conservées à la bibliothèque Fomey et qui ont pour acteurs des enfants, 28 sont consacrées à la vente de produits de alimentaires, dont 17 au seul chocolat, 4 aux biscuits, 2 aux sucreries, 1 aux « petis Gervais ».
154 Lettre de la femme au Procureur : 27 décembre 1930 et lettre du mari à la femme : s. d., A.D., Alpes-Maritimes, 14 120.
155 Lettre au « Président » : 1er juillet 1928, A.D., Nord, 2U 155/591.
156 Lettre d’un témoin : 28 novembre 1930 et lettre du père : 31 janvier 1932, A.D., Rhône, 3U 1202.
157 Lettre au Président de la République : 18 décembre 1935, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
158 Lettre à sa belle-mère, s. d., 1936, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
159 De style régional puis, dès la fin du xixe siècle, en osier.
160 Les affaires d’infanticides révèlent ainsi que de nombreuses mères célibataires ont effectué quelques travaux de couture pour leur futur enfant, d’où l’on peut, sans trop d’audace, déduire que les mères ordinaires ne pouvaient faire moins.
161 Procès-verbal du juge d’instruction de Saint-Marcellin : 4 mars 1881, A.D., Isère, 4U 458.
162 C’est un argument souvent avancé par les mères célibataires pour justifier l’absence de préparatifs particuliers.
163 Ainsi, par exemple, la caisse familiale du textile de Lille. Voir rapport de février 1923, A.N., F22 444.
164 A Saint-Etienne dans l’entre-deux-guerres, il porte deux brassières : une en toile fine et une en laine ou coton. Les manuels de puériculture de la même époque recommandent trois brassières : une en toile, une en flanelle, une en laine ou piqué de coton (F. Thébaud, op. cit.). En Languedoc selon C. Seignolle, op. cit., le drapeau est confectionné dans un lainage gris. En Sologne, il est taillé dans de vieux rideaux (B. Edeine, op. cit.).
165 Ouvriers des deux mondes, 1re série, t. 5.
166 Séance du 15 juillet 1902 du Comité de protection de l’enfance, A.D., Vaucluse, 3X 18. Voir aussi C. Rollet, op. cit., chapitre XI.
167 H. Baudrillart, Les populations agricoles de la France. Normandie et Bretagne, Paris, 1885, Hachette, p. 462. Il fait la même remarque pour les petits montagnards ariégeois (Les populations du Midi, op. cit.).
168 Procès-verbal du juge d’instruction de Meaux : 10 mars 1883, A.D., Seine, D2U8148.
169 Abbé M. Gorse, Au bas pays de Limosin, Paris, 1896, E. Leroux.
170 Procès-verbal du juge d’instruction d’Auxerre : 9 mars 1896, A.D., Yonne, 3U1 1341.
171 Procès-verbal de gendarmerie d’Oullins : 29 juin 1931, A.D., Rhône, 3U 1201. Autre cas analogue à Oullins toujours, la fille d’un employé du gaz ne porte, à deux ans, qu’une chemise, qui plus est d’« une saleté repoussante » (Procès-verbal de gendarmerie d’Oullins : 24 septembre 1933, A.D., Rhône, 3U 1204).
172 Procès-verbal de gendarmerie de Guillon : 15 février 1937, A.D., Yonne, 3U2 216. Orthographe originale.
173 Procès-verbal du juge d’instruction de la Seine : 25 juillet 1891, A.D., Seine, D2 U8 278.
174 J. Lecœur, Esquisses du bocage normand, t. 1, Brionne, 1887, G. Montfort, p. 255.
175 C. Géniaux, op. cit.
176 Abbé Gorse, op. cit., p. 122.
177 H. Soum, La basane. Chronique des bords de Garonne, Toulouse, 1985, Eché, p. 48.
178 « Le crime de la rue Neuve de Roubaix à Tourcoing. Au pays de l’assassin », Journal de Roubaix, 26 février 1899, A.D., Seine-Inférieure, U 2464.
179 Voir J. Seguin, op. cit., pour la Normandie et La vie quotidienne à Saint-Etienne, op. cit.
180 Procès-verbal de police de Lyon : 25 juin 1939, A.D., Rhône, tribunal correctionnel de Lyon, audience du 6 novembre 1939.
181 C. Rhein, Femmes au travail dans le Paris de P entre-deux-guerres, thèse de 3e cycle, 1977, Université de Paris VII, p. 220.
182 C. Rhein, op. cit., p. 221.
183 A. Taverne, op. cit. et Les populations du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, 1933, Imprimerie générale, p. 253.
184 Procès-verbal de police de Poissy : 2 octobre 1935, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
185 Dossier familial : 7 mai 1938, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
186 Ainsi dans les Hautes-Alpes selon C. Seignolle, Le folklore de la Provence, Paris, 1946, Maisonneuve, ou en Forez.
187 Coutumes d’enfance en Forez, Saint-Etienne, 1981, Université pour tous, p. 15.
188 Dr Legendre, Des préjugés populaires dans les maladies de l’enfance et en particulier dans le Morvan, op. cit., p. 14. Rappelons que bien qu’en déclin au xixe siècle, l’habitude de ligoter également les bras de l’enfant survit encore sous la IIIe République en Limousin (G.M. Coissac, op. cit.), en Forez (A. Taverne, op. cit.) et à Arc-en-Barrois, selon le comité des travaux de folklore champenois (Du berceau à la tombe, Châlons, 1964, comité du folklore champenois). Dans les Charentes, de plus, la tête de l’enfant est fixé sur l’oreiller avec la pointe des langes (La tradition en Poitou et en Charentes) mais, dès la fin du siècle, les bras sont libérés. Voir aussi F. Loux, Le jeune enfant et son corps, op. cit.
189 Dans l’Ouest selon J. Léonard, op. cit., le maillot est introduit dans les années 1860, preuve qu’on y a perdu la veine rousseauiste de l’éducation naturelle. En Forez, selon A. Taverne, op. cit., il faut attendre la Belle Epoque.
190 Selon une remarque du médecin de Pertuis. Comité de protection de l’enfance, séance du 7 juillet 1898, A.D., Vaucluse, 3X 18.
191 Et ce, malgré les recommandations du médecin et de l’institutrice. L. Wylie, Un village du Vaucluse, op. cit.
192 E. Sol, Le vieux Quercy, Paris, 1929, E. Nourry, p. 8.
193 C. Seignolle, Le folklore de la Provence, op. cit.
194 C’est la théorie, exagérée à mon avis, d’E. Shorter : « libérer le tout-petit de ses entraves de toile, ce serait avant tout lui permettre de participer à de nouvelles relations ludiques avec sa mère » (Naissance de la famille moderne, Paris, 1977, Ed. du Seuil, p. 245).
195 Voir chapitre 9.
196 1926, A.D., Bouches-du-Rhône, 208 U 422/42 et 1938, A.D., Finistère, 14U6 13.
197 Procès-verbal de gendarmerie de Busigny : 12 avril et 25 septembre 1936, A.D., Nord, 3U2 428.
198 C. Charuty et al., Les femmes du pays de Sault racontent, op. cit., p. 35.
199 Procès-verbal de police de Brive : 8 septembre 1936 et lettre du « 6 stembre » 1935, A.D., Haute-Vienne, 3U 517.
200 Voir chapitre 3.
201 Economisé, rappelons-le en Nivernais, jusqu’en 1920 au moins. Voir G. Thuillier, Pour une histoire du quotidien en Nivernais, op. cit.
202 Procès-verbal du juge de paix de Corps : 6 décembre 1870, A.D., Isère, 4U 449.
203 J. Seguin, op. cit., p. 39.
204 Rapport... 1905, p. 60.
205 G.M. Coissac, op. cit., p. 182-183. G. Thuillier signale en Nivernais le même rythme biquotidien (op. cit.)
206 C. Géniaux, op. cit.
207 A.D., Eure, 12U 125.
208 Procès-verbal de gendarmerie de Berlaimont : 10 août 1925, A.D., Nord, 3U1 1376.
209 Procès-verbal de gendarmerie d’Allaire : 16 novembre 1925, A.D., Morbihan, U 5680.
210 Dossier familial r° 946, 1939, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
211 C. Géniaux, op. cit., p. 197.
212 J. Seguin, op. cit., p. 49.
213 Sylvère, Toinou, le cri d’un enfant auvergnat, op. cit., et C. Seignolle, Le folklore du Languedoc, op. cit.
214 P.H. Paillou, Mon village à la Belle Epoque, Aurillac, 1962, éd. du Centre.
215 C. Talon, Histoire de la vie rurale en Bas Dauphiné, Lyon, 1981, Elie Benier.
216 Voir, par exemple, p. 68, dans l’ouvrage de M. Cabaud et R. Hubscher, 1900, la Française au quotidien, Paris, 1985, A. Colin, le garçonnet dont le tablier est beaucoup plus sale que les habits des adultes. Voir également les collections rassemblées dans J. Borgé et N. Viasnoff, Archives du Nord, Paris, 1979, Balland.
217 H. Soum, op. cit., p. 39.
218 La vie quotidienne à Saint-Etienne entre les deux guerres, op. cit., p. 16.
219 Période à partir de laquelle, il est vrai, le gonflement du contentieux des déchéances majore ces remarques.
220 Procès-verbal de gendarmerie d’Oullins : 24 septembre 1933, A.D., Rhône, 3 U 1204.
221 Procès-verbal de gendarmerie d’Allaire : 16 novembre 1925 et procès-verbal du juge d’instruction de Vannes : 11 décembre 1925, A.D., Morbihan, U 5680.
222 Procès-verbal de gendarmerie de Poissy : 19 avril 1935 et procès-verbal de gendarmerie de Meulan : 7 novembre 1938, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
223 Procès-verbal de gendarmerie de Pontvallain : 2 mars 1939, A.D., Sarthe, 18 W98.
224 G.M. Coissac, op. cit., p. 212.
225 Sur 56 dossiers consacrés pour une part aux soins corporels, 39 critiquent le manque d’hygiène.
226 Procès-verbal de police de Tarare : 12 septembre 1934, Rhône, 3U corr. d. 2001.
227 Procès-verbal de police de Paris (XIVe) : 9 août 1877, A.D., Seine, D2 U6 44.
228 Procès-verbal de gendarmerie de Versailles : 27 juin 1936, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
229 M. Perrot, « L’éloge de la ménagère dans le discours des ouvriers français au xixe siècle », Romantisme, 1976, n° 13-14.
230 Procès-verbal de gendarmerie de Demange-aux-Eaux : 10 février 1899, A.D., Meuse, 11U 17.
231 « Plus les enfants sont sales, mieux ils se portent ». Cité par G.M. Coissac, op. cit., p. 212.
232 C. Géniaux, op. cit., p. 198-199.
233 A. Sylvère, op. cit., p. 2 et 8.
234 L. Gachon, L’Auvergne et le Velay. La vie populaire d’hier et d’avant-hier, Paris, 1975, Maisonneuve et Larose, p. 176.
235 Procès-verbal de police de Paris (XIXe) : 9 août 1877, A.D., Seine, D2 U6 44.
236 Procès-verbal de police de Montmorency : 25 janvier 1909, A.D., Seine-et-Oise, Assises, liasse « janvier-mars 1910 ».
237 Dr Legendre, op. cit., p. 29.
238 M. Leproux, op. cit.
239 Voir pour le Berry, C. Seignolle, Le Berry traditionnel, Paris, 1969, Maisonneuve et Larose, d’après une enquête effectuée dans 20 communes de 1935 à 1968 ; pour la Champagne voir les travaux du comité de folklore champenois, op. cit., et pour la Lorraine, G. L’Hôte La Tankiotte. Les usages traditionnels en Lorraine, Nancy, 1984, P.U. de Nancy, sans oublier A. Van Gennep, Manuel du folklore français contemporain, Paris, 1943, Picard. En Languedoc, les mères peuvent seulement limer mais non couper les ongles, croyance attestée à la fois par L. Jalby, op. cit., et D. Fabre et J. Lacroix, La vie quotidienne des paysans du Languedoc aux xxe siècle, Paris, 1975, Hachette.
240 C. Talon, op. cit. ; M. Leproux, op. cit. ; C. Rouleau, Essai de folklore de la Sologne bourbonnaise, op. cit.
241 C. Seignolle, op. cit.
242 R. Béteille, op. cit.
243 Séance du comité de protection de l’enfance : 29 juillet 1886, A.D., Vaucluse, 3X 16.
244 On l’appelle « norion » en Sologne bourbonnaise, « crâgne » et « rabanelle » en Charente, « crème » en Vaucluse et dans le Lot, etc. Voir F. Loux, « La femme soignante dans la tradition rurale du xixe siècle », Pénélope, La femme soignante, n° 5, automne 1981.
245 M. Leproux, op. cit., p. 60-61. Claude Seignolle a retrouvé une croyance analogue en Languedoc.
246 C. Rouleau, op. cit., p. 63.
247 Dr Francus, Voyage fantaisiste et sérieux à travers l’Ardèche et la Haute-Loire, Le Puy, 1894, A. Prades-Freydier, t. 1, p. 58.
248 Procès-verbal de gendarmerie de Sougy : 19 octobre 1911, A.D., Nièvre, 3U21391.
249 Réquisitoire : 26 septembre 1893, A.D., Aube, 5U 254.
250 Dr Legendre, op. cit., p. 24.
251 Procès-verbaux de gendarmerie de Busigny : 12 novembre et 25 septembre 1936, op. cit.
252 Dr Legendre, op. cit., p. 30
253 G.M. Coissac, p. 212. En Sologne bourbonnaise, vingt ans plus tôt, les adultes sont un peu plus propres mais tout est relatif : les hommes se lavent le visage et se rasent le dimanche ; ils se lavent les pieds mais à la rivière et « toujours sans savon » et « quant aux bains de propreté, on n’en prenait jamais » au point que Charles Rouleau a connu des femmes âgées lavées seulement pour leur enterrement. Née dans les années 1880 en Haute-Vienne, l’Albine soutient que « c’était une hérésie de se laver tout le temps » (F. Dupuy, L’Albine, Paris, 1977, Fayard, p. 97).
254 Les populations du Puy-de-Dôme, op. cit.
255 Cette norme remonte au Moyen Age selon G. Vigarello, Le propre et le sale, Paris, 1985, Seuil. Sur les nouvelles normes de propreté au xixe siècle, voir J. Csergo, Liberté, égalité, propreté. La morale de l’hygiène, Paris, 1988, A. Michel.
256 Rappelons qu’à Minot, les premières salles de bains sont installées dans les années 1960 et que les bains sont alors jugés révolutionnaires. Voir F. Zonabend, op. cit.
257 Monographie sur les fermiers-montagnards du Forez qui, je le rappelle, ne consomment que 3 kilos de savon par an, 1893, Ouvriers des deux mondes, 2e série, t. 4.
258 J. Bouvier, Mes mémoires ou cinquante-neuf années d’activité industrielle, sociale et intellectuelle d’une ouvrière, Niort, 1936, l’Action intellectuelle, p. 22.
259 Procès-verbal de police de Pont-Audemer : 31 juillet 1906, A.D., Eure, 12 U 125.
260 Procès-verbal de gendarmerie de Parigné : 27 avril 1925, A.D., Sarthe, I U2 283.
261 Dr Legendre, op. cit., p. 30.
262 G.M. Coissac, op. cit., p. 212.
263 C. Géniaux, op. cit., p. 197.
264 L. Gachon, op. cit. et G. Thuillier, op. cit., au moins jusqu’en 1900.
265 Rapport... 1903, p. 59.
266 Procès-verbal du juge de paix du Cheylard : 9 décembre 1885, A.D., Ardèche, 1U 541.
267 Procès-verbal médical : 24 novembre 1882, A.D., Puy-de-Dôme, U 10 851.
268 A cette date encore, par exemple, le petit Charentais, jamais baigné, est essuyé de temps en temps avec un linge mouillé (H. Gélin, Au temps passé. A travers Poitou et Charentes, 1922-1924, Marseille, reprint J. Laffitte, t. 1).
269 Rapport médical : 14 octobre 1934, A.D., tribunal correctionnel de Cahors, liasse 358.
270 Rapport médical : 13 septembre 1939, A.D., Morbihan, U 4964.
271 A.D., Eure, 12 U 125.
272 Procès-verbal du juge d’instruction de Béthune : 29 avril 1913, A.D., Pas-de-Calais, 3U2 150.
273 Procès-verbal de gendarmerie d’Oullins : 24 septembre 1933, A.D., Rhône, op. cit.
274 Procès-verbal de police de Lyon : 16 février 1931, A.D., Rhône, 3U 120.
275 Procès-verbal de police d’Avallon : 25 janvier 1932, A.D., Yonne, 3U2 216.
276 Procès-verbal de gendarmerie de Camières : 31 août 1939, A.D., Nord, 3U2 428.
277 A.D., Loir-et-Cher, 2U3 121.
278 Ouvriers des deux mondes, 3e série, t. 2.
279 Ouvriers des deux mondes, 3e série, t. 2.
280 R. Jouglet, Les paysans. Enfance et jeunesse, Paris, 1951, Les éditeurs réunis, p. 39.
281 P. Dentin, Mémoires I.A l’aube du xxe siècle, op. cit., p. 77.
282 H. Soum, op. cit., p. 190.
283 J’ai décompté neuf femmes qui, au détour d’une phrase, se décrivent peignant leur fille. Procès-verbal du maire de Gonfaron : 1er juin 1885, A.D., Var, 4U4 348.
284 Il s’agit d’une femme de marin du Finistère en 1913.
285 Procès-verbal de gendarmerie de Billy-Montigny : 8 juin 1904, A.D., Pas-de-Calais, 3U2 216.
286 Où, je le rappelle à nouveau, les médecins-inspecteurs au titre de la loi Roussel notent d’année en année les mutations de comportements.
287 Rapport... 1902, p. 83 et Rapport... 1903, p. 53.
288 Rapport... 1905, p. 59.
289 Rapport... 1903, p. 53.
290 Rapport... 1905, p. 50.
291 Rapport... 1903, p. 60.
292 Enquête sur l’habitation rurale, S.D.N., op. cit., t. 2, p. 85.
293 L’enquête S.D.N. remarque que dans le Cantal, « la propreté individuelle a fait bien des progrès, le séjour au régiment, la coquetterie, le bien-être relatif des années passées y ont largement contribué », op. cit., t. 2, p. 43.
294 Enquête S.D.N., op. cit., t. 2, p. 122.
295 Enquête S.D.N., op. cit., t. 2, p. 221.
296 La vie quotidienne à Saint-Etienne, op. cit., p. 140.
297 Dossier familial n° 946, 1939, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
298 Dossier familial n° 1007, 1939, A.D., Seine-et-Oise, 1161W.
299 Examen médico-psychologique, 1938, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
300 Le médecin chargé d’examiner les filles du pépiniériste de Montlignon avoue : « j’osais à peine y toucher. C’était repoussant » (Enquête sociale n° 641, 1939, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W).
301 Procès-verbal de gendarmerie de Berlaimont : 10 août 1025, A.D., Nord, 3U1 1376.
302 Lettre à l’inspecteur de l’Assistance Publique : 23 septembre 1934, A.D., Lot, tribunal corectionnel de Cahors, liasse n° 358.
303 Procès-verbal de gendarmerie de Chevreuse : 2 novembre 1934, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
304 Procès-verbal de gendarmerie de Vannes : 22 février 1931, A.D., Morbihan, U 5693.
305 Cette tâche ainsi que l’habillage sont évalués en 1947 dans les familles urbaines à 1,3 heure pour un enfant, 1,8 heure pour deux enfants et 2,4 heures pour trois enfants (J. Stœtzel, « Une étude du budget-temps de la femme dans les agglomérations urbaines », Population, janviers-mars 1948).
306 Procès-verbal du juge d’instruction de la Seine : 29 septembre 1910, A.D., Seine, D2 U6 166.
307 Il ne faut pas s’en étonner puisque l’Université est restée longtemps imperméable aux théories de Pasteur et que les deux grandes lois qui marquent le triomphe d’un idéal de santé publique pastorien n’ont été votées qu’en 1902 et 1905. Voir Pasteur et la révolution pastorienne, Paris, 1985, Payot.
308 Procès-verbal de gendarmerie de Vaucresson : 12 septembre 1935, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
309 Procès-verbal de gendarmerie d’Oullins : 29 juin 1931, A.D., Rhône, 3U 1201.
310 Voir D. Tabutin, « La surmortalité féminine en Europe avant 1914 », op. cit. ; M. Poulain et D. Tabutin : « La surmortalité des petites filles en Belgique au xxie siècle et au début du xxe siècle », Annales de démographie historique, n° spécial : Démographie historique et condition féminine, 1981. Ils avancent également un placement plus important des filles en nourrices. En fait, lorsqu’on dispose de listes sexuées de placements la corrélation est rien moins qu’évidente : dans les Hautes-Alpes, les garçons sont même un peu plus nombreux que les filles et, en Seine-Inférieure, les sexes s’équilibrent. En revanche, les falbalas des filles, leur enfermement domestique plus poussé (voir chapitre 6), voire le rôle de garde-malade qu’on leur fait jouer peuvent influer sur leur mortalité.
311 Voir le numéro de Pénélope, consacré à La femme soignante, n° 5, automne 1981.
312 C’est le père que se lève dans les Baronnies. Voir A. Augustins et R. Bonnain, Les Baronnies des Pyrénées, t. 1, op. cit.
313 F. Loux, Le jeune enfant et son corps dans la médecine traditionnelle, op. cit. et « La femme soignante dans les traditions rurales au xixe siècle », op. cit.
314 Voir D. Fabre et J. Lacroix, La vie quotidienne des paysans du Languedoc au xixe siècle, op. cit. Voir aussi F. Loux, Pratiques traditionnelles et pratiques modernes d’hygiène et de prévention de la maladie chez les mères et leurs enfants, Paris, 1976, Centre d’ethnologie française, CORDES.
315 Procès-verbal de la Police Judiciaire de Troyes : 4 juillet 1871, A.D., Aube, 2U 299.
316 A.D., Morbihan, U 5678.
317 Deux dossiers judiciaires sur le sujet en Morbihan et M. Leproux, op. cit.
318 Procès-verbal du juge d’instruction de Lille : 22 juin 1888, A.D., Nord, 2U 155/495.
319 Voir C. Géniaux pour la Bretagne ; M. Leproux pour la Charente ; C. Seignolle pour le Languedoc ; pour Bethmale, J. Pouiegh, Chansons populaires des Pyrénées françaises. Traditions. Mœurs. Usages, Paris, 1926, H. Champion, etc.
320 Poueigh, op. cit.
321 On appelle l’étui un « bue » en Languedoc (D. Fabre et J. Lacroix, op. cit.) ; une « servante », terme significatif, en Beauce et en Perche (F. Chapiseau, op. cit.). Dans la Loire, en Gironde, en Gâtine et dans le bocage vendéen (H. Gélin, op. cit.), il s’agit d’une « cabosse » en bois ou d’une « bourgne » en vannerie. Voir G. Coulon, Chroniques de Brenne, op. cit., sur la cache à cochon et le tonneau. Mais, depuis 1850, on n’accroche plus le bébé par les lisières de son maillot.
322 Procès-verbal de police de Troyes : 9 septembre 1893, A.D., Aube, 5U 254.
323 Trois systèmes, soigneusement décrits par les ethnologues, sont utilisés :
– le chariot de bois à roulettes : « selle » (Charente), « chariot » (Beauce), cône à roulettes normand, « charette » (Sologne), « tiens-toi-bien » (Bas-Dauphiné), le « trotte-bébé » à deux cercles, dont l’un, rembourré, permet d’appuyer les bras (Bretagne) ;
– la planche soutenant l’enfant et tournant autour d’un pivot ou d’une perche qui va du sol au plafond : « virouniou » en Limousin, Charente, Touraine ; « tourniol » en Basse-Normandie et Haute Bretagne ; « tourniquet » en Brenne et Sologne... ;
– la planche se déplaçant le long d’un châssis fixe et muni de deux glissières : le terme le plus utilisé est celui de « glissière » mais on dit « promeneuse » en Sologne et Champagne, « chaise roulante » en Sologne bourbonnaise etc.
Je renvoie, pour la bibliographie, aux ouvrages déjà cités dont sont tirés ces renseignements.
324 La vie quotidienne à Saint-Etienne, op. cit., p. 87.
325 Coutumes d’enfance en Forez, op. cit., p. 10.
326 Rapport du juge de paix de Romilly au Procureur : 31 octobre 1879, A.D., Aube, 9U 189.
327 Voir rapports des médecins-inspecteurs pour 1903 et 1905, A.D., Lot, 3X 13.
328 « Les erreurs de l’éducation familiale », Revue de l’enfance, février 1924.
329 Lettre du maire de La Ferté-Loupière à l’inspecteur de l’Assistance Publique : 22 juin 1921, A.D., Yonne, 3U3 382.
330 Voir outre F. Loux, déjà citée, La vie quotidienne à Saint-Etienne dans l’entre-deux-guerres, op. cit. et M. Leproux, Dévotions et saints guérisseurs, Paris, 1958, PUF.
331 « L’art d’élever son enfant », Pro Juventute, janvier 1926, cité dans La revue familiale de l’enfance, A.P., Fosseyeux, liasse 686.
332 Lettre du maire de Chevroches à ? : 15 novembre 1911, A.D., Nièvre, 3U2 391.
333 Questions et réponses des médecins-inspecteurs, 1905, A.D., Lot, 3X 13.
334 Voir P. Huart et R. Laplane, op. cit. Et un sur trois en 1935 : voir C. Rollet, op. cit., chapitre V.
335 Ouvriers des deux mondes, 1re série, t. 5.
336 1904. Ouvriers des deux mondes, 3e série, t. 2.
337 Lettre au commissaire de Versailles : 17 août 1935, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
338 Lettre du 30 janvier 1937, A.D., Seine-et-Oise, op. cit.
339 Orthographe respectée. Dossier médico-psychologique, 1939, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
340 Lettre au juge de Briançon : 10 décembre 1937, A.D., Hautes-Alpes, 3 UP 47.
341 A.D., Seine-et-Oise, 0437.
342 Ouvriers des deux mondes, 3e série, t. 2.
343 Procès-verbal de police mobile : 6 décembre 1934, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
344 Trois cas mentionnés dans les archives et trois cas de vacances chez les grands-parents.
345 Procès-verbal du juge d’instruction d’Issoire : 11 juillet 1935, A.D., Puy-de-Dôme, U 010912.
346 Jugement du tribunal civil de Châteauroux : 11 juillet 1935, A.D., Indre, tribunal correctionnel de Châteauroux, 1935.
347 Procès-verbal du juge de paix d’Amay-Ie-Duc (Côte d’Or) : 8 novembre 1874, A.D., Seine, D2 U8 33.
348 H. Jouan, Normandie et Provence, Cherbourg, 1874, imprimerie A. Mouchel, p. 15. L’auteur est capitaine de vaisseau.
349 Procès-verbal du juge d’instruction de la Seine : 29 septembre 1910, A.D., Seine, D2 U6 166.
350 Procès-verbal du juge de paix de l’Isle-d’Adam : 21 juillet 1909, A.D., Seine-et-Oise, Assises, 1910.
351 Procès-verbal du juge d’instruction de Rambouillet : 19 janvier 1910, A.D., Seine-et-Oise, Assises, liasse « mai-juin 1910 ».
352 Procès-verbal de gendarmerie de Pontvallain : 7 mai 1932, A.D., Sarthe, 2U 601.
353 J. Stoetzel, « Une étude du budget-temps de la femme mariée dans les agglomérations urbaines », Population, janvier-mars 1948.
354 Procès-verbal du juge d’instruction de Lyon : 24 avril 1933, A.D., Rhône, 3 UD 134.
355 Plainte au Procureur de Mons, s.d., A.D., Pas-de-Calais, tribunal correctionnel de Béthune, audience du 12 décembre 1930.
356 Procès-verbal du juge de paix de Bonnieux : 10 décembre 1890, A.D., Vaucluse, 2U 556.
357 De plus, le feu est éteint et le repas n’est pas prêt ! Procès-verbal du juge d’instruction de Lorient, avec interprète : 8 décembre 1870, A.D., Morbihan, U 5265.
358 Procès-verbal du juge de paix d’Herment : 16 janvier 1901, A.D., Puy-de-Dôme, U 010901.
359 Procès-verbal du juge d’instruction de la Seine : 2 août 1889, D2 U8 247.
360 Procès-verbal du juge de paix de Cadenet : 1er juillet 1872, A.D., Vaucluse, 2U 494.
361 Lettre au Procureur : 10 février 1937, A.D., Yonne, 3U2 216.
362 32 dossiers.
363 27 affaires.
364 17 dossiers.
365 8 cas.
366 Lettres des 15 novembre 1895 et 4 mars 1896, A.D., Nord, 2U 155/535.
367 Les fillettes mentionnées dans les citations sont toutes âgées de huit à dix ans.
368 Procès-verbal du juge d’instruction de Mugron : 28 juin 1872, A.D., Landes, 41U 59.
369 Procès-verbal du juge de paix de Saint-Germain-en-Laye : 28 août 1875, A.D., Seine-et-Oise, Assises, session des 12-20 novembre 1875.
370 L’enfant est également victime d’un attentat à la pudeur. Procès-verbal du juge d’instruction de Bourgoin : 1er octobre 1896, A.D., Isère, 4U 695.
371 Procès-verbal du juge d’instruction de Vendôme : 13 juillet 1905, A.D., Loir-et-Cher, 2U3 130.
372 Séance du comité de protection de l’enfance : 15 juillet 1903, A.D., Vaucluse, 3X 18.
373 A.D., Vaucluse, op. cit.
374 Procès-verbal du juge d’instruction de Toumon : 28 janvier 1886, A.D., Ardèche, 1U 541.
375 Procès-verbal du juge d’instruction de Vannes : 11 décembre 1925, A.D., Morbihan, U 5680.
376 Y. Knibiehler en cite plusieurs exemples dans Nous, les assistantes sociales, Paris, 1981, Aubier.
377 Procès-verbal du juge d’instruction de Saint-Etienne : 13 juillet 1871, A.D., Loire, Assises, 1er trimestre 1882. L’enfant a été victime d’unn attentat à la pudeur.
378 1880, A.D., Loire, 2e trimestre 1880.
379 Rapport... 1903, p. 77.
380 Séance du comité de protection de l’enfance : 24 mars 1887, A.D., Vaucluse, 3X 17.
381 Procès-verbal du juge de paix d’Herment : 18 décembre 1900, A.D., Puy-de-Dôme, U 010901.
382 Procès-verbal du juge d’instruction de Banon : 15 septembre 1890, A.D., Vaucluse, 2U 555.
383 M. Segalen souligne également cette dualité des intervenants dans Mari et femme dans la société paysanne, Paris, 1980, Flammarion.
384 Dr Bogros, A travers le Morvand, op. cit., p. 37.
385 Dr Legendre, op. cit., p. 52.
386 De 1870 à 1890, 14 des 21 mères appelant un docteur pour soigner leurs enfants sont ouvrières ou femmes d’ouvriers et, de 1891 à 1914, sept sur dix appartiennent à la classe ouvrière.
387 Procès-verbal du juge d’instruction d’Yvetot : 4 octobre 1872, A.D., Seine-Inférieure, U 2469 bis.
388 Procès-verbal de police de Saint-Etienne : 27 novembre 1882, A.D., Loire, 4e trimestre 1882.
389 1883, A.D., Nord, 2U 155/478.
390 Ouvriers des deux mondes, 2e série, t. 4. L’ouvrier adhère à une mutuelle.
391 Procès-verbal du juge de paix de Bonnieux : 10 décembre 1890, A.D., Vaucluse, 2U 556.
392 Lettre au Président de la République : 18 février 1936, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W. Dans six dossiers, toutefois, le placement des enfants en sanatorium ou préventorium est imposé de façon autoritaire par les offices d’hygiène sociale.
393 Procès-verbal du juge d’instruction de Pontivy : 27 septembre 1916, A.D., Morbihan, U 5534.
394 Procès-verbal de gendarmerie de Villeneuve-sur-Yonne : 6 août 1915, A.D., Yonne, 2U 274.
395 Les populations du Puy-de-Dôme, op. cit., p. 249.
396 Procès-verbal de police de Chatou : 7 février 1938, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
397 Rapport... 1903, p. 54.
398 Procès-verbal du juge d’instruction de Lyon : 8 avril 1933, A.D., Rhône, 3U0134.
399 Procès-verbal de gendarmerie de Sablé : 25 juin 1939, A.D., Sarthe, 18U 99.
400 Rapport de l’assistante sociale : 20 février 1936, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
401 Y. Knibiehler et C. Fouquet, Histoire des mères du Moyen-Age à nos jours, Paris, 1980, Montalba, et F. Thébaud, op. cit., p. 223.
402 Voir pour les années 1865-1874, l’étude très fouillée de C. Rollet désormais inégalable. Voir aussi Y. Knibiehler et C. Fouquet, Histoire des mères, op. cit.
403 Alors que 0,6 % seulement des thèses de médecine soutenues à Paris portaient sur le nourrissons en 1880-1889, le pourcentage s’élève à 28,1 % en 1890-1899 et 62,5 % en 1900-1909. Voir G. Jacquemet, Belleville au xixe siècle, Paris, 1984, E.H.E.S.S., p. 240.
404 A partir de 1882, la puériculture constitue une partie, mais une partie seulement, du programme d’enseignement ménager et d’enseignement de l’hygiène. Les décrets Bérard et Strauss des 9 mars et 9 juillet 1923 créent, à l’école primaire, un enseignement obligatoire de puériculture, avec visites de crèches, de consultations de nourrissons, etc., mais il se limite à une heure mensuelle au cours moyen ; de plus, l’épreuve obligatoire au certificat d’études tombe vite aux oublietttes. Quant aux lycées de jeunes filles, cet enseignement n’étant pas obligatoire, il est souvent négligé, voire supprimé.
405 La loi Roussel, votée en 1874, impose la déclaration obligatoire par les parents et la nourrice à la mairie, par la nourrice dès réception de l’enfant, en joignant un certificat de vie, par le maire ou le médecin inspecteur enfin. Elle instaure la visite mensuelle des nourrissons, munis d’un carnet de santé, par des médecins inspecteurs. Des commissions communales et départementales, mises en place à partir du réglement du 27 février 1877, chapeautées par le Conseil supérieur de la protection de l’enfance auprès du ministre de l’intérieur, exercent un contrôle administratif. Voir F. Faÿ-Sallois, Les nourrices à Paris au xixe siècle, Paris, 1980, Payot, et C. Rollet, op. cit..
406 Le néologisme est proposé en 1863 par le Dr Caron mais c’est le Dr Pinard qui le popularise. Ce dernier publie, en 1904, un ouvrage maintes fois réédité : La puériculture du premier âge, et assume lui même l’enseignement de cette discipline aux adolescentes.
407 Grâce à l’antisepsie, toutefois, une lutte fructueuse est engagée contre la fièvre puerpérale mais la médecine intra-utérine stagne bien que certains s’interrogent dès la fin du xixe siècle sur le rôle du travail dans la prématurité et les malformations. Voir C. Rollet, op. cit., chapitre V.
408 Rapport sur le service de la protection de l’enfance du premier âge pendant l’année 1901. En 1911, elle tombe à 52,5 pour mille, niveau atteint en 1946 seulement pour l’ensemble du territoire national (Rapport... 1911).
409 Rapport... 1907, p. 13.
410 Séance du comité départemental de protection de l’enfance : 29 mars 1888, A.D., Vaucluse, 3X 16. La remarque émane du médecin de Vaison. A cette date, la mortalité des enfants surveillés est de 76 % o contre 107,2 % o pour les enfants non surveillés.
411 Questionnaires de l’Assistance Publique et réponses des médecins pour les années 1903 et 1905, A.D., Lot, 3X 13.
412 La lutte contre le biberon à tube dure vingt ans. Mentionné pour la première fois en 1896, son recul n’est chiffré qu’à partir de 1903, date à laquelle le déclin s’accélère : on passe de 28 % d’utilisatrices à 11 % en 1905 et moins de 5 % en 1907.
413 Rapport... 1905, p. 53.
414 Rapport... 1903, p. 72.
415 L’allaitement reste vivace et le biberon à tube est moribond depuis 1896, soit dix ans avant la Seine-inférieure.
416 Rapport... 1907, p. 20.
417 Voir C. Rollet, op. cit., et P. Huard et R. Laplane, Histoire illustrée de la puériculture, op. cit. Le Dr Budin y est accoucheur et décide de suivre les enfants des patientes qu’il a accouchées ; en 1895, il ouvre une deuxième consultation à la Maternité et, en 1898, un troisième établissement à l’hôpital Tamier : cette dernière fondation, souvent la seule de ces trois créations à être citée, est fréquemment confondue avec les consultations de la Charité.
418 Ainsi, l’Yonne en possède 120, le Nord 81 en 1908-1909 et le Pas-de-Calais 71. En Seine-Inférieure, les consultations qui relèvent de l’initiative privée sont bien organisées, celle de Varengeville étant même partout citée en exemple, mais l’aide apportée par le Conseil général est, à la fois, tardive (1907) et maigre : 5 000 F. Voir C. Rollet, op. cit., chapitre VIII. A Paris, ont été créés, entre autres établissements, la Mutualité maternelle de Paris, fondée en 1892 par deux commerçants, appuyés par une société de secours mutuel et les syndicats et en 1912, à l’initiative du sénateur Paul Strauss, la fondation Budin.
419 Rapport de l’inspecteur de l’Assistance publique, 1909, A.D., Lot, 3X 13 et F. Thébaud, op. cit. Si bien qu’en 1931, le département n’en compte toujours que trois.
420 Voir F. Thébaud, op. cit.–, M. Dubesset et M. Zancarini-Foumel, Maternités Saint-Etienne (1848-1948), mémoire de D.E.-A., 1983.
421 Les premières officient avant 1914 mais la profession prend son essor seulement après la guerre. Sur le modèle anglo-saxon voir C. Rollet et sur leurs pratiques voir Y. Knibiehler, Nous, les assistantes sociales, op. cit.
422 Si bien que grâce à cette impulsion, les créations se multiplient : en 1925, la Meurthe-et-Moselle dispose, ainsi, de 90 consultations.
423 Surtout les Gouttes de lait de Nîmes et Alès.
424 Les associations privées l’emportent qui ont effectué 492 055 visites en 1932 contre 73 415 à l’hôpital, 53 222 pour les consultations municipales et 65 030 pour les consultations départementales. Voir F. Thébaud sur les associations fondatrices.
425 Les départements ruraux faiblement peuplés et à habitat dispersés sont particulièrement défavorisés. La Creuse ne possède qu’une consultation, à Aubusson (« Natalité. Enquête sur les causes qui déterminent la faiblesse et le déclin », A.D., Creuse, 6M 238). La Charente et la Mayenne en possèdent trois et les Hautes-Alpes aucune avant 1931.
426 Dr Budin, « La mortalité infantile dans les Bouches-du-Rhône », L’Obstétrique, juillet 1907.
427 Elle est fondée en 1906 et suit 147 mères et leurs enfants. La consultation des nourrissons au sein, brochure, 1907, A.P., Fosseyeux, liasse 680.
428 L. Spillman et J. Parisot, Guérir c’est bien, prévenir c’est mieux, Paris, 1925, Berger-Levrault.
429 Union maternelle du xixe, compte-rendu de l’Assemblée générale de 1909, A.P. Fosseyeux, liasse 686.
430 Dr Budin, op. cit., p. 35.
431 La mutualité maternelle de Paris, 1920, A.P. Fosseyeux, liasse 686.
432 Œuvre des nourrissons de Marseille, rapport del906, A.P., Fosseyeux, liasse 686.
433 Le Dr Belcontre à Rouen juge, cependant, cet exposé trop compliqué pour un public populaire et préconise plutôt, d’inscrire sur chaque page, « en gros caractère (...) une règle d’hygiène infantile » et, si possible, de l’illustrer (Rapport... 1903, p. 57)
434 La consultation des nourrissons au sein, op. cit.
435 L’Œuvre des dames assistantes de la Goutte de lait, 1917, A.P. Fosseyeux, liasse 686.
436 Dr Budin, op. cit.
437 Dr Budin, op. cit.
438 Dr Budin, 1907, op. cit., et lettre du maire d’Orpierre au préfet des Hautes-Alpes : 17 janvier 1883, A.D., Hautes-Alpes, 9X 23.
439 Rapport... 1907, p. 22.
440 Nous, les assistantes sociales, p. 156.
441 La consultation des nourrissons au sein, op. cit.
442 Rapport... 1899, p. 77. Sur ce thème, voir les débats autour du carnet de santé, C. Rollet, op. cit., chapitre VI.
443 Conservée dans le Vaucluse, A.D., 3X 53.
444 Lettre à l’inspecteur de l’Assistance Publique : 1er août 1922, A.D., Gard, 6X 924.
445 Lettre du 17 février 1927, A.D., Gard, 6X 924.
446 E Thébaud, op. cit., p. 522.
447 Qui crée un centre pour 8 000 nourrissons.
448 L. Spillmann et J. Parisot, op. cit., p. 3-4.
449 35 manuels ont été recensés. Voir la liste dans L. Boltansky, Prime éducation et morale de classe, Paris-La Haye, 1969, Mouton, ainsi que dans G. Delaisi de Parseval et S. Lallemand, L’art d’accommoder les bébés, op. cit. Parmi les périodiques, citons : La mère et l’enfant (1891-1906), La femme et l’enfant, édité par l’Alliance nationale pour la repopulation et rebaptisé Le journal de la famille.
450 Pour plus de précision, voir F. Thébaud et L. Boltansky, op. cit.
451 Dr Variot, La puériculture et la guerre, conférences de 1915 à 1918, A.P., Fosseyeux, liasse 686. Le Dr Didier est partisan du catéchisme (Rapport... Seine-Inférieure pour l’année 1902, p. 47).
452 Nous les assistantes sociales, op. cit., p. 149.
453 Voir F. Thébaud, op. cit.
454 Rapport... 1902, p. 70.
455 Y. Verdier, Façons de dire, façons de faire, Paris, 1979, Gallimard.
456 L. Bemot et R. Blancart, op. cit., p. 112.
457 Et ce malgré les erreurs également commises. J. Léonard, « Femme, religion et médecine. Les religieuses qui soignent en France au xixe siècle », Annales E.S.C., septembre-octobre 1977.
458 G. Delaisi de Parseval et S. Lallemand, L’art d’accommoder les bébés, op. cit., p. 237.
459 C. Rollet a fait justice du préjugé, entretenu par les médecins, sur la supériorité des taux français. En fait, la France occupe une position médiane en Europe (op. cit., chapitre IX).
460 Nous sommes à un taux de 8 % o aujourd’hui. Voir sous la direction de J. Dupâquier, Histoire de la population française, t. 3 et 4, Paris, 1988 et 1989, PUF.
461 Voir J. Faÿ-Sallois, op. cit.
462 En 1898-1899, la mortalité infantile oscille entre 283 % o et 289 % o pour les enfants de mères au foyer ; elle monte jusqu’à 381-401 % o pour les enfants d’ouvrières. Voir A. Lesaege-Dugied, « La mortalité infantile dans le département du Nord de 1871 à 1914 », L’homme, la vie, la mort, Lille, 1973, P.U. de Lille. Dans les Cévennes, de même, le développement de l’industrie textile, utilisant une nombreuse main-d’œuvre féminine, est corrélé avec un triplement de la mortalité infantile entre 1890 et 1900 (selon P. Joutard, Les Cévennes, de la montagne à l’homme, Toulouse, 1981, Privat).
463 Nous disposons de 105 dossiers sur le sujet.
464 Réquisitoire : octobre 1873, A.D., Seine, D2 U6 21.
465 Procès-verbal de gendarmerie d’Orbec (Calvados) : 2 juillet 1876, A.D., Nord, 2U 155/438.
466 Réquisitoire : 16 avril 1872, A.D., Seine-Inférieure, U 2302.
467 La mère, faute de lait, n’a pu nourrir l’enfant. Procès-verbal de gendarmerie de Dommange-aux-Eaux : 10 février 1899, A.D., Meuse, 11U 17.
468 Procès-verbal de gendarmerie d’Arles : 13 octobre 1919, A.D., Bouches-du-Rhône, 208 U 22/108.
469 Lettre du maire au Procureur : 9 décembre 1923, A.D., Loir-et-Cher, 2U3 150.
470 Procès-verbal de police de Vannes : 10 février 1926, A.D., Morbihan, U 5680.
471 Procès-verbal du juge d’instruction de Charleville : 9 octobre 1920, A.D., Ardennes, 4U 315/1. De fait, le certificat de décès montre que le dernier enfant est emporté par une broncho-pneumonie non détectée à temps et fatale sur un organisme affaibli par une alimentation inadéquate.
472 Lettre au Procureur, s.d., 1884, A.D., Seine-et-Oise, 0438.
473 Assistance éducative et service social, février 1934, A.D., Rhône, 3U 1204.
474 H. Roger, Le Finistère, op. cit., p. 48.
475 Voir P. Ariès, Histoire des populations françaises, Paris, 1973, Ed. du Seuil, et J.-L. Flandrin, « L’attitude à l’égard de l’enfant et les conduites sexuelles dans la civilisation occidentale », Annales de démographie historique, n° spécial, Enfant et société, 1973. En Alsace, A. Wahl souligne que les familles catholiques dont la natalité est plus forte que chez les protestants, ont également une mortalité infantile plus élevée (Confessions et comportements dans les campagnes d’Alsace et de Bade [1871-1939], Metz, 1980, C.O.P.R.U.R.).
476 H. Roger, op. cit., p. 49.
477 « Natalité. Enquête sur les causes qui déterminent la faiblesse et le déclin », « commentaire sur le questionnaire modèle A, inspecteur de l’Assistance Publique », A.D., Creuse, 6M 238.
478 Procès-verbal de gendarmerie de Lalbenque : 29 septembre 1934, A.D., Lot, tribunal correctionnel de Cahors, liasse 358.
479 Séance du comité de protection de l’enfance : 21 juillet 1904, A.D., Vaucluse, 3X 18.
480 Rapport... 1896, p. 85.
481 La puériculture et la guerre, conférences du Dr Variot de 1915 à 1918, A.P. Fosseyeux, liasse 686.
482 20 dossiers attestent pour la seule Seine-et-Oise cette hostilité au concubinage.
483 Dossier familial n° 626, 1938, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
484 Procès-verbal de police de Poissy : 1er octobre 1938, A.D., Seine-et-Oise, op. cit.
485 Rapport de l’assistante de P.M.I. : 21 février 1938, A.D., Seine-et-Oise, op. cit.
486 Le Lyon républicain a publié deux articles les 15 et 17 avril 1937, intitulés : « Le kidnapping légal. A la Guillotière, sept enfants sont enlevés à leurs parents. Mais les habitants du quartier protestent » et « Le “kidnapping11 légal. Quel a été le rôle de la visiteuse ? ». Les passage cités sont tirés du second de ces articles ainsi que du rapport du Procureur au Procureur général près la Cour d’Appel de Lyon : 16 avril 1937, A.D., Rhône, 3U 94, « Correspondance générale (Ain, Loire, Rhône). Inspection du travail des enfants. Déchéances de puissance paternelle ».
487 L’Aide maternelle, 1906, A.P., Fosseyeux, liasse 686.
488 L’Œuvre des nourrissons de Marseille, 1908, A.P., Fosseyeux, liasse 686.
489 Procès-verbaux de police du Cateau-Cambrésis : 19 août et 27 octobre 1939, A.D., Nord, 3U2 428.
490 Procès-verbal de gendarmerie d’Allaire : 16 novembre 1925 et procès-verbaux du juge d’instruction de Vannes : 16 février 1926 et 11 décembre 1925, A.D., Morbihan, U 5680.
491 Note à compléter
492 Procès-verbaux de gendarmerie de Gaillon : 28 octobre 1936 et 15 février 1937, A.D., Yonne, 3U2 216.
493 Enquête sociale n° 1161, 1939, A.D., Seine-et-Oise, 1161 W.
494 Procès-verbal du juge d’instruction de Charleville : 25 novembre 1920, A.D., Ardennes, 4U 315/1.
495 Les dossiers retrouvés concernent pour 88 % des cas le xxe siècle et pour 73 % l’entre-deux-guerres. 7 % seulement sont poursuivies pour sévices.
496 38,3 % sont ouvriers, 19 % des pères sont au chômage, 18,2 % journaliers agricoles.
497 45,5 % sont des ménagères, 12,3 % sont femmes de ménage ou bonnes, 7,1 % journalières agricoles et 16,9 % ouvrières.
498 53,2 % de ces couples ont plus de deux enfants et 30 % plus de trois, ce qui les situent légèrement au dessus des couples mariés en premières noces mais, surtout, un ménage sur trois compte, en plus, un enfant illégitime au moins.
499 Lettre au Procureur : 13 décembre 1926, A.D., Drôme, UF 104. Seul détail, le couple est alcoolique et violent !
500 Les premières enquêtes après 1945 montrent qu’en ville, une mère consacre 1,7 heure par jour à un enfant et 3,2 à trois enfants, soit moins que les 5 heures de tâches ménagères (voir J. Stoetzel, op. cit.). A la campagne, en 1958, le temps consacré est plus faible : de 12 à 19 heures par semaine selon qu’il y a un ou trois enfants. C’est l’enfant en bas âge qui est le plus gourmand en temps avec 2,5 heures par jour, prises à la fois sur le travail (une heure) et sur les repas et le sommeil (1,5 heure). Voir A. Girard, « Le budget-temps des femmes mariées à la campagne », Population, avril-juin 1959.
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