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Les immortels du Sénat, 1875-1918

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Alain Corbin
, 
Jean-Marie Mayeur

Les cent seize inamovibles de la Troisième République

Saisy de Kérampuil Hervé René Marie Elzéar vicomte de 1833-1904

Claude Geslin

Texte intégral

1Le vicomte Hervé de Saisy de Kérampuil est né au château de Kersaint-Eloy en Glomel (Côtes-du-Nord) le 5 avril 1833. Il appartient à une famille originaire du Nivernais, mais établie en Bretagne à l’occasion d’expéditions militaires au XIVème siècle. Les Saisy seraient devenus seigneurs de Kérampuil par un mariage avec l’héritière de cette maison, mais ce n’est pas formellement établi. Parmi les ancêtres figure Alain de Saisy, compagnon d’armes du connétable du Guesclin. Au XVème siècle la famille n’avait gardé que le nom de Kérampuil, celui de Saisy n’étant réapparu que plus tard. C’est d’ailleurs sous le premier nom qu’elle a comparu aux réformations et montres de l’Évêché de Cornouaille de 1481 à 1562. Elle fut, sous ce même nom, maintenue noble d’ancienne extraction le 31 janvier 1669 par arrêt de la chambre de réformation, puis sous le nom de Saisy par arrêt du Parlement de Bretagne du 28 février 1778 qui la déclare noble d’ancienne extraction de chevalerie. La devise de la maison de Saisy de Kérampuil, admise aux honneurs de la cour en 1789, est : "Qui est Saisy est fort." C’est d’ailleurs la force physique qui émane en premier lieu d’Hervé de Saisy, géant de 2 mètres 04, capable de charger seul une barrique de cidre sur une charrette.

2 C’est vers la carrière des armes qu’il s’oriente tout d’abord, comme son père le comte Emmanuel de Saisy, qui était chef de bataillon dans l’armée royale en 1815 et qui fut arrêté comme légitimiste en 1831. Il participe à la campagne d’Italie sous l’Empire, mais démissionne en 1860 ; il est alors sous-lieutenant. Il sert ensuite sous les ordres de son frère Paul, un des quatre commandants de zouaves pontificaux à Rome de 1860 à 1870, et se retrouve aux côtés de Xavier de Saisy, membre de la branche aînée de la famille qui après avoir participé à la campagne de 1870 va mourir la même année à Libourne à 27 ans des suites de la guerre. Un autre Saisy, Charles, rejoindra les zouaves pontificaux en 1867. Il revint en France en 1870 à la chute de Rome pour prendre part aux combats contre les Allemands et y trouver lui aussi la mort, à 24 ans, à la suite du combat de Brou le 25 novembre 1870. Le 20 septembre 1860, Hervé de Saisy épouse à Rome Faustina Ténérani, fille de Piétro Ténérani, sculpteur, directeur général des Palais et Musées de Rome et ancien sénateur romain, qui lui donne une fille, Alix, née à Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord) le 8 janvier 1866. Son action dans les États Pontificaux lui vaudra d’être fait officier de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand. De retour d’Italie, il fait la campagne du Mexique et se retire avec le grade de capitaine. Il aurait servi dans la Légion étrangère et séjourné aussi plusieurs années à Sidi-Bel-Abbès. Pendant le siège de Paris, il assure un temps la protection de Trochu à la tête du bataillon de mobiles de Loudéac (Côtes-du-Nord).

3Le 8 février 1871, Hervé de Saisy est élu représentant des Côtes-du-Nord à l’Assemblée nationale, le 4ème sur 13, par 79 301 voix sur 106 398 votants (163 398 inscrits). Il est fait, la même année, chevalier de la Légion d’honneur et devient conseiller général du canton de Maël-Carhaix. Non réélu à Maël-Carhaix en 1880, il reviendra cependant au conseil général des Côtes-du-Nord pour le canton de Rostrenen. A l’Assemblée nationale il siège tout naturellement à droite, et appartient à la réunion des chevau-légers, mais garde une attitude indépendante. Il se fait d’ailleurs remarquer par ses nombreuses propositions – en général repoussées – sur la réforme administrative ou le budget, qui souvent surprennent ses amis politiques par leur libéralisme et donnent lieu à de vives polémiques. Il demande ainsi en 1871 l’aliénation des joyaux et du mobilier de la couronne, des parcs et des châteaux de Meudon et de Saint-Cloud au profit des victimes de la guerre, propose pour le même motif la réduction de l’indemnité des représentants et des traitements des préfets ainsi que la suppression des sous-préfets, des trésoriers généraux, des recettes particulières, mais aussi la mise au concours des fonctions de conseiller de préfecture. Il vote contre la paix en décembre 1871, il propose, en vain, de consulter solennellement le pays sur la forme de gouvernement qu’il souhaite : République ou Monarchie. Comme les légitimistes, il vote contre le septennat, contre le ministère Broglie en 1874. Il se prononce pour l’abrogation des lois d’exil, la pétition des évêques, le service de trois ans, la chute de Thiers. Il se rallie aux lois constitutionnelles. En janvier 1875, il s’élève contre la trop grande distribution de croix effectuée par le cabinet Cissey démissionnaire et demande, sans obtenir satisfaction, que les nominations soient soumises à la confirmation par le gouvernement suivant.

4Porté sur la liste de gauche, il est élu sénateur inamovible par l’Assemblée nationale au 6ème tour de scrutin le 15 décembre 1875, le 46ème sur 75, par 349 voix sur 676 votants. Au Sénat, s’il se situe malgré tout dans la majorité monarchique, il continue à affirmer son indépendance et est ainsi le seul de son groupe à refuser de voter, le 23 juin 1877, la dissolution de la Chambre demandée par le ministère Broglie. Il demande le rétablissement du scrutin de liste, dépose un amendement – non retenu – en juin 1881 lors de la discussion de la loi sur l’enseignement primaire qu’il souhaiterait "facultative pour les communes". Il s’abstient sur le rétablissement du scrutin d’arrondissement en février 1889, se prononce contre le projet de loi Lisbonne restreignant la liberté de la presse, contre la procédure de la Haute Cour envisagée à l’encontre du général Boulanger. Il avait pourtant servi de témoin, avec le comte Espivent de La Villeboisnet, à Lareinty dans le duel qui avait opposé celui-ci à Boulanger, alors ministre de la Guerre, le 17 juillet 1886. En 1891, il dépose une proposition de loi visant à créer un contingent annuel de croix de la Légion d’honneur et de médailles militaires en faveur de la réserve d’infanterie de Marine. Il vote aussi contre le projet de loi sur l’exercice de la médecine et pour l’assistance médicale gratuite, contre l’acquisition par l’État de l’école Monge en 1891 et du collège Sainte-Barbe en 1897. En 1896, il avait déposé un projet de loi pour la suppression de l’esclavage à Madagascar. Dans ce domaine déjà, il s’était manifesté en 1873 en proposant à l’Assemblée nationale de voter des félicitations au peuple espagnol pour avoir entrepris d’abolir l’esclavage dans ses colonies. Son discours sur les colonies a toutefois évolué dans le temps. Tout d’abord sceptique quant à leur utilité, il déclarait en 1882 à propos du chemin de fer du Soudan qu’il fallait faire passer l’agriculture française avant le Fouta-Djalon et, en 1891, il rejoignait Pauliat dans les interpellations sur l’Algérie. Mais en 1899, il n’en déplorait pas moins le recul de la France sur le Niger à la suite des conventions de 1898 et 1899 avec l’Angleterre. Il souhaitait une plus grande participation des colonies aux dépenses de l’État, ne leur trouvant au fond comme justification que la seule rentabilité économique. Participant activement à tous les débats budgétaires, Hervé de Saisy intervenait aussi sur les sujets les plus divers : baux ruraux, impôts fonciers, droits de douane, invasion des sauterelles en Algérie.

5Son esprit d’indépendance si caractéristique qui le faisait siéger au Sénat au milieu, seul derrière le président, devait être rappelé dans le discours prononcé lors de ses obsèques : "Cet homme ne respirait à l’aise qu’au grand air de la liberté". Hervé de Saisy est mort dans son château de Kersaint-Eloy à Glomel le 2 septembre 1904. Il avait un frère aîné célibataire décédé en 1889. Son autre frère, le comte Paul de Saisy, après plusieurs tentatives malheureuses à la députation dans le Finistère lors des élections complémentaires de juillet 1871, en octobre 1877 et en août 1881, fut finalement élu en 1885 dans ce même département sur la liste conservatrice et siégea à droite à l’Assemblée nationale jusqu’en 1889, il ne se représenta pas à cette date. Hervé de Saisy avait par ailleurs deux sœurs devenues comtesse du Laz et comtesse de Champagny.

Bibliographie

Bibliographie :

La Dépêche de Brest, 4 sept. 1904 ; Dictionnaire biographique illustré des Côtes-du-Nord, Jouve, 1912, p. 640-641 ; Dictionnaire biographique du Finistère, Jouve, 1911, p. 637-642 ; H. Frotier de la Messeliere, Filiations bretonnes 1650-1912, Saint-Brieuc, R. Prudhomme, 1912-1913, t. 5, p. 97-98 ; R. Kerviler, Répertoire général de bio-bibliographie bretonne, Rennes, J. Plihon et L. Hervé, t. 11, p. 464-466 ; Jean Pascal, Les députés bretons de 1789 à 1983, Paris, PUF., 1983, p. 278 et 290-295.

Renseignements fournis par M de Saisy comte de Kérampuil, chef de famille, en juin 1993.

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