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Les immortels du Sénat, 1875-1918

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Alain Corbin
, 
Jean-Marie Mayeur

Les cent seize inamovibles de la Troisième République

Luro Bertrand Victor Onésime 1823-1903

Gilles Le Béguec

Texte intégral

1Bertrand Victor Onésime Luro est né, le 17 octobre 1823, à Villecomtal-sur-Arros (Gers) dans une famille de notables ruraux. Son père Frix Luro, exerçait la profession de notaire ; il était également maire de la petite commune.

2Après des études secondaires au collège d’Auch, Victor Luro suivit les cours de l’École de droit à Paris. A la sortie de l’Université, il choisit le métier d’avocat et prit son inscription au barreau de Paris en 1845. Cinq ans plus tard, en novembre 1850, il acquit la charge d’avocat au Conseil d’État et à la cour de cassation – la "huitième charge" – occupée précédemment par Jacques Pascalis. Victor Luro fut "avocat aux conseils" jusqu’au début de l’année 1858.

3Au lendemain de la révolution de février 1848, le jeune avocat se prononça d’enthousiasme en faveur du suffrage universel et de la République. Il participa ainsi, à la veille des élections à l’Assemblée constituante, à la création d’un "Comité républicain" des enfants du Gers installés dans la capitale. Désigné comme vice-président du comité, Victor Luro épaulait son confrère et compatriote, le talentueux Anselme Batbie (1828-1887), futur auditeur au Conseil d’État, futur professeur de droit administratif et futur représentant du Gers dans l’Assemblée nationale élue en 1871 ; l’entreprise, qui n’eut d’ailleurs pas de prolongements immédiats, donnait également le coup d’envoi à une collaboration politique de près d’un quart de siècle, jusqu’à la rupture survenue, en 1874-1875, à propos des travaux constitutionnels et de l’établissement définitif de la République. Lors des élections à l’Assemblée législative de 1849, Victor Luro fut candidat dans le Gers, indépendamment des grandes listes constituées. Il obtint un simple succès d’estime.

4Attaché tout à la fois à la cause de l’ordre et à la sauvegarde des libertés fondamentales, Victor Luro se cantonna dans une attitude de réserve à l’égard du régime né du coup d’État du 2 décembre. Demeuré d’abord à l’écart des luttes politiques, il acquit cependant de sérieux titres à la reconnaissance de l’opposition en acceptant de prendre en charge, ès qualité d’avocat à la cour de cassation, les pourvois des individus condamnés devant les Conseils de guerre. En 1866 – soit huit ans après la vente de sa charge –, il quitta Paris, s’installa à Pau, prit une inscription au barreau de la ville (sans beaucoup se préoccuper de plaider) et décida de se consacrer aux affaires publiques. Une première étape est franchie, en cette même année 1866, avec la conquête d’un siège de conseiller général du Gers (canton de Miélan, dans lequel se trouve la commune de Villecomtal). Libéral modéré, l’ancien vice-président du Comité républicain de 1848 entretient des relations parfois difficiles avec ses alliés de l’opposition conservatrice. La méfiance de ceux-ci – celle de la rédaction de l’influent journal Le Conservateur tout spécialement – explique pour partie l’échec subi lors du renouvellement de juin 1870. Mais il est vrai que Luro était également accusé de négliger quelque peu le pays gascon ; un deuxième échec, à l’automne 1871, toujours dans le canton de Miélan, met d’ailleurs en évidence les défauts de son implantation.

5En dépit des polémiques de juin 1870, Victor Luro est choisi – lors d’une réunion tenue à Auch, le 4 février 1871 – pour figurer sur la liste de coalition conservatrice et libérale conduite par Anselme Batbie et patronnée par Le Conservateur. Quelques jours plus tard, il est élu représentant à l’Assemblée nationale, quatrième sur six, avec l’ensemble de ses colistiers. Au sein de l’Assemblée, il prend d’abord place au Centre droit, comme son ami Batbie, se spécialise dans les questions touchant à l’organisation judiciaire et vote avec la majorité. A compter du milieu de l’année 1874, Victor Luro s’éloigne toutefois peu à peu du Centre droit et prépare son ralliement à la cause de la République conservatrice. Membre de la réunion Lavergne – futur Centre constitutionnel – dès l’automne 1874, il intervient à plusieurs reprises, en particulier au cours de la discussion du 2 février 1875, pour presser ses collègues de "fonder un mouvement qui… puisse refaire la France". Le temps fort de son action se situe lors de la journée du 18 mai 1875, quand il met en cause, en termes très sévères, l’inertie de la commission des Trente – toujours présidée par son ex-ami Batbie – et ouvre le débat qui finira par contraindre les commissaires à se retirer. Ce coup d’éclat lui vaut d’être choisi comme membre de la nouvelle, et dernière, commission des Trente, avec quatre de ses amis du Centre constitutionnel (dont Léonce de Lavergne lui-même, porté à la présidence de la commission). Le représentant du Gers est maintenant en possession des titres qui vont lui permettre de briguer un fauteuil de sénateur inamovible.

6Le 13 décembre 1875 en effet, Victor Luro est élu sénateur inamovible grâce au soutien de l’ensemble des groupes de gauche. Rallié désormais sans réserve à la République, l’ancien membre du Centre droit alla siéger sur les bancs du Centre gauche, combattit la politique du ministère Broglie-Fourtou (au point d’être révoqué, à la fin de l’année 1877, de ses fonctions de maire de Villecomtal) et vota généralement avec les républicains modérés. Sur le plan départemental, Victor Luro chercha, dans un premier temps tout au moins, à consolider les bases d’une influence qui avait toujours été un peu fragile : l’année 1876 vit ainsi son retour au conseil général du Gers (grâce à la reconquête, au mois de février, du siège de Miélan, siège conservé jusqu’en 1883) et son accession à la tête de la municipalité de Villecomtal (il fut maire de sa commune natale du 5 mars 1876 au 21 novembre 1877 et du 21 janvier 1878 au 4 février 1887). Au Sénat, il s’occupa surtout des questions agricoles et renonça très vite à jouer un rôle politique actif. Inscrit le plus souvent au Centre gauche, il semble avoir tenu à manifester une certaine indépendance, fréquentant aussi – en particulier à la fin de sa carrière – les réunions de la Gauche républicaine.

7Victor Luro est mort à Villecomtal, le 1er septembre 1903, tout à fait oublié des milieux politiques parisiens. Il a laissé deux ouvrages : un opuscule de jeunesse intitulé Du Travail et de l’organisation des industries dans la liberté (1848) et une "étude historique et littéraire" consacrée à Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre et la Renaissance (1866).

Bibliographie

Sources et bibliographie :

Registre des délibérations du conseil municipal de Villecomtal-sur-Arros ; Archives de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la cour de cassation ; Annuaire du Gers ; L’Avenir républicain ; Le Conservateur du Gers ; L’Estafette ; Louis Blanc, Histoire de la constitution du 25 février 1875, Paris, G. Charpentier, 1882, np. ; J. Dagnan, Le Gers sous la seconde République, Auch, thèse Lettres, 1928.

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