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Les immortels du Sénat, 1875-1918

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Alain Corbin
, 
Jean-Marie Mayeur

Les cent seize inamovibles de la Troisième République

Humbert Gustave Amédée 1822-1894

Jean-Pierre Machelon

Texte intégral

1 Gustave Amédée Humbert naquit à Metz le 28 juin 1822 au foyer de Louis Nicolas Humbert, négociant en vins, ancien volontaire de 1792, et de Jeanne Toussaint. L’aîné de ses trois frères, Louis Amédée (1814-1876), pourrait lui avoir donné l’exemple d’un attachement quelque peu jacobin à la République. Adjoint au maire de Metz, il refusa de prêter serment à l’Empire, en 1852 ; et, en 1871, après le vote des préliminaires de paix, il démissionna de l’Assemblée nationale, où il représentait la Moselle.

2Gustave Humbert fit ses humanités au lycée de Metz et son droit à Paris. Il y obtint, en 1845, le premier prix de doctorat pour une thèse, soutenue l’année précédente, sur les Conséquences des condamnations pénales relativement à la capacité des personnes en droit romain et en droit français ; il en tira ultérieurement un gros volume, avec un Commentaire de la loi portant abolition de la mort civile (1855). La voie du jeune lorrain, désormais répétiteur de droit, semblait tracée. Mais la révolution de 1848 lui donna, pour un temps, un autre cours : connu pour ses opinions républicaines, Humbert fut nommé sous-préfet de Thionville par le gouvernement provisoire et resta à ce poste jusqu’à sa destitution par Louis-Napoléon Bonaparte, le 20 février 1851. Il retourna alors à ses études. Non sans succès. Couronné par l’Institut de France en 1857 pour un mémoire sur les Régimes nuptiaux, il fut institué agrégé des Facultés de droit au concours de 1859 ; à ce titre, il enseigna à Toulouse, puis à Grenoble, avant d’être nommé, en 1861, professeur titulaire de la chaire de droit romain à la Faculté de Toulouse. Il devint par ailleurs, en 1864, secrétaire général de l’Académie de législation de Toulouse.

3Comme romaniste, Humbert laissa d’estimables travaux d’érudition. Outre divers articles dans la Revue historique de droit français et étranger et dans le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio, il prépara l’édition française du Manuel des antiquités romaines de Mommsen (1892-1907) et publia, en 1886, un Essai sur les finances et la comptabilité publique chez les Romains.

4C’est tout naturellement en Haute-Garonne qu’à la chute de l’Empire il trouva ses racines politiques. Confortablement élu à l’Assemblée nationale le 8 février 1871 (avec les deux tiers des suffrages exprimés), il prit place, auprès de Grévy et de Ferry, dans les rangs de la Gauche républicaine ; il en fut d’ailleurs vice-président. Réserve faite du scrutin sur la paix (1er mars 1871) – à laquelle il s’opposa, comme la plupart des républicains de l’Est –, il suivit la minorité républicaine. Et il la précéda parfois. Non seulement il se prononça contre l’abrogation des lois d’exil (8 juin 1871) et contre le pouvoir constituant de l’Assemblée (30 août 1871), mais il déposa (en décembre 1871) une proposition de loi tendant au retour des pouvoirs publics à Paris. Plus tard, il soutint Thiers et combattit Broglie. Le moment venu, il vota pour l’amendement Wallon, ainsi que pour les lois constitutionnelles. Juriste écouté, Humbert participa activement aux travaux parlementaires. Ses interventions les plus remarquées portèrent sur la condition des déportés en Nouvelle-Calédonie, la propriété en Algérie et la loi électorale ; on doit aussi noter qu’il présida la commission chargée d’examiner le projet relatif à la réforme judiciaire en Égypte.

5Élu sénateur inamovible sur la liste des gauches, le 11 décembre 1875, Humbert ne dévia pas de sa ligne politique antérieure. Hostile au Seize Mai, il se prononça contre la dissolution de la Chambre le 23 juin 1877. Après le succès républicain de l’automne, il apporta son soutien actif au cabinet formé par Dufaure ; puis il appuya les gouvernements opportunistes. Franc-maçon convaincu (il avait été reçu le 28 septembre 1876 à la Loge encyclopédique de Toulouse), il ne manqua pas de voter l’article 7 du projet Ferry (rejeté par le Sénat le 15 mars 1880), qui privait de la liberté d’enseigner les membres des congrégations non autorisées. Le 29 décembre 1877, il avait été appelé aux fonctions de procureur général près la Cour des comptes, alors cumulables avec un mandat parlementaire ; il les quitta le 28 octobre 1880.

6Durant un semestre, Gustave Humbert connut ensuite les responsabilités gouvernementales. Il fut ministre de la Justice et des Cultes dans le deuxième gouvernement Freycinet (30 janvier-29 juillet 1882), avec pour tâche prioritaire de faire sortir de l’impasse où il se trouvait le difficile dossier de la réforme judiciaire. La difficulté était d’ordre politique. Tous les républicains s’accordaient, au début des années 1880, sur la nécessité d’une vigoureuse épuration de la magistrature. Mais les radicaux exigeaient en outre l’abolition définitive du principe “monarchique” de l’inamovibilité et l’élection des juges au suffrage universel, alors que les opportunistes, soucieux en républicains de gouvernement de maintenir les juges dans le giron de l’exécutif, n’envisageaient que la suspension de l’inamovibilité durant le temps nécessaire à l’épuration. Un premier projet venait de se heurter à l’intransigeance de la commission sénatoriale, hostile à toute “loi de représailles” (René Bérenger). Arrivant à la Chancellerie, Humbert en déposa un autre, prudemment réformiste (le 16 février 1882). Son texte supprimait les cours et les tribunaux les moins occupés ; il réduisait le nombre des magistrats, simplifiait leur avancement et augmentait leurs traitements ; il renforçait aussi le pouvoir disciplinaire du garde des Sceaux, et surtout suspendait pour trois mois l’inamovibilité des juges, sans pour autant mettre en cause le principe. La magistrature, expliquait le nouveau ministre, devait être à la fois “indépendante” et “sympathique à l’esprit des institutions”.

7L’ambiguïté du projet lui fut fatale. Le 10 juin 1882, en séance publique, les radicaux, sous couleur d’éviter l’arbitraire gouvernemental, parvinrent – avec l’aide de la droite, désireuse avant tout de retarder l’épuration – à imposer le principe de l’élection des juges. Leur victoire se révéla éphémère, mais, pour Humbert, l’échec était patent. Il en fut, dit-on, très affecté et offrit (en vain) sa démission.

8Revenu au Sénat après la chute du cabinet, il n’en poursuivit pas moins une brillante carrière. Il fut, presque aussitôt, porté par ses pairs à la vice-présidence de la Chambre Haute, et occupa cette fonction pendant plus de sept ans, jusqu’à sa nomination, le 15 février 1890, en qualité de premier président de la Cour des comptes. L’année précédente, il avait été élu vice-président de la Haute Cour de justice. Ses votes (pour le divorce, pour les crédits de l’expédition militaire du Tonkin, pour le rétablissement du scrutin d’arrondissement) se situèrent dans la logique de ses engagements antérieurs. Et jusqu’à sa mort, qui survint le 24 septembre 1894 à Beauzelle (Haute-Garonne), il se signala par des interventions remarquées en matière juridique et administrative. Dans son dernier discours, prononcé le 2 mars 1894, il appuya un projet (finalement voté par le Sénat, mais qui restera sans suite) prévoyant la reconstruction du palais d’Orsay, incendié sous la Commune, et sa réaffectation aux services de la Cour des comptes.

9Gustave Humbert avait été fait chevalier de la Légion d’honneur le 18 janvier 1879 et promu officier le 12 juillet 1880.

10Sa haute position servit longtemps de paravent aux agissements délictueux de sa famille. Le 8 août 1903, son fils Frédéric, avocat, qui avait été son chef de cabinet au ministère, puis député de Seine-et-Marne (de 1885 à 1889), fut reconnu coupable de faux, d’usage de faux et d’escroquerie, et condamné à cinq années de réclusion criminelle par la cour d’assises de la Seine, en même temps que sa femme Thérèse (née Daurignac). Pendant vingt ans, avec l’aide de son mari et de ses frères, celle-ci était parvenue à faire croire, décisions de justice à l’appui ( !), à la réalité d’une fortune imaginaire de cent millions de francs-or dont elle se prétendait l’héritière, réalisant aux dépens de ses créanciers “la plus grande escroquerie du siècle” (Waldeck-Rousseau). Compromis dans la même affaire, Émile Daurignac (“d’Aurignac”), époux d’Alice Humbert, la fille du sénateur, était, pour sa part, condamné à deux années d’emprisonnement.

Bibliographie

Bibliographie

N. Quépat, Dictionnaire biographique de l’ancien département de la Moselle, Paris, A. Picard, 1887 ; adde, sur G. Humbert garde des Sceaux, J.-P. Machelon, “L’épuration républicaine. La loi du 30 août 1883”, L’épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération : 150 ans d’histoire judiciaire, Paris, éd. Loysel, 1994, p. 85- 99 ; adde, sur “l’affaire Humbert”, P. Guimart, “Thérèse Humbert, l’héritière aux cent millions (Quel bonheur d’avoir un beau-père !)”, G. Guilleminault, Le roman vrai de la IIIe et de la IVe République (1870-1958), 1ère partie, 1870-1918, Paris, Robert Laffont, “Bouquins”, 1991, p. 459-478.

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