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Les immortels du Sénat, 1875-1918

 | 
Alain Corbin
, 
Jean-Marie Mayeur

Les cent seize inamovibles de la Troisième République

Deschanel Émile Auguste Etienne 1819-1904

Jean-Marie Mayeur

Texte intégral

1Deschanel naquit le 19 novembre 1819 à Paris. Il est le fils naturel de Marie Palmyre Deschanel, fille d’un écrivain public, petite-fille d’un limonadier. Le père de l’enfant aurait été un avocat à la cour de cassation qui lui permit de suivre des études secondaires au collège Sainte-Barbe et au lycée Louis-le-Grand. Treize fois lauréat du concours général, il est reçu à l’École normale en 1839. Après un an d’enseignement à Bourges, il est nommé à Paris tour à tour aux lycées Charlemagne, Bourbon et Louis-le-Grand. Il est en même temps maître de conférences de littérature grecque à l’École normale supérieure. Il collabore à la Liberté de penser fondée le 15 décembre 1847 par Amédée Jacques et Jules Simon, venus de "la gauche de l’éclectisme" cousinien, et attachés à la défense de l’"idée laïque". Répliquant à Montalembert qui, dans un discours à l’Assemblée législative le 17 janvier 1850 invitait à choisir entre le catholicisme et le socialisme, Émile Deschanel dans trois articles intitulés : Catholicisme et socialisme (février, avril, juillet 1850, repris ensuite en une brochure) opposa à la mort du premier la régénération du monde par le second. "N’étant plus catholiques, nous sommes socialistes", proclame-t-il, ajoutant : "Il n’y a pas une seule des injures proférées aujourd’hui contre les socialistes qui ne l’ait été sous la Monarchie de Juillet contre les républicains ; et sous la Restauration contre les libéraux ; et en 1815 contre les patriotes ; et il y a seize ou dix huit cents ans contre les premiers chrétiens ; et il y a deux mille deux cents ans contre les philosophes païens". Son socialisme, dans l’esprit de 1848, tient avant tout à l’affirmation du droit du travail et de la réforme de l’héritage.

2Plus remarquable est l’affirmation qui contraste avec l’esprit religieux de la Seconde République que la "solution définitive de la question sociale dépend de celle de la question religieuse ". Deschanel est proche de Quinet, Michelet, Renouvier, Littré écrivant "les réformes sociales ne peuvent être obtenues que par l’extinction des croyances théologiques" (Conservation, Révolution, Positivisme). Dès son premier article, Deschanel fit scandale. Jules Simon se sépara alors de la revue. Le ministre suspendit Deschanel que sanctionna le conseil de l’Université, en le destituant de sa chaire.

3Brièvement arrêté après le coup d’État du 2 décembre, il est expulsé en Belgique. Il collabore pour vivre à l’Indépendance belge et donne des "conférences littéraires" à Bruxelles et dans les grandes villes du royaume. Il épouse le 12 août 1854 une de ses auditrices, Adèle Feigneaux, la fille d’un médecin belge, dont il aura un fils unique, Paul, né le 13 février 1855, futur homme politique et Président de la République. Après l’amnistie de 1859, Émile Deschanel rentre à Paris. Il collabore au Journal des Débats, est un des fondateurs des Conférences de la rue de la Paix, expression de la pensée libérale. Il publie, en exil et après son retour, de nombreux ouvrages de moraliste ou de critique littéraire. On peut citer Le Bien qu’on a dit des femmes (1855), Le Bien qu’on a dit de l’amour (1856), Le Bien et le mal qu’on a dit des enfants (1857), Causeries de quinzaine, (1861). L’helléniste publie en 1855 Les courtisanes grecques, chez le même éditeur, Michel Lévy frères, et chez Hachette, en 1867, des Études sur Aristophane qui eurent trois éditions.

4Ferme républicain, irréconciliable face à l’Empire, laïc et libre penseur, il figure aux élections partielles du 2 juillet 1871 sur la liste républicaine de la Seine. Il est battu mais aux élections de février 1876 il est élu député de la troisième circonscription de Saint-Denis. Il appartient aux 363 et est réélu en octobre 1877. Après sa nomination le 25 janvier 1881 comme professeur de littérature française au Collège de France, il doit démissionner de son mandat. Candidat à une élection partielle le 27 février, il est battu par un radical Roque de Filhol. Le 23 juin 1881, les gauches du Sénat, par 130 voix contre 113 à Vacherot, l’élisent comme sénateur inamovible en remplacement de Littré. Ce vote a bien le sens d’un hommage rendu à un vétéran des luttes républicaines et laïques. Deschanel appartient à l’Union républicaine du Sénat et ne joue pas un rôle politique important. Il poursuit son enseignement au Collège de France. Il meurt le 26 janvier 1904.

Bibliographie

Sources et bibliographie :

État-civil mairie du XVIème, acte de décès ; A.N. archives privées 151 AP, fonds Paul et Emile Deschanel ;

Thierry Billard, Paul Deschanel, Paris, Belfond, 1991, 292 p. ; Michel Sementéry, Les Présidents de la République française et leur famille, Paris, Christian, 1982, 377 p. ; Georges Weill, Histoire de l’idée laïque en France au XIXème siècle, Paris, Alcan, 1925, 376 p.

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