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Principes régénérateurs du système social

 | 
Jacques-Nicolas Billaud-Varenne

Introduction

Introduction

Texte intégral

  • 1 Principes régénérateurs du systême social, Paris, R. Vatar pluviôse an III, 208 p. La présente édit (...)
  • 2 M. Ozouf, "Peut-on commémorer la Révolution française ?", Le Débat, sept. 1983. Repris dans L’école (...)

1Pourquoi exhumer aujourd’hui ce texte publié par Billaud-Varenne en pluviôse an III (janvier-février 1795) ? Obstination commémorative en ces temps de Bicentenaire ? De fait, voilà plus d’une décennie que nous multiplions les références aux Principes régénérateurs du systême social1. N’y a-t-il pas matière, d’ailleurs, à circonstances atténuantes ? Face au "silence" de "la célébration sur les biographies" des révolutionnaires, Mona Ozouf n’observait-t-elle pas que "nul ne se soucie vraiment de rappeler leur histoire personnelle"2. De cette occultation le cas Billaud-Varenne nous semble exemplaire. Sans cesse évoqué – et pour cause – dans les Histoires de la Révolution, s’il n’est pas un "homme sans nom", tel le Napoléon de Fichte ou le régicide de Ballanche, il serait presque un nom sans homme, celui qu’Alejo Carpentier désigne comme "le Terrible" du Siècle des Lumières. Les commémorations pourtant ont livré leurs brassées de contributions.

  • 3 La Révolution française, t. XIV, janvier-juin 1888, p. 745-761, 835-851, 929-948 et 1027-1045. Le m (...)
  • 4 F.-A. Aulard, La Révolution française, t. XIV, op. cit., p. 745. Voir Les Orateurs de la Révolution (...)
  • 5 La Révolution française, ibid, p. 752. Comme le note justement Mona Ozouf, "les enjeux laissés à la (...)
  • 6 Billaud-Varenne, Mémoires inédits et Correspondance. Accompagnés de notices biographiques sur Billa (...)

2Autour du premier centenaire, on doit ainsi à Aulard la publication de "Mémoires" d’enfance et de jeunesse de Billaud précédés d’une bibliographie de l’auteur qui d’ailleurs ignore les Principes régénérateurs 3. Au vrai, ce "Tableau du premier âge" est un essai romanesque, partiellement autobiographique peut-être, dont Aulard croyait pouvoir déduire certaines informations, toujours citées depuis un siècle, telles les études au collège d’Harcourt à Paris. Sans doute le plus suggestif est-il dans les propos introductifs d’Aulard : "J’ai tâché, disait-il, de caractériser dans mes Orateurs de la Législative et de la Convention l’éloquence de Billaud-Varenne. Il resterait à étudier la vie privée et publique de cet homme terrible, fanatique à la tête étroite (...). Oui, sa biographie devrait tenter une plume érudite"4. Et, l’illustre professeur d’histoire de la Révolution à la Sorbonne de conclure : "on lira les plus cyniques aveux, des pages analogues aux moins chastes romans de Diderot. Je n’ai cru devoir y rien retrancher. L’histoire souffre et réclame tout"5. Après Aulard, voici Alfred Bégis, le collectionneur, publiant en 1893 les Mémoires écrits en 1813 à Cayenne, puis une période de relatif silence, hormis les inévitables productions de pièces à conviction : Billaud-Varenne "négrier" ou "esclavagiste"6.

  • 7 D. Centore, "Billaud-Varenne", Commune, août 1939, p. 1024-1036. Cet article m’a été communiqué par (...)
  • 8 B. Hauréau, La Montagne. Notices historiques et philosophiques sur les principaux membres de la Mon (...)
  • 9 J. Guilaine, Billaud-Varenne, Paris, Fayard, 1969, 377 p.

3Vient 1939, le "Cent-cinquantenaire", et un article de D. Centore dans la revue Commune (directeurs Romain Rolland et Aragon, rédacteur en chef Jacques Decour)7. Après le verdict d’Aulard, pour qui Billaud a tué Danton, c’est une esquisse de "réhabilitation" – "la fidélité d’un homme à ses idéaux" –, mais aussi un récit dont l’embarras est révélateur : "Billaud se méfiait même de la vertu, même de la probité quand elles deviennent trop populaires et il devait appartenir à ce farouche républicain de contribuer à pousser la France dans les bras de Bonaparte, pour avoir voulu l’arracher au magnétisme de Robespierre." Singulier raccourci dont l’historiographie révolutionnaire n’est pas avare et qui gomme plus de cinq années, du 9 thermidor au 18 brumaire. Retour aux sources, aussi, puisque Barthélémy Hauréau, compagnon des jeunes disciples de Buonarroti et premier historien de la Montagne, écrivait déjà en 1834 : "le 9 thermidor, quand tous ceux qui tremblaient d’être pris pour des fripons, contre lesquels avait tonné la grande voix du maître par la pensée, se liguèrent contre lui (...) Billaud-Varenne consentit à leur tendre sa main, pure jusqu’à ce jour, et tout fut dit ; car il perdit la France et son âme "8. Sentence, somme toute, unanime. À se cantonner à la Montagne, on pouvait commémorer ou étudier Couthon, Danton, Desmoulins, Romme, Saint-Just, Robespierre bien sûr, et même Barère, le "Reluctant Terrorist", mais pas Billaud. En 1969, paraît cependant la première étude qui lui soit consacrée9. Pour utile qu’elle soit, elle ne renouvelle guère la problématique, conjuguant les imprécisions biographiques d’Aulard, l’analyse faite par Soboul des "contradictions du jacobinisme" et l’explication traditionnelle de la "réaction" post-thermidorienne.

  • 10 A. conte, Billaud-Varenne. Géant de la Révolution, Paris, Olivier Orban, 1989, 529 p.
  • 11 Voir à ce sujet F. Brunel, "The Acculturation of a Revolutionary : The Example of J.-N. Billaud-Var (...)
  • 12 L’Acéphocratie, ou le Gouvernement fédératif, démontré le meilleur de tous, pour un grand Empire, p (...)
  • 13 Élémens du Républicanisme, Paris, Patris imp., an I, 132 p., A. N. AD XVIIIA 8, B.N., 8° Lb41 2383  (...)
  • 14 Le Cahier du Collège international de philosophie, n° 7, Paris, Osiris, 1989 : Élémens du Républica (...)
  • 15 J. M. burney, "Billaud-Varenne and the Eléments of Republicanism in 1793", Proceedings of the Annua (...)

4L’année 1989 se devait, dans le flot éditorial du Bicentenaire, d’apporter son tribut à la (re)découverte de Billaud-Varenne. Pourtant se vérifie le constat dressé par Mona Ozouf et cité en liminaire : l’aventure personnelle de Billaud demeure un point obscur. De l’ouvrage d’Arthur Conte il y a peu à dire10. L’auteur reprend en effet à son compte la tradition historiographique qui fait de Billaud un élève du collège d’Harcourt, puis un "professeur" et même un "préfet des études" à Juilly, mais nulle trace en ces pages d’une attention prêtée à l’acculturation du futur révolutionnaire11 D’ailleurs, que penser d’une biographie qui transforme l’Acéphocratie en "Acéphalocratie"12, fait des Élémens du Républicanisme un "discours" prononcé le 24 juin 1793, donnant matière à un ouvrage "en trois tomes de quelque 160 pages chacun"13, enfin ignore la publication des Principes régénérateurs du systême social ? Autrement stimulantes, on s’en doute aisément, sont les études qui accompagnent la réédition des Élémens du Républicanisme par Le cahier du Collège international de philosophie14. Elles ont l’intérêt de prendre au sérieux la réflexivité du texte révolutionnaire. Pourtant, ces approches philosophiques ne comblent pas totalement les attentes de l’historien. D’abord parce qu’elles ne s’intéressent pas (ou peu) aux déterminations culturelles et politiques de la production et de la réception des Élémens ; ensuite parce qu’elles immergent le texte dans une lecture historiographique, celle de Michelet et plus encore de Quinet. Signalons, enfin, le travail d’un chercheur américain, John M. Burney, plus attentif au continuum de la pensée de Billaud-Varenne en Révolution, mais moins sensible aux catégories conceptuelles – ou aux apories – d’une réflexion politique qui est aussi action15.

  • 16 A. Soboul, Les sans-culottes parisiens en l’an II..., La Roche-sur-Yon, Imp. Potier, 1958. – R. R. (...)

5De fait, l’opacité historique de Billaud-Varenne semble résulter d’un triple écran. Le premier tient à la date de son entrée au comité de Salut public, au lendemain des journées populaires des 4 et 5 septembre 1793. De là, le propos de l’historiographie "classique"16 : à vouloir tenir la Montagne pour réticente dans son ensemble à prendre les mesures exigées par la sans-culotterie, on tend à faire de Billaud un "ultra", adjoint par contrainte et tactique politicienne au "grand" comité, dont Collot d’Herbois et lui-même formeraient "l’aile gauche".

  • 17 Voir les séances des 8 et 9 thermidor an II dans Archives Parlementaires, 1ère série, tome XCIII, P (...)

6Second écran, à l’évidence, celui constitué par la journée du 9 thermidor. La veille, Billaud avait riposté au discours de Robespierre. Le 9, dans l’intervention qu’il ne put achever, Saint-Just devait déclarer : "La confiance des deux comités m’honorait ; mais quelqu’un cette nuit a flétri mon cœur ; et je ne veux parler qu’à vous". Ce quelqu’un a nom collectif : Billaud-Varenne et Collot d’Herbois. Et si Tallien, le premier, interrompit l’orateur, ce fut bien Billaud qui porta l’attaque sur le terrain politique : "Le moment de dire la vérité est arrivé"17. Alors, représentant la gauche du comité de Salut public et "tombeur" de Robespierre ? À qui ne rechercherait qu’une cohérence immédiate la thèse pourrait être admissible. Encore conviendrait-il de démontrer en quoi Billaud se situa, de septembre 1793 à l’été 1794, plus "à gauche" que Saint-Just ou Robespierre et de préciser quelles furent leurs divergences. Et c’est ici qu’intervient le troisième obstacle.

7Ce dernier écran, c’est la période post-thermidorienne. À partir du 15 fructidor an II (1er septembre 1794), après la dénonciation de sept des membres des comités de Salut public et de Sûreté générale, Billaud quitte le comité et se tait. Il se tait deux mois durant jusqu’au 13 brumaire an III (3 novembre 1794) et l’intervention fameuse aux Jacobins : "Le lion n’est pas mort quand il sommeille, et à son réveil il extermine tous ses ennemis". Puis, débute la phase proprement "réactionnaire" – disons plutôt exclusivement "anti-jacobine" – de l’an III, avec la création d’une Commission chargée d’examiner la conduite des "quatre grands coupables", Barère, Billaud, Collot et Vadier. Billaud-Varenne se tait toujours, mais multiplie les écrits défensifs, collectifs ou personnels, qui achèvent de tout obscurcir. Leurs adversaires auront beau jeu de le reprocher aux accusés ; l’essentiel du plaidoyer consiste surtout à charger les morts, Couthon, Robespierre et Saint-Just. Le 12 germinal an III (1er avril 1795) est prononcée la condamnation à la déportation. C’est Cayenne et, pour Billaud, un ultime silence de vingt-quatre ans jusqu’à la mort en Haïti, en 1819.

  • 18 Mémoires de Billaud-Varennes..., par M+++. Paris, Plancher, 1821, 2 vol., IV + 211 et 228 p. Le nom (...)
  • 19 La Nouvelle Minerve, t. 1, p. 351-358 et t. 2, p. 288-294. L’histoire romanesque du divorce de Mme (...)
  • 20 Journal de la Société de la Morale chrétienne, 2e série, t. XIII, 1er semestre 1838, p. 362- 363. C (...)

8Du silence, toutefois, va naître le mythe. Billaud fait alors figure d’archétype du proscrit. Il se tait, il refuse l’amnistie consulaire, mais on parle de lui. Après sa mort, on lui publie de faux Mémoires, récits d’aventures rocambolesques au Mexique18. On lui prête des manuscrits, disparus comme il se doit dans un naufrage. Au cours des années 1830, certains libéraux, fascinés par la Révolution, la proscription, Cayenne, évoquent son souvenir en Romantiques. Ainsi, en 1835, La Nouvelle Minerve retrace les "Dernières années de Billaud-Varennes" et le fait expirer sur une citation du Dialogue de Sylla et d’Eucrate de Montesquieu. Dans les mêmes colonnes paraît peu après un article du général Bernard, "Billaud-Varennes à Cayenne", qui renchérit sur l’image du solitaire, trahi dans ses affections, incompris mais toujours inflexible19. Il n’est pas jusqu’au Journal de la Société de la Morale chrétienne où ne soit rappelée sa triste mémoire : "On m’a raconté aussi de Billaud, écrit l’auteur du papier, une anecdote touchante : il errait un jour dans les avenues de Sinamary, portant sur le poing une perruche qu’il aimait beaucoup. Un pagani (oiseau de proie) se précipita sur elle, la saisit et l’emporta dans ses serres sur un arbre voisin où il la dévora sur le champ ; il fut vivement ému, une larme coula de ses yeux ; ce fut peut-être la seule. On ne peut donc pas s’empêcher de reconnaître qu’il y avait en son cœur, aussi, comme dans les nôtres, un germe de sensibilité qu’il avait si longtemps étouffé, et peut-être méconnu lui-même au milieu des dissensions et des violences politiques"20. Le burlesque paraît ici involontaire. À leur manière, les représentations du "terrible" Billaud-Varenne s’inscrivent dans la mutation des valeurs de ce début de siècle, à la croisée des Lumières et du Romantisme. Masques et légende cachent encore le politique.

9C’est donc à travers le dernier écrit "théorique" que nous avons souhaité cerner sa pensée, pensée singulière sans doute, mais pourtant significative d’un courant qui fut, en révolution, "parti de pouvoir". Sans prétendre échapper aux pièges et illusions du travail historique – danger d’une lecture au présent, sécurité artificielle des rapprochements textuels et recherche bien démodée d’une quête des influences – du moins nous attacherons-nous à prendre le texte au sérieux ceci dans le cadre d’un débat réouvert, celui du "jacobinisme”.

  • 21 Voir les papiers saisis lors de l’arrestation, A.N., F7 4599 et 4600. Les échecs de la carrière d’a (...)
  • 22 Avant-propos de "Porphire ou le Tableau de la vie", 20 septembre 1775, A.N., F7 4600, publié par A. (...)
  • 23 Œuvres de Maximilien Robespierre, 1912-1967. Les tomes I et II regroupent les œuvres artésiennes, l (...)

10C’est à un double titre que l’œuvre interrompue par la déportation est originale. Elle est, d’abord, chronologiquement très ramassée. De ses trente premières années – jusqu’en 1786 – rien ou presque : des ébauches romanesques, sans doute des essais dramatiques et les écrits professionnels de l’avocat21. Le jeune homme qui écrivait à 19 ans : "Dans un age où l’homme est à peine ce qu’il doit être, j’ai entrepris l’ouvrage d’un philosophe ; j’ai peint le tableau de la vie", ce jeune homme a rapidement posé la plume (ou détruit ses essais littéraires)22. On est donc fort éloigné de la fécondité pré-révolutionnaire d’un Brissot, de deux ans son aîné. Vient ensuite, de 1789 à 1795, une intense activité éditoriale, plus de 2000 pages imprimées. Toute l’œuvre est là, dont la seconde originalité est qu’y dominent livres et brochures. Billaud ne fut, en effet, ni journaliste, ni orateur très prolixe. À titre comparatif, rappelons que la production révolutionnaire de Maximilien Robespierre compte deux volumes de Journaux et cinq de Discours sur les dix tomes des Œuvres publiées23. Du parcours réflexif de Billaud-Varenne bornons-nous pour l’instant aux seuls éléments nous permettant de reconstituer les lignes de force de son acculturation.

Genèse du révolutionnaire

  • 24 R. Darnton, Bohème littéraire et révolution, Paris, Gallimard-Le Seuil coll. Hautes Études, 1983, " (...)

11Avocat au Parlement, inscrit au barreau de Paris depuis 1785, Billaud appartient aussi à cette "population record de « philosophes » potentiels"24. Double activité qui dessine le profil moyen d’un futur Conventionnel : juristes et/ou "Rousseau des ruisseaux" ne forment-ils pas les gros bataillons de l’élite politique révolutionnaire ? On pourrait multiplier les exemples dans tous les "partis". Ajoutons à cela l’âge (33 ans en 1789), l’origine géographique (un provincial fraîchement monté à Paris) et l’épure est presque parfaite. À cet itinéraire archétypique n’y aurait-il pas quelque accroc ? Non, mais des singularités.

  • 25 Terres sans doute consacrées en partie au vignoble, comme dans toute la banlieue rochelaise (voir J (...)
  • 26 AN., MM 617 f° 169 (notice d’entrée à l’Institution de l’Oratoire de Paris – voir plus bas). Les Ar (...)
  • 27 M.-M. Compère et D. Julia, Les Collèges français, XVIe-XVIIIe siècles, Répertoire I. France du Midi(...)
  • 28 Voir M.-L. Fracard, La fin de l’Ancien Régime à Niort, op. cit., p. 168-188 et p. 312-320.

12Tout commence banalement. Né d’un père avocat au siège présidial de La Rochelle (comme le grand-père), la bourgeoisie vient de la robe, pas de l’Atlantique, et quelques terres (dont celle de Varenne) signent la notabilité25. Malgré certaines obscurités dans le trajet, tout continue dans cette voie tracée. Billaud semble avoir fait ses "humanités" chez les Oratoriens de Niort, sa philosophie à La Rochelle26. Si l’établissement rochelais, tenu par des séculiers depuis l’expulsion des Jésuites, n’a guère d’éclat, il en va autrement du Collège de l’Incarnation de Niort27. Deux traits le caractérisent : le libéralisme de la discipline et du recrutement et une laïcisation "lente mais persistante" de l’esprit de l’enseignement. Le collège, dit M.-L. Fracard, accueille "côte à côte de jeunes nobles, des fils de magistrats ou de gros commerçants et des enfants de maîtres-artisans aisés". Ajoutons aussi nombre d’enfants issus de familles protestantes, tels les frères Fontanes dont le père est réformé et la mère catholique. L’enseignement des Oratoriens de Niort, s’il demeure fondé sur le latin, fait la part belle, surtout en rhétorique, à la littérature française des XVIIe et XVIIIe siècles, ainsi qu’à l’histoire profane. À suivre les témoignages de Garran-Coulon ou de Louis Fontanes, le temps consacré à la poésie, l’éloquence et le théâtre l’emporte sur celui de l’instruction religieuse28. À ceci deux motifs. Le premier est d’ordre général : comme dans bien d’autres collèges, les confrères laïques sont plus nombreux que les clercs et tous ne se destinent pas à entrer dans les ordres. Le second tient sans doute à la spécificité de l’établissement et à la coexistence entre catholiques et réformés. Le séjour niortais n’est donc pas indifférent dans la formation de Billaud-Varenne. C’est une culture classique, mais acquise dans un collège où tolérance et modernité semblent, plus qu’ailleurs, appartenir à la réalité.

  • 29 D. Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Par (...)
  • 30 D. Roche, op. cil., p. 345. Le 3 avril 1784, son frère Benjamin écrit à Billaud qu’un M. de La Fail (...)
  • 31 Mémoires inédits..., pub. A. bégis, op. cil., p. 2. Selon les différents biographes, la pièce s’int (...)

13Tradition familiale obligeant, viennent ensuite les études de droit à Poitiers, la prestation du serment d’avocat en 1778 et le retour à La Rochelle où, fils aîné, il doit succéder à son père. Juriste, rompu aux exercices littéraires et résidant dans une ville académique, va-t-on voir Billaud participer à ces concours alors en si grande vogue ? "C’est à l’horizon provincial, écrit Daniel Roche, une première expérience pour toute une génération, tout à la fois occasion de se distinguer et, déjà, moyen de conquérir une tribune". Quelques exemples parmi les futurs collègues de la Convention : Barère (né en 1755) brille aux Jeux Floraux de Toulouse et à Montauban, Robespierre (1758) à Arras et à Metz, Boissy d’Anglas (1756) à Nîmes, Lyon et La Rochelle, Brissot (1754) à Châlons-sur-Marne etc., sans parler de "l’acharnement académique" du "vieux" Marat (né en 1743)29. Que fait Billaud ? Participe-t-il sans succès ? Méprise-t-il l’Académie de La Rochelle, contrainte de substituer, en 1780, à "l’Éloge de Rousseau" celui d’Anne de Montmorency30 ? Nous l’ignorons, mais nulle trace de brouillons pour des concours académiques dans les papiers saisis en l’an III. Le fait est d’autant plus surprenant, qu’après 1780, se multiplient les sujets historiques et "réformateurs". Or ce sont justement les thèmes abordés par Billaud dans les deux premiers ouvrages achevés et publiés. La tradition veut toutefois qu’il ait consacré son "talent" littéraire au théâtre, sans succès d’ailleurs, puisqu’une comédie moralisante présentée à La Rochelle en 1781 aurait connu un échec retentissant31.

  • 32 A. N., F7 4600.
  • 33 Sur le séjour oratorien de Billaud, A.N., MM 617 f° 169, MM 592 p. 255 et 261 (voir aussi le dossie (...)
  • 34 A.-V. Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire, op. cit., t. 1, p. 64-66 et p. 75. Arnault est sorti de (...)
  • 35 A.N., F7 4600 pour la lettre de Benjamin. Une copie de la note du P. Mérault de Bizy se trouve dans (...)

14Quittant sa ville natale en 1782, il vient chercher à Paris une reconnaissance refusée par la province. La vie, apparemment, n’est pas facile et, le 30 novembre 1782, son frère cadet Henri lui fait part de ses inquiétudes, car ses "ressources doivent être épuisées"32. C’est alors que se produit une "déviance" dans la trajectoire, somme toute banale, de Billaud. Sans qu’on sache très bien pourquoi, il entre à l’Institution de l’Oratoire de Paris et est "admis à l’épreuve", le 14 mars 178 333. Pression d’une mère pieuse et souci familial de placer sûrement et à frais réduits un fils qui ne répond guère aux espérances qu’on avait fondées ? Tout cela a dû jouer. En raison de son âge (27 ans), anormalement élevé pour un novice, Billaud voit son temps d’Institution abrégé et, le 5 septembre 1783, il est envoyé comme "préfet de pension" à Juilly où on lui confie la surveillance de la première chambre. Que fit-il dans le plus prestigieux établissement de l’Oratoire ? Sans suivre à la lettre les Souvenirs d’Arnault, chronologiquement inexacts, on peut estimer vraisemblable que le confrère Billaud se soit trouvé totalement "déplacé" dans sa nouvelle existence. En premier lieu, car les fonctions de "préfet de pension" étaient généralement exercées par des novices qui "peu de temps avant, étaient encore soumis à la férule dont on les armait", des garçons de sept à huit ans plus jeunes que lui34. Ensuite, parce qu’il n’avait, à l’évidence, nulle vocation. Sur ce point, les témoignages de son frère Benjamin et du Supérieur de l’Institution de Paris concordent parfaitement. Le premier lui écrit, en avril 1784 : "votre entrée à l’Oratoire m’a surtout aussi affligé que surpris. Je vous avois toujours cru un très grand dégoût pour ces maisons-là". Quant au second, le P. Mérault de Bizy, voici l’appréciation qu’il porte sur le nouveau confrère : "Il a beaucoup d’amour-propre. Je ne le regarde que comme un mondain revêtu de l’habit de l’Oratoire, froidement régulier et honnête, qui a tâché de ne point se compromettre (...). Quoiqu’il soit judicieux dans sa conduite, à raison de son âge, de ce qu’il a été, de ce qu’il est, je ne le crois pas propre à l’Oratoire"35.

  • 36 Est-ce là qu’il prit connaissance des ouvrages "jansénistes", en particulier de l’abbé Duguet qu’il (...)
  • 37 R. Darnton, "J.-P ; Brissot de Warville espion de police", Bohème littéraire et révolution, op. cit (...)

15Billaud profita-t-il de son séjour à Juilly pour fréquenter la bibliothèque36 ? Se serait-il davantage consacré à sa propre culture qu’aux études de ses pensionnaires ? Fut-il exclu de la maison pour s’être rendu sans autorisation à Paris afin d’y faire jouer sa tragédie ? À vrai dire, peu importe. Il est établi qu’il est "sorti mal", selon les termes du registre de l’Oratoire, à la fin de l’année scolaire 1783-1784. Ce curieux itinéraire – il n’est guère courant pour un fils de la bourgeoisie provinciale de commencer par exercer son activité de juriste pour se retrouver "pion" à l’aube de la trentaine – allait-il le conduire, en totale rupture avec son milieu d’origine, à la "dure existence de la bohème littéraire"37 ? Nullement. Une fois encore, Billaud fait montre d’une légère excentricité dans la banalité. Il ne devient pas folliculaire, mais se fait inscrire au tableau des avocats au Parlement de Paris. S’il lit évidemment les "Calonniana" et le flot de pamphlets politico-pornographiques des années 1785-1787, il travaille aussi, contre le clergé et le gouvernement, à de gros ouvrages qui se veulent démonstratifs et pédagogiques. Billaud-Varenne n’entend pas distraire mais instruire.

  • 38 A.N., F7 4600, Benjamin Billaud à son frère, 14 août 1792. Un indicateur de cette rupture avec le m (...)
  • 39 J. G. Fichte, Considérations destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution frança (...)

16Soulignons, toutefois, que l’installation sociale (activité professionnelle, mariage) n’est pas retour aux racines provinciales, mais ouverture sur une carrière nouvelle. Son frère en aura d’ailleurs l’intuition prosaïque, lorsqu’après son élection comme substitut du procureur de la commune révolutionnaire de Paris, il lui écrit en 1792 : "je suis charmé que l’on soit à Paris plus exact et plus prompt à récompenser le mérite qu’on ne l’est à La Rochelle où vous languiriez peut être encore dans une triste obscurité si vous n’aviez pas eu la sagesse et le courage de vous en arracher"38. C’est donc par un long et pénible cheminement que Billaud a pris conscience de sa liberté ; c’est en rencontrant la difficulté de s’affranchir des "préjugés" et de "l’inertie de l’esprit", qu’il est parvenu à dire "je pense". De cette expérience il a retenu deux leçons : d’abord, qu’il en était "de l’humanité en général comme de l’individu", ensuite que l’essence de l’homme libre était d’agir39.

  • 40 Le Dernier coup porté aux préjugés et à la superstition, Londres, 1789, 411 pages (anonyme). Despot (...)
  • 41 Le Dernier coup..., op. cit., p. 66-67. Sont, bien sûr, épargnés les curés (dont la fonction essent (...)

17C’est, de façon quasi banale, sur une attaque des "préjugés" et du "despotisme ministériel" que s’ouvre l’œuvre politique40. Décèlera-t-on quelque originalité dans ces premiers travaux, les plus importants par le nombre de pages que Billaud-Varenne ait jamais écrits ? Oui et non, serait-on tenté de répondre. En dépit de son titre assez plat, Le Dernier coup porté aux. préjugés et à la superstition dépasse largement l’anticléricalisme propre aux innombrables pamphlets des années 1770-1780. On y retrouve, certes, les inévitables allusions aux "horreurs" de la vie monastique, mais sans goût marqué pour le détail grivois ou pornographique. Il s’agit bien plus de dénoncer les vœux perpétuels et l’inutilité sociale des religieux, contraires "aux loix de la nature (...) visiblement dictées par l’Être-Suprême, puisque chaque individu en porte l’empreinte au fond de son âme"41. Le plus intéressant, dans ce premier livre, tient à sa démarche, engager une œuvre de critique sociale et politique par une méditation sur la religion dans laquelle la réforme du clergé n’occupe qu’une place succincte (moins du quart de l’ouvrage).

  • 42 Le Dernier coup..., op. cit., p. 319 et p. 348-349. Est-ce simple anecdote de rappeler que Billaud (...)
  • 43 A. Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, t. 3, Apothéose du désespoir, Paris, (...)
  • 44 Le Dernier coup..., op. cit., p. 37 et 56.
  • 45 Voir J.-Cl. Perrot, "La main invisible et le Dieu caché". Différences, valeurs, hiérarchie. Textes (...)
  • 46 Le Dernier coup..., op. cit., p. 182 et 333.
  • 47 A. Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, t. 3, op. cit., p. 252.

18Dans la ligne de l’exégèse critique des textes bibliques, née au XVIIe siècle – tant avec Grotius ou les "chrétiens sans Église", sans parler de Spinoza, qu’en France même, dans le milieu oratorien – veine illustrée par le Voltaire du Traité sur la Tolérance ou du Dictionnaire philosophique, Billaud récuse toute théologie dogmatique. La tradition n’est ainsi qu’un "amas d’absurdités" et "d’invraisemblances", fruit de l’imposture des prêtres et de l’impéritie des traductions : on sait mal, dit-il, le latin, encore plus mal le grec, pas du tout l’hébreu. Et de rejeter en bloc la Trinité, la Virginité de Marie, la Transsubstantiation, les sacrements du baptême, de la confession et de la confirmation, l’eau bénite, le rachat des âmes du Purgatoire, le jeûne, le célibat ecclésiastique, sans parler de l’exorcisme, des miracles et de l’autorité des Conciles. Que reste-t-il ? L’évocation de la "morale sublime de l’Évangile", de son dogme simple et unique, l’immortalité de l’âme, fondée sur son immatérialité, et l’appel à la conscience qui étaye tout le livre. C’est aussi l’éloge du protestantisme, plus proche de la religion naturelle – "qu’on mette à part tout préjugé, écrit Billaud, pour ne suivre que les lumières intérieures, alors il est certain que l’on se rangera bientôt du parti des réformés" – et l’opposition entre l’office catholique, un "vain spectacle" célébré "dans une langue étrangère", et le chant qui "va au cœur et invite à mettre sa voix à l’unisson", "tel celui qui se fait entendre au désert"42. En déduira-t-on que la religion de Billaud n’est que simple décalque de celle de Saint-Preux ou du Vicaire ? Conclusion sans doute trop rapide, car jamais n’émerge ici de "pensée du malheur"43. Certes, le Créateur a placé les hommes "entre la science et l’erreur, le mal et le bien, la peine et le plaisir" et "la vie est un tissu de contradictions"44. Mais l’inspiration est plus proche du "jansénisme mondain" de l’abbé Duguet que de Pascal : place est donc ménagée à la réforme des hommes, à l’harmonisation du Tout social45. Ceci, à une condition : Jésus ne peut être homme-Dieu. Homme supérieur, il est mort comme "perturbateur de l’ordre public", parce qu’il "tendoit à la réformation du genre humain"46. Entre la finitude (l’individu) et l’Infini (Dieu, l’Universel), la disparition du Christ permet le déploiement de l’histoire, l’action humaine pour la liberté. Aussi ne suivrons-nous pas Alexis Philonenko lorsqu’il écrit : "L’erreur monumentale de la Révolution française en son culte de l’Être suprême fut sans aucun doute de négliger le Christ retirant ainsi toute humanité à la religion"47. Peu importe ici qu’il y ait "erreur" ou pas, mais l’absence de christologie conduit, non à retirer "toute humanité à la religion", mais à une religion de l’Humanité. Le temps n’est plus aux prophètes, traducteurs de la loi divine dans le langage du peuple, mais aux Législateurs, "hommes de bonne volonté", consacrant tous leurs efforts à l’énonciation, pour l’avenir, de la volonté populaire, c’est-à-dire de la liberté.

  • 48 J.-Cl. Perrot, "La main invisible et le Dieu caché", op. cit., p. 181.
  • 49 Voir L. Ferry et A. Renaut, Philosophe politique, t. 3, Des droits de l’homme à l’idée républicaine(...)

19Ainsi, rien d’étonnant que Billaud-Varenne, comme tout Aufklärer, ait entamé sa réflexion politique par ce détour théologique. En cette fin du XVIIIe siècle, n’était-ce pas manifester la volonté d’atteindre "l’essence des phénomènes et la raison ultime de la société"48 ? Il ne surprendra pas, non plus, que Billaud reprenne la conclusion de son livre ("Celui-là seul doit être entendu, qui prend pour devise : Ma conscience et la vérité") dans la préface à la seconde édition du Despotisme des ministres de France, puis en exergue au Peintre politique, âpre dénonciation des orientations prises par la Constituante à la fin d’octobre 1789. D’emblée il avait affirmé l’obligation morale de poser des "principes régulateurs" pour "juger la réalité positive (concrète)"49.

  • 50 F. Furet et M. Ozouf, "Deux légitimations historiques de la société française au XVIIIe siècle : Ma (...)
  • 51 Voir plus haut note 36. L’ouvrage ne fut peut-être pas imprimé à Amsterdam mais tout simplement, co (...)

20Des mille pages, ou presque, du Despotisme des ministres, deuxième ouvrage publié en 1789, il y a peu à dire mais, en revanche, beaucoup à apprendre, nous le verrons, des lectures et de la culture de Billaud – Varenne. On y trouve en effet exposés les thèmes les plus courants des brochures politiques de 1787-1789, "la réappropriation de ses droits par la nation" et le "rétablissement de la communication entre le roi et la nation, que doit symboliser le règne de la loi"50. De ce catalogue assez ennuyeux il convient, toutefois, de retenir deux traits. D’abord, le changement de ton qui s’opère dans la rédaction entre le deuxième et le troisième volume. Rédigé, sans doute, à l’automne 1788, après l’échec des édits Lamoignon, les révoltes provinciales, la convocation des États Généraux et le remplacement de Brienne par Necker, ce dernier tome, moins favorable aux Parlements, met l’accent sur le droit de résistance à l’oppression et la nécessité d’une "réforme réelle et radicale", car, dit Billaud, on ne peut ramener le gouvernement "à son ancienne constitution". Par ailleurs, s’esquisse alors une autre pensée de l’histoire que confirment le nouveau titre et la "Lettre de M. B. de V. à son libraire" de l’édition ultérieure51.

  • 52 J.-M. Goulemot, Discours, révolutions et histoire. Représentations de l’histoire et discours sur le (...)
  • 53 Observations sur l’Histoire de France par l’Abbé de Mably, nouvelle édition, continuée jusqu’au règ (...)
  • 54 R. Favre, La Mort au siècle des Lumières, Lyon, P.U.L., 1978, p. 404-411.
  • 55 Despotisme des ministres..., op. cit., "Lettre à son libraire", t. 1, p. XX, XXX, XXXIV, XLIX et L.

21L’intitulé initial de l’ouvrage et les deux premiers tomes témoignaient d’une classique représentation cyclique du temps : la "révolution" était retour, ressourcement, restauration d’une légitimité perdue52. Ne s’agirait-il que d’un démarquage de Mably dont l’édition posthume et complétée des Observations sur l’Histoire de France connaît alors un vif succès53 ? Il y a, en fait, un peu plus ainsi que semblent l’attester les écrits postérieurs de Billaud. Le discours sur les origines s’estompe dans le tome 3 et disparaît même de la "Lettre au libraire". S’impose maintenant une pensée de l’avenir. Les dernières décennies du siècle sont, on le sait, hantées par l’idée d’un irrémédiable déclin54. Si la réflexion ne peut plus se nourrir de l’histoire d’une France "incurable" (Helvétius), il faut chercher ailleurs et faire autre chose. Chercher ailleurs : les références à l’Antiquité permettront de ne plus écraser l’avenir sous le poids du passé. Mais, si éloignés qu’ils soient, les modèles de Sparte, Athènes ou Rome illustrent encore la tragédie du cycle : tout dégénère et l’histoire n’est pas leçon de sagesse, car toujours triomphe la tyrannie. C’est donc autre chose qu’il convient de faire en cet automne 1789. Puisqu’on a proclamé de nouveaux principes, ceux de la Nature et de la Raison, "il devient instant de former de nouveaux hommes". Il faut tout démolir pour reconstruire à neuf, il faut agir. "Ainsi, quelque lente que soit la marche de la Révolution commencée, il faudra qu’elle s’acheve. Peut-être même seroit-il permis de prédire qu’elle conduira un jour beaucoup au-delà du but vers lequel elle paraît tendre", à "une administration populaire, sous la sauvegarde d’une fédération formidable"55.

  • 56 Despotisme des ministres..., op. cit., t. 1, p. II et t. 2, p. 146.

22Quels ont été les instruments intellectuels qui ont soutenu Billaud-Varenne dans sa "culture en vue de la liberté" ? Dans la "Lettre au libraire", puis au second volume du Despotisme des ministres, il évoque les "écrits immortels de Platon, Sénèque, Cicéron, Bayle, Lock (sic), Puffendorf, Montagne, Montesquieu, Rousseau" et, pour expliquer l’inutilité de l’étude du latin, "Pascal, Boileau, Racine, Corneille, Massillon, d’Aguesseau, Mallebranche, Cochin"56. Il nous a semblé intéressant de comparer ces tableaux d’honneur aux références explicites qui soutiennent la démonstration.

  • 57 R. Darnton, "De la sociologie de la littérature à l’histoire de l’édition", Bohème littéraire et ré (...)
  • 58 Voir D. Richet, La France moderne : l’esprit des institutions, Paris, Flammarion, 1973, p. 172.

23Précisons-le d’emblée, il ne s’agit ici que d’une esquisse qui mériterait plus ample développement, une quantification plus fine et un croisement des diverses données. Le Dernier coup porté aux préjugés s’inscrivait, nous l’avons dit, dans la tradition de l’exégèse critique des livres saints, des Pères de l’Église et de la littérature conciliaire. Aussi nous sommes-nous borné à l’examen d’une source unique, les trois volumes du Despotisme des ministres. Cette analyse ne constitue qu’un indicateur des lectures – directes ou indirectes, car on ne peut exclure les médiations – de Billaud-Varenne à la veille de la Révolution. On sait les illusions et les écueils d’une telle démarche. La partialité de l’échantillon et l’anachronisme, Robert Darnton l’a souligné, en sont les dangers les plus évidents. Pas plus que "nous ne savons exactement ce que lisaient les Français du XVIIIe siècle", nous ne prétendons savoir tout ce que Billaud avait lu en 178957. Rappelons aussi, qu’en dépit de ses visées théoriques, l’ouvrage ne peut échapper à l’événement – la crise de 1787-1788 : le caractère déformé de notre dénombrement s’en trouve accentué. Proposer de "faire rentrer la Nation dans ses droits", dénoncer le "despotisme ministériel" de Calonne et Loménie de Brienne, s’opposer au "coup d’État Lamoignon", c’est encore faire référence aux "lois fondamentales du royaume" et se rallier, du moins provisoirement, à ce que Barnave appelle le "parti de la magistrature"58.

  • 59 F. Furet, "La « librairie » du royaume de France au 18e siècle", Livre et société dans la France du (...)
  • 60 J.-J. Rousseau, Projet pour l’éducation de M. de Sainte-Marie, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, (...)
  • 61 Des Droits et des Devoirs du Citoyen, pub. en 1789, Collection complète des Œuvres de l’Abbé de Mab (...)

24Il nous faut dire, enfin, notre trahison de la grille établie par François Furet et Daniel Roche : nous avons cru pouvoir déplacer vers les "Sciences et les Arts" – le domaine philosophique et politique – des ouvrages que le XVIIIe siècle classait en "Droit" (De l’Esprit des Lois, par exemple, ou les grands traités du droit naturel)59. Contre les inventaires des bibliothèques de l’âge classique, nous avons suivi Rousseau et Mably. Rousseau qui, voulant faire succéder "les sciences les unes aux autres", souhaitait donner à M. de Sainte -Marie, après l’étude de l’histoire naturelle, de la physique et des mathématiques, "une connoissance un peu plus raisonnée de la Morale et du droit Naturel par la Lecture de Puffendorf et de Grotius"60. Et Mably, prêtant à Milord Stanhope un jugement critique sur Grotius, Pufendorf, Wolff et Hobbes, reconnaît qu’"avant eux, on n’avoit pas encore appliqué la philosophie à l’étude du droit naturel et de la politique" ; quant à l’Esprit des lois, il a "bien des défauts", mais "il a fait haïr le pouvoir arbitraire"61. Nous avons donc estimé, à tort peut-être, que pour Billaud et ses contemporains, Montesquieu et les théoriciens jusnaturalistes prenaient place parmi les Pères fondateurs des "sciences morales et politiques".

25Voici donc la distribution approximative de quelques 350 références explicites fournies par Billaud au fil des 912 pages de texte du Despotisme des ministres. "Théologie et Religion" représentent moins de 4 % de l’ensemble – essentiellement grâce à Bossuet et Massillon –, "Droit et Jurisprudence" l’emportent avec 37 %, alors que 24 % des références appartiennent à l’"Histoire", 28 % aux "Sciences et Arts" et 7 % aux "Belles Lettres". Dans le domaine du droit, 10 % des citations sont empruntées aux juristes "classiques", 10 % aux ordonnances et édits royaux ou aux remontrances et textes divers émanant des cours souveraines et des États Généraux, antérieurs à 1787, enfin 17 % aux documents de 1787 et 1788 : tradition et actualité sont donc étroitement imbriquées. De l’histoire, il convient de souligner qu’il ne s’agit presque exclusivement que de l’histoire de France (14 % auxquels on peut adjoindre 8 % relevant des "sciences auxiliaires", "mémoires" ou biographies d’hommes illustres). Quant aux 28 % de "Sciences et Arts", n’oublions pas que nous y intégrons Montesquieu et les juristes du droit naturel qui fournissent plus de 10 % de l’ensemble référentiel. Enfin, dans les 7 % des "Belles Lettres" la "poésie" est privilégiée (romans, art dramatique, poésie) aux dépens des "facéties" ou des "journaux".

  • 62 Massillon, "Sermon pour le jour de l’Incarnation". Petit Carême, cité dans Despotisme des ministres (...)
  • 63 L. Goldmann, Le Dieu caché, Paris, Gallimard, 1959, rééd. coll. TEL, 1985, p. 440-446. Sur le proje (...)
  • 64 Abbé J.-J. Duguet, Institution d’un Prince, ou Traité des qualitez, des vertus et des devoirs d’un (...)
  • 65 Despotisme des ministres..., op. cit., t. 2, p. 72.
  • 66 Sur Fénelon "libéral" ou féodal", voir les mises au point de D. Richet, La France moderne..., op. c (...)

26Tentons d’aller au-delà de la sécheresse et des illusions d’une quantification hâtive. Qui est cité et comment ? On découvre rapidement que tout, ou presque, est "politique". Doit-on s’en étonner ? Si la "voix évangélique" de Massillon se fait entendre, c’est sur la loi : "la liberté, Sire, que les princes doivent à leurs peuples, c’est la liberté des lois. (...) Ce n’est donc pas le souverain, c’est la loi, Sire, qui doit régner sur les peuples"62. Sans doute Billaud trahit-il Racine en laïcisant les "drames sacrés", Esther et Athalie ; mais s’il n’est plus question du triomphe de Dieu dans le monde, restent la dénonciation, certes stéréotypée, du despotisme ministériel (Esther, contre Mazarin) et, surtout, "la menace contre le roi et la cour, l’espoir d’une promesse pour les persécutés" (Athalie, dont 16 vers concluent le tome 2)63. Dans le même sens, ce n’est pas tant la théologie que la "Politique" janséniste qui est mise à contribution et, de l’Oratorien Duguet, non le Traité des principes de la foi chrétienne, mais l’Institution d’un Prince64. Dernier exemple de cette sur-politisation du discours. Huit fois cité, souvent très longuement, Fénelon n’est, pourrait-on dire, que "l’illustre auteur" de l’Examen de conscience sur les devoirs de la royauté et, bien sûr, des Aventures de Télémaque. Qu’eût pensé l’archevêque de Cambrai en découvrant que sa "leçon" était "puisée dans les principes les plus purs de la Religion et du Droit naturel"65 ? Qu’importent, ici, les diverses interprétations de la pensée de Fénelon : à la veille de la Révolution, pour une génération qui place plus haut que tout le "sentiment d’humanité", il demeure l’adversaire résolu du despotisme et de la guerre de conquête, le dénonciateur du luxe et des trop grandes inégalités sociales66.

  • 67 De l’Aministration des Finances de la France, 1784 : seize citations ; Compte-rendu au Roi par M. N (...)

27Entrons maintenant dans le Panthéon culturel de Billaud-Varenne. Laissant de côté le roi, les Parlements et l’Assemblée des Notables de 1787, nous constatons la prééminence de Necker, l’auteur le plus cité (25 mentions). Ministre intègre – genre peu commun, puisque seuls en sont jugés à peu près dignes le chancelier de l’Hospital, Sully, d’Aguesseau, Turgot, face à la longue cohorte des "despotes" dont le modèle-type est celui du "cardinal ministre" – Necker est aussi le fidèle conseiller de la Nation : contre les exactions de Calonne et Brienne, son traité De l’Administration des Finances a été, dit Billaud, "d’une grande utilité"67. Cet engouement, précisons-le, ne durera guère et, dès l’automne 1789, la "Lettre au libraire” dira la déception devant les promesses non tenues : il n’y a pas, décidément, de "bons ministres".

  • 68 Dix-huit mentions de cet "ouvrage immortel", de ce "flambeau" qu’est De l’Esprit des Lois. Ajoutons (...)
  • 69 Outre l’ouvrage classique d’E. Carcassonne, Montesquieu et le problème de la constitution française (...)
  • 70 Principes régénérateurs du système social, infra, p. 143.

28En revanche, l’ouvrage le plus fréquemment mentionné résistera à tout et même à la Révolution : jamais l’admiration de Billaud pour De l’Esprit des Lois ne se démentira68. Le prestige persistant de Montesquieu auprès des hommes de la fin du XVIIIe siècle (y compris les plus "révolutionnaires" d’entre eux) tient évidemment à la modernité d’une méthode qui associe discours sur les structures et discours sur l’histoire, "principes" et "origines"69. Certes, Billaud-Varenne évoluera et privilégiera, dès 1789-1790, la référence aux principes contre l’argument historique, mais de Montesquieu, il conservera toujours cette idée essentielle que tout gouvernement tend à dégénérer et que des garanties sont donc nécessaires, puisque "telle est la marche du pouvoir, qu’il ne rétrograde jamais"70. Affirmation qui peut sembler paradoxale ou, pire, hypocrite de la part d’un théoricien du Gouvernement révolutionnaire, nous y reviendrons. En 1788-1789, en tout cas, parce qu’il s’agit d’opposer la "constitution française" au "despotisme ministériel", Montesquieu montre sans ambiguïté le chemin. "Retour aux origines", donc et dans ce que B. Baczko appelle sa double version non contradictoire de "retour aux faits" et de "retour aux principes". On ne s’étonnera donc pas de l’importance accordée par Billaud tant à l’histoire de France et à sa tradition juridique qu’aux principes "rationnels" du droit naturel.

  • 71 Boulainvilliers, Histoire de l’Ancien gouvernement de la France..., 1727 (onze références) et Abrég (...)

29Pour illustrer les innombrables violations des "lois fondamentales" du royaume, Billaud n’hésite pas à invoquer l’autorité des juristes, Du Haillan, Charles Loyseau, Cardin Le Bret et surtout Guy Coquille, sommés de témoigner de l’abîme creusé entre théorie et pratique de la monarchie. Pour donner plus de poids à sa démonstration, il reprend évidemment le récit historique de la genèse de la monarchie. Aux sources habituelles de l’historiographie classique, Mézeray ou le président Hénault, Billaud adjoint aussi des auteurs plus "engagés" : Pasquier ou de Thou côtoient ici Mably et surtout Boulainvilliers. Car, des historiens le plus fréquemment cité est bien, en effet, le "tenant de l’idéologie nobiliaire". Quels sont donc les thèmes qui ont pu, dans l’œuvre du "féodal", fasciner à ce point le futur Jacobin ? Ce n’est pas tant la dénonciation des "mauvais rois", de l’Église et de la barbarie des mœurs – encore que tout ceci se retrouve dans le Despotisme des ministres – que l’idée essentielle de "l’avilissement de la liberté politique", le rôle de la violence et le sentiment d’une irrémédiable décadence71.

  • 72 Despotisme des ministres..., op. cit., t. 2, p. 20 et 26.
  • 73 S. Pufendorf, Le Droit de la Nature et des Gens... (trad. Barbeyrac, 1706) et Heineccius in Puffend (...)
  • 74 J.-J. Burlamaqui, Principes du droit politique (1751) : six références ; E. de Vattel,Le Droit des (...)
  • 75 Ceci est très clair dans le "gouvernement fédératif’ (républicain) de L’Acéphocratie (1791), op. ci (...)

30De l’analyse des origines de la "constitution française" émergent alors, fort banalement, la conviction que la souveraineté a une histoire strictement humaine et la distinction entre "loix fondamentales positives et arbitraires", "conventionnelles" et "loix fondamentales de Droit et naturelles"72. Avec dix-neuf mentions, les théoriciens du droit naturel sont, en effet, à l’honneur. De Pufendorf et Christian Wolff, Billaud semble avoir surtout retenu l’idée d’une "amitié générale", d’une "bienveillance universelle" entre les hommes : la théorie de la sociabilité naturelle et la quête de l’harmonie demeureront toujours au cœur de ses interrogations politiques73. À ses auteurs favoris, Burlamaqui et Vattel, il emprunte évidemment le principe du droit de résistance à l’oppression74. Mais il y a plus : la notion de "balance des pouvoirs" trouvée dans les Principes du droit politique, Billaud la transformera en méfiance jamais démentie vis à vis de l’exécutif ; il en concluera à l’idéal de la démocratie représentative (contre la pure démocratie directe) conjuguée avec le contrôle constant de ceux qui gouvernent75.

  • 76 M. Abensour, "La philosophie politique de Saint-Just", A.H.R.F., janvier-mars 1966, p. 22 à 27 en p (...)
  • 77 Voir R. Derathé, J.-J. Rousseau et la science politique..., op. cit., p. 84-92. "L’immortel Loke" ( (...)

31Verra-t-on dans ces choix référentiels la marque d’un "anti-rousseauisme" sans réserve, non démenti par les œuvres postérieures76 ? Rousseau est, certes, presque absent du Despotisme des ministres : il n’est explicitement mentionné que pour critiquer l’enseignement dispensé dans les collèges, mais il nous semble possible de déceler certains emprunts plus larges à l’Émile, en particulier au livre V où se place le "résumé" du Contrat social. Les rapports de Billaud-Varenne à la pensée rousseauiste sont complexes et engagent à examiner les points de rencontre et les divergences, ce que nous tentons dans l’annotation des Principes régénérateurs du systême social. Seconde absence, enfin, celle de Locke pourtant évoqué dans le palmarès introductif. On peut cependant admettre que Billaud a connaissance des lignes de force de la doctrine lockienne, soit par la traduction commentée de Pufendorf par Barbeyrac, soit par la médiation de Burlamaqui77.

32Tel est donc le tableau très simplifié qu’il est possible de brosser de la culture politique de Billaud-Varenne au seuil de l’année 1789. Concluera-t-on à un éclectisme incohérent expliquant ensuite aisément l’échec politique ? Telle démarche serait fort insatisfaisante du point du vue théorique et très imprudente sur le plan de la méthode historique. On reconnaîtra, en effet, qu’au-delà de leurs évidentes contradictions, l’unité des références mises en œuvre tient à ce qu’elles permettent toutes, d’une façon ou d’une autre, la déconstruction du "despotisme". Disons même que, prises ensemble, elles autorisent la totale mise à nu des institutions.

  • 78 Despotisme des ministres..., op. cit., t. 1, p. 116 et t. 3, p. 268.

33S’interrogera-t-on sur le caractère "révolutionnaire" ou non d’un ouvrage rédigé au cœur de la "pré-révolution" ? La question serait, pour le moins, empreinte od’anachronisme. Remarquons simplement que tous les thèmes des critiques plurales qui frappent, en 1787-1788, l’édifice bientôt baptisé "Ancien Régime" se mêlent et s’entrecroisent. C’est assez pour situer alors la réflexion politique de Billaud-Varenne et dont témoigne cette idée-force qui perce constamment sous la pesante démonstration juridico – historique : "il faudrait absolument un nouvel ordre des choses", "un Empire qui a vieilli, est un Empire à régénérer totalement"78. Le nouveau titre donné après l’été 1789 révèle aussi les mutations et les nouveaux choix nés de la Révolution.

De la révolution, de la contrainte, de la terreur

34L’itinéraire de Billaud-Varenne dans la Révolution est trop connu factuellement pour qu’il soit nécessaire de le retracer. De sa production politique nous ne retiendrons que quelques thèmes, afin d’introduire à la lecture des Principes régénérateurs du systême social. Par leur ampleur et leur banalité, nos interrogations pourront sembler non pertinentes. C’est très consciemment que nous encourons le risque de suivre le discours de Billaud sans le regard distancié légitimement exigé de l’analyse historique, tout en voilant cette parole par les apports et les points obscurs de l’historiographie, opacifiés encore par notre propre intervention. Ainsi écartelée, une interprétation de la pensée politique d’un Jacobin notoire, théoricien du Gouvernement révolutionnaire et "terroriste" (pour reprendre le néologisme post-thermidorien) est-elle possible, voire envisageable ? On comprendra que nous tentions d’éviter les généralisations et, surtout, de proposer une interprétation – une de plus – du "jacobinisme".

  • 79 Instruction adressée aux autorités constituées des départements de Rhône et Loire... par la commiss (...)
  • 80 Convention nationale, séance du 1er floréal an II, Archives Parlementaires, 1ère série, t. LXXXIX, (...)

35Trois questions s’imposent. "Comment naissent les révolutions ?” – chacun aura reconnu la formulation classique d’Ernest Labrousse. Comment agir "dans le sens de la révolution" ? – c’est ici le discours jacobin qui est tenu79. À la dernière interrogation, que recouvre la notion de "République démocratique" évoquée par le laconique décret du 1er floréal an II (20 avril 1794), nous tenterons d’apporter des éléments de réponse par la présentation même des Principes régénérateurs80.

  • 81 Discours, révolutions et histoire, op. cil., chap. VII et VIII.
  • 82 Le Peintre politique..., anonyme, s.l., 1789, op. cit., p. 1 et p. 16-17.
  • 83 "La philosophie éleva sa voix ; elle rappela l’ordre de la nature. Elle démontra l’égalité des cond (...)
  • 84 Sur ces problèmes, voir L. Ferry, Philosophie politique, t. 2, Le systême des philosophies de l’his (...)
  • 85 "La première vertu de tout législateur est la prévoyance. Il commettra de grandes erreurs s’il part (...)
  • 86 Le Peintre politique..., op. cit., p. 86 (souligné par nous). Plus loin, il définit la Constitution (...)

36Pourquoi une révolution ? Conjugant histoire cyclique et histoire cumulative en ce que Jean-Marie Goulemot appelle un "discours éclaté”81, Billaud fait naître les révolutions tant du "besoin de renouvellement" nécessaire à la pérennité de l’Univers que de l’excès de malheur et de désespoir qui porte un peuple à se révolter. Le thème rythme sa réflexion depuis le premier ouvrage écrit en révolution, Le Peintre politique, ou Tarif des opérations actuelles, violente diatribe contre les décrets pris par l’Assemblée constituante en octobre 1789. Comment, toutefois, trouver ce courage, puisque la crainte, l’habitude, les préjugés, "l’apédeutisme" font supporter, voire aimer, le "joug de la servitude" ? C’est qu’il y a en l’homme "un élan de la nature qui [le] porte vers sa liberté"82. Cette affirmation d’un ordre naturel rationnel est, à l’évidence, la condition d’énonciation des droits inaliénables et imprescriptibles de l’homme, liberté, résistance à l’oppression, égalité83. Essentielle pour référer les faits aux valeurs et pour soumettre les lois positives au primat du droit naturel, la tradition jusnaturaliste pose cependant des problèmes politiques que Billaud devait s’attacher à résoudre, sans pour autant parvenir à une totale cohérence systémique. Les Principes régénérateurs nous semblent porter la trace de ces hésitations et trahir même, parfois, une sorte de désespoir. Difficile est, en effet, l’articulation entre Nature, Histoire et Liberté. Tel est pourtant l’héritage de la philosophie à laquelle Billaud-Varenne rend hommage tout en soulignant qu’elle n’a pas (ou mal) conçu le passage de la théorie à la pratique. Mais, parlant lui-même en 1789 d’un "équilibre constant dans la nature", il s’engage dans la voie aporétique du déterminisme. S’il affirme, contre Pufendorf, la légitimité de la révolution (le droit de rompre unilatéralement le contrat), n’énonce-t-il pas une historicité conçue selon un "dessein de la nature" et laissant donc peu de place à la liberté humaine84 ? Comment prôner l’action révolutionnaire, si la régénération espérée se trouve réduite à n’être que le retour à une harmonie préétablie, si l’idéal se situe dans un âge d’or passé et sans doute à jamais perdu ? Dès 1789, Billaud esquisse des solutions politiques. En premier lieu, il insiste sur la mission du Législateur qui ne doit envisager que l’avenir, inventer et non imiter85. Ensuite, il fait de la liberté non seulement un droit naturel (référent idéal) mais aussi une destination (tâche à accomplir) : "c’est positivement lorsqu’une Nation s’élance du néant de la servitude vers la création de sa liberté, qu’elle doit frémir de ce que cet œuvre (sic) qu’il est si important de terminer au plutôt [la Constitution], loin d’avoir atteint son dernier degré de perfection ne se trouve qu’à peine ébauché"86.

  • 87 Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 7.
  • 88 Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 9-10. De Rousseau il écrit (p. 7) : "L’immortel Jean-Jacque (...)

37Trois ans plus tard, député de Paris à la Convention et voulant faire connaître les principes qui doivent diriger la représentation du peuple, Billaud-Varenne précise sa pensée en rédigeant les Élémens du Républicanisme dont le premier livre s’intitule "De l’homme"87. Il affirme d’abord avec beaucoup de netteté que "l’esprit de sociabilité" est naturel à l’humanité dont l’intelligence est bien supérieure à celle des espèces animales : "si c’est au fond de l’âme qu’est le siège de nos jouissances, ce qui les procure se trouve incontestablement au-dehors". Il en déduit, qu’à la différence des animaux, l’homme à la naissance "n’est rien" : "l’homme, cette créature si superbe, n’est-il pas, à cette première époque de la vie, au-dessous de la brute la plus stupide ? Lui seul se trouve hors d’état de faire le moindre usage d’aucun de ses membres". On comprend évidemment l’importance accordée à l’éducation, car la spécificité de la nature humaine est la perfectibilité : Billaud retrouve ici Rousseau qu’il avait commencé par contester88.

  • 89 Voir A. Renaut, Le systême du droit..., op. cit., p. 181. Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 1 (...)
  • 90 Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 14.

38L’étape est primordiale. Des prémisses individualistes de sa réflexion, Billaud-Varenne conserve une définition de l’homme par "la volonté libre et réfléchie". Mais, considérant que "c’est enlever à l’existence une partie essentielle de son objet que de se séquestrer absolument de la société de ses semblables", il reconnaît "la relation intersubjective comme appartenant à l’essence même de l’homme"89. Ici se pose le redoutable problème de l’articulation entre liberté et bonheur, puisque "la destination de tout être vivant est visiblement de faire son bonheur par la jouissance de tout ce qu’il peut mettre à sa disposition"90.

  • 91 Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 13.
  • 92 Archives Parlementaires, t. LXVII, op. cil., p. 220.

39Comment réaliser cette communauté d’individus libres et heureux ? "C’est là le grand art de la législation ; art qui fut toujours difficile d’atteindre"91. Le recours n’est donc ni de laisser faire la nature, ni de laisser faire l’histoire. La solution est d’établir un "bon gouvernement", évidemment républicain, fondé, comme le suggère le Prospectus des Élémens, sur les "maximes les plus conformes à la justice étemelle et aux droits combinés de la nature et de la civilisation"92. Autrement dit, le triomphe du Droit, mais aussi le problème de la contrainte.

40Pour élucider ces interrogations, nous avons fait le choix de nous appuyer sur les concepts de la philosophie allemande, en particulier ceux mis en œuvre par le jeune Fichte des années 1793-1797, et de nous rapporter aux travaux des principaux commentateurs, Alexis Philonenko, Luc Ferry et Alain Renaut. Il nous faut tenter ici de nous en justifier.

  • 93 Nous avons largement profité des discussion menées dans le cadre du Centre "Philosophie et Révoluti (...)
  • 94 Voir le Rapport fait par Billaud le 1er floréal an II, Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit.(...)
  • 95 A. Philonenko, Théorie et praxis..., op. cit., p. 79.
  • 96 Principes régénérateurs du systême social, infra, p. 157. Nous pensons pouvoir rapprocher le projet (...)

41En reconnaissant cette dette, nous n’entendons pas prêter artificiellement à Billaud-Varenne une rigueur systémique à laquelle il n’est, sans doute, jamais parvenu. Encore moins voulons-nous tirer à tout prix la philosophie fichtéenne vers le "jacobinisme", démarche absurde puisqu’on ne saurait confondre la tâche du savant et celle du politique (ni l’exigence philosophique et l’analyse historique). Mais, à tort peut-être, il nous a semblé nécessaire et possible de rapprocher parfois le philosophe et le législateur. Nécessaire, car le philosophe nous aidait à surmonter certaines difficultés méthodologiques de la démarche historienne. Tentant d’opérer un retour aux textes, les concepts fichtéens nous offraient une chance d’éviter à la fois de les répéter et de les écraser sous le poids de l’historiographie93. Possible aussi, car chez cet intellectuel engagé dans la révolution, nous trouvions affirmée la volonté d’agir selon des principes. Ce devoir-faire en fonction d’un devoir-être induisait une conception de l’homme politique défini non par son habileté, mais par son énergie, sa prévoyance, sa vertu. Pour établir la démocratie ("créer un caractère national qui identifie de plus en plus le peuple à sa constitution"), le législateur se voit donc assigner une tâche complémentaire à la "destination du savant"94. Or Fichte qui légitima philosophiquement la Révolution française, croyait aussi "qu’une pensée coupée de l’action était aussi vide qu’un concept sans intuition – et qu’inversement, séparée de la pensée, l’action était aveugle comme l’intuition privée de concept"95. Il nous a semblé, enfin, que le philosophe allemand et le révolutionnaire français s’étaient engagés dans une même recherche, trouver au problème politique une solution qui ne soit pas un "doux rêve", créer un espace public de réciprocité où seule commanderait à tous une loi conforme au droit naturel et dont la force serait ainsi "l’assentiment général"96.

  • 97 M. Richir, "Fichte et la Terreur", The French Révolution and the Creation of Modern Political Cultu (...)
  • 98 M. Ozouf, "Guerre et Terreur dans le discours révolutionnaire : 1792-1794", L’école de la France... (...)
  • 99 Principalement J. Guilhaumou, "La formation d’un mot d’ordre : « Plaçons la Terreur à l’ordre du jo (...)

42En nous proposant de questionner Billaud-Varenne sur "comment la révolution", loin de nous l’intention de faire de Fichte un apologiste de la Terreur97. Mais Billaud l’est-il lui-même ? Souhaitons que cette interrogation ne soit prise ni comme une provocation, ni comme une pirouette destinée à esquiver le problème – l’articulation des droits de l’homme et de la Terreur –, mais pour ce qu’elle voudrait être, analyse d’une séquence historique tellement surinvestie par les interprétations et les polémiques qu’elle en est devenue presque opaque. En suivant Billaud-Varenne dans le trajet discursif qui le conduit à élaborer sa représentation du processus et de l’action révolutionnaires, nous prenons évidemment le risque de "copier son propos"98. Précisons, toutefois, qu’en cherchant l’argumentaire d’un acteur de la Révolution nous ne faisons que réemprunter la voie ouverte par les analystes du discours et des stratégies de langages99.

  • 100 Le Peintre politique..., op. cit., p. 59.
  • 101 M. Ozouf, "Guerre et Terreur...", op. cit., p. 121. Après l’affaire de Nancy (août 1790), Billaud é (...)

43Afin d’ouvrir une histoire conforme à la Nature, à la Raison et à l’Humanité (le projet scande tous les écrits de Billaud), la Révolution doit en finir avec l’arme favorite de la tyrannie, la violence ("la terreur", dit-il). Dénonçant ainsi la loi martiale au lendemain de son adoption (octobre 1789), "loi meurtrière qui va ordonner [une] affreuse boucherie", Billaud écrit : "le peuple a dû trembler, lorsqu’au lieu d’assouvir sa faim, il a appris qu’on ne songeoit qu’à réprimer par la terreur les angoisses du besoin"100. La Révolution est donc d’emblée définie par la simultanéité de l’opération destruction-construction. Tout autre cheminement signe l’échec en ménageant au despotisme un horizon d’attente qui finira par recouvrir le fragile espace de la liberté naissante. Pour un peuple habitué aux "chaînes de l’esclavage", les plus grands dangers sont la légèreté, l’apathie, l’inertie et l’oubli. Agir révolutionnai rement, c’est dévoiler constamment la "terreur" adverse (la vigilance) et la retourner contre les ennemis de la liberté : le thème de la "terreur-réplique" se trouve inscrit, dès 1790, dans la réflexion politique de Billaud-Varenne101.

  • 102 Discours... sur le jugement de Louis Capet, Paris, R. Vatar, s.d. (janvier 1793), B.N., Le38 91, p. (...)

44L’argument resurgit lors du procès du roi. La mort de Louis XVI doit être "un sujet de terreur aux modérés et aux foibles (...). De là, moins de résistance et plus de facilité pour atteindre au but. Car si le passage de la monarchie à la république est un torrent dans lequel tant de nations ont été englouties, c’est pour avoir eu l’impolitique de s’y arrêter trop-longtemps"102. Ainsi s’est esquissée une théorie de la révolution dont on pourrait conclure qu’elle légitime par avance la décision du 5 septembre 1793. Cette reconstruction, somme toute très linéaire, nous semble toutefois écarter des problèmes historique majeurs, le rapport entre la Terreur et le Gouvernement révolutionnaire, la "nécessité" d’une "dictature", l’articulation, enfin, du politique et du social.

  • 103 Moniteur, réimpression, t. XVII, p. 581.

45Revenons aux textes et notons d’abord que le mot d’ordre "Plaçons la terreur à l’ordre du jour", intégré par Barère au rapport qui précède l’adoption des deux décrets créant l’armée révolutionnaire et chassant de Paris les militaires démissionnaires ou destitués, ce mot d’ordre Billaud ne le prononce pas lors de la fameuse séance du 5 septembre 1793. Que répond-il à Chaumette qui vient d’énoncer le vœu de la Commune de Paris, Des subsistances, et pour en avoir, force à la loi ? "Il est temps, et plus que temps de fixer le sort de la révolution", "le moment d’agir est venu, le temps des délibérations est passé" et, enfin, "il faut que la nation se lève : partout le peuple sera vainqueur, car il n’attend pour agir que l’impulsion que vous lui donnerez. C’est d’ici [la Convention] que doivent partir les mouvements nationaux, et cela dépend de vous"103. Ce discours nous engage dans trois directions : les raisons (historiques) de la contrainte, les moyens (politiques) de la contrainte, les formes et les limites (juridiques) de la contrainte.

  • 104 Moniteur, ibid., p. 582.
  • 105 Voir J. Guilhaumou, "L’élite modérée et la « propriété des mots » (1791)", Les idéologues, W. Busse(...)
  • 106 Principe constitutionnel proposé par Billaud-Varenne, Paris, Imp. nat., 1793, 6 p., B.N., Le38 2316 (...)
  • 107 Rappelons que le "côté droit" (ce qu’il en reste après l’élimination des Girondins) n’a pas pris pa (...)
  • 108 Cl. Lefort, "La Terreur révolutionnaire", Passé-Présent, n° 2, 1983, p. 11-43, en particulier p. 32 (...)
  • 109 Rapport (...) sur un mode de Gouvernement provisoire et révolutionnaire, Paris, Imp. nat., 24 p. (A (...)
  • 110 Décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793), section II, article 1.

46Pourquoi la Terreur ? Les décisions de septembre 1793 signent l’échec d’une révolution qui n’a pris que des "demi-mesures"104, qui n’a pas su (ou voulu) mettre en pratique les droits naturels de l’homme. Ayant ainsi laissé triomphé l’abus des mots et bien loin d’avoir réalisé le Droit et la Liberté, on a installé l’anarchie et ménagé la renaissance du despotisme105. Il nous semble ici nécessaire de revenir quelques mois en arrière, avant la "Terreur à l’ordre du jour", en juin 1793, avec deux interventions de Billaud-Varenne. Intitulée Principe constitutionnel, la première, le 9 juin 1793, s’inscrit dans le débat sur la Constitution qui suit l’éviction des Girondins. Au nom du droit à l’existence, Billaud propose d’exempter "tout citoyen réduit à l’absolu nécessaire" du paiement de toute contribution directe : on ne peut affirmer plus clairement la naturalité de la citoyenneté, justifier le suffrage universel comme droit de l’homme et le disjoindre de la propriété de biens matériels106. De la seconde proposition faite le 23 juin 1793 dira-t-on qu’elle est insignifiante ? Après avoir demandé l’appel nominal pour l’adoption de la déclaration des droits, "chef d’œuvre de la philanthropie", Billaud déclare qu’"il reste à la Convention nationale à consacrer cette journée célèbre par un décret populaire et bienfaisant : c’est l’abrogation de la loi martiale. Cette loi ne peut être utile que pour les tyrans ; et le jour que vous proclamez une constitution populaire, cette loi de sang doit disparaître"107. Le droit naturel déclaré efface ainsi le droit du plus fort et la violence despotique. Revenons donc au problème de la Terreur. Si Billaud-Varenne ne prononce pas le mot dans la séance du 5 septembre 1793, serait-ce que le non-dit se révélerait "indicible"108 ? Nous ne partageons pas l’analyse de Claude Lefort, tout simplement parce que nous ne posons pas les mêmes questions aux textes. Billaud n’a jamais dissimulé, et ce depuis 1790 et l’affaire de Nancy, sa conviction d’une violence nécessaire pour abattre l’ancien ordre des choses. C’est cette "Terreur-réplique" qu’il nomme on ne peut plus explicitement dans le Rapport du 28 brumaire an II (18 novembre 1793) "Sur un mode de Gouvernement provisoire et révolutionnaire’’. "Si les tyrans, déclare Billaud, se font précéder par la terreur, cette terreur ne frappe jamais que sur le peuple. (...) Au contraire, dans une République naissante, quand la marche de la révolution force le législateur de mettre la terreur à l’ordre du jour, c’est pour venger la nation de ses ennemis"109. Cette nomination, au demeurant tardive, de la Terreur joue, nous semble-t-il, un rôle essentiel dans le discours : c’est la faire coïncider avec son absorption immédiate dans le primat de la "violence législative", stricte définition du Gouvernement révolutionnaire – "La Convention est le centre unique de l’impulsion du gouvernement"110.

  • 111 "La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et lég (...)
  • 112 Rapport (...) sur un mode de Gouvernement provisoire et révolutionnaire, op. cit., p. 3.
  • 113 A. Renaut, Le systême du droit..., op. cit., p. 241.
  • 114 R. Derathê, J.-J. Rousseau et la science politique..., op. cit., p. 410-413. Alexis Philonenko, pui (...)
  • 115 Voir la thèse d’O. Le Cour Grandmaison, Les citoyennetés en Révolutions, 1789-1794, Paris, P.U.F., (...)

47Nous sommes ainsi conduit à nous interroger sur la nature fonctionnelle du Gouvernement révolutionnaire et à élucider les notions de "dictature" et de "transition". Remarquons tout d’abord que le Gouvernement révolutionnaire est un "corps agissant" qui ignore la séparation des pouvoirs, mais que caractérise la toute puissance du législatif : "corps agissant", "législatif’’ d’abord, "exécutif’’ ensuite, on aura reconnu modifiée la formule de Marx111. Nous n’ignorons ni les pouvoirs des comités dits "de gouvernement", Salut public et Sûreté générale, ni le rôle des "commissions" telle l’essentielle commission des Subsistances, mais nous ne souscrivons pas pour autant à la thèse souvent admise (et qui nous semble un legs post-thermidorien) d’une puissance "absolue" (déliée des lois) du comité de Salut public. Une phrase du Rapport du 28 brumaire an II nous paraît tout à fait importante ; "en révolution, dit Billaud, le peuple et le législateur doivent seuls pouvoir, dans les momens de crise, s’élancer hors du cercle, pour y ramener toute masse de factieux et de malveillans, devenue trop forte pour être contenue ou réduite par les voies ordinaires"112. On ne saurait, à notre sens, définir plus clairement les termes du contrat social et la contrainte comme "moment indispensable du politique"113. Soulignons, par ailleurs, que ni les métaphores organicistes et vitalistes héritées du langage des Lumières (et pas seulement de Rousseau ou Mably)114, ni la liaison inclusion-exclusion ne sont spécifiques du courant de pensée qu’on nomme "jacobinisme" : on les trouve à l’œuvre dans le discours "libéral" de l’Assemblée constituante. De plus, le "phantasme du peuple-UN", dont Claude Le fort semble faire l’une des caractéristiques de la période "terroriste", affleure dès 1789-1791 lors des débats sur les droits civiques115.

  • 116 C. Castoriadis, "La polis grecque et la création de la démocratie", Le Débat, n° 38, janvier 1986, (...)
  • 117 H. Arendt, Essai sur la Révolution, 1963, trad. française, Paris, Gallimard, 1967, rééd. coll. TEL, (...)
  • 118 Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 95-96. Principes régénérateurs du systême social, voir infr (...)

48Ceci étant, l’obsession d’unité qui caractérise, en effet, la période 1793- an II ne laisse place ni à une démocratie directe à l’antique116, ni à une autonomisation du pouvoir législatif : l’absence de "séparation" entre le peuple et le législateur suppose la soumission de tous aux principes constituants, au droit naturel déclaré. Est-ce simple jacobinolâtrie de rappeler que, si la Constitution de 1793 fut enfermée dans l’arche de cèdre, tel ne fut pas le cas de la Déclaration des droits, maintes fois lue ou récitée dans les réunions publiques ? Est-il absurde de souligner que la première section du décret du 14 frimaire an II est consacrée à l’envoi et à la promulgation des lois ? Ne peut-on relever ici l’influence tant du Deuxième Traité du Gouvernement civil que Des délits et des peines ? Mais, sauf à accepter l’hypothèse, d’ailleurs repoussée par Hannah Arendt, d’une monstrueuse hypocrisie117, n’y a-t-il pas un paradoxe insurmontable à évoquer Locke et Beccaria ? Car demeure, bien sûr, le problème de la peine de mort. Or, des Élémens du Républicanisme aux Principes régénérateurs, en 1792 et 1794, Billaud-Varenne se montre hostile à la peine capitale. "Un voleur est supplicié, écrit-il dans les Élémens ; c’est, dira-t-on un malheur personnel, d’où naît l’avantage général. Cependant si vous remontez à la source, vous trouverez que le crime et sa punition ont pour principe la détresse de la multitude ; et que cet assassinat juridique ne sert qu’à sceller l’infortune du plus grand nombre. Ainsi ce châtiment exemplaire, loin de tourner au profit du corps social, devient au contraire un acte destructeur de la prospérité publique". Et, deux années plus tard : "Si la mort est un refuge contre la persécution, elle est aussi ce qui lui donne le plus de force : et l’on a trop long-temps oublié qu’un des principaux appuis de l’usurpation, du trône et de la tyrannie, c’est l’échafaud. Il n’y aurait jamais eu d’oppresseurs, s’il n’eût jamais été permis de se jouer de la vie des hommes"118.

  • 119 Nous suivons A. Philonenko, J.-J. Rousseau et la pensée du malheur, t. III, op. cit., p. 31 et suiv (...)
  • 120 L’Acéphocratie..., op. cit., p. 43.
  • 121 A. Renaut, Le systême du droit..., op. cit., p. 359.
  • 122 Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 96. La phrase suit immédiatement le passage cité plus haut (...)

49Parlera-t-on de repli circonstanciel, platement stratégique et opportuniste, après la chute du "tyran", le 9 thermidor ? Telle interprétation paraît un peu courte. Car deux points, semble-t-il, sont à souligner. En premier lieu, Billaud-Varenne découvre la différence entre volonté de tous et volonté générale119. Ce qu’on pourrait appeler, pour reprendre une formule d’Alain Renaut, un "moment rousseauiste" débute – et ce n’est pas fortuit – avec la crise de l’été 1791, la critique de la Constitution et l’émergence de l’idée républicaine. Décrivant, dans L’Acéphocratie, l’abîme qui sépare la Déclaration des droits d’un texte constitutionnel multipliant les "exclus", Billaud écrit qu’un "peuple souverain" est "celui dont le gouvernement soumet indistinctement tous les membres de l’état, au joug glorieux et salutaire des loix" ; "pour cet effet, ajoute-t-il, la loi doit être rédigée par le corps de la nation"120. "Loi" et "toute-puissance" paraissent déjà "synthétisées" dans une "théorie de la souveraineté de la volonté générale"121. C’est alors que Billaud rencontre "l’autre", celui qui refuse les termes du nouveau contrat social, et constate la méchanceté, non pas naturelle, mais culturelle des hommes. "À le bien prendre, ce sont donc moins les hommes que l’auteur des choses n’a sûrement pas créés essentiellement méchans, que nos institutions civiles qui, dégénérées et vicieuses, nous rendent tels ; dont l’amendement doit fixer, avant tout, l’attention et les soins du législateur philosophe"122.

  • 123 C’est encore à A. Renaut que nous empruntons le terme de "machiavellisation". La comparaison entre (...)

50Cette "machiavellisation" de la pensée de Billaud-Varenne se lit clairement dans le Rapport du 28 brumaire an II, avec l’exemple comparatif de Lycurgue et Solon, démarqué des Discours sur la première décade de Tite-Live123. La logique de la contrainte et d’une épuration du "corps politique" rend sensible l’ambiguïté de la métaphore organiciste et pose à l’évidence le redoutable problème de la peine.

  • 124 C. Beccaria, Des délits et des peines, § XVII, Paris, Flammarion, 1979, p. 98-99. La position de Ro (...)

51On connaît ce courant des Lumières qui, avec Beccaria, choisit l’exil contre la peine de mort124. Telle est aussi la position "théorique" de Billaud, à une différence près, toutefois, et d’importance : la confiscation des biens des bannis. Mais comment, alors, justifier le recours à l’échafaud ? Par la "nécessité" ? La question revêt une telle ampleur que nous nous bornerons à poser ici quelques jalons hypothétiques.

  • 125 Des délits et des peines, § XVI, op. cit., p. 90-91.

52"La mort d’un citoyen, écrivait Beccaria, ne peut être regardée comme nécessaire que pour deux motifs. Premièrement, dans ces moments de troubles où une nation est sur le point de recouvrer ou de perdre sa liberté. Dans les temps d’anarchie (...) si un citoyen, quoique privé de sa liberté, peut encore, par ses relations et son crédit, porter quelque atteinte à la sûreté publique, si son existence peut produire une révolution dangereuse dans le gouvernement établi, la mort de ce citoyen devient nécessaire"125.

  • 126 L. Ferry, "Stalinisme et historicisme. La critique du totalitarisme stalinien chez Hannah Arendt et (...)
  • 127 Rapport (...) sur un mode de Gouvernement provisoire et révolutionnaire, op. cil., p. 13.
  • 128 Cl. Lefort, "La Terreur révolutionnaire", op. cit., entame son étude par l’analyse du discours de R (...)
  • 129 Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 100 (souligné par nous).

53Ce présupposé trouve, après tout, un écho dans les "trois formes de terreur" distinguées par H. Arendt et R. Aron, classification qui, rappelle Luc Ferry, repose sur le caractère "plus ou moins explicable de chacune d’entre elles"126. Autrement dit, l’application de la peine de mort en 1792- 1794 correspondrait à la terreur "normale" (compréhensible), celle qui assure l’élimination des opposants : "terreur normale", "terreur réplique" ou, pour reprendre le Rapport du 28 brumaire an II, quand "l’échafaud qui naguère étoit le partage du misérable et du foible, est enfin devenu ce qu’il doit être : le tombeau des traîtres, des intrigans, des ambitieux et des rois"127. C’est dans le Rapport du 1er floréal an II (20 avril 1794) que se doit chercher l’autre bout de la chaîne, puisque alors s’installerait l’interminable (c’est-à-dire l’inexplicable) Terreur, ou sa "dégénérescence en violence d’État’’128, bref la "troisième phase de la terreur". Une observation de Billaud nous semble poser le problème dans son entière complexité "Français, que faites-vous ? L’ennemi nous a-t-il vaincus ? La liberté est-elle perdue, pour songer nous-mêmes à nous exterminer ? Mais ce projet exécrable n’appartient qu’à quelques monstres cachés encore dans le repaire anfractueux du crime. Ils ont beau faire, ils n’échapperont pas à l’œil perçant de la justice ; elle est déjà sur leurs traces, et son bras vengeur et inexorable saura dans peu en délivrer l’univers"129. Déclaration dramatiquement ambivalente qui associe la volonté de clore la révolution et d’extirper "le crime", qui oppose l’unité du vous/nous (peuple/législateurs) à "quelques monstres", qui porte en filigrane l’articulation difficile entre décrets de ventôse et loi du 22 prairial an II. Si la difficulté de "toucher au port" est décelable, peut-on s’autoriser à parler de processus d’étatisation ? La question rejoint celle, posée plus haut, de la nature "dictatoriale" du Gouvernement révolutionnaire.

  • 130 Twelve Who Ruled est le titre du livre classique de R. R. Palmer, op. cit.
  • 131 C. H. Church, Revolution and Red Tape : The French Ministerial Bureaucracy, 1770-1850, Oxford, Clar (...)
  • 132 Saint-Just, Discours et Rapports, éd. par A. Soboul, Paris, Éd. Sociales, 1957, p. 130 et p. 162.
  • 133 Rapport..., 28 brumaire an II, op. cit., p. 2. Rapport..., 1er floréal an II, Archives Parlementair (...)

54"Twelve Who Ruled" suffisent-ils à définir un "État révolutionnaire"130 ? Quant au phénomène de "bureaucratisation", souligné avec force par Clive Church131, n’est-il pas davantage la caractéristique du Gouvernement révolutionnaire de l’an III, puis du Directoire, que du Gouvernement révolutionnaire de l’an II ? Le danger d’une administration autonome nous semble avoir été largement mesuré par les dirigeants jacobins, Billaud-Varenne et Saint-Just en particulier. On connaît les déclarations de Saint-Just, le 10 octobre 1793 ou le 23 ventôse an II (13 mars 1794). "Tous ceux qu’emploie le gouvernement sont paresseux ; tout homme en place ne fait rien lui-même et prend des agents secondaires, le premier agent secondaire a les siens, et la République est en prise à vingt mille sots qui la corrompent, qui la combattent, qui la saignent" (10 octobre 1793). Et, le 23 ventôse : "les sociétés populaires étaient autrefois des temples de l’égalité ; les citoyens et les législateurs y venaient méditer la perte de la tyrannie, la chute des rois, les moyens de fonder la liberté. Mais (...) depuis qu’il y a dans ces sociétés trop de fonctionnaires, trop peu de citoyens, le peuple y est nul. Ce n’est plus lui qui juge le gouvernement, ce sont les fonctionnaires coalisés"132. Écoutons Billaud en écho. "Fixez vos regards sur toutes les parties de la France, et par-tout vous appercevrez les lois sans vigueur ; vous verrez même que plusieurs n’arrivent point aux administrations (...). Vous distinguerez une apathie égale chez tous les agens du gouvernement ; en un mot, vous serez effrayés, en apprenant qu’il n’y a que les décrets, ou favorables à l’ambition des autorités constituées, ou d’un effet propre à créer des mécontens, qui soient mis à exécution avec une ponctualité aussi accélérée que machiavélique". Puis, cinq mois plus tard, le 1er floréal : "Si les rênes du gouvernement sont flottantes, le fourbe ambitieux se plaint que ceux qui les dirigent manquent d’énergie, de vues, d’expérience ; et ces clameurs et ce zèle affecté n’ont pour objet que d’envahir les places où l’on puisse se partager les débris de l’état"133.

55De même qu’elle fonde la théorie des institutions de ce printemps de l’an II, la crainte d’une indépendance du pouvoir chargé de l’exécution des lois s’inscrit au cœur même des Principes régénérateurs du systême social.

Institutions civiles et régénération : Les principes régénérateurs du systême social

  • 134 Pamphlet est le désignant qu’utilise J. Guilaine qui ne consacre, d’ailleurs, que moins de 30 ligne (...)
  • 135 J. G. Fichte, L’État commercial fermé (1800), trad. D. Schultess, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1980, p. (...)
  • 136 Sur "comment sortir de la Terreur", voir la réflexion de B. Baczko, "Robespierre-roi ou comment sor (...)

56Rien ne permet de qualifier l’ouvrage de "pamphlet", encore moins de l’inscrire dans le cadre étroit des circonstances de sa publication, pluviôse an III, le moment où, en réplique à l’offensive "anti-jacobine", tente de se renouer l’alliance entre la sans-culotterie et ceux qui, de Babeuf aux derniers Montagnards, se proclament "les défenseurs du peuple"134. Comme les Élémens du Républicanisme de 1793, le nouvel écrit est d’abord "profession de foi" politique d’un "législateur philosophe". Le titre même est programmatique et traduit un souci d’intelligibilité du réel en vue de le transformer. En témoigne aussi l’architecture rhétorique du livre. L’introduction indique les fils conducteurs : mesure de l’écart entre être et devoir-être, réflexion sur l’histoire, théorie de la révolution, annonce des grandes lignes de l’exposé et esquisse du projet. Il serait un peu injuste d’ironiser en constatant que l’auteur alors a déjà tout dit. La première partie, en effet, reprend l’exposé des "principes" pour justifier l’action révolutionnaire et la nécessité d’établir un "systême social" conforme à la Nature et à la Raison. Dans un second temps, est ébauché le tableau de la "pure démocratie", non pas restauration d’un âge d’or perdu, mais véritable "régénération", c’est-à-dire ouverture de l’avenir pour l’humanité afin, dira Fichte quelques années plus tard, "qu’elle vive aussi facilement, aussi librement, avec autant de maîtrise sur la nature, aussi humainement que la Nature le permet sur terre"135. Ne nous étonnons donc pas que Billaud associe constamment considérations théoriques et réflexions sur la praxis. Il semble, en revanche, avoir peine à penser le temps, hésitant parfois entre déterminisme et liberté. On peut sans doute y voir la difficulté à articuler rousseauisme et tradition du droit naturel. Mais le problème ne surgit-il pas aussi du drame de l’histoire qu’il vit et sur laquelle il agit : comment expliquer la violence révolutionnaire, comment "sortir de la Terreur" pour fonder la "République démocratique" sans prendre le risque de "rétrograder"136 ?

57Ces questions invitent à s’interroger plus précisément sur le moment de la rédaction et l’enjeu de la publication.

  • 137 Principes régénérateurs du système social, infra, p. 120.
  • 138 B. Barère, De la pensée du gouvernement républicain, s.1. ("imp. en France"), 2e éd., floréal an V, (...)

58À la lecture des Principes régénérateurs, on peut certes déceler quelques allusions explicites ou voilées au "moment thermidorien", mais elles sont peu fréquentes, voire exceptionnelles dans la seconde partie (sauf, éventuellement, dans les ultimes pages). Tout l’ouvrage, en revanche, semble parcouru par le problème du pouvoir, des rapports gouvernants – gouvernés, des menaces qui pèsent sur une république naissante, perversion toujours possible du nouveau régime et visages polymorphes de la dictature (dictature "molle" de l’indifférence des citoyens – ou de leur lassitude –, dictature "dure", militaire en particulier). C’est, à notre sens, "sa" théorie des institutions que propose ici Billaud-Varenne. Rien, en soi, de bien original et on ne saurait s’étonner de trouver une référence aux Considérations sur le gouvernement de Pologne137. En l’an V encore, et dans un ouvrage au demeurant assez ambigu, Barère consacrera le plus long de ses chapitres aux "Institutions républicaines". "Les lois, écrit-il, arrêtent quelques actions mauvaises ou nuisibles ; mais les institutions assimilent toutes les volontés, identifient tous les cœurs et les portent vers la patrie"138.

  • 139 Saint-Just, Rapport sur les personne incarcérées, 8 ventôse an II (26 février 1794), Discours et Ra (...)
  • 140 Rapport sur la police générale, sur la justice, le commerce, la législation et les crimes des facti (...)
  • 141 J.-Ph. Domecq, Robespierre, derniers temps, Paris, Le Seuil, 1984. Sur Fichte, voir A. Philonenko, (...)
  • 142 Saint-Just, Discours et Rapports, op. cit., p. 195.
  • 143 Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 94. Intervention de Couthon dans Moniteur, réimpre (...)
  • 144 B.N., Le38 774, Paris, Imp. nat., 24 p. La version des Jacobins vient de l’Imprimerie du Tribunal r (...)

59Il nous semble cependant possible d’inscrire le travail rédactionnel de Billaud, au moins pour partie, dans un moment précis, la fin du printemps et le début de l’été de l’an II. Essayons de justifier notre datation. On sait que, depuis ventôse an II, Saint-Just a lancé le projet politique des Institutions, "âme de la République"139. Après le "drame de germinal" – l’élimination des "factions" exagérée et indulgente – Saint-Just reprend le thème dans le Rapport qui entend clore la crise, le 26 germinal an II (15 avril 1794)140. Martelant ce que Jean-Philippe Domecq nomme "l’impératif catégorique révolutionnaire", il faut, il faut, il faut, Saint-Just lance aussi le mot d’ordre d’une "espérance définitive", "Tout commence donc sous le ciel", qui n’est pas sans rappeler la formule de Fichte : "Être libre, ce n’est rien, devenir libre c’est le ciel"141. Et de conclure son rapport sur cette exhortation : "Formez les institutions civiles, les institutions auxquelles on n’a point pensé encore (...). C’est par là que vous annoncerez la perfection de votre démocratie”142. Or, c’est à Billaud-Varenne qu’il revient, cinq jours plus tard, le 1er floréal an II, d’énoncer le projet. Coïncidence ou volonté politique, rappelons qu’il s’agit là du second (et dernier) rapport au nom du comité de Salut public et que, comme pour le premier, le 28 brumaire an II, Billaud traduit en termes d’agir les principes énoncés par Saint-Just. Selon le Procès-Verbal de la Convention, c’est pour faire un rapport "Sur la guerre et les moyens de la soutenir" que l’orateur monte à la tribune. L’Assemblée décide l’impression, tout comme la Société des Jacobins où, le soir même et à la demande de Couthon, Billaud relit son discours : "Billaud-Varenne a fait aujourd’hui un rapport qui contient la morale la plus pure" déclare alors Couthon143. Le Rapport devait alors se trouver baptisé : "Sur la théorie du gouvernement démocratique, et sa vigueur utile pour contenir l’ambition, et pour tempérer l’essor de l’esprit militaire ; sur le but politique de la guerre actuelle, et sur la nécessité d’inspirer l’amour des vertus civiles, par des fêtes civiques et des institutions morales"144.

  • 145 Moniteur, réimpression, t. XX, p. 284. Un "code de lois" n’était pas de trop, la Convention adoptan (...)
  • 146 Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 100.

60Le 3 floréal (22 avril 1794), enfin, la Convention décrétait, toujours sur proposition de Couthon, la création de deux commissions "parlementaires", ’’l’une pour rédiger en un code clair, simple et succinct, toutes les lois rendues jusqu’à ce jour" – composée de Cambacérès, Couthon et Merlin de Douai –, "l’autre pour rédiger le code des institutions sociales"145. Couthon suggérait à la Convention de confier cette tâche essentielle au comité de Salut public lui-même, précisant qu’"un membre du comité s’est déjà occupé de ce travail". Qu’il s’agisse de Saint-Just, nous l’admettons volontiers, avec toute l’historiographie. Mais nous posons la question : était-ce Saint-Just seul ? Le fait est d’autant moins certain que le Conventionnel était envoyé en mission à l’Armée du Nord le 10 floréal an II (29 avril 1794). Alors, Billaud-Varenne ? Son rôle, initialement, devait être tout à fait essentiel. Le laconisme du décret du 1er floréal indique assez le caractère programmatique du Rapport présenté : "La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Salut public, déclare, qu’appuyée sur les vertus du peuple français, elle fera triompher la République démocratique, et qu’elle punira tous ses ennemis"146. Il est temps, temps de "fixer", de "terminer", de "maintenir", tout le lexique de Billaud dans son Rapport témoigne de la volonté de clore la Révolution, "cette chaîne de calamités", du souci de régler le devenir, "l’établissement de la démocratie". On est bien au cœur de ce problème complexe : la révolution doit conquérir et conserver la liberté. Nous y reviendrons.

  • 147 Q. Lefort, "La Terreur révolutionnaire", Passé-Présent, op. cit., p. 32. Mona Ozouf souligne que le (...)
  • 148 J. G. Fichte, Fondement du droit naturel..., op. cit., § 18, p. 222-223.
  • 149 Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 99-100.
  • 150 Voirie Rapport de Robespierre "Sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes (...)
  • 151 Billaud-Varenne, Rapport..., 1erfloréal an II, Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 99.

61Souvent évoqué, le discours de Billaud se trouve toutefois souvent réduit à n’être qu’une "justification", une de plus, de la Terreur. Ainsi, commente Claude Lefort, "le dicible s’affaisse manifestement, se désarticule sous le poids de l’indicible", la Terreur étant, par essence, "interminable"147. Or, il nous semble impossible de ne pas interroger le texte à côté du problème de la Terreur, ou plutôt en aval. Car, illusoire ou pas, la volonté de terminer la Révolution induit nécessairement la présentation d’un programme pour maîtriser l’avenir. "L’avenir serait conditionné par l’activité présente ; dans l’activité présente l’avenir serait nécessairement compris"148. Le danger de "l’interminable Terreur", contradictoire d’une ouverture définitive de l’avenir, n’a donc nullement échappé aux hommes du comité de Salut public et c’est ce sentiment qui peut aussi expliquer le programme d’institutions républicaines. Quelles sont donc ces institutions ? Les pierres angulaires sont certainement les fêtes nationales et l’instruction publique "dans tous les lieux où la nation se rassemble", mais aussi l’extinction de la mendicité, la "vraie bienfaisance" par des secours à domicile. Le but ? "Créer un caractère national qui identifie de plus en plus le peuple à sa constitution" et une société qui soit "un échange journalier de secours réciproques"149. Autrement dit, ce sont précisément les décrets indissociables des 18 et 22 floréal an II (7 et 11 mai 1794) qu’annonce Billaud-Varenne. "Nous avons promis d’honorer le malheur, il sera bien plus beau de le faire disparaître" déclare-t-il. Dans la nomenclature des fêtes proposées par Robespierre, le 18 floréal, il n’est pas de simple rhétorique de souligner que l’une des célébrations décadaires est consacrée "au Malheur" : c’est même, dira Barère le 22 floréal, "la première fête nationale qui sera célébrée"150. "Honorer le malheur", c’est le récompenser et Barère reprend, en introduction à son Rapport, la formule de Saint-Just le 8 ventôse an II : "les malheureux sont les puissances de la terre ; ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent". Complémentaires, les décrets Saint-Just de ventôse et la loi Barère de floréal an II entendent instituer un lien social nouveau, "fixer le retour sur la terre de l’appréciation des hommes, de l’estime qu’ils se doivent, de la confiance qu’elle inspire, de la probité qui la suit, de la bienveillance qui l’accompagne, de l’activité laborieuse, honorée, de l’émulation qu’elle excite, du bien-être individuel qu’elle procure, et de l’harmonie civile qui lie étroitement tous les citoyens par le charme d’une si belle existence"151.

  • 152 Robespierre, Œuvres, op. cit., t. X, p. 458.
  • 153 Voir M. Ozouf, La fête révolutionnaire, 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976, p. 127-138 ; M. Vovelle, (...)
  • 154 A. Philonenko, L’Œuvre de Fichte, op. cil., p. 152.

62C’est en cela qu’il sont indissociables du projet de Robespierre proclamant, le 18 floréal, "rassemblez les hommes, vous les rendrez meilleurs (...). Donnez à leur réunion un grand motif moral et politique"152. Nous ne reviendrons pas sur les multiples et contradictoires interprétations du "culte" de l’Être suprême. Soulignons, toutefois, que rien n’indique que Billaud ait désapprouvé l’axe majeur du raisonnement robespierrien – "l’idée de l’Être suprême et de l’immortalité de l’âme est un rapport continuel à la justice ; elle est donc sociale et républicaine” –, ni qu’il ait "ricané" du cérémonial davidien du 20 prairial an II (8 juin 1794), dont Mona Ozouf et Michel Vovelle ont amplement montré qu’il voulait figurer la fin de la Révolution et l’aube de la société future, société de l’union et de la transparence, de la liberté et de l’humanité réalisée153. Pour Billaud, comme pour Robespierre, l’Être suprême est "l’ordre moral du monde, la connexion des consciences, tournées toutes entières vers la réalisation de leur liberté, donc vie, effort et Paradis"154.

63Dans cette configuration, tout n’autorisait-il pas Billaud-Varenne, rapporteur du comité de Salut public pour présenter ce programme de stabilisation, à se mettre au travail afin de rédiger, lui aussi, un projet d’institutions républicaines ?

  • 155 Moniteur, réimpression, t. XX, p. 695.
  • 156 Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 96.

64Sans reprendre ici l’analyse, au demeurant hasardeuse, des obscures divisions internes du comité, il nous faut toutefois dire un mot de la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794). Dans le débat houleux à la Convention, Billaud intervint peu, sauf pour contredire Tallien, le futur et éphémère complice du 9 thermidor. Désapprouvait-il en soi la réforme du Tribunal révolutionnaire et cette déclaration de Couthon : "si l’on veut avoir un gouvernement raisonnable, si l’on veut terminer les crises de la révolution, il est temps de porter dans toutes les parties de l’administration civile et politique cette justesse d’esprit qui met chaque principe à sa place, et qui prévient cette confusion étemelle des idées, la source la plus féconde de nos erreurs"155. Tel était bien le fil conducteur (ou l’un des fils) du Rapport du 1er floréal an II qui définissait ainsi la justice : "la raison et la volonté du peuple, et non la décision arbitraire et incohérente des magistrats qui en sont l’organe (...). La justice est l’organe de la vérité, et la foudre qui pulvérise l’imposture"156.

  • 157 L’embarras de Billaud perce dans la "Défense’’ : "Car antérieurement à cette loi du 22 prairial, il (...)
  • 158 Le Cointre voit deux "factions" dans le comité de Salut public, "ayant chacune leur chef ; Robespie (...)
  • 159 Moniteur, réimpression, t. XXI, p. 123. Pope est évoqué dans les Principes régénérateurs, infra, p. (...)

65Acceptons, toutefois, les conclusions des historiens et le discours tenu a posteriori par Billaud lui-même, mais précisons que ce fut, sans doute, plus la rédaction "personnelle" de la loi du 22 prairial que son contenu qui divisa le noyau "jacobin" du comité. Ce fut aussi ce que Billaud appelle la "dénaturation" du Bureau de police générale, une "usurpation de pouvoir", une tentative robespierrienne de créer un "organe exécutif’’ à sa botte157. On doit, à l’évidence, ne pas prendre à la lettre ces réécritures défensives de l’an III, mais sans oublier que la méfiance vis à vis de tout pouvoir exécutif est une constante de la pensée politique de Billaud-Varenne. Sans suivre non plus les explications de l’accusateur Le Cointre de Versailles, il semble bien, pourtant, que le discours de Robespierre aux Jacobins, le 13 messidor an II (1er juillet 1794), ait été perçu par Billaud comme une véritable provocation158. S’offrant dans le "spectacle d’apparat" d’un martyre solitaire, Robespierre paraissait vouloir relancer la révolution en l’inscrivant dans une histoire cyclique, l’étemel retour des "factions" : il contrevenait ainsi au projet commun de la clore par les institutions. Billaud devait immédiatement répliquer. Dans le numéro du Moniteur daté du 16 messidor (4 juillet) était publiée une annonce pour un ouvrage "sous presse" intitulé Mes opinions politiques et morales et présenté comme la suite des Élémens du Républicanisme (demeurés inachevés). L’objectif pédagogique du législateur était clairement énoncé : "L’art n’est pas de tout dire (...), mais d’inspirer beaucoup plus qu’on n’a exprimé. Alors, non-seulement l’âme s’en pénètre mieux (...), mais l’instruction en devient plus complète, puisqu’on ne suspend sa lecture que pour aller soi-même plus loin que l’auteur". Surtout, placés en exergue, les seize premiers vers de l’Épître IV de l’Essai sur l’Homme de Pope disaient plus que l’optimisme anthropologique de la référence159. Après avoir suivi d’assez près la classique traduction de l’abbé Du Resnel, Billaud modifiait notablement les trois derniers vers cités.

66De :

  • 160 Œuvres complettes de Pope, nouvelle éd., Paris, Vve Duchesne, 1779, t. 3, Essai sur l’Homme, trad. (...)

"Plante, qui dans les Cieux as pris ton origine,
Si, portée ici-bas par une main divine,
Tu juges des Mortels dignes de t’élever,
Dis-nous en quel climat ils peuvent te trouver !"160

67il faisait :

"Plante qui dans les cieux as pris ton origine,
Qui donnerais à l’homme une essence divine ;
Bonheur, nous juges-tu digne de te trouver ?
Enseigne, il en est temps, l’art de te cultiver."

  • 161 Nous contredisons la notice du Dictionnaire des parlementaires français de A. Robert et G. Cougny, (...)

68Il en est temps : le leitmotiv du 1er floréal, une réplique à Robespierre. Cet ouvrage ne fut, à notre connaissance, jamais publié161 et tout nous porte à penser qu’il s’agissait d’une première version des Principes régénérateurs. Aussi émettrons-nous une hypothèse : le livre aurait été rédigé en deux temps. De floréal à messidor an II, d’abord, et dans une version plus brève, à la fois projet d’institutions républicaines et réponse à Robespierre. Puis Billaud aurait procédé à une réécriture, portant corrections, additons, allusions à la situation nouvelle et mises en garde contre les prémices d’une "réaction liberticide". Nous pensons que ce travail occupa le temps du silence post-thermidorien, de fructidor an II à brumaire an III. Il nous semble, en tout état de cause, qu’il était achevé avant le tournant politique de frimaire-nivôse an III.

  • 162 Voir F. Brunel, "Sur l’historiographie de la réaction thermidorienne...", A.H.R.F., juillet-sept. 1 (...)
  • 163 Sur le "coup d’État", F. Brunel, "aux origines d’un parti de l’ordre. Les propositions de constitut (...)
  • 164 Principes régénérateurs, infra, p. 124. La formule n’est pas sans rappeler Fichte : "le véritable d (...)

69Pourquoi cette publication relativement tardive, en pleine offensive "anti-jacobine" ? Bornons-nous à suggérer deux motifs plausibles. Le premier est d’ordre théorique. Comme nous l’avons dit ailleurs, l’investissement du Gouvernement révolutionnaire est alors achevé – rappelons qu’on ne peut, en aucun cas, parler de "démantèlement" de ce Gouvernement qui subsiste jusqu’à la mise en place du régime directorial162. Cette création politique se caractérise par une totale dissociation entre les organes du pouvoir et le projet politique qui avait présidé à leur instauration. L’autonomisation de l’appareil d’État s’inscrit à l’horizon. Elle va permettre le coup d’État parlementaire, la rédaction d’une nouvelle Constitution qui abandonne, ceci doit être souligné, toute référence aux "droits naturels et imprescriptibles" pour se référer aux "droits de l’homme en société"163. On conçoit que Billaud ait jugé indispensable de publier un écrit où s’inscrit en leitmotiv la recherche de solution à ce que Rousseau appelle "la quadrature du cercle" (la formule est citée). Comment résoudre, en effet, le double problème de la division peuple-gouvernement et de la césure homme-citoyen ? Comment trouver le chemin d’une démocratie qui, réalisant en totalité les droits de l’homme, garantirait le "bonheur commun" dans un espace public unifié de réciprocité ? "Il faut, dit Billaud, que la richesse comme le pouvoir, tendent constamment à la répartition la plus égale. La considération est le prix du mérite ; et la fortune le prix du travail. Nul citoyen, à son entrée dans la vie, ne peut les avoir acquis, ni avoir perdu la faculté de les acquérir"164.

  • 165 Voir M. Ozouf, "Thermidor ou le travail de l’oubli", L’école de la France..., op. cit., p. 91- 108.
  • 166 Application de la loi du 8 brumaire an III (29 octobre 1794) "sur la garantie de la représentation (...)
  • 167 Principes régénérateurs, infra, p. 114. Dès frimaire an III, Billaud produisait chez Vatar une Répo (...)

70Le second motif, plus directement politique, est toutefois indissociable du premier. Après avoir rejeté à deux reprises les accusations de Le Cointre de Versailles, durant la séquence immédiatement post-thermidorienne de "l’oubli"165, la Convention décrète le 15 frimaire an III (5 décembre 1794) le renvoi aux trois comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, afin de décider l’examen de la conduite d’Amar, David, Vadier, Voulland et de Barère, Billaud et Collot d’Herbois. On est entré dans cette bataille de la "remémoration" qui va s’étirer jusqu’en germinal an III : c’est le procès Carrier et la réintégration des Girondins protestataires du 2 juin 1793. Le 7 nivôse an III (27 décembre 1794), le rapporteur, l’inévitable Merlin de Douai, conclut à l’examen de la conduite de Barère, Billaud, Collot et Vadier et donc à la création d’une Commission de vingt-et-un membres166. Acculé à se défendre sur des points ponctuels et des responsabilités tant individuelles que collectives, Billaud nous semble vouloir signifier que ce ne sont ni des hommes, ni un moment que l’on accuse, mais qu’il s’agit d’écraser un projet sous le poids du passé (la Terreur). C’est pour tenter de rappeler ce projet qu’il publie les Principes régénérateurs du systême social, énonciation d’un horizon d’attente pour l’humanité : "écarter (...) ce qui fut et ce qui est, pour ne voir que ce qui doit exister"167.

  • 168 M. Fajn, The Journal des Hommes libres de tous les pays, 1792-1800, La Haye-Paris, Mouton, 1975, p. (...)

71On peut évidemment douter du succès éditorial de l’ouvrage. Son imprimeur, René Vatar, faisait là une action amicale et militante, comme il devait encore le faire sous le Directoire pour ses amis babouvistes et "néo-jacobins". En publiant Billaud, il ne pouvait donc nullement espérer "compenser" les difficultés financières de son Journal des Hommes libres, suspect en l’an III de "robespierrisme"168.

  • 169 J. G. fichte, Fondement du droit naturel..., op. cil. § 4, p. 66.
  • 170 Rapport..., 1erfloréal an II, Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 95.

72L’esquisse programmatique du printemps de l’an II devenait ainsi l’involontaire testament politique de Billaud-Varenne. "Mais que signifie « être libre » ? " interrogea Fichte en 1796. "Manifestement pouvoir mettre en œuvre les concepts que l’on a forgés de ses actions"169. Ceci éclaire, nous semble-t-il, le silence public du proscrit, seul langage possible d’une conscience libre condamnée à la non-liberté. Ceci explique peut-être aussi que la réflexion politique de Billaud s’inscrive presque totalement dans le moment révolutionnaire : pensée pour l’action, action guidée par un "plan tracé", par "la direction qu’on s’est donnée"170.

  • 171 Rapport..., 1er floréal an II, Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 100 : "Faites qu’on (...)
  • 172 A. Soboul, La civilisation et la Révolution française, t. 2, op. cit., p. 404 ; Cl. Mazauric, "Buon (...)

73De ces institutions exposées dans le Rapport du 1er floréal an II et dont l’énoncé scande les Principes régénérateurs il serait, à notre avis, trop rapide de dire qu’elles ont seulement, en leur sens premier, les figures d’une "dictature éducative". Que faire, alors, des considérations sociales, extinction de la mendicité et secours publics à domicile, obligation et droit pour chacun de travailler171. Il est, certes, loisible de n’y voir qu’une concession tactique aux revendications populaires : "on ne peut en effet masquer les motivations politiques de tentative de démocratie sociale en l’an II" écrit Albert Soboul. Quant à Claude Mazauric, analysant le "néo-babouvisme de Buonarroti", il estime qu’il "échappe, en l’enrichissant et en le niant, au modèle jacobin de la dictature révolutionnaire « provisoire »". Car, poursuit Mazauric, "au terme de cette phase d’action à la fois positive (construire une nouvelle économie) et négative (détruire l’ancienne société), viendraient les temps nouveaux et pas seulement le moment de la « victoire » à quoi les Jacobins limitèrent explicitement leur entreprise "172.

  • 173 J. L. Malmon, Les origines de la démocratie totalitaire, 1952, trad. française, Paris, Calmann-Lévy (...)
  • 174 J. L. Talmon, Les origines..., op. cit., p. 192 et 199.
  • 175 A. Soboul, "Robespierre ou les contradictions du jacobinisme", A.H.R.F., janvier-mars 1978, p. 8.
  • 176 Th. Skocpol, États et révolutions sociales, 1979, trad. française, Paris, Fayard, 1985, p. 48-49.

74C’est, nous semble-t-il, ne pas prendre tout à fait au sérieux la notion de "république démocratique", but de ces "institutions civiles" trop souvent renvoyées à une fuite en avant dans l’utopie ou aux "origines de la démocratie totalitaire"173. Quelles qu’en soient par ailleurs les divergences, les deux thèses nous paraissent se rejoindre dans une commune version récurrente de la Révolution française. On peut ainsi noter d’étonnantes rencontres. Après avoir analysé "l’orientation des Jacobins vers une politique de classe (...) due à des considérations politiques plutôt que sociales", Talmon souligne que le "trait principal de leur pensée sociale (...) est son manque de cohérence"174. Et Soboul écrit de Robespierre qu’il "n’y vint [à la démocratie sociale] cependant que lentement, et avec quelque timidité : sa formation purement littéraire et juridique, son incapacité d’une analyse économique et sociale précise le portaient vers une conception purement politique des rapports de forces"175. Ne glosons pas sur ce "purement politique" et convenons que nos citations, comme tous les morceaux choisis, simplifient à l’extrême la pensée des auteurs. Mais comment ne pas déceler de singulières convergences, "l’hypothèse, du moins implicite, que les structures et les luttes politiques sont d’une manière ou d’une autre réductibles (ne serait-ce qu’en « dernière instance ») à des forces et à des conflits socio-économiques", ce que Theda Skocpol nomme "les deux variantes libérale et marxiste de la théorie sociologique"176. Or, si la pensée libérale, telle qu’elle s’affirme en France à partir de 1795, revendique hautement la condamnation des thèmes "jacobins" – donc de la pensée de Billaud-Varenne –, il nous semble plus intéressant de nous interroger sur les interprétations inscrites dans la tradition du marxisme qui, on le sait, exalte souvent la "seconde révolution", les années 1792-1794.

  • 177 Vorwarts, n05 63sd-64, 7 et 10 août 1844, trad. J. Grandjonc, Marx et les communistes allemands à P (...)

75Le malentendu, nous croyons le discerner dans la pensée marxienne elle-même et, qui plus est, chez le "jeune Marx". Laissons de côté la très (trop) célèbre formule de La Sainte Famille sur "l’illusion des hommes de la Terreur" pour ne retenir que la contribution, tout aussi fameuse, au Vorwärts, "Critiques en marge de l’article « Le roi de Prusse et la réforme sociale par un Prussien »"177. "La Convention, écrit Marx contre Ruge, avait eu un instant le courage de décréter la suppression du paupérisme, non pas immédiatement certes, comme le « Prussien » l’exige de son roi, mais après avoir chargé le Comité de Salut public de l’élaboration des projets et des propositions nécessaires et après que ce dernier eut utilisé les enquêtes minutieuses de l’Assemblée constituante sur la situation de la misère en France et fait proposer par Barère l’établissement du « livre de la bienfaisance nationale », etc. Quelle fut la conséquence du décret de la Convention ? Qu’il y eut un décret de plus au monde et qu’un an plus tard des femmes affamées assiégeaient la Convention". Or, commente Marx, "l’âge classique de l’intelligence politique est la Révolution française (...). Plus exclusive, c’est-à-dire plus parfaite est l’intelligence politique, et plus elle croit à la toute-puissance de la volonté, et plus elle est aveugle à l’endroit des limites naturelles et spirituelles de la volonté, plus incapable donc de découvrir la source des maux sociaux".

  • 178 Voir A. Renaut, Le systême du droit..., op. cit., p. 247.
  • 179 Marx avait pourtant, en 1843, relevé avec pertinence la spécificité de la Révolution française : "C (...)
  • 180 A. Philonenko, J.-J. Rousseau et la pensée du malheur, t. 3, op. cit., p. 39.

76Double malentendu, nous semble-t-il. Malentendu "chronologique", d’abord – floréal an II n’est pas prairial an III – et qui n’est évidemment pas simple confusion de dates : Marx est en pleine lecture de l’historiographie et des sources révolutionnaires. Ce qui, déjà, est à l’œuvre en filigrane, c’est la lecture de la Révolution comme un "bloc", de 1789 à Napoléon, et la "dissolution historiciste du droit" (la "conséquence du décret", ce sont les "femmes affamées")178. Le second malentendu, lui aussi hérité de Hegel, instaurant une coupure radicale entre le "social" et le "politique", transforme implicitement le comité de Salut public et la Convention de l’an II en "État moderne" (bourgeois) établi179. Si, comme les présupposés "libéraux", le schéma marxiste nous paraît difficile à suivre sans critique pour comprendre la pensée de Billaud-Varenne, c’est bien parce qu’au cours du demi-siècle qui les sépare se sont trouvés répudiés à la fois le principe d’une déclaration des droits naturels et imprescriptibles de l’homme ("afin que tous les citoyens pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer, avilir par la tyrannie" dit la Déclaration du 24 juin 1793) et la volonté générale rousseauiste, "condition de possibilité de la totalité civile et sociale, mais aussi (...) de la pure conscience de l’autonomie"180.

  • 181 Rapport.. 1er floréal an II, Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 100 (souligné par nou (...)
  • 182 A. Philonenko, Théorie et praxis..., op. cit., p. 165.
  • 183 Cl. Nicolet, "Citoyenneté française et citoyenneté romaine : Essai de mise en perspective", La nozi (...)

77Or, des Élémens du Républicanisme aux Principes régénérateurs du systême social, c’est bien la solution politique (concrète) au problème de la réalisation des droits subjectifs en totalité (liberté, égalité, citoyenneté) que recherche Billaud-Varenne. Il l’entrevoit dans une communauté fondée sur "le civisme et la sensibilité : le civisme, principe sublime de l’abnégation de soi-même ; la sensibilité, source inépuisable de tous les penchants affectueux et sociables", dont la forme politique se nomme République, "la fusion de toutes les volontés, de tous les intérêts, de tous les talents, de tous les efforts, pour que chacun trouve dans cet ensemble de ressources communes, une portion égale à sa mise"181. Nous accordera-t-on que cette "opération qui unit les consciences dans le lien social par la constitution d’un totum ’’182 n’imite pas plus la polis qu’elle n’anticipe "l’État socialiste" inventé par la Constitution soviétique de 1936 ? Elle ne copie pas les Anciens et, en dépit des références multiples aux cités antiques (Athènes, Sparte ou la Rome républicaine), Billaud-Varenne ne se prive pas de critiquer les "préjugés" de Platon ou Aristote. Si, parfois, peut affleurer un certain déterminisme naturaliste, c’est bien cependant "l’essence primordiale" de l’homme qui permet de juger le juste et l’injuste et Billaud adhère totalement à la pensée moderne du droit naturel subjectif. Aussi peut-on conclure, en inversant les termes de la proposition de Claude Nicolet, que la citoyenneté ici projetée "a bien peu de points communs" avec la citoyenneté romaine183.

  • 184 Nous renvoyons aux travaux de Florence Gauthier et de Jacques Guilhaumou, ainsi qu’à notre étude "P (...)
  • 185 Dans l’important chapitre consacré à la "question sociale", Hannah Arendt écrit : "Ce n’est pas seu (...)

78Quant aux dangers qui seraient inhérents à tout projet politique entendant marier liberté, égalité et bonheur (ce qui ne peut être réductible à la justice sociale), nous ne les ignorons pas. Ils se sont d’ailleurs trouvés inscrits au cœur des conflits de la Révolution elle-même, avant que les "Thermidoriens", puis Benjamin Constant et Hegel n’en fassent l’une des clefs interprétatives du "terrorisme". Il suffit pour s’en convaincre de relire les débats de l’Assemblée constituante concernant le droit de suffrage, les discussions constitutionnelles du printemps 1793 ou surtout, bien sûr, le grand affrontement de novembre-décembre 1792 sur les troubles de subsistances, la liberté totale du commerce des grains et le principe normatif du droit à l’existence184. Le thème des virtualités totalitaires de ce qu’on appelle le "jacobinisme" et de la filiation Robespierre-Lénine a subi, depuis l’Essai sur la Révolution d’Hannah Arendt (1963), tant de réécritures (parfois hâtives) qu’il nous semble avoir aujourd’hui perdu un peu de sa fraîcheur réflexive185.

79Nous préférons nous interroger, textes en mains, sur les rapports entre droit naturel et droits de l’homme, individualité et communauté, loi et souveraineté, contrat et contrainte chez les acteurs-penseurs de la Révolution française. Essayer de comprendre, aussi, pourquoi la France éprouve, depuis deux cents ans, tant de difficultés à ne pas opposer libéralisme et démocratie. C’est pourquoi nous pensons qu’il n’est pas inutile de publier les Principes régénérateurs du systême social de Jacques-Nicolas Billaud-Varenne. On aura compris, du moins nous l’espérons, que nous ne croyons guère plus à l’explication de sa pensée par la "théorie des circonstances" (il ne s’agit pas, pour autant, de nier l’événement révolutionnaire), qu’à celle d’une reproduction improvisée d’un schéma unique ("la faute à Rousseau"). Nous avons donc surchargé le texte de notes, afin de le présenter dans la plus large configuration discursive possible. Cette annotation constitue, à l’évidence, un commentaire personnel de l’œuvre de Billaud et le lecteur soucieux de retourner simplement au texte de l’an III peut se dispenser de la prendre en compte.

80Persuadé, avec bien d’autres, que l’histoire politique de la Révolution française n’est pas "faite", nous estimons simplement nécessaire de rappeler, qu’au-delà des textes les plus célèbres, existe un gigantesque corpus d’œuvres (philosophiques ?) inscrites dans le temps révolutionnaire. Vivre en leur compagnie ne nous paraît ni dérisoire ni malsain : ce livre voudrait en témoigner.

Notes

1 Principes régénérateurs du systême social, Paris, R. Vatar pluviôse an III, 208 p. La présente édition se fonde sur l’exemplaire conservé aux Archives Nationales (A.N.), ADXVIIIA 8 (Opinions émises par les députés, 1789-1815). Le livre figure à la Bibliothèque Nationale (B.N.) sous la cote R 29 093 ; il est consultable en microfiches (M 5862). Roger Barny l’a intégré (ainsi que les Élémens du Républicanisme) dans le corpus de microfiches consacré au "rousseauisme", Paris, Microéditions Hachette, 1977. On le trouve aussi dans les microfiches de The French Revolution Research Collection (section 6-3, publiée par F. Furet et P. Gueniffey), Oxford, Pergamon Press-Maxwell Corp., 1988-1992.

2 M. Ozouf, "Peut-on commémorer la Révolution française ?", Le Débat, sept. 1983. Repris dans L’école de la France. Essais sur la Révolution, l’utopie et l’enseignement, Paris, Gallimard, 1984, p. 150.

3 La Révolution française, t. XIV, janvier-juin 1888, p. 745-761, 835-851, 929-948 et 1027-1045. Le manuscrit se trouve aux AN., F7 4600.

4 F.-A. Aulard, La Révolution française, t. XIV, op. cit., p. 745. Voir Les Orateurs de la Révolution. La Législative et la Convention, nouvelle édition, Paris, Comély, 1906- 1907, t. 2, p. 483-507 (Billaud est classé parmi les "Thermidoriens de gauche").

5 La Révolution française, ibid, p. 752. Comme le note justement Mona Ozouf, "les enjeux laissés à la porte rentrent donc par la fenêtre positiviste". L’école de la France, op. cit., p. 156.

6 Billaud-Varenne, Mémoires inédits et Correspondance. Accompagnés de notices biographiques sur Billaud-Varenne et Collot d’Herbois par A. Bégis, Paris, Librairie de la Nouvelle Revue, 1893, X + 455 p. Notice de Billaud, p. 1 à 259.
H. Fleischmann, "Billaud-Varenne négrier", Revue des Curiosités révolutionnaires, 1910 ; Ch. Vellay, "Billaud-Varenne esclavagiste", Revue historique de la Révolution française, 1914. Dans la même revue, Vellay avait publié en 1910 la "Défense" que Billaud comptait sans doute prononcer en réponse au rapport présenté par Saladin le 12 ventôse an III (A.N. F7 4599). Repris en plaquette sous le titre Mémoire inédit de Billaud-Varenne sur les événements du 9 thermidor, Paris, A. Môre, 1910, 67 p.

7 D. Centore, "Billaud-Varenne", Commune, août 1939, p. 1024-1036. Cet article m’a été communiqué par le regretté P. Angrand. Denise Centore-Bineau avait publié un Saint-Just, Paris, Payot, 1936 (rééd. 1980, 283 p.).

8 B. Hauréau, La Montagne. Notices historiques et philosophiques sur les principaux membres de la Montagne, Paris. J. Bréauté, 1834, p. 62-63. Sur Hauréau, voir A. Galante Garrone, Philippe Buonarroti et les révolutionnaires du XIXe siècle (1828-1837), 1951, trad. française, Paris, Champ Libre, 1975.

9 J. Guilaine, Billaud-Varenne, Paris, Fayard, 1969, 377 p.

10 A. conte, Billaud-Varenne. Géant de la Révolution, Paris, Olivier Orban, 1989, 529 p.

11 Voir à ce sujet F. Brunel, "The Acculturation of a Revolutionary : The Example of J.-N. Billaud-Varenne (1786-1791)", Culture and Revolution, ed. by G. Levitine, College Park, Department of Art History-University of Maryland, 1989, p. 69-82 (communication publiée en français dans Dix-huitième Siècle, n° 23. 1991, p. 261-274).

12 L’Acéphocratie, ou le Gouvernement fédératif, démontré le meilleur de tous, pour un grand Empire, par les principes de la politique et les faits de l’histoire, par M. Billaud de Varenne, Paris, 1791, 78 p. (reprint Paris, EDHIS, 1977).

13 Élémens du Républicanisme, Paris, Patris imp., an I, 132 p., A. N. AD XVIIIA 8, B.N., 8° Lb41 2383 (microfiches M 6106). Publié dans Archives Parlementaires, 1ère série, t. LXVII, Paris, 1905, p. 220-246 (séance du 24 juin 1793). Le Prospectus indique que l’ouvrage sera disponible le 15 février 1793. Sa rédaction se situe vraisemblablement entre octobre 1792 et janvier 1793.

14 Le Cahier du Collège international de philosophie, n° 7, Paris, Osiris, 1989 : Élémens du Républicanisme, p. 9-71, suivis de J. Jaurès, "Billaud-Varenne, un communisme de l’héritage" (extrait de Histoire socialiste de la Révolution française), p, 73-82 ; M. Revault d’Allonnes, "Billaud-Varenne, ou les malheurs de la vertu en politique", p. 83-92 ; M. Richir, "Billaud-Varenne Conventionnel législateur : la vertu égalitaire et l’équilibre symbolique des simulacres", p. 93-110.

15 J. M. burney, "Billaud-Varenne and the Eléments of Republicanism in 1793", Proceedings of the Annual Meeting of the Western Society for French History, volume 17, ed. G. C. Bond, Auburn University, 1990, p. 220-231 ; "The Fear of the Executive and the Threat of Conspiracy : Billaud-Varenne’s Terrorist Rhetoric in the French Révolution, 1788-1794", communication au Colloque international de Washington (mai 1989), à paraître dans French History.

16 A. Soboul, Les sans-culottes parisiens en l’an II..., La Roche-sur-Yon, Imp. Potier, 1958. – R. R. Palmer discerne plutôt, "à gauche" du comité, un trio uni par une commune politique sociale, Saint-Just, Collot d’Herbois et Billaud-Varenne, Twelve Who Ruled, Princeton, Princeton University Press, 1941, p. 285 (trad. française Le Gouvernement de la Terreur. L’année du comité de Salut public, Paris, A. Colin, 1989, p. 254).

17 Voir les séances des 8 et 9 thermidor an II dans Archives Parlementaires, 1ère série, tome XCIII, Paris, C.N.R.S., 1982.

18 Mémoires de Billaud-Varennes..., par M+++. Paris, Plancher, 1821, 2 vol., IV + 211 et 228 p. Le nom de Billaud-Varenne est souvent orthographié avec un s.

19 La Nouvelle Minerve, t. 1, p. 351-358 et t. 2, p. 288-294. L’histoire romanesque du divorce de Mme Billaud et de son remariage avec un riche Américain est aussi évoquée par G. Duval, Souvenirs thermidoriens, Paris, Magen, 1844, t. 1, p. 62-63.

20 Journal de la Société de la Morale chrétienne, 2e série, t. XIII, 1er semestre 1838, p. 362- 363. Communiqué par C. Duprat.

21 Voir les papiers saisis lors de l’arrestation, A.N., F7 4599 et 4600. Les échecs de la carrière d’auteur dramatique sont mentionnés par A. -V. Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire, Paris, Dufey, 1833, t. 1, p. 64-65 et A. Bégis, Mémoires inédits..., op. cil., p. 2-4.

22 Avant-propos de "Porphire ou le Tableau de la vie", 20 septembre 1775, A.N., F7 4600, publié par A. Aulard, La Révolution française, t. XIV, op. cit., p. 750 et suivantes. Le "Tableau du premier âge" est, lui aussi, demeuré inachevé.

23 Œuvres de Maximilien Robespierre, 1912-1967. Les tomes I et II regroupent les œuvres artésiennes, le tome III, en deux volumes, la correspondance.

24 R. Darnton, Bohème littéraire et révolution, Paris, Gallimard-Le Seuil coll. Hautes Études, 1983, "Dans la France prérévolutionnaire : des philosophes des Lumières aux « Rousseau des ruisseaux »", p. 20.

25 Terres sans doute consacrées en partie au vignoble, comme dans toute la banlieue rochelaise (voir J.-N. Luc, Paysans et droits féodaux en Charente-Inférieure.... Paris, C.T.H.S., 1984, p. 33-36). En témoigne la lettre écrite de Puilboreau par son frère Benjamin, le 16 octobre 1792 : "l’embarras des vendanges m’a empêché mon cher frère de répondre à votre lettre aussi promptement que je l’aurois désiré", A.N., F7 4600.

26 AN., MM 617 f° 169 (notice d’entrée à l’Institution de l’Oratoire de Paris – voir plus bas). Les Archives de l’Oratoire conservent un dossier sur Billaud dans le Fonds Bonnardet. Je remercie D. Julia, le P. Calamy, le P. Join-Lambert et A. Geoffroy, Directeur des services d’Archives des Deux-Sèvres, qui ont facilité mon enquête. Le trajet scolaire est, en effet, obscur : le registre des élèves de Niort (A.D. Deux-Sèvres, D spt 686) ne compte qu’un Billaud prénommé Louis, élève de seconde en 1770-1771 et de rhétorique en 1771-1772 (les "humanités"). Pensant qu’il y a peut-être erreur sur le prénom, nous suivons les renseignements fournis par la notice de l’Oratoire. Il nous semble, en tout état de cause, que Billaud n’a pas été élève au Collège d’Harcourt. La tradition historiographique vient d’Aulard et de son interprétation du "Tableau du premier âge". Esquissant cet ouvrage en 1786, Billaud a, selon nous, situé son intrigue dans le collège voisin de son domicile parisien ; il y a aussi intégré des souvenirs de son séjour à Juilly.

27 M.-M. Compère et D. Julia, Les Collèges français, XVIe-XVIIIe siècles, Répertoire I. France du Midi, Paris, I.N.R.P.-C.N.R.S., 1984 ; M.-L. Fracard, La fin de l’Ancien Régime à Niort. Essai de sociologie religieuse, Paris, Desclée de Brouwer, 1956 ; J. Plée, Le Collège de l’Oratoire de Niort (1718-1789), D.E.S., 1945 (exemplaire dactylographié aux Archives de l’Oratoire).

28 Voir M.-L. Fracard, La fin de l’Ancien Régime à Niort, op. cit., p. 168-188 et p. 312-320.

29 D. Roche, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris-La Haye, Mouton, 1978, t. 1, p. 338-339.

30 D. Roche, op. cil., p. 345. Le 3 avril 1784, son frère Benjamin écrit à Billaud qu’un M. de La Faille ayant, en mourant, légué sa bibliothèque et son cabinet d’histoire naturelle au public, personne n’y va, car ils sont gardés par "les Mssrs de l’Académie qui ne sont pas trop aimé (sic) à La Rochelle", A.N., F7 4600.

31 Mémoires inédits..., pub. A. bégis, op. cil., p. 2. Selon les différents biographes, la pièce s’intitulerait "La femme comme il n’y en a plus" ou "Une femme comme il y en a peu". En 1784, Billaud aurait tenté de faire jouer une tragédie (Arnault, Souvenirs..., op. cit., t. 1, p. 65) puis, en janvier 1788, aurait communiqué à Suard un manuscrit transformant Alzire en opéra (A. Bégis, op. cit., p. 16). Dans les papiers pour la défense de l’an III, Billaud évoque "La tragédie de Polycrate” dont deux actes étaient achevés au 9 thermidor et qui dévoilait "tout le plan de la conjuration de Robespierre", A.N., F7 4599.

32 A. N., F7 4600.

33 Sur le séjour oratorien de Billaud, A.N., MM 617 f° 169, MM 592 p. 255 et 261 (voir aussi le dossier Bonnardet des Archives de l’Oratoire).

34 A.-V. Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire, op. cit., t. 1, p. 64-66 et p. 75. Arnault est sorti de Juilly à l’arrivée de Billaud.

35 A.N., F7 4600 pour la lettre de Benjamin. Une copie de la note du P. Mérault de Bizy se trouve dans le dossier Billaud, Fonds Bonnardet, Archives de l’Oratoire.

36 Est-ce là qu’il prit connaissance des ouvrages "jansénistes", en particulier de l’abbé Duguet qu’il cite fréquemment ? Notons aussi que, dans une lettre de Cayenne de vendémiaire an IX, il demande qu’on lui envoie Tacite traduit par le P. Dotteville qui résidait à Juilly (Mémoires inédits..., pub. A. Bégis, op. cit., p. 134).

37 R. Darnton, "J.-P ; Brissot de Warville espion de police", Bohème littéraire et révolution, op. cit., p. 60.

38 A.N., F7 4600, Benjamin Billaud à son frère, 14 août 1792. Un indicateur de cette rupture avec le milieu rochelais : l’assemblée électorale de Charente-Inférieure qui, en 1792, désigne sept Montagnards sur les onze députés chargés de siéger à la Convention, ignore Billaud-Varenne mais élit comme suppléant son ami le Rochelais Crassous, connu pour ses opinions jacobines et qui était pourtant parti à la Martinique entre 1784 et 1791 (député de la Martinique, Crassous entre à la Convention en 1793).

39 J. G. Fichte, Considérations destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution française, trad. J. Barni, éd. M. Richir, Paris, Payot, 1974, p. 81 et 99. – Voir A. Philonenko, Théorie et praxis dans la pensée morale et politique de Kant et Fichte en 1793, 1968, 2e éd., Paris, Vrin, 1976.

40 Le Dernier coup porté aux préjugés et à la superstition, Londres, 1789, 411 pages (anonyme). Despotisme des ministres de France, combattu par les droits de la nation, par les loix fondamentales, par les ordonnances, par les jurisprudences..., enfin par les intérêts du peuple et l’avantage personnel du monarque, Amsterdam, 1789, 3 vol. – Une seconde édition fut publiée fin 1789 (toujours anonyme), précédée d’une "Lettre de M. B. de V. à son libraire", t. 1, p. I à L et portant un nouveau titre, Despotisme des ministres de France, ou Exposition des principes et moyens employés par l’Aristocratie, pour mettre la France dans le fers, Amsterdam, 1789, 3 vol. L + 238, 400 et 307 pages (c’est notre édition de référence).

41 Le Dernier coup..., op. cit., p. 66-67. Sont, bien sûr, épargnés les curés (dont la fonction essentielle devrait être celle de "pasteurs des pauvres") et certaines congrégations hospitalières. L’anticléricalisme sera plus marqué dans Le Peintre politique, ou Tarif des opérations actuelles, s.1., 1789, II + 103 pages, où Billaud dénonce les résistances des députés du premier ordre à la mise à la disposition de la nation des biens du clergé.

42 Le Dernier coup..., op. cit., p. 319 et p. 348-349. Est-ce simple anecdote de rappeler que Billaud est Rochelais et marié à une Allemande récemment "convertie" ? Soulignons aussi qu’à la fin du XVIIIe siècle, "en se réconciliant avec l’humanisme, le prostestantisme est devenu la religion de la liberté" (E. Cassirer, La Philosophie des Lumières, trad. française, Paris, Fayard, 1966, p. 175).

43 A. Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, t. 3, Apothéose du désespoir, Paris, Vrin, 1984, p. 242-245 et p. 250-255.

44 Le Dernier coup..., op. cit., p. 37 et 56.

45 Voir J.-Cl. Perrot, "La main invisible et le Dieu caché". Différences, valeurs, hiérarchie. Textes offerts à Louis Dumont et réunis par J.-Cl. Galey, Paris, Éd. de l’EHESS, 1984, p. 157-181.

46 Le Dernier coup..., op. cit., p. 182 et 333.

47 A. Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, t. 3, op. cit., p. 252.

48 J.-Cl. Perrot, "La main invisible et le Dieu caché", op. cit., p. 181.

49 Voir L. Ferry et A. Renaut, Philosophe politique, t. 3, Des droits de l’homme à l’idée républicaine, Paris, P.U.F., 1985, p. 176-177.

50 F. Furet et M. Ozouf, "Deux légitimations historiques de la société française au XVIIIe siècle : Mably et Boulainvilliers", Annales E.S.C., mai-juin 1979, p. 449.

51 Voir plus haut note 36. L’ouvrage ne fut peut-être pas imprimé à Amsterdam mais tout simplement, comme tant d’autres, à Paris. Une annonce, certes tardive (1er frimaire an III- 21 novembre 1794), parue dans le Moniteur (réimpression, t. XXII, p. 548) indique que Le Dernier coup... et le Despotisme des ministres... sont disponibles chez Batillot, rue Cimetière-André.

52 J.-M. Goulemot, Discours, révolutions et histoire. Représentations de l’histoire et discours sur les révolutions de l’Âge Classique aux Lumières, Paris, U.G.E., 1975, p. 116-119 et p. 428-435.

53 Observations sur l’Histoire de France par l’Abbé de Mably, nouvelle édition, continuée jusqu’au règne de Louis XIV..., Kehl, 1788.

54 R. Favre, La Mort au siècle des Lumières, Lyon, P.U.L., 1978, p. 404-411.

55 Despotisme des ministres..., op. cit., "Lettre à son libraire", t. 1, p. XX, XXX, XXXIV, XLIX et L.

56 Despotisme des ministres..., op. cit., t. 1, p. II et t. 2, p. 146.

57 R. Darnton, "De la sociologie de la littérature à l’histoire de l’édition", Bohème littéraire et révolution, op. cit., p. 83. La Révolution modifie l’ensemble référentiel de Billaud et marque la pénétration de la "politique” de Rousseau. La première allusion précise au Contrat social est relevée dans le Discours sur les émigrations, 16 octobre 1791 (Paris, Imp. du Patriote françois, 19 p.). La "Dédicace" du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité est citée dans l’Acéphocratie, ou le Gouvernement fédératif.., op. cit., p. 40-43.

58 Voir D. Richet, La France moderne : l’esprit des institutions, Paris, Flammarion, 1973, p. 172.

59 F. Furet, "La « librairie » du royaume de France au 18e siècle", Livre et société dans la France du XVIIIe siècle, I, Paris-La Haye, Mouton, 1965, p. 14-16 ; D. Roche "Un savant et ses livres au XVIIIe siècle. La bibliothèque de J.-J. Dortous de Mairan...", Dix-huitième Siècle, n° 1, 1969, p. 47-48.

60 J.-J. Rousseau, Projet pour l’éducation de M. de Sainte-Marie, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. IV, 1969, p. 30-31. Voir R. Derathé, Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps, 1950, 2e éd., Paris, Vrin, 1970, p. 55 et p. 66-68.

61 Des Droits et des Devoirs du Citoyen, pub. en 1789, Collection complète des Œuvres de l’Abbé de Mably, Paris, Ch. Desbrière, an III, t. 11, p. 272 et p. 401-402.

62 Massillon, "Sermon pour le jour de l’Incarnation". Petit Carême, cité dans Despotisme des ministres..., op. cit., t. 1, p. 41-42, t. 2, p. 22-23 et t. 3, p. 134-135.

63 L. Goldmann, Le Dieu caché, Paris, Gallimard, 1959, rééd. coll. TEL, 1985, p. 440-446. Sur le projet politique de Racine voir J. Orcibal, La genèse d’Esther et d’Athalie, 1950 et J.– M. Goulemot, Discours, révolutions et histoire, op. cit., p. 127-133. Avec six mentions, Racine est l’auteur le plus cité de la catégorie "Belles Lettres".

64 Abbé J.-J. Duguet, Institution d’un Prince, ou Traité des qualitez, des vertus et des devoirs d’un souverain..., Londres, 1739 (six mentions). Notons que Billaud fait aussi neuf références aux Maximes du droit public français de Mey, Mautrot et alii (1772 et 1775) : voir à ce sujet D. Van Kley, "The Jansenist Constitutional Legacy in the French Prerevolution, 1750-1789", Historical Reflections/Réflexions Historiques, volume 13, nos 2-3, 1986, p. 393-453 ; Y. Fauchois, "Jansénisme et politique au XVIIIe siècle : légitimation de l’État et délégitimation de la monarchie chez G.N. Maultrot", R.H.M.C., juillet-septembre 1987, p. 473-491.

65 Despotisme des ministres..., op. cit., t. 2, p. 72.

66 Sur Fénelon "libéral" ou féodal", voir les mises au point de D. Richet, La France moderne..., op. cit., p. 144-145 et de J.-M. Goulemot, Discours, révolutions et histoire, op. cit., p. 146-157 et p. 310-318. Nul besoin de Rousseau pour exalter encore le "vertueux Fénelon" : dans les années 1780, les Aventures de Télémaque demeurent l’un des plus grands succès de librairie du siècle.

67 De l’Aministration des Finances de la France, 1784 : seize citations ; Compte-rendu au Roi par M. Necker..., 1781 : neuf citations.

68 Dix-huit mentions de cet "ouvrage immortel", de ce "flambeau" qu’est De l’Esprit des Lois. Ajoutons une référence aux Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Notre annotation des Principes régénérateurs du systême social montre les nombreux emprunts faits par Billaud à cette œuvre de Montesquieu.

69 Outre l’ouvrage classique d’E. Carcassonne, Montesquieu et le problème de la constitution française au XVIII e siècle, Paris, P.U.F., 1927 et L. althasser, Montesquieu, la politique et l’histoire, Paris, P.U.F., 1959, voir B. Baczko, Rousseau. Solitude et communauté, Paris-La Haye, Mouton, 1974, p. 60-70.

70 Principes régénérateurs du système social, infra, p. 143.

71 Boulainvilliers, Histoire de l’Ancien gouvernement de la France..., 1727 (onze références) et Abrégé de l’Histoire de France, 1733 (deux citations). Voir F. Furet et M. Ozouf, "Deux légitimations historiques...", op. cit., Annales E.S.C., 1979, p. 438-450.

72 Despotisme des ministres..., op. cit., t. 2, p. 20 et 26.

73 S. Pufendorf, Le Droit de la Nature et des Gens... (trad. Barbeyrac, 1706) et Heineccius in Puffendorfium De Officio hominis et civis ; de J. G. Heinecke, Billaud mentionne aussi Elementa juris naturae et gentium. Ch. Wolff, Institutiones juris naturae et gentium (1750) et surtout E.de Vattel, Questions du Droit naturel et Observations sur le Traité du Droit de la Nature de M. le Baron de Wolf (1762). Voir R. Derathé, J.-J. Rousseau et la science politique..., op. cit., p. 143 et G. Gurvitch, L’Idée du Droit social, Paris, Sirey, 1932, p. 215 et suivantes.

74 J.-J. Burlamaqui, Principes du droit politique (1751) : six références ; E. de Vattel,Le Droit des gens ou Principes de la loi naturelle... (1758) : cinq mentions. Voir R. Derathé, op. cit., p. 47-48.

75 Ceci est très clair dans le "gouvernement fédératif’ (républicain) de L’Acéphocratie (1791), op. cit.

76 M. Abensour, "La philosophie politique de Saint-Just", A.H.R.F., janvier-mars 1966, p. 22 à 27 en particulier.

77 Voir R. Derathé, J.-J. Rousseau et la science politique..., op. cit., p. 84-92. "L’immortel Loke" (sic) sera cité pour les Constitutions Fondamentales de la Caroline dans L’Acéphocratie, op. cit., p. 68. Billaud en retient le caractère collectif du pouvoir, le monocamérisme et la limitation du législatif par le contrôle de constitutionnalité des lois (voir B. Gilson, introduction au Deuxième Traité du Gouvernement civil et aux Constitutions Fondamentales..., Paris, Vrin, 1977, p. 15).

78 Despotisme des ministres..., op. cit., t. 1, p. 116 et t. 3, p. 268.

79 Instruction adressée aux autorités constituées des départements de Rhône et Loire... par la commission temporaire de surveillance républicaine, établie à Ville-Affranchie (Lyon), 26 brumaire an II (16 novembre 1793).

80 Convention nationale, séance du 1er floréal an II, Archives Parlementaires, 1ère série, t. LXXXIX, Paris, C.N.R.S., 1971, p. 94-101.

81 Discours, révolutions et histoire, op. cil., chap. VII et VIII.

82 Le Peintre politique..., anonyme, s.l., 1789, op. cit., p. 1 et p. 16-17.

83 "La philosophie éleva sa voix ; elle rappela l’ordre de la nature. Elle démontra l’égalité des conditions, ou du moins elle enseigna à priser chaque individu sur le pied de sa valeur intrinsèque, sans faire entrer dans le même plateau des accessoires hétérogènes", Le Peintre politique..., op. cit., p. 19.

84 Sur ces problèmes, voir L. Ferry, Philosophie politique, t. 2, Le systême des philosophies de l’histoire, Paris, P.U.F., 1984, 2e section, chap. 1 ; A. Renaut. Le systême du droit. Philosophie et droit dans la pensée de Fichte, Paris, P.U.F., 1986, p. 60-78 ; A. Philonenko, Théorie et praxis..., op. cit.

85 "La première vertu de tout législateur est la prévoyance. Il commettra de grandes erreurs s’il part du présent pour juger l’avenir" écrit-il dans Le Peintre politique..., op. cit., p. 37 et il reproche à la Constituante d’avoir pris comme "modèle” les institutions les plus "vicieuses de l ’Angleterre", ibid, p. 84-85.

86 Le Peintre politique..., op. cit., p. 86 (souligné par nous). Plus loin, il définit la Constitution comme "la colonne qui doit servir de base à votre liberté", ibid, p. 102.

87 Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 7.

88 Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 9-10. De Rousseau il écrit (p. 7) : "L’immortel Jean-Jacques (...) prétend que l’état de sociabilité n’est qu’une convention fortuite, et nullement dans la nature. Cependant (...) tout porte à croire que cette opinion n’est pas la plus probable". Et Billaud cite le second Discours : "pourquoi dans l’état primitif, un homme aurait plutôt besoin d’un autre homme, qu’un singe ou un loup de son semblable ?" (Œuvres complètes, Paris, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, t. III, 1964, p. 151).

89 Voir A. Renaut, Le systême du droit..., op. cit., p. 181. Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 14 et p. 9.

90 Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 14.

91 Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 13.

92 Archives Parlementaires, t. LXVII, op. cil., p. 220.

93 Nous avons largement profité des discussion menées dans le cadre du Centre "Philosophie et Révolution française” de l’Université européenne de la recherche, en particulier avec Florence Gauthier et Jacques Guilhaumou.

94 Voir le Rapport fait par Billaud le 1er floréal an II, Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 95 et 99. Rappelons la "destination du savant" selon Fichte : "Il ne voit pas seulement le présent, il voit aussi l’avenir ; il ne voit pas seulement le point de vue actuel, il voit aussi dans quelle direction il faut que l’humanité marche désormais (...). De ce point de vue, le savant est l’éducateur du genre humain." (Conférences sur la destination du savant, quatrième conférence, trad. J.-L. Vieillard-Baron, 2è éd., Paris, Vrin, 1980, p. 75- 76).

95 A. Philonenko, Théorie et praxis..., op. cit., p. 79.

96 Principes régénérateurs du systême social, infra, p. 157. Nous pensons pouvoir rapprocher le projet de Billaud de la solution fichtéenne : "la volonté individuelle se fond en une seule volonté avec la volonté de la communauté. Il faut que ce résultat soit obtenu de façon nécessaire et d’après une règle rigoureuse, car tout homme qui se soumet doit recevoir une garantie totalement convaincante ; il doit lui être montré qu’il est absolument impossible que dans l’association une quelconque autre puissance que la loi exerce une action contre lui", Fondement du droit naturel selon les principes de la doctrine de la science, trad. A. Renaut, Paris, P.U.F., 1984, § 8, p. 123. Voir A. Renaut, Le systême du droit..., op. cit., p. 296-297 et p. 345-370.

97 M. Richir, "Fichte et la Terreur", The French Révolution and the Creation of Modern Political Culture, volume 3, The Transformation of Political Culture, 1789-1848, F. Furet et M. Ozouf editors, Oxford, Pergamon Press, 1989, p. 233-252. Repris dans Du sublime en politique, Paris, Payot, 1991, p. 183-210.

98 M. Ozouf, "Guerre et Terreur dans le discours révolutionnaire : 1792-1794", L’école de la France..., op. cit., p. 127.

99 Principalement J. Guilhaumou, "La formation d’un mot d’ordre : « Plaçons la Terreur à l’ordre du jour »...”, La rhétorique du discours objet d’histoire, Bulletin du centre d’Analyse du discours, n° 5, Université de Lille III, 1981, p. 149-196 ; J. Guilhaumou et D. Maldidier, "L’apport de l’analyse du discours à la saisie historique de l’événement...", L’Événement, Aix, pub. de l’Université de Provence, 1986, p. 171-181 ; J.-P. Faye, "Terreur", Dictionnaire politique portatif en cinq mots, Paris, Gallimard, 1982.

100 Le Peintre politique..., op. cit., p. 59.

101 M. Ozouf, "Guerre et Terreur...", op. cit., p. 121. Après l’affaire de Nancy (août 1790), Billaud écrit : "une révolution roule toujours sur un pivot (...). Ne demeurât-elle qu’une minute, comme paralysée, que l’action cesseroit à l’instant ; qu’à l’instant, un bras plus alerte, donneroit à cette action une direction contraire" et demande un Tribunal pour juger des crimes de "lèse-nation", "un tribunal qui va devenir la terreur des ennemis de la Nation ne peut jamais être organisé assez promptement", Plus de ministres ou Point de grâce..., Paris, Denné, 1790, p. 48.

102 Discours... sur le jugement de Louis Capet, Paris, R. Vatar, s.d. (janvier 1793), B.N., Le38 91, p. 19.

103 Moniteur, réimpression, t. XVII, p. 581.

104 Moniteur, ibid., p. 582.

105 Voir J. Guilhaumou, "L’élite modérée et la « propriété des mots » (1791)", Les idéologues, W. Busse et J. Trabant ed., Amsterdam-Philadelphie, John Benjamins Publishing Co, 1986, p. 323-341. Dès 1789, Billaud écrivait : "on fait revenir à chaque ligne le mot Loi ; mais moins pour en établir le système, que pour faire illusion à ceux qui se laissent prendre par les mots" (Le Peintre politique..., op. cit., p. 46). Idée reprise dans L’Acéphocratie... "Veut-on éternellement enchaîner les hommes par des mots ? Si l’on pouvoit réussir à imposer silence avec ce mot vague de constitution, ce serait dès-lors une expression nouvelle d’intolérance et de tyrannie (...). Que devient la souveraineté du peuple, si la constitution proscrit toute discussion qui lui soit relative ? La stupidité de cette opinion est démontrée par son incohérence avec nos maximes constitutionnelles. Car enfin la déclaration des droits de l’homme n’établit-elle pas que le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation" (op. cit., p. 59).

106 Principe constitutionnel proposé par Billaud-Varenne, Paris, Imp. nat., 1793, 6 p., B.N., Le38 2316. Voir du même jour l’intervention de Billaud aux Jacobins, Sur des mesures de salut public, Paris, Imp. patriotique et républicaine, 1793, 34 p., B.N., Lb40 757. On pourra comparer avec la position de Robespierre, à notre sens très proche : voir F1. Gauthier, Triomphe et mort du droit naturel en Révolution, 1789-1795-1802, Paris, P.U.F., à paraître en 1992.

107 Rappelons que le "côté droit" (ce qu’il en reste après l’élimination des Girondins) n’a pas pris part aux délibérations. Moniteur, réimpression, t. XVI, p . 728-730.

108 Cl. Lefort, "La Terreur révolutionnaire", Passé-Présent, n° 2, 1983, p. 11-43, en particulier p. 32 (Claude Lefort fait cette analyse à propos du Rapport de Billaud du 1er floréal an II).

109 Rapport (...) sur un mode de Gouvernement provisoire et révolutionnaire, Paris, Imp. nat., 24 p. (AJV., AD XVHIA 8). Le rapport lui-même compte 15 pages et la citation se trouve p. 13.

110 Décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793), section II, article 1.

111 "La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois" (Adresse du Conseil général de l’Association Internationale des Travailleurs sur la Guerre civile en France en 1871, trad. française, Paris, Éd. Sociales, 1952). Nous suivons l’analyse de J.-P. Faye, "Violence", Dictionnaire politique portatif..., op. cit., p. 220-224.

112 Rapport (...) sur un mode de Gouvernement provisoire et révolutionnaire, op. cit., p. 3.

113 A. Renaut, Le systême du droit..., op. cit., p. 241.

114 R. Derathê, J.-J. Rousseau et la science politique..., op. cit., p. 410-413. Alexis Philonenko, puis Luc Ferry et Alain Renaut ont souligné les virtualités "totalitaires" de ces métaphores.

115 Voir la thèse d’O. Le Cour Grandmaison, Les citoyennetés en Révolutions, 1789-1794, Paris, P.U.F., à paraître en 1992.

116 C. Castoriadis, "La polis grecque et la création de la démocratie", Le Débat, n° 38, janvier 1986, p. 124-144.

117 H. Arendt, Essai sur la Révolution, 1963, trad. française, Paris, Gallimard, 1967, rééd. coll. TEL, 1985, p. 143-144. H. Arendt écrit : "La terreur du XVIIIe siècle était encore exercée de bonne foi, et si elle se déchaîna, ce n’est que parce que la chasse aux hypocrites est, par nature, illimitée."

118 Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 95-96. Principes régénérateurs du systême social, voir infra, p. 118.

119 Nous suivons A. Philonenko, J.-J. Rousseau et la pensée du malheur, t. III, op. cit., p. 31 et suivantes.

120 L’Acéphocratie..., op. cit., p. 43.

121 A. Renaut, Le systême du droit..., op. cit., p. 359.

122 Élémens du Républicanisme, op. cit., p. 96. La phrase suit immédiatement le passage cité plus haut contre la peine de mort.

123 C’est encore à A. Renaut que nous empruntons le terme de "machiavellisation". La comparaison entre l’œuvre durable de Lycurgue et le caractère éphémère des lois soloniennes se trouve dans le Rapport..., op. cit., p. 2-3. Voir N. Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, trad. Guiraudet. éd. A. Pelissier, Paris, Flammarion, 1985, livre I, chap. 2, p. 41

124 C. Beccaria, Des délits et des peines, § XVII, Paris, Flammarion, 1979, p. 98-99. La position de Rousseau est autre qui met en balance l’exil et la peine de mort (Du Contrat social, livre II, chap. 5)

125 Des délits et des peines, § XVI, op. cit., p. 90-91.

126 L. Ferry, "Stalinisme et historicisme. La critique du totalitarisme stalinien chez Hannah Arendt et Raymond Aron", Les interprétations du stalinisme, pub. par E. Pisier, Paris, P.U.F., 1983, p. 247.

127 Rapport (...) sur un mode de Gouvernement provisoire et révolutionnaire, op. cil., p. 13.

128 Cl. Lefort, "La Terreur révolutionnaire", op. cit., entame son étude par l’analyse du discours de Robespierre le 11 germinal an II (31 mars 1794) et cite largement le rapport de Billaud du 1er floréal. Le thème de la "dégénérescence", brodant à l’Infini sur la "révolution glacée" de Saint-Just, se trouve chez A. Soboul, La civilisation et la Révolution française, t. 2, Paris, Arthaud, 1982, p. 375.

129 Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 100 (souligné par nous).

130 Twelve Who Ruled est le titre du livre classique de R. R. Palmer, op. cit.

131 C. H. Church, Revolution and Red Tape : The French Ministerial Bureaucracy, 1770-1850, Oxford, Clarendon Press, 1981. Voir aussi G. Sautel, "Les Jacobins et l’administration", Revue de droit public, n° 4, 1984, p. 885-915.

132 Saint-Just, Discours et Rapports, éd. par A. Soboul, Paris, Éd. Sociales, 1957, p. 130 et p. 162.

133 Rapport..., 28 brumaire an II, op. cit., p. 2. Rapport..., 1er floréal an II, Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 96.

134 Pamphlet est le désignant qu’utilise J. Guilaine qui ne consacre, d’ailleurs, que moins de 30 lignes au livre (Billaud-Varenne, op. cil., p. 334). Le "retournement" politique de Babeuf, après une phrase violemment "anti-robespierriste", est illustrée par les nos 31 et 32 du Tribun du Peuple, 9 et 13 pluviôse an III.

135 J. G. Fichte, L’État commercial fermé (1800), trad. D. Schultess, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1980, p. 91.

136 Sur "comment sortir de la Terreur", voir la réflexion de B. Baczko, "Robespierre-roi ou comment sortir de la Terreur", Le Débat, n° 39, mars 1986, p. 104-122. Repris dans le livre fondamental Comment sortir de la Terreur. Thermidor et la Révolution, Paris, Gallimard, 1989.

137 Principes régénérateurs du système social, infra, p. 120.

138 B. Barère, De la pensée du gouvernement républicain, s.1. ("imp. en France"), 2e éd., floréal an V, chap. XX, p. 96.

139 Saint-Just, Rapport sur les personne incarcérées, 8 ventôse an II (26 février 1794), Discours et Rapports, op. cit., p. 135. Voir M. Abensour, "La théorie des institutions et les relations du Législateur et du peuple selon Saint-Just”, Actes du colloque Saint-Just, Paris, Société des Études Robespierristes, 1968, p. 239-290.

140 Rapport sur la police générale, sur la justice, le commerce, la législation et les crimes des factions, Saint-Just, Discours et Rapports, op. cit., p. 177-197. L’expression "drame de germinal est d’A. Soboul, Les sans-culottes parisiens en l’an II..., op. cit., p. 761 et suivantes.

141 J.-Ph. Domecq, Robespierre, derniers temps, Paris, Le Seuil, 1984. Sur Fichte, voir A. Philonenko, L’Œuvre de Fichte, Paris, Vrin, 1984, p. 37.

142 Saint-Just, Discours et Rapports, op. cit., p. 195.

143 Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 94. Intervention de Couthon dans Moniteur, réimpression, t. XX, p. 280.

144 B.N., Le38 774, Paris, Imp. nat., 24 p. La version des Jacobins vient de l’Imprimerie du Tribunal révolutionnaire et compte 32 pages.

145 Moniteur, réimpression, t. XX, p. 284. Un "code de lois" n’était pas de trop, la Convention adoptant ce jour-là les décrets n os 8 880 à 8 895. Merlin de Douai et Cambacérès sont membres du comité de Législation et ce dernier est le rapporteur habituel du projet de code civil.

146 Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 100.

147 Q. Lefort, "La Terreur révolutionnaire", Passé-Présent, op. cit., p. 32. Mona Ozouf souligne que le discours jacobin, en prairial an II, installe "La Terreur hors chronologie", "Guerre et Terreur...", L’école de la France, op. cit., p. 127.

148 J. G. Fichte, Fondement du droit naturel..., op. cit., § 18, p. 222-223.

149 Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 99-100.

150 Voirie Rapport de Robespierre "Sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains, et sur les fêtes nationales", Œuvres, op. cit., t. X, Paris, P.U.F., 1967, p. 442-465 ; le Rapport de Barère "Sur les moyens d’extirper la mendicité dans les campagnes, et sur les secours que doit accorder la République aux citoyens indigens", Archives Parlementaires, 1ère série, t. XC, Paris, C.N.R.S., 1972, p. 246-256.

151 Billaud-Varenne, Rapport..., 1erfloréal an II, Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 99.

152 Robespierre, Œuvres, op. cit., t. X, p. 458.

153 Voir M. Ozouf, La fête révolutionnaire, 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976, p. 127-138 ; M. Vovelle, Les métamorphoses de la fête en Provence de 1750 à 1820, Paris, Aubier-Flammarion, 1976, p. 131-132 et p. 169.

154 A. Philonenko, L’Œuvre de Fichte, op. cil., p. 152.

155 Moniteur, réimpression, t. XX, p. 695.

156 Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 96.

157 L’embarras de Billaud perce dans la "Défense’’ : "Car antérieurement à cette loi du 22 prairial, il n’existait pas encore un seul fait probable qu’on pût lui [Robespierre] opposer ; et ce décret même, d’après la disposition des esprits, n’offrait aucun moyen pour l’attaquer avec avantage" (Mémoire inédit..., pub. Ch. vellay, op. cit., p. 22). Voir aussi Réponse de J.-N. Billaud (...) à Laurent Lecointre, Paris, Vatar, s.d. (an III), p. 27 et 49. Sur ce Bureau, A. Ording, Le Bureau de Police du comité de Salut public, Oslo, Jacob Dybwad, 1930, 195 p.

158 Le Cointre voit deux "factions" dans le comité de Salut public, "ayant chacune leur chef ; Robespierre d’un côté, Billaud de l’autre, tous deux s’épiant, et chacun n’attendant que l’instant d’égorger son rival", Les crimes de sept membres des anciens comités..., Paris, Maret, s.d. (an III), p. 31. Robespierre, le 13 messidor, semblait désigner Billaud en déclarant : "vous ne pouvez pas invoquer l’opinion publique, sans être désigné comme un dictateur". La provocation pouvait venir de la suite du discours, Robespierre établissant un parallèle avec la dénonciation de Louvet, le 29 octobre 1792 (Œuvres op. cil., t. X, p. 515).

159 Moniteur, réimpression, t. XXI, p. 123. Pope est évoqué dans les Principes régénérateurs, infra, p. 86, mais ne figure plus en exergue. Les Élémens du Républicanisme s’ouvraient sur deux vers du Discours sur l’Homme de Voltaire : "Si l’homme est créé libre, il doit gouverner ; Si l’homme a des tyrans, il doit les détrôner."

160 Œuvres complettes de Pope, nouvelle éd., Paris, Vve Duchesne, 1779, t. 3, Essai sur l’Homme, trad. en prose par M. de Silhouette et Les Principes de la Morale, ou traduction en vers de l’Essai sur l’Homme par M. l’abbé Du Resnel. Billaud s’éloigne notablement de la traduction proposée par L. Fontanes, Paris, A. Jombert, 1788.

161 Nous contredisons la notice du Dictionnaire des parlementaires français de A. Robert et G. Cougny, Paris, Bourloton, 1889.

162 Voir F. Brunel, "Sur l’historiographie de la réaction thermidorienne...", A.H.R.F., juillet-sept. 1979, p. 455-474.

163 Sur le "coup d’État", F. Brunel, "aux origines d’un parti de l’ordre. Les propositions de constitution de l’an III", Actes du colloque Mouvements sociaux et conscience sociale, pub. J. Nicolas, Paris, Maloine, 1985, p. 687-696. Sur la signification de l’abandon de la référence au droit naturel, voir F1. Gauthier, Triomphe et mort du droit naturel en Révolution, op. cit.

164 Principes régénérateurs, infra, p. 124. La formule n’est pas sans rappeler Fichte : "le véritable droit de l’homme (...) : la possibilité d’acquérir des droits", Fondement du droit naturel..., op. cit., p. 394.

165 Voir M. Ozouf, "Thermidor ou le travail de l’oubli", L’école de la France..., op. cit., p. 91- 108.

166 Application de la loi du 8 brumaire an III (29 octobre 1794) "sur la garantie de la représentation nationale". Sans faire de mauvais esprit, rappelons que cette loi de "garantie" n’empêchera pas l’arrestation, la déportation, la condamnation à mort (par une commission militaire), de 74 députés, entre germinal et thermidor an III.

167 Principes régénérateurs, infra, p. 114. Dès frimaire an III, Billaud produisait chez Vatar une Réponse (...) à Laurent Lecointre, 126 p. Viennent ensuite les Défenses, individuelle et collective, en réponse au Rapport de Saladin concluant à la culpabilité de Barère, Billaud, Collot et Vadier.

168 M. Fajn, The Journal des Hommes libres de tous les pays, 1792-1800, La Haye-Paris, Mouton, 1975, p. 39-40. Le tirage des Principes régénérateurs nous est inconnu ; à titre indicatif, rappelons l’anecdote rapportée par A. Bégis suggérant un tirage de 500 exemplaires pour la Réponse (...) à Laurent Lecointre (Mémoires inédits..., op. cit., p. 145).
En nivôse an IX (janvier 1801), Vatar, à son tour, allait être frappé de la peine de déportation. En 1820, de Cayenne, il écrira à son ami Tissot, beau-frère de Goujon (l’un des "martyrs de prairial"), et figure notoire de l’opposition libérale à la Restauration : "La France me fait effroi. Ne faut-il donc plus compter sur elle, comme point d’appui à la liberté des Peuples ?", B.C.U., Lausanne, Fonds P.-F. Tissot, IS 1928, carton la, Vatar à Tissot, 28 mai 1820. Communiqué par Sylvain Goujon.

169 J. G. fichte, Fondement du droit naturel..., op. cil. § 4, p. 66.

170 Rapport..., 1erfloréal an II, Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 95.

171 Rapport..., 1er floréal an II, Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 100 : "Faites qu’on ne puisse pas se dispenser, sans se couvrir de honte, de se mettre en état d’exercer une profession utile ; faites surtout que nul, avec des bras vigoureux et l’amour du travail, ne cherche vainement à s’occuper".

172 A. Soboul, La civilisation et la Révolution française, t. 2, op. cit., p. 404 ; Cl. Mazauric, "Buonarroti et l’archaïsme révolutionnaire", Jacobinisme et Révolution, Paris, Messidor-Éd. Sociales, 1984. p. 296 (souligné par nous).

173 J. L. Malmon, Les origines de la démocratie totalitaire, 1952, trad. française, Paris, Calmann-Lévy, 1966

174 J. L. Talmon, Les origines..., op. cit., p. 192 et 199.

175 A. Soboul, "Robespierre ou les contradictions du jacobinisme", A.H.R.F., janvier-mars 1978, p. 8.

176 Th. Skocpol, États et révolutions sociales, 1979, trad. française, Paris, Fayard, 1985, p. 48-49.

177 Vorwarts, n05 63sd-64, 7 et 10 août 1844, trad. J. Grandjonc, Marx et les communistes allemands à Paris. Vorwärts 1844, Paris, Maspero, 1974, p. 142-163 (en italique dans le texte).

178 Voir A. Renaut, Le systême du droit..., op. cit., p. 247.

179 Marx avait pourtant, en 1843, relevé avec pertinence la spécificité de la Révolution française : "C’est le pouvoir législatif qui a fait la Révolution française ; c’est lui qui, partout où il s’est manifesté dans sa spécificité comme l’élément prédominant, a fait les grandes révolutions organiques et de portée universelle. (...) Le pouvoir législatif était le représentant du peuple, de la volonté générique." ("Critique du droit politique hégélien”, F. Furet, Marx et la Révolution française, en collaboration avec L. Calvié, Paris, Flammarion, 1986, p. 134).

180 A. Philonenko, J.-J. Rousseau et la pensée du malheur, t. 3, op. cit., p. 39.

181 Rapport.. 1er floréal an II, Archives Parlementaires, t. LXXXIX, op. cit., p. 100 (souligné par nous). On ne peut s’empêcher de comparer avec la théorie du contrat social élaborée par Fichte au § 17 du Fondement du droit naturel... : "Ainsi la nature rassemble-t-elle à nouveau dans l’État ce qu’elle séparait par la production d’une pluralité d’individus. La raison est une, et sa présentation dans le monde sensible n’est elle aussi qu’une ; l’humanité est un tout unique, organisé et organisant de la raison. Elle était séparée en de multiples membres indépendants les uns des autres ; déjà l’organisation naturelle de l’État abolit préalablement cette indépendance et fusionne des foules différenciées en un tout, jusqu’à ce que la moralité transforme l’espèce tout entière en un seul être", op. cit., p. 214. Voir le commentaire d’A. Renaut, Le systême du droit..., op. cit., p. 401 et suivantes.

182 A. Philonenko, Théorie et praxis..., op. cit., p. 165.

183 Cl. Nicolet, "Citoyenneté française et citoyenneté romaine : Essai de mise en perspective", La nozione di "Romano" tra Cittadinanza et Universalità (Da Roma alla Terza Roma, Studi H), Napoli, Edizione Scientifiche Italiane, 1985, p. 145-173. Sur les rapports entre droit naturel antique et droits de l’homme, L. Ferry et A. Renaut, Philosophie politique, t. 3, op. cit., p. 43-69.

184 Nous renvoyons aux travaux de Florence Gauthier et de Jacques Guilhaumou, ainsi qu’à notre étude "Présentation de Goujon", Les Martyrs de prairial. Textes et documents inédits, pub. S. Goujon et F. Brunel, préface de B. Baczko, Genève, Georg, 1992.

185 Dans l’important chapitre consacré à la "question sociale", Hannah Arendt écrit : "Ce n’est pas seulement dans la Révolution française mais dans toutes les révolutions inspirées de son exemple que l’intérêt commun apparaît sous la forme de l’ennemi commun, et la théorie de la terreur, de Robespierre à Lénine et Staline, présuppose que l’intérêt de tous doit automatiquement, et, à vrai dire, de façon permanente, s’opposer à l’intérêt particulier des citoyens." (Essai sur la Révolution, op. cit., p. 112). Un exemple de réécriture hâtive est donné par P. Chaunu, "Préface" à La jeunesse sous thermidor de F. Gendron, Paris, P.U.F., 1983 : "La dérive jacobine n’apparaît plus aujourd’hui que comme le premier acte, l’événement fondateur d’une série longue et sanglante, qui va de 1792 à nos jours, du génocide franco-français de l’Ouest catholique au goulag soviétique, aux destructions de la révolution culturelle chinoise et à l’autogénocide khmer rouge au Cambodge." (p. 8). Ceci étant, il n’en demeure pas moins que les Bolcheviks ont été obsédés par la Révolution française : voir T. Kondratieva, Bolcheviks et Jacobins. Itinéraire des analogies, Paris, Payot, 1989.

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