Version classiqueVersion mobile

François de Neufchâteau

 | 
Dominique Margairaz

Chapitre 8. Administrer l’intérieur : les figures de l’exécutif

Texte intégral

  • 1 L’article 308 prévoit la reddition annuelle des comptes détaillés de la dépense des ministres, sign (...)
  • 2 Comptes présentés par Jean-Marie Roland pour l’exercice de son ministère. Deux affiches de format A (...)
  • 3 Le débat s’organise alors autour de la question du vote du budget, la Charte constitutionnelle n’ac (...)

1Au premier chapitre de cet ouvrage, nous avons évoqué le geste par lequel François de Neufchâteau avait fait de son ministère « une œuvre », par le détour de la publication de ses « actes publics », actualisant de façon originale la filiation de l’espace public littéraire à l’espace public politique. En rendant public l’ensemble de ses circulaires, traces discrètes de son activité quotidienne de gestionnaire, en les soumettant à la censure des citoyens et en revendiquant en son nom propre la responsabilité d’idées, d’intentions et d’initiatives qui ressortissent à l’exercice d’une charge publique, François de Neufchâteau postule en effet l’existence d’un espace politique démocratique dont il exploite par avance les virtualités critiques à des fins de justification. La portée politique du geste ne saurait être sous-estimée. Car le ministre aurait pu se contenter de rendre un compte financier de son exercice, comme le prescrit l’article 308 de la Constitution de l’an 1111. Les modèles offerts par ses prédécesseurs l’y invitaient : Roland, en janvier 1793, rendit les comptes de sa gestion, contestée, par voie d’affiches placardées dans Paris et Bénézech, en l’an VI, fait imprimer les comptes de son exercice pour l’an IV et l’an V, accompagnés d’un rapport moral destiné à prouver l’exactitude des dépenses publiques et leur emploi aux fins assignées par le Directoire, lui-même assujetti aux décisions des Conseils2. Les comptes d’un commis scrupuleux en somme, serviteur d’une politique dont la définition lui échappe. En annexant à la table chronologique du recueil de ses actes publics le précis du compte financier de son second ministère, François de Neufchâteau fait bien plus que répondre, comme Roland, aux mises en causes parlementaires dont sa gestion, réputée trop dispendieuse, fait l’objet aux mois de germinal et prairial de l’an VII. Il va aussi plus loin que Bénézech, soucieux de faire valoir un verrouillage comptable astucieux, et de présenter au public un tableau dans lequel, selon ses propres termes, « le Directoire reconnaîtrait plutôt son ouvrage que le mien ». Par le véritable dialogue qu’il instaure entre le ministre, signataire ou inspirateur des actes publics, et l’auteur du recueil, dont la présence textuelle se marque par la réintroduction du « je » dans les notes infrapaginales, par l’inscription d’actes discontinus dans un parcours narratif, François de Neufchâteau édifie la fiction d’une « œuvre », fiction littéraire par laquelle l’auteur assume une posture politique qui confère à la fonction ministérielle une dimension autrement plus dynamique, émancipée de la condition subalterne dans laquelle les institutions de l’an III l’avaient circonscrite. Par son geste, François de Neufchâteau anticipe de plusieurs décennies la réponse à la question, longuement débattue sous la Restauration, de la responsabilité ministérielle3.

  • 4 Table chronologique et analytique des Lettres circulaires, Instructions, Discours et autres actes p (...)

2Mais plus encore que sa dimension politique, nous intéresse ici la dimension intellectuelle de la décision de François de Neufchâteau. Car en réunissant en un tout la collection segmentée de ses circulaires et des textes périphériques, messages, arrêtés dont il assume en son nom propre la responsabilité, « soit qu’il les ait lui-même composés, soit qu’il en ait seulement revu la rédaction »4, il nous oblige à considérer son œuvre ministérielle, telle quelle immane en un texte fini, assignable à son auteur, comme une véritable construction intellectuelle, formant système, dont le jeu des renvois atteste la cohérence, produit d’une activité créatrice dont les effets sur le réel, nécessairement limités par la brièveté de son ministère, les contraintes financières et les priorités politiques, s’effacent derrière l’expression d’un projet ordonné et réfléchi. L’œuvre apparaît alors comme l’aboutissement d’une pensée et d’une intention individuelles. Par l’appareil de renvois et de considérations critiques, par le surfilage des circulaires qui en explicite a posteriori les circonstances, les intentions et les finalités, François de Neufchâteau substitue une logique intellectuelle à une logique administrative, transforme une succession d’interventions ou de velléités pragmatiques en un texte continu, assigné à un auteur, dont les notes infrapaginales dessinent la figure en même temps qu’elles dressent l’effigie du ministre. Portrait moral et intellectuel dont on peut ramasser les éléments à grands traits. 11 met en lumière la probité, le courage, le dévouement, l’énergie, la persévérance du ministre, héroïsé par la mise en scène des contraintes, des obstacles invincibles, financiers, matériels et politiques opposés à son action, des calomnies et des persécutions suscitées par ses initiatives incomprises. On trouve là le remploi de bien des éléments empruntés au scénario littéraire de la persécution, accommodés aux codes de la communication démocratiques et de la hiérarchie de l’estime républicaine. Au registre intellectuel, le dispositif fait valoir la rationalité et la cohérence d’un projet, reposant sur la volonté de connaître et d’asseoir chaque décision sur un fondement objectif. Faire pénétrer la connaissance au sein du ministère en y associant l’élite éclairée, diffuser la connaissance à des fins de pédagogie civique et assurer la publicité des actes administratifs, encourager tout effort en faveur du bien-être et du progrès moral de la société, « semer enfin les germes d’idées que le temps aurait fait mûrir », tels sont les axes qui organisent le discours constitutif de l’œuvre, les fondements de la posture revendiquée par son auteur.

  • 5 S. Woolf, « Contribution à l’histoire des origines de la statistique : France 1789-1815 » dans La s (...)
  • 6 J.-C. Perrot, L’âge d’or de la statistique régionale française (an LV-1804), Paris, Société des étu (...)

3On le voit, cette construction répond assez fidèlement de celle que les historiens ont produite, tirant précisément argument du recueil des circulaires du ministre pour identifier le « système Neufchâteau »5. Le jugement qu’ils portent sur l’ampleur et le caractère fondateur de l’œuvre, indiscutable à bien des égards, nous importe moins ici que le fondement intellectuel qu’ils lui assignent plus ou moins explicitement. Si, comme le remarque Jean-Claude Perrot à propos de la statistique régionale, « il serait vain de vouloir peser indéfiniment le mérite de telle ou telle initiative ministérielle », tant « la continuité de la pulsion est évidente », il n’en reste pas moins qu’en individualisant et en soulignant « le rôle » de François de Neufchâteau, la tradition historiographique contemporaine accrédite l’hypothèse, sinon d’un projet ou d’une intention tout à fait prémédités, du moins celle d’une forte personnalité et d’une forte cohérence de l’œuvre, imputable selon cette tradition à une réflexion approfondie et une solide information, tout particulièrement en matière d’économie politique et de statistique, complétée par une large ouverture sur le monde savant6. Au crépuscule du siècle, François de Neufchâteau ferait ainsi revivre une ultime fois la scintillante alliance de la connaissance et du gouvernement, de la science et de l’administration. L’image n’est pas forcément erronée. Mais elle mérite d’être interrogée comme telle, dans l’écart entre le discours, constitutif de l’œuvre, et les pratiques qui en produisent les matériaux. Il existe bel et bien une « œuvre » du ministre, rassemblée, construite, mise en scène par François de Neufchâteau à sa sortie du ministère. Interroger cette construction revient à instaurer, à notre tour en somme, un dialogue entre l’auteur et le ministre, dont il convient en premier lieu de définir la position propre au sein de la nébuleuse du pouvoir. Car, dans sa genèse, l’« œuvre » de François de Neufchâteau est d’abord le produit d’une rencontre entre une fonction et la façon particulière dont celui-ci l’investit.

  • 7 Sur l’évolution de la perception et de la conception de l’exécutif, cf. J. Barthélemy, Le rôle du p (...)
  • 8 Sur cette différentiation, voir M. Verpeaux, La naissance du pouvoir réglementaire 1789-1799, Paris (...)

4Selon la lettre et l’esprit de la constitution de l’an III, la fonction ministérielle n’est pas une fonction d’initiative politique. Celle-ci revient au Directoire exécutif. Pour comprendre l’enjeu et la portée de cette distinction, il faut revenir un instant sur l’esprit des institutions de l’an III. Hantés par le souvenir des premières années de la Révolution, où toute l’énergie des Constituants était tendue vers un but unique, « énerver la puissance exécutive » dans laquelle ils identifiaient le spectre de la tyrannie royale, les Conventionnels thermidoriens n’en sont pas moins convaincus de la nécessité d’instaurer un pouvoir exécutif fort, quoique subordonné à la toute-puissance de la loi, pour prévenir tout risque de retour à une tyrannie d’assemblée, telle que l’avait incarnée la Convention montagnarde, dont les comités, puis les commissions exécutives, s’étaient accaparé à leur profit la fonction exécutive7. De ces deux expériences, ils retirent l’idée qu’une fois votée, la loi ne s’exécute pas d’elle-même, et qu’il faut non seulement que se manifestent une volonté d’exécution, mais aussi un contrôle sur les modalités de cette exécution, garantissant l’unité d’action et l’uniformité d’application de la loi sur l’ensemble du territoire. D’où la différentiation opérée par les constituants, peu apparente dans le dispositif constitutionnel, mais largement explicitée par les débats, entre l’exécutif proprement dit, auquel est attribuée une stricte fonction d’exécution des lois, c’est-à-dire de traduction de celles-ci en un dispositif technique, et le gouvernement, entendu comme centre d’impulsion politique, lieu d’expression d’une authentique volonté d’exécuter les lois, « véritable procurateur d’exécution » pour reprendre la formule de Sieyès, qui conceptualise le mieux cette distinction : « L’exécutif est tout action, le gouvernement est tout pensée. »8 Au collectif directorial secondé par ses commissaires dans les départements revient la tâche politique d’impulser l’exécution de la loi, aux ministres celle, administrative, de les traduire en un ensemble de mesures concrètes. François de Neufchâteau, tout à tour commissaire du Directoire, ministre, directeur, puis de nouveau ministre, expérimente successivement chacune des positions qui incarnent la philosophie profonde de l’acte constitutionnel à l’égard de l’exécutif. Là repose la source de l’originalité de son investissement ministériel.

  • 9 J. Godechot, Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, PUF, 1968 (1re éd (...)
  • 10 J. Godechot, op. cit., p. 466.
  • 11 Le décret du 10 vendémiaire an IV fixe l’organisation et les attributions des différents ministères (...)
  • 12 Sur la création de l’éphémère division de la navigation intérieure en l’an VI, cf. infra, chap. 11.
  • 13 Pour celle-ci, voir E. Bernardin, op. cit., et pour l’ensemble de la période révolutionnaire, C. Ka (...)

5Nommés et révoqués par les directeurs, les ministres sont donc de « véritables commis », strictement cantonnés dans une activité d’administration clairement délimitée par les dispositions constitutionnelles, jouissant d’une faible marge de manœuvre individuelle, tant financière que politique9. Avant tout chargés d’assurer l’exécution des lois et des arrêtés du Directoire qui concernent leur ressort, les ministres sont responsables devant ce dernier, auquel ils doivent rendre leurs comptes10. Le ressort de l’Intérieur est étendu : il coïncide approximativement avec la définition qu’en a fixé la Constituante par son décret du 27 avril 1791, au retrait près de tout ce qui a trait à la sûreté du territoire et à l’ordre public, transféré au nouveau ministère de la Police, créé en nivôse an IV. Il reste un vaste champ d’attribution hétérogène, regroupant à la fois des domaines d’intervention strictement administratifs, comme la surveillance et la correspondance avec l’ensemble des corps administratifs, plus techniques, comme la balance du commerce, les routes, les postes et messageries ou la navigation intérieure, ou politiquement sensibles, comme les subsistances ou l’assistance11. L’organigramme du ministère, assez stable sous le Directoire, reflète par son organisation en six grandes divisions l’étendue des questions qui relèvent de l’Intérieur12. L’universalité des préoccupations du ministre, de l’instruction publique aux établissements d’assistance, des manufactures aux comptes des départements, des subsistances au commerce extérieur, des élections aux fêtes nationales, de l’agriculture aux poids et mesures, tient d’abord à la définition constitutionnelle et coutumière de ses attributions, qui relève de l’histoire administrative13.

  • 14 L’hypothèse de la réalité d’un renforcement du pouvoir bureaucratique est pourtant admise, par exem (...)
  • 15 Ordre du travail des bureaux du Ministre de l’intérieur, Recueil.op. cit., t. 1, p. 1-11.
  • 16 Notes manuscrites, sans date, mais dont la teneur permet de les dater de prairial ou messidor an VI (...)
  • 17 Rapport, sans date, au Directoire exécutif, pour l’informer de la création d’un conseil intérieur a (...)

6Le recueil des circulaires et autres actes publics de François de Neufchâteau rend mal compte du travail du ministre, plus mal encore de la réalité du travail quotidien des différents bureaux et conseils consultatifs dont la connaissance seule nous permettrait de nous faire une idée précise de la routine de l’activité ministérielle. L’étude systématique n’en a jamais été menée. Elle seule pourtant autoriserait à trancher la question de l’existence d’un véritable pouvoir des bureaux, capable d’imposer ses vues dans un contexte d’instabilité ministérielle et politique. Mais cette étude est rendue presque impossible par l’état dispersé et fragmentaire des sources, qui défie toute tentative de suivre et de peser, par le détail, dans ses différentes phases, ne serait-ce qu’un exemple de processus décisionnel14. La seule question de la nature des tâches quotidiennes du ministre est déjà épineuse. L’Ordre de Travail, rédigé à des fins normatives par François de Neufchâteau au seuil de sa seconde entrée en charge, en donne une idée assez vague : rapports quotidiens des chefs de divisions, signature du courrier, rédaction ou relecture de la correspondance avec les corps administratifs, les commissaires du Directoire, les particuliers, examen de la comptabilité des services, lecture des comptes décadaires des commissaires départementaux dont le ministre se réserve l’analyse, et dont il doit présenter le tableau synthétique au Directoire..,15 À cette liste incomplète, il faut ajouter la participation, de périodicité variable, aux séances du Directoire exécutif, les réunions où sont examinées les questions communes à d’autres directions ministérielles, les audiences accordées par le ministre, les cérémonies officielles. Un emploi du temps apparemment surchargé, qui engage François de Neufchâteau, averti par son premier passage à l’intérieur, à inscrire en tête des préoccupations prioritaires au seuil de sa seconde entrée charge : « Avant tout établir 1) un plan de vie 2) l’ordre de travail du ministère. »16 Pour vague qu’il soit, l’Ordre de travail laisse cependant entrevoir la façon dont François de Neufchâteau envisage sa fonction. Il donne à voir un idéal de rationalité bureaucratique dont les éléments constitutifs – maîtrise et organisation du temps de travail, division et rationalisation des tâches de chaque bureau par leur stricte délimitation et leur explicitation dans des normes systématisées, généralisation des procédures écrites, archivages et classement rigoureux des productions bureaucratiques – importent moins en l’occurrence que la justification qu’il leur attribue : décharger le ministre de la routine administrative, afin de lui laisser le loisir de se consacrer aux grands projets dont il forme le dessein : « La machine une fois montée, les principes établis, le travail se fera de lui-même. » Et c’est dans le but de mieux se consacrer aux « objets généraux » et aux « résultat importants qui appellent toute [sa] pensée et qui peuvent conduire à des améliorations dont l’administration qui [lui] est confiée est susceptible », qu’il établit auprès de lui un conseil particulier, dont les membres seront chargés d’approfondir pour lui les détails si multipliés de l’administration de l’Intérieur17. D’emblée, le service administratif est subordonné à une ambition plus générale dont la formulation prudente n’efface pas la hardiesse au regard de l’esprit des institutions. L’Ordre de travail... est en ce sens un véritable programme, qui met en scène la détermination du ministre à investir sa fonction d’une dimension d’initiative qui excède les limites de la stricte administration des tâches, sans toutefois déroger ouvertement à la lettre de la constitution. Au regard de ces intentions affichées, la réalité des pratiques, on l’a dit, est bien difficile à saisir. Les Feuilles de travail du ministère de l’Intérieur apportent cependant quelques indices propres à individualiser la manière dont François de Neufchâteau prend en charge sa fonction.

  • 18 Les feuilles de travail des ministères sont conservées dans la série des archives du Directoire exé (...)

7Apparues en brumaire an IV, ces feuilles de travail présentent le résumé des questions soumises au Directoire par chacun des ministres. Selon qu’elles sont ou non portées à l’ordre du jour des séances, et font, ou non, l’objet d’une discussion, on en retrouve la teneur, abrégée, dans les procès-verbaux des séances du Directoire. La première feuille de travail du ministère de l’Intérieur remonte à messidor an V, date de la première entrée en fonction de François de Neufchâteau. La comparaison avec le mode de fonctionnement propre au ministère Bénézech est donc impraticable, mais il est possible de rapprocher entre elles les feuilles émanées des différents ministères. Des deux passages de François de Neufchâteau à l’intérieur, il reste une vingtaine de feuilles de travail, dont l’analyse n’est pas dépourvue d’enseignements18. Celles-ci révèlent en effet la lourdeur, accentuée par la conjoncture politique, des tâches de contrôle et de surveillance des corps administratifs, des commissaires du Directoire, du personnel dirigeant des grands établissements publics. Pendant toute la durée de la période considérée, plusieurs dizaines de dossiers de révocation, de destitution, de nomination ou de réintégration sont examinés presque à chaque séance, sur lesquels le ministre doit présenter un avis motivé. La routine des affaires communales et départementales constitue une autre part, massive, des affaires dont le traitement administratif prépare leur règlement législatif, ou sur simple arrêté du Directoire : aliénation ou échanges de terrains communaux, création de foires ou de marchés, demandes de levée de centimes additionnels, de créations d’octrois municipaux, mise en œuvre et perception de la taxe d’entretien des routes, litiges autour de la vente des biens nationaux, conflits opposant des particuliers à l’administration communale, rectification de limites communales ou regroupements de cantons en constituent l’essentiel. Comme en témoignent les occurrences barrées ou annulées, notamment en ce qui concerne les nominations ou les révocations, les affaires font l’objet d’un véritable examen en séance et le Directoire est loin d’entériner sans discussion les propositions qui lui sont soumises.

8 Considérée sous cet angle, la charge ministérielle est bien celle d’un bureaucrate, exigeant un considérable travail sur dossiers, des qualités de synthèse et de présentation, d’organisation et d’autorité aussi afin d’être en mesure d’obtenir des services un traitement prompt et clair des affaires portées devant l’exécutif. Le ministre apparaît comme un relais essentiel entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux, et par là même entre le pouvoir et les citoyens. Mais la singularité de François de Neufchâteau est d’avoir constamment tenté de faire sortir cette fonction du cadre étroit de la gestion des décisions de l’exécutif, pour essayer d’orienter et d’infléchir celles-ci, ou de susciter, par son intermédiaire, l’intervention législative. Les feuilles de travail du ministère de l’Intérieur possèdent en effet la particularité de faire état d’un grand nombre de mentions de projets d’arrêtés, ou de messages par lesquels le Directoire attire l’attention des conseils sur telle question qui paraît relever d’un traitement législatif, dont Le Recueil... signale la part adoptée sur le rapport du ministre. Les feuilles de travail en font connaître un plus grand nombre encore, « non retenus », « annulés » ou « barrés », apportant la preuve qu’à défaut d’avoir été pleinement l’inspirateur de la politique directoriale, François de Neufchâteau a constamment tenté de conférer à sa mission une épaisseur sans commune mesure avec l’habitus ministériel de ses collègues. Directement articulées à ses tâches d’administration proprement dites, ses initiatives s’inscrivent sans rupture dans la continuité même des affaires contentieuses et de la gestion quotidienne dont il est en charge. Selon un schéma déjà rencontré à Saint-Domingue, l’initiative s’inscrit ainsi pour François de Neufchâteau dans le prolongement et la logique de l’obéissance. Sans doute, cette disposition a-t-elle son mode psychologique d’existence, dont il serait à mon sens bien hasardeux de prétendre rendre compte. En revanche, elle se ploie en amont à une logique de position dont on peut essayer de restituer les coordonnées. Il faut pour cela revenir sur les conditions d’entrée en charge et l’expérience antérieure de François de Neufchâteau.

  • 19 L’épisode intervient à la suite des séances agitées des 26 et 27 décembre 1792, lors du procès du r (...)

9Nous savons peu de chose des circonstances qui le portent au ministère de l’intérieur, sinon que c’est par la voix de Reubell, conseillé par Poullain-Grandprey, alors député aux Cinq-Cents, que son nom fut suggéré au Directoire. À la veille de fructidor, ses antécédents politiques plaidaient pour lui. Franc de toute compromission avec le régime terroriste de l’an II, il avait d’emblée affiché son soutien à la constitution de l’an III. Si c’est à tort qu’on range parfois François de Neufchâteau parmi les Girondins ou même parmi les Fédéralistes, son nom reste toutefois associé, en qualité de président du département des Vosges, à une motion de défiance à l’égard de la Commune et des sections sans-culottes de Paris adressée en janvier 1793 à l’Assemblée, sur l’initiative de la société jacobine d’Épinal19.

  • 20 Sur la création du Cercle constitutionnel d’Épinal, nous ne possédons que la déclaration enregistré (...)
  • 21 Les massacres de septembre ont été pour François de Neufchâteau une expérience traumatisante. Désig (...)
  • 22 Le Rédacteur est l’organe subventionné et officiel de communication du Directoire. Il publie les pr (...)

10 Membre fondateur du Cercle constitutionnel d’Épinal20, si tout le porte à combattre la menace royaliste, il n’en est pas moins fondamentalement hostile à toute formule de gouvernement, ou pour employer son vocabulaire, d’« anarchie » populaire21. De ce point de vue, son engagement, parfois maladroit, dans ce qu’il est coutume d’appeler la politique de bascule du Directoire, n’est pas feint. En outre, ses états de service dans les Vosges, en qualité de commissaire auprès de l’administration centrale du département, répondaient de son zèle et de ses compétences d’administrateur. Mais au fond, dans l’arithmétique des valeurs réelles et symboliques qui contribuent à l’ascension d’un individu dans l’échelle du pouvoir, François de Neufchâteau apparaît finalement nanti d’un capital assez médiocre. Toujours englué dans des embarras financiers que ses modestes spéculations sur les biens nationaux, déjouées par la loi du 13 thermidor an IV, n’ont pas réussi à résoudre, à peine propriétaire de sa maison de Vicherey acquise sur les deniers de sa femme, il ne possède aucune marge d’indépendance à l’égard des fonctions publiques qu’il assume, ayant même perdu avec la Révolution l’espérance de sa pension de conseiller honoraire au Cap. Si son réseau social et politique lorrain, tissé de solidarités et de services réciproques rendus notamment à l’occasion des élections politiques et administratives locales, s’avère efficace, son enracinement dans les milieux dirigeants parisiens est pratiquement nul. Avant son ministère, François de Neufchâteau n’a jamais vraiment réussi sa greffe parisienne. S’il a su jouer avec habileté de son emprisonnement sous la Terreur pour décrocher une nomination au Tribunal de Cassation, puis son poste de commissaire du Directoire dans les Vosges, plus que jamais, son maintien ou sa progression dans des positions de pouvoir tiennent à la valorisation de son image publique : celle d’écrivain patriote, d’agronome épris de bien public, d’administrateur dévoué. La valorisation de cette image conditionne la poursuite ou la simple confirmation de son statut social, qui serait réduit à peu de chose par la privation d’une charge publique22. La survie sociale de François de Neufchâteau ne peut être obtenue qu’au prix d’une surenchère permanente, qui, au-delà de la ponctualité, de l’exactitude, de la célérité et de l’assiduité du fonctionnaire, s’exprime à travers ses projets et ses initiatives, seules propres à faire la preuve de sa valeur sur le marché des places et des positions de pouvoir. Il n’apporte pas à l’Intérieur le fruit d’une large expérience acquise au sein de la société civile, dans laquelle il ne s’est jamais inséré par aucune activité autonome. Il n’apporte pas davantage les ressources d’un réseau scientifique de relations que ses productions agronomiques n’ont pas été en mesure de lui procurer. Il faut donc se résoudre à envisager la genèse du « système Neufchâteau » à partir de l’hypothèse d’une dynamique administrative endogène. Celle-ci est à appréhender dans la continuité des tâches requises par sa fonction, dans la confrontation aux insuffisances et aux difficultés rencontrées, aiguillon permanent d’une surenchère de zèle qui façonne son identité et alimente son capital social. À cet égard, son expérience de commissaire du Directoire exécutif dans les Vosges entre pluviôse an IV et messidor an V peut être considérée comme la matrice de son approche ministérielle, et même, sur bien des points, du contenu concret des orientations qu’il lui donne.

  • 23 Le seul témoignage que nous possédions à cet égard est celui de Sébastien Le Paige, député aux Cinq (...)
  • 24 Les commissaires du Directoire n’ont jamais fait l’objet d’une étude d’ensemble. On peut se reporte (...)
  • 25 Séance du 5 thermidor an III, Moniteur du 11 thermidor, Réimpression, p. 324.
  • 26 Ibid., p. 325.
  • 27 Ibid.
  • 28 Cette correspondance est conservée pour les mois de pluviôse à fructidor an IV dans AD Vosges L 351 (...)

11Il est impossible d’entrevoir les raisons pour lesquelles François de Neufchâteau fut amené à abandonner son poste enviable de membre du Tribunal de cassation pour lui préférer celui de commissaire près l’administration centrale des Vosges. Cette nomination fut sollicitée par lui, appuyée par Christophe Dieudonné, titulaire provisoire du poste et l’un de ses proches, que la députation du département aurait, semble-t-il, souhaité voir confirmé dans ses fonctions23. Selon l’article 191 de la constitution, les commissaires centraux, nommés et révoqués par les directeurs, ont pour mission de requérir auprès des administrations et de surveiller l’exécution des lois24. Très controversée, l’institution de commissaires délégués par le Directoire auprès des administrations élues fut âprement défendue au nom de la nécessité de prémunir la République contre l’« égoïsme départemental » et la tentation des instances administratives locales de s’opposer, par leur inertie ou leur résistance, à la volonté générale incarnée dans la représentation nationale. « Ce serait créer, comme en 1790, un pouvoir administratif indépendant, que de refuser au gouvernement le droit de nommer des commissaires auprès de chaque administration », affirme Daunou25. Dans cette hypothèse, renchérit Thibaudeau, « le pouvoir exécutif dont l’action doit être prompte, rapide et non interrompue sera subordonné à chaque instant à la délibération, à la volonté des administrations, à leur inertie ou à leur lenteur26 ». Pour assurer l’effectivité de l’action de la loi, il convient donc d’accorder au gouvernement les moyens d’exercer localement son pouvoir de vouloir, sans lequel il ne serait, selon la formule de Thibaudeau, « qu’un corps sans bras, qui conçoit, qui veut, mais s’agite en vain pour agir »27. Dans les faits, les commissaires doivent devenir non seulement le bras, mais aussi véritablement, comme on va le voir, l’œil du pouvoir dans les provinces, exerçant une mission d’impulsion et de surveillance politiques sur l’ensemble des corps administratifs, des assemblées électorales et des citoyens eux-mêmes dont ils sondent régulièrement l’opinion, le degré d’adhésion au régime constitutionnel et à la politique gouvernementale. Sa participation à l’exercice de ce pouvoir gouvernemental de vouloir devait s’avérer d’une grande portée sur la posture du ministre. Quoique le contexte en soit fort différent, l’expérience vécue dans ce poste par François de Neufchâteau n’est pas sans similitude avec celle qu’il a connue à Saint-Domingue. Sa correspondance administrative permet d’en retracer les étapes, et de saisir concrètement la genèse des gestes par lesquels, quelques mois plus tard, il marque de son empreinte son passage à l’Intérieur28.

  • 29 Pour les interventions de François de Neufchâteau auprès de l’administration centrale du départemen (...)
  • 30 Renseignements périodiques et réguliers comme le recensement des stocks de grains des magasins publ (...)
  • 31 Plusieurs circulaires figurent dans les papiers François de Neufchâteau, AN 27 AP 13, dossier 3 (su (...)

12Dès sa prise de fonction, François de Neufchâteau donne les signes d’une conduite diligente et d’une grande ponctualité dans l’accomplissement des devoirs de sa charge. Il requiert auprès de l’administration centrale du département la prompte exécution des lois, répercute auprès des commissaires de canton ou auprès des tribunaux les différents textes, lois ou arrêtés, qui les concernent29. Il rend un compte exact du suivi de leur application, et entretient une correspondance régulière avec ses autorités de tutelle, c’est-à-dire les différents ministres, leur fait parvenir le double ses propres circulaires et instructions. Il répond avec empressement aux différentes demandes de renseignements qui lui sont adressées par les directions ministérielles30. Dans ses relations avec les corps administratifs ou les commissaires de canton, il fait preuve de la même application, nuancée d’un double souci disciplinaire et pédagogique. Comme naguère à Saint-Domingue, comme un peu plus tard au ministère de l’intérieur, François de Neufchâteau fait grand usage des lettres circulaires, dont nous ne possédons pas la collection complète, mais seulement quelques exemplaires dispersés qui lèvent le voile sur quelques-unes de ses préoccupations prioritaires, et sur le mode de relations qu’il instaure avec ceux qui relèvent de son autorité ou de sa surveillance31.

  • 32 Les comptes décadaires des commissaires de canton servent au commissaire central à rédiger à son to (...)
  • 33 Correspondance du commissaire du Directoire exécutif, 9 ventôse et 15 floréal an IV, et Message du (...)
  • 34 Correspondance du commissaire du Directoire exécutif, 7 ventôse an IV, registre L 352. Dans le même (...)

13 De ceux-ci, François de Neufchâteau attend la même exactitude que celle qu’il apporte lui-même à l’exécution de ses tâches, maniant habilement tantôt la menace d’un blâme public, tantôt la promesse de gratifications symboliques ou réelles. Outre une sévère surveillance politique exercée sur les nominations, il veille à ce que soient poursuivis les administrateurs ou les employés indélicats ou à ce que les agents négligents fassent l’objet de mesures disciplinaires. Il réclame sans relâche les informations qui doivent lui servir à dresser les états demandés par le Directoire ou les ministres, fait pression, dès son entrée en fonction, pour obtenir l’envoi régulier de leurs comptes décadaires par les commissaires de canton. Il établit l’ordre précis d’une correspondance active avec l’ensemble des commissaires et des administrations, dont l’organisation matérielle rationnelle, la tenue et l’enregistrement, codifiés avec minutie, doivent assurer la transmission instantanée et transparente de toutes les données qui rendent compte au jour le jour de l’état politique, social, économique, du département32. Lui-même tient le registre exact de la correspondance qui lui parvient et incite les responsables locaux à ne rien négliger, à signaler la moindre nouveauté, le plus petit incident, de quelque nature qu’il soit : tout peut faire signe, le moindre événement, dépourvu de signification lorsqu’il est considéré du point de vue local, peut prendre sens une fois réintégré dans une série. Cette exigence de rigueur s’accompagne d’une grande précision pédagogique. Instruit par son expérience antérieure d’administrateur du département, François de Neufchâteau a d’emblée pris conscience des insuffisances du personnel local. C’est déjà la raison pour laquelle, dès la Constituante, il désapprouve la dispersion excessive des pouvoirs et juge encore trop élevé le nombre des municipalités de canton instituées en l’an III, dont il suggère à plusieurs reprises le regroupement, en qualité de commissaire dans les Vosges d’abord, puis de ministre33. Pour pallier le défaut d’expérience ou de compétence des administrateurs ou des commissaires subalternes, il accompagne chaque envoi des lois et des arrêtés du Directoire d’une circulaire explicative, « traduisant » ainsi, selon son expression, les intentions et les attentes des rédacteurs parisiens. Il s’en justifie ainsi auprès de ses supérieurs : « Vous trouverez peut-être que je mets longuement les points sur les i, mais je sais à qui j’ai affaire, et si les dépêches de Paris ne sont point traduites dans la langue du département, elles sont inintelligibles et inexécutées. »34

  • 35 Circulaire du 29 vendémiaire an V, AD Vosges D 22. Selon l’article 200 de la Constitution, « Toute (...)
  • 36 Correspondance du commissaire du Directoire exécutif, 19 ventôse et 1er floréal an IV, registre L 3 (...)
  • 37 Ibid., 23 ventôse et 5 germinal an IV. Les brouillons de François de Neufchâteau et l’ensemble du d (...)
  • 38 Elle préfigure la circulaire qu’il adresse en qualité de ministre aux commissaires centraux sur la (...)
  • 39 Correspondance du commissaire du Directoire exécutif, 17 ventôse an IV, registre L 353.

14Ce même souci didactique oriente la production d’outils pédagogiques, modèles ou manuels propres à encadrer par avance le travail des administrateurs. La circulaire du 29 vendémiaire an V, adressée aux administrations municipales pour leur rappeler l’obligation qu’elles ont de rendre compte annuellement de leur gestion, est à cet égard remarquable, parce que le canevas qui l’accompagne préfigure la démarche du ministre en l’an VII lorsqu’il dresse son modèle de compte des départements35. Cette démarche n’est pas théorique mais procède d’une adaptation pragmatique en réaction à l’incapacité de ses interlocuteurs à satisfaire aux exigences administratives. Dans le même esprit, à l’intention des agents municipaux, François de Neufchâteau prend sur lui d’ajouter au recueil des lois dont il a instamment sollicité l’envoi mais « qui ne contient pas encore tout ce qu’il faut pour leur instruction », un supplément relatif à l’état civil et propose aux ministres de la Justice et de l’Intérieur de le faire publier dans les autres départements36. À l’usage des gardes forestiers et champêtres, il rédige un manuel d’instruction contenant les différentes formules leur permettant de dresser leurs procès-verbaux dans les formes requises37. Le souci pédagogique de François de Neufchâteau s’étend au demeurant au-delà du cercle des administrateurs ou des agents publics. L’établissement par l’administration centrale du département des jurys d’accusation et de jugement donne lieu par exemple à l’envoi d’une circulaire destinée à rappeler leur rôle et leurs devoirs à chacun des citoyens appelés à en faire partie38. Parallèlement, auprès du ministre de la Justice, il émet le souhait d’étendre la circulaire et de composer une véritable instruction, précise, développant les articles de loi qui concernent les jurés et qui sont, dit-il, ignorés39.

  • 40 Ibid. 72 livres numéraire représentent à cette date 21600 livres assignats. P. Caron, Tableaux de d (...)
  • 41 Lettre à Poullain-Granprey, 30 pluviôse an V, P. Marot, op. cit., p. 235-236.
  • 42 Correspondance du commissaire du Directoire exécutif, 27 prairial an IV, A. D. Vosges, Registre L 3 (...)

15En dépit de ses efforts, François de Neufchâteau n’est pas en mesure de présenter un bilan conforme aux attentes des ministères parisiens et à ses propres exigences. Dès le 17 ventôse an IV, il pressent les obstacles quasi insurmontables qui se dressent devant lui et l’empêchent de produire de soi l’image d’un commissaire exemplaire. La dépréciation des assignats – puis des mandats, qui revient de façon lancinante par la suite dans sa correspondance – conditionne pour une large part la paralysie de tout le service public : « Les administrations municipales nous accablent de leurs demandes, écrit-il aux ministres des Finances et de l’intérieur. Il est certain qu’elles ne peuvent pourvoir à leurs frais avec des assignats. Le service va manquer de toute part... La faim ne s’ajourne pas, et ne se contente pas avec des paroles. » Pour des assignats, les piétons ne veulent plus marcher, les gardes champêtres ou forestiers refusent de continuer leurs fonctions. Avec un traitement trimestriel de 20000 livres assignats, François de Neufchâteau peut à peine assumer le coût d’une pension, 72 livres numéraires par mois. « Je vous prie instamment de me permettre de m’en retourner chez moi », conclut-il40. Il ne renouvellera pas sa prière, mais, de décade en décade, il dresse le tableau de la rapide décomposition du département, probablement d’autant plus noir qu’il vaut justification de sa propre impuissance. Mais en privé, le ton n’est pas différent : « Tout se disloque à la fois et nous-mêmes nous serons peut-être obligés de mettre la clé sous la porte. »41 Tout, c’est-à-dire l’ensemble des services qui ne peuvent plus être assurés que pour du numéraire. Le 27 prairial, un dernier appel au secours alerte le ministre de l’Intérieur et la députation des Vosges. La débâcle monétaire est telle qu’il n’est plus possible de trouver des administrateurs, des juges, des chefs de bureau, des commis, des piétons, des gardes, et même des gendarmes. Seuls, ou presque, restent en poste ceux qui sont corrompus et monnayent leur conscience contre des espèces sonnantes. Les autres sont pour beaucoup incompétents ou manquent d’instruction. Il est impossible dans ces conditions d’assurer la continuité du service administratif. La correspondance avec les cantons est chaotique, les documents administratifs ne parviennent plus, paralysant l’activité de l’administration centrale et du commissaire, dans l’impossibilité de satisfaire à leur tour les demandes dont le Directoire et les bureaux ministériels les accablent. Les poursuites contre les contrevenants à la loi ne sont plus assurées, la justice et la police glissent dans l’anarchie et le département est à la veille de sombrer42.

  • 43 Ibid., 11 messidor an IV.

16Pour intéressant qu’il soit, le témoignage de François de Neufchâteau sur la crise de l’an IV importe moins ici que les réactions et les réflexions que celle-ci lui suggère. Comme jadis à Saint-Domingue, le constat de l’écart entre la réalité vécue et l’idéal de service auquel est lié sa propre promotion est à l’origine de réflexions et d’initiatives qui traduisent de sa part une attention presque forcée à la société qui l’entoure. Son point de vue normatif s’estompe au profit d’une approche empirique de questions considérées d’abord comme de pure administration et au bénéfice d’une compréhension de leurs fondements socio-économiques. S’il est sans indulgence à l’égard des défaillances des pouvoirs locaux, François de Neufchâteau s’est rapidement avisé des dysfonctionnements des bureaux parisiens et des failles du pouvoir central. Non sans irritation, il adresse régulièrement des réclamations assez sèches, portant en particulier sur le défaut d’envoi des lois ou des arrêtés du Directoire, qui parviennent au mieux avec retard au département, la plupart du temps en nombre insuffisant. « Comment faire appliquer les lois, enrage-t-il, si elles ne sont même pas connues ? » Il supplie qu’on fasse parvenir des tables alphabétiques des lois et des arrêtés, sur le modèle de celles qu’il dresse, manuscrites, à son propre usage, indispensables aux fonctionnaires, et dont sa pratique lui démontre quotidiennement l’utilité. Les différents tableaux et états récapitulatifs qui lui sont expédiés sont constamment fautifs, jamais corrigés en dépit de l’envoi par ses soins dès le 9 ventôse d’une nomenclature détaillée des diverses communes avec leurs hameaux et écarts, les arrondissements dont elles dépendent, ainsi que des bureaux de postes dont elles relèvent. « J’ai pensé, citoyen ministre, que vos bureaux pourraient en avoir besoin... » Ses récriminations ne se bornent pas aux lacunes du fonctionnement bureaucratique. De proche en proche, enhardi par la contradiction qu’il perçoit entre le caractère impérieux des ordres parisiens et le manque de moyens locaux pour y répondre, François de Neufchâteau risque, avec une liberté de ton qui frise parfois l’insolence, des remarques, puis des critiques sur le contenu des documents, des arrêtés ou des instructions qui lui sont transmis, voire sur celui des textes législatifs. Il relève entre autres des incorrections et des imprécisions dans la loi du 28 ventôse, s’insurge contre ce qu’il qualifie d’incohérences à propos d’une décision du ministre des Finances, suspendant la vente des presbytères prévue pour loger les instituteurs, apporte de sa propre initiative des modifications au tableau des mercuriales, inadapté aux denrées consommées dans le département, et fait remarquer sèchement au ministre que l’indication des prix en mandats n’a pas de sens, vu qu’aucune denrée n’est appréciée autrement qu’en numéraire. Il tourne enfin en ridicule les états de population, observant ironiquement qu’« il est fâcheux que l’état imprimé comprenne dans la même feuille les cochons et les chèvres à côté des femmes et des défenseurs de la patrie... »43

  • 44 Ibid., 29 pluviôse an IV, registre L 351.
  • 45 À plusieurs reprises, François de Neufchâteau alerte la députation des Vosges sur la lourdeur des r (...)

17Certaines décisions du Directoire ou du Corps législatif lui apparaissent d’emblée inapplicables. La question de la répression des délits forestiers l’entraîne par exemple dans une sévère critique du désordre législatif qui règne dans ce domaine, laissé en suspens par la Constituante, jamais repris par les assemblées suivantes malgré les promesses de rédaction d’un code forestier. Comble d’absurdité, les anciens arrondissements des maîtrises subsistent encore, créant la plus grande confusion dans la simple identification et la délimitation des juridictions. A supposer que les gardes soient correctement salariés, les vices fondamentaux de la législation n’en survivraient pas moins, entravant le fonctionnement des juridictions et la formation des agents44. Plus grave encore lui apparaît l’arbitraire de la politique gouvernementale relativement à l’emprunt forcé et aux réquisitions. Les deux problèmes peuvent sembler sans rapport. Ils sont en fait inextricablement liés sur le terrain. Dans le département, proche des frontières et où sont cantonnés plusieurs régiments, les prélèvements en grains, paille, fourrages, bêtes de trait se sont fait lourdement sentir. Dès le 11 pluviôse, il fait valoir auprès du ministre de la Guerre et du commandant de l’armée du Rhin la difficulté qu’il y aura à lever 1800 voitures de grains supplémentaires et demande instamment de freiner les réquisitions afin, dit-il « de ne pas pousser à bout le civisme des habitants »45. Lorsque arrive la loi du 14 pluviôse prescrivant la levée du trentième cheval, le commissaire, excédé par l’aveuglement parisien, multiplie les démarches pour démontrer le caractère irréaliste de la mesure au regard des facultés du département, sinistré par trois ans de réquisitions. Il n’existe plus assez de bêtes répondant aux critères de taille et d’âge requis par l’armée. Celles qui restent sont épuisées par les charrois, amaigries par le manque de fourrage. Les labours se font désormais au moyen de bœufs. Le 15 messidor, il adresse laconiquement le résultat de son enquête auprès des cantons : des 688 chevaux que le département aurait dû livrer selon les calculs du gouvernement, on n’est en mesure d’en rassembler que soixante-deux. Or, les réquisitions, quelle que soit leur nature, n’ont jamais été payées. Dans ces conditions, les cultivateurs ne sont pas prêts à consentir au moindre prélèvement supplémentaire et l’emprunt forcé est particulièrement mal ressenti. Dès le 18 pluviôse, François de Neufchâteau suggère de leur consentir au moins une décote sur l’emprunt, sur présentation des créances arriérées. Il y revient à de multiples reprises auprès des différents ministères concernés, « frappant, comme il le dit, à toutes les portes ». Après un long délai, la réponse négative du ministre des Finances lui inspire des mots très durs. En manquant à sa parole, en refusant toute décote sur l’emprunt, le gouvernement prête le flanc aux accusations d’injustice et d’arbitraire et fait en le jeu de la contre-Révolution qu’il prétend combattre :

  • 46 Ibid., 23 ventôse an IV, registre L 351.

« Aujourd’hui je suis obligé, en conscience, et par le devoir de ma place, et par mon attachement à la chose publique en péril, de vous dire qu’il est impossible à l’administration de vaincre le refus absolu que font les cultivateurs et les voituriers de presque tous les cantons départis pour de nouveaux convois, que les anciens ne soient acquittés... Il faudrait une armée dans chaque canton, la persécution n’y peut plus rien, et d’ailleurs, quelle foi ces pauvres gens peuvent-ils avoir aux plus belles paroles, quand il est évident qu’on leur avait promis qu’ils seraient payés de leurs denrées au moment du déchargement, et que non seulement ils ne l’ont pas été, mais qu’ils ont été promenés de magasin en magasin, de bureau en bureau, de recette en recette sans pouvoir obtenir justice ? »46

18Dans ce dossier complexe, François de Neufchâteau se fait indiscutablement l’avocat des intérêts du département, davantage qu’il ne tient le rôle d’agent docile de l’exécutif parisien. Mais au fond, le constat importe moins que la leçon qu’il tire de ce conflit de points de vue et d’intérêts : celle de la nécessité de connaître au plus près la situation des départements avant de décider et d’analyser finement les fondements des fluctuations de l’opinion.

  • 47 Ibid., 11 ventôse an IV, registre L 352.
  • 48 Ibid., 19 floréal an IV.

19À la vérité, son exactitude pointilleuse à faire appliquer la loi le conduit à mesurer les distorsions entre les appréciations parisiennes, souvent prises en défaut, les jugements hâtifs prompts à qualifier de contre-révolutionnaire toute résistance, ou même toute tiédeur envers la politique gouvernementale. Attentif à saisir les raisons de son propre échec à faire régner l’ordre républicain, ne serait-ce que pour s’en justifier auprès de sa hiérarchie, il comprend finement l’obligation de ne pas s’en tenir à des catégories sommaires, à la surface de l’événement. Délaissant les raccourcis politiques superficiels, il en vient aux fondements socio-économiques des phénomènes et s’interroge, sans avoir tous les éléments de réponse, sur l’impact réel de la Révolution, les facultés objectives des peuples, l’état précis de l’agriculture, les causes de la décadence des manufactures. De ce point de vue, pour cet homme peu familier des questions industrielles, l’expérience du terrain vaut tous les traités d’économie politique. L’état de délabrement de la manufacture de granit de Moulines, autrefois propriété d’une société en nom collectif d’actionnaires parisiens et pratiquement laissée à l’abandon depuis 1791, l’avenir incertain des forges, des tuileries, des verreries comme celle de Portieux, confisquées comme biens nationaux, ne laissent à ses yeux aucune solution alternative. Visiblement instruit par ses informateurs des compétences techniques requises comme des investissements nécessaires pour entreprendre le relèvement des usines dégradées, averti par son expérience quotidienne de la vulnérabilité du service public, il ne voit d’issue pour l’industrie du département que dans l’espoir « que des capitalistes se réunissent à la tête d’une aussi belle exploitation », comme il en exprime le souhait au sujet de la manufacture de Moulines47. Quant aux entreprises confisquées, il faut favoriser les soumissions qui se porteraient sur elles, faire en sorte de ne pas couper les unités de production de leurs sources d’approvisionnement en combustible, et pour cela associer à leur vente les bois qu’elles exploitent traditionnellement... Bref, pour un gouvernement financièrement exsangue et incapable de faire face aux besoins en personnel de sa propre administration, ravagée par les fraudes et les prévarications, s’en remettre à l’initiative et à l’intérêt privés du soin de ranimer l’industrie moribonde. « J’estime qu’il est de l’intérêt de la nation de l’aliéner, conclut-il au sujet de la verrerie de Portieux, ainsi que tous les objets de ce genre, qui, n’existant que par une industrie soignée et journalière, dépérissent toujours dans les mains des préposés publics et ne peuvent être vivifiés que par l’intérêt particulier. »48

  • 49 La Revellière-Lépeaux, Mémoires publiés par son fils sur le manuscrit autographe de l’auteur, Paris (...)

20On le sent, sa fonction auprès de l’administration centrale des Vosges a familiarisé empiriquement François de Neufchâteau avec la plupart des questions qui relèvent quelques mois plus tard de son ministère. En cela, La Révellière-Lépeaux n’a pas vraiment raison, qui nous dépeint le ministre comme un poète à la tête un peu chaude49. S’il a volontiers endossé les oripeaux littéraires de l’auteur des rêveries de bien public, François de Neufchâteau a bénéficié d’une expérience locale qui le met concrètement au fait de la plupart des problèmes d’administration et encourage au contraire de sa part leur appréhension pragmatique. Nombre de circulaires, de messages ou d’arrêtés du Directoire pris sur le rapport du ministre font écho à des problèmes rencontrés dans les Vosges et traités dans l’urgence, ou s’efforcent de remédier à des flottements ou des négligences repérées sur le terrain, dont il suppute ou constate la généralité à son arrivée au ministère. De la subsistance des détenus des prisons aux comptes des écoles centrales, de la prévention des épizooties à l’état des manufactures, de la tenue des mercuriales à celle des registres d’état civil, des poids et mesures à la formation des officiers de santé, peu de thèmes qui ne s’inscrivent dans la continuité d’une expérience, reflétant par là même la permanence des enjeux et des préoccupations du pouvoir central, au-delà des personnalités qui les portent et les incarnent à tel moment précis. Nombre de ses circulaires ministérielles trouvent ainsi leur impulsion initiale dans la volonté de remédier à ce qu’il a ressenti depuis les Vosges comme une insuffisante information du pouvoir central, non pas tant imputable à une absence de demande de la part de celui-ci, qu’à l’imperfection ou l’inadaptation des formes sous lesquelles celle-ci parvient aux administrations locales. De sorte que plusieurs des initiatives retenues comme exemplaires de son esprit d’innovation ne lui reviennent en réalité pas en propre, mais s’inscrivent dans la continuité d’instructions antérieures restées sans effet, du fait, selon son point de vue de commissaire central, de leur défaut initial de conception.

  • 50 Sur les états du produit des récoltes d’Ancien Régime, voir E. Labrousse, La crise de l’économie fr (...)
  • 51 Une telle démarche pédagogique se justifie en particulier par le défaut de maîtrise de la division, (...)
  • 52 En témoignent les diverses circulaires auxquelles François de Neufchâteau a eu lui-même à répondre (...)
  • 53 En l’an VII cependant, à la rencontre de ses interrogations sur la productivité du domaine borné et (...)

21La circulaire d’enquête sur le produit des récoltes, qu’il adresse le 7 fructidor an V à tous les commissaires près les administrations centrales et municipales, signalée généralement comme exemplaire de ses initiatives éclairées, renouant avec la longue tradition des états des récoltes d’Ancien Régime qu’il avait eu lui-même à produire en qualité de subdélégué, en est une illustration convaincante. Celle-ci fait en réalité suite à trois circulaires de son prédécesseur, en date des 18 prairial et 25 thermidor an IV, puis du 10 vendémiaire an V, à l’exécution desquelles il a dû veiller en tant que commissaire central, et dont, alerté sans doute à son arrivée au ministère par les bureaux de la quatrième division, il constate le peu d’écho quelles ont reçu dans les départements. À la lumière de son expérience propre, s’il fait la part de la négligence des corps administratifs et des difficultés de communication qui entraînent retards et lacunes dans la centralisation au département des réponses particulières des cantons, il fait également celle de l’incompétence et de la surcharge des agents locaux, désarmés devant des demandes multipliées, malhabiles à traduire en données précises les évaluations approximatives recueillies auprès des communes et à en synthétiser les résultats à l’intention des administrations centrales, à leur tour confrontées aux mêmes embarras. La circulaire du 7 fructidor an V n’innove donc en rien sur les finalités de l’enquête ou la nature des informations sollicitées, mais sur la forme du questionnaire, décomposé en item précis, assorti d’un tableau normalisé prévoyant, pour chaque type de produit et chaque arrondissement, communal ou cantonal, l’évaluation, par dixièmes, du produit des récoltes rapporté à l’année commune représentant par convention dix dixièmes. A la notation grossière en usage dans l’Âncien Régime, qui s’accommodait d’évaluations par tiers et quarts en moins ou en sus de l’année commune, il substitue une appréciation affinée, conforme aux nouvelles unités de mesure décimales, mais dont le principe demeure le même50. Les états quant à eux gagnent en précision puisque chaque canton doit fournir le détail des évaluations communales avant de procéder à celle, moyenne, du canton, de même que le département doit s’astreindre à communiquer le détail des résultats de chaque canton, à la base du résultat départemental. Afin de rendre les attentes des bureaux parisiens tout à fait claires, il joint à l’envoi de la circulaire deux états fictifs, l’un primaire destiné aux administrations de canton, l’autre récapitulatif, destiné aux administrations de département, dans lesquels communes et cantons sont désignés par des lettres de l’alphabet, et les colonnes remplies « au hasard ». Surtout, sont explicités sur ces exemples fictifs, mais concrets, non seulement la manière d’appliquer les évaluations par dixièmes, mais surtout le principe de totalisation et de division qui permet d’obtenir le résultat général du canton ou du département51. En la circonstance, ce qui différencie François de Neufchâteau de son prédécesseur n’est donc pas tant son souci de l’enquête, ni son objet. Tout autant que lui, Bénézech, qui peut s’enorgueillir d’un bilan positif concernant notamment l’approvisionnement de la capitale, s’est attaché à la collecte des données sur le produit des récoltes, les prix et les quantités des denrées vendues sur les marchés52. En revanche, en bon pédagogue qui connaît sans doute là encore « à qui il a à faire », François de Neufchâteau sait qu’une question sans réponse exige une reformulation, une explicitation des attentes de celui qui la pose et une décomposition des éléments complexes, prêtant à interprétation et à confusion, en éléments simples, appelant une réponse univoque. Sa véritable innovation réside dans la standardisation du questionnaire et la modélisation du tableau, dans le but de simplifier la tâche des agents locaux en évacuant toute source d’hésitation ou de perplexité, et de réunir un stock d’informations parfaitement homogènes, comparables, totalisables et exploitables. L’exigence de mesure, dont nous avons vu combien elle était faillible dans le cadre de l’activité privée d’expérimentateur de François de Neufchâteau, s’exprime ici dans toute sa rigueur sous l’impulsion des impératifs administratifs et de l’idéal de perfection selon lequel il entend y faire face53.

22Le poids de l’expérience gestionnaire apparaît ainsi prépondérant dans la genèse du « système Neufchâteau ». Ce poids n’exclut pas la rencontre de cette expérience avec tout un savoir diffus, toute une information dormante qui, sans elle, seraient demeurés du registre de la pure culture mondaine. Il est par définition malaisé de rendre compte de tout ce savoir silencieux, accumulé sous forme de notations ponctuelles ou de références bibliographiques reportées le plus souvent au dos de cartes à jouer par François de Neufchâteau, au fil de ses lectures de mémoires académiques, de récits de voyages ou de publications périodiques. Enregistrée, noyée le plus souvent parmi des notes littéraires érudites, cette information flottante emmagasinée sans projet précis laisse des doutes sur son accessibilité. On trouve ainsi la trace fugace de bien des thèmes qui enflamment les curiosités académiciennes ou les bonnes volontés maçonniques et philanthropiques des élites éclairées du siècle : médecine, hygiène, urbanisme, assistance, ressources naturelles ou techniques... Elle désigne François de Neufchâteau comme un homme curieux de tout et ignorant de rien, mais dont les connaissances accumulatives – si l’on excepte les domaines des belles-lettres, de l’agronomie ou de l’économie rurale et, peut-être, nous y reviendrons, celui de l’éducation – font rarement l’objet d’un traitement systématique et critique et ne s’articulent sur aucune pratique sociale autonome. Ces connaissances ne sont pas la matière de plans, de mémoires ou de traités inédits, pas même de dossiers constitués, mais justement le support de ses « rêveries de bien public », c’est-à-dire l’aliment idéologique d’une sensibilité, d’une attention, d’une conscience qui cimentent au xviiie siècle la communication académique. Ce sont elles qui lui font reconnaître, parmi les questions que sa pratique administrative l’amène à rencontrer, celles qui font l’objet de réflexions ou de débats, ou qui présentent un intérêt scientifique pour les cercles savants. Dès son commissariat dans les Vosges, on observe comment s’opère la rencontre entre sa pratique et ce savoir d’homme cultivé, et comment s’amorcent quelques-uns des gestes qui fondent sa réputation de ministre éclairé.

  • 54 Cf. supra, chap. 4.
  • 55 Circulaire du 30 frimaire an VII sur les comptes des départements. Commentaire dans Table chronolog (...)
  • 56 Table chronologique..., p. 373, n.*.

23Le cas des tableaux de population en est un bon exemple, car il nous permet de retrouver un domaine déjà évoqué dans un autre contexte54 et met en cause une discipline de pointe, qui mobilise et permet réciproquement de faire avancer tout le champ du calcul des probabilités. Une discipline où ne peuvent s’aventurer les profanes dépourvus des outils mathématiques complexes qu’elle requiert. François de Neufchâteau est de ceux-là. S’il se montre particulièrement attentif aux injonctions ministérielles touchant la tenue des registres d’état civil et les relevés de population, qu’il répercute avec vigueur auprès des administrations municipales, il en mesure d’abord l’importance en qualité de magistrat et de juriste, instruit du caractère fondamental des questions de filiation pour la régulation de l’ordre social. « Cette partie de l’administration civile est, selon les termes qu’il reprend en marge de l’une de ses circulaires ministérielles, véritablement conservatrice de l’ordre social et de la transmission des propriétés. »55 C’est pourquoi il tient si fermement la main à ce que les registres soient correctement tenus, les doubles ponctuellement déposés au chef-lieu de département. Pourtant, par sa vaste culture fondée sur une information vulgarisée, François de Neufchâteau est parfaitement averti des enjeux et des finalités d’utilité publique assignés par les cercles savants à la connaissance des mouvements de la population, de la durée moyenne de la vie humaine et des causes de la mortalité. En modifiant et en précisant de son propre chef la nomenclature des états et en réclamant avec opiniâtreté l’envoi de relevés rigoureux et précis par les municipalités de canton en qualité de commissaire, en veillant avec la même sévérité en qualité de ministre à la tenue des registres d’état civil, dont il normalise la présentation, et à la collecte des états de population, il occupe exactement le terrain qui peut être le sien : celui de l’administrateur éclairé capable de lier ensemble les différentes parties de son administration et de concevoir les liens réciproques de la connaissance et de l’ordre social. Ne pouvant accéder par lui-même aux arcanes d’une science dont il reconnaît néanmoins l’utilité et le prestige, il essaye au moins d’en assumer sa part en faisant en sorte de mettre à la disposition des calculateurs les matériaux exacts et exhaustifs qui leur furent longtemps dérobés, escomptant en retour des données susceptibles de servir ses objectifs d’administration : « Ce tableau exact de la population et du véritable état-civil des citoyens, eût mis à même de former les véritables tables de la probabilité de la durée de la vie humaine. Il aurait eu de plus le mérite de réunir plusieurs observations sur les causes qui auraient paru de nature à en prolonger ou à en accélérer le terme. »56 Et parmi les rubriques de l’Annuaire des départements dont il confie la rédaction aux professeurs des écoles centrales, il prévoit un tableau de la population contenant le relevé des actes de l’état civil, borné pour chaque colonne au total de l’année. Il ajoute :

  • 57 Circulaire du 20 floréal an VII, Recueil..., t. 2, p. 208-209.

« Je désirerais cependant que vous missiez à part les nombres relatifs à la commune du chef-lieu du département, et que, parmi les morts de cette commune, vous indiquassiez le nombre de celles qui ont eu lieu avant le cinquième jour de la maladie, et le nombre de celles qui ont eu lieu subitement. Je vous demande ces résultats, parce qu’ils donnent la probabilité d’une espèce de risques que nous apprécions mieux que tout autre, et qui est par conséquent très propre à fournir des termes de comparaison pour faire juger de l’importance morale que l’on doit attacher aux divers degrés de probabilité déduits du calcul. Telle était à cet égard l’opinion de Condorcet, qui désirait que l’on complétât sous ce rapport les tables de mortalité. »57

  • 58 Moheau, Recherches et considérations sur la population de la France, Paris, Moutard, 1778, subtile (...)

24Pour manifester une telle préoccupation épidémiologique et un tel souci de collecte et de vérification empirique, est-il besoin d’être familier des calculateurs de la mortalité, dont rien ne signale la fréquentation approfondie par François de Neufchâteau, ou des mémoires de Condorcet sur le calcul des probabilités appliqué à la population, au demeurant peu nombreux et de diffusion confidentielle ? Une série de publications ou de textes plus accessibles ont aiguillonné l’attention du ministre, inscrite dans la droite lignée d’un rapprochement depuis longtemps acquis entre science et administration : les articles de l’Encyclopédie méthodique, en particulier l’article « Absents » qui fait référence aux tables de Deparcieux et de Buffon, les Recherches et considérations sur la population de Moheau ainsi que le compte rendu qu’en donne Condorcet, les Observations sur les maladies épidémiques de Lepecq de la Clôture et l’enquête de Vicq d’Azir, qui en reprend le canevas, largement diffusée auprès des intendants et des subdélégués peu avant sa propre accession à ce poste, enfin l’Essai d’Antoine Diannyère, paru dans le Journal des arts et manufactures et diffusé auprès des administrations de département58.

  • 59 Correspondance du commissaire du Directoire exécutif, 7 ventôse an IV, registre L 351. Les trois le (...)
  • 60 Message du Directoire exécutif au Conseil des Cinq-Cents, 17 fructidor an V ; Procès-verbaux du Con (...)
  • 61 Lettre circulaire sur les précautions à prendre contre la morve et autres maladies contagieuses, Re (...)

25 Réciproquement, d’Épinal à Paris, François de Neufchâteau s’est efforcé de tenir le rôle d’intermédiaire culturel, de faire sortir la science des traités ou des mémoires où elle était renfermée et des institutions qui en détenaient le secret sans posséder les moyens de sa diffusion. L’urgence du moment a pu inspirer au commissaire zélé des gestes dont le ministre a su faire une véritable politique. Ainsi, alerté en ventôse an IV par les rapports des commissaires de canton des premiers signes d’une maladie épizootique dont il estime les signes mal décrits, mais qu’il présume être une affection charbonnière, il songe d’abord à faire venir en consultation le vétérinaire de Nancy, tout en déplorant le défaut d’encadrement focal. Mais sans numéraire, pas de praticien. La consultation a donc lieu par écrit, et le même jour, il adresse à l’un des commissaires concernés son propre exemplaire d’une instruction imprimée de Gilbert, professeur à l’Ecole d’Alfort, sur le traitement des maladies charbonnières59. Parallèlement, il réclame auprès de l’Intérieur l’envoi de plusieurs exemplaires du texte, ou, à défaut, d’un exemplaire à faire réimprimer au département. Dès son arrivée au ministère, un de ses premiers soucis sera de faire adresser un message aux Cinq-Cents sur les mesures de police à prendre pour prévenir l’épizootie, dont il sait désormais qu’elle touche une trentaine de départements, et pourvoir à l’indemnisation des propriétaires contraints à l’abattage des bêtes contaminées60. Cette démarche, de laquelle on peut rapprocher l’envoi d’une circulaire sur les précautions à prendre contre la morve et autres maladies épizootiques, n’est que la tête de ligne d’une longue liste d’instructions en direction des propriétaires et des agriculteurs, dont le ministre suscite la rédaction et confie la diffusion au zèle des administrations centrales et des commissaires du Directoire61.

26Ainsi, à considérer attentivement son parcours de commissaire du Directoire exécutif dans les Vosges, on se rend compte que cette expérience constitue pour François de Neufchâteau le terreau sur lequel germent ou prennent forme bien des gestes qui font sa réputation de ministre éclairé : l’enquête statistique, l’encouragement, l’appel aux ressources des institutions savantes pour faire reculer les préjugés et les croyances qui freinent le succès d’une bonne administration et les progrès matériels et moraux de la société. Mais si cette expérience nous livre les clés d’une attention, d’une impulsion, d’une sensibilité, elle nous dit peu des formes précises sous lesquelles elles s’actualisent, des modèles qui les surplombent, des formalisations qui les accompagnent. Il faut pour cela envisager plus avant les modalités réciproques de rencontre entre l’expérience de l’administrateur et les différentes temporalités ou registres de réflexion de l’homme de lettres cultivant les sciences et les arts dans l’orbite des académies provinciales.

  • 62 B. de Negroni, article « Éclectisme », Dictionnaire européen des Lumières, M. Delon dit., Paris, PU (...)

27La particularité de François de Neufchâteau est précisément d’être porteur, en raison même de son parcours chaotique de formation, d’une pluralité d’exigences, d’idéaux et de pratiques, qui ne se subsument sous aucune catégorie unique, celle de l’encyclopédisme, de l’éclectisme, ou de l’érudition par exemple. Si l’éclectisme est « sensibilité à la bigarrure du monde », capacité de s’intéresser à la diversité des connaissances humaines, à manifester de l’intérêt pour celles qui sont oubliées ou méconnues, s’il est refus d’allégeance à un unique système philosophique, alors François de Neufchâteau a quelque chose d’un éclectique62. Mais si l’on considère, avec Diderot, qu’il est instrument d’émancipation de la raison, si l’éclectique est celui qui ose penser par soi-même, alors bien des réserves dissuadent de compter sans restriction François de Neufchâteau au nombre des « éclectiques », au sens que le xviiie siècle accorde à ce terme. De la même façon, si l’encyclopédisme est ambition de totalisation, volonté d’inventaire, ou même effort d’intégration des connaissances dans un projet synthétique, à des fins d’éducation et de progrès, alors, certainement, la culture et l’idéal de culture de François de Neufchâteau obéissent à un modèle encyclopédique. Mais si l’on porte l’accent sur le projet antidogmatique de l’encyclopédisme tel qu’il est assumé au siècle des Lumières par l’entreprise de Diderot, qui postule l’autonomie du lecteur et son intervention active face à la vision plurielle et multidimensionnelle du monde qu’elle propose, alors ses inclinations comme ses pratiques intellectuelles éloignent François de Neufchâteau d’une adhésion à ce modèle et nous dissuadent de le tenir sans nuances pour un représentant de l’encyclopédisme des Lumières. Force est de constater combien son habitus intellectuel est durablement marqué par la tradition érudite et rhétorique, qui affleure par exemple dans sa façon de compiler le savoir agronomique selon les mêmes méthodes qui gouvernent l’accumulation des citations d’histoire, de morale ou de politique. Nous en avons vu plus haut l’un des effets patents dans l’usage des citations comme preuve d’autorité et substitut de preuve expérimentale. Mais si les relevés de citations s’accommodent d’indexations plus ou moins arbitraires, tout à fait propres à la composition rhétorique, la même technique appliquée à la connaissance et à l’observation des choses, naturelles ou sociales, produit un effet d’émiettement, d’éparpillement du monde, que seul peut alors corriger le secours de repères idéologiques. D’où l’exigence d’un ordre raisonné dont François de Neufchâteau, hors d’état d’en produire la matrice, somme la science de son temps de lui fournir les clés. Cette tension se ramène si l’on veut à une opposition Littérature/Science, qui traverse le monde académique au xviiie siècle. Non pas une opposition entre contenus disciplinaires, mais plutôt entre une culture reposant sur le stockage et la mémorisation des auteurs, dont l’abondance est toujours disponible pour de nouveaux emplois, de nouvelles variations, de nouvelles morales, et une exigence d’intangible, de certain, d’ordonné, une exigence de savoir assuré sur des principes simples et des idées primitives, bref, une exigence d’ordre.

  • 63 Sur les accords tacites passés entre les Directeurs et François de Neufchâteau au moment de sa sort (...)
  • 64 Notes manuscrites de François de Neufchâteau, s.d., AN, 27 AP 13, dossier 5.

28Or, c’est bien cette question de l’ordre qui se trouve posée dès lors que l’on prétend interroger, d’un point de vue d’histoire intellectuelle, le « système Neufchâteau », ou l’« œuvre » du ministre, ce qui revient au même. Quelques feuillets, rédigés par François de Neufchâteau à la veille de sa seconde entrée en charge, vont nous le faire comprendre. Peut-être pris de court par l’annonce de son retour à l’Intérieur63, celui-ci jette à la hâte sur le papier les idées qui lui viennent, au fil de la plume et de la pensée. Pour plus de clarté, on extrait quelques paragraphes (voir ci-contre) des huit feuillets qui en rassemblent au total une cinquantaine64.

29Le résultat est déroutant à plus d’un titre : éparpillement et dénivellation des préoccupations, tension entre l’attention portée au particulier et l’ambition de réunion, de totalisation, inspiration livresque ou motivations pragmatiques, projets d’homme de lettre et projets d’entrepreneur énumérés sans hiérarchisation, sans lien logique apparent. La présentation matérielle des feuillets reproduit celle que François de Neufchâteau adopte pour ses notes de lecture, lorsqu’il n’utilise pas le support des cartes à jouer : des alinéas alignés sans principe de continuité, séparés d’un rapide trait de plume, qu’il découpe ensuite pour incorporer une citation à un discours, une information à un développement. Comme ses notes de lecture, ses idées, inventoriées sous forme de liste, sont en attente d’un principe organisateur, d’un ordre hiérarchisé qui les regroupe, les sépare ou les articule à l’intérieur de rubriques plus générales. Ces rubriques, le lecteur averti peut sans doute les reconstituer, à la lumière de ce qu’il sait de l’activité ministérielle de l’intéressé : organisation bureaucratique du ministère, instruction publique, fêtes nationales, encouragements, grands travaux et aménagement du territoire, enquête statistique et centralisation de l’information... Quelques alinéas, rebelles à toute classification, lui restent sur les bras, tandis qu’il hésite encore à ranger certains d’entre eux sous l’un ou l’autre des lieux que le ministre n’a pas encore pensés comme tels. C’est que, précisément, les rubriques ne sont pas énoncées et ne sont pas encore visibles. L’idéologie égalitaire et méritocratique enveloppe seule de son grand manteau cette avalanche d’idées qui tient lieu de traité de bien public. Tout se ramène bien alors à une question d’organisation et de mise en ordre. Comment, dans cette liste, François de Neufchâteau va-t-il jouer de sa paire de ciseaux et parvenir à une représentation en prise sur le réel ? Existe-t-il un ordre secret, qui cheminerait à notre insu ? Quelle rationalité permet-elle de passer de l’énumération au « système » ? Rationalité idéologique ? Rationalité savante ? Ou rationalité instrumentale et utilitaire, obéissant à la pulsion administrative, comme le suggère son itinéraire vosgien ?

Annexes

Annexe

Description des départements. Creuzé-Latouche. Département d’Agriculture à Londres. Longchamps perfectionné/Expilly 7è volume.

Achat d’une charrue du Bas-Rhin. Demande des autres charrues pour collection et comparaisons.

Manuel des agents, avec les formules.

Leçons des Écoles primaires. Achever promptement ces cartes. (Cour à établir pour les Instituteurs. Leur examen du moins.) Trouver le moyen d’aller vite à cet égard.

Compagnie pour des colonies intérieures. Les marais de Bourgoing. (améliorations prussiennes et autrichiennes) La Sologne, (nouveaux villages) Les Landes. (Busching p. 772). La Pouilleuse, et autres du même genre, à vivifier. Primes à cet effet. Y acheter une terre. Pépinières. Noyers.

Gens de lettres, Bureau de rédaction choisie.

Tragédies à Républicaniser. Prix à celui qui le fera. Ouvrages français à traiter de même. Ouvrage aux gens de lettres. Traductions. Journaux étrangers. Tragédies à publier dans l’ordre : Édition à donner.

Correspondance avec les agents au dehors pour connaître les Économies politiques, rurales, instructives, nouvelles. Les ouvrages nouveaux en ce genre.

Revoir par soi-même les brevets d’invention.

Rivières à rendre navigables ou flottables. La Moldau à Prague. Approfondir les lits. Redresser leurs cours. Faire des écluses.

Un Cabinet de l’industrie française ou Échantillons annuels des produits les plus remarquables des fabriques de chaque département. / Savoir si c’est là l’objet du Conservatoire des arts/Dans chaque département, un pareil cabinet. Honneur d’y voir ses productions admises.

Comparer l’état de toutes les parties du ministère, avant la Révolution et dans l’état actuel. Indiquer leurs progrès ou leurs régressions.

Insister sur la réduction des cantons. Tableau d’Économies etc.

Dans le siècle dernier, on a publié des classiques ad usum delphini. Il faut publier aujourd’hui les classiques français à usage du peuple. Que chaque volume offre beaucoup de choses d’un genre choisi ; avec des notes instructives. Prix pour la compilation des notices qui doivent accompagner le choix de ces ordres moraux.

Notes

1 L’article 308 prévoit la reddition annuelle des comptes détaillés de la dépense des ministres, signés et certifiés par eux, en début de chaque année. Il s’agit d’un compte financier qui doit justifier de l’emploi des fonds, ordinaires et extraordinaires. L’enjeu d’une telle disposition n’est cependant pas purement financier et ne vise pas seulement à prévenir les tentatives de prévarication ou de détournement de fonds. Dès la Constituante et sous la Législative, la question de la reddition des comptes relatifs à l’emploi des sommes allouées à chaque ministre (art. 5 et 7, titre III, chap. 2 de la Constitution) est intimement liée à celle des relations entre le roi et l’Assemblée, puis entre celle-ci et le Conseil exécutif provisoire. L’enjeu clairement exprimé est bien celui du contrôle du législatif sur l’activité de l’exécutif, le contrôle financier, renforcé par la création de la Trésorerie nationale par le décret du 9 mars 1791, étant le vecteur d’un contrôle politique. De ce point de vue, la dépendance de l’exécutif à l’égard du législatif n’a cessé de se renforcer. Elle trouve son aboutissement provisoire dans les dispositions adoptées en 1795.

2 Comptes présentés par Jean-Marie Roland pour l’exercice de son ministère. Deux affiches de format A3 x 2 et A3 x 4, Paris, Imprimerie nationale du Louvre, 1793. La première affiche comporte le tableau des dépenses générales avec la mention des sommes ordonnancées et celui des dépenses sur fonds spéciaux mis à la disposition du ministre. Le tableau est précédé d’une rapide adresse à ses concitoyens dans laquelle il affirme sa volonté de rendre des comptes transparents. La seconde affiche comporte les comptes détaillés des sommes laissées à sa libre disposition, d’un montant de 100000 livres. BnF, Lf 132/1. Voir aussi Compte rendu par Pierre Bénézech, ministre de l’intérieur, de son administration depuis le 13 brumaire an IV jusqu’au 1er vendémiaire an V (suivi en fait du compte rendu pour la période du 1er vendémiaire an V au 13 thermidor an VI), Paris, Imprimerie de la République, Vend, an VI, 2 vol. Le compte financier est précédé, d’une explicitation et d’une justification de l’emploi des sommes ordonnancées (t. I, p. 9-64).

3 Le débat s’organise alors autour de la question du vote du budget, la Charte constitutionnelle n’accordant explicitement aux Chambres que le droit de consentir l’impôt. L’apurement des comptes par les représentants de la nation, qui précède le vote du budget, devient un moyen d’apprécier la politique des ministres, de discuter la politique gouvernementale. La responsabilité financière des ministres devant l’Assemblée est un facteur de développement des prérogatives politiques de celle-ci, et de développement du parlementarisme. M. Morabito, Histoire constitutionnelle et politique de la France, Paris, Monchrestien, 1996 ; J. Barthélémy, L’introduction du régime parlementaire en France sous Louis XVIII et Charles X, Paris, Giard et Brière, 1904.

4 Table chronologique et analytique des Lettres circulaires, Instructions, Discours et autres actes publics émanés du Ccn François (de Neufchâteau), pendant ses deux exercices du Ministère de l’intérieur, Paris, Rondonneau, an VIII, et Recueil, op. cit., p. 384, n.*.

5 S. Woolf, « Contribution à l’histoire des origines de la statistique : France 1789-1815 » dans La statistique en France à l’époque napoléonienne, Journée d’étude, Paris, 14 février 1980, Bruxelles, EHESS-Centre Guillaume Jacquemyns, 1981, p. 57.

6 J.-C. Perrot, L’âge d’or de la statistique régionale française (an LV-1804), Paris, Société des études robespierristes, 1977, p. 233. Sur le « rôle » de François de Neufchâteau voir par exemple D. Woronoff, La République bourgeoise de Thermidor a Brumaire, Paris, Éditions du Seuil, 1972 (Nouvelle histoire de la France contemporaine, t. 3), p. 115-116 ; M.-N. Bourguet, Déchiffrer la France. La statistique départementale à l’époque napoléonienne, Paris, Éditions des archives contemporaines, 1989, p. 62-64 ; G. Dejoint, La politique économique du Directoire, Paris, Marcel Rivière, 1951, p. 70-81.

7 Sur l’évolution de la perception et de la conception de l’exécutif, cf. J. Barthélemy, Le rôle du pouvoir exécutif dans les républiques modernes, Paris, Giard et Brière, 1906. L’expression « énerver la puissance exécutive » est de Daunou, dans son intervention du 5 thermidor an III, Moniteur, 11 thermidor an III, Réimpression p. 324.

8 Sur cette différentiation, voir M. Verpeaux, La naissance du pouvoir réglementaire 1789-1799, Paris, PUF, 1991. Les débats les plus explicites à cet égard sont ceux que suscite le vote de l’article 10 du titre III de l’acte constitutionnel, qui porte sur l’instauration des commissaires du Directoire exécutif. L’intervention de Sieyès, le 2 thermidor, précède cette discussion et a une portée générale. Moniteur, 7 et 8 thermidor an III, Réimpression p. 291-95 et 297-98. Sieyès est favorable à l’établissement d’un exécutif fort. Il reçoit le soutien de François de Neufchâteau par une lettre du 18 messidor an III, AN 284 AP 9, dossier 5. La suite de la discussion se déroule du 4 au 6 thermidor, Moniteur, 10, 11 et 12 thermidor an III, Réimpression p. 414, 324-327, et 333.

9 J. Godechot, Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, PUF, 1968 (1re édition 1951), livre IV, chap. 1 et 2. François de Neufchâteau fait à plusieurs reprises état du devoir de réserve auquel le ministre est tenu, par exemple au sujet de la loi sur la taxe d’entretien des routes : « Tant qu’il a dû, comme Ministre, se borner à faire exécuter la loi, il ne s’est pas permis d’examiner si les entraves de l’exécution venaient de la loi même ; mais en sortant du ministère, il a repris le droit de dire toute sa pensée, et il croit que la législation de la taxe d’entretien des routes a besoin d’une révision sévère. » Table chronologique..., op. cit., p. 341, n.*.

10 J. Godechot, op. cit., p. 466.

11 Le décret du 10 vendémiaire an IV fixe l’organisation et les attributions des différents ministères. Les attributions précises du ministre de l’Intérieur sont les suivantes : La correspondance avec les autorités administratives et les commissaires du Directoire exécutif auprès des dites autorités. Le maintien du régime constitutionnel et l’exécution des lois touchant les domaines suivants : les assemblées communales, primaires et électorales. Les prisons, maisons d’arrêt, de justice et de réclusion. Les hôpitaux civils, les établissements et ateliers de charité, les établissements destinés aux sourds-muets et aux aveugles. La confection et l’entretien des routes, ponts, canaux et autres travaux publics. Les mines, minières et carrières. La navigation intérieure, le flottage, le hallage. L’agriculture, les dessèchements et défrichements. Le commerce. L’industrie les arts et inventions, les fabriques, les manufactures les aciéries. Les primes et encouragements sur ces divers objets. La surveillance, la conservation et la distribution du produit des contributions en nature. L’instruction publique, les musées et autres collections nationales. Les poids et mesures. La formation des tableaux de population et d’économie politique, des produits territoriaux, des produits des pêches sur les côtes, des grandes pêches maritimes, et de la balance du commerce. L’exécution des lois relatives à la police générale, à la sûreté et la tranquillité de la République, la répression du vagabondage et de la mendicité, la Garde nationale sédentaire et le service de la gendarmerie sont transférés en nivôse an IV au ministère de la Police. J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, avis du Conseil d’État 1788-1824, Paris, Guyot et Scribe, 1834, vol. 9.

12 Sur la création de l’éphémère division de la navigation intérieure en l’an VI, cf. infra, chap. 11.

13 Pour celle-ci, voir E. Bernardin, op. cit., et pour l’ensemble de la période révolutionnaire, C. Kawa, Les ronds – de-cuir en Révolution, Paris, CTHS, 1996, en particulier p. 39-93.

14 L’hypothèse de la réalité d’un renforcement du pouvoir bureaucratique est pourtant admise, par exemple par C. Church, The Révolution and Red Tape : The French Ministerial Bureaueracy 1770-1850, Oxford, Clarendon Press, 1981.

15 Ordre du travail des bureaux du Ministre de l’intérieur, Recueil.op. cit., t. 1, p. 1-11.

16 Notes manuscrites, sans date, mais dont la teneur permet de les dater de prairial ou messidor an VI, AN 27 AP 13, dossier 5. Sur ces notes, cf. infra.

17 Rapport, sans date, au Directoire exécutif, pour l’informer de la création d’un conseil intérieur auprès du ministre. En font partie les citoyens Gallois, Miot de Melito, Mirbeck, chargés d’approfondir les questions de droit public, d’économie politique, sciences et arts, « et autres que je serai en cas de leur proposer ». AN AF III 93, dossier 401. La création du conseil est mentionnée avec l’Ordre du travail des bureaux du Ministre de l’intérieur, Table chronologique..., op. cit., p. 337 et Recueil, op. cit., p. 4-11.

18 Les feuilles de travail des ministères sont conservées dans la série des archives du Directoire exécutif, AN AF III 1 à 14. Celles de François de Neufchâteau, paraphées de sa main, figurent dans AF III/7, AF III/10 à 14. Pour le détail des dossiers autres que ceux que nous citons ci-après, voir D. Cheynet, Les archives du Directoire exécutif. Inventaire des articles AF III 1 à 51, Paris, Archives nationales, 1996.

19 L’épisode intervient à la suite des séances agitées des 26 et 27 décembre 1792, lors du procès du roi. Les nombreuses interruptions provoquées par le public des tribunes, qui réclame le jugement sans désemparer, sont interprétées comme une obstruction à la libre discussion de la représentation nationale. La société d’Épinal, suivie par le département, fait connaître à l’Assemblée son intention, restée sans suite, de lever des volontaires pour assurer la garde de l’Assemblée, et garantir la liberté ainsi que la sûreté de ses débats. Registre des délibérations du Conseil général des Vosges, AD Vosges, Registre L 51, 3 janvier 1793 et Archives parlementaires, t. 55, p. 638-642 et 724- 729.

20 Sur la création du Cercle constitutionnel d’Épinal, nous ne possédons que la déclaration enregistrée au registre des procès-verbaux de la municipalité d’Épinal, AD Vosges, Archives de la ville d’Épinal, I 8, 24 messidor an V. Elle est signée de Dieudonné, Welche, Perrin, Deguerre, Delerue, et François de Neufchâteau. Tous ont ou ont eu part à l’administration du département et sont des proches de ce dernier.

21 Les massacres de septembre ont été pour François de Neufchâteau une expérience traumatisante. Désigné comme commissaire de l’Assemblée pour se rendre à la prison de l’Abbaye, il est lui-même victime des violences populaires, ramené sans connaissance chez lui. Archives parlementaires, t. 49, p. 217 et 218. De retour en Lorraine, il adhère à la Société des amis de la liberté et de l’égalité de Neufchâteau, dont l’identité politique n’est pas claire, mais dont le nom la distingue des sociétés affiliées aux Jacobins et dont les membres, comme Jean-Claude Cherrier ou Rossignol, sont plutôt à ranger parmi les modérés pendant la durée de la Convention montagnarde. Extrait du procès-verbal de la Société des amis de la liberté et de l’égalité de Neufchâteau, AN 27 AP 13, dossier 2.

22 Le Rédacteur est l’organe subventionné et officiel de communication du Directoire. Il publie les principales circulaires des ministres, les arrêtés et messages du Directoire. François de Neufchâteau y fait paraître des témoignages de soutien à son action, de la part de particuliers, d’administrations départementales ou même de gouvernements étrangers. Par exemple, sur la publication des Mémoires sur les établissements d’humanité, n° 1153, 24 pluviôse an VII ou sur celle du Manuel Républicain, n° 1276, 27 prairial an VIL Voir aussi la réponse du gouvernement espagnol en réaction à la circulaire du ministre sur le commerce avec l’Espagne, n° 1065, 25 brumaire an VIL Le Moniteur ne joue pas le même rôle officiel mais a publié toutes les circulaires de François de Neufchâteau, signalé les messages rédigés sur son rapport ou son initiative. Sur ces deux organes, C. Bellanger, J. Godechot, P. Guiral et F. Terron, Histoire générale de la presse française, Paris, PUF, 1969, t. 1, p. 533-537.

23 Le seul témoignage que nous possédions à cet égard est celui de Sébastien Le Paige, député aux Cinq-Cents, dans ses lettres à Christophe Dieudonné, conservées aux Archives nationales et publiées par Gabriel Henriot, Annales de la Société d’émulation du département des Vosges, 1909, p. 50-105 : « La députation était bien d’opinion de solliciter pour vous, non pour la place de commissaire près le tribunal de police correctionnelle à laquelle vous vous borniez, mais la confirmation de celle auprès du département. Le citoyen François qui était ici est venu à la traverse. Il a paru désirer cette place, et il a été nommé. » (p. 55).

24 Les commissaires du Directoire n’ont jamais fait l’objet d’une étude d’ensemble. On peut se reporter à J.-R. Surateau, « Un commissaire du Directoire : François-Augustin Roussel », AHRF, 4 oct.-déc. 1957, p. 316-339. Des éléments également dans A. Mathiez, « Les comptes décadaires des autorités du gouvernement révolutionnaire et des commissaires du Directoire », RHMC, 4 (1902), p. 155-169.

25 Séance du 5 thermidor an III, Moniteur du 11 thermidor, Réimpression, p. 324.

26 Ibid., p. 325.

27 Ibid.

28 Cette correspondance est conservée pour les mois de pluviôse à fructidor an IV dans AD Vosges L 351-354 : Registres officiels de la correspondance du commissaire du Directoire exécutif près l’administration centrale des Vosges. Sauf indication, les exemples cités sont extraits de l’analyse de ces registres, aux dates mentionnées dans le texte (folios non numérotés).

29 Pour les interventions de François de Neufchâteau auprès de l’administration centrale du département, cf. Registres de procès-verbaux des séances de l’administration centrale du département des Vosges, AD Vosges L 53-56.

30 Renseignements périodiques et réguliers comme le recensement des stocks de grains des magasins publics, les états de la population ou des prix, les états des soumissions de biens nationaux, ou ceux des passeports délivrés, les états de situation des rôles de contributions. Renseignements plus ponctuels aussi, comme l’état des jeunes gens soumis à la première réquisition employés dans des manufactures, forges ou ateliers, le recensement des bois et forêts de chaque canton, l’activité de certaines manufactures.

31 Plusieurs circulaires figurent dans les papiers François de Neufchâteau, AN 27 AP 13, dossier 3 (sur les dispositions à prendre contre les déserteurs, sur la visite des magasins de la République, sur l’ordre à observer dans la correspondance avec le commissaire du Directoire). Certaines sont conservées aux Archives départementales des Vosges : série F 15 (sur l’établissement des mercuriales pour chaque marché), série D 22 (sur les précautions à prendre contre les incendies, sur les comptes à rendre par les administrations municipales, sur la recherche des prêtres rebelles) ou encore dans les Archives de la ville d’Épinal, série G 7 (sur l’organisation des messagers de canton).

32 Les comptes décadaires des commissaires de canton servent au commissaire central à rédiger à son tour le compte destiné au Directoire. Le 12 frimaire an IV, le ministre de l’Intérieur (Bénézech) adresse aux commissaires centraux une instruction sur la manière de rédiger les comptes décadaires, et le 20 pluviôse, le Directoire prend un arrêté sur le même sujet. Sur ces comptes, voir A. Mathiez, op. cit., p. 155-169. Il n’existe aucun compte décadaire de François de Neufchâteau dans la série des Archives nationales (F1clIII/Vosges). Aux Archives départementales des Vosges, existent quelques exemplaires des comptes, devenus mensuels, de Dieudonné, successeur de François de Neufchâteau comme commissaire du Directoire exécutif, et de son propre et éphémère successeur, Pougny, liasse L 478.

33 Correspondance du commissaire du Directoire exécutif, 9 ventôse et 15 floréal an IV, et Message du Directoire exécutif au Conseil des Cinq-Cents, contenant des renseignements sur les avantages considérables et l’économie qui résulteraient de la réduction du nombre excessif des cantons de la République, 27 fructidor an VI, Table chronologique..., op. cit., p. 346. Sur ce point cf. infra, chap. 11.

34 Correspondance du commissaire du Directoire exécutif, 7 ventôse an IV, registre L 352. Dans le même esprit, la réception d’une instruction relative à la loi du 28 ventôse sur les soumissions sur les domaines nationaux donne lieu à une démarche commune de l’administration centrale et du commissaire relatée par celui-ci en ces termes : « Aussitôt que nous l’avons reçue, nous en avons fait en commun une lecture réfléchie, nous avons appelé le préposé de la Régie de l’Enregistrement et le receveur des Domaines, afin de leur prescrire leurs obligations. »

35 Circulaire du 29 vendémiaire an V, AD Vosges D 22. Selon l’article 200 de la Constitution, « Toute administration doit annuellement des comptes de sa gestion ». Ces comptes de gestion ne doivent pas être confondus avec les comptes décadaires des commissaires de canton et des commissaires centraux, à caractère politique. Sur la circulaire du 30 frimaire an VII, cf. infra, chap. 10.

36 Correspondance du commissaire du Directoire exécutif, 19 ventôse et 1er floréal an IV, registre L 354.

37 Ibid., 23 ventôse et 5 germinal an IV. Les brouillons de François de Neufchâteau et l’ensemble du dossier préparatoire sont conservés dans ses papiers privés, AN 27 AP 13, dossier 4.

38 Elle préfigure la circulaire qu’il adresse en qualité de ministre aux commissaires centraux sur la formation des listes des jurés, dans laquelle il recommande une surveillance étroite des choix, confiés aux administrations centrales, et une démarche pédagogique auprès des jurés nouvellement nommés, dont il trace le portrait idéal. Circulaire du 16 pluviôse an VII, Recueil..., t. 1, p. 34-38.

39 Correspondance du commissaire du Directoire exécutif, 17 ventôse an IV, registre L 353.

40 Ibid. 72 livres numéraire représentent à cette date 21600 livres assignats. P. Caron, Tableaux de dépréciation du papier monnaie, Commission de recherche et de publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution, Paris, Imprimerie nationale, 1909.

41 Lettre à Poullain-Granprey, 30 pluviôse an V, P. Marot, op. cit., p. 235-236.

42 Correspondance du commissaire du Directoire exécutif, 27 prairial an IV, A. D. Vosges, Registre L 354.

43 Ibid., 11 messidor an IV.

44 Ibid., 29 pluviôse an IV, registre L 351.

45 À plusieurs reprises, François de Neufchâteau alerte la députation des Vosges sur la lourdeur des réquisitions. Le 1er floréal, il lui fait part de l’annonce qui l’a, dit-il, « frappé à mort », d’une réquisition supplémentaire de 50000 sacs d’avoine. Le 3 floréal, il remercie les députés pour leur démarche auprès du ministre des Guerres. Ibid., registre L 353.

46 Ibid., 23 ventôse an IV, registre L 351.

47 Ibid., 11 ventôse an IV, registre L 352.

48 Ibid., 19 floréal an IV.

49 La Revellière-Lépeaux, Mémoires publiés par son fils sur le manuscrit autographe de l’auteur, Paris, 1873.

50 Sur les états du produit des récoltes d’Ancien Régime, voir E. Labrousse, La crise de l’économie française à la fin de l’Ancien Régime et au début de la Révolution, Paris, PUF, 1944, p. 59-99.

51 Une telle démarche pédagogique se justifie en particulier par le défaut de maîtrise de la division, très général dans la population. Sur ce point, E. Gruter et Y. Marée, « Des anciens systèmes de mesure au système métrique », dans Actes de l’Université d’été sur l’histoire des mathématiques, Publications de l’Université du Maine, 1986, p. 107- 131.

52 En témoignent les diverses circulaires auxquelles François de Neufchâteau a eu lui-même à répondre en qualité de commissaire, et le rapport de Bénézech du 26 nivôse an IV dans lequel il informe le Directoire de son action pour assurer la garniture des magasins de Paris, désormais pleins, et des arrivages à destination de la halle ou des magasins de Franciade et de Corbeil, AN AF III 93.

53 En l’an VII cependant, à la rencontre de ses interrogations sur la productivité du domaine borné et de la collecte administrative de données prédictives, il pose, dans une circulaire manuscrite adressée aux commissaires centraux, la question cruciale de l’évaluation en quintaux, au moins approximative, de « la récolte moyenne d’une année ordinaire ». La question, à ma connaissance, est restée sans réponse.

54 Cf. supra, chap. 4.

55 Circulaire du 30 frimaire an VII sur les comptes des départements. Commentaire dans Table chronologique..., op. cit., p. 373.

56 Table chronologique..., p. 373, n.*.

57 Circulaire du 20 floréal an VII, Recueil..., t. 2, p. 208-209.

58 Moheau, Recherches et considérations sur la population de la France, Paris, Moutard, 1778, subtile « synthèse » entre savoir des mathématiciens et savoir empirique sur la population selon J.-C. Perrot, Histoire de la population française, op. cit., p. 531. Condorcet, compte rendu du 5 juillet 1778 puis réponse à Moheau le 5 novembre 1778 dans le Mercure de France, publiés dans B. Bru et P. Crépel, Condorcet. Arithmétique politique. Textes rares et inédits (1767-1789), Paris, INED, 1994 p. 131-134 et 137-139. Selon les auteurs, « Condorcet ne rédige, à notre connaissance, aucun grand mémoire de “démographie”, il ne s’exprime à ce sujet qu’à l’occasion, souvent en liaison avec ses activités académiques. » (p. 531). L. Lepecq de la Clôture, Collection d’observations sur les maladies et constitutions épidémiques, ouvrage qui expose une suite de quinze années d’observations (1763-1778), Rouen, 1778. Vicq d’Azir, secrétaire perpétuel de la Société Royale de Médecine, généralise le projet d’enquête. Sur ce point voir J.-C. Perrot, L’âge d’or..., op. cit., p. 222. Antoine Diannyète, Journal des arts et manufactures, an IV, t. II, p. 431-441. Selon J.-C. Perrot, op. cit., le journal est adressé dès la Convention aux départements.

59 Correspondance du commissaire du Directoire exécutif, 7 ventôse an IV, registre L 351. Les trois lettres sont datées du même jour. F.-H. Gilbert, Recherches sur les causes des maladies charbonneuses dans les animaux, leurs caractères, les moyens de les combattre et de les prévenir, Paris, an III.

60 Message du Directoire exécutif au Conseil des Cinq-Cents, 17 fructidor an V ; Procès-verbaux du Conseil des Cinq-Cents, 6 vendémiaire an VI.

61 Lettre circulaire sur les précautions à prendre contre la morve et autres maladies contagieuses, Recueil..., op. cit., t. 1, p. xxxiii-xlii.

62 B. de Negroni, article « Éclectisme », Dictionnaire européen des Lumières, M. Delon dit., Paris, PUF, 1997.

63 Sur les accords tacites passés entre les Directeurs et François de Neufchâteau au moment de sa sortie du Directoire, voir P. Marot, op. cit., p. 256, n. 2. Il semble qu’une combinaison destinée à écarter Talleyrand prévoyait le retour de François de Neufchâteau aux Relations extérieures, qu’il regardait lui-même comme un ministère moins accaparant. À la fin de prairial an VI, son retour à l’Intérieur semble acquis. Lettre à Poullain-Grandprey, ibid., p. 257.

64 Notes manuscrites de François de Neufchâteau, s.d., AN, 27 AP 13, dossier 5.

Table des illustrations

URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/63892/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 139k

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search