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François de Neufchâteau

 | 
Dominique Margairaz

Chapitre 7. Les chemins de l’individualisme agraire

Texte intégral

  • 1 N. Vivier, Propriété communale et identité collective. Les biens communaux en France 1750-1914, Par (...)
  • 2 Archives Parlementaires, t. 48, p. 118.
  • 3 F. Gerbaux et C. Schmidt, Procès-verbaux des comités d’agriculture et de commerce de la Constituant (...)
  • 4 G. Bourgin, Le partage des communaux. Documents sur la préparation de la loi du 10 juin 1793, Colle (...)

1Dans l’histoire de l’individualisme agraire, le nom de François de Neufchâteau reste attaché au vote de la loi de partage des communaux du 14 août 1792. En réalité, à l’exception de la synthèse de Nadine Vivier sur les communaux en France, peu d’ouvrages accordent une place conséquente à l’épisode, concentrant leurs développements sur le décret du 10 juin 1793 qui fixe, au bout d’un an, les modalités du partage1. Après les hésitations de la Constituante et de la Législative, le vote apparaît arraché dans l’improvisation, sous la poussée démocratique du 10 août, et déterminé par l’urgence politique. En s’abstenant de trancher sur les modalités du partage, le législateur semble manifester son manque de détermination profonde à le faire appliquer. « Contrecoup de la victoire populaire » selon Albert Soboul, le vote de la loi du 14 août serait le fruit d’un calcul plus ou moins opportuniste. Selon Nadine Vivier, qui pressent les difficultés d’interprétation de la décision impromptue de l’Assemblée le 14 août, François de Neufchâteau « saisit l’occasion du choc politique du 10 août pour faire aboutir ce projet cher aux agronomes ». De fait, la lecture du procès-verbal de la séance est laconique et laisse un large espace aux hypothèses. Sans que la question soit inscrite à l’ordre du jour, et en dehors de toute continuité logique avec les débats qui précèdent, François de Neufchâteau propose coup sur coup, en quelques mots, non pas un, mais deux décrets, adoptés sur le champ sans débats et appuyés par de « vifs applaudissements »2. Le premier décrète le partage en toute propriété, « entre les citoyens », de tous les terrains et usages communaux autres que les bois. Le second, la division en petits lots de deux à quatre arpents des biens des émigrés et leur mise aux enchères pour être aliénés à perpétuité par bail à rente en argent. L’intervention de François de Neufchâteau est encore plus surprenante si l’on considère qu’il n’appartient pas au comité d’agriculture et qu’il n’a assisté à aucune de ses séances entre le 14 août et le 25 septembre, bien qu’ayant rapporté le 8 au nom de celui-ci sur le mode de partage, d’après le procès-verbal de séance3. Le comité, explique-t-il alors, « après mûre réflexion et devant les difficultés qui viendraient à surgir, a préféré laisser les communes libres, et ne point proposer de décret ». On ne peut mieux exprimer la perplexité et la réticence de ses membres, qui laissent à l’intrus le soin de faire part de leur désengagement, limitant la portée du décret. La position et les intentions de François de Neufchâteau à l’égard des modalités de partage sont en revanche dénuées d’ambiguïté et rejoignent celles de Cambon, qui préconise le partage « entre ceux qui n’ont pas de propriétés ». Dès le 14 août, il propose en effet « de partager ces biens aux plus pauvres » et justifie le mode de division des biens des émigrés « afin que les pauvres puissent en avoir ». Cette orientation surprit-elle les députés ? Peut-être pas autant qu’on pourrait le croire et l’on a tout lieu de penser que sa préférence pour un partage en faveur des plus pauvres était de notoriété publique, si l’on en juge par cette lettre adressée le 18 mai 1792 par le directoire du département de l’Orne en réponse à l’enquête lancée par le comité d’agriculture le 23 novembre 1791 au sujet des communaux : « Vous nous demandez nos vues sur le partage des communaux et sur l’emploi le plus avantageux à en faire... Nous pensons, comme Monsieur François, que la meilleure manière de partager cette espèce de biens, qui nous paraît le superflu des riches, est celle de partager entre tous les habitants de la commune où ils se trouvent, par feu, en raison inverse des propriétés : donner le moins à qui a le plus et le plus à qui a le moins. Cependant, tout en adoptant ce parti, nous pensons que cette loi est précipitée. »4 Si François de Neufchâteau saisit l’occasion de faire aboutir un projet cher aux agronomes, c’est en tout cas dans une version bien éloignée des conceptions de ceux qui en soutenaient traditionnellement le bien fondé, notamment les Physiocrates, ouvertement favorables à un partage au bénéfice des propriétaires, ou, même, à proportion des propriétés possédées. Incontestablement, la sortie du 14 août 1792 constitue bien un tournant dans l’histoire des communaux comme dans la réflexion agronomique de François de Neufchâteau. Avant d’en examiner la portée intellectuelle, il nous faut revenir sur sa genèse.

  • 5 M. Bloch, « L’individualisme agraire... », op. cit., p. 515-518 et 521-527, et N. Vivier, op. cit., (...)
  • 6 Aux moins ceux-ci sont-ils perçus ainsi dans la décennie quatre-vingt par la majorité des intendant (...)
  • 7 Les améliorations dont la paix doit être l’époque, Épinal, Haener, an V, p. 31.
  • 8 Marc Bloch avait déjà relevé la remarque pertinente de François de Neufchâteau qui observe qu’un te (...)

2Jusqu’à cette date, François de Neufchâteau est loin d’apparaître comme un défenseur intransigeant du partage, qui n’est en rien le pivot de sa vision de la modernisation de l’agriculture. Au seuil de la Révolution, cette vision s’inscrit dans la continuité de la politique monarchique telle qu’elle finit par s’imposer après la mort du marquis d’Ormesson : ferme dans son orientation réformatrice favorable à l’individualisme agraire, mais prudente dans son application face à la multiplicité des oppositions qu’elle suscite. Pour schématiser, version Bertin, dont nous avons dit que François de Neufchâteau avait été proche de certains de ses collaborateurs, plutôt que version d’Ormesson. Or, dans la généralité de Nancy, le partage des communaux est une question des plus controversées, mettant en cause des intérêts tout à fait divergents. Ceux des agriculteurs de « la plaine », qui penchent pour le partage, et ceux des éleveurs de la montagne vosgienne, auxquels le maintien de l’exploitation commune paraît indispensable, d’une part. Ceux des micropropriétaires et d’un prolétariat rural nombreux, notamment autour de Nancy, qui y voit l’occasion d’accéder au statut de propriétaire, et ceux des seigneurs ou de leurs fermiers qui, forts de leur droit de troupeau à part, tirent un bénéfice presque exclusif des pâtures communes, d’autre part5. A la rencontre de son approche d’agronome préoccupé d’augmenter le produit agricole et de celle de l’administrateur soucieux d’ordre public, la philosophie rurale de François de Neufchâteau le porte à mettre l’accent sur le développement des prairies artificielles – ses expériences en témoignent – et des clôtures, plus que sur le défrichement et l’emblavement des communes, aux résultats décevants6. À leur valorisation extensive, il préfère l’intensification des cultures sur les terres déjà défrichées. « Sans clôtures point de fourrages, sans fourrages point de fumiers et sans fumiers point de moissons », résumera-t-il en l’an V7. Comme l’avaient pressenti tant Patullo et Duhamel que les parlementaires nancéiens, il comprend que l’extension des clôtures induit à son tour une action, notamment fiscale, pour remédier au morcellement des terres, principal obstacle à leur aménagement. Car sur des parcelles trop petites et découpées en longueur comme elles le sont sur le plateau lorrain, l’investissement s’avère trop coûteux et contre-productif, les haies faisant alors trop d’ombre aux cultures8.

  • 9 Le terme de remembrement désignant à l’époque en Lorraine le recensement des propriétés, François d (...)
  • 10 G. Hottinger, op. cit., et aussi, du même, Le morcellement et le remembrement des terres en Lorrain (...)
  • 11 En 1770, François de Neufchâteau a donné une « Épitre à Monseigneur de La Galaizière » pour le Merc (...)

3Au surplus, dans un terroir composé de microparcelles enchevêtrées, la question de leur accessibilité fait obstacle à leur clôture. Bien avant la Révolution, bien avant les Voyages agronomiques dans la sénatorerie de Dijon, la question du remembrement constitue le nœud des conceptions de François de Neufchâteau en matière agraire9. Le développement des chemins vicinaux en est le corollaire. La lecture des Eléments d’agriculture de Duhamel du Monceau ou de l’Essai sur l’amélioration des terres de Patullo, qu’il cite, comme sa connaissance des exemples allemands, italiens ou anglais ont sans doute contribué à sa réflexion en la matière, mais plus encore l’exemple proche du remembrement des finages de Neuviller, Roville et La Neuville-sous-Bayons, accompli plus ou moins à l’amiable à l’initiative du seigneur, l’intendant de La Galaizière, en 177110. Admirateur de l’intendant bienfaisant, François de Neufchâteau en a recueilli la mémoire et l’héritage, qu’il cite à l’appui de chacune de ses tentatives pour faire aboutir un processus d’échanges et de « regroupement des héritages »11. Très concrètement, la multiplicité des conflits de bornage ou des procès pour violation de prairies mises en défense qu’il a eue à connaître dans sa juridiction lui en a démontré le caractère prioritaire. La rationalité agronomique y trouve son compte autant que le principe d’indépendance des propriétés qui devait triompher à la Constituante, car le regroupement des héritages en parcelles compactes et contiguës n’a pas seulement pour effet de favoriser la liberté de culture et de clôture, mais aussi d’épargner à l’exploitant des déplacements, des charrois, et donc du temps. Grâce à un minimum de dispositions fiscales, que la perspective des réformes rend crédible à la fin de l’Ancien Régime, et à un minimum de précautions qui regardent la police champêtre (la réduction du droit de vaine pâture à proportion des terres encloses notamment), il est possible, à ses yeux, d’assurer le succès des prairies artificielles sans compromettre la paix sociale. Le cas des communaux est beaucoup plus épineux.

  • 12 Mémoire sans titre, rédigé au nom de l’intendant à l’intention du bureau d’agriculture de l’Assembl (...)

4Le rapport rédigé en 1787 pour l’Assemblée provinciale, qui livre l’« opinion personnelle » de l’auteur dissimulé derrière la personnalité de l’intendant, très réservé sur la question du partage, est à cet égard significatif12. Souhaitable afin de rendre les terres incultes « utiles à l’Etat », ce partage ne saurait être pour le rédacteur que volontaire, égalitaire et partiel. Lecteur du Traité politique des communes du comte d’Essuiles dont il possédait un exemplaire, c’est surtout d’un mémoire du président du parlement des Trois-Evêchés que François de Neufchâteau s’inspire alors pour préconiser le partage, sous conditions, du seul « surplus » des communaux, au-delà d’un seuil évalué à « six arpents de pâture commune plus un par habitant non laboureur pour cent arpents de terres labourables ». Conçu par ménage moyennant une redevance au profit de la communauté afin de perpétuer le statut collectif originaire des parcelles distribuées, le partage serait ainsi un partage de jouissance, préservant la propriété éminente de la communauté, au détriment d’un partage en toute propriété, potentiellement porteur d’une menace de dépossession des exploitants résidents au profit de propriétaires horsains. Là où il s’avérerait impossible « soit parce que les portions de champ se révéleraient trop petites, soit parce que la distraction d’un tiers au profit du seigneur rendrait la culture du reste peu utile aux communautés », l’opinion personnelle du rédacteur est d’envisager une valorisation des communaux par leur mise en prairies artificielles, par entreprise, ou mieux encore laissés aux enchères à des personnes solvables et cautionnées à charge de rendre annuellement telle quantité de fourrage aux habitants, tous ayant un droit égal à la terre qui ferait naître ces fourrages. Il conclut :

  • 13 Ibid.

« Tel serait en gros mon avis sur le partage des communes. J’en ferais l’objet non d’une loi générale, à laquelle il paraît que la province n’est pas encore disposée, mais d’un détail particulier d’administration... Ce moyen terme serait également éloigné de l’idée excessive d’un partage total des communes, qui a révolté le préjugé populaire, et de la maintenue tout aussi déraisonnable de la stérile vaine pâture sur l’intégralité des communes, qui a déplu aux gens instruits. J’ose croire que ces mesures seraient du goût du plus grand nombre des habitants des campagnes, et ce serait à mon avis une grande et bonne œuvre que de concilier ainsi des intérêts et des préventions diamétralement opposées les unes aux autres et nuisibles au bien général de la province. Dans cette hypothèse, le parcours ne serait pas totalement aboli, mais il serait modifié, et la vaine pâture également restreinte serait remplacée utilement par des produits plus intéressants à tous égards. »13

5Faire en sorte que ni le partage, ni les clôtures ne tournent au profit exclusif des grands propriétaires et des riches fermiers, telle est bien la préoccupation de l’auteur du rapport, qui concilie ainsi les convictions de l’agronome et la prudence de l’administrateur, les impératifs de l’utilité publique – la richesse et la puissance de l’Etat – avec ceux de la paix sociale et de l’utilité commune, c’est-à-dire le bonheur des sujets. À une loi générale, peut-être conforme à la vérité scientifique des « gens instruits » et à la raison, il faut préférer une solution moyenne, que dicte le sens commun, celui, concret, qui fonde la vie de la communauté et inspire les arguments convaincants pour « le plus grand nombre ». En réalité, cette manière de présenter la question, conforme à l’image sociale de protectrice des faibles et des communautés paysannes que la monarchie s’était efforcée de donner d’elle-même depuis de nombreuses décennies, répondait certainement, de façon habile, aux arguments avancés par les parlementaires pour s’opposer au partage. Elle n’en esquivait pas moins la question de fond, qui gisait dans l’opposition des seigneurs, parmi lesquels on comptait nombre de parlementaires, et de leurs fermiers, plus attachés au profitable droit de troupeau à part qu’appâtés par la concession du triage, et qui formaient, plus que le « préjugé populaire », le front du refus à l’édit de 1771. Comme l’affirme Marc Bloch, l’obligation de ménager les privilégiés demeurait bien le principal obstacle à toute clarification réelle du problème. Pour François de Neufchâteau, l’idéal juridique rationnel d’une régulation uniforme et univoque par la loi, préférable dans son principe au maquis inextricable des sources de droit, générateur de conflits et aliment de la chicane, se trouve ici contrebalancé par l’expérience pragmatique de l’administrateur qui a appris concrètement par sa pratique, et selon ses propres termes, « la difficulté de faire le bonheur des gens contre leur gré ». Les bienfaits du despotisme éclairé, qu’il n’a pas manqué de saluer à l’occasion, ne sont pas sans limites. Son expérience les lui a fait connaître. L’alternative est à chercher dans une pédagogie politique dont la prudence est la pierre d’attente.

  • 14 Sur les débats et enquêtes relatifs aux communaux, cf. N. Vivier, op. cit.
  • 15 Extrait du plan provisoire de l’organisation et des travaux du département des Vosges, présenté à l (...)
  • 16 Procès-verbaux du Conseil général des Vosges, session du 3 au 30 novembre 1790, dans Collection de (...)

6Telle est bien encore la ligne sur laquelle se range la conduite de l’administrateur du département des Vosges pendant la durée de l’Assemblée constituante. Lorsque s’ouvre la session de novembre 1790, le comité d’agriculture de la Constituante poursuit ses travaux depuis plus d’un an et le rapport présenté le 29 août par Heurtault de Lamerville semble attester clairement de l’orientation libérale qu’il entend imprimer à son action pour la régénération de l’agriculture. Celle-ci aboutit en septembre 1791 au vote des décrets connus sous le nom de « Code rural », qui proclament le principe d’indépendance du sol, donc la liberté de culture et de clôture. Mais la vaine pâture et le parcours sont « provisoirement maintenus » et la question des communaux, toujours controversée, est retranchée de la discussion et transmise à l’Assemblée législative14. Si l’initiative législative revient naturellement à l’Assemblée, les départements n’ont pas été tenus à l’écart. Le 30 octobre 1790, une circulaire du comité d’agriculture les invite à faire part de leur avis sur la question du partage des communaux. Dans les Vosges, sur l’initiative de François de Neufchâteau, les administrateurs se sont répartis en sept comités, chargés de préparer les séances du conseil15. Lui-même n’appartient pas au comité d’agriculture, mais à celui des « objets constitutionnels ». Parmi les attributions du comité d’agriculture figurent initialement les questions relatives à la conservation ou l’abolition de la vaine pâture et du parcours, celles des clôtures, des greniers d’abondance et de la circulation des grains, celle des essais pour la formation de prairies artificielles et enfin la question de la division excessive des terres. Mais, oubli prémédité ou non, les communaux ne sont pas évoqués. La circulaire du 30 octobre les ramène dans le champ des questions prioritaires. Le 23 novembre, le comité présente ses conclusions sur « les moyens de tirer l’agriculture de la province de sa langueur ». En réalité, ce n’est pas un, mais trois rapports contradictoires qui sont soumis à l’assemblée des administrateurs16. Sur chacune des questions en débat depuis les années soixante, les rapporteurs, comme les administrateurs, apparaissent divisés. La ligne de clivage semble séparer les « agriculteurs », plutôt acquis au partage, mais minoritaires, et les hommes de loi, franchement hostiles à celui-ci. Au mois de décembre, le conseil, délibérant sur les vœux à faire parvenir à l’Assemblée nationale, conclut qu’il est impossible de porter une loi générale sur les communaux et souhaite seulement que les délibérations des communautés soient soumises à la tutelle du département, qui se réserve de casser éventuellement leurs décisions prises à la majorité des voix.

  • 17 Ibid., p. 214-225.
  • 18 Ibid., p. 361-370.
  • 19 Procès-verbaux des séances du Conseil général des Vosges, session du 1er au 30 décembre 1790, AD. V (...)

7Au vu des procès-verbaux du conseil, bien sûr toujours suspects d’édulcoration, François de Neufchâteau n’a rien fait pour infléchir la position de ses collègues en faveur du partage. Aux offensives en règle de Louis-Dagobert Vosgien, président du tribunal de Neufchâteau, contre la mise en cause des propriétés et des usages communautaires, ou de Joseph Perrin, homme de loi à Épinal, contre le partage, il n’oppose, semble-t-il, aucune contre-attaque. En réalité, il est bien attentif aux tendances qui s’expriment à travers les pétitions et projets émanés des communautés rurales. Mais la teneur lui en revient par l’intermédiaire et le filtre des procès-verbaux d’assemblées de districts, dont il a longuement rendu compte à l’ouverture de la session17. Très contradictoires sur ce point précis, ils sont plutôt de nature à conforter la prudence de François de Neufchâteau. Pourtant, selon Nadine Vivier, de nombreuses pétitions émanées des couches paysannes les plus pauvres et réclamant le partage parviennent à l’Assemblée depuis le printemps 1790. Mais le département, dans sa majorité, n’est pas disposé à prendre en considération cette pression des communautés. Un seul constat néanmoins fait l’unanimité : celui de l’ampleur des usurpations et des anticipations sur les terres communales. De plus, le 15 mars, l’Assemblée a proclamé l’abolition du droit de triage, et autorise les communes à se pourvoir en révision dans un délai de cinq ans contre les arrêts du Conseil rendus au profit des seigneurs dans les trente années précédentes. Insuffisant au regard des paysans, qui auraient souhaité l’abolition du droit de troupeau à part, il leur laisse néanmoins espérer la récupération d’une partie de leur patrimoine commun. Le moment semble donc propice pour dresser un bilan exact de l’étendue et de la consistance des communaux, de la nature et de l’ampleur des usurpations et des aliénations sous toutes leurs formes, préalable raisonnable à toute décision de partage. Tel est le sens de la proposition avancée le 25 novembre par François de Neufchâteau, inspirée en particulier par la démarche du district de Saint-Dié. Elle aboutit le 28 novembre à l’adoption d’un arrêté prescrivant la visite et la reconnaissance des communaux par chaque municipalité, afin d’en dresser l’inventaire précis. Au regard de cette attitude circonspecte, beaucoup plus résolue apparaît celle de François de Neufchâteau à l’égard des clôtures18. Lorsque, le 13 décembre, l’assemblée des administrateurs est invitée à délibérer sur un vœu pour leur suppression, formulé par le comité d’agriculture, celui-ci intervient vigoureusement pour souligner les dangers de revenir sur les édits de clos, cite en leur faveur l’opinion de la majorité des districts, rappelle l’exemple de ce qui avait été décidé par les assemblées provinciales de Berry et de Metz, invoque enfin les principes d’indépendance du sol adoptés par le comité d’agriculture de l’Assemblée. Appuyé par Poullain-Grandprey, il obtient le retrait de l’alinéa19.

  • 20 Sollicités à nouveau de faire connaître leur opinion en mars 1792, les administrateurs rappellent l (...)

8Nul indice, donc, d’une quelconque évolution de la position de l’auteur de la loi du 14 août pendant la durée de l’Assemblée constituante. Très attaché au maintien des mesures autorisant les clôtures en ce qu’elles laissent espérer un développement des prairies artificielles, il tente également de sensibiliser ses collègues au problème du morcellement des terres, en le liant à la question de la confection des nouveaux rôles d’imposition. En l’absence de cadastre, la rédaction des états indicatifs des propriétés s’avère extrêmement difficile et presque impossible est la fixation de la quotité de chaque subdivision. « Une ferme (un gagnage), même modique, se trouve morcelée en 30, 40 jusqu’à 50 pièces de terre, un inconvénient local qui nous a déjà occupés sous d’autres rapports », fait-il remarquer. Déjà, il prévoit les difficultés de répartition de la contribution foncière, les contestations qui ne manqueront pas de s’élever. L’intérêt de l’État et celui des particuliers se rejoignent pour plaider en faveur d’un remembrement, plus urgent à ses yeux qu’un partage des communes. Finalement, l’explication de la conversion de François de Neufchâteau à l’idée d’une loi générale de partage des communaux n’est pas le fruit d’une modification de son approche de la question de l’amélioration du produit agricole, qu’il attend d’une intensification et d’une rationalisation de la culture des terres plutôt que d’une valorisation extensive, ni de la pression des administrateurs de son département qui se montrent durablement hostiles, dans leur majorité, à une telle solution20. En réalité, c’est bien d’une analyse politique que procède le retournement de François de Neufchâteau à cet égard, qui n’a rien pour autant d’une impulsion opportuniste et purement circonstancielle. Les menaces contre-révolutionnaires, que lui fait pressentir l’évolution des rapports de force liée à la question religieuse à partir de 1791, le conduisent à prendre en considération les mesures par lesquelles il est possible, selon son expression, « d’attacher le peuple à la Révolution », pour contrecarrer les effets désastreux du schisme religieux. Fruit d’une véritable radicalisation politique, ses deux propositions de loi du 14 août 1792 ne sont cependant pas pure gesticulation démagogique, mais bien le point de départ d’une réflexion renouvelée sur les voies paysannes de la Révolution, tout autant que sur celles du développement de l’agriculture. Essayons d’en apporter la démonstration.

  • 21 Correspondance conservée au Musée historique lorrain, Ms. 480, publiée pratiquement sans lacune pou (...)

9D’emblée, François de Neufchâteau se montra favorable à la Constitution civile du clergé. La conscience religieuse n’a pas grand-chose à y voir. Profondément, les querelles religieuses, comme les odes sacrées auxquelles il s’essaya, l’ennuient. Adversaire d’un pouvoir clérical, François de Neufchâteau, approuve, comme beaucoup de fidèles ou de membres du clergé, l’idée d’une réforme des « abus de l’Église ». Le cahier de Vicherey contient, sur ce chapitre, quelques articles d’une grande banalité : rendre les richesses de l’Église utiles à l’État et ses ministres à leur vocation dans leur simplicité primitive ne sonne pas particulièrement comme une déclaration de guerre religieuse. L’idée d’un clergé citoyen n’avait rien qui pût le chagriner, pas plus que l’idée d’un serment civique imposé à un personnel devenu fonctionnaire. Son éloquent discours du 29 novembre 1791 sur les troubles excités sous prétexte de religion corrobore l’impression laissée par sa correspondance : la Constitution civile du clergé et le serment sont bien pour lui une affaire politique qui n’a rien à voir avec le dogme et les croyances. Dès le 18 novembre, il intervient au Conseil général pour encourager l’élection d’un curé constitutionnel dans le district de Mirecourt et lui donner toute la publicité susceptible d’en faire un exemple pour les paroisses du diocèse. À partir de 1791, sa correspondance avec Poullain-Grandprey, poursuivie jusqu’à la fin de la Législative et conservée sans trop de lacunes, permet de suivre avec précision l’évolution des sensibilités politiques de François de Neufchâteau et de mesurer la place, prépondérante et presque exclusive, qu’y tient la question religieuse21.

  • 22 P Marot, op. cit., p. 181-183.
  • 23 T. Tackett, La Révolution, l’Église, la France, Paris, Éditions du Cerf, 1986 (1985 pour l’édition (...)
  • 24 Lettre du 20 mai 1791, P Marot, op. cit., p. 197.
  • 25 Ibid., lettre du 5 juin 1791, p. 201-203. « Nous ressentons aussi dans ces cantons le contrecoup du (...)
  • 26 Ibid., lettre du 19 août 1791, p. 203-205.

10Malgré son empressement à faire appliquer le décret du 12 août 1790, celui-ci perçoit rapidement les difficultés de cette application, plus encore celle du serment, qu’il approuve sur le fond. « L’abbé Grégoire a fait une bonne brochure sur le serment », écrit-t-il le 31 janvier 1791 de Paris. Mais il poursuit : « Entre nous, je crois qu’on se repend un peu de la chaleur qu’on a mise à cette Constitution civile du clergé. Le décret est rendu. Il faut l’exécuter sans doute, mais avec prudence, ne point faire de martyrs, ne pas multiplier les dénonciations aux tribunaux, ne pas précipiter les élections de remplacement... Vous connaissez le danger dans notre pays. Il faut y aller avec mesure. Ne heurtons pas les préventions des campagnes. Tâchons de leur faire désirer et demander ce qu’on veut qu’elles fassent. »22 En réalité, la minutieuse enquête de Thimothy Tackett en apporte la preuve, si le diagnostic est pertinent à l’échelle de la Lorraine et de l’Alsace, aux faibles pourcentages d’assermentés, il l’est moins pour les Vosges, département le plus jureur de tous23. Autant que la réticence spontanée des campagnes, François de Neufchâteau redoute les manœuvres de la hiérarchie épiscopale et des élites urbaines tièdement patriotes, en particulier à Nancy. À son retour en Lorraine, à la fin du mois de mai 1791, il est saisi par la nervosité ambiante : « Je trouve les esprits bien changés. La quinzaine de Pâques, la Bulle, les prêtres excitent une grande fermentation. La prêtraille et la mitraille sont coriaces. Elles font le diable dans le peuple alors que leur métier était de faire Dieu. »24 Après Varennes, la collusion des réfractaires et des aristocrates lui apparaît flagrante, périlleuse au point de représenter une véritable menace de retour à l’Ancien Régime25. Au mois d’août, cette menace, nourrie de rumeurs les plus alarmantes, se précise encore : « On assure que le roi vient à Toul, qu’il y sera environné de quatre régiments... Il y a quelques patriotes à Toul, mais vous savez que ce n’est pas le plus grand nombre, et qu’il y a beaucoup de prêtres... Les aristocrates, qui avaient l’oreille basse lors de la fuite du roi, se sont relevés. Ils n’ont jamais été si radieux. »26

  • 27 François de Neufchâteau, rapporteur du décret du 29 novembre 1791 sur les prêtres réfractaires, est (...)
  • 28 Rapport, discussion et vote du décret sur les prêtres réfractaires entre le 16 et le 29 novembre 17 (...)
  • 29 Paris le 18 mars 1792, P. Marot, op. cit., p. 214-215.
  • 30 Ibid., p. 217.

11De cet été 1791, si décisif pour le réaménagement des forces politiques au plan national, date le glissement de François de Neufchâteau, d’une attitude d’abord prudente et conciliante, confiante dans les pouvoirs de l’éloquence et de l’exemple, à un engagement offensif et résolu à faire face, par des mesures d’exception si nécessaire, mais sans provocation toutefois, aux dangers de retour à l’Ancien Régime27. Dès son élection à la Législative, sa résolution prend la forme d’un réquisitoire pour des mesures de rigueur contre les prêtres réfractaires, pour lesquelles il bataille, en qualité de rapporteur du comité de législation, durant treize jours, mobilisant toute son énergie et son éloquence pour arracher, contre l’aile modérée, mais sans concession aux plus extrémistes, le décret du 29 novembre qui exige des ecclésiastiques un nouveau serment civique et prévoit la déportation des réfractaires suspects de fomenter des troubles dans leur paroisse28. Ce virage jacobin ne le range pas pour autant dans les rangs des brissotins, partisans d’une politique provocatrice et belliciste. Tout à la fois pénétré d’un fort sentiment national et pacifiste, dans une lignée fénelonienne qu’il revendique, il voit arriver la guerre avec inquiétude et résignation. Ce virage ne le range pas davantage parmi les démocrates, acquis d’emblée à l’idée d’un élargissement du droit de suffrage. Ce n’est qu’autour du mois de mars 1792 qu’il commence à exprimer l’idée d’associer concrètement les citoyens passifs à la lutte pour le salut de la Révolution : « Je ne demande pas mieux que d’espérer le salut de la République. Mais il faut être secondé, il faut que les impôts rentrent, mais il faut surtout changer le mode des élections, qui est détestable. »29 Les premières défaites achèvent de le convaincre de la nécessité d’une alliance populaire, dont le volet politique doit être enrichi d’un volet social. Au lendemain du 10 août et de la décision de convoquer une Convention élue au suffrage universel, il en évoque indirectement l’idée : « Nous sommes, jour et nuit, occupés des grandes mesures qui sont nécessaires en attendant la Convention nationale, seul moyen de nous tirer de l’abyme. »30

  • 31 Décrets des 11 et 28 août confiant aux municipalités la mission de rechercher les crimes contre la (...)
  • 32 Archives parlementaires, t. 42, p. 600.
  • 33 Archives parlementaires, t. 48, p. 344 et 362, séance du 18 août et t. 49, p. 10, séance du 28 août
  • 34 Archives parlementaires, t. 52, p. 376.

12Les « grandes mesures » évoquées par François de Neufchâteau sont bien connues. Outre leur volet social auquel son nom reste attaché, elles comprennent un volet répressif qui s’incarne dans les mesures d’exception, prévues à l’encontre des prêtres réfractaires et des suspects d’agissements contre-révolutionnaires31. Il est difficile de préciser la part exacte que le député vosgien a prise dans l’élaboration de celles-ci, mais on observe une réelle convergence, non seulement de leur esprit, mais de leur contenu précis, avec des propositions formulées par lui dès le printemps. Ainsi, le décret du 28 août, autorisant les municipalités à effectuer des visites domiciliaires pour rechercher des armes chez les citoyens suspects, reprend-il la motion présentée par François de Neufchâteau le 1er mai, à l’époque renvoyée au comité militaire, qui visait à procéder au désarmement des citoyens suspects32. Sans aucun doute, a-t-il été partie prenante de l’instauration de ce premier régime d’exception, justifié, à ses yeux, par la menace d’invasion étrangère et de retour à l’Ancien Régime, que semble préfigurer, dès le 19 août, l’arrivée en Lorraine des émigrés à la remorque des armées prussiennes, ainsi que la faible volonté de résistance de Metz, de Verdun, de Nancy. Justifié aussi par la nécessité de conserver à l’Assemblée sa marge d’initiative face à l’émergence du pouvoir rival de la Commune de Paris. De ce point de vue, François de Neufchâteau semble également jouer un rôle de premier plan, louvoyant entre protestations de connivence et défiance mal dissimulée. Le 18, il conduit la députation qui se rend aux Cordeliers pour la cérémonie d’hommage aux fédérés morts le 10 août, et « recueille les témoignages d’amour et de confiance du peuple ». Il demande et obtient de l’Assemblée l’impression du procès-verbal de la séance du 10 août et son envoi aux départements, pour « faire connaître la vérité afin que les faits ne soient pas dénaturés ». Enfin et surtout, le 26, il fait part à l’Assemblée des adresses et lettres circulaires répandues dans les districts, exprimant la méfiance de leurs auteurs à l’égard de la Commune, accusée de faire peser des menaces sur la tenue de la Convention à Paris : « 11 importe de les rassurer et de réaffirmer que les députés ne peuvent trouver que des amis auprès de la Commune. A la Commune de faire connaître sa confiance dans le législateur et son respect pour la loi », lance-t-il, non sans finesse. Habilement, il poursuit en proposant que l’Assemblée ne quitte pas son poste jusqu’à la réunion de la Convention, qui doit se tenir le 20 septembre. La proposition est accueillie par des acclamations et tous les députés répètent d’une seule voix le serment civique de défendre la liberté et l’égalité. On vote l’impression de la motion, l’envoi aux départements, à la Commune et aux quarante-huit sections parisiennes33. Cette conduite lui vaut certainement son élection, pour la seconde fois, au fauteuil de président de l’Assemblée, le 3 septembre, puis son élection au poste de ministre de la Justice par la nouvelle assemblée, le 6 octobre, à une large majorité34.

  • 35 A. Mathiez, « La Révolution française et les prolétaires. La loi du 13 septembre 1793, ses antécéde (...)
  • 36 Gérard de Puymège, Chauvin, le soldat laboureur. Contribution à l’étude des nationalismes, Paris, G (...)
  • 37 Sur le détail des différentes versions et amendements, voir M. Marion, La vente des biens nationaux (...)
  • 38 Sur les agronomes latins, voir R. Martin, Recherches sur les agronomes latins et leurs conceptions (...)
  • 39 Plus imprudent encore d’asseoir un tel jugement sur un seul segment de texte, dans lequel il appell (...)
  • 40 G. Lefebvre, Questions agraires au temps de la Terreur, Paris, CTHS, 1984 (1re éd. 1932), p. 34.

13Si, dans ce contexte, les déterminations politiques des deux propositions de loi avancées par François de Neufchâteau au mois d’août 1792 ne sont pas douteuses, il reste à cerner de plus près leur nature. Simple concession de circonstance, de la part d’une assemblée qui, pas plus que la précédente, n’avait rien ou presque rien fait pour le prolétariat, comme le soutient Albert Mathiez35 ? Ou expression plus profonde d’un national-ruralisme nourri d’un mythe du soldat laboureur, plongeant ses racines aux sources de l’Antiquité et sans cesse réactivé au xviiie siècle, de l’utopie fénelonienne aux rêveries militaro-agrariennes de Jean-Jacques, comme le soutient Gérard de Puymège, évoquant la loi de partage des biens des émigrés36 ? Au premier, on répondra qu’il faut à coup sûr, comme il le pressent, distinguer entre les propositions avancées par François de Neufchâteau et les décrets de l’Assemblée, tels qu’ils furent rendus le 14 août, puis amendés dans les semaines suivantes, dans un sens beaucoup moins favorable aux paysans dépourvus de capital, réintroduisant notamment les enchères pour la vente des biens des émigrés et laissant en suspens la question du mode de partage des communaux37. La seconde hypothèse mérite examen, d’autant que François de Neufchâteau fut nourri de la littérature qui a contribué, selon l’auteur, à diffuser la représentation du laboureur patriote, soldat citoyen d’autant plus attaché à la défense de la patrie qu’il est lui-même possesseur d’une portion du sol national : un corpus qui va pour lui des agronomes de l’Antiquité à Bellepierre de Neuve-Église, Saint-Jean Crèvecœur ou l’abbé Rozier, de Fénelon à l’article « Agriculture » de l’Encyclopédie. Cette hypothèse est recevable, à condition de circonscrire la figure du soldat laboureur à une configuration défensive, qui est précisément celle de l’été 1792, à condition aussi de prendre pour ce qu’il est le « mythe » du soldat laboureur, tant chez les agronomes latins que chez Fénelon : une référence légitimant un discours critique sur la guerre et la conquête considérées comme finalité et fondement du système de gouvernement38. L’ignorer, c’est précisément faire l’impasse sur tout ce que la Révolution, puis l’Empire, ont bouleversé à cet égard. C’est pourquoi, il est réducteur de ranger François de Neufchâteau parmi les tenants d’une caporalisation de la France rurale39. Aucun de ses plaidoyers en faveur de l’enseignement de l’agriculture ne peut laisser prise à une telle interprétation. L’agriculture est au contraire pour lui l’anti-guerre, le vrai fondement de la puissance et de la richesse : Vauban, Fénelon, l’abbé de Saint-Pierre sont les trois auteurs sous l’invocation desquels est placé son premier Essai sur la nécessité de faire rentrer l’agriculture dans l’instruction publique. Et la paix la condition d’un progrès agricole : son essai intitulé à dessein Les améliorations dont la paix doit être l’époque ne suggère pas autre chose. On suivra donc plus volontiers les pistes ouvertes par Georges Lefebvre, lorsque, s’interrogeant sur la loi de partage des biens des émigrés, il affirme que, d’emblée, terreur et démocratie sociale furent associées. Il nous faut prendre au sérieux son propos, lorsqu’il remarque que la proposition de François de Neufchâteau de vente des biens des émigrés par petits lots, sans enchères et par arrentement, complétée par le partage des communaux, était la motion la plus favorable aux paysans jamais envisagée et tenter de sonder l’épaisseur de ce compromis social chez celui qui en fut l’auteur40.

14François de Neufchâteau s’en est expliqué en l’an V à propos du partage des communaux, en présentant sa démarche comme le complément, partiel mais nécessaire, du Code rural, prélude à de plus amples réformes et réponse urgente aux menaces de guerre sociale. Dans un contexte qui ne l’exige plus, il assume son geste comme le témoignage « d’un bien que j’avais voulu faire aux pauvres », jusque dans sa dimension de programme d’accession à la propriété. Suivons-le dans son récit :

  • 41 Des améliorations dont la paix doit être l’époque, Epinal, Haener, floréal an V, p. 36-38.

« Je dirai que j’ai commencé, et j’ose m’en glorifier, ce supplément si nécessaire [au Code rural], lorsque j’ai provoqué, le 14 août 1792, le décret du partage des communaux. Il est vrai que le mode de l’exécution, qui est venu depuis, n’a pas été conforme au principe et au but que j’avais en vue. Mais quels que soient les vices de ce mode incomplet, bizarre et trop imprévoyant, je peux dire que le partage des terreins (sic) communaux a sauvé nos contrées de deux fléaux affreux : d’abord de la famine, que les décrets du maximum ne pouvaient manquer d’entraîner... En second lieu, l’on aurait vu les habitants de la campagne armés les uns contre les autres, sans ce partage salutaire... Avant d’abolir le parcours et la vaine pâture, abus dont profitaient ou pouvaient profiter, jusqu’à un certain point, les journaliers et les manœuvres, j’avais voulu intéresser cette classe nombreuse à l’exercice et aux douceurs de la propriété, en les y appelant, pour une portion, dans les terreins communs. Ainsi, ils n’avaient plus de raison de se plaindre du tort que leur faisait la clôture des autres terres. »41

15Ce texte a l’avantage de lever toute ambiguïté sur les deux propositions dont il est question. Mais pour accorder crédit à cette version, encore faut-il mettre en évidence les médiations par lesquelles François de Neufchâteau a pu en arriver à une telle appréhension des questions agraires et objectiver le contenu d’un programme dont nous verrons qu’il n’a pas, en effet, abandonné la perspective au moment où il s’exprime.

  • 42 M. Dorigny, « Les Girondins et le droit de propriété », Bulletin d’histoire économique et sociale d (...)
  • 43 Dorat-Cubières, Essai historique sur la vie et les écrits de François (de Neufchâteau) entremêlé de (...)
  • 44 Sur le Cercle social, voir M. Dorigny, « Le Cercle social ou les écrivains au cirque », dans La Car (...)
  • 45 En 1792, il évoque en termes vagues la rédaction d’un « prospectus de notre société d’agriculture » (...)
  • 46 Procès-verbaux de la Société d’agriculture de Paris pour 1790-1793, registres non cotés. On relève (...)
  • 47 Ibid., en date du 27 mai 1790 et Mémoires d’agriculture, d’économie rurale et domestique, Trimestre (...)
  • 48 Ibid., conclusion du deuxième chapitre consacré aux moyens d’augmenter les subsistances.

16Incontestablement, tout un courant d’idée favorable à la diffusion de la propriété, mais minoritaire, s’exprime tant à l’Assemblée qu’en dehors d’elle, dès la Constituante, notamment dans le cadre des débats sur les moyens d’éradiquer la mendicité. Georges Lefebvre en rappelle les porte-parole les plus saillants, de La Rochefoucault à La Salle d’Offémont. Marcel Dorigny, de son côté, a fait justice de l’image déformée d’une Gironde inconditionnellement acquise à la défense de la grande propriété42. Nombre de ses représentants, de Louvet à Roland, et même Condorcet, ont plaidé pour un élargissement de l’accès à la propriété et ont apporté leur soutien au vote des décrets du 14 août 1792. La position de François de Neufchâteau apparaît donc moins isolée que ne le laissent supposer les procès-verbaux de l’Assemblée le 14 août. Il est cependant impossible de décrire avec précision l’environnement social et intellectuel de celui-ci sous la Législative et de mesurer par conséquent l’influence qu’aurait pu exercer sur lui l’une ou l’autre des mouvances jacobines qui s’expriment alors en ce sens. Sa correspondance fait clairement état de la proximité entretenue avec les députés lorrains, mais au delà ? Selon Dorat-Cubières, qui l’affirme en l’an VII : « Ses collègues de l’Assemblée, ceux que l’on appelait alors les “meneurs”, ne daignèrent pas l’initier dans leurs mystères. »43 Aucune trace en effet de relations suivies avec les figures les plus en vue de la politique parlementaire, notamment autour de Brissot ou de Condorcet. Aucun témoignage non plus d’une participation aux activités du Cercle social, laboratoire d’idées pourtant si important pour la préhistoire de la République et de la démocratie44. En revanche, à la faveur de son séjour parisien, François de Neufchâteau s’est rapproché de la Société d’agriculture de Paris. Plus tard, il témoigne du fait que ses fonctions parlementaires l’ont alors mis à même de nouer des contacts favorables à ses expériences, lui permettant notamment de se procurer des variétés de semences indispensables à ses essais comparatifs45. A-t-il, à cette occasion, renoué ses contacts avec Pierre-François Boncerfi l’un des piliers de l’institution parisienne dans les années 1790-179146 ? Lecteur des Mémoires publiés par la Société, il ne peut en tout cas pas ignorer le rapport présenté par celui-ci le 27 mai 1790 « Sur les moyens de faire disparaître la mendicité », rédigé avec le concours de Béthune-Charost et publié dans la livraison de l’automne47. Le rapport, qui s’attache particulièrement aux causes de l’indigence dans les campagnes et aux moyens d’y remédier, se prononce non seulement pour une action en faveur du développement, interdépendant, des prairies, des bestiaux et des engrais, mais aussi, sans détour, pour l’augmentation du nombre des propriétaires ruraux et la création, à cette fin, de petites fermes : « Un grand propriétaire qui donnerait à un jeune ménage une maison en pisé, un ou deux arpents à cultiver à la bêche, une ou deux vaches, serait un bienfaiteur de l’humanité, surtout si ce terrain n’était pas cultivé. »48 Ces conditions initiales sont très exactement celles que tendent à promouvoir les propositions de François de Neufchâteau en 1792, celles qui servent de base à ses projections concernant l’exploitation d’un domaine borné. Dans le contexte de 1792, il avait des raisons objectives de se remémorer cette argumentation en faveur d’une large accession à la propriété. D’autres raisons, liées à la spécificité de son parcours biographique, concouraient à la lui faire prendre au sérieux.

  • 49 AD Vosges 8 Q 18 : État des biens nationaux vendus dans le district de Neufchâteau pour les 19 févr (...)
  • 50 G. Lefebvre, Questions agraires..., op. cit., p. 202-222.

17Contrairement à la plupart de ses collègues de l’Assemblée aux généalogies et aux fortunes solidement assises, François de Neufchâteau a pu percevoir et partager, dans une certaine mesure, la frustration des petits paysans écartés de la manne des biens nationaux par les modalités de vente qui favorisent les gros enchérisseurs. Lui-même, soumissionnaire à quatorze reprises au cours de l’année 1791, voit la plupart des lots qu’il convoite, pourtant modestes, lui échapper. À la fin de l’année, il peut s’enorgueillir de l’acquisition, pour un total de 6251 livres, de trois petites pièces de prés et d’un moulin avec ses dépendances, quelques arpents de terre attenants à son jardin de Vicherey49. Pestant contre la surestimation des lots et la concurrence des enchérisseurs, il ne peut cacher sa déconvenue, qui n’est évidemment pas étrangère à sa volonté de soustraire la vente des biens de deuxième origine au système des enchères50. Mieux qu’un autre, il était donc à même de comprendre la faim de terre que les micropropriétaires et le prolétariat rural lorrains, hors d’état de la satisfaire par l’achat de biens nationaux, exprimaient par leurs pétitions et les partages de fait auxquels ils procédaient, notamment autour de Nancy. Et mieux qu’un autre, il était à même de saisir que l’élargissement du droit de suffrage ne pouvait à lui seul suffire à convaincre des masses rurales déçues par une politique qu’ils jugeaient trop favorable aux « gros » – maintien du droit de troupeau à part, refus de démembrer les grands corps de fermes – et déchirées par le schisme religieux, de s’engager résolument dans la défense d’acquis révolutionnaires dont ils n’étaient pas, loin s’en faut, les premiers bénéficiaires. Qu’il ait fallu attendre la véritable panique qui s’empare de lui au printemps 1792 pour que François de Neufchâteau en tire toutes les conclusions, ne doit pourtant pas conduire à conclure à l’exclusive rationalité politique de son initiative du 14 août. Celle-ci reste inséparable d’une rationalité économique et sociale, compréhensible à la lumière des perspectives ouvertes par les transformations révolutionnaires. En supprimant le droit de triage et en offrant la possibilité de réviser les anciens partages en mars 1790, la Constituante avait en effet levé l’hypothèque du retrait seigneurial sur le patrimoine commun et virtuellement augmenté la masse des biens à partager. La mise en vente des biens des émigrés, décidée le 27 juillet, offrait un autre levier de redistribution de la terre. Jointe à la vente de ceux-ci par petits lots, sans enchères et selon des modalités de paiement échelonnées, la loi de partage pouvait dès lors laisser envisager l’accession à la propriété d’une masse considérable de paysans, dans des conditions économiquement viables. C’est en tout cas à en administrer la preuve que François de Neufchâteau s’attelle dès ce moment, en travaillant à son système d’agriculture pour les petits propriétaires.

18À la différence de ses collègues parlementaires, François de Neufchâteau a en effet pris au sérieux l’hypothèse d’un développement agricole fondé sur la multiplication de petites unités de production. Dès l’été 1792, il commence à réfléchir sur ce qu’il appellera tour à tour « les moyens d’exploitation d’un domaine borné », ou « système d’agriculture pour les petits propriétaires ». Loin d’être le fruit d’une inspiration passagère, cette nouvelle orientation marque bien au contraire une inflexion majeure de son approche des questions agricoles, puisqu’on en suit les traces matérielles jusqu’en 1817. Peu à peu, sa réflexion s’émancipe du terreau politique qui l’a fait naître et acquiert une cohérence propre, produit d’une synthèse entre son approche primitive et celle que déterminent les nouvelles finalités qu’il assigne progressivement au système. Le projet de François de Neufchâteau comprend en réalité deux volets complémentaires, l’un agraire, l’autre proprement agronomique. Dès le 20 septembre 1792, il communique à l’Assemblée un mémoire, malheureusement perdu, mais dont la présentation qu’il en fait à la barre de la Convention nous permet de saisir l’esprit :

  • 51 Archives parlementaires, t. 50, p. 194, séance du 20 septembre 1792. Le procès-verbal indique que l (...)

« M. François (de Neufchâteau) expose qu’il a préparé un travail sur un projet de loi nécessaire pour l’achèvement de la Révolution, et pour procurer au peuple les avantages qu’il doit en retirer. Il annonce que ses vues, à ce sujet, sont contenues dans un mémoire sur la nécessité et les moyens d’ordonner, sur un plan nouveau, le territoire de la France et de distribuer en conséquence les cultures, les édifices, les chemins, les villes et les villages, d’une manière plus convenable à l’intérêt national et à l’esprit des lois d’un peuple libre. Quant aux villes, il faut désormais les construire sur un plan qui annonce les égards pour le peuple et pour la classe pauvre, qui est la plus nombreuse et plus respectable de la société. Quant aux campagnes, il faut les vivifier par des communications, des améliorations et surtout par la réunion des propriétés morcelées, dont la division est le fléau de l’agriculture et l’aliment des procès. »51

  • 52 Dès 1791, François de Neufchâteau s’est penché sur l’idée de promouvoir un urbanisme révolutionnair (...)
  • 53 L’évaluation de la superficie des communaux est tirée de l’Atlas de la Révolution française, vol. 1 (...)

19 On renvoie en note l’explicitation des rêveries urbaines de François de Neufchâteau, qui feraient ici diversion sans nécessité52. L’organisation rationnelle de l’espace rural doit seule nous retenir. Le remembrement, on le voit, en est la condition, dont dépendent à la fois une meilleure distribution des propriétés et leur desserte par un réseau de chemins, notamment vicinaux, débarrassée des obstacles créés par un enchevêtrement excessif des parcelles et par les empiétements consécutifs à l’imprécision de leurs limites, indéfiniment reconduite par l’abus des partages successoraux égalitaires. D’emblée, la question du remembrement se trouve donc associée dans l’esprit de François de Neufchâteau à son programme d’accession à la propriété, et nous fait entrevoir la rationalité profonde de celui-ci. Il s’agit bien de favoriser l’apparition de domaines, certes de taille restreinte, mais composés de parcelles contiguës. Ce « domaine borné », il est permis de l’évaluer, en prenant pour base les lots issus de la vente des biens des émigrés, « entre deux et quatre arpents », soit une surface de un à deux hectares, auxquels il convient d’ajouter la portion de communaux, variable selon l’étendue des biens à partager, mais augmentée du tiers seigneurial. En Lorraine, qui demeure la référence sans cesse présente à l’esprit de notre réformateur, l’enjeu est loin d’être négligeable : les communaux couvrent 10 à 25 % de la superficie départementale, voire plus de 25 % dans les zones de montagne, mais les alpages y sont impropres à la culture53. Partagées « aux plus pauvres », comme il l’aurait souhaité, ces terres auraient augmenté substantiellement la dotation initiale. Au total deux, peut-être quatre hectares de terres ? En l’an III, ses Dix épis de blé... admettent l’hypothèse de la culture de deux acres, soit quatre arpents, ou encore deux hectares. Une superficie exiguë, mais dont la valeur se trouverait accrue par sa cohérence et sa compacité, favorable à une exploitation intensive préservée par des clôtures protectrices. Que faire sur un tel domaine ? La réponse appartient à l’agronome jardinier qui se retrouve, si l’on ose dire, sur son terrain.

  • 54 Les améliorations..., op. cit., p. 58.

20Sur son terrain, mais tout de même bien embarrassé. Car s’il n’a cessé de proclamer son vœu de parvenir à mettre au point un système de culture dédié aux petits propriétaires, François de Neufchâteau ne semble pas en mesure d’en énoncer les principes et les méthodes. En 1793, son Examen des méthodes de recueillir les grains est présenté comme l’extrait d’un « Essai sur les moyens de tirer le parti le plus avantageux de l’exploitation d’un domaine borné », ou « Système d’agriculture pour les petits propriétaires ». « Ce n’est, affirme-t-il, qu’un article d’un ouvrage considérable », dont les circonstances justifient la publication anticipée. Mais en l’an III, l’ouvrage est encore à venir et ses Dix épis de blé ont précisément pour but d’obtenir de la Convention les moyens de poursuivre ses essais comparatifs, destinés à améliorer la productivité des exploitations parcellaires. Il est encore à l’état de projet en l’an V, lorsque François de Neufchâteau affirme son ambition de prouver « comment nos cultivateurs peuvent élever, par leur industrie, les produits de quelques arpents au niveau de ceux des domaines les plus considérables... J’ai promis de donner un jour un système d’agriculture pour les petits propriétaires, et je ne les oublierai point. »54 En 1809, son Art de multiplier les grains rappelle pourtant encore « ce projet qui m’occupe depuis longtemps du meilleur plan d’agriculture pour les petits propriétaires ». Celui-ci ne verra jamais le jour, mais il est possible de mettre en évidence les différentes orientations de travail de son auteur, dont le propos affiché est constamment demeuré de réfuter le préjugé en faveur des grandes fermes, soutenu notamment par les agronomes anglais, et d’étayer la crédibilité d’une voie alternative. Jusqu’en l’an VII, François de Neufchâteau semble travailler, à l’exclusion de toute autre, sur l’hypothèse d’une amélioration de la productivité céréalière.

  • 55 AN 27 AP 6, dossier 2.
  • 56 C’est ce que recommande Duhamel du Monceau dans ses Eléments d’agriculture, mais le manuscrit porte (...)
  • 57 Il le raconte dans L’art de multiplier les grains, t. 1, p. 29-30 : par deux fois, une ouvrière mal (...)
  • 58 Poncelet, Histoire naturelle du froment, Paris, 1779, p. 79.
  • 59 Ibid., p. 171.
  • 60 Selon les variétés, et les régions, un grain de blé donne environ douze tiges qui ne donnent pas to (...)
  • 61 Sur les rendements à l’hectare, voir l’utile récapitulation proposée par Gérard Béaur, Histoire agr (...)

21Le « multiplicateur » est ici à son affaire. Un document manuscrit, intitulé « Questions relatives au système d’agriculture pour les petits propriétaires » et dont la rédaction peut être située par recoupement autour de 1793-1794, livre de précieuses indications sur ses postulats de départ et ses conjectures55. Le cadre de raisonnement est le « mansus, manoir assigné autrefois à chaque ménage paysan dans les capitulaires », qu’il est allé chercher chez Du Gange, vraisemblablement dans son Glossaire de la moyenne et de la basse latinité. La superficie du manse, de six ares, est considérée par François de Neufchâteau comme la taille optimale pour une culture familiale à la bêche. Sur ces six ares, l’agronome jardinier en réserve deux qui feront l’objet d’un « défoncement par la culture des pommes de terre sur deux ans », préparation qui a pour but d’ameublir la terre avant sa culture proprement dite56. Les quatre ares restants sont divisés en huit soles, où le froment est cultivé en association, alternée sur l’année ou simultanée, avec d’autres grains (orge, maïs), des racines ou des plantes fourragères : le « petit propriétaire » possède une vache, précieuse surtout pour l’engrais qu’elle produit. La méthode de culture part des principes énoncés par l’abbé Poncelet dans son Histoire naturelle du froment qui préconise le fauchage des blés en vert pour provoquer la multiplication des chalumeaux : tel est le secret des « dix épis de blé au lieu d’un ». François de Neufchâteau combine le procédé avec la transplantation des touffes ainsi obtenues au printemps, dont un incident domestique lui a fait découvrir l’heureux effet57. L’évaluation du produit escompté se fonde également sur les résultats de l’abbé Poncelet, confirmés et même amplifiés par ceux d’un agronome non identifié, Adorne. « Ma méthode est sûre puisqu’elle a été confirmée par le succès constant de plusieurs années consécutives. Jamais elle ne m’a produit moins de 3600 pour un », affirme l’abbé58. L’explication est simple : « Communément, les touffes ne portent que sept ou tout au plus huit chalumeaux, au lieu que par ma méthode [le fauchage des blés en vert] j’ai compté jusqu’à soixante-treize épis à chaque touffe, aux moindres dix-sept à vingt, et aux moyens trente à quarante. »59 L’abbé retient une moyenne de trente-six épis, dont il extrait cent grains. C’est bien sûr supposer que chaque tige produit un épi complet et attribuer à chacun une fécondité supérieure au produit communément obtenu aujourd’hui en France60. Sur cette base, le rendement évalué en nombre de grains recueillis pour un grain planté est bien de 3600 pour 1, dont le produit miraculeux tient à la prodigieuse multiplication des épis. À raison d’un grain planté par pied carré, comme le préconise François de Neufchâteau, 9483 par déciare, et de 10800 grains pour une livre de blé, on laisse au lecteur le soin de calculer le rendement par quintaux à l’hectare et de méditer sur son résultat61. Sur ces prémisses, quatre ares de terre suffisent au propriétaire pour recueillir 263 setiers de blé par an, plus de vingt fois la consommation annuelle de la famille, qu’on suppose de quatre personnes. Ce qu’il fallait démontrer.

  • 62 Sur la démarche de Duhamel du Monceau, entreprise avec le comte de la Galissonière, voir A. Bourde, (...)
  • 63 La lettre du citoyen Maisonneuve, du 16 nivôse an VIII, parvient à François de Neufchâteau après sa (...)
  • 64 AN 27 AP 3, dossier 4.
  • 65 Par l’intermédiaire du baron de Villiez, installé en Allemagne et frère d’un de ses collaborateurs. (...)
  • 66 Ibid.
  • 67 AN 27 AP 1, dossier Villiez, orthographié aussi Villiers.
  • 68 François de Neufchâteau évoque son travail sur les domaines bornés dans la table chronologique du r (...)

22On comprend cependant que François de Neufchâteau ait éprouvé quelque hésitation avant de convertir en système d’exploitation pour le petit propriétaire les prodiges de l’abbé Poncelet. L’expérimentateur s’attache à en reproduire les résultats, manifestement à la recherche des espèces ou des variétés susceptibles d’égaler les performances décrites par l’ecclésiastique. Comme Duhamel avant lui, il tente d’en réunir une collection exhaustive, afin de déterminer celle dont la culture serait la plus avantageuse62. Si les confirmations tardent à venir, cette contrariété ne le détourne pas de son hypothèse de travail. En l’an VII, alors qu’il est ministre de l’intérieur, François de Neufchâteau adresse aux sociétés d’agriculture reconstituées et « à plusieurs agronomes », par l’intermédiaire des administrations départementales, un questionnaire sur les moyens de tirer le parti le plus avantageux d’un domaine borné. L’un d’eux, le citoyen Maisonneuve, des Côtes du Nord, lui adresse en retour un témoignage tendant à accréditer les résultats de Poncelet et l’idée d’une productivité supérieure de la culture en petit, dont l’exiguïté est compensée par les soins continuels apportés par le cultivateur. Le « prodige » – terme employé par son correspondant – a été observé sur un pied de froment cultivé par le citoyen Laverne, médecin à Lamballe, portant à maturité plus de 300 épis, d’un rapport d’environ 5000 grains. Poncelet est pulvérisé. En marge de la lettre, François de Neufchâteau porte la mention : « Extraire tout ce qui a rapport à l’expérience curieuse du citoyen Lavergne (sic). » Interrogé à son tour, ce dernier confirme et joint le récit de son expérience, renouvelée en 1786 et 1788. Grâce à une transplantation au printemps pour favoriser la multiplication des racines, une taille des feuilles pour stimuler l’apparition de bourgeons et la croissance de nouvelles tiges, une fumure soigneuse, le médecin n’a pas obtenu moins de 180 épis par touffe, dont il extrait plus de 3600 grains63. Succès propres à encourager le ministre agronome à persévérer dans ses essais. L’enquête de l’an VII signale pourtant une inflexion. Pour la première fois, François de Neufchâteau se penche en effet sur le sort de la vache de son petit propriétaire, que nous avons laissée, gavée de choux, de navets, de sainfoin et de pimprenelle, mais sans abri et sans pâture. Parmi les questions adressées à ses correspondants, le ministre cherche à connaître s’il existe une possibilité de tenir et de nourrir constamment les bestiaux à l’étable, si le procédé procure une économie, et ce qu’il faut faire pour que les animaux s’accoutument à cette existence sans que les produits n’en souffrent64. Il semble que ce soit à l’occasion de sa mission de négociateur à Selz, au printemps 1798, juste avant son second ministère, que François de Neufchâteau découvre les méthodes d’engraissement accéléré des bestiaux à l’étable qu’on applique sur la rive droite du Rhin65. De retour au ministère, son enquête a donc pour but de savoir si de tels procédés sont employés en France, et quels en sont précisément les contraintes et les résultats. Sur ce problème également, le citoyen Maisonneuve apporte des réponses et décrit dans le détail les conditions d’élevage et de nourriture du bétail à l’étable66. En 1817, c’est cette fois comme président de la Société royale d’agriculture que François de Neufchâteau relance l’intérêt pour la question, en réunissant autour de lui une commission composée à la fois de membres de l’éminente institution et d’une délégation de bouchers parisiens, sollicités de donner leur avis sur les procédés et les résultats de l’engraissement des bœufs à l’étable, sur lesquels le même Villiez lui a communiqué tout un dossier67. D’autres indices convergent pour prouver que l’agronome philanthrope a cherché en réalité à réunir les matériaux complets d’une véritable maison rustique du pauvre. Lorsqu’il affiche en l’an VII son intérêt pour les constructions rurales, affirmant être à la recherche d’un système d’architecture économique, solide et simple, qui devrait faire partie de son travail sur l’exploitation des petits domaines, le propos n’est pas sans fondement : nous possédons la copie d’une circulaire manuscrite adressée en germinal an VII à l’ensemble des commissaires du Directoire exécutif, les priant de lui faire connaître précisément le plan extérieur sur lequel les maisons d’habitation des petits cultivateurs du département sont le plus souvent construites, et d’en faire lever le plan par le professeur de dessin de l’école centrale ou tel autre artiste. « Le plan détaillé deviendra nécessaire, ajoute-t-il, lorsque je m’occuperai plus activement de l’amélioration de nos constructions rurales. »68 Mais nous pouvons interrompre là notre excursion sur les terres du « petit propriétaire ». Elle aura sans doute donné au lecteur l’impression de pénétrer dans un univers fantasmagorique. Du point de vue qui nous retient ici, elle est cependant riche d’enseignements, qui tiendront lieu de conclusion à ce chapitre.

  • 69 Original manuscrit d’une lettre du 16 septembre 1816, adressée par François de Neufchâteau à Franço (...)

23La première observation nous ramènera à Marc Bloch. L’opiniâtreté avec laquelle François de Neufchâteau a poursuivi sa quête d’un système d’agriculture pour les petits propriétaires souligne en effet l’écart qui sépare sa propre représentation des fondements sociaux du développement de l’agriculture de celle qui l’emporte au fil des différentes assemblées, préfigurant l’avènement d’une France des notables. Pour François de Neufchâteau, l’enjeu politique et agronomique de son système allait à l’encontre du « sacrifice délibéré des manœuvres et du prolétariat rural ». Bien après la Révolution, sa correspondance privée témoigne encore de cet engagement qu’il n’avait pu faire prévaloir et qui n’affleure désormais publiquement que par la sensibilité philanthropique dont il fait preuve, notamment au sein de la Société d’agriculture. Mais voici en quels termes il s’exprime auprès d’un de ses correspondants viennois, en 1808, à l’occasion de l’envoi de quelques-uns de ses essais agronomiques : « C’est aux propriétaires de domaines bornés, aux pauvres que je voudrais rendre service. Le sort des opulents ne m’inquiète guère. Car il faut que les riches deviennent sans cesse plus riches, tandis que pour les indigents, la gradation est inverse. L’agriculture doit pourvoir à l’entretien de tous les hommes. »69 Le caractère privé du propos n’en atténue pas la portée. Il éclaire la nature et la rationalité profondes des préoccupations d’utilité sociale dont nous avons vu qu’elles subordonnent les orientations et les choix de l’activité savante. Incontestablement, par ses tentatives de faire aboutir un système d’agriculture pour les petits propriétaires, François de Neufchâteau trace un chemin original vers l’individualisme agraire.

  • 70 Sur l’industrie en Lorraine, P. Boyé, La Lorraine industrielle sous le règne de Stanislas, Nancy, B (...)
  • 71 Lettre du 16 pluviôse an VIII, AN 27 AP 3, dossier 4. La comparaison avec les « gros brochets » est (...)

24La deuxième observation s’applique à la nature même de ses hypothèses de travail et des présupposés qu’elles induisent. Le « domaine borné », on l’a constaté, fait l’objet d’une recherche orientée prioritairement sur l’étude des grains et celle de leur amélioration. L’expérimentateur raisonne exclusivement sur un produit en nature, dans le cadre d’une économie de subsistance. Le domaine n’est en effet jamais considéré comme l’élément d’un circuit de reproduction des richesses, dont les paramètres, l’investissement, le revenu et sa circulation sociale, sont ignorés. Cette réflexion n’exclut pas un élargissement au cadre national : les « questions relatives au système... » en témoignent, qui portent, par exemple, sur la quantité de grains, et donc de petits domaines, nécessaires à l’approvisionnement d’une ville comme Paris. Mais cette réflexion se déploie en termes de besoins à satisfaire, implicitement hiérarchisés : la priorité est ici de procurer leur subsistance à des populations dépourvues des moyens de la produire. La valorisation du domaine, exploitation sans capital, à l’exception des terres et de l’habitation du cultivateur, repose entièrement sur le facteur travail, puisque le prodige des « dix épis de blé au lieu d’un » ne tient au fond qu’aux soins intensifs apportés à son lopin par le cultivateur et sa famille. Par une substitution du facteur travail au facteur capital, privilégié par les Physiocrates, François de Neufchâteau envisage, certes, une augmentation des rendements au prix d’un abaissement de la productivité par tête. Mais le choix doit être compris en référence au contexte qui enveloppe, en amont, sa réflexion. Il raisonne en effet dans le cadre d’une société où, d’une façon générale, l’offre de travail est inférieure à la demande. La Lorraine, demeurée largement terrienne malgré l’essor industriel assez remarquable de la métallurgie, de la verrerie et des papeteries, surchargée d’un prolétariat agricole largement sous-actif, lui en offre le tableau exemplaire70. Grâce à un capital initial insignifiant, le domaine borné répond donc prioritairement au défi d’assurer à cette masse rurale sous-employée les moyens de gagner sa subsistance par son travail : philosophie bien conforme aux préceptes moraux de tous les réformateurs sociaux du siècle. C’est bien ainsi que l’entend le citoyen Maisonneuve, qui compare pour sa part les grands propriétaires de biens ruraux « aux gros brochets de nos étangs... Les petites exploitations sont bien avantageuses à la société, poursuit-il. Car il n’est pas douteux que cinquante hectares de terres exploitées par vingt-cinq petits cultivateurs fourniraient la subsistance d’un bien plus grand nombre d’hommes que pareille étendue réunie en une seule exploitation. »71 Cette stratégie d’ajustement des ressources au nombre des hommes tient par postulat une population nombreuse pour un bien. Le préjugé est populationniste. Il nous livre le fin mot de l’animosité de François de Neufchâteau envers la secte des Economistes.

  • 72 J.-C. Perrot, « Les économistes, les philosophes, la population », dans Histoire de la population f (...)
  • 73 Discours reproduit dans l’Arrêté de l’administration centrale du département des Vosges, Pour la fo (...)
  • 74 Sur le prospectus d’une description du département des Vosges, cf. infra, chapitre 9.
  • 75 Procès-verbaux de contestations portées devant le juge de paix, 1791-an IV, et Registre des affaire (...)

25Pour s’en convaincre, il suffit de relire quelques-unes des propositions contenues dans le cahier de doléances de Vicherey : une capitation générale sur les célibataires, un impôt sur la quantité de laquais et de domestiques dont les villes dépeuplent les campagnes, une forte limitation du luxe improductif... On trouve, résumés par François de Neufchâteau, les arguments d’une économie politique royale qui place la population au fondement de la richesse et de la puissance. Mais d’une économie royale passée au crible de la critique de la fin du règne de Louis XIV, qui, « sans remettre en cause l’objectif populationniste du système mercantile, en examine les conditions »72. Parmi celles-ci, François de Neufchâteau privilégie la mise en valeur systématique et intensive des terres selon les procédés les plus propres à mobiliser le plus grand nombre possible de bras : culture à la bêche, repiquage du blé, sarclage des sillons. Seule la pénurie de main-d’œuvre en l’an II lui fait envisager l’hypothèse d’une « manière économique de recueillir les grains ». En floréal an V, le commissaire du Directoire exécutif prononce, devant l’administration du département des Vosges, qui en adopte les conclusions, un réquisitoire dans le but d’obtenir la fondation de trois nouveaux villages dans un désert de terres incultes repéré sur la carte n° 143 de Cassini73. Venger la République de l’injuste reproche de n’avoir semé que des ruines, en gagnant à la culture de nouveaux territoires sans en repousser les limites et en édifiant de véritables colonies républicaines pour les enfants de la liberté, tel est le projet agricole et populationniste qu’il lance comme un legs aux générations futures. De leur côté, les Physiocrates, on le sait, envisagent l’abondance générale comme le résultat d’un accroissement du revenu foncier et de sa circulation dans la société. À cette fin, ils prônent le « bon prix » des grains et privilégient la grande culture parce qu’elle est la plus propre à dégager des excédents commercialisables. Ce que François de Neufchâteau appelle leur « préjugé en faveur des grandes fermes » se déduit en réalité rationnellement d’une démarche qui prétend mettre à jour des mécanismes indépendants de la volonté et des intentions des acteurs, inhérents à ce qu’ils désignent comme « l’ordre naturel » des sociétés. Leur compréhension de cet ordre naturel détermine l’identification des paramètres d’un bon gouvernement, fût-il, à certains égards, abstention de gouvernement. C’est bien pourquoi ils se flattent de produire une « physique » de l’économie, par opposition à une métaphysique, même si leur système est loin d’échapper à toute dimension normative et prescriptive. Le point de vue de François de Neufchâteau est tout différent. Celui du subdélégué et du magistrat, on l’a vu, le conduit à considérer les questions de consommation ou de choix productifs comme des questions d’administration. Sa vocation d’agronome, née d’une curiosité à la mode, a pris consistance dans la confrontation aux problèmes administratifs et judiciaires de l’amélioration agricole. Son parti pris en faveur des petites fermes n’est pas le résultat d’une analyse économique, au sens où l’on peut déjà l’entendre au xviiie siècle, appliqué à un domaine de connaissance autonome. Il est pourtant aisé d’exhiber la liste des auteurs, présents sur les rayons de sa bibliothèque ou dans ses notes infrapaginales, qui apportent leur caution économique à sa défense d’une agriculture peuplante. On y retrouve Forbonnais, Ange Goudar, Herbert ou Vivens. La rencontre avec Vauban vient un peu plus tard. Mais à la vérité, ses propres catégories s’enracinent dans une pensée qui ne sépare pas l’économique du politique : « Le Sol, les Hommes, les Impôts. Voilà les fondements de l’Oeconomie politique et les sources de la Richesse et les moyens de la Puissance. La culture du Sol, l’activité des Hommes, le mode des Impôts sont les matériaux de la prospérité publique. » On ne peut mieux exprimer qu’il ne le fait lui-même en 1790, dans un projet de description du département des Vosges sur lequel nous reviendrons, les principes d’une économie politique qui relève d’une conception normative du bon gouvernement et de l’éducation du prince davantage que d’un raisonnement sur les conditions objectives de reproduction des richesses74. Pour François de Neufchâteau, le choix d’un optimum en matière de système agraire et de structures d’exploitation n’est pas le fruit d’une analyse économique, mais le produit de ses méditations sur les effets pervers d’un système juridique, articulé sur une conception objectiviste du bien commun inhérente à la conception politique de l’économie dont il est porteur. Pendant la Révolution, l’expérience accumulée en qualité de juge de paix ne pouvait qu’ajouter à la liste des conclusions négatives tirées dans l’exercice de ses fonctions de lieutenant général à Mirecourt. Ses différentes charges locales l’ont mis à portée d’apprécier concrètement les nuisances induites par les droits et usages collectifs et leurs effets contre-productifs sur l’agriculture, dont le constat détermine son engagement parmi les tenants d’un rigoureux respect de la propriété individuelle. Les différents registres de la justice de paix de Vicherey en apportent un ultime témoignage75. Parmi toutes les causes soumises à son arbitrage, les anticipations de terres, c’est-à-dire les empiétements consécutifs à l’absence de solution de continuité du parcellaire, ainsi que les dégradations commises par les animaux vagabonds constituent le plus clair des plaintes et des demandes de réparations. Sillon par sillon, morceau de pré par morceau de pré, il faut évaluer les dommages, prendre la mesure des pertes. Au fil des contestations, il enregistre, même après le vote du « Code rural », les effets pervers d’un système agraire dont il estime la déperdition qu’il entraîne pour l’agriculture. Cette approche terre à terre, et non de savants calculs sur la rotation du capital investi, est à l’origine de son parti pris en faveur de la protection de la propriété. Là se situe le terminus ad quem de son dialogue mort-né avec la Secte. À la rencontre d’une conception populationniste de la richesse et de cette expérience concrète, se dessine la voie originale de l’individualisme agraire tracée par François de Neufchâteau.

Notes

1 N. Vivier, Propriété communale et identité collective. Les biens communaux en France 1750-1914, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 115- Aucune référence dans A. Soboul, Problèmes paysans de la Révolution française, Paris, Maspéro, 1976, chap. 9 ou F. Gauthier, La voie paysanne dans la Révolution française, Paris, Maspéro/Textes à l’appui, 1977, chap. 9. M. Bloch, dans sa série d’articles sur l’individualisme agraire, op. cit., s’arrête au Code rural de 1791.

2 Archives Parlementaires, t. 48, p. 118.

3 F. Gerbaux et C. Schmidt, Procès-verbaux des comités d’agriculture et de commerce de la Constituante, de la Législative et de la Convention, Collection de documents inédits sur l’histoire économique de la Révolution, Paris, 1906, vol. 3, p. 596-607.

4 G. Bourgin, Le partage des communaux. Documents sur la préparation de la loi du 10 juin 1793, Collection de documents inédits sur l’histoire économique de la Révolution, Paris, 1908, p. 185-186. Bourgin identifie formellement « Monsieur François » comme étant François de Neufchâteau. Celui-ci laisse tomber la particule à partir de 1791 et adopte une typographie, qu’on retrouve dans les procès-verbaux de l’Assemblée, qui met entre parenthèses l’extension de son patronyme sous la forme : François (de Neufchâteau).

5 M. Bloch, « L’individualisme agraire... », op. cit., p. 515-518 et 521-527, et N. Vivier, op. cit., p. 57-60 et 64- 68. Celle-ci recense une quarantaine de communautés ayant obtenu une décision de partage, situées dans la partie basse de la généralité, et proches de Nancy, là où la propriété paysanne était la plus faible.

6 Aux moins ceux-ci sont-ils perçus ainsi dans la décennie quatre-vingt par la majorité des intendants.

7 Les améliorations dont la paix doit être l’époque, Épinal, Haener, an V, p. 31.

8 Marc Bloch avait déjà relevé la remarque pertinente de François de Neufchâteau qui observe qu’un terrain carré de 10 mètres de côté nécessite 40 mètres linéaires de clôtures, alors qu’une parcelle de 50 mètres sur deux, cas fréquent en Lorraine à cette époque, en impose 104 mètres. Voyages agronomiques dans la sénatorerie de Dijon, Paris, Huzard, 1806.

9 Le terme de remembrement désignant à l’époque en Lorraine le recensement des propriétés, François de Neufchâteau parle de regroupement des parcelles. Sur cette question, voir G. Hottinger, « Le remembrement de la propriété en Lorraine au dix-huitième siècle », Mémoires de la Société d’archéologie lorraine, 1914, p. 323-376 ; J. Peltre, Recherches métrologiques sur les finages lorrains, Lille, Atelier de reproduction des thèses de l’Université de Lille III, 1975, diffusion Honoré Champion.

10 G. Hottinger, op. cit., et aussi, du même, Le morcellement et le remembrement des terres en Lorraine, Nancy, Editions Art graphique, 1914.

11 En 1770, François de Neufchâteau a donné une « Épitre à Monseigneur de La Galaizière » pour le Mercure, t. 1, p. 53-56.

12 Mémoire sans titre, rédigé au nom de l’intendant à l’intention du bureau d’agriculture de l’Assemblée provinciale, dont il a été question au chapitre 5, AN 27 AP 2, dossier 2.

13 Ibid.

14 Sur les débats et enquêtes relatifs aux communaux, cf. N. Vivier, op. cit.

15 Extrait du plan provisoire de l’organisation et des travaux du département des Vosges, présenté à l’Assemblée du Conseil de ce département le 1er juillet 1790, Epinal, Haener, 1790.

16 Procès-verbaux du Conseil général des Vosges, session du 3 au 30 novembre 1790, dans Collection de documents rares et inédits sur l’histoire des Vosges, Nancy, 1914, t. 9, p. 193-392. Les rapports figurent pages 310-337.

17 Ibid., p. 214-225.

18 Ibid., p. 361-370.

19 Procès-verbaux des séances du Conseil général des Vosges, session du 1er au 30 décembre 1790, AD. Vosges, registre L46, séance du 1er décembre, après midi.

20 Sollicités à nouveau de faire connaître leur opinion en mars 1792, les administrateurs rappellent leurs délibérations du mois de décembre 1790, invoquent la diversité des terroirs de montagne et de plaine pour justifier leur opposition à toute décision générale et uniforme. Réponse à la circulaire du comité d’agriculture du 23 novembre 1791, G. Bourgin, Le partage des communaux..., op. cit., p. 312-320.

21 Correspondance conservée au Musée historique lorrain, Ms. 480, publiée pratiquement sans lacune pour cette période par P. Marot, op. cit., auquel on renvoie sauf indication particulière dans la suite de ce développement.

22 P Marot, op. cit., p. 181-183.

23 T. Tackett, La Révolution, l’Église, la France, Paris, Éditions du Cerf, 1986 (1985 pour l’édition en anglais). Tableau statistique par districts pour le département des Vosges p. 485. Sept districts sur neuf comptent plus de 60 %, et jusqu’à 80 % de prêtres constitutionnels dès le printemps 1791, peu tentés par la suite par la rétractation (pourcentage inférieur à 9 %). 40 % seulement d’assermentés à Nancy dont le siège épiscopal est occupé par Mgr de la Fare, opposant actif à la Constitution civile du clergé.

24 Lettre du 20 mai 1791, P Marot, op. cit., p. 197.

25 Ibid., lettre du 5 juin 1791, p. 201-203. « Nous ressentons aussi dans ces cantons le contrecoup du bref du Pape. Nos prêtres s’assemblent et confabulent sine fine. Ils font peur aux scrupuleux... Tout ce que nous avons dans nos entours de curés plus honnêtes et plus instruits en théologie sont violemment tentés de rétracter leur serment. » Peu après, il conclut : « Je vois nos aristocrates triompher. » Ibid., lettre du 1er août 1791, p. 203.

26 Ibid., lettre du 19 août 1791, p. 203-205.

27 François de Neufchâteau, rapporteur du décret du 29 novembre 1791 sur les prêtres réfractaires, est aussi l’auteur d’un discours prononcé le 17 mars 1792, pour proposer l’ajournement de la loi sur la laïcisation de l’état civil, qu’il juge prématurée et provocatrice dans le contexte et seulement propre à augmenter les troubles religieux en changeant subitement les coutumes de la France entière « sur un point d’autant plus délicat qu’il paraît toucher de plus près à la religion ». Archives parlementaires, t. 40, p. 69-74. A. Mâchiez, qui range François de Neufchâteau parmi les tenants d’une politique anticléricale, ne relève pas ce fait, ni ses efforts, lors de la discussion sur le décret du 29 novembre, pour ne pas se laisser entraîner dans une politique provocatrice. Selon sa propre caractérisation, il se range plutôt à mon point de vue, avec Robespierre, parmi « ceux qui jugeaient impolitique et prématurée toute rupture avec le clergé constitutionnel et ne tardèrent pas à s’alarmer du progrès anticlérical ». A. Mathiez, Les origines des cultes révolutionnaires, Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1904.

28 Rapport, discussion et vote du décret sur les prêtres réfractaires entre le 16 et le 29 novembre 1791, Archives parlementaires, t. 35, entre les pages 88 et 433. Nombreux ajournements et renvois. Du propre aveu de François de Neufchâteau, le vote du décret du 29 août fut difficile, la longueur et l’âpreté des débats en témoignent. Dès le 20 novembre, il écrit à Poullain-Grandprey pour solliciter l’appui du département sous la forme d’une adresse à l’Assemblée.

29 Paris le 18 mars 1792, P. Marot, op. cit., p. 214-215.

30 Ibid., p. 217.

31 Décrets des 11 et 28 août confiant aux municipalités la mission de rechercher les crimes contre la sûreté de l’État et de procéder à l’arrestation des suspects. Les visites domiciliaires sont autorisées pour rechercher les armes détenues par les suspects. Décrets des 16, 18 et 26 août interdisant les processions et les cérémonies extérieures autres que le culte, le port du costume ecclésiastique en dehors des offices, supprimant les congrégations, et prévoyant la déportation à la Guyane des réfractaires qui n’auraient pas prêté dans les quinze jours le nouveau serment civique. La laïcisation de l’état civil, à laquelle François de Neufchâteau s’était opposé en mars pour des raisons d’opportunité politique, mais non sur le fond, est décidée, ainsi que le divorce.

32 Archives parlementaires, t. 42, p. 600.

33 Archives parlementaires, t. 48, p. 344 et 362, séance du 18 août et t. 49, p. 10, séance du 28 août.

34 Archives parlementaires, t. 52, p. 376.

35 A. Mathiez, « La Révolution française et les prolétaires. La loi du 13 septembre 1793, ses antécédents, son application », AHRF, 1931, p. 479-495.

36 Gérard de Puymège, Chauvin, le soldat laboureur. Contribution à l’étude des nationalismes, Paris, Gallimard, 1993, notamment p. 141.

37 Sur le détail des différentes versions et amendements, voir M. Marion, La vente des biens nationaux pendant la Révolution, Paris, Champion, 1908, p. 111-124.

38 Sur les agronomes latins, voir R. Martin, Recherches sur les agronomes latins et leurs conceptions économiques et sociales, Paris, Les Belles Lettres, 1971. François de Neufchâteau est particulièrement averti de l’œuvre de Virgile et de Columelle, que Gérard de Puymège invoque à l’appui de sa démonstration. En 1801, il préconise l’étude des Géorgiques comme fondement d’une introduction à l’enseignement de l’agriculture dans les collèges et en 1807, il lance l’idée d’un concours pour la meilleure traduction de Columelle à la Société d’agriculture de la Seine. Il connaît également intimement l’œuvre de Fénelon, tête de file de la lignée identifiée pour le xviiie siècle. Non seulement le Télémaque, mais aussi toutes les œuvres ad usum delphini, à tel point qu’en 1790, en plein débat législatif sur les prérogatives royales en matière de droit de guerre et de paix, il juge bon d’adresser au Moniteur un extrait des dialogues composés par Fénelon, particulièrement sec dans sa condamnation de la guerre : « Toutes les guerres sont civiles. » S’il considère le laboureur comme un soldat, comme il est un miles pour Virgile et Columelle, François de Neufchâteau voit en lui un soldat de l’armée du progrès, dont le patriotisme, notion bien complexe, sinon confuse, au xviiie siècle, s’exprime par sa vertu et son attachement au bien commun qu’il sert par son travail, plus que par ce que nous désignons comme un sentiment national.

39 Plus imprudent encore d’asseoir un tel jugement sur un seul segment de texte, dans lequel il appelle de ses vœux la création d’une école de Cérès en complément de l’École de Mars, extrait de l’Essai sur la nécessité de faire rentrer l’agriculture..., op. cit.

40 G. Lefebvre, Questions agraires au temps de la Terreur, Paris, CTHS, 1984 (1re éd. 1932), p. 34.

41 Des améliorations dont la paix doit être l’époque, Epinal, Haener, floréal an V, p. 36-38.

42 M. Dorigny, « Les Girondins et le droit de propriété », Bulletin d’histoire économique et sociale de la Révolution rançaise, 1980-1981, p. 15-31.

43 Dorat-Cubières, Essai historique sur la vie et les écrits de François (de Neufchâteau) entremêlé de quelques conseils qu’on lui adresse sur son ministère, Paris, J.-B. Chemin, An VII, p. 28-29.

44 Sur le Cercle social, voir M. Dorigny, « Le Cercle social ou les écrivains au cirque », dans La Carmagnole des muses, op. cit., p. 49-66.

45 En 1792, il évoque en termes vagues la rédaction d’un « prospectus de notre société d’agriculture ». Il ne peut s’agir, comme le croit Pierre Marot, de la société parisienne dont il n’est pas membre, mais plus probablement d’un projet de fondation d’une société d’agriculture dans les Vosges, auquel il associe par avance Poullain-Grandprey et pour lequel il a pu consulter ceux des savants parisiens qu’il approche à cette époque, l’abbé Tessier, Vilmorin, Auguste Thouin, l’abbé Grégoire. Lettre de François de Neufchâteau à Poullain-Grandprey, de Paris le 27 janvier 1792, P. Marot, op. cit., p. 212-214.

46 Procès-verbaux de la Société d’agriculture de Paris pour 1790-1793, registres non cotés. On relève la présence active de Boncerf, qui rapporte sur de nombreux mémoires et expériences. Son expertise est sollicitée non seulement pour les questions de défrichement, sur lesquelles il a lui-même publié, mais aussi pour celles d’économie rurale ou de structures agraires.

47 Ibid., en date du 27 mai 1790 et Mémoires d’agriculture, d’économie rurale et domestique, Trimestre d’été, 1790, p. 177 et suivantes.

48 Ibid., conclusion du deuxième chapitre consacré aux moyens d’augmenter les subsistances.

49 AD Vosges 8 Q 18 : État des biens nationaux vendus dans le district de Neufchâteau pour les 19 février, 26 mars, 6 et 9 avril ; État des ventes et adjudications faites depuis le premier décembre 1791 jusqu’au 1er janvier 1792 ; Tableau des ventes des domaines nationaux effectuées dans le département des Vosges en exécution des lois antérieures à celle du 28 ventôse an IV. En prairial an II, sa femme acquiert d’après ce tableau une remise, huit jours de terre et dix-huit ommées de vignes pour une somme de 5050 livres. Comment François de Neufchâteau a-t-il pu financer ses achats, malgré une situation financière catastrophique ? Aux dires de sa femme, ses emprunts se montent en 1789 à près de 30000 francs, tant pour l’achat de sa maison que pour les aménagements intérieurs et extérieurs. Cependant en l’an IV, les lots dont il s’est porté acquéreur sont indiqués comme acquittés.
Pour la période directoriale, on dispose du Registre des soumissions ouvert par l’administration centrale du département des Vosges en exécution de la loi du 28 ventôse an IV, et de l’État des soumissions de biens nationaux, AD Vosges, 3 Q 8 et 3 Q 9. On relève 28 soumissions de la part de François de Neufchâteau, seul ou en association, pour des biens cette fois-ci dispersés dans le département. Il est impossible de savoir quelles ventes ont réellement été passées, et si François de Neufchâteau en fut l’acquéreur. Il est néanmoins clair qu’il ne s’agit plus alors d’arrondir son jardin de Vicherey, mais d’opérations spéculatives. Voir sur ce point P. Marot, op. cit., p. 231-232. Les archives notariales (Étude Charotte, Vicherey, AD Vosges 5E 1624A) conservent la trace de plusieurs ventes, passées par François de Neufchâteau ou sa femme entre l’an IV et l’an VI, de biens situés les villages mentionnés dans l’état des soumissions : Dommartin, Rainville, Maconcourt. Les ventes, d’un montant compris entre 1200 et 3000 livres, sont passées au profit de cultivateurs du lieu, stipulées payables en argent ou en or. Quelles que soient ses velléités spéculatives à partir de l’an III, François de Neufchâteau, qui n’a pas cessé de critiquer le système des enchères, a peu profité des ventes de biens nationaux. Son ami Poullain-Granprey se rend acquéreur de lots infiniment plus importants (pour 24000 livres en messidor an II par exemple).

50 G. Lefebvre, Questions agraires..., op. cit., p. 202-222.

51 Archives parlementaires, t. 50, p. 194, séance du 20 septembre 1792. Le procès-verbal indique que l’Assemblée décrète l’impression du mémoire et en renvoie l’examen à la Convention nationale. Je n’ai pas retrouvé trace du mémoire imprimé, ni de son examen par la Convention. François de Neufchâteau lui-même n’en fait pas mention par la suite.

52 Dès 1791, François de Neufchâteau s’est penché sur l’idée de promouvoir un urbanisme révolutionnaire. Il affirme même avoir proposé à l’Assemblée « un plan nouveau pour rebâtir Paris ». Il sollicite à cette fin les avis et les suggestions de son ami, l’architecte de Lunéville Augustin Piroux. Lettres de François de Neufchâteau à A. Piroux, publiées par P. Marot, La Révolution dans les Vosges, 12, 1923-1924, p. 154-164. Il semble avoir communiqué ses vues à plusieurs de ses proches qui lui adressent en retour des remarques : un curé anonyme des Vosges, et le citoyen Bigotte, qui siège avec lui au département. Ses papiers renferment également un plan, anonyme, présenté par un « citoyen de la capitale » à l’Assemblée nationale, et adressé à François de Neufchâteau en 1791, AN 27 AP 10 dossier 7. Les conceptions de François de Neufchâteau articulent à la fois une dimension monumentale tendant à réaménager et compléter le réseau des places parisiennes afin de les vouer à l’exaltation des valeurs et des conquêtes révolutionnaires, et une dimension sociale, conforme aux vues des hygiénistes et des philanthropes du xviiie siècle : il s’agit en particulier de concevoir des quartiers d’habitations populaires sur des terrains assainis, aérés, alimentés en eau saine, de prévoir l’évacuation des ordures et des « boues », de rejeter à la périphérie les activités ou les établissements polluants. L’aménagement des quais de la Seine n’est pas oublié. L’ensemble reprend les différentes préoccupations exprimées au cours du siècle.

53 L’évaluation de la superficie des communaux est tirée de l’Atlas de la Révolution française, vol. 10, G. Béaur et P. Minard dir., EHESS, Paris, 1997, p. 47.

54 Les améliorations..., op. cit., p. 58.

55 AN 27 AP 6, dossier 2.

56 C’est ce que recommande Duhamel du Monceau dans ses Eléments d’agriculture, mais le manuscrit porte en note marginale que la méthode est empruntée à Van Berchart, vraisemblablement un agronome flamand que je n’ai pu identifier. Il ne figure ni dans la liste recensée par A. Bourde, ni dans la Biographie des agronomes publiée à la suite de la Bibliographie de Musset-Patay, citée plus haut.

57 Il le raconte dans L’art de multiplier les grains, t. 1, p. 29-30 : par deux fois, une ouvrière maladroite ayant déraciné et jeté au fumier quatre pieds de blé, l’auteur les récupère, les replante. La croissance est arrêtée ; mais au printemps suivant, l’une des touffes produit quatre-vingt-six épis, « pas bien gros, mais dont le blé était bon ».

58 Poncelet, Histoire naturelle du froment, Paris, 1779, p. 79.

59 Ibid., p. 171.

60 Selon les variétés, et les régions, un grain de blé donne environ douze tiges qui ne donnent pas toutes un épi complet. On compte entre quatre et cinq gros épis par tige. Un gros épi renferme quatre rangs de dix à dix-huit grains par rang, soit une moyenne de cinquante-six à soixante grains par épi.

61 Sur les rendements à l’hectare, voir l’utile récapitulation proposée par Gérard Béaur, Histoire agraire de la France au xviiie siècle, SEDES, Paris, 2000, p. 148-151, notamment tableau p. 149. Il expose les difficultés de faire correspondre l’évaluation des rendements à la semence et à l’hectare, en raison de la variation de la quantité de semence utilisée. À titre indicatif, on peut avancer un ratio produit/semence qui oscille entre 3 et 8 pour 1 pour la période considérée. L’explication des résultats spectaculaires obtenus par Poncelet et ses émules est donnée par F. Sigaut, dans P. Anderson dir., op. cit.

62 Sur la démarche de Duhamel du Monceau, entreprise avec le comte de la Galissonière, voir A. Bourde, op. cit., vol. 2, p. 600.

63 La lettre du citoyen Maisonneuve, du 16 nivôse an VIII, parvient à François de Neufchâteau après sa sortie du ministère. AN 27 AP 3, dossier 4. La lettre du médecin de Lamballe est reproduite par François de Neufchâteau dans L’art de multiplier les grains, t. 1, p 22-28, même référence pour l’original.

64 AN 27 AP 3, dossier 4.

65 Par l’intermédiaire du baron de Villiez, installé en Allemagne et frère d’un de ses collaborateurs. Même référence.

66 Ibid.

67 AN 27 AP 1, dossier Villiez, orthographié aussi Villiers.

68 François de Neufchâteau évoque son travail sur les domaines bornés dans la table chronologique du recueil de ses circulaires p. 336, et la place qu’y tient la question des constructions rurales, p. 336 et 394. La réunion des plans des constructions rustiques devait en outre donner lieu à leur reproduction en maquette à l’occasion de la fête de l’agriculture. La copie de sa circulaire imprimée datée du 9 germinal an VII se trouve dans ses papiers personnels, AN, 27 AP 13, dossier 5. Dès le 30 prairial an VII, la Société d’agriculture de la Seine, à peine reconstituée, propose dans sa séance publique un prix sur les constructions rurales à décerner en l’an VIII. Il est permis de voir la patte de François de Neufchâteau dans l’alinéa 2, qui réclame le plan d’« une ou plusieurs maisons de villageois telles qu’il les faut pour une famille vivant de son travail, ou d’une très petite propriété rurale ». Les différents mémoires sont analysés dans Nicolas Cote, Les constructions rurales dans la littérature agronomique 1758-1824, mémoire de maîtrise, IHES, Paris 1, 1997 (D. Margairaz et D. Woronoff dir.).

69 Original manuscrit d’une lettre du 16 septembre 1816, adressée par François de Neufchâteau à François de Heinteck, avocat aulique des tribunaux impériaux de Vienne, pour le remercier de l’envoi d’un exemplaire de son Économie impériale autrichienne, et annoncer l’envoi en retour de « quelques essais » agronomiques. AN 27 AP 1, dossier 1.

70 Sur l’industrie en Lorraine, P. Boyé, La Lorraine industrielle sous le règne de Stanislas, Nancy, Berger-Levrault, 1900, et surtout P. Léon, « La Lorraine et les mutations de la France industrielle », dans La Lorraine dans l’Europe des lumières, op. cit., p. 105-125.

71 Lettre du 16 pluviôse an VIII, AN 27 AP 3, dossier 4. La comparaison avec les « gros brochets » est empruntée à Mirabeau, dans l’Ami des hommes, qui recycle lui-même, selon Michel Delon, un ancien proverbe médiéval. Article « Proverbe » du Dictionnaire européen des Lumières, p. 920.

72 J.-C. Perrot, « Les économistes, les philosophes, la population », dans Histoire de la population française, J. Dupaquier dir., Paris, PUF, 1988, t. 2, p. 507.

73 Discours reproduit dans l’Arrêté de l’administration centrale du département des Vosges, Pour la fondation de trois nouveaux villages, séance du 17 germinal an V, Épinal, Haener, an V.

74 Sur le prospectus d’une description du département des Vosges, cf. infra, chapitre 9.

75 Procès-verbaux de contestations portées devant le juge de paix, 1791-an IV, et Registre des affaires portées devant le juge de paix de Vicherey 1791-1792, AD Vosges L 1254 ; Registre pour les rapports de mesus champêtres, AD Vosges 1 J 103. François de Neufchâteau est parfois remplacé par son assesseur mais les procès-verbaux sont signés par lui en fonction de sa présence à Vicherey. Il paraphe l’ensemble des registres, et suit avec attention l’évolution de la police locale et champêtre. Le rythme des dépôts de plainte est le suivant : 130 affaires en 1791, 42 en 1792, 109 en 1793, 14 pour la fin de l’an II, 73 en l’an III, 20 pour l’an IV, 26 pour l’an V et 68 pour l’an VI. Le nombre des incidents intervenus dans un ressort très modeste avait de quoi impressionner le juge agronome. On peut noter, en date du 15 juillet 1791, le soin avec lequel le maire de Dommartin, laboureur, fait enregistrer la clôture d’un de ses prés « pour être dans le cas de jouir paisiblement des droits et privilèges de fermeture et enclos ». Les bris de clôtures sont un délit fréquemment mentionné. Registre pour les rapports de mesus champêtres, référence ci-dessus.

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