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Associations et champ politique

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Claire Andrieu
, 
Gilles Le Béguec
, 
Danielle Tartakowsky

Vu des partis

L’Alliance républicaine démocratique. Association et/ou parti ?

Rosemonde Sanson

Texte intégral

1Fondée le 23 octobre 1901, l’Alliance républicaine démocratique, tantôt association, tantôt parti, et sous des appellations diverses, perdure jusqu’à la Seconde guerre mondiale, et, par-delà, jusqu’en 1976. Mais elle n’a eu d’existence réelle que de 1901 à 1940.

  • 1 Nous nous permettons, en ce qui concerne l’histoire de l’Alliance, de renvoyer à notre article : R. (...)
  • 2 Sur les antécédents de la loi de 1901 : cf. P. Nourrisson, Histoire de la liberté d’association en (...)

2Dès son origine, et ce pendant vingt et un ans, elle revêt la forme d’une association. Les termes même de sa désignation le suggèrent : Alliance républicaine démocratique (ARD) de 1901 à 1911 et de 1916 à 1920, puis Alliance démocratique (AD) de 1926 à 1933. À l’inverse, les noms retenus de 1911 à 1916, Parti républicain démocratique (PRD), de 1920 à 1926, Parti républicain démocratique et social (PRDS), ou le sous-titre de Parti autonome des républicains de gauche et des républicains radicaux, accolé à partir de mars 1933 aux vocables Alliance démocratique, soulignent que, pendant dix-huit ans, le mouvement s’essaie à la forme partisane1. Cette oscillation structurelle autorise à se demander si la forme-association ou l’option-parti recouvre des significations et des finalités différentes2.

3Afin de répondre au questionnement, il paraît bon d’évoquer, d’abord, les arguments justifiant le choix en faveur de l’association, celui retenu, d’ailleurs, par les pères-fondateurs. Il sera loisible, alors, de considérer les facteurs qui poussent des dirigeants, par trois fois, à convertir l’association en parti. Conséquemment, une interrogation s’impose : le changement entraîne-t-il de réelles modifications dans la vie du mouvement ? Pour finir, il faudra avancer les raisons pour lesquelles les modérés de l’Alliance préfèrent, somme toute, s’organiser en association.

L’Alliance, une association

4Il convient rapidement de rappeler les origines de l’Alliance. Sa genèse tient à trois événements : l’Affaire Dreyfus, la naissance du parti radical et radical-socialiste, la perspective des élections de 1902. Au moment de l’Affaire, une minorité de progressistes rompt avec Méline et s’engage aux côtés des dreyfusards de la première heure. Ces scissionnistes du mélinisme sont amenés à épouser la cause de la défense républicaine. Cependant, dans la perspective des législatives, les alliancistes, ces républicains modérés mais non modérément républicains, entendent se démarquer des radicaux et, bien évidemment, des socialistes qui soutiennent aussi la politique de Waldeck-Rousseau.

  • 3 La Correspondance agricole et politique, 14 mai 1901.

5Dès leur première réunion le 1er mai 1901, les pères-fondateurs de l’Alliance annoncent la prochaine création d’une « association dont le but est de grouper tous les hommes qui, soit dans la majorité parlementaire, soit dans le pays, ne sont ni radicaux, ni socialistes », mais qui entendent lutter contre la coalition « clérico-césarienne »3. Quelques mois s’écoulent et, le 23 octobre, l’Alliance, qui maintenant regroupe d’éminentes personnalités du monde des affaires, des Intellectuels et des parlementaires affiliés principalement à l’Union républicaine du Sénat et aux groupes de centre-gauche de la Chambre, est officiellement fondée. Encore quelques semaines et, en décembre, elle tient sa première assemblée générale. Au cours de ces différentes étapes, des discours sont prononcés. Ils instruisent sur les motivations des alliancistes. De même, les déclarations et articles publiés dans la presse de l’Alliance, La Correspondance politique et agricole, puis, à partir de février 1902, l’hebdomadaire l’ARD (l’Alliance républicaine démocratique), nous éclairent sur les raisons de l’option.

6« Nous sommes et nous resterons une association de propagande démocratique », vont répétant les dirigeants du mouvement. De même, lorsque le secrétaire général de l’Alliance, Charles Pallu de la Barrière, déclare enfin l’association le 8 août 1907, en déposant ses statuts auprès de la préfecture de Police, le texte liminaire affirme :

« L’Alliance républicaine démocratique est une association ».

7La phrase se poursuit en précisant son but principal :

« grouper les républicains qui, soit dans le Parlement, soit dans le pays, repoussent les utopies collectivistes et l’hypocrisie nationaliste (...) ».

  • 4 BN, salle des manuscrits, Fonds Alliance démocratique : Les statuts déposés par Charles Pallu de la (...)

8Plus loin dans le texte, les instances dirigeantes de l’Alliance disent s’assigner deux objectifs : d’abord « la constitution de ce grand parti républicain dont Waldeck-Rousseau a parlé à Toulouse », ensuite faire campagne électorale avec tous les vrais républicains « sans se laisser absorber par aucun »4. Dès 1903, la direction affirmait :

  • 5 ARD, 6 décembre 1903, Réunion du Conseil supérieur de l’Alliance républicaine démocratique.

« L’Alliance n’est pas un parti dans la République : elle a au contraire l’ambition d’unifier peu à peu le parti républicain tout entier »5.

9Le choix de la forme associative s’avère-t-il en contradiction avec la constitution future d’un « grand parti républicain » ? Nullement. Si l’Alliance entend servir de lien fédéral entre tous les républicains, c’est afin de reconstituer le « parti républicain ». Cette expression d’actualité insiste sur le désir d’unité. Il relève d’une nostalgie envers le monisme des origines. Mais les alliancistes ne veulent pas brusquer les choses. En attendant, la définition de l’Alliance républicaine démocratique proposée par Louis Barthou en décembre 1905 résume bien les ambitions du mouvement :

  • 6 ARD, 17 décembre 1905, Manifestation républicaine, Le discours de L. Barthou.

« L’Alliance républicaine démocratique, restée fidèle à ses origines, à sa tradition, à sa mission propre (...) constitue une sorte d’institution, d’arbitrage, de conciliation et de réconciliation »6.

10D’autres facteurs expliquent que les pères-fondateurs aient opté pour l’association.

11La composition même de l’Alliance formée de parlementaires aux sensibilités politiques différentes et de non-parlementaires, appartenant aux « élites », implique une forme organisationnelle souple. L’article 1er de la loi sur les associations, chronologiquement contemporaine de la création de l’Alliance : « L’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun leurs connaissances ou leurs activités dans un but autre que le partage de bénéfices » lui sied parfaitement. En effet, l’Alliance n’a pas pour seule ambition d’être un vivier de parlementaires. Le mouvement Carnot – du nom de son premier président Adolphe Carnot, héritier d’une prestigieuse lignée républicaine – veut être aussi un pôle de réflexion entre parlementaires et hommes qui ne veulent pas faire carrière politique, mais influer sur la politique. Elle entend également réformer les mœurs parlementaires, être un centre de rayonnement, d’enseignement.

12Il est naturel par ailleurs que les fondateurs de l’Alliance, qui éprouvent de la répugnance envers tout embrigadement, toute église, aient opté pour la forme plus flexible de l’association. Dès la naissance du mouvement, ils propagent l’image d’une association largement ouverte, ne pratiquant ni excommunication, ni ostracisme. Cependant, si les frontières sont poreuses, elles ne sont pas abolies ; des digues les protègent des déferlements antidémocratiques. Encore en mars 1904, Charles Pallu de la Barrière éprouve le besoin de préciser devant les membres du Conseil supérieur :

  • 7 ARD, 6 mars 1904, Rapport du secrétaire général.

« Messieurs, elle est une association de républicains sans qualificatif, ouverte à tous les démocrates, sincèrement anticléricaux, sincèrement antinationaux, et j’ajoute sincèrement réformateurs »7.

13D’ailleurs, l’association préférée au parti répond, en profondeur, à la conception même de la démocratie reposant sur le suffrage universel et le respect de la liberté de tout citoyen.

14Il est certain que le choix est à mettre aussi en adéquation avec le mode de scrutin d’alors, le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Dès 1903, Adrien Duvand, vice-président de la Ligue de l’enseignement et vice-président de l’Alliance, prédit que l’établissement du scrutin de liste pourrait entraîner la révision de l’organisation de l’Alliance et sa mutation en parti.

  • 8 Cf. M. Agulhon, La République au village, Paris, Seuil 1975 ; – ID., Le cercle dans la France bourg (...)

15Enfin, il convient de souligner que la culture républicaine a, sans nul doute, orienté l’option des fondateurs de l’Alliance. La tradition républicaine est étrangère à la notion de parti plus ou moins organisé. La « préhistoire » du parti républicain est liée aux clubs révolutionnaires, aux chambrées, aux cercles – formes premières de la sociabilité républicaine. L’Alliance, « parti de notables », renoue aussi avec le cercle bourgeois8, et, plus proche, avec le Grand Cercle républicain fondé par Waldeck-Rousseau, tout en évitant l’écueil d’être trop élitaire, par une discrimination qui aurait reposée sur une cotisation élevée.

16Tant en 1916 qu’en 1926, par-delà des raisons conjoncturelles ou personnalisées, des arguments rémanents sont évoqués pour plaider en faveur d’un retour à la forme associative après de courtes phases partisanes.

17Dès que les rouages du mouvement Carnot, à l’instar de ceux des autres formations politiques, se remettent à fonctionner, à l’automne 1916, l’hebdomadaire l’ARD ouvre une Tribune libre. Les adhérents sont invités à évoquer leur préférence pour la forme associative ou pour la forme partisane. Au vrai, le débat tourne court, puisque le président Adolphe Carnot tranche brusquement en faveur de l’association. Mais la décision n’a pas dû rencontrer l’unanimité. En effet, en octobre 1918, les membres de la Commission centrale exécutive (CCE) sont priés, à leur tour, de donner leur avis sur la structure du mouvement. Sur les trente personnalités qui ont exprimé leur opinion, vingt-six se prononcent en faveur de l’association. Décidément, la forme association a la préférence des responsables de l’Alliance.

18Le choix est révélateur d’une nostalgie des origines, d’un ressourcement en quelque sorte. Selon Adolphe Carnot, et plusieurs membres de la CCE, l’association correspond mieux que le parti aux finalités médiatrices du mouvement. En revenant à la conception primitive d’une alliance, de l’Alliance, les dirigeants et les adhérents entendent contribuer, est-il précisé, « à la conciliation entre les républicains plus ou moins novateurs, et ainsi œuvrer plus utilement à la reconstruction nationale ». Louis Barthou, vice-président de la formation, quant à lui avance un autre argument :

  • 9 Cf. R. Sanson, Thèse citéé, et ARD, 20 octobre 1918.

« Nous étions forts comme Alliance. Nous avons trop peu compté comme parti. Redevenons l’Alliance pour jouer un rôle utile dans l’union nécessaire aux destinées du pays »9.

19La remarque fait allusion à la perte de quelques sièges de députés par le PRD, aux élections législatives de 1914. Au vrai, c’est un prétexte spécieux, mais porteur.

  • 10 BDIC : Le Congrès national de Strasbourg, 5-6-7 novembre 1926, brochure de 117 p.

20Près d’une décennie plus tard, les alliancistes réunis en congrès à Strasbourg, en novembre 1926, entérinent la proposition présentée par le Comité directeur, qui propose, après six ans d’expérience partisane, de revenir à la forme associative, et de rendre à l’Alliance son ancien titre en l’allégeant du déterminatif, jugé superfétatoire, de républicaine. Les tenants de l’Alliance démocratique arguent de leur vocation : le mouvement maintenant présidé par le sénateur Antony Ratier s’assigne pour tâche « l’union des républicains affranchis de la tutelle socialiste ». Leur décision répondrait d’ailleurs au vœu des adhérents de base10.

21Ni en 1916-1918 ni en 1926 le contexte conjoncturel n’est mis en avant. On ne peut pourtant en faire abstraction. Au lendemain de la guerre, l’association, largement ouverte, perpétue en quelque sorte l’Union sacrée. Les instances dirigeantes, à Strasbourg, ont intérêt tactiquement à transformer le parti en Alliance. À l’instar de Raymond Poincaré, réalisateur d’une union nationale grâce à son ministère qui réunit Édouard Herriot et Louis Marin, l’Alliance rêve toujours d’attirer à elle des radicaux et des membres de la Fédération républicaine, bref d’être le pivot d’une véritable union républicaine.

L’Alliance, un parti

22Pourtant, les préférences d’Adolphe Carnot et des pères-fondateurs de l’Alliance envers l’association n’ont pas empêché l’Alliance républicaine démocratique de se métamorphoser en parti en 1911. La péripétie se reproduit en 1920 avec une autre génération aux commandes, puis en 1933 sur la volonté délibérée de Pierre-Étienne Flandin, élu président du mouvement.

  • 11 Le Temps, 8 mars 1910 ; – ARD, 22 mai 1910.

23Le Temps, au début du mois de mars 1910, journal proche des milieux modérés de l’Alliance, consacrant un article à la formation, pose la question : « L’Alliance républicaine démocratique est-elle un parti ? ». Les législatives passées, l’éditorial de l’ARD, dans le numéro du 22 mai 1910, répond de par son titre même : « Le parti républicain démocratique ». La suppression du point d’interrogation indique que la décision est arrêtée. Il faut pourtant attendre le congrès de décembre 1911 pour que la transformation soit officialisée11.

24À partir des discours prononcés lors des congrès, des articles parus dans l’hebdomadaire, on peut, par nécessité simplificatrice, déceler cinq justificatifs du passage de l’association au parti.

25Après le vote de la Séparation des Églises et de l’État, alors que les questions économiques et sociales préoccupent fortement les politiques et que le Bloc se délite, le but poursuivi par l’Alliance – à savoir être une association servant de trait d’union entre républicains modérés et avancés – aboutit à une inadéquation. Tous aspirent aux progrès économiques et sociaux, mais les voies proposées pour y parvenir divergent. Les alliancistes éprouvent alors le besoin de se constituer en parti défendant leur propre programme, afin aussi de mieux se situer sur l’échiquier politique.

26Ce faisant, l’Alliance répondrait au vœu de sa base et des mandants de ses élus. Selon les publicistes de l’ARD, aux élections législatives de 1910 :

  • 12 ARD, 29 mai 1912, Le parti républicain démocratique.

« les électeurs se sont prononcés pour une politique foncièrement républicaine et réformatrice, éloignée des extrêmes, pour une politique de liberté, de progrès et de paix contre celles qui s’appuient sur la lutte de classe, les haines sociales et l’absolutisme de l’État »12.

27À l’évidence, l’Alliance se voit impartie de la mission de créer un parti pour défendre les citoyens qui se reconnaissent en de tels idéaux.

28Au vrai, alors que le parti radical et radical-socialiste fait interdiction à ses membres d’appartenir à deux formations politiques différentes et ne renonce pas à ses alliances électorales à gauche, les dirigeants du mouvement Carnot se trouvent quasiment dans l’obligation de vivre en autonomie, même s’ils disent vouloir un « parti ouvert ».

29Selon les porte-parole des alliancistes, l’évolution vers la forme partisane est « normale et s’est faite progressivement, elle était prévue dès l’origine ». Dès la première déclaration de 1901, les pères-fondateurs de l’Alliance républicaine démocratique ne faisaient-ils pas état de leur volonté de changer l’association « en un grand parti républicain » ? Dans le droit-fil de ses origines, le PRD est présenté comme « un grand parti d’action républicaine, démocratique et social », un grand parti d’union, accueillant tous les démocrates laïques, ennemi de la lutte des classes, de l’anarchie, mais aussi de la stagnation sociale et de la réaction. L’argumentation n’a guère varié.

30Certes, les quatre raisons évoquées précédemment entrent en ligne de compte. Mais les premiers articles ou déclarations concernant la transformation de l’association en parti laissent, en creux, la cause déterminante, au reste évidente. Avec l’arrivée de Briand au pouvoir, l’éventualité de la substitution du scrutin de liste au scrutin d’arrondissement et de l’adoption de la représentation proportionnelle (RP) donnent lieu à des débats au Parlement, lesquels relaient les discussions au sein du groupement. Le président Carnot s’est d’ailleurs engagé très tôt, à titre personnel il est vrai, pour mener campagne en faveur de la RP. Or la structure lâche de l’association s’avère inadaptée au mode électoral de la RP. Force est de constater qu’une association peut soutenir un candidat grâce à ses comités locaux ou opérer des tractations entre des candidats dans le cadre de l’arrondissement, mais que son action de conciliation devient caduque si le scrutin de liste est établi. Seul un parti assez structuré peut dresser une liste de candidats et traiter ensuite, au niveau de la direction, avec d’autres partis. C’est l’évidence. Cependant, il faut attendre l’allocution de Félix Drelon du 4 décembre 1911 pour que le projet de réforme électorale soit reconnu comme condition nécessaire et suffisante pour lever toute hésitation et justifier la modification des structures de l’Alliance. Le porte-parole du PRD naissant avoue :

« Le scrutin de liste avec représentation des minorités sera un scrutin de parti, substitué à un scrutin de personne. Pour avoir notre part légitime de représentation, il est donc indispensable que nous soyons organisés en parti ».

31L’option partisane prise est donc dictée par la conjoncture. La transformation de l’Alliance républicaine démocratique en Parti républicain démocratique ne répond pas à une volonté conceptuelle. Le parti est présenté comme « ouvert » ; c’est significatif d’une réticence.

32Il en va différemment en 1920 et surtout en 1933.

33L’Alliance, en 1919, sort victorieuse des premières législatives de l’après-Grande Guerre. Ses dirigeants, Adolphe Carnot en tête, vieillissant mais toujours actif, ont arbitré les élections. Il s’agit maintenant de gérer le bloc national. L’heure est à la reconstruction de la nation, mais aussi des forces politiques. Dès février 1920, Albert Mamelet, un ancien normalien qui a tâté de la politique, successeur de Charles Pallu de la Barrière au secrétariat général du mouvement, déclare fermement : « Il faut refaire un grand parti républicain ».

34Le retrait volontaire d’Adolphe Carnot, remplacé à la présidence par Charles Jonnart, ainsi que l’élection d’une nouvelle génération de dirigeants aux côtés d’anciens, facilitent la mutation de l’association en parti. Leur projet rencontre celui de radicaux modérés qui gravitent autour du Radical de Justin Perchot, sénateur des Basses-Alpes, et d’Alfred Mascuraud, sénateur de la Seine, mais aussi président du Comité républicain de l’industrie, du commerce et de l’agriculture. Ils font campagne pour la constitution d’un grand parti. Un rapprochement s’opère. Tous désirent faire barrage aux grèves, à la « subversion bolchevique » et réformer, dans l’ordre, le pays. Le 20 juin 1920, les uns et les autres annoncent la création « d’un grand parti d’action démocratique et sociale ». C’est le PRDS.

35La naissance de ce parti relève cette fois plus d’une conception moderne de la politique, d’une action volontariste, que de la pression des événements dont on ne peut néanmoins faire abstraction.

36Mais bientôt, des discussions entre l’aile radicale et l’aile modérée du PRDS apparaissent. Les deux présidents successifs du parti, Charles Jonnart, nommé d’ailleurs ambassadeur extraordinaire auprès du Saint-Siège, puis, après son retrait, le sénateur septuagénaire Antony Ratier, s’avèrent peu efficaces pour tenir la barre. Bref, le PRDS se saborde.

37Lorsque, pour mettre fin au « marasme » dans lequel se trouve la « pauvre Alliance », Pierre-Étienne Flandin, député de l’Yonne, ancien sous-secrétaire d’État aux Travaux publics et ancien ministre du Commerce et de l’Industrie, puis des Finances en 1931-1932, accepte d’assumer la présidence du mouvement, il décide de tenir sa désignation de l’élection, et corrélativement, de réorganiser l’Alliance en un parti structuré. C’est la raison pour laquelle il convoque un congrès extraordinaire à Paris. Il se tient le 29 mars 1933. Quelques mois plus tard, les alliancistes, réunis cette fois en congrès à Saint-Etienne, votent les nouveaux statuts qui font de l’Alliance démocratique « le parti autonome des républicains de gauche et des républicains radicaux ». Le nouveau président le donne à voir comme « le parti du Centre ». Le début du discours prononcé par Pierre-Étienne Flandin lors du congrès de Paris s’apparente à une plaidoirie en faveur d’un parti qui ait un programme et des comités de base, qui mène une propagande active et qui se fasse entendre dans les assemblées délibérantes, dans la presse parisienne, et, surtout dans celle de province.

38Alors que la démagogie règne, que des ligues et des partis sont solidement structurés, l’heure n’est plus, pense-t-il, à une réunion élitiste de cadres :

  • 13 P.-E. Flandin, Un programme d’action pour l’Alliance démocratique, 1933, 22 p., et BN, salle des ma (...)

« Il faut agir avec les mêmes armes que celles qui sont employées contre nous, et, seules, la propagande et l’organisation peuvent redonner, dans ce pays, aux partis du centre la force qu’il faut bien constater qu’ils ont momentanément perdue »13.

39Par ailleurs, il critique l’individualisme démocratique forcené – hérité, selon lui, de Jean-Jacques Rousseau – qui conduit à un « émiettement » des forces politiques, et agit comme un dissolvant du pouvoir en république. Il déclare :

« L’individualisme électoral et parlementaire ne peuvent plus se maintenir longtemps. Et cela est une autre raison qui m’a conduit à vouloir que l’Alliance devînt un parti pouvant grouper les parlementaires élus sur l’étiquette des républicains de gauche et des radicaux indépendants ».

40Mais il est un autre facteur à la transformation en parti : il convient de faire contrepoids aux forces antiparlementaires. Seuls les partis structurés peuvent constituer un garde-fou contre le communisme et le fascisme. « Nous ne voulons ni faire le jeu du fascisme par peur du communisme, ni faire le jeu du communisme par peur du fascisme ». En adversaire de la théorie des deux blocs politiques, théorie soutenue par Paul Reynaud, vice-président de l’Alliance, Pierre-Étienne Flandin souhaite l’existence d’un parti centriste fort, indépendant. Le pluralisme des partis corrèle le mode de suffrage prévalant en France, le scrutin uninominal à deux tours ; il n’est pas, selon lui, source de division républicaine.

L’association convient aux formations « juste-milieu »

  • 14 Préfecture de Police : Dossier Alliance républicaine démocratique.

41Les responsables de l’Alliance ne sont pas allés systématiquement à la préfecture de Police pour modifier leur déclaration d’août 1907 à chaque changement de statut14. N’est-ce pas significatif d’une certaine indifférence à la désignation ? Certes, un flottement dans la terminologie politique caractérise l’époque.

  • 15 APP, B/A 1897, carton consacré à l’Alliance démocratique et consultation de l’hebdomadaire du mouve (...)

42Au fait, discerne-t-on une réelle transformation normative entre les phases associatives et les phases partisanes ? En réalité, ni l’organigramme, ni la vie même de l’Alliance n’ont été profondément modifiés en 1911, lorsque l’association fait place au parti. Tout au plus remarque-t-on un effort plus tendu pour l’élaboration d’un programme précis ou vers une structuration sur le plan national. Quant au relatif repliement sur soi opéré par le parti, il apparaît davantage comme une conséquence de la fermeture du parti radical et radical-socialiste qu’une décision propre. Les alliancistes préconisent l’ouverture du PRD. Ils le désignent comme un « parti ouvert ». De fait, l’indiscipline foncière des alliancistes n’a pu être vaincue. Les parlementaires demeurent divisés en plusieurs groupes, tant à la Chambre qu’au Sénat. Les instances dirigeantes ne parviennent toujours pas à faire admettre leurs motions comme des mots d’ordre. Les adhérents du parti, ses députés et ses sénateurs restent attachés à leur indépendance d’action ou de vote. Il faut attendre les élections de mai 1936 pour que la majorité des députés consente à se rassembler en un groupe parlementaire. Mais il est encore des dissidents. Cependant, à cette époque, la ligne politique du président, Pierre-Étienne Flandin, suscite des contestations. En janvier 1936, certains alliancistes désapprouvent, haut et fort, son entrée comme ministre des Affaires Étrangères dans le cabinet Albert Sarraut. En 1938, une aile menée par Paul Reynaud, ainsi que la fédération du Rhin, réprouvant son envoi de télégrammes aux signataires des accords de Munich, font scission15.

43Tant en 1911 qu’en 1933, l’Alliance devenue parti se présente comme une formation qui n’interdit pas l’entrée en ses rangs de membres inscrits à des partis voisins. L’excommunication n’y est pas de mise. On est passé d’une association à un parti ouvert.

44Les alliancistes, ou tout au moins la majorité d’entre eux, ont hésité sur l’organisation de leur formation, mais ils préfèrent, on l’aura compris, la forme-association à la forme-parti. Le fait ne leur est d’ailleurs pas spécifique. Il vaut aussi pour les modérés de la Fédération républicaine, constituée également en association à partir de 1903. Les républicains modérés du xxe siècle répugnent aux structures rigides, fermées. Ils aiment pouvoir jeter des passerelles entre eux. Leurs formations réunissent des affiliés plus que des militants.

45Les alliancistes ont perçu les avantages et les inconvénients des cadres organisationnels que constituent l’association et le parti.

46L’association conçue comme une forme d’organisation souple dans le champ politique convient à son positionnement « juste-milieu », à son ambition de réaliser l’union des républicains, à sa stratégie de la concentration républicaine. Elle répond à ses concepts de base : le libéralisme civique et social que traduit la défense de l’initiative individuelle et privée. Elle correspond à sa vocation primordiale : revenir au monisme républicain. Elle lui permet aussi de composer avec l’attachement de ses membres, à leur liberté d’action, avec l’hétérogénéité socio-professionnelle de ses affiliés, et avec l’affrontement des ambitions personnelles de ses leaders.

47Évidemment, l’Alliance perd ainsi en combativité, en puissance, en visibilité par rapport aux formations politiques bien délimitées, aux partis plus ou moins structurés, avec prolongement au Parlement de ses représentants en un groupe unitaire.

48Pierre-Étienne Flandin l’a bien compris, qui dresse un constat d’inaction de l’Alliance-association. Il constate :

« Au cours de cette période de trente ans qui part de sa fondation pour s’achever aux élections de 1932, l’Alliance n’a peut-être pas exercé au Parlement et dans le pays un rayonnement aussi considérable qu’aurait justifié la valeur de sa doctrine, le prestige de ses dirigeants et l’importance de ses troupes ».

49Il en dénonce la raison :

  • 16 P.-E. Flandin, Paix et Liberté (L’Alliance démocratique à l’action), Paris, Flammarion, 1938 (cf. l (...)

« C’est, sans doute, parce que l’Alliance, organisée sur des bases strictement libérales, était restée une association plutôt qu’un véritable parti »16.

50Cette réflexion rend compte aussi d’une appréhension différente de l’association ou du parti. L’attachement à la forme-association relève, semble-t-il, d’un passéisme libéral et organisationnel des familles politiques. Le choix de la forme-parti témoigne, au contraire, d’une perception moderne de la politique.

  • 17 J. Meynaud, Les groupes de pressions en France, Cahiers de la Fondation nationale des Sciences poli (...)
  • 18 L’expression est de Raymond Poincaré, vice-président de l’Alliance républicaine démocratique, puis (...)

51Les modérés de l’Alliance ont donc établi une distinction entre le parti, qui, selon eux, implique dogmatisme et militantisme, et l’association, forme plus souple, plus inhérente au « parti républicain ». Elle lui permet de jouer un rôle modérateur, unificateur aussi, mais hors de toute contrainte. L’association autorise l’alliance entre individus ou groupes17 se reconnaissant en des bases idéologiques communes, mais non tenus à l’observance d’un programme strict. Elle convient à des associés décidés à se rassembler pour la défense d’intérêts généraux communs sans se sentir enchaînés. En bref, elle sied à l’Alliance républicaine démocratique, qui se veut parti de gouvernement, intermédiaire entre des citoyens libres et un « gouvernement qui gouverne »18. À partir du cas de l’Alliance, il est permis de déduire que l’association est perçue comme ayant une spécificité propre dans le champ politique, comme différente du parti.

Notes

1 Nous nous permettons, en ce qui concerne l’histoire de l’Alliance, de renvoyer à notre article : R. Sanson, « L’Alliance républicaine démocratique ou l’AD », in J.-F. Sirinelli (dit.), Dictionnaire historique de la vie politique française au xxe siècle, Paris, PUF, 1995 ; – à notre thèse d’État : L’Alliance républicaine démocratique (1901-1020). Une formation de centre, Université de Paris IV, 2000.

2 Sur les antécédents de la loi de 1901 : cf. P. Nourrisson, Histoire de la liberté d’association en France depuis 1789, Paris, L. Tenin, 1920. Sur l’association et la formation des partis : cf. R. Huard, La naissance du parti politique en France, Paris, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 1996.

3 La Correspondance agricole et politique, 14 mai 1901.

4 BN, salle des manuscrits, Fonds Alliance démocratique : Les statuts déposés par Charles Pallu de la Barrière le 8 août 1907 sont enregistrés sous le n° 152818 à la préfecture de Police. Cf. Dossier conservé à la préfecture de Police. Le discours de Toulouse est celui prononcé par Waldeck-Rousseau le 28 octobre 1900, cf. R. Waldeck-Rousseau, La défense républicaine, Charpentier, 1902.

5 ARD, 6 décembre 1903, Réunion du Conseil supérieur de l’Alliance républicaine démocratique.

6 ARD, 17 décembre 1905, Manifestation républicaine, Le discours de L. Barthou.

7 ARD, 6 mars 1904, Rapport du secrétaire général.

8 Cf. M. Agulhon, La République au village, Paris, Seuil 1975 ; – ID., Le cercle dans la France bourgeoise 1810-1848, Paris, Armand Colin 1977 ; – R. Huard, La préhistoire des partis. Le mouvement républicain en Bas-Languedoc 1848-1881, Paris, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 1982.

9 Cf. R. Sanson, Thèse citéé, et ARD, 20 octobre 1918.

10 BDIC : Le Congrès national de Strasbourg, 5-6-7 novembre 1926, brochure de 117 p.

11 Le Temps, 8 mars 1910 ; – ARD, 22 mai 1910.

12 ARD, 29 mai 1912, Le parti républicain démocratique.

13 P.-E. Flandin, Un programme d’action pour l’Alliance démocratique, 1933, 22 p., et BN, salle des manuscrits, Fonds Alliance démocratique, Congrès de l’Alliance démocratique à Saint-Étienne.

14 Préfecture de Police : Dossier Alliance républicaine démocratique.

15 APP, B/A 1897, carton consacré à l’Alliance démocratique et consultation de l’hebdomadaire du mouvement titré alors Alliance démocratique (AD).

16 P.-E. Flandin, Paix et Liberté (L’Alliance démocratique à l’action), Paris, Flammarion, 1938 (cf. l’introduction).

17 J. Meynaud, Les groupes de pressions en France, Cahiers de la Fondation nationale des Sciences politiques, 1958.

18 L’expression est de Raymond Poincaré, vice-président de l’Alliance républicaine démocratique, puis président d’honneur du mouvement.

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