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Objets et symboles

 | 
Laurent Dhennequin
, 
Guillaume Gernez
, 
Jessica Giraud

I. Image et culture matérielle

Les signes des grottes ornées et leurs supports naturels

L’utilisation des reliefs dans la caractérisation d’espaces culturels au sein du paléolithique supérieur européen

Éric Robert

Résumé

Signs hold a preponderant place in Upper Palaeolithic’s artistic evidence. These geometric representations, some of which take a significant part in the definition of cultural complexes, received a particular attention in their elaboration and distribution on the wall. The diversity of natural’s stands and their use show flexibility and man’s adaptation to environment, revealing both choice and constraint.

Texte intégral

Introduction

1Il y a près de 40 000 ans, le début du Paléolithique supérieur est notamment caractérisé par la diversification croissante des matières utilisées, le développement de processus novateurs dans la fabrication des outils, mais aussi par l’apparition des premières productions artistiques élaborées. Celles-ci se présentent sous des formes mobiles (statuettes, pierres gravées, outils décorés…), ou immobiles (décorations de grottes, d’abris ou de parois en plein air).

2Les témoignages d’art immobile perdurent alors pendant plus de 20 000 ans, au sein d’un espace qui s’étend essentiellement sur le sud de la France et le nord-ouest de l’Espagne (fig. 1), le plus souvent au sein de grottes, dont la profondeur peut atteindre plus d’un kilomètre. Sur leurs parois sont rassemblées des figures animales, humaines mais aussi des tracés géométriques. La répartition entre ces différents groupes n’est pas toujours homogène, et elle varie d’une grotte à l’autre. Par des thèmes, des associations, des organisations différentes, les hommes ont fait des choix graphiques différents, et dans certains cas, ces choix ont contribué à identifier une période ou une province culturelle.

Fig.1. Carte de répartition des grottes

Fig.1. Carte de répartition des grottes

1 : grotte du Portel (Ariège) ; 2 : grotte de l’Aldène (Hérault) ; 3 : grotte de Pestillac (Lot) ;
4 : grottes de la région des Eyzies (Dordogne), Font de Gaume, Les Combarelles, Bernifal ;
5 : grotte de Rouffignac (Dordogne) ; 6 : grotte du Travers de Janoye (Tarn) ; 7 : grotte de Pech Merle (Lot) ; 8 : grotte de Combe Nègre (Lot) ; 9 : grotte de Chufin (Cantabres).

3Dans quelle mesure ce milieu particulier que constitue la grotte a-t-il pu faire aussi l’objet de choix, et quel pouvait être la portée de ces choix ? L’étude des signes est susceptible de nous éclairer sur l’attitude des Paléolithiques dans ce contexte pariétal souterrain. Ils constituent en effet un groupe omniprésent parmi les représentations graphiques des hommes de la préhistoire. Par leur répartition géographique et leur diversité typologique, ils peuvent illustrer les différents modes d’utilisation des supports naturels.

La place de la cavité dans la recherche

4L’importance du contexte naturel dans la réalisation des peintures et gravures a été tardivement reconnue. Les études menées dans la première moitié du xixe siècle, majoritairement par l’abbé Breuil qui déchiffra un nombre considérable de représentations, se concentraient avant tout sur leur aspect esthétique (ou non esthétique). Elles ne tenaient pas compte de leur contexte, qu’il soit graphique (liens et associations avec les figures environnantes éventuelles), topographique (emplacement dans la grotte), ou pariétal. Les relevés eux-mêmes, dans leur grande majorité, trahissaient la démarche d’analyse en n’intégrant pas les caractéristiques des supports des représentations. Les critiques conduites par Max Raphaël, puis la mise en place d’un schéma topographique par André Leroi-Gourhan ont renouvelé l’approche des œuvres, et apporté un regard nouveau sur l’art paléolithique, par la prise en considération de l’espace au sein duquel étaient disposées les représentations.

5Les supports naturels que constituent les parois ont été par la suite progressivement intégrés dans les relevés lors des études de grotte. Le docteur Léon Pales, dans ses travaux sur la grotte de la Marche, a mis en place une méthodologie qui, pour la première fois, recommandait d’intégrer les aspects naturels des supports, dont l’utilisation pouvait relever d’une « affaire de mise en page, préoccupation technique élémentaire du dessinateur » (Pales 1969 : 31). De nombreux chercheurs ont ensuite intégré cet aspect dans leurs études. Brigitte et Gilles Delluc à Villars, Michel Lorblanchet à Sainte Eulalie, Denis Vialou à l’Aldène ont incorporé le contexte naturel des représentations dans leurs relevés. Certains ont même mis en place un code pour transcrire les particularités des parois (Delluc 1984).

6Cette prise en compte croissante a conduit à la première étude dont l’objet était le support naturel. L’idée proposée est que « la structure même de la paroi est aussi intervenue assez souvent dans l’exécution des figures » (Lejeune 1985 : 15), de la même façon que la configuration de la grotte a pu influencer l’organisation du décor. Les accidents naturels concernés sont « non aménagés mais intégrés dans un contexte de traits tels qu’ils peuvent être estimés avoir été volontairement exploités par l’homme du Paléolithique supérieur » (Lejeune 1985 : 15). Des catégories de relief ont été créées, ainsi qu’une typologie des éléments naturels. Les premiers résultats obtenus témoignent de la grande diversité des reliefs utilisés et de la complexité des relations entre l’homme et la paroi, sans toutefois qu’apparaisse de modèle chronologique ou régional.

7Cependant, si les études de grottes recensent à présent de manière régulière les cas d’utilisation de reliefs, elles restent insuffisantes car trop peu nom-breuses, mais surtout parce qu’elles ne nous offrent qu’une image fragmentée de la démarche des hommes dans les espaces souterrains qu’ils ont investis.

8L’utilisation des supports naturels reste en effet traitée comme un phénomène général, caractéristique de l’art paléolithique, parfois même employée pour appuyer certaines théories interprétatives, mais sans jamais faire l’objet de comparaisons entre différentes cavités.

Les aspects originaux des signes

9La démarche des hommes paléolithiques reste donc à préciser. Pour tenter de mieux comprendre ce phénomène, l’analyse des signes présente un intérêt particulier. Ces derniers regroupent l’ensemble des figures abstraites géométriques, qu’elles soient simples ou complexes. Ils constituent le groupe le plus important parmi les témoignages graphiques, mais aussi souvent le moins connu. Longtemps négligés dans l’étude des grottes, seuls les plus élaborés d’entre eux ont fait l’objet de descriptions, tout en étant parfois décrits par le biais de comparaisons ethnographiques. André Leroi-Gourhan fut le premier à les intégrer au sein des analyses des ensembles pariétaux. Il a réalisé la première typologie et mis en évidence leur place privilégiée au sein des dispositifs pariétaux.

10La situation des signes est souvent différente de celle des animaux, dont la relation à la paroi est mieux connue car ils sont l’objet d’une plus grande attention de la part des observateurs. Leur localisation est plus rarement détaillée, surtout de manière systématique.

11Si les signes ont été tardivement intégrés comme faisant partie prenante du discours pariétal, c’est qu’ils ont été considérés, et continuent encore parfois de l’être, comme des éléments secondaires. Ils ont souvent été analysés en fonction de leur situation par rapport aux animaux, soit dans la perspective d’une interprétation de type « magie de la chasse », soit comme des éléments substitutifs du discours pariétal. L’ensemble des figures géométriques présente pourtant certaines spécificités qu’il convient de souligner.

12Les signes peuvent être peints ou gravés, et sont présents tout au long du Paléolithique, dans la quasi-totalité des grottes ornées. Dans certains cas, ils peuvent même représenter l’intégralité du corpus. Leur nombre tend à augmenter et leur morphologie à se diversifier de l’Aurignacien au Magdalénien. Cette dernière période marque d’ailleurs une intensification des témoignages d’art paléolithique, à laquelle les signes ne font pas exception. Ils sont les marqueurs, à chaque période, de la part symbolique indiscutable contenue dans les représentations. La diversité des formes observées, symbole d’une certaine liberté de réalisation individuelle, se traduit par une grande variété de tracés au sein même de chaque type, particulièrement les plus complexes.

13La conjonction de cette diversité et de leur omniprésence offre un cadre d’étude favorable à la mise en évidence de particularismes chronologiques ou régionaux. Certains signes présentent des distinctions propres à certaines régions, essentiellement pendant le Magdalénien. C’est le cas notamment des tectiformes de Dordogne, des claviformes en Ariège ou des grands signes quadrangulaires des Cantabres. À chaque fois, on observe des concentrations de ces types de signes, au sein de plusieurs grottes géographiquement proches, susceptibles de participer à la définition d’espaces culturels.

14La majorité des signes est toutefois essentiellement constituée de formes simples, construites à partir d’un point ou d’un trait. Présents de l’Aurignacien de Chauvet (32 000 BP) au Magdalénien de Niaux (13 000 BP), ces tracés se déclinent sous de nombreuses formes différentes, conséquences des multiples possibilités d’association. L’unité typologique ne doit pas masquer cette variabilité interne, ni les 20 000 ans d’extension dans cet espace s’étendant de la France à l’Espagne, au sein duquel de nombreux modèles significatifs ont pu exister.

15Quels que soient les signes, leur situation sur les parois des grottes a rarement été soulignée, et cet aspect peut précisément être complémentaire des premières tendances mises en évidence quant à leur statut éventuel.

Les échelles de lecture de la grotte

16Le contexte des représentations peut être analysé à différentes échelles. La première d’entre elles concerne l’emplacement des représentations au sein de la grotte, dans les zones centrales ou les extrémités, dans les salles ou les galeries. La situation stratégique éventuelle de certains signes peut ainsi être mise en évidence.

17À l’échelon inférieur – au niveau de la galerie, ou de la salle – on met en évidence la manière dont les artistes paléolithiques ont organisé le discours pariétal, à travers la disposition des œuvres et leur éventuelle intégration au sein de panneaux délimités par des ruptures naturelles. Le choix s’oriente dans certains cas vers des supports « macromorphologiques » particuliers, comme des piliers stalagmitiques ou des pendants rocheux. Cela peut traduire la volonté de mettre en évidence les représentations, en fonction du parcours emprunté. Ces observations se font sans négliger l’importance du contexte graphique. L’environnement pictural est complémentaire du support des représentations. Dans les deux cas, il s’agit d’une partie du message que nous ont laissé les artistes du Paléolithique.

18Le dernier échelon, au cœur de notre étude, concerne le lien avec les microreliefs. C’est le niveau le plus proche du signe. Il s’agit d’observer la manière dont les irrégularités naturelles, présentes au sein même des parois comme les fissures, les arêtes et les concavités ou convexités, ont été intégrées dans le cadre graphique.

Les modes d’utilisation de la paroi

À ce niveau, plusieurs modes d’utilisations de ces reliefs sont identifiables :

  • l’intégration des reliefs, où les particularités naturelles sont insérées dans le tracé du signe ;

  • la mise en valeur du signe, par la surface ou le volume d’une zone spécifique de la paroi, correspondant à ce qui est sous le signe ;

  • l’utilisation de reliefs naturels pour le cadrage du signe, correspondant à ce qui est autour du signe.

19Le premier mode est le plus remarquablement illustré pour les animaux. En revanche, parmi les centaines de signes observés dans le cadre de notre étude, un seul cas a pu être identifié. Il s’agit d’un signe angulaire dans la grotte du Portel, en Ariège, dont le côté gauche est formé d’une arête naturelle, alors que le côté droit est peint (fig. 2). Les deux côtés sont d’égale longueur, le signe se situant sous une petite corniche de la galerie médiane du Portel. Un seul autre exemple d’intégration est signalé pour un signe ovalaire de la grotte de Mayenne-Sciences, dans l’ouest de la France, dont la base est « pour l’essentiel constituée par une arête rocheuse » (Pigeaud 2004 : 62).

Fig.2. Signe angulaire de la grotte du Portel (Ariège), partiellement peint en rouge

Fig.2. Signe angulaire de la grotte du Portel (Ariège), partiellement peint en rouge

Dimension du signe : 34 cm, longueur de chaque branche : 22 cm.

Cliché É. Robert.

20Les deux autres modes d’utilisation sont plus fréquents. En effet, plus de la moitié des signes analysés dans l’espace franco-cantabrique, répartis dans une trentaine de grottes, sont concernés par l’un ou l’autre de ces modes. Les exemples de cadrage sont les plus nombreux. Ce déséquilibre peut se comprendre par la nature même des signes, formes géométriques et non naturalistes, et dont l’effet de volume n’est peut-être pas le plus recherché.

21Le constat général que nous avons pu faire est que la plupart des grottes de l’espace franco-cantabrique font appel aux reliefs naturels, et ce dès les premiers témoignages pariétaux.

Fig.3. Signe circulaire à gravures multiples. Grotte de l’Aldène (Hérault)

Fig.3. Signe circulaire à gravures multiples. Grotte de l’Aldène (Hérault)

Longueur du signe : 40 cm.

Cliché A. et D. Vialou.

22C’est le cas d’un signe circulaire à l’Aldène, dans l’Hérault, grotte attribuée à l’Aurignacien (fig. 3). Ce rond est encadré au-dessus et au-dessous de lui par des fissures, et à gauche par une dépression sensible de la paroi, rompant avec la surface plane. Ce cadrage pourrait avoir une influence sur le tracé dans la mesure où « ces limites ont déterminé la dimension du signe » (Vialou 1979 : 37). Un phénomène identique de cadrage se trouve dans la grotte de Pestillac, à l’ouest du Lot, attribuée au Magdalénien, pour une série de tracés parallèles, dont certains s’apparentent à des claviformes (fig. 4). La hauteur de ces 12 lignes varie. Cette différence, comme l’a constaté l’inventeur de la grotte qui en a réalisé l’étude, « est dictée par la morphologie de la paroi car l’artiste a utilisé toute la surface d’un panneau propice à la gravure » (Sentis 2000 : 141). Dans ces deux cas, géographiquement et chronologiquement éloignés, les tracés des signes sont influencés par des particularités de la paroi. Exemples visuellement remarquables, ils restent toutefois des exceptions. Les cas d’utilisation de reliefs pour le cadrage ou la surface des signes n’ont le plus souvent pas d’impact sur le tracé de ces derniers. Il s’agit plutôt d’une manière de souligner la forme, d’un choix de disposition effectué par les artistes dans les grottes. Cette tendance est visible dans l’ensemble de l’espace franco-cantabrique. Une fois la réalité de ce phénomène général prise en compte, il convient de l’observer dans un espace restreint. Parmi les signes, certains types complexes très caractéristiques, préalablement cités, participent en effet à la constitution de ce qu’on peut appeler un espace culturel.

Fig.4. Série de 12 lignes parallèles. Grotte de Pestillac (Lot)

Fig.4. Série de 12 lignes parallèles. Grotte de Pestillac (Lot)

Certaines pourraient être des claviformes. Longueur du signe : 33 cm.

Cliché É. Robert.

Le cas des tectiformes du Périgord

23Les signes tectiformes constituent un bon exemple de délimitation d’un espace culturel. On les trouve dans une région du Périgord, centrée autour des Eyzies, au sein de quatre grottes : Font de Gaume, les Combarelles, Bernifal et Rouffignac, toutes attribuées au Magdalénien. Un peu plus d’une cinquantaine de signes de ce type, déclinés sous trois formes différentes (fig. 5) ont été dénombrés :

  • les tectiformes triangulaires, formés d’un axe central, d’une base perpendiculaire à cet axe et de deux traits obliques formant les deux pentes d’un toit ;

  • les tectiformes pentagonaux, lorsqu’on ajoute au tracé précédent deux traits verticaux formant les montants latéraux ;

  • les tectiformes ramifiés, si au contraire on enlève la base du signe du type triangulaire.

Fig.5. Présentation des trois types de tectiformes du Périgord

Fig.5. Présentation des trois types de tectiformes du Périgord

Modèles simples, d’après Capdeville 1986.

Fig.6. Tectiforme gravé ramifié, situé en bord de paroi

Fig.6. Tectiforme gravé ramifié, situé en bord de paroi

Grotte de Bernifal (Dordogne) Longueur du signe : 18 cm.

Cliché B. et G. Delluc.

24Ces trois sous-types sont définis dans une des rares études typologiques consacrées à un signe précis (Capdeville 1986). Nous ne détaillerons pas ici les problèmes inhérents à toute typologie, mais nous souhaitons simplement souligner, au travers de quelques informations, que l’espace culturel auquel participent les signes tectiformes n’est pas nécessairement figé.

25La moitié des tectiformes que nous avons analysés ont un lien avec un élément du relief pariétal dans ces quatre grottes. Mais cette proportion reste variable d’un site à l’autre.

26Ainsi, les six tectiformes des Combarelles sont disposés en bord de paroi, témoignant ainsi d’un positionnement homogène. Ils sont de surcroît concentrés dans le même secteur, en fin de parcours.

27À Rouffignac, en revanche, seuls 4 des 16 tectiformes sont partiellement cadrés en fonction d’éléments du relief. Ils sont de plus répartis dans toute la grotte. Cette proportion, plus faible que la moyenne observée, peut s’expliquer par la forme très régulière des parois de cette grotte.

28Enfin, la moitié des tectiformes de Font de Gaume et Bernifal sont liés à des accidents naturels, ce qui correspond à la tendance locale. Une différence se situe en revanche dans la répartition topographique des signes. À Bernifal, à l’exception de celui qui est peint, ils se concentrent dans une zone centrale de la grotte, relativement étroite, appelée le Passage (fig. 6) tandis qu’à Font de Gaume, on les trouve tout au long de la grotte, le plus souvent par petits groupes, dans les différentes galeries.

29Une autre caractéristique différencie les quatre cavités à tectiformes de Dordogne. C’est la présence, à Font de Gaume, de la quasi-totalité des cas de mise en valeur de la surface du signe (fig. 7). Tantôt concaves ou convexes, ces surfaces restreintes concernent les trois types de tectiformes, pentagonaux, ramifiés ou triangulaires. Cette spécificité ne peut toutefois, au vu du faible nombre de cas (inférieurs à 10), constituer une règle d’élaboration.

Fig.7. Deux tectiformes rouges situés sur un grand bison. Grotte de Font de Gaume (Dordogne)

Fig.7. Deux tectiformes rouges situés sur un grand bison. Grotte de Font de Gaume (Dordogne)

Le tectiforme pentagonal situé à gauche se trouve dans un creux naturel de la paroi. Longueur de chaque signe : 30 cm.

Cliché A. et D. Vialou.

30Cette diversité n’est pas seulement observée dans le rapport à la paroi. D’autres chercheurs ont souligné la variation morphologique de ces signes au sein de chacune des grottes, ou la proportion différente de chacun des trois sous-types, d’une cavité à l’autre. Les techniques différentes, peinture, gravure, tracé digital, ou bien encore les liaisons thématiques sont autant de facteurs de différenciation. Ainsi, « l’étroite parenté thématique des grottes n’aboutit pas à une uniformité symbolique de leurs constructions pariétales » (Vialou 1987 : 316). Nous faisons le même constat au travers de l’élaboration des signes sur les parois. La variabilité des modes d’utilisation d’un site à l’autre est le témoin de choix individuels, démontrant la souplesse dans la réalisation de thèmes communs, au sein d’un espace pourtant restreint. « Au total s’il est indéniable qu’il existe de véritables similitudes entre les tectiformes des quatre sites […], il est clair aussi que chaque cavité constitue un ensemble original dans lequel les signes tectiformes comme les autres motifs jouent un rôle symbolique singulier » (Plassard 2005 : 274).

Le cas des ensembles de ponctuations du Quercy

31Un exemple différent nous est fourni par un autre type de signes, celui des ponctuations. Présents tout au long du Paléolithique dans les principales régions où se concentrent les témoins d’art préhistorique, ils peuvent s’articuler de multiples façons. Leur taille comme leur forme peuvent varier. Les possibilités de construction, en ligne, en cercle ou bien encore sous des aspects plus élaborés, sont source de leur diversité morphologique.

32Au sein de l’espace franco-cantabrique où l’on retrouve ces signes, un rapprochement apparaît entre plusieurs grottes de la région du Quercy. Celles-ci contiennent des ponctuations de plusieurs centimètres de diamètre, constituées en nappes ou en alignements, et réalisées selon une technique identique, celle du soufflé, qui consiste à projeter le pigment avec la bouche ou avec un tuyau, sur la paroi. On retrouve ces signes rouges au Travers de Janoye dans le Tarn ainsi que dans la galerie du Combel de la grotte de Pech Merle dans le Lot.

33La cavité du Travers de Janoye présente la particularité de posséder une majorité de signes, associés à des bouquetins incomplets, dans une seule galerie de la grotte, celle dont la morphologie est la plus propice à accueillir des dessins ou des peintures.

34La plupart des alignements de ponctuations ont une orientation qui varie d’une entité graphique à l’autre. Cette orientation est liée à chaque fois à un accident naturel de la paroi, tels les fissures (creusement de longueur indéfinie et de largeur minime), les sillons (bande longiligne naturelle concave de plusieurs centimètres de large), ou simplement le bord de la paroi, élément limite naturel apprécié des artistes paléolithiques pour y appuyer leurs figures (fig. 8). Cette quasi-systématisation est d’autant plus intéressante à souligner qu’elle est rare.

Fig.8. Alignement vertical de points rouges. Grotte du Travers de Janoye (Tarn)

Fig.8. Alignement vertical de points rouges. Grotte du Travers de Janoye (Tarn)

Cet alignement suit le bord de la faille située au fond de la galerie. Longueur du signe : 64 cm.

Cliché P. Cassant et É. Robert.

35Dans la galerie du Combel, plusieurs alignements de points s’appuient sur des crêtes pariétales au plafond, une fois encore dans un espace relativement restreint (fig. 9).

Fig.9. Alignements de points rouges. Grotte de Pech Merle, plafond du Combel (Lot)

Fig.9. Alignements de points rouges. Grotte de Pech Merle, plafond du Combel (Lot)

Ces alignements s’appuient sur des crêtes naturelles du plafond. Taille du signe : 35 cm.

Cliché A. et D. Vialou.

36Enfin, la grotte de Combe Nègre, près de Frayssinet le Gélat, toujours dans le Lot, a récemment révélé la présence d’ensembles de ponctuations réalisées avec la même technique du soufflé, mais noires pour la plupart. Plusieurs de ces signes s’articulent autour de reliefs originaux, notamment « une nappe d’une soixantaine de grosses ponctuations noires, s’enroulant autour d’un pendant rocheux triangulaire, cerné par des coulées de concrétion […] » (Jaubert et al. 2005 : 119). On trouve aussi « dans une alcôve de la paroi droite, un grand signe en grille composé d’une soixantaine de ponctuations » (Jaubert et al. 2005 : 119).

37Le rapprochement entre cette grotte découverte en 2000, le Travers de Janoye et la galerie du Combel de Pech Merle, est aussi géographique, puisque ces trois sites sont situés dans un rayon de 50 km. La thématique des points, la répétition de la technique et la présence de certains autres thèmes, essentiellement animaliers, dans ces trois grottes, ont conduit les chercheurs à les intégrer au « groupe de Pech Merle » défini par Michel Lorblanchet autour d’une période qui pourrait être le Gravettien, et au style III d’André Leroi-Gourhan.

38D’autres sites pourraient étendre ce phénomène au-delà de cette aire, des sites du nord du Quercy, voire plus éloignés, comme la grotte du Moulin de Laguenay, en Corrèze, ou celle de Vilhonneur, en Charentes, découverte récemment, et qui seraient susceptibles de présenter le même phénomène d’organisation d’ensembles de points.

39À travers l’attraction pour les reliefs naturels constatée dans ces grottes, c’est une démarche commune des artistes qui est mise en lumière. Elle souligne un peu plus le lien étroit unissant l’homme à la paroi, à ce contexte particulier vers lequel il se déplace, pour y apposer les éléments de sa pensée. Si ce lien affirmé des signes avec leurs supports renforce l’idée d’une province culturelle, cela ne peut toutefois pas en faire un argument déterminant.

40Un dernier exemple rencontré en Espagne, la grotte de Chufin, présente en effet un parallèle étonnant avec ces cavités quercynoises, et notamment avec le Travers de Janoye. Située à la limite des provinces actuelles des Cantabres et des Asturies, cette grotte contient plusieurs ensembles de ponctuations rouges, de taille plus modeste, et organisées en séries d’alignements (fig. 10). Ces ensembles sont également orientés en fonction de cavités ou de pendants rocheux naturels, sur une même paroi située sur une sorte de plate-forme, en hauteur par rapport au cheminement. Ce comportement similaire face à la paroi, à des centaines de kilomètres, est assez marquant.

Fig.10. Alignements de points rouges. Grotte de Chufin (Cantabres, Espagne)

Fig.10. Alignements de points rouges. Grotte de Chufin (Cantabres, Espagne)

Ces points s’inscrivent dans un espace concave de la paroi plafonnante. Taille du signe : 78 cm.

Cliché É. Robert.

41Il est difficile, au vu de la distance et de l’incertitude sur la contemporanéité chronologique, d’y voir un échange ou un transfert culturel. On peut plutôt mettre en évidence un choix propre aux hommes de cette époque qui, confrontés à un espace aux propriétés morphologiques complexes, ont pris le parti de l’intégrer à leurs tracés, et de transformer ce support naturel en support de leur pensée symbolique.

Conclusion

42La diversité de la morphologie pariétale laisse finalement apparaître un éventail de possibilités explorées par les hommes tout au long du Paléolithique supérieur pour y matérialiser leurs œuvres. Lorsque certains signes témoignent, de par leur particularité typologique et leur nombre important, d’une source symbolique commune, leur disposition sur la paroi souligne la souplesse de l’organisation des dispositifs pariétaux.

43L’attention aux supports naturels, constante pendant plus de 20 000 ans, s’accentue parfois pour révéler, comme c’est le cas dans le Quercy, une communauté d’esprit. Cette culture matérielle préhistorique apparaît bien comme un espace de liberté pour chacun de ses auteurs.

44Les exemples originaux d’utilisation de la grotte, à toutes les échelles, indiquent la souplesse et de l’adaptation volontaire des hommes à leur milieu. C’est autant le révélateur d’un choix que d’une contrainte.

Bibliographie

Capdeville E. (1986), « Aperçus sur le problème des signes tectiformes dans l’art pariétal du Paléolithique supérieur en Europe », Travaux de l’Institut d’art préhistorique, XXVIII, université Toulouse-Le Mirail, p. 59-104.

Delluc B. et G. (1984), « Lecture analytique des supports rocheux et relevé synthétique », L’Anthropologie, t. 88, 4, p. 519-529.

Jaubert J. avec la collaboration d’Aujoulat N., Lorblanchet M., Maksud F., Martin H. (2005), « Frayssinet-le-Gélat. Grotte de Combe Nègre », DRAC Midi-Pyrénées, SRA, Bilan scientifique 2001, p. 117-119.

Lejeune M. (dir.) (2004), L’art pariétal paléolithique dans son contexte naturel, colloque 8.2, 133 p., in Lejeune M., WELTE A.-C. (dir.) (2004), L’art du paléolithique supérieur, Actes du XIVe Congrès de l’UISPP, Liège, 2-8 septembre 2001, ERAUL 107, Liège.

Lejeune M. (1985), « La paroi des grottes, premier “mur” support artistique et document archéologique », in Le mur dans l’art et l’archéologie, Art et Fact, 2, Liège, p. 15-24.

Pales L. avec la collaboration de St Pereuse M. (1969), Les gravures de la Marche, mémoire n° 7, t. 1 « Félins et Ours », Publication de l’Institut de préhistoire de l’université de Bordeaux, Delmas, Bordeaux.

Pigeaud R. (2004), « La grotte ornée Mayenne-Sciences (Thorigné-en-Charentes, Mayenne). Un exemple d’art pariétal d’époque gravettienne en France septentrionale », Gallia Préhistoire, 46, p. 1-154.

Plassard F. (2005), Les grottes ornées de Combarelles, Font de Gaume, Bernifal et Rouffignac. Contexte archéologique, thèmes et style des représentations, thèse de doctorat de l’université Bordeaux 1, 413 p.

Sentis J. (2000), « Les gravures de la grotte de Pestillac (Montcabrier, Lot) », Bulletin de préhistoire du Sud-Ouest, n° 7, fasc. 2, p. 133-143.

Vialou D. (1979), « La grotte de l’Aldène à Cesseras (Hérault) », Gallia Préhistoire, t. 22, 1, p. 1-85.

Vialou D. (1987), « D’un tectiforme à l’autre », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie du Périgord, Actes du XXXIXe congrès d’études régionales tenu à Sarlat les 26 et 27 avril 1986, p. 307-317.

Table des illustrations

Titre Fig.1. Carte de répartition des grottes
Légende 1 : grotte du Portel (Ariège) ; 2 : grotte de l’Aldène (Hérault) ; 3 : grotte de Pestillac (Lot) ; 4 : grottes de la région des Eyzies (Dordogne), Font de Gaume, Les Combarelles, Bernifal ; 5 : grotte de Rouffignac (Dordogne) ; 6 : grotte du Travers de Janoye (Tarn) ; 7 : grotte de Pech Merle (Lot) ; 8 : grotte de Combe Nègre (Lot) ; 9 : grotte de Chufin (Cantabres).
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/6012/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 280k
Titre Fig.2. Signe angulaire de la grotte du Portel (Ariège), partiellement peint en rouge
Légende Dimension du signe : 34 cm, longueur de chaque branche : 22 cm.
Crédits Cliché É. Robert.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/6012/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 2,4M
Titre Fig.3. Signe circulaire à gravures multiples. Grotte de l’Aldène (Hérault)
Légende Longueur du signe : 40 cm.
Crédits Cliché A. et D. Vialou.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/6012/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 1,4M
Titre Fig.4. Série de 12 lignes parallèles. Grotte de Pestillac (Lot)
Légende Certaines pourraient être des claviformes. Longueur du signe : 33 cm.
Crédits Cliché É. Robert.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/6012/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 2,7M
Titre Fig.5. Présentation des trois types de tectiformes du Périgord
Crédits Modèles simples, d’après Capdeville 1986.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/6012/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 312k
Titre Fig.6. Tectiforme gravé ramifié, situé en bord de paroi
Légende Grotte de Bernifal (Dordogne) Longueur du signe : 18 cm.
Crédits Cliché B. et G. Delluc.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/6012/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 1,4M
Titre Fig.7. Deux tectiformes rouges situés sur un grand bison. Grotte de Font de Gaume (Dordogne)
Légende Le tectiforme pentagonal situé à gauche se trouve dans un creux naturel de la paroi. Longueur de chaque signe : 30 cm.
Crédits Cliché A. et D. Vialou.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/6012/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 1,8M
Titre Fig.8. Alignement vertical de points rouges. Grotte du Travers de Janoye (Tarn)
Légende Cet alignement suit le bord de la faille située au fond de la galerie. Longueur du signe : 64 cm.
Crédits Cliché P. Cassant et É. Robert.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/6012/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 1,9M
Titre Fig.9. Alignements de points rouges. Grotte de Pech Merle, plafond du Combel (Lot)
Légende Ces alignements s’appuient sur des crêtes naturelles du plafond. Taille du signe : 35 cm.
Crédits Cliché A. et D. Vialou.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/6012/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Titre Fig.10. Alignements de points rouges. Grotte de Chufin (Cantabres, Espagne)
Légende Ces points s’inscrivent dans un espace concave de la paroi plafonnante. Taille du signe : 78 cm.
Crédits Cliché É. Robert.
URL http://books.openedition.org/psorbonne/docannexe/image/6012/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 1,4M

Auteur

Docteur, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 7041 : Archéologies et Sciences de l’Antiquité. Sujet : Quels rapports entre les reliefs pariétaux et les signes ? Analyse micromorphologique et microtopographique comparée des supports des représentations pariétales dans l’espace franco-cantabrique, sous la direction de Denis Vialou. Thèse soutenue en décembre 2006.

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