Autonomie, autonomies
|Chapitre 3. La période Fontanet
Texte intégral
1Le 6 juillet 1972, un nouveau Premier ministre est choisi : Pierre Messmer. Avec Georges Pompidou, il compose un nouveau gouvernement dont les membres sont nommés le 7 juillet. Ce changement, qui coïncide avec celui du directeur délégué aux enseignements supérieurs, marque un renouvellement des acteurs de la politique universitaire à Matignon et rue de Grenelle pour la deuxième partie du mandat de Georges Pompidou. Dans ce champ reconfiguré, comment évoluent l’influence et le rôle de René Rémond ?
L’influence consolidée de René Rémond
Proximité avec les nouveaux décideurs
- 1 R. Rémond, entretien avec D. Bernard et F. Lépagnot-Leca, 20 février 2000, cité supra.
2Comme au temps de Jacques Chaban-Delmas, Matignon sous Pierre Messmer a un poids très faible dans la politique universitaire. Le nouveau Premier ministre, ancien élève de l’École nationale de la France d’outre-mer, a été un résistant et un gaulliste de la première heure qui a rejoint les Forces françaises libres dès 1940. Après une carrière dans l’administration coloniale, il est devenu l’inamovible ministre des Armées du général de Gaulle (1960-1969). Dans le gouvernement Chaban-Delmas, il était ministre d’État chargé des départements et des territoires d’outre-mer. Il a donc peu de connaissance des problèmes liés à l’enseignement supérieur, qu’il appréhende sans doute dans un sens plus conservateur que son prédécesseur. René Rémond dit avoir eu des rapports corrects avec lui : « Avec Messmer, j’ai eu des réunions de travail, cela ne s’est pas mal passé1. »
- 2 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010 ; R. Rémond, La Règle et le Consentemen (...)
- 3 H. Fontanet, entretien avec l’auteur, 9 février 2011.
- 4 Ibid.
- 5 « Notice biographique » , France-Forum, 185-186, février-mars 1981, p. 85.
- 6 H. Fontanet, entretien avec l’auteur, 9 février 2011, cité supra.
- 7 Le Monde, dimanche 3-lundi 4 février 1980, p. 6.
- 8 H. Fontanet, entretien avec l’auteur, 9 février 2011, cité supra.
3Si Olivier Guichard reste dans le nouveau gouvernement, il change de portefeuille, quittant le ministère de l’Éducation nationale pour celui de l’Aménagement du territoire, de l’Équipement, du Logement et du Tourisme. Il est remplacé à la rue de Grenelle par Joseph Fontanet, qui vient du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Population. Autant Guichard apparaissait chaleureux, autant Fontanet est perçu comme réservé, timide, voire froid. Mais le nouveau ministre, comme son prédécesseur, est vu comme habile et extrêmement courtois2. Né en 1921 dans une famille savoyarde, catholique, nombreuse et austère3, le nouveau ministre de l’Éducation nationale est docteur en droit et diplômé d’HEC, qu’il a intégré à seize ans pour satisfaire son père industriel alors qu’il désirait s’orienter vers des études scientifiques4. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle il a rejoint les Forces françaises libres en Afrique du Nord puis participé à la Campagne de France5, il s’est lancé en politique, sous la bannière démocrate-chrétienne. Élu député MRP en 1956, il a fait partie des centristes qui ont tôt rallié le général de Gaulle. Il a participé au gouvernement dès 1959, d’abord comme secrétaire d’État à l’Industrie et au Commerce, puis comme secrétaire d’État au Commerce intérieur, enfin comme ministre de la Santé publique et de la Population. Homme de conviction, il a choisi de démissionner, entraînant les autres ministres MRP avec lui, après que de Gaulle, le 15 mai 1962, a plaisanté sur « l’Europe du volapük intégré » . Bien qu’ayant soutenu la candidature Lecanuet en 1965, il a fait partie des centristes qui, estimant que Poher n’avait aucune chance de l’emporter, ont rallié Pompidou en 1969, à condition qu’il intègre à son programme des réformes sociales6. Avec les députés qui l’ont suivi, il a fondé le Centre démocratie et progrès7 qui est une composante importante de la nouvelle majorité : « Pompidou avait besoin du CDP, se rappelle sa veuve, Hélène Fontanet. Il tenait compte de ce que disait mon mari, qu’il savait capable de démissionner. Il lui a toujours donné raison dans les différents arbitrages ministériels8. »
- 9 R. Rémond, La Règle et le Consentement…, op. cit., p. 436.
- 10 Voir J. Fontanet, Le Social et le Vivant…‚ op. cit.
4Par son parcours, Fontanet n’est guère plus préparé à diriger la politique de l’Éducation nationale que son prédécesseur. Cependant, selon René Rémond, il arrive rue de Grenelle avec quelques atouts, bien qu’il soit démocrate-chrétien, du fait de son bilan au ministère du Travail, marqué par le succès de la politique contractuelle et la mise en place de la formation permanente9. En ce qui concerne la politique de l’enseignement supérieur, il a voté la loi Faure qu’il considérait, selon son épouse, comme une loi nécessaire qui avait permis de rétablir les choses. De par sa philosophie sociale, il est acquis aux idées de participation et d’autonomie, qui actualisent le principe de subsidiarité des catholiques sociaux du début du siècle, et qu’il essayera de théoriser à nouveaux frais à travers l’analyse systémique10.
- 11 La rencontre a lieu pendant les études à HEC. Les Équipes sociales étaient un mouvement d’amitié e (...)
- 12 Rapprocher J. Fontanet, propos recueillis et présentés par C. Chabanis (éd.), Dieu existe-t-il ? O (...)
5Quels sont les rapports de René Rémond avec le ministre au moment où celui-ci prend ses nouvelles fonctions ? Avant de répondre à la question, il faut noter tout d’abord la grande proximité des parcours de Fontanet et de Rémond et, partant, de leur vision du monde. La confrontation de l’itinéraire des deux hommes révèle des convergences frappantes. Nés tous les deux au lendemain de la Première Guerre mondiale dans des familles de la moyenne bourgeoisie enracinées dans le catholicisme, ils rencontrent pendant leur adolescence les mouvements d’action catholique (la JEC pour Rémond, les Équipes sociales11 pour Fontanet) qui infléchissent leur trajectoire sans provoquer pour autant de rupture avec leur milieu d’origine12. Rémond comme Fontanet ont des trajectoires sans à-coups, cohérentes par rapport aux convictions religieuses de l’enfance et de l’adolescence :
- 13 J. Fontanet, cité dans dans C. Chabanis (éd.), Dieu existe-t-il ?…‚ op. cit., 1985, p. 215.
- 14 R. Rémond et A. Savard, Aimé Savard interroge René Rémond…‚ op. cit., p. 14.
Pour ce qui me concerne, déclarait Fontanet, je dois reconnaître que j’ai été béni par des grâces exceptionnelles. Je n’ai jamais eu de problèmes. J’ai toujours éprouvé au contraire le sentiment d’une grande cohérence entre ce à quoi je croyais et une certaine intégrité de ma personnalité, une certaine continuité de mon action13.
Mon appartenance à l’Église, écrivait quant à lui René Rémond, n’a jamais fait obstacle à ma liberté personnelle et le contenu de ma croyance a suivi le progrès de ma réflexion14.
- 15 J. Fontanet, cité dans C. Chabanis (éd.), Dieu existe-t-il ?…‚ op. cit., p. 230 et A. Savard et R. (...)
- 16 J. Fontanet, cité dans C. Chabanis (éd.), Dieu existe-t-il ?…‚ op. cit., p. 224 et A. Savard et R. (...)
- 17 J. Fontanet, cité dans C. Chabanis (éd.), Dieu existe-t-il ?…‚ op. cit., p. 222-223. Sur les réser (...)
6Ils ont aussi une culture commune, liée à leur formation par l’Action catholique des années 1930 : valorisation de la communauté et de l’équipe par rapport à l’individualisme, primat accordé à l’action pour réaliser sa vocation chrétienne plutôt qu’à l’intériorité15, importance accordée aux médiations, aux institutions et à l’intelligence pour agir efficacement16. Cette vision du monde partagée les rend tous les deux critiques par rapport au gauchisme catholique des années 196817.
- 18 H. Fontanet, entretien avec l’auteur, 9 février 2011, cité supra.
- 19 R. Rémond et A. Savard, Aimé Savard interroge René Rémond…‚ op. cit., p. 84.
- 20 F. Crouzet, entretien avec l’auteur, mercredi 30 avril 2008. F. Crouzet situe cet épisode à l’été (...)
- 21 R. Rémond et A. Savard, Aimé Savard interroge René Rémond…‚ op. cit., p. 83.
- 22 « Notice biographique » , art. cité, p. 85.
- 23 Sa création en 1957 avait pour but de renouer le dialogue avec les intellectuels séduits par le me (...)
- 24 R. Rémond a tenu la liste des conférences qu’il avait données entre 1977 et 2006. On y trouve six (...)
7En juillet 1972, les deux hommes se connaissent depuis longtemps. Leur rencontre s’est effectuée juste après la guerre dans le cadre d’un MRP en plein développement18. Même si René Rémond ne s’y est pas engagé à proprement parler, bien qu’on lui ait fait des propositions19, il a rédigé, selon François Crouzet, « des sortes de fiches pour l’instruction des militants sur différents problèmes20 » . Par ailleurs en tant que dirigeant de la JEC puis de l’ACJF, il a entretenu des rapports amicaux avec les responsables du MRP qui étaient pour la plupart d’anciens militants d’Action catholique21. C’est à ce titre qu’il rencontre Joseph Fontanet qui, démobilisé, s’était inscrit au MRP en 1946 et avait intégré cette même année le bureau d’étude du Mouvement22. La revue démocrate-chrétienne France-Forum23, dont Joseph Fontanet est l’un des fondateurs et l’un des principaux animateurs, est un autre lieu de contact entre les deux hommes. Rémond, en tant qu’intellectuel et historien, écrit dans la revue et participe aux nombreux débats ou déjeuners qui lui sont liés24.
- 25 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra.
8Tous ces points communs et cette histoire partagée font que les relations entre René Rémond et le nouveau ministre de l’Éducation nationale sont des plus harmonieuses. Pour Raymond-François Le Bris, alors directeur de l’enseignement supérieur, « Joseph Fontanet avait une grande considération pour René Rémond. Ils étaient un peu de la même famille de pensée, c’est-à-dire démocrates-chrétiens, Marc Sangnier, le Sillon25… » . Pour Jean-Claude Casanova, « c’est la même génération démocrate-chrétienne » même si la sensibilité n’est pas exactement la même, Fontanet étant plus « homme politique » que Rémond. Malgré cette différence, il ne se souvient pas avoir observé entre eux de divergences. Hélène Fontanet se rappelle quant à elle avoir reçu à dîner à plusieurs reprises le président de Nanterre.
- 26 Né en 1919, il était en poste dans le Tarn avant d’être appelé par Fontanet. Voir sa notice dans l (...)
- 27 Fabre (1916-2007) était professeur de droit constitutionnel, ancien recteur de l’université de Mad (...)
- 28 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010.
- 29 Notice Who’s who…‚ op. cit., 2008, p. 451.
- 30 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cité supra.
9Fontanet compose un cabinet, dont il confie la direction à un préfet, Bernard Couzier26. Il se compose de huit conseillers techniques et de deux chargés de mission. Parmi eux, on note la présence de deux anciens du cabinet Guichard (Georges Amestoy et Michel-Henry Fabre27). Du point de vue de la provenance professionnelle, on trouve des universitaires (Jean-Claude Casanova et Michel-Henry Fabre), des hauts fonctionnaires (le magistrat Olivier Kuhnmunch, l’inspecteur des impôts Jacques Gonnard et l’inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale Georges Amestoy) et des diplômés de droit ou de l’IEP. C’est aux deux universitaires qu’ont été confiées les missions en lien avec l’enseignement supérieur. Michel-Henry Fabre est chargé de suivre les établissements universitaires tandis que Jean-Claude Casanova est chargé des problèmes généraux, en particulier des diplômes28. Né en 1934 à Ajaccio, ce dernier est agrégé et docteur en économie. Il a été professeur aux facultés de droit et de sciences économiques de Nancy (1964-1968), de Nanterre (1968) puis à l’IEP où il était déjà directeur d’étude et de recherche de la FNSP depuis 196529. Politiquement, Jean-Claude Casanova est centriste. C’est d’ailleurs en participant à la campagne de Lecanuet en 1965 qu’il a approfondi ses liens avec Joseph Fontanet30. Ses études à Harvard, qui lui ont fait découvrir l’université américaine, le rendent assez critique sur la situation engendrée en France par la loi d’orientation. Interrogé en 2010, Jean-Claude Casanova déclarait :
- 31 Ibid.
Le seul grand moment de réforme universitaire, c’est le Colloque de Caen […]. Ça, c’est la génération des professeurs qui ont été aux États-Unis et qui savent ce que c’est qu’une université. Cela été brisé par 68 […]. Les présidents d’université n’ont pas l’autorité intellectuelle des anciens doyens et n’ont pas l’autorité fonctionnelle des présidents américains. C’est l’un des hiatus de la loi d’orientation […]. Il est grotesque de s’imaginer que les qualités de professeur sont les mêmes que celles de président d’un établissement […]. Les présidents de Harvard, ils sont choisis par la corporation de Harvard, c’est-à-dire par sept personnes qui choisissent l’homme le plus apte à gérer la fortune et l’avenir de Harvard. L’idée de faire élire un président d’université par l’Unef, le Snesup et par les professeurs, c’est une idée grotesque. D’ailleurs il n’y a aucun pays comme cela, en Amérique latine et en Afrique peut-être. Oxford n’est pas géré comme cela […]. La loi de 68 est vraie dans la volonté d’autonomie et fausse dans les mécanismes institutionnels mais encore une fois elle n’est pas responsable des erreurs31.
- 32 Ibid. La première rencontre entre Casanova et Rémond est antérieure et remonte à l’année universit (...)
10Les relations interpersonnelles entre Rémond et Casanova sont assez soutenues. La jonction entre les deux hommes s’est faite par Sciences Po, où ils se sont retrouvés chaque semaine entre 1965 et 1972 à la réunion des directeurs d’études32.
- 33 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra. Né le 18 septembre 1935, Le (...)
11À la direction des enseignements supérieurs, le changement a eu lieu trois mois avant l’arrivée de Fontanet, le 5 mai 1972, à l’occasion du départ volontaire de Jean Sirinelli. Après les refus de René Rémond et de Jean Frézal, c’est à Raymond-François Le Bris que le poste a été proposé. Contacté une première fois par Guichard en février 1972, il a répondu par la négative pour des raisons familiales. Courant mars, il est rappelé une deuxième fois, cette fois-ci par Maurice Ulrich, qui lui dit : « Écoutez ! Je ne comprends pas, vous avez trente-cinq ans, c’est magnifique à trente-cinq ans d’être directeur des enseignements supérieurs, il peut y avoir un logement33. » Finalement, Le Bris accepte et la Bretagne succède à la Corse à la direction de l’enseignement supérieur. La nouvelle de sa nomination est bien accueillie à l’Élysée. Dans une note à Pompidou, Jean-François Saglio dresse un portrait bienveillant du nouveau directeur :
- 34 Note datée du 4 avril 1972, AN, 5AG2 267.
M. Le Bris est un homme de qualité qui a su, dans la mesure du possible, tenir en ordre son université (celle-ci est, par le jeu des élections, aux mains des communistes et des gauchistes). Ce sera le plus jeune directeur aux enseignements supérieurs qui ait jamais été nommé, à ma connaissance (il n’a que 37 ans). Je pense que le pari vaut la peine d’être tenté34.
- 35 R.-F. Le Bris, Les Universités à la loupe‚ op. cit., p. 84.
12Par rapport à Rémond, Le Bris est sans doute plus à droite politiquement, en tous les cas moins centriste et moins consensuel. Dans son université, il vit assez mal d’être entouré d’un conseil dominé par la gauche, qui lui donne l’impression d’être « placé en administration surveillée35 ». Au sein de la conférence, il a pris la tête du camp des partisans des diplômes d’université, dans l’idée d’établir une concurrence entre les universités. Il est favorable à une interprétation libérale de l’autonomie alors que Rémond a une approche plus consensuelle. Ces différences de sensibilité n’empêchent pas une certaine estime entre les deux hommes. Appartenant tous les deux à la génération des présidents « fondateurs », ils ont une expérience et une culture communes. Le Bris admire la capacité de l’historien à exprimer avec limpidité et élégance ce qu’il pense :
- 36 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra.
Il me fascinait par la qualité de sa langue et de sa formulation. Je ne crois pas avoir rencontré quelqu’un ayant la capacité de faire des mots aussi précisément des instruments de sa pensée. C’est un orfèvre des mots et en même temps les mots sont toujours choisis avec une précision, une exactitude36.
- 37 Lettre de R. Rémond à R.-F. Le Bris, 13 mars 1973, AD 92, 1208W, 162.
13Du côté de Rémond, les lettres qu’il lui adresse en tant que président de Nanterre témoignent d’une relation respectueuse mais sans proximité particulière. Il les termine par : « Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le directeur délégué, l’assurance de mes sentiments déférents et fidèles37. »
14Le changement des acteurs ne remet donc pas forcément en cause l’influence de Rémond. Si la proximité avec Le Bris est sans doute moins grande qu’avec Sirinelli, celle avec Fontanet est égale voire supérieure à celle qui existait avec Guichard.
La position institutionnelle
15L’influence de Rémond dans le champ universitaire ne décroît donc pas, d’autant que sa position à la CPU se consolide.
- 38 PV de la séance de la CPU du 20 septembre 1972, AN,1981010, 9.
- 39 Pour l’élection à la première vice-présidence, trois noms sortent : J. Frézal (président de Paris (...)
- 40 Voir notamment le PV de la séance privée de la CPU du 4 juillet 1973 et celui de la séance plénièr (...)
16Conformément aux statuts, toutes les responsabilités sont renouvelées chaque année. Les élections se font lors de la séance de rentrée, en septembre. Pour l’année universitaire 1972-1973, Rémond est réélu par les membres de la commission Pédagogie et formation permanente à la présidence38. Par conséquent il reste aussi membre de la commission permanente39. Il semble néanmoins qu’il délègue toute la partie relative à la formation continue au président de Rennes I, Claude Champaud. C’est ce dernier qui prononce les interventions relatives à cette question à partir de septembre 197240.
- 41 PV de la séance plénière de la CPU du 19 septembre 1973, cité supra.
17En septembre 1973, Rémond accède au bureau de la conférence en étant élu par cinquante-deux voix sur soixante-cinq à la troisième vice-présidence41. Il a quitté le matin la présidence de la commission Pédagogie et formation permanente qui échoit à Michel Alliot assisté de Jean-Louis Quermonne pour ce qui concerne l’éducation permanente et l’enseignement technologique.
- 42 F. Gaussen, « À quoi sert le Conseil national de l’enseignement supérieur ? », Le Monde, 10-11 avr (...)
- 43 La formule est utilisée par René Rémond lors de la séance de la CPU du 13 juin 1973 (PV de la séan (...)
- 44 F. Gaussen, « À quoi sert le Conseil national de l’enseignement supérieur ? », art. cité.
- 45 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra.
18Cette montée en puissance au sein de la conférence est d’autant plus importante que la conférence tend elle-même à devenir un acteur de plus en plus influent de la politique de l’enseignement supérieur. Fin décembre 1972, dans Le Monde, Frédéric Gaussen constate que les prises de position de la CPU « sont toujours considérées et suivies d’effets42 » et que son influence réelle est nettement plus considérable que celle du Cneser. L’autorité des présidents tient à toute une série de facteurs. Tout d’abord, la CPU, contrairement au Cneser, est capable de parler « d’une seule voix ». Cela tient sans doute au fait que les présidents représentent tous des structures comparables, les universités, qui ont des intérêts globalement communs, tandis que les membres du Cneser, élus par catégorie et sur listes nationales généralement syndicales, représentent des personnels variés aux intérêts divergents. Cela tient sans doute aussi au fait que les présidents sont en position de responsabilité. Confrontés à l’exercice du pouvoir dans leur université, ils ont en quelque sorte une culture du gouvernement qui les rapproche. Enfin, le premier premier vice-président, Jean-Louis Quermonne, et les différents présidents de commission, parmi lesquels René Rémond, ont su faire de l’instance un creuset qui permette à ses membres d’acquérir, au-delà de leur diversité de convictions, des habitudes de travail et des positions communes, forgées à travers l’échange et le compromis. Jean-Louis Quermonne a su dégager un mot d’ordre fédérateur, qui convienne à la fois aux présidents de droite et de gauche : la réalisation effective de l’autonomie prévue par la loi dont les présidents se considèrent comme « les produits et les défenseurs43 ». Le contraste est vif avec le Cneser dont les membres peinent à se retrouver sur un discours commun. Selon Frédéric Gaussen, les séances donnent fréquemment lieu à des juxtapositions interminables de discours, suscitant « un sentiment de découragement et d’impuissance44 ». Raymond-François Le Bris confirme : « Le Cneser était déchiré par les rivalités syndicales, politiques. Les gens s’insultaient quelquefois […]. Le Cneser était un lieu de débat épouvantable, très âpre, très dur. Guichard puis Fontanet ont trouvé ça très dur45. »
- 46 Le Monde, 21 mars 1972, p. 10.
- 47 R. Rémond, « Préface », art. cité, 1975.
19La CPU tient aussi son influence de son caractère paradoxalement plus représentatif du monde universitaire que le Cneser. Ce dernier, en raison notamment du caractère peu constructif des séances, connaît assez vite un fort absentéisme. Par exemple, lors de la séance du 8 décembre 1972, seulement trente-sept membres sur quatre-vingt-dix sont présents. Selon Frédéric Gaussen, « le résultat est que le dialogue se trouve en fait limité aux représentants de l’administration et aux petits noyaux “durs” syndicaux, qui disposent de davantage de temps, de moyens… ou simplement d’obstination et qui occupent le terrain ». Au sein des commissions, et en particulier au sein de la commission Pédagogie présidée par Georges Vedel, les discussions excluent dans la pratique les représentants des maîtres-assistants, des assistants et des étudiants au profit de quelques spécialistes universitaires expérimentés et influents46. La CPU peut se targuer au contraire d’une bonne assiduité de ses membres à la fois en commission et en séance plénière où, selon René Rémond, « l’effectif des présents n’est jamais tombé au-dessous des deux tiers et souvent s’est élevé à soixante47 ». Elle réussit donc à représenter les universités dans leur diversité géographique. Par ailleurs, l’initiative prise par Rémond d’adosser les avis de sa commission à la consultation des conseils d’université a renforcé la représentativité et donc la légitimité des positions de la CPU.
- 48 PV de la séance de la CPU du 10 janvier 1973, AN, 19810110, 9, p. 13.
20Entrent aussi en compte, dans le crédit dont bénéficie la CPU aux yeux du ministère, la pondération et le sens de l’intérêt général dont font preuve les présidents. Concernant la pondération, nous avons vu dans le chapitre précédent que dès le début, les échanges entre les présidents d’une part et le ministre et ses collaborateurs d’autre part étaient extrêmement policés et courtois, contrairement à ceux du Cneser. La tendance se confirme et s’accentue sous Fontanet. Lors de la séance privée du matin, où les présidents se retrouvent uniquement entre eux, leurs récriminations peuvent être vives contre le ministère et l’administration centrale. L’après-midi, en séance plénière, ces récriminations sont exprimées mais sur un mode très euphémisé. Les présidents, et Rémond est un expert en la matière, savent « polir » leur reproches, les exprimer en nuances et ainsi les faire entendre sans braquer l’interlocuteur. La pondération se retrouve aussi dans les avis émis par la conférence, dont la plupart sont préparés par René Rémond en tant que président de la commission Pédagogie et formation permanente. Comme nous l’avons vu pour le projet de réforme de formation des maîtres et comme nous le verrons au sujet de la réforme des diplômes, ceux-ci sont généralement bien balancés, faisant droit à la fois aux contestations jugées légitimes émanant du monde universitaire et aux aspects vus comme positifs des projets ministériels. Les avis révèlent aussi le souci d’une certaine largeur de vues qui leur confère une autorité morale. Refusant de se situer en tant que groupe corporatif, les présidents veulent se présenter comme des défenseurs du bien commun et de l’autonomie. Cette phrase de René Rémond, prise parmi beaucoup d’autres, illustre ce positionnement : « [Les] Présidents d’université, dans l’exercice de leur responsabilités, […] n’ont pas à épouser les revendications de telle ou telle catégorie, de tel ou tel collège, sauf lorsqu’elles mettent en cause l’intérêt des établissements48. » Citons aussi, dans un registre plus lyrique, ces mots de Jean Frézal, prononcés devant le ministre au moment où il quitte sa charge de premier vice-président :
- 49 PV de la séance plénière de la CPU du 19 septembre 1973, AN, 1981010, 9, p. 2.
Devant cette Conférence qui est une réunion d’hommes de bonne volonté, entièrement dévoués aux universités, mon vœu est que nous obtenions le plus tôt possible les moyens qui sont nécessaires au développement de notre action et que, selon le mot du poète, « nos mains généreuses reçoivent leur dû ». Je ne sais pas si cette espérance sera bientôt réalisée, mais je dirai que, tous très passionnés par la vie de nos universités, nous ne nous lassons jamais de guetter dans l’ombre la lueur de l’espérance49.
21Les phrases de Frézal établissent une connexion explicite entre le fait que la CPU soit dévouée au bien commun et le fait qu’il faille lui accorder plus de moyens et donc plus d’influence. Claude Champaud, qui lui succède à la première vice-présidence en septembre 1973, reste sur la même ligne. S’adressant au ministre, il déclare :
- 50 PV de la séance plénière de la CPU du 19 septembre 1973, cité supra, p. 6.
Nous poursuivons un but commun, nous poursuivons une œuvre commune et difficile et même si, parfois, nos points de vue peuvent diverger avec l’administration ou entre nous-mêmes, nous sommes sûrs que tous ici et vous-même nous œuvrons pour ce qui semble meilleur pour l’avenir des universités50.
- 51 Voir notamment l’intervention de R. Rémond sur cette question lors de la séance plénière de la CPU (...)
- 52 F. Gaussen, « À quoi sert le Conseil national de l’enseignement supérieur ? » , art. cité.
22La situation au Cneser est différente. Outre le ton des débats, beaucoup moins policé, les résolutions y sont souvent tranchées, rejetant en bloc les projets ministériels, notamment ceux qui concernent le budget. Alors qu’en la matière, les présidents acceptent d’entrer dans la logique du ministre (les projets nouveaux doivent précéder l’obtention des moyens dont l’utilité doit être justifiée, les problèmes universitaires ne se résument pas à la question des moyens51), la majorité des membres du Cneser préfère une ligne dure : l’obtention de nouveaux moyens est un préalable à toute coopération avec le ministère. Il se prononce aussi parfois sur des questions sur lesquelles le ministère ne l’a pas consulté. C’est ainsi que le conseil adopte en décembre 1972 une motion condamnant l’intervention du recteur de Marseille contre l’UER médicale de cette ville qui voulait atténuer les effets de la sélection. L’initiative entraîne une vive réplique du ministère qui « proteste avec la plus grande vigueur contre le fait qu’un organisme consultatif ait cru devoir s’ériger en juge de l’opportunité des actes d’un fonctionnaire d’autorité52 » .
23Enfin, les présidents tirent leur pouvoir d’influence du fait qu’élus pour cinq ans, ils représentent une forme de continuité par rapport aux autres acteurs de la politique universitaire. Ils précèdent notamment le nouveau ministre, inexpérimenté en la matière. Ils savent ce qui, chez son prédécesseur, a fonctionné et n’a pas fonctionné. Ils connaissent quels sont les dossiers en cours et le point où ils ont été laissés. Ainsi, lors de la première séance à laquelle assiste Fontanet, Quermonne dresse à son intention un état des lieux de la politique universitaire :
- 53 PV de la séance de la CPU du 20 septembre 1972, cité supra, 9. On notera au passage que les trois (...)
M. Quermonne salue Monsieur le Ministre et l’assure du profond dévouement des Présidents. Au cours de l’année écoulée, la conférence a pu poser clairement les problèmes essentiels des universités, et contribuer ainsi à des solutions adéquates pour beaucoup de dossiers importants. Son bilan est donc très largement positif. Cependant certains dossiers sont à reprendre, notamment ceux qui concernent les diplômes nationaux, la formation continue et la formation des maîtres53.
24Les présidents ont aussi derrière eux une expérience de travail collectif avec le précédent ministre que le nouveau ne maîtrise pas. À la fin de la séance de septembre 1972, René Rémond rappelle à Fontanet « la règle adoptée par M. Guichard pour la procédure de consultation » . Michel Alliot lui emboîte immédiatement le pas en déclarant que « changer la procédure serait changer la signification de la consultation » .
25Fort d’une position institutionnelle importante dans une instance elle-même de plus en plus influente, riche de contacts personnels nombreux avec l’élite décisionnelle de la politique universitaire, René Rémond joue, sous le ministère Fontanet, un rôle clé sur les dossiers relatifs aux diplômes et à l’organisation des études.
La bataille des Deug (acte II)
26Fontanet et Le Bris, à leur arrivée rue de Grenelle, héritent du dossier de la mise en place des diplômes nationaux, notamment de ceux du premier cycle.
- 54 Le Monde, 18 octobre 1972, p. 14.
27Alors que, sous Guichard et Jean Sirinelli, l’écriture des textes était quasiment déléguée à la commission Pédagogie du Cneser, le nouveau binôme fait le choix de reprendre le contrôle du processus, tout en affirmant vouloir continuer à coopérer avec les instances représentatives des universités54. Raymond-François Le Bris devient le véritable maître d’œuvre du projet, en lien avec Jean-Claude Casanova, qui représente le ministre :
- 55 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra. Ailleurs au cours de l’entr (...)
La rédaction des textes du DEUG ou des maîtrises se faisait dans mon bureau. Jean-Claude Casanova se rappelle de séances de relecture qu’on a faites lui et moi, jusqu’à des heures tardives, des textes que nos services avaient plus ou moins bien faits et qu’on finalisait. Ce n’était pas le cabinet qui le faisait, c’était le directeur général, avec ses services, en présence d’un conseiller important du ministre55.
28Vedel, à qui Raymond-François Le Bris s’était opposé alors qu’il était encore président de l’université de Brest, semble marginalisé dans ce dossier.
Le rôle de Rémond dans la réception par la CPU des arrêtés ministériels
- 56 Le dossier fourni aux intéressés comporte un projet d’arrêté général relatif au Deug, huit projets (...)
- 57 PV de la séance de la CPU du 10 janvier 1973, cité supra.
29Le Bris présente une nouvelle version des arrêtés, à la fois à la CPU et au Cneser, en janvier 197356. Elle reprend en compte presque toutes les remarques faites en mai 1972 par les présidents : possibilité pour le premier cycle d’être une formation terminale pour ceux qui désirent entrer dans la vie active57 ; création de deux nouveaux Deug pluridisciplinaires (« mathématiques et sciences humaines » et « sciences de la société » associant économie, sciences humaines et droit) ; renforcement de la pluridisciplinarité dans les Deug « classiques » et publication d’un projet d’arrêté du deuxième cycle qui permet de connaître la suite de l’architecture des nouvelles filières universitaires. En conséquence, René Rémond, en tant que président de la commission Pédagogie et formation permanente, exprime la satisfaction de ses pairs lorsque Le Bris vient exposer le projet devant la CPU le 10 janvier 1973. Il se borne à soulever des questions pratiques de mise en œuvre, notamment en termes de calendrier :
M. Rémond considère qu’il est temps de sortir du provisoire et de mettre en vigueur la réforme. Mais il est nécessaire, si l’on veut que la réforme s’applique en octobre 1973 aux étudiants de première année entrant à l’université, que dès le mois de juin l’étudiant soit informé de toutes les possibilités offertes par la réforme. Les universités n’auront donc que deux mois, c’est-à-dire jusqu’à Pâques, pour remplir le cadre, assez souple, des textes du DEUG.
30Il demande donc à la direction de l’enseignement supérieur une publication rapide pour que les universités aient suffisamment de temps pour construire leurs Deug à l’intérieur des cadres réglementaires.
- 58 G. Marty, né en 1905, décédera quelques mois plus tard, en octobre 1973. Il est professeur de droit (...)
31Dans le débat qui suit, certains présidents semblent plus réticents. D’aucuns ne se sentent pas en harmonie avec la plus grande pluridisciplinarité introduite par les nouveaux textes. Gabriel Marty58, président de Toulouse I, craint que les nouveaux cursus ne permettent pas d’atteindre un niveau suffisant en droit : « Nous sommes en présence d’une œuvre composite. En architecture les œuvres composites ne sont pas le signe d’une époque forte, mais plutôt d’une civilisation habile, un peu fatiguée. Les juristes notamment savent ce qu’ils quittent, ils voient mal ce qu’ils vont acquérir. » D’autres, sans être hostiles aux principes de la réforme, souhaitent conditionner sa mise en œuvre à l’obtention de moyens supplémentaires et la différer d’un an, à la rentrée 1974. À ceux-là Rémond répond, soutenu par Frézal : « L’échéance de la réforme ne dépend pas des moyens, puisque ce problème se retrouverait l’année suivante. Elle dépend surtout de la souplesse de l’Administration et de la célérité et de l’esprit d’imagination dont feront preuve les universités. » La majorité de ses collègues suivent sa ligne puisqu’ils se prononcent pour l’application de la réforme par vingt-quatre voix contre quatre, tout en demandant des amendements sur certains points déjà demandés en mai 1972 mais non intégrés dans le projet présenté, parmi lesquels la possibilité de confier des responsabilités pédagogiques aux maîtres-assistants et l’application de la réforme par les présidents et non par les recteurs.
- 59 PV de la réunion du Cneser du vendredi 19 janvier 1973 après-midi, AN, 19810110, 2, p. 17.
- 60 Ibid., p. 2.
- 61 Le Monde, 21-22 janvier 1973, p. 6.
- 62 « Rapport de M. Vedel » , 17 janvier 1973, conservé dans AN, 19810110, 2, dossier 1973.
- 63 PV de la séance de la CPU du 21 février 1973 et de la séance du Cneser du 19 janvier 1973 après-mi (...)
32Au Cneser, les choses se passent plus difficilement. Malgré six heures de débat, la séance du 19 janvier ne permet pas d’examiner tous les projets, qui sont amendés pour écarter toute possibilité de sélection. Dans l’arrêté général, le Cneser rajoute une phrase stipulant que les Deug donneront accès aussi bien aux maîtrises de second cycle qu’à d’autres formations59. Il demande aussi les suppressions d’une part de la possibilité pour les universités de se faire communiquer le dossier scolaire des candidats au Deug, d’autre part de l’organisation de stages de vérification des aptitudes pour les nouveaux inscrits60. Un souhait est émis pour que le cadrage des arrêtés particuliers soit renforcé, en instituant des programmes nationaux pour chaque matière61. Georges Vedel demande à ce que l’article 14 de l’arrêté général, qui charge les présidents et non les recteurs (suivant les vœux des premiers) de l’application de la réforme, soit modifié au prétexte que ces derniers, étant des élus d’établissements décentralisés, ne peuvent être des agents de l’État exécutant ses décisions62. Il n’est cependant pas suivi par le Cneser qui, par ailleurs, se démarque de la CPU sur la question des responsabilités pédagogiques des maîtres-assistants. Il demande à ce que l’on revienne à une formule où les tâches soient réparties « dans le respect des statuts et des obligations de service des diverses catégories d’enseignants63 » . Ce n’est qu’au cours de la séance du 30 janvier que les arrêtés particuliers (sauf celui de mathématiques et sciences sociales) sont adoptés, moyennant d’autres amendements.
- 64 P. Fridenson, « La politique universitaire depuis 1968 » , art. cité, p. 52.
- 65 Voir M. Duverger, « La grande joie des bien-pensants » , Le Monde, 7 août 1973, p. 5.
- 66 Le Bris s’en explique ainsi devant les présidents (PV de la séance de la CPU du 21 février 1973, c (...)
33La direction des enseignements supérieurs, confrontée à des inflexions contradictoires, soumise aussi aux velléités de réécriture du président de la République64, notamment en droit65, établit sa propre synthèse. Parmi les amendements demandés par le Cneser, n’est retenu que celui déchargeant les maîtres-assistants de toute responsabilité pédagogique importante66. Le ministère a par ailleurs suivi l’avis personnel de Georges Vedel en confiant aux recteurs et non aux présidents l’application de la réforme. Censé ménager les deux assemblées rivales tout en contentant Pompidou, le dévoilement de l’arrêté « définitif » le 21 février au matin suscite de la mauvaise humeur et chez l’une et chez l’autre, sans qu’elles en tirent pour autant les mêmes conséquences.
34Lors de la séance de la CPU qui se tient le jour même du dévoilement de l’arrêté définitif, Joseph Fontanet, « souffrant » , est représenté par son directeur de cabinet, Bernard Couzier. Rémond exprime son mécontentement contre Le Bris en particulier, et contre l’administration du ministère en général. Porte-parole de ses collègues, il pointe le caractère tardif de la publication du texte, qui complique singulièrement la tâche des présidents et compromet l’application de la réforme. Il fait aussi savoir que les présidents sont contrariés par les arbitrages finaux :
M. Rémond se fait l’interprète de l’étonnement de tous ses collègues à propos de l’article 13 de l’arrêté général qui ne charge pas les Présidents de l’application de la réforme, contrairement à ce qui avait été demandé. Il en est de même pour les maîtres-assistants qui ont été écartés de l’exercice de certaines responsabilités.
- 67 Arrêté du 27 février 1973, publié au JORF du 3 mars 1973, p. 23657.
35Les présidents voient dans la première modification l’expression d’un jacobinisme périmé et une non-reconnaissance du fait que ce sont eux qui seront en première ligne pour que la réforme devienne réalité. Enfin, Rémond relaye la demande d’obtention de moyens nouveaux pour mettre en œuvre une réforme qui suppose plus d’heures d’enseignement. Cette manifestation d’humeur reflète un sentiment partagé. Elle est aussi pour Rémond un moyen d’obtenir certaines concessions de la part du ministère. Il demande notamment à ce que la procédure d’habilitation des Deug soit aussi « allégée et simplifiée que possible » , que les volumes horaires indiqués soient indicatifs et non pas contraignants pour l’obtention de l’habilitation, que les modalités de validation du diplôme soient assouplies et que les futurs concours de recrutement des enseignants à bac + 2 s’inscrivent dans le cadre des Deug. Sur ces différents points, il obtient des assurances de Le Bris, ce qui était sans doute le but recherché. Il obtient aussi, non au cours de la séance, mais vraisemblablement ultérieurement, que les recteurs ne soient plus chargés de l’application. Dans la version publiée au Journal officiel le 3 mars, seul le directeur chargé des universités et des établissements d’enseignement supérieur est chargé de l’exécution de l’arrêté67. Peut-être la manifestation d’humeur a-t-elle aussi pour but, en extériorisant le mécontentement des présidents, de le canaliser pour éviter qu’il n’entraîne un changement d’avis sur la mise en œuvre de la réforme.
- 68 Le Monde, 25-26 février 1973, p. 7.
- 69 Le Monde, 8 mars 1973, p. 14.
36Au Cneser, le mécontentement prend une autre tournure lors de la séance du 23 février. Dénonçant « la façon dont le ministre a ignoré les avis et les propositions du Cneser portant sur des points essentiels » , « la modification de dispositions qui avaient donné lieu à des votes quasi unanimes » et « l’introduction dans les textes “définitifs” de dispositions jamais débattues » , les représentants du Snesup, du Sgen-CFDT, de l’Unef et du Cleru quittent la salle. Seules dix-huit personnes restent. Le quorum n’est plus atteint. La séance qui devait examiner les projets de réforme des diplômes de deuxième et de troisième cycle ne peut donc avoir lieu68. Le Snesup, qui refuse de cautionner un texte qu’il estime altéré, condamne les arrêtés dans une conférence de presse le 6 mars, trois jours après leur publication officielle. Le ministre est accusé d’avoir « bafoué » le Cneser en ne tenant pas compte de ses amendements. La réforme est qualifiée d’ « incomplète, conservatrice, hâtive et dangereuse » . Le syndicat agite le chiffon rouge du risque de la sélection à l’entrée du premier cycle par la possibilité prévue à l’article 3 pour les universités de se faire communiquer le livret scolaire des futurs étudiants et de mettre en place des stages destinés à vérifier leurs aptitudes. Pour le syndicat, le risque sélectif existe aussi à la sortie du Deug, avec des deuxièmes cycles dont certains seraient soumis à numerus clausus. Il met aussi en avant l’absence de nouveaux moyens et invite par conséquent les conseils d’université à « mettre en évidence » les difficultés d’application de la réforme69.
37Deux camps s’affrontent donc à la fin du mois de février : le ministère qui peut s’appuyer sur la CPU d’un côté ; les syndicats enseignants et étudiants réformistes et de gauche siégeant au Cneser de l’autre. L’issue de la bataille dépend de la mobilisation sur le terrain.
L’attitude de Rémond face à la contestation de la réforme
- 70 Le Monde, 17 mars 1973, p. 40 et 23 mars 1973, p. 8.
- 71 À Nanterre, l’Union corporative et syndicale, qui rassemble quatre associations modérées ou de dro (...)
38Or, contrairement sans doute à ce qu’avait anticipé le gouvernement, la mobilisation va se révéler beaucoup plus forte que prévue. Dès le jeudi 8 mars, une grève est votée à Dauphine (Paris IX). Le 15 mars, Vincennes (Paris VIII), fief traditionnel de la contestation, emboîte le pas, tout comme Nancy II en province. Nanterre (pour les UER de droit et de sciences économiques), Brest et Le Havre sont touchés au début de la semaine suivante, surtout en droit et en sciences économiques70. Le mouvement semble lancé à la fois par des étudiants gauchistes (notamment de la Ligue communiste révolutionnaire) et « modérés71 » . Les premiers qualifient la réforme de sélective et conservatrice. Les seconds craignent, notamment en droit, une dévaluation des diplômes du fait de la moindre spécialisation induite par la pluridisciplinarité.
- 72 Le Monde, 18-19 mars 1973.
- 73 Le Monde, 20 mars 1973, p. 1.
- 74 Cette mesure votée à l’unanimité par l’Assemblée était destinée à rétablir l’égalité de tous les j (...)
- 75 Le Monde, 23 mars 1973. La réforme rend nécessaire l’interruption des études à bac + 2 dans la mes (...)
- 76 Le Monde, 23 mars 1973, p. 8.
39La contestation peut s’adosser à celle des étudiants en médecine qui, depuis janvier 1973, protestent contre le renforcement de la sélection en première année72, mais ce qui va faire sa force et sa fortune, c’est de pouvoir établir une jonction avec le mouvement des lycéens, qui commence à la mi-mars73 en lien avec l’entrée en application de la loi Debré. Votée en 1970, celle-ci restreint le régime des sursis pour le service militaire. Alors que, précédemment, tous les étudiants pouvaient attendre la fin de leurs études pour aller en caserne, dorénavant tous les jeunes gens, excepté ceux qui sont engagés dans la préparation d’un concours de grande école ou dans des études médicales, doivent se faire incorporer entre dix-huit ans et vingt et un ans et dix mois74. Les leaders étudiants en grève contre la réforme des premiers cycles font, au début de la troisième semaine de mars, converger les deux luttes, ce qui permet de donner un deuxième souffle à leur combat. Résumant leurs propos, Le Monde écrit : « Cette réforme, qui doit inciter davantage d’étudiants à quitter l’Université après le premier cycle, n’est que la conséquence de la “loi Debré” qui contraint la plupart des étudiants à interrompre leurs études à ce moment-là75. » L’unification des deux mouvements s’opère le mercredi 21 mars à travers des manifestations communes entre étudiants et lycéens à l’appel non plus seulement de la Ligue communiste révolutionnaire, fer de lance du mouvement, mais aussi de la plupart des organisations de jeunesse proches des partis de gauche, notamment l’Unef-Renouveau, les Jeunesses socialistes ou la Jeunesse étudiante chrétienne. À Paris, un défilé réunit six à sept mille manifestants lycéens et étudiants, entre Nation et République. En province, on compte 3 500 manifestants à Tours, 3 000 à Rouen, 1 500 au Havre et à Saint-Brieuc76.
- 77 Le Monde, 13 mars 1973, p. 19.
- 78 Le Monde, 22 mars 1973, p. 8.
- 79 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra.
40Ce même 21 mars a lieu la séance mensuelle de la CPU. Les présidents y retrouvent Joseph Fontanet qui vient d’être réélu député lors du deuxième tour des élections législatives le 11 mars 197377 et qui vit dans l’attente du remaniement ministériel programmé. Pour désamorcer la contestation liée au service militaire, le ministre a annoncé la veille des assouplissements au nouveau régime des sursis sans remettre en cause la loi78. Pour désamorcer celle liée au Deug, il décide de procéder à un échange de vues avec les présidents sur ce qu’il convient de faire pour remédier à la crise. Selon Le Bris, cette consultation n’était pas uniquement formelle. Le ministre aurait réellement hésité sur la conduite à tenir79.
- 80 PV de la séance de la CPU du 21 mars 1973, AN, 19810110, 9.
41Au cours de cette discussion, René Rémond joue un rôle important pour l’orientation des décisions. En tant que président de la commission Pédagogie et formation permanente, il est chargé d’ouvrir les échanges par une brève intervention, qu’il prend soin de présenter comme un compte rendu de la séance de travail qui a réuni la veille dix présidents d’université avec Raymond-François Le Bris et Marcel Pinet80, mais qui, en réalité, lui permet de développer un point de vue personnel. Fidèle à la méthode « voir, juger, agir » de l’Action catholique, Rémond diagnostique dans un premier temps (le « voir » ) les éléments de la crise : situation « évolutive et fluide » , « inquiétude des étudiants » , « incertitude des enseignants » . Il se risque à un pronostic :
- 81 Ibid., p. 2. Pour fonder ce diagnostic, Rémond a pu s’appuyer sur le déroulement du conseil de l’u (...)
Je crois pouvoir dire que dans l’ensemble, nous allons vers une situation de suspension généralisée du travail appelée à durer probablement jusqu’aux vacances de Pâques. C’est à contrecœur que la grande masse des étudiants y entre, mais ils ne voient pas comment ne pas y entrer : ils cèdent à une espèce de pesanteur, d’attirance, de vertige en face duquel nous sommes désarmés et, pour reprendre un mot qui a été employé dans une autre situation, « la situation est insaisissable »81.
42Il analyse les ressorts du mouvement : inquiétude latente d’un très grand nombre d’étudiants par rapport aux débouchés et aux emplois ; caractère ambigu de certains passages des arrêtés relayé par les organisations syndicales ; diffusion de nouvelles inexactes qui tendent « à accréditer un ensemble d’interprétations présentant les Deug comme le premier temps de la mise en place d’un système extrêmement contraignant et sélectif » .
43Le deuxième moment de l’intervention ( « juger » ) concerne ce qu’il convient de faire d’un point de vue éthique et politique : faut-il abandonner la réforme ou maintenir le cap ? Rémond plaide pour la deuxième branche de l’alternative en présentant deux arguments qu’il dit partager avec la plupart de ses dix collègues présidents présents lors de la réunion de la veille :
À tout prendre ces textes sont meilleurs que les textes antérieurs, ils présentent une possibilité d’innovation, ils laissent aux universités une marge d’initiative, la possibilité de faire autre chose ; et puis ne renions pas ce que nous avons accepté : nous les avons, dans l’ensemble, cautionnés, nous sommes assez largement engagés, et, si nous nous déjugions maintenant, nous perdrions toute crédibilité. Plusieurs d’entre nous ont dit qu’ils ne se voyaient pas revenir devant les universités si l’on suspendait ces textes et, pour ma part, je me demanderais pourquoi je continuerais à exercer la présidence d’une commission qui a travaillé deux années sur ce problème.
44Rémond défend donc une position qu’il considère à la fois conforme au bien commun et à l’intérêt bien compris des présidents, qui doivent garder leur autorité.
45Dans un troisième temps (« agir »), Rémond développe, à l’intention du ministre, une stratégie pour sortir de la crise. Considérant que les principaux leviers sont entre ses mains, il lui conseille de procéder à une déclaration solennelle pour « couper court à toutes sortes d’allégations » et « isoler ceux qui, systématiquement, cherchent à faire prévaloir une interprétation que les textes n’autorisent pas ». S’enhardissant, Rémond va jusqu’à suggérer les trois principaux points qui devraient être abordés :
- 82 Ibid., p. 3-4. Pour ce qui est du dernier point, René Rémond a pu s’en rendre compte lors de la sé (...)
Il me semble – sans vous dicter un texte, ce qui n’est pas de notre compétence – qu’il faut dissocier la conjonction qui s’est établie, du fait des circonstances, entre le problème […] sur les sursis et celui de la mise en place des diplômes. Il y a concomitance ; il peut y avoir convergence dans les effets ; il n’y a pas identification.
Il y a des points où l’interprétation peut être discutable ; il faut bien voir que, tout intellectuels que soient les enseignants et les étudiants, ils ne savent pas nécessairement lire les textes, surtout si les textes sont en forme, au moins pour ceux qui ne sont pas juristes. Je souhaiterais, pour ma part, que vous puissiez dire qu’il n’y a, ni en noir ni en blanc, ni implicitement ni explicitement, aucun numerus clausus ni sélection à l’entrée du premier cycle ni sélection à l’entrée du second cycle. Si vous me permettez de dire le fond de ma pensée, la sélection, c’est un problème réel : ce peut être une solution, ce peut être une politique, mais qui ne peut pas être introduite par des voies obliques, des moyens détournés et des procédures administratives. […]. Je crois que cette seule déclaration lèverait toutes sortes d’inquiétudes et nous rendrait une certaine liberté de jeu pour sortir d’un mythe en train de se cristalliser dans un sens qui nous échappe.
Il faudrait aussi – c’est plus difficile, sans doute, parce que c’est peut-être davantage l’objet d’un document écrit – montrer qu’il n’est pas exact que ces textes ont été pris au mépris et de la consultation des universités et des délibérations du Cneser, et qu’au total les discordances, qui sont réelles, ne portent que sur une fraction et que, pour les quatre cinquièmes, on retrouve, dans les textes, ce que les universités avaient accepté, de plus ou moins bon gré, et que le Cneser avait accepté d’élaborer, qu’il n’est donc pas honnête de dire qu’ils ont été pris à l’encontre de ce qui avait été demandé. Or c’est cela qui est en train de devenir la vérité officielle et contre laquelle nous n’avons pas les moyens de réagir. De ce fait, on est en train de cristalliser le sentiment très légitime de la participation contre ces textes parce qu’on prétend qu’ils sont l’expression de l’arbitraire gouvernemental et administratif contre la volonté des instances82.
46En sus de ces points, Rémond demande l’apport de nouveaux moyens pour mettre en œuvre la réforme : « Il ne faut pas nous envoyer à la bataille sans cartouches ni munitions » , déclare-t-il à Fontanet. La phrase est intéressante car Rémond, par cette métaphore guerrière, présente les présidents comme les fantassins du ministre.
47Quel est l’impact de ce discours sur l’auditoire ? Concernant les présidents d’université, il est difficile de faire la part des choses : l’allocution de Rémond reflète une tendance interne à la conférence tout en la renforçant. Dans la discussion qui la suit, il est malaisé de savoir, parmi les présidents qui abondent dans le sens de Rémond, lesquels le font parce qu’ils ont été convaincus par ce qu’ils viennent d’entendre et lesquels le font parce que l’allocution était informée par leurs propres idées. Ce qui est sûr, c’est que la tendance à laquelle le discours de Rémond se rattache compte dans ses rangs les « poids lourds » de la conférence, notamment le premier vice-président, Jean Frézal, et Michel Alliot. La tendance adverse, incarnée notamment par les présidents François Luchaire (Paris I) et Michel Devèze (Reims), plutôt proches du Snesup, arguant que les conditions demandées par la CPU n’ont pas été respectées, considère que cette dernière n’est plus engagée. Elle est favorable à un report de la réforme à la rentrée 1974, mais ne parvient pas à dégager une majorité. Peut-être le discours de Rémond n’a-t-il pas été pour rien dans le ralliement des indécis ?
- 83 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra.
- 84 PV de la séance de la CPU du 21 mars 1973, cité supra, p. 51.
48Quelle a pu être la portée de l’argumentaire de Rémond sur Fontanet ? Si, comme l’affirme Le Bris, ce dernier était hésitant sur une mise en œuvre de la réforme dès la rentrée 1973, il a dû sans aucun doute l’inciter à écarter la perspective d’un report autant par son contenu (qui avait sans doute été déjà développé en privé) que par sa réception positive par les présidents. Conjugué avec la position du directeur délégué à l’enseignement supérieur, Raymond-François Le Bris, qui milite fermement auprès du ministre contre tout ajournement83, le discours de Rémond a peut-être emporté l’avis du ministre. Devant les présidents réunis, il le qualifie de « rapport introductif excellent » . Il se déclare sur la même ligne tant sur la position à défendre ( « je ne peux pas envisager que les textes ne s’appliquent pas84 » ) que sur les moyens pour le faire, proposant même au bureau de la CPU de participer à la rédaction du communiqué appelé de ses vœux par le président de Nanterre :
Je suis tout à fait d’accord – je l’ai déjà dit, mais je le confirme encore plus fermement après tout ce que j’ai entendu – pour faire une déclaration le plus rapidement possible. Je pense, tout de même, qu’il faut laisser s’écouler quarante-huit heures, ne serait-ce qu’à cause des mouvements qui ont lieu actuellement. Mais le plus rapidement possible et dans l’esprit des suggestions qu’a bien voulu faire, tout à l’heure, le président René Rémond ; et je suis prêt, pour sa mise au point, à consulter votre Bureau, d’une façon officieuse, mais de telle manière que la substance de mes propos et même leur lettre témoignent de l’accord fondamental qui, je crois, est le nôtre dans cette conjoncture un peu délicate.
49Au passage, Fontanet critique le Cneser qu’il accuse d’avoir d’une part retardé la publication des arrêtés et d’avoir d’autre part fait preuve d’une certaine inconséquence :
Si les textes ont paru en retard, il faut que vous sachiez que c’est parce que le CNESER a demandé de très nombreuses séances de travail supplémentaires et, souvent, par les interventions et à l’initiative de ceux qui, aujourd’hui, prétendent qu’il n’y a pas eu de concertation. Il faut quand même que cela se sache et il conviendra d’en informer les étudiants qui peuvent être troublés par un certain nombre de propos qui ne sont pas d’une très grande probité intellectuelle. Nous avons déploré ce retard, nous avons tout fait pour le limiter, mais nous n’avons pas voulu nous dérober à une demande instante de discussions minutieuses et parfois un peu tatillonnes. C’est vous dire que la concertation a été poussée vraiment très loin.
50La remarque se veut habile en faisant d’une pierre trois coups : elle permet de réfuter le reproche d’absence de concertation, de rejeter la responsabilité du retard sur une assemblée rivale de la CPU, et, en critiquant la « volte-face » de certains élus du Cneser, de rehausser le courage et la responsabilité des présidents, qui, pour certains, ne peuvent qu’en être flattés. Sur la question des moyens, il promet de s’y attaquer s’il reste au même poste dans le prochain gouvernement.
- 85 Le Monde, 25-26 mars 1973, p. 7.
- 86 PV de la séance du conseil d’université du 20 mars 1973, cité supra.
51Fontanet tient parole pour ce qui concerne la promesse de la rédaction d’un communiqué, élaboré de concert avec le bureau de la CPU. Il est diffusé le 24 mars aux conseils d’université et relayé par la presse85. Il s’emploie à rassurer sur les craintes liées à la sélection, à la limitation du nombre d’inscriptions et au traitement des étudiants salariés. Rémond a sans doute pris une part déterminante dans l’élaboration du document : quand on le met en regard avec le procès-verbal de la séance du conseil d’université de Nanterre, qui s’est tenue le 20 mars et qui a été presque exclusivement consacrée à la mise en place des Deug, on est frappé des convergences. Les points sur lesquels Fontanet apporte des garanties sont ceux qui provoquaient les blocages à Nanterre86 et sur lesquels Rémond avait apporté les assurances permettant le vote d’une motion acceptant la mise en place des Deug. L’historien semble donc avoir cherché à dénouer la situation en conseillant au ministre de transposer sa démarche locale à l’échelle nationale. Mais les choses ne s’arrangent pas aussi facilement qu’à Nanterre : sur le court terme, l’initiative ministérielle qu’il a inspirée ne permet pas d’enrayer la montée en puissance de la contestation.
- 87 Le Monde, 27 mars 1973, p. 11; 29 mars 1973, p. 13.
- 88 Le Monde, 4 avril, p. 10 et 11.
52Quasiment tous les syndicats réagissent négativement et semblent interpréter le communiqué de Fontanet comme un premier recul qu’il faut exploiter. Le Sgen et le Snesup appellent les présidents et les conseils d’université à faire reporter la réforme. À droite, la Société des agrégés, voyant la contestation s’amplifier sur le terrain, sort de sa réserve pour faire connaître publiquement ses réticences par rapport à un projet qui lui semble menacer la qualité des formations en amoindrissant la spécialisation. Côté étudiant, alors que seules l’Unef-Renouveau et la Ligue communiste révolutionnaire étaient initialement mobilisées sur la question, on assiste à la mise en place d’un front uni des syndicats étudiants, de l’Unef-Unité syndicale (contrôlée par les trotskistes) à la Fnef (modérée) en passant par le Cleru (réformiste). Syndicats étudiants et enseignants de gauche incitent leurs militants à propager le mouvement dans leurs universités. La dernière semaine de mars, les enseignements sont arrêtés dans de nombreux centres parisiens : « À Paris X (Nanterre), seul un très petit nombre de cours ont lieu devant des auditoires très réduits. Quelques piquets de grève [sont] en place. » La province est de plus en plus touchée87. L’apogée du mouvement a lieu le lundi 2 avril. Plus de 300 000 étudiants et lycéens (100 000 à Paris, 200 000 en province) défilent à la fois contre la réforme du premier cycle et pour le rétablissement des sursis88.
- 89 De cette expérience de la grève de 1973 relative à la mise en place des Deug et à la réforme des s (...)
- 90 Le Monde, 29 mars 1973, p. 13.
53La stratégie proposée par Rémond ne semble donc pas fonctionner. À cela plusieurs raisons apparaissent à l’observateur qui bénéficie du recul par rapport aux événements. Tout d’abord, comme René Rémond le théorisera lui-même par la suite, quand une grève est en pleine phase ascensionnelle, il est très malaisé de la stopper. C’est quand le mouvement « s’enlise » qu’il devient plus facile pour les responsables d’être écoutés89. Ensuite, les déclarations de Fontanet sur l’absence de volonté de sélection ne convainquent pas vraiment les syndicats qui sont persuadés que le gouvernement a des arrière-pensées et que la réforme « est susceptible de favoriser toutes les dispositions tendant, dans un second temps, à généraliser la limitation numérique des étudiants accédant au second cycle90 » . Claude Mazauric, le secrétaire général du Snesup, exprime très bien pourquoi la méfiance persiste :
- 91 Ibid.
Jamais nous n’accepterons de croire que les proclamations du ministre puissent avoir la même valeur démonstrative que les décisions déjà prises qui suscitent des vagues de colère brutales ou chroniques et perturbent gravement le fonctionnement de l’enseignement supérieur comme institution d’enseignement91.
54Mazauric fait allusion à l’instauration de la sélection en médecine et à l’université de Compiègne. Il a aussi à l’esprit le rapport du VIe plan, qui préconise de diminuer le nombre d’étudiants engagés dans des études littéraires. Il y a ici peut-être une clé qui permet de comprendre pourquoi les syndicats enseignants et étudiants voient souvent, dans un texte, autre chose que ce qui y est écrit. Ayant à l’esprit des orientations politiques générales (hier le Plan, aujourd’hui les rapports de l’Union européenne), s’appuyant sur certaines décisions prises par les pouvoirs publics dans d’autres circonstances, ils extrapolent à partir d’un texte. Selon le point de vue adopté, on pourra considérer qu’il y a là fantasme ou clairvoyance. Dans le cas précis, Fontanet s’est certes engagé à ne pas instaurer la sélection par des voies obliques devant les présidents (et en ce sens, les syndicats se trompent), mais il est vrai qu’il considère sans doute, en son for intérieur, et Pompidou encore plus, que la sélection serait une solution. En l’absence de réaction syndicale, le gouvernement ne serait-il pas tenté de la généraliser, comme il l’a fait en médecine ? D’une certaine manière, les syndicats ne protestent pas contre un texte mais contre les implications potentielles de l’idéologie des responsables politiques qui, comme elles ne sont pas explicitées, paraissent d’autant plus dangereuses. Y a-t-il là une spécificité française ? une sorte de méfiance réciproque entre les groupes sociaux, qui fait que l’on cherche d’un côté à parvenir à ses objectifs par des voies détournées, de l’autre à voir dans tout projet de réforme des implications qu’il n’a pas forcément ?
- 92 Le Monde, 31 mars 1973, p. 12.
- 93 Lettre de J. Frézal à ses collègues présidents d’université, 6 avril 1973, AN, 20080235, 17.
55Face à la montée en puissance imprévue du mouvement, le soutien des présidents à la réforme est mis à l’épreuve. Fin mars, le président de Tours, Jacques Body, parle publiquement d’une réforme précipitée92. Le jeudi 5 avril, au cours d’une conférence de presse commune, les présidents de Paris III, VI et VIII et un vice-président de Paris I expriment à leur tour leur opposition. André Herpin (président de Paris VI) déclare que « la réforme pèche par son “obscurité” et son “ambiguïté”, par le fait qu’elle n’est pas intégrée dans une réorganisation d’ensemble des enseignements supérieurs, que les délais d’application sont trop courts et que les moyens pour la mettre en œuvre sont insuffisants » . À la commission permanente de la CPU, qui s’est réunie la veille, le mercredi 4 avril, pour examiner la situation des universités et le problème du Deug, une majorité s’est dégagée pour l’ajournement de la réforme93. Pourtant la CPU ne change pas officiellement d’avis du fait de l’action de son premier vice-président, Jean Frézal. Prenant ses responsabilités, il décide de ne pas suivre l’avis de la commission permanente et d’écrire au ministre pour lui demander de persévérer. Il en informe ses collègues par courrier :
La commission permanente s’est réunie mercredi dernier […]. Le plus grand nombre des présidents présents ont indiqué les raisons pour lesquelles ils estimaient que le report de l’application des textes relatifs aux DEUG leur paraissait nécessaire, tout en maintenant leur approbation pour les dispositions qui ont été retenues à des réserves de détail près. J’ai, pour ma part, insisté sur les très graves inconvénients de ce report et les principaux arguments évoqués ont été repris dans la lettre que j’ai remise à M. le Ministre de l’Éducation nationale et dont vous voudrez bien trouver copie jointe.
56Dans la lettre adressée à Fontanet, Frézal met en avant, parmi les raisons de ne pas différer le projet, la réputation de l’Université :
- 94 Lettre de J. Frézal à J. Fontanet, 6 avril 1973, AN, 20080235, 17.
Ne risquerait-on pas d’accréditer l’idée, hélas trop largement répandue et, si injustement, comme les travaux de la conférence, et la volonté de rénovation qui s’y est unanimement manifestée, vous permettent d’en témoigner, que décidément l’Université, périodiquement traversée de courants d’agitation, est incapable de se réformer et quel dommage irréparable ne risquerait-elle pas de subir au plus grand préjudice de l’intérêt national94 ?
- 95 PV de la séance du Conseil d’université du 6 avril 1973, AD 92, 1208W, 19, p. 11.
- 96 PV de la séance de la CPU du 9 mai 1973, AN, 19810110, 9, p. 3.
57Il est difficile de savoir quelle ligne de conduite adopte Rémond à ce moment-là. Au sein de la commission permanente, est-il des rares irréductibles qui, derrière Frézal, croient que la partie n’est pas perdue ? Ou est-il dans la majorité prudente ? Dans un premier temps de notre recherche, il semblait qu’aucun document ne permette de répondre catégoriquement. Les comptes rendus des séances de la CPU montraient une grande proximité avec Frézal et laissaient présager un accord. Mais, le jour même où Frézal envoyait sa lettre, le 6 avril, René Rémond s’éclipsait au cours du conseil de l’université de Nanterre pour ne pas avoir à se positionner sur la motion qui demandait un report du Deug à la rentrée 1974 et qui était adoptée à une écrasante majorité95. Il est vrai que cela ne présageait pas du positionnement adopté en commission permanente. Frézal et Rémond tous les deux disparus, la réponse à cette énigme nous semblait définitivement enfouie. C’est en relisant le procès-verbal de la séance privée de la CPU du 11 mai 1973 que nous avons trouvé finalement la réponse. Michel Soutif, le président de Grenoble I, rappelle que « la commission permanente du mois d’avril avait demandé le report par 11 voix contre 1296 [sic] ». Sachant que la commission permanente ne compte que 16 membres, il y a donc une coquille et on peut supposer qu’il faut lire « 1 » et non « 12 ». L’hypothèse est confirmée par la retranscription de l’intervention d’Henri Gastaut, président d’Aix-Marseille II, quelques lignes plus loin : « M. Gastaut précise [en réponse à Michel Soutif] que le vote de la commission était acquis à 10 voix ½ contre 1 voix ½ ; il souhaitait l’application en 1973 des Deug nouveaux, et le report à un an des Deug traditionnels. » Cela veut donc dire que lors de cette réunion, où cinq présidents sur les seize que compte la commission permanente étaient absents, seule une voix, celle de Frézal, s’est prononcée pour le maintien de la réforme. René Rémond a donc voté comme la quasi-totalité de ses collègues pour son report.
- 97 Le Monde, 5 avril 1973, p. 13.
- 98 Le Monde, samedi 7 avril, p. 42.
58Le geste solitaire de Frézal a sans doute eu un impact dans l’histoire de cette réforme. S’il avait rendu public l’avis unanime de ses collègues de la commission permanente, le ministre aurait peut-être renoncé. En prenant sur lui d’écrire une lettre à l’opposé de ce que demandait la commission, le premier vice-président de la CPU a peut-être permis à Fontanet de tenir les quelques jours décisifs qui ont permis d’inverser le rapport de force. En effet, cette première semaine d’avril qui marque l’apogée du mouvement est aussi celle où le ministre reprend la main. Mardi 3 avril, il participe à une émission de télévision où il dialogue avec les lycéens et des étudiants. Appelant au respect, essayant de faire preuve à la fois de compréhension et de fermeté, il annonce que la loi Debré fera l’objet d’un nouvel examen au Parlement97. Il a sans doute obtenu du gouvernement et peut-être même du président un arbitrage favorisant les concessions sur le dossier des sursis militaires plutôt que sur celui du premier cycle. Il retrouve de la légitimité et du crédit avec la présentation, le jeudi 5 avril, du gouvernement Messmer remanié. Restant au ministère de l’Éducation nationale, alors que Michel Debré quitte celui de la Défense, Fontanet apparaît confirmé dans ses choix politiques par le président. Vis-à-vis du monde universitaire, il est l’homme qui va sans doute définir la politique jusqu’à la fin de ce qui devait être un septennat. Lors du premier conseil des ministres, convoqué le vendredi 6 avril, Fontanet, approuvé par Pompidou, tient un discours de fermeté. Il déclare que la politisation doit cesser, que la réforme s’appliquera à la rentrée. Il menace aussi que les examens n’aient pas lieu dans les établissements où les cours n’auraient pu être suffisamment assurés. Ce qui joue aussi en faveur du ministre, c’est que les conseils d’université, bien qu’hostiles à la réforme, font parvenir leurs projets de Deug à son administration de peur de ne pas pouvoir recevoir l’habilitation et de ne pouvoir décerner que des diplômes d’université. Lors de la séance du Cneser de ce même vendredi 6 avril, durant laquelle sont examinées les demandes d’habilitation, toutes les universités ont transmis leurs maquettes98. La réforme apparaît sur les rails.
- 99 Ibid.; Le Monde, 10 avril 1973, p. 8.
- 100 Le Monde, 11 avril 1973 ; 27 avril 1973, p. 1 et 12; 3 mai 1973, p. 1.
59Le mouvement de contestation entre alors dans une nouvelle phase, marquée à la fois par la radicalisation et l’essoufflement. Une trentaine d’enseignants et d’étudiants extérieurs viennent envahir la salle du ministère où doit se réunir la réunion avec le Cneser avant d’être expulsés par la police99. Le lundi 9 avril, premier jour de la dernière semaine avant les vacances de Pâques, les défilés organisés par les syndicats de gauche, les collectifs collégiens, lycéens et étudiants rassemblent moins de monde que la semaine précédente. À la rentrée des vacances universitaires, mercredi 25 avril, le mouvement a du mal à repartir. Une tendance à la reprise se dessine, même s’il faut attendre la première semaine de mai pour qu’elle se confirme pleinement100.
60Début mai, Joseph Fontanet, Raymond-François Le Bris et Jean Frézal ont remporté une première victoire mais pas encore la guerre. Il n’y a pas eu de séance de la CPU en avril. Était-ce lié au remaniement ministériel ou s’agissait-il d’un dispositif de Frézal pour éviter le vote d’une motion demandant le report ? Quoi qu’il en soit, la séance qui suit celle du 21 mars (où les présidents avaient, sans qu’il y ait de vote, soutenu la réforme) n’a lieu que le 9 mai 1973. Elle est houleuse lors de la partie privée le matin sans le ministre.
- 101 Voir notamment l’intervention de M. Alliot, PV de la séance privée de la CPU du 9 mai 1973, AN, 20 (...)
61L’attitude de Frézal, qui a fait cavalier seul, est remise en cause par une partie des présidents qui s’étonnent de ce que l’avis de la majorité n’ait pas été suivi. Ils s’inquiètent aussi de ce que la CPU n’apparaisse, aux yeux du reste du monde universitaire, comme trop docile au gouvernement101, d’autant que, suite au courrier de Frézal à Fontanet, le Premier ministre a présenté, dans son discours de politique générale du 10 avril, les présidents comme des supporters inconditionnels de la réforme :
- 102 Le Monde, 12 avril 1973, p. 3.
Nos universités, elles-mêmes profondément réformées en 1968, possèdent tous les moyens d’indépendance et de délibération pour organiser leur enseignement de façon à faciliter la meilleure orientation des étudiants. Est-il alors concevable que le diplôme d’études universitaires générales, récemment promulgué sur l’insistance de la quasi-totalité des soixante-sept présidents d’université‚ porte-parole de leurs conseils, ait pu servir de motif à un renouveau d’agitation102 ?
- 103 PV de la séance privée de la CPU du 9 mai 1973, AN, 20080235, 9, p. 3.
62De par le positionnement qu’on leur a fait prendre, les présidents se sentent coupés du reste du monde universitaire comme l’exprime Pierre Deyon, le président de Lille III : « Les rapports entre les présidents d’université et leur conseil, les enseignants, se sont détériorés103. » D’autres regrettent la dégradation des rapports avec le Cneser, dont les divergences avec la CPU ont été instrumentalisées par le gouvernement.
63Les présidents ont aussi le sentiment que malgré le retour du calme et la reprise des cours, les universités demeurent en crise. René Rémond pense « que la phase spectaculaire de la crise est passée et que l’université se trouve dans une période de désenchantement ». Certains présidents doutent aussi que la réforme puisse être mise en œuvre par les universités dans la mesure où les conseils n’adhèrent pas au projet et que les moyens financiers ne sont pas garantis.
64Pour toutes ces raisons, Michel Soutif dépose la motion suivante :
- 104 Annexe 1 au PV de la séance privée de la CPU du 9 mai 1973, cité supra.
La Conférence des Présidents, sans remettre en cause les principes de la réforme du DEUG, estime que les conditions matérielles et psychologiques constatées aujourd’hui rendent impossible la mise en application de la réforme en 1973, et, dans l’intérêt même de la réforme, demande son report à un an104.
- 105 Annexe 2 au PV de la séance privée de la CPU du 9 mai 1973, cité supra.
65Pierre Deyon propose une motion plus modérée, relayant un certain nombre d’inquiétudes, réclamant instamment des moyens dont l’obtention immédiate conditionnerait l’accord des présidents à la mise en œuvre de la réforme105. René Rémond semble presque dépassé et ne semble pas se prononcer clairement pour l’une ou l’autre des motions :
- 106 PV de la séance privée de la CPU du 9 mai 1973, cité supra, p. 4.
M. Rémond fait part de sa perplexité : il se ralliera au vote de la majorité s’il est clair. Il rappelle que, quant au fond, les DEUG représentent un progrès par rapport au régime antérieur, qu’il ne faut pas épouser la querelle, mais réaffirmer dans l’ensemble que le projet est bon […]. Il regrette que l’administration néglige toujours les délais. À titre purement personnel, il croit aux DEUG mais craint que l’on ne s’engage dans une opération suicidaire106.
- 107 Pour calmer les irritations et les inquiétudes, le premier vice-président de la CPU se désolidarise (...)
66Plusieurs présidents appellent à rallier la motion Deyon, qui permet de prendre des distances par rapport au projet ministériel tout en maintenant l’application de la réforme à la rentrée 1973 : Jean-Louis Quermonne, Louis Lareng mais aussi Jean Frézal107, qui cite Jaurès : « Ceci exige du courage, ce courage dont Jaurès a dit qu’il est de chercher la vérité et de la dire. »
- 108 PV de la séance plénière de la CPU du 9 mai 1973, AN, 19810110, 9, p. 12-13.
67La motion de Soutif, la plus critique, présentée en premier, échoue à peu de voix près (vingt-trois pour, vingt-sept contre, quatre abstentions). La motion de Deyon, présentée en second, permet de recréer la cohérence de la conférence puisque ses six premiers alinéas sont adoptés à l’unanimité et le dernier alinéa, qui conditionne la mise en œuvre de la réforme à l’obtention de nouveaux moyens, est obtenu à une large majorité (quarante-trois contre dix). Une nouvelle bataille a donc été gagnée par Frézal qui a réussi son pari. L’après-midi, Fontanet préside la séance. Il dit être en accord avec la quasi-totalité de la motion et lui donne sa caution. Cherchant à apaiser les craintes exprimées, il répète que le premier cycle ne comporte aucune sélection à l’entrée et aucune sélection en cours d’études et déclare qu’il faut interpréter dans le sens libéral les alinéas ambigus108. Il demande à Raymond-François Le Bris de présenter le projet d’arrêté du deuxième cycle dont les premiers articles confirment que tout détenteur de Deug pourra y avoir accès. Concernant les demandes pressantes de moyens supplémentaires exprimées par les présidents, il s’engage de nouveau à se battre avec le ministère des Finances et considère que le fait que la réforme soit décidée consolide sa position.
Le rôle de Rémond dans la mise en œuvre des arrêtés à Nanterre
- 109 PV de la séance du conseil d’université du 11 mai 1973, AD 92, 1098W, 20.
68La dernière bataille se livre sur le terrain universitaire. Pour chaque président, il s’agit de rallier son conseil d’université à la mise en œuvre des Deug. René Rémond semble avoir quelque inquiétude à ce sujet. En effet, quand son conseil d’université se réunit deux jours après la séance de la CPU du 11 mai 1973, il est sollicité par Michel Arrivé, élu Snesup pour rendre compte de la position des présidents109. Il se dérobe dans un premier temps, déclarant qu’il envisageait de le faire lors de la séance suivante. Peut-être estime-t-il que les esprits ne sont pas encore prêts à mettre en œuvre une réforme combattue. Finalement, devant l’insistance de cet élu, il met sa proposition aux voix, qui est acceptée. Il présente donc, de manière neutre et objective, le résultat des délibérations des présidents, sans cacher les débats qui ont eu lieu. Il insiste sur les assurances données par le ministre. Soucieux sans doute que le débat ne revienne pas sur le premier cycle, il raconte aussi que le projet de l’arrêté du deuxième cycle a été dévoilé et en lit les deux premiers articles qui garantissent qu’il n’y aura pas de sélection à l’entrée. Si c’était une manœuvre, elle réussit, car le conseil engage la discussion sur ce point, et ne remet pas en cause la position des présidents.
- 110 PV de la séance du conseil d’université du 21 mai 1973, AD 92, 1098W, 20, p. 4-5.
69Il gagne la partie lors de la séance suivante, le 21 mai 1973. Les membres du conseil hostiles aux nouveaux diplômes sont dans une position délicate dans la mesure où la réforme ne semble plus pouvoir être retirée et que si Nanterre refuse de l’appliquer, elle ne pourra proposer que des diplômes d’université110. Dans la discussion, seuls les délégués étudiants de l’Unef restent favorables à son ajournement. Pour rassurer le conseil, Rémond accepte l’idée d’une charte pédagogique propre à Nanterre précisant les conditions d’application de la réforme dans l’établissement. Il réussit à faire voter le conseil sur un texte qu’il a lui-même rédigé et qui permet à ce dernier d’exprimer son mécontentement par rapport au ministère, d’obtenir des garanties quant à l’application des arrêtés à Nanterre, tout en acceptant la mise en œuvre de la réforme. Son dernier alinéa prévoit que « au cas où l’application des Deug ne ferait pas l’objet d’un ajournement au plan national, le Conseil décide d’assurer à partir de la rentrée prochaine la préparation aux diplômes nationaux » .
- 111 R. Rémond, La Règle et le Consentement…, op. cit., p. 417.
70L’attitude de Rémond dans cette véritable saga que constitue la réforme des premiers cycles est donc évolutive. Partisan de maintenir le cap d’une réforme qu’il estime légitime et fondée sur une large consultation des intéressés, il semble pris d’hésitation quand la contestation atteint une ampleur inattendue. Il ne faut sans doute pas y voir versatilité mais plutôt une certaine forme de réticence au passage en force : « On évitera toujours, écrit-il dans La Règle et le Consentement, qu’une majorité écrase une minorité, que la décision soit arrachée de justesse : il ne faut pas humilier une fraction111. » Pour Rémond, si le bras de fer gagné peut apporter une victoire symbolique, il provoque des dégâts dans le corps social (désillusion et désengagement des « vaincus » ).
- 112 J.-C. Casanova le considère comme « un homme très distingué, très fin, qui a joué un grand rôle » (...)
- 113 Rémond met cet aspect en avant : « Nous sortons d’une crise et beaucoup d’entre nous ont connu des (...)
71Il faut reconnaître que dans cette affaire, ce sont Frézal112 et Le Bris qui jouent les premiers rôles. Sortes de Jeanne d’Arc de la bataille du Deug, ils poussent le ministre à continuer le combat alors que la plupart des responsables flanchent. Faisant défaut au projet au moment le plus critique, Rémond n’est pas dans le même registre. Pourtant son apport à la réforme n’est pas négligeable. En faisant précéder l’adoption de l’arrêté d’une vaste consultation, en faisant intégrer par l’administration un certain nombre de revendications, il a donné aux textes une légitimité qui a certes été attaquée mais qui a constitué une sorte de viatique leur permettant in fine de traverser l’épreuve113. En ce sens, la mise en place des Deug apparaît comme une œuvre collégiale, pour laquelle différents acteurs se relayent tour à tour.
- 114 Il faut néanmoins signaler que G. Vedel, principal rédacteur des premiers projets du Deug, le défe (...)
- 115 Cité par F. Gaussen, « À quoi sert le Conseil national de l’enseignement supérieur ? » , art. cité
- 116 Voir l’intervention du ministre lors de la séance du 9 mai 1973 (PV de la séance, cité supra).
72Paradoxalement, ce projet élaboré initialement par la commission Pédagogie du Cneser prend corps grâce aux présidents d’université : Rémond, Frézal mais aussi Le Bris, devenu directeur délégué aux enseignements supérieurs114. En ce sens, l’année universitaire 1972-1973 est une année charnière dans la perte de puissance du Cneser au profit de la CPU. Avant même cette crise, le mouvement était amorcé. Déjà en décembre 1972, l’un des membres du Cneser diagnostiquait : « Le Cneser est en train de se discréditer entièrement aux yeux de l’administration115. » Avec l’attitude des délégués étudiants et enseignants des syndicats progressistes en février, mars et avril, le transfert d’influence s’accélère. Même si dans leurs déclarations, le ministre et ses collaborateurs disent vouloir continuer à travailler avec le Cneser116, ils cherchent dans les faits à réduire au maximum son rôle :
- 117 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cité supra.
Notre stratégie ou notre tactique, c’était de dire : le Cneser c’est là où il y a les syndicats donc les ennuis mais en revanche, on travaille avec les présidents d’université. En gros, la politique a consisté à conforter les présidents d’université. Il y avait parmi eux un certain nombre de gens avec qui le travail était très facile : Quermonne […], René Rémond […], Frézal117.
73Une dernière remarque s’impose à notre esprit en concluant cette étude sur la mise en place des Deug : que de temps aurait pu être gagné si le ministère avait directement fait droit aux demandes du Cneser dans l’écriture des arrêtés ! Les quelques doléances ayant pour but d’écarter toute possibilité de sélection sont rejetées au dernier moment, peut-être suite à des interventions latérales exercées via Pompidou. Ce n’est qu’après une lourde et coûteuse épreuve de force que le gouvernement y fait finalement droit, le ministre demandant une interprétation libérale des alinéas ambigus. Faut-il voir dans cette transaction, qui ne semble pouvoir se faire qu’après que les partenaires se sont mesurés, une expression de la « culture du conflit » à la française ?
Les diplômes nationaux du deuxième et du troisième cycles
74Pour la définition des diplômes du deuxième et du troisième cycles, le rôle de René Rémond est moindre, du moins en tant que président de la commission Pédagogie et formation permanente. Il n’en est pas pour autant négligeable.
Les diplômes du deuxième cycle
75Si, pour la réforme des premiers cycles, l’impulsion venait de la commission Pédagogie du Cneser, pour la réforme des deuxièmes cycles elle s’origine très clairement à la direction de l’enseignement supérieur. Une première note d’orientation générale sur les orientations du deuxième cycle est divulguée au Cneser et à la CPU courant janvier 1973.
76Ce document, piloté par Raymond-François Le Bris, propose de distinguer deux types de formations de deuxième cycle. Le premier type regrouperait les « maîtrises finalisées » , orientées vers un débouché professionnel précis. Leur accès serait subordonné à l’obtention d’un « DEUG renforcé » ou à une décision du jury. Leur encadrement pédagogique devrait être assuré pour un tiers par des professionnels. Le second type regroupe les « maîtrises spécialisées » . Elles ne viseraient pas un débouché précis et seraient adossées à deux ou trois disciplines universitaires classiques dont une devrait être discipline principale. Elles seraient accessibles à tout titulaire d’un Deug.
- 118 PV de la séance plénière de la CPU du 21 février 1973, cité supra, p. 22-25.
77Tirant les leçons de ce qui s’est passé pour les diplômes de premier cycle, la note d’orientation générale prévoit une procédure laissant beaucoup de place à l’autonomie des universités pour la constitution de ces maîtrises. En dehors d’un cadre général précisant les volumes horaires et les conditions d’encadrement minimales, l’administration ne rédigerait pas, contrairement à ce qu’elle a fait pour le Deug, d’arrêtés particuliers qui établiraient une liste limitative de maîtrises avec des indications concernant les contenus à enseigner. Ce seraient les universités qui proposeraient des schémas de diplômes particuliers du deuxième cycle, qui seraient ensuite instruits par les instances nationales consultatives, puis habilités ou non habilités par l’administration pour une durée limitée. Le Bris considère que cela présenterait plusieurs avantages : laisser une possibilité d’innovation et une marge de manœuvre beaucoup plus grande aux universités ; éviter « l’extraordinaire pression due au caractère centralisé de la définition des diplômes nationaux » et permettre une procédure de mise en place plus rapide118.
- 119 Ibid., p. 25.
78La commission Pédagogie du Cneser, consultée en premier, donne son accord sur la procédure très libérale envisagée par le ministère. En revanche, elle manifeste un vigoureux désaccord sur le « caractère scolastique, technocratique et “a prioriste”119 » de la distinction entre maîtrises spécialisées et finalisées et sur l’ambiguïté de la notion de Deug renforcé nécessaire pour accéder aux secondes.
- 120 Ibid., p. 26.
79Rémond donne le point de vue de la commission Pédagogie et formation permanente lors de la séance du 21 février 1973. Sur la procédure envisagée, il est en parfait accord car elle fait droit à l’autonomie des universités, libres d’user de leur pouvoir d’initiative. Sur la distinction entre les deux types de maîtrise, il exprime une appréciation réservée mais nuancée120. Michel Alliot et Bernard Picinbono qui interviennent à sa suite critiquent de manière beaucoup plus ferme cette disposition, ainsi que la possibilité oblique de sélection. Jean Frézal en tant que premier vice-président synthétise ainsi les positions qu’il y a au sein de la conférence : accord très large sur le choix d’une procédure laissant une complète autonomie aux universités dans la définition des contenus des diplômes ; accord assez large également pour refuser « la distinction schématique entre maîtrise finalisée et maîtrise spécialisée, qui conduit à reconnaître qu’une partie de l’enseignement dispensé dans les Universités ne conduit à aucun débouché » ; débat sur la question d’une sélection à l’entrée de certaines maîtrises.
- 121 PV de la séance plénière de la CPU du 9 mai 1973, cité supra, p. 31.
- 122 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra.
80Compte tenu de ces indications convergentes du Cneser et de la CPU, l’administration se remet au travail, produisant différents projets d’arrêtés sur lesquels quatre présidents sont sondés à titre personnel, pour permettre aux concepteurs d’avoir un feedback121. On peut supposer que Rémond fait partie du quarteron car Le Bris se rappelle l’avoir consulté de manière préférentielle : « J’ai eu avec lui les relations privilégiées qui sont celles d’un directeur d’administration centrale avec un élu important porteur de messages importants pour les réformes que nous menions122. »
- 123 PV de la séance plénière de la CPU du 9 mai 1973, cité supra, p. 29 et 44.
- 124 Le Monde, 19 mai 1973, p. 13.
- 125 PV de la séance plénière de la CPU du 9 mai 1973, cité supra, p. 33-34.
81Le nouveau projet est envoyé par courrier aux présidents à la fin de la première semaine de mai 1973, avant qu’il ne soit adressé au Cneser123. Il abandonne la distinction entre maîtrises finalisées et spécialisées. Tous les diplômes nationaux doivent à la fois permettre aux étudiants d’acquérir, après le Deug, « un complément de formation générale, une maîtrise des concepts scientifiques dans un ordre de disciplines ou dans un ensemble cohérent de disciplines et, enfin, troisièmement d’acquérir également une force technique qui les prépare à la vie professionnelle entendue au sens le plus large du terme […] » . Les restrictions d’accès sont abandonnées. Le Deug donne accès à l’inscription en première année de maîtrise, à condition qu’il y ait une cohérence entre les deux cycles (n’importe quel Deug ne donnera pas accès à n’importe quelle filière du second cycle124). L’administration a donc revu sa copie sur les aspects contestés. Sur la procédure, elle maintient sa position initiale qui n’avait pas soulevé d’oppositions. Le projet d’arrêté présenté ne cadre que la durée minimale des enseignements, la part de l’horaire global qui doit être optionnelle, les modalités d’évaluation et le type d’encadrement. En revanche, conformément à ce qui avait été annoncé, il n’y a aucune précision sur les contenus et leur articulation, dont la définition est laissée à l’imagination des conseils d’université, à charge pour l’administration d’effectuer un contrôle a posteriori en délivrant ou non l’habilitation pour une période donnée. L’administration se bornera, durant la phase d’élaboration des projets, à fournir des éléments d’information permettant aux conseils d’être mieux à même de faire des choix125.
- 126 Ibid., p. 34.
82Le débat concernant le projet a lieu lors de la séance plénière de la CPU du 9 mai 1973, alors que les présidents sont encore sous le coup de la « bataille du Deug ». Rémond ouvre la discussion, après la présentation de Le Bris, à titre individuel cette fois-ci. Le projet ayant été reçu par les présidents deux jours auparavant, la commission Pédagogie et formation permanente n’a pas eu le temps de se réunir. Rémond commence par remercier Le Bris d’avoir tenu compte des réserves émises lors de la séance de février en acceptant de renoncer à la dichotomie des maîtrises spécialisées et finalisées126. Il dit son accord total sur l’absence de cadrage du contenu et, replaçant le projet dans sa perspective historique, rappelle qu’il est conforme au compromis qu’avaient passé le Cneser et la CPU :
C’est aussi la contrepartie du contrat que nous avions passé, il y a de cela plus d’un an et demi, avec le Doyen Vedel représentant la Commission Pédagogique du CNESER, lorsque, les uns consentants, les autres résignés, nous nous étions ralliés à la formule des diplômes nationaux pourvu qu’ils fussent des diplômes-cadres. Certains trouvent qu’ils ne sont pas restés suffisamment cadres et qu’il n’y a pas que le cadre, qu’il y a aussi le contenu, en ce qui concerne le premier cycle. Pour le second cycle, je crois que le contrat est respecté.
83Rémond dit aussi son accord, à titre personnel, sur les procédures d’habilitation prévues et aussi sur la possibilité d’un retrait d’habilitation car « il ne peut y avoir de rente de situation, pas même pour des collectivités qui assurent le service public ». Il termine son propos en pronostiquant que le projet soulèvera de vives oppositions car il bouscule la culture traditionnelle centralisatrice : « Il n’est pas si facile de passer d’un siècle de pratique purement réglementaire où l’on attendait que toutes les décisions soient prises d’en haut, quitte à les critiquer et à s’établir dans une attitude permanente d’irresponsabilité critique, à une attitude où il faut prendre des initiatives. » Il souhaite que le débat qui suive son intervention permette d’apporter au ministre la certitude de la solidarité des présidents sur ce point et leur volonté de défendre « l’autonomie des universités contre les résistances que ce projet va susciter ». Il souhaite aussi que la CPU puisse mener, comme pour la réforme de la formation des maîtres et celle de la réforme des premiers cycles, une procédure de consultation des conseils d’université.
84Dans la discussion qui suit, les présidents qui interviennent disent leur accord global, notamment sur l’autonomie très large laissée aux universités. Quelques remarques émergent, notamment sur la nécessité de relancer conjointement la réforme de la formation des maîtres. Frézal souligne à quel point le projet révolutionne les relations entre universités et administration et correspond aux rêves les plus chers des présidents.
- 127 Rapport au Cneser du doyen Vedel, 5 juin 1973, AN, 19810110, 2.
85Au Cneser, les réactions sont très différentes lorsque le projet réécrit est examiné. Alors que la commission avait précédemment donné son accord sur la démarche libérale prévue par l’administration, elle se déclare début juin préoccupée de l’absence de règles communes concernant les contenus127. Les autres membres du Cneser la suivent. Le Monde résume ainsi les positions adoptées en séance plénière :
- 128 Le Monde, 15 juin 1973, p. 14.
Les représentants des enseignants et des étudiants au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) ont déploré que le projet se limite à un arrêté général et ont souhaité que chaque discipline fasse l’objet d’un arrêté particulier. Ils ont également demandé qu’il y ait des programmes nationaux bien définis et qu’on limite ainsi l’autonomie des universités en matière d’organisation des études. Ils craignent en effet la concurrence entre établissements, préjudiciable aux universités petites ou de création récente128.
- 129 Le Monde, 19 mai 1973, p. 13.
- 130 Le Monde, 15 juin 1973, p. 14.
86Derrière cet accord se cache une convergence des deux principaux syndicats de l’enseignement supérieur qui dominent le conseil. À gauche, le Snesup considère que la « pseudo-liberté pédagogique » accordée aux universités, jointe aux modalités d’habilitation, va accentuer la concurrence entre universités et aboutir à des formations fournissant « au patronat une main-d’œuvre adaptée à ses besoins immédiats129 » . À droite, le Syndicat autonome considère que « le système envisagé [conduit] à une destruction de l’image des diplômes qui existent, sans permettre au public et aux employeurs […] de se faire une idée claire des nouveaux diplômes130 » . Il met aussi en avant les difficultés d’équivalence entre les universités et considère que la définition des contenus est une responsabilité qui doit rester nationale. On retrouve la même coalition centralisatrice qu’au moment du débat sur le diplômes nationaux, avec des arguments reformulés pour la circonstance, mais dont les motivations demeurent largement identiques.
- 131 PV de la séance plénière de la CPU du 13 juin 1973, cité supra., p. 9-11.
87Au cours de la séance de la CPU qui suit, le 13 juin 1973, Rémond intervient de nouveau sur le sujet, cette fois-ci en tant que président de la commission Pédagogie et formation permanente qui a étudié de manière approfondie l’arrêté et formulé un avis. Il énumère un certain nombre de points mineurs, qui n’appellent que des amendements ou des précisions de détail, mais là n’est pas le cœur de son propos qui consiste à se livrer à un vigoureux plaidoyer en faveur de l’autonomie. Il s’agit de contrecarrer la prise de position du Cneser en faisant valoir au ministre, au directeur des enseignements supérieurs et à ses collègues présidents, les inconvénients de la réglementation contraignante. Selon Rémond, les expériences passées prouvent qu’elle n’apporte qu’une garantie illusoire d’homogénéité et freine l’innovation et l’adaptation nécessaire au terrain dans lequel est enracinée l’université131. Rémond s’emploie aussi à montrer qu’il peut y avoir régulation par d’autres voies, notamment par la concertation. Pour lui, derrière la question de l’adjonction ou non d’arrêtés particuliers, se cache l’enjeu de l’application loyale de la loi d’orientation qui prévoit l’exercice de l’autonomie par les universités :
Il n’y a de fait que deux logiques : ou l’on s’engage dans celle que la loi d’orientation a imposée, qui est celle d’une initiative contrôlée, qui appelle, comme corollaires, la concertation et les procédures d’habilitation. Ou alors – mais qu’on le dise clairement – si le préjugé est vraiment aussi fort à l’encontre des universités et de ceux qui en ont la responsabilité, si la conviction est telle que de laisser le champ libre c’est une prime offerte à la dégradation des études, c’est tout le système qui est condamné et il convient d’en changer complètement.
88En conséquence il propose au vote de ses collègues un avis dans lequel la CPU se félicite de la teneur de l’arrêté général tout en demandant un temps de consultation large pour préciser certains points et réaffirme son « attachement à une réglementation aussi ouverte que possible ».
89Le débat qui s’ouvre montre des divergences entre présidents : ceux des petites universités craignent davantage la concurrence que ceux des grandes ; ceux qui sont à la tête d’universités à dominante juridique ou scientifique, dont les diplômes ont une bonne image de marque, semblent davantage favorables à conserver une réglementation nationale, gage d’une certaine qualité, que ceux qui dirigent une université à dominante littéraire. Si Le Bris est totalement sur la même ligne que Rémond, Fontanet semble davantage soucieux d’arriver à un compromis entre partisans et adversaires de la réglementation tout en se disant très proche du point de vue de Rémond. À l’issue du débat, Rémond place ses collègues face à leur responsabilité en leur demandant de choisir leur camp :
Au moment d’émettre un vote et de prendre une décision, je crois qu’il convient de se replacer en face du choix très concret qui nous est demandé : est-ce que nous voulons un arrêté général ou est-ce que nous souhaitons qu’il soit complété par des arrêtés particuliers correspondant aux spécialités ? À travers ce choix se profilent des options plus fondamentales mais, en définitive, c’est cela très précisément qui nous est demandé et c’est cela que la Commission vous suggère de trancher dans le projet d’avis qui vous est proposé : c’est de donner quitus à l’administration de s’en être tenue à un arrêté général ou de rejoindre le camp de ceux qui estiment que, dans ces conditions, c’est l’anarchie totale et que l’imagination va tellement se donner libre cours dans nos établissements que personne, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur, ne s’y reconnaîtra plus dans le foisonnement des initiatives qui vont surgir, telle une forêt vierge couvrant tout le territoire.
90Finalement, l’avis de Rémond est adopté à une quasi-unanimité : trente-neuf oui, un non, huit abstentions. Cela semble confirmer l’attachement des présidents à l’autonomie.
- 132 Le Monde, 19 mai 1973, p. 13.
- 133 PV de la séance plénière de la CPU du 13 juin 1973, cité supra, p. 45 et PV de la séance privée de (...)
- 134 Ibid., p. 1.
91Le Cneser et la CPU ayant émis des avis ouvertement divergents, sans qu’un compromis ne soit trouvé comme cela avait été le cas précédemment, la consultation des universités instaurée par René Rémond s’impose plus que jamais. Cette fois ci, tout le monde la réclame et veut la mettre en œuvre : René Rémond bien sûr, mais aussi le Cneser, la direction des enseignements supérieurs et même le Snesup qui, pour éviter un « simulacre de consultation, comme cela s’est produit pour la réforme du premier cycle et la création du DEUG » et « donner à tous ceux qui sont concernés les moyens de connaître et de discuter les projets » , décide de reproduire et diffuser en douze mille exemplaires le projet132. Une certaine concurrence s’établit donc dans la consultation, notamment entre René Rémond et Raymond-François Le Bris. Ce dernier décide d’envoyer pour la fin de juin aux conseils d’université le projet d’arrêté, les rapports des commissions Pédagogie du Cneser et de la CPU et une note de présentation du ministre expliquant son choix, en précisant dans un courrier joint que les réponses doivent lui parvenir pour le 10 octobre 1973133. René Rémond semble prendre cette initiative avec une certaine irritation : « Il estime que l’administration cherche à court-circuiter l’initiative de la Conférence des présidents et que les Universités doivent répondre en premier lieu à la consultation de la CPU134. »
- 135 PV de la séance du conseil d’université du 27 juin 1973, AD 92, 1298 W, 20.
- 136 PV de la séance du conseil d’université du 29 octobre 1973, AD 92, 1298 W, 21.
92Dans son université, à Nanterre, René Rémond s’engage avec intensité et succès en faveur de la solution d’un seul arrêté général lors de la procédure d’examen du projet. Lors de la séance du conseil, le 27 juin 1973, il déclare qu’ « il faut demander pour les universités françaises l’autonomie dont jouissent les universités étrangères en matière pédagogique » et que « restituer au service public une capacité d’initiative est un moyen d’échapper à la privatisation »135. Alors que la commission des études s’est prononcée majoritairement pour une réglementation plus précise, il réussit, en argumentant en faveur de l’autonomie, à renverser la tendance initiale lors de la séance du conseil d’université du 29 octobre 1973 : « La majorité des présents et représentés se prononce pour un arrêté général énonçant les dispositions communes à tous les diplômes de second cycle136. » René Rémond, qui est sans doute davantage en adéquation personnelle avec le projet qu’avec les deux précédents, fait le choix d’être offensif et de peser ouvertement sur les débats.
- 137 PV de la séance plénière de la CPU du 13 juin 1973, cité supra, p. 45 et suiv.
- 138 PV de la séance plénière de la CPU du 17 avril 1974, AN, 19800110, 10.
93Malgré cette première victoire, la bataille en reste provisoirement là. Le calendrier prévu par Le Bris en juin 1973 (consultation des universités d’ici octobre 1973 ; publication du ou des arrêtés définitifs qui permettent aux universités de demander les habilitations d’ici la fin de décembre 1973, entrée en vigueur de la réforme en octobre 1975, moment de l’arrivée au niveau bac + 3 de la première génération d’étudiants concernés par les Deug137) n’est pas du tout respecté. En avril 1974, Michel Alliot, qui a remplacé René Rémond à la tête de la commission Pédagogie et formation permanente de la CPU, s’étonne de ce qu’aucun nouveau projet de texte relatif aux deuxièmes cycles n’ait été rédigé138.
Les diplômes de troisième cycle
94Sur les diplômes du deuxième cycle, Rémond a été le héraut de l’innovation contre les conservatismes. Cela est d’ailleurs en cohérence avec ses prises de position précédentes relatives aux diplômes. Paradoxalement, il adopte une position beaucoup plus conservatrice sur la réforme du troisième cycle, sanctionné par deux grands diplômes nationaux : le doctorat de troisième cycle et le doctorat d’État.
- 139 Décret no 54-770 du 20 juillet 1954, publié au JORF du 29 juillet 1958, p. 7208-7209.
- 140 Décret du 19 avril 1958, publié au JORF du 26 avril 1958, p. 4061.
- 141 Décret no 63-618 du 26 juin 196, publié au JORF du 30 juin 1958, p. 5813.
95Le doctorat de troisième cycle, appelé aussi doctorat de spécialité, a été créé en 1954 en sciences139, en 1958 en lettres140 et en 1963 en droit et en sciences économiques141. Il sanctionne une formation acquise dans la pratique de la recherche, qui passe par la soutenance d’une thèse ou d’un ensemble de travaux individuels ou collectifs généralement en deux ou trois ans.
- 142 C. Jolly, « La thèse de lettres aux xixe et xxe siècles : les principaux textes législatifs et rég (...)
96Le doctorat d’État, diplôme le plus prestigieux dans le monde universitaire, « atteste la valeur scientifique du titulaire et lui confère du pouvoir au sein de la communauté intellectuelle142 » . Il a été créé en 1808. En lettres et sciences humaines, il sanctionne la soutenance d’un travail scientifique important dont la durée doit être normalement de cinq ans et dont le volume n’est pas précisé. Il est décerné par un jury, composé de maîtres de conférences et de professeurs d’université, eux-mêmes docteurs d’État. Dans la pratique, la thèse est un « monument scientifique » auquel le candidat consacre une dizaine d’années de sa vie et qui atteint le millier de pages. En sciences et en droit, les modalités sont un peu différentes.
- 143 Ibid., p. 120-121, 143 et 145-146.
97Entre 1968 et 1971, le ministère de l’Éducation nationale a cherché, à travers la loi d’orientation et divers arrêtés, à assouplir le dispositif, supprimant notamment la nécessité de l’impression préalable de la thèse en lettres et autorisant la soutenance sur « un ensemble de travaux scientifiques originaux » pour permettre à des universitaires ayant mené des recherches valables, mais ne rentrant pas dans le cadre classique, d’obtenir le précieux diplôme, nécessaire pour devenir maître de conférences ou professeur d’université. Devant l’augmentation des candidats au titre, le ministère a aussi cherché à réglementer davantage l’accès. Le niveau exigé pour s’inscrire est passé de la licence à la maîtrise. Un fichier central des thèses a été créé pour éviter que des travaux soient entrepris en même temps sur des sujets identiques ou trop proches143.
- 144 Et également, dans la plupart des universités, au conseil scientifique de l’université, chargé d’e (...)
98Après ces réformes partielles, impulsées par le cabinet Faure, les premiers projets de réforme globale sont élaborés sous le ministère Guichard, avec deux versions différentes, l’une rédigée par l’administration, l’autre par le Cneser. Par un hasard de calendrier, ils sont transmis, pour consultation, aux conseils d’université144, sur la demande sans doute de Rémond, au moment où Joseph Fontanet arrive rue de Grenelle, en juillet 1972.
- 145 PV de la séance plénière de la CPU du 25 octobre 1972, AN, 1981010, 9.
99Concernant le doctorat de troisième cycle, les projets visent à harmoniser les filières de formation et les diplômes des différentes disciplines, en alignant les différentes réglementations propres aux anciennes facultés sur celle du doctorat de troisième cycle en sciences, qui est la plus contraignante. En effet celle-ci suppose que l’étudiant soit encadré à l’intérieur d’une équipe de recherche, ce qui nécessite des moyens humains importants145. Elle instaure par ailleurs un palier intermédiaire en fin de première année, marqué par la délivrance d’un diplôme d’études approfondies (DEA) nécessaire à l’étudiant pour poursuivre sa formation.
- 146 Voir le document « Réforme des doctorats » élaboré par l’université de Nanterre (AD 92, 1208W, 18, (...)
100Concernant le doctorat d’État, la philosophie du projet est inverse. Au lieu d’accentuer le cadrage national, elle l’assouplit considérablement, laissant une très large autonomie aux universités sur la réglementation des diplômes délivrés. Plus aucun niveau minimum de diplôme n’est exigé pour s’engager dans un doctorat. Les candidats n’ont plus besoin d’inscrire leur sujet sous la responsabilité d’un directeur de thèse. La composition du jury n’est pas précisée146.
101Le dernier volet majeur du projet de réforme consiste à créer un nouveau type de diplôme d’État de troisième cycle, préparant directement à la vie professionnelle à travers une alternance entre activité universitaire et recherche pratique en entreprise ou en administration. Ce diplôme, baptisé DESS (diplôme d’études supérieures spécialisées), se prépare en un an, à l’issue de la maîtrise.
- 147 PV de la séance du conseil d’université du 23 octobre 1972, AD 92, 1208W, 18.
- 148 PV de la séance plénière de la CPU du 25 octobre 1972, cité supra, p. 7.
102La position de Rémond par rapport aux projets n’apparaît pas lors du conseil d’université de Nanterre consacré à leur examen, le 23 octobre 1972. Bien que présent, il ne semble pas intervenir147. Elle apparaît davantage deux jours après, lorsqu’en tant que président de la commission Pédagogie et formation permanente, il propose un avis à la CPU, élaboré avec la commission permanente. Son contenu se rapproche assez substantiellement de celui de la synthèse des avis émis par les conseils d’université. Ces derniers ont plutôt approuvé le volet relatif aux diplômes de troisième cycle, jugé « sérieux et bien construit148 » , tout en pointant un certain nombre de difficultés d’application dans certaines disciplines. Ils ont plutôt rejeté, ou fortement amendé dans le sens d’une réglementation plus contraignante, le projet lié au doctorat d’État.
103Rémond propose à ses collègues un avis qui valide « l’idée qui a inspiré le projet selon laquelle le doctorat de 3e cycle doit consacrer une formation particulièrement sérieuse » tout en critiquant les modalités de sa mise en œuvre. La réglementation du doctorat de troisième cycle est jugée comme ne tenant pas assez compte des différences entre les disciplines, et, surtout, comme potentiellement dangereuse pour les lettres et les sciences humaines :
Subordonner rigoureusement les enseignements de troisième cycle à l’existence de moyens en personnels et en matériel serait, notamment pour les lettres et les sciences humaines, institutionnaliser le malthusianisme dans la formation des chercheurs, se priver de toute raison de combler à l’avenir les déficits qui demandent à l’être et compromettre gravement l’essor de disciplines et de recherches nouvelles.
104En rejetant cette modalité du projet, Rémond cherche peut-être à protéger son vivier de doctorants contre la logique du ministère qui considère que le nombre d’inscrits dans les disciplines littéraires est trop élevé par rapport aux débouchés possibles.
- 149 Rémond déclare au nom de la commission : « Les projets risquent de renforcer la centralisation par (...)
- 150 P. Fridenson, entretien avec l’auteur, 19 mars 2011.
- 151 Voir PV de la séance plénière de la CPU du 25 octobre 1972, cité supra, p. 25-26.
- 152 Voir l’article de F. Gaussen, dans Le Monde, 27 octobre 1972, p. 15.
105Concernant le doctorat d’État, René Rémond propose un rejet global du projet de réforme : « Le projet relatif au doctorat lui paraît supprimer toutes garanties tant pour les candidats que pour le sérieux du diplôme. » Il met aussi en avant le fait que les universités, pour attirer les candidats, risquent de baisser leur niveau d’exigence et de se livrer à une sorte de surenchère par le bas149. Il pointe le risque de concurrence : « L’absence de réglementation pour le doctorat d’État risque d’aboutir à une anarchie non tempérée et à une concurrence sauvage entre les individus et entre les établissements. » Il y a là quelque paradoxe si on met en lien cette attitude avec celle que Rémond développe par rapport aux seconds cycles. Nous avons vu qu’il avait fustigé ceux qui pensaient que la déréglementation nationale entraînait une dégradation des formations. Il avait au contraire montré tous les avantages d’un transfert des responsabilités aux universités. On peut, avec un peu de malice, se demander s’il n’y a pas là un réflexe de protection de la « caste » : Rémond veut bien prendre le risque de libéraliser les diplômes de premier et de deuxième cycle mais veut se prémunir de toute dévaluation du titre qui fonde sa légitimité dans le champ académique. Pour Patrick Fridenson, si René Rémond était prêt à faire beaucoup de concessions, « le doctorat d’État était une des colonnes du temple à laquelle il ne fallait pas toucher » , alors même qu’il avait fait sa propre thèse « sans joie et sans passion » : « Sur certains points, il n’avait pas dépouillé le vieil homme150. » On peut aussi essayer d’entrer avec plus de bienveillance dans les logiques de son positionnement. Il est vrai que la logique de déréglementation du projet de réforme du doctorat d’État va plus loin que celle du second cycle. Ce n’est plus seulement le contenu de la formation qui n’est pas déterminé mais aussi les modalités communes d’évaluation et d’accès, ce qui est contradictoire avec la notion de diplôme d’État. Par ailleurs, Rémond plaide pour que la capacité d’autonomie des universités se traduise par la possibilité pour ses présidents d’accorder des dérogations à la réglementation nationale. Cet avis est adopté par la CPU mais est reformulé de manière plus favorable quant à la partie concernant les diplômes de troisième cycle151. Il est ensuite rendu public152.
- 153 PV de la séance plénière de la CPU du 9 mai 1973, cité supra, p. 9.
- 154 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cité supra.
- 155 Le PhD signifie Philosophiae doctor. Dans le système anglo-saxon, c’est l’intitulé le plus courant (...)
- 156 Les graduate schools correspondent aux cycles supérieurs de l’université, délivrant maîtrises et d (...)
- 157 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cité supra.
106Le ministère prend en compte ces remarques et se remet au travail à l’automne 1972153. Le dossier est pris en charge par Jean-Claude Casanova, pour le cabinet, et par André Casadevall, directeur adjoint de Raymond-François Le Bris154, pour l’administration. Jean-Claude Casanova, qui, nous l’avons vu, est influencé dans sa réflexion par le modèle américain, souhaite s’inspirer du PhD155 et des graduate schools156. Cela implique une diminution de la durée de la thèse et le passage d’une relation bilatérale doctorant/directeur de thèse à une relation doctorant/équipe de recherche157. Rémond est consulté de manière privilégiée par Casanova, d’une part parce que, comme nous l’avons vu, il le connaît par Sciences Po, d’autre part parce que Fontanet le renvoie vers lui :
- 158 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cité supra. R.-F. Le Bris, entretien a (...)
Les trois personnages que je connaissais bien dans la conférence des présidents étaient Frézal, Rémond et Quermonne […]. Je me suis essentiellement occupé du problème des diplômes. Assez souvent sur ces questions, j’ai parlé avec Rémond, notamment de la préparation du texte sur les troisièmes cycles et les doctorats […]. Très souvent [Fontanet] me demandait : il faudrait que vous demandiez l’avis de René Rémond […]158.
107Rémond a sans doute contribué à ce que les innovations initialement prévues soient modérées pour ne pas trop bouleverser les mœurs françaises.
Épilogues
108Comme pour les textes du deuxième cycle, les nouveaux arrêtés relatifs à l’organisation du troisième cycle se font attendre. Ils sont finalement signés le 16 avril 1974 et paraissent au Journal officiel du 2 mai 1974. Les principes généraux du projet initial s’y retrouvent : création d’un diplôme de troisième cycle professionnel avec le DESS, harmonisation de la réglementation pour toutes les disciplines, renforcement de l’autonomie des universités quant à la réglementation des doctorats d’État. Néanmoins les requêtes formulées par les présidents sont prises en compte. Dans l’arrêté relatif aux doctorats de troisième cycle, les obligations d’encadrement sont assouplies par l’expression « dans les disciplines qui s’y prêtent » (article 3, alinéa 2). Dans l’arrêté relatif au doctorat d’État, des dispositions strictes ont été ajoutées. L’article 3 précise qu’il faut justifier pour l’inscription d’un diplôme français ou étranger du niveau de la maîtrise, tout en laissant à l’université le soin d’apprécier les cas individuels. L’article 5 précise les conditions nécessaires pour être directeur de recherche et l’article 6 rend obligatoire le dépôt du sujet et son inscription au fichier central des thèses. La composition du jury est laissée à l’initiative du président d’université, dans le respect de certaines règles (articles 9 et 10). Les déterminations de la taille limite de la thèse et du nombre maximum de candidats qu’un directeur peut suivre sont laissées à l’appréciation de chaque université (articles 5 et 6).
109Les textes relatifs au troisième cycle sont publiés avant que Fontanet ne quitte le ministère. Il n’en va pas de même pour ceux qui concernent le deuxième cycle. Fin mai 1974, il n’y a toujours rien. On peut supposer que les retards qui empêchent la finalisation tiennent à plusieurs facteurs. Le ministre a sans doute hésité à engager une épreuve de force sur un projet condamné par le Cneser et les syndicats. L’expérience de la réforme du premier cycle a montré ce que cela pouvait provoquer. Le ministre a sans doute aussi accordé la priorité à son projet de réforme de l’enseignement secondaire, remettant à plus tard cette question. Entre également en ligne de compte le fait que cette réforme de l’enseignement secondaire impliquait une réforme de la formation des maîtres qui conditionnait elle-même la mise en place des nouveaux seconds cycles. En effet, si la formation des maîtres se faisait dans des seconds cycles spécialisés et sélectifs, où le nombre d’étudiants était à peine supérieur au nombre de postes au concours, il fallait une réorganisation beaucoup plus profonde du reste des seconds cycles, privés de tous les étudiants se destinant à l’enseignement.
La formation des maîtres à nouveau
- 159 Le Monde, 25-26 février 1973, p. 7.
- 160 Voir A. Prost, L’École et la famille dans une société en mutation, op. cit., p. 348-349.
110Ce dossier de la formation des maîtres est repris à nouveaux frais par Joseph Fontanet qui ajourne sine die les travaux du groupe de travail mis en place par son prédécesseur. Les conclusions auxquelles il a abouti ne lui paraissent pas satisfaisantes et ne font d’ailleurs pas l’unanimité des syndicats et des organisations enseignantes159. Il choisit d’appréhender cette question dans le cadre de ce qui constitue son grand objectif à partir de sa reconduction au ministère de l’Éducation nationale en avril 1973 : l’élaboration et le vote d’une loi d’orientation réformant en profondeur l’enseignement secondaire160. Pour mener à bien cette mission, confiée par Pompidou, Fontanet élabore un ambitieux dispositif se déployant en trois temps au cours de l’année 1973 : en juillet, réalisation par l’Ifop et la Sofres de sondages afin de dresser le tableau de l’opinion sur la question ; en septembre, mise en place d’enquêtes locales plus approfondies à partir des thèmes ressortant du sondage, coordonnées par des personnalités reconnues, également chargées d’en synthétiser les résultats ; en novembre, tenue d’un grand colloque permettant de débattre, avec les principaux acteurs du monde éducatif, sur les résultats de ces enquêtes afin d’émettre des propositions. Parmi les thèmes de réflexion importants figure la question de la formation des maîtres, considérée comme l’un des principaux leviers de toute rénovation.
- 161 Le projet est examiné au cours des séances du 30 janvier, du 27 février et du 17 avril 1974 (voir (...)
111Il est normal que sur ce dossier, la CPU soit associée aux réflexions puisque d’après les termes de la loi d’orientation, ce sont les universités qui sont responsables de la formation des maîtres. Par ailleurs, comme cela a déjà été souligné, la question de la formation des maîtres a des répercussions sur toute l’organisation des deuxièmes cycles. C’est pourquoi le projet est discuté en séance plénière et au sein de la commission Pédagogie et formation permanente161. Ce n’est pas à ce titre que Rémond est impliqué dans le processus de réforme car, depuis septembre 1973, il ne s’occupe plus de cette commission désormais présidée par Michel Alliot.
Le Colloque national sur l’éducation
- 162 Sur l’utilisation des commissions consultatives en politique, voir A. Van Zanten, Les Politiques d’ (...)
- 163 Ministère de l’Éducation nationale, « Note d’information sur le colloque », 3 octobre 1973, conserv (...)
- 164 Pochette imprimée distribuée aux participants du colloque, citée supra, boîte « Colloque national s (...)
112S’il influe sur cette question, c’est parce qu’il fait partie du comité de onze personnalités162, choisies par Joseph Fontanet « en raison de leur qualité d’indépendance et d’objectivité163 », chargé d’organiser le colloque. Présidé par l’ancien commissaire général au Plan, Pierre Massé, il compte dans ses rangs des personnalités aussi prestigieuses qu’Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde, François Bloch-Lainé, à l’époque président du Crédit lyonnais, Eugène Descamps, ancien secrétaire général de la CFDT, Jacques Delors, ancien chef de service au commissariat au Plan, et Raymond Aron164. René Rémond est désigné rapporteur général de l’un des six thèmes de réflexion, intitulé « Les enseignants : mission, formation, condition ».
- 165 R. Rémond, Colloque national sur l’Éducation, t. 5, Les Enseignants : mission‚ formation et conditi (...)
113Même si le thème déborde la seule formation des enseignants (qui ne constitue qu’un des trois items), il permet néanmoins à René Rémond de retrouver ce dossier qu’il connaît bien et de procéder à son sujet à une consultation avec des moyens d’une ampleur inédite. Il dispose en effet, pour rédiger son prérapport, de plusieurs équipes d’enquêteurs, désignées au niveau local par les recteurs, pour interroger, dans douze académies, des représentants des différentes catégories de population intéressées par le thème (élèves, enseignants, parents, chefs d’entreprise… )165. C’est à partir de cette matière première abondante (plusieurs centaines d’entretiens), mais aussi à partir de ses propres réflexions et investigations, qu’il peut constituer son prérapport général.
114Dans ce document, René Rémond dit avoir fait en sorte d’offrir « le moins de prise possible au risque que [ses] vues personnelles prennent le pas sur le résumé des réponses ». Pour ce qui concerne la formation des maîtres, sous-thème qui a suscité les réponses les plus nombreuses et les plus circonstanciées, il met en exergue plusieurs tendances fortes de l’opinion sur les enjeux relatifs au recrutement, à la formation initiale et à la formation continue. Sur le recrutement, il note une certaine convergence pour demander à ce qu’il n’intervienne pas trop tôt, notamment pour les instituteurs, et permette aux candidats de vraiment s’interroger sur leurs motivations et leur équilibre psychologique. Sur la formation initiale, René Rémond fait ressortir le souhait partagé d’une initiation pratique aux conditions concrètes de l’enseignement ainsi que le désir que soient développées les capacités à travailler en équipe, à prendre des initiatives et des responsabilités, à savoir remettre ses méthodes en question. Rémond relaye aussi le souhait d’une unification de la formation des enseignants dont les universités seraient les maîtresses d’œuvre :
- 166 Ibid., p. 10.
Le désir d’une harmonisation et d’une unification partielle s’affirme avec une force impressionnante. On le souhaite pour elles-mêmes ; on le désire aussi comme un moyen de préparer le remembrement d’un corps enseignant qui souffre de son morcellement et de ses cloisonnements. Cette formation commune, beaucoup suggèrent qu’elle soit confiée aux Universités. Presque tous pensent qu’au moins un passage par l’enseignement supérieur serait bénéfique : il garantirait la qualification du point de vue de la compétence et favoriserait la rencontre des futurs enseignants. C’est à propos de la formation des enseignants du primaire que les réserves sont les plus vives sur une éventuelle transformation des structures existantes, encore que certains suggèrent que les Écoles normales deviennent des UER à dérogation, rattachées aux universités166.
115René Rémond trouve là des munitions pour consolider la position adoptée par la CPU depuis sa formation.
116Concernant la formation continue, il fait ressortir un désir assez général pour la développer sans qu’il y ait beaucoup de propositions concrètes sur son contenu et ses méthodes, si ce n’est le développement des stages en dehors du monde scolaire pour permettre l’ouverture du monde enseignant vers le reste de la société.
- 167 Voir Le Monde, 23 novembre 1973, p. 13 et Le Figaro, 24-25 novembre 1973, p. 21.
- 168 Actes du colloque national sur l’Éducation‚ Paris‚ 21-22-23 novembre 1973, Paris, La Documentation (...)
117Le colloque se tient sur trois jours, du 21 au 23 novembre 1973, à la Maison de la chimie167. Le prérapport de Rémond est étudié le deuxième jour avec environ deux cents personnes (les sept cents participants du colloque devant se répartir entre plusieurs ateliers). Après une rapide présentation par René Rémond en séance plénière, les deux cents participants se divisent à nouveau en six sous-commissions d’environ quarante personnes pour discuter des six sous-thèmes parmi lesquels trois concernent la formation des enseignants : « Recrutement des enseignants » , « Formation initiale et préparation au métier » et « Formation continue des enseignants168 » . Les sous-commissions arrivent à des conclusions assez similaires à celles dégagées dans le prérapport de Rémond.
- 169 Actes du colloque national sur l’Éducation, op. cit., p. 220.
- 170 Le Figaro, 24-25 novembre 1973, p. 21.
- 171 Jacques Delors et Pierre Piganiol font notamment part de leur amertume.
118Dans la discussion qui suit, ce sont surtout les représentants des syndicats étudiants et enseignants (UNI, Snes, Snesup…) qui s’expriment pour faire connaître les positions de leur organisation. Pourtant, Rémond, maître dans l’accouchement des consensus, réussit à entrevoir quelques points fondamentaux où « il ne serait pas très difficile, sans doute, d’arriver à formuler un accord assez général169 ». Il dégage notamment un souci commun de « rejoindre la réalité […] pour tenir compte des besoins ou énoncer des suggestions ». Parmi les six rapporteurs, Rémond est le plus optimiste, déclarant à la presse sentir chez les enseignants « une volonté latente – mais non ardente – de changement170 » alors que les autres, moins familiers du monde de l’Éducation nationale, font part d’un certain étonnement devant la violence de ses antagonismes et de ses déchirements171. Lors de la séance de clôture, Rémond plaide devant le ministre pour une formation disciplinaire de niveau élevé pour tous, dispensée à l’université, couplée à une formation pédagogique associant la théorie à la pratique (stages dans les classes, animation de groupes parascolaires), afin de vérifier les motivations et les aptitudes des futurs candidats.
119L’expérience de ce colloque a sans doute été très enrichissante pour René Rémond. Tout en confirmant un certain nombre de convictions (nécessaires homogénéisation, professionnalisation et prise en charge par l’université de la formation des enseignants), elle lui a sans aucun doute permis d’affiner et de rendre plus concrète sa vision du problème. On sent qu’il a été soucieux de se mettre à l’écoute du terrain et qu’il a pris conscience de l’ampleur des blocages et des difficultés existantes.
L’influence de Rémond
120Dans quelle mesure les conclusions formulées par Rémond dans son prérapport et au terme du colloque sont-elles prises en compte par le ministre dans son projet de réforme ?
- 172 Ministère de l’Éducation nationale‚ informations rapides, 16 janvier 1974 (conservé dans les archi (...)
121Celui-ci est dévoilé dans ses grandes orientations au Conseil des ministres du 16 janvier 1974172. Il propose une réforme d’envergure qui réorganise profondément le collège en supprimant les filières qui y coexistent (la filière I dans laquelle enseignent les certifiés et les agrégés correspond aux anciennes petites classes des lycées, la filière II dans laquelle enseignent les professeurs d’enseignement général de collège correspond aux anciens cours complémentaires, et la filière III où enseignent des instituteurs correspond aux anciennes classes de fin d’études). Les différents corps d’enseignants sont fusionnés dans un nouveau corps unique d’enseignants de collège bivalents, les certifiés et les agrégés n’enseignant plus à terme qu’au lycée. L’unification des filières va de pair avec le développement d’une pédagogie différenciée : mise en place de groupes de niveau pour certaines disciplines ; soutien aux élèves en difficulté. La réforme prévoit également une réorganisation du lycée, laissant plus de place à la pédagogie du choix, grâce à un jeu d’options plus étendu, permettant une orientation progressive. L’accès à l’enseignement supérieur n’est plus garanti automatiquement par l’obtention du baccalauréat. Il dépend des notes obtenues dans les matières reconnues comme dominantes dans le premier cycle universitaire. La « sélection » redoutée par les syndicats lors de la réforme des premiers cycles est donc introduite via ce projet de loi sur l’enseignement secondaire.
122Pour la partie qui nous intéresse spécifiquement, à savoir la formation des enseignants, le projet prévoit la création de centres de formation des maîtres du second degré. Ils seront accessibles deux ans après le baccalauréat, ce qui permettra de réduire l’encombrement des filières littéraires et scientifiques du second cycle. Les concours porteront sur un programme compatible avec celui des Deug pour éviter « toute incidence susceptible d’altérer le caractère général et pluridisciplinaire du premier cycle ». Ils se subdiviseront en deux catégories de difficulté inégale : le concours pour enseigner au collège et le concours pour enseigner au lycée. Il est précisé que les centres de formation seront créés par voie de convention avec les universités qui auront un rôle essentiel à y jouer. La formation pédagogique, fondée notamment sur l’analyse de pratiques professionnelles et les stages en responsabilité, y occupera une place importante. Le projet prévoit aussi de développer la formation continue des professeurs déjà en poste.
- 173 PV de la séance plénière de la CPU du 30 janvier 1974, AN, 19810110, 10, p. 10-11.
123On remarque que le projet repart du projet initial de Guichard sur les CFPM en intégrant une partie des vœux émis par René Rémond au nom de la CPU dans les avis rédigés en novembre 1971 et février 1972. Se retrouvent notamment l’affirmation de l’importance de l’université dans la formation des maîtres ainsi que la compatibilité entre les programmes de Deug et celui des concours d’entrée des centres. Le 30 janvier 1974, quand le projet est examiné à la CPU, Michel Alliot tient à souligner cette prise en compte de la doctrine de la CPU par le ministre173. Rémond donne également acte au ministre d’avoir écouté ce qu’il avait relayé à la fois en tant que rapporteur du colloque sur l’éducation et en tant que président de la commission Pédagogie et formation permanente :
- 174 Ibid., p. 58.
Je suis personnellement heureux, ayant été associé à ce Colloque, de retrouver, à propos de la formation des maîtres, réponse faite à deux vœux qui se sont sans doute dégagés avec le plus de consensus : l’un qui tendait à réduire l’éparpillement des corps […]. Le second, c’est le désir de voir prendre en considération, dans la formation des futurs enseignants, l’aspect […] disons expérimental, pour faire allusion à l’aspect concret et social du métier d’enseignant174.
124Dans la suite de son intervention, il relit l’avis qu’il avait rédigé en février 1972 pour montrer que la doctrine des présidents n’a pas changé et pour réaffirmer à quel point cela lui paraît important que les universités mettent en œuvre la formation des enseignants.
Derniers arbitrages
125Il serait pourtant exagéré de dire que le projet ministériel est en harmonie parfaite avec les vœux de la CPU. Un point de contentieux est notamment soulevé par Michel Alliot au sujet de la possibilité d’accéder aux centres à d’autres niveaux que bac + 2, pour permettre aux vocations tardives de s’accomplir. Le ministre sur cette question a une opinion arrêtée et pense que si l’on ménage des possibilités d’accès aux étages supérieurs, les étudiants ayant échoué à bac + 2 ne pourront faire leur deuil de leur désir d’enseignement et ne se résoudront pas à se réorienter. Un autre sujet en suspens est le contenu de la formation scientifique que doivent recevoir les étudiants reçus dans les centres de formation des maîtres du second degré. Les présidents pointent le flou du projet sur cette question et plaident pour que le niveau maîtrise soit atteint, afin de garantir l’excellence de leur formation scientifique.
- 175 PV de la séance plénière de la CPU du 27 février 1974, AN, 19810110, 10, p. 36.
- 176 C’est ce qui advient effectivement. La CPU adopte un texte qui valide les principes généraux de l’ (...)
- 177 Il met notamment en avant son expérience acquise durant le colloque pour dire que la réforme lui p (...)
- 178 Ibid., p. 36-37.
126L’avant-projet de loi, dévoilé fin février 1974, prévoit que le niveau de diplôme (licence ou maîtrise) à atteindre par les élèves des centres soit laissé à l’appréciation des établissements175. Lors de la séance de la CPU du 27 février, où le texte est débattu, Rémond, dans son intervention, essaye, tout en pesant pour que ses collègues adoptent un avis favorable176 à la réforme en en mettant en évidence tous les points positifs177, de convaincre le ministre de revenir sur ce point. Il lui fait valoir que la préparation d’un diplôme national au cours des années de formation en centre permettrait aux futurs enseignants de se confronter aux autres étudiants et éviterait ainsi la ghettoïsation. Par ailleurs, l’obtention d’une maîtrise faciliterait la réorientation de ceux qui découvriraient, en se confrontant à la réalité du terrain, qu’ils ne sont pas faits pour l’enseignement. Rémond pointe aussi la nécessité du contact avec la recherche pour former des enseignants capables de remettre leurs savoirs en question. Il soulève enfin le risque de voir les certifiés avec maîtrise demander la reconnaissance de leur qualification supplémentaire en revendiquant un échelon indiciaire différent178. Comme pour la réforme des troisièmes cycles, Rémond est donc amené à adopter une position jacobine, en faveur d’une réglementation nationale.
- 179 PV de la séance plénière de la CPU du 17 avril 1974, AN, 1981010, 10, p. 26.
- 180 J. Fontanet écrit notamment en ce sens à J. Chirac, qui vient d’être nommé Premier ministre le 28 (...)
- 181 H. Fontanet, entretien avec l’auteur, 9 janvier 2011.
127Le président de Nanterre n’est finalement pas entendu. Dans le projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale fin mars, ni sa proposition, ni celle de Michel Alliot, ne sont prises en compte179. Il n’en reste pas moins que le projet est extrêmement favorable aux universités et conforme aux souhaits des présidents. Pourtant, il ne voit jamais le jour. Pompidou meurt le 2 avril 1974. Dans la campagne présidentielle qui s’ouvre, Fontanet soutient Jacques Chaban-Delmas. Quand Giscard d’Estaing arrive au pouvoir, il décide de mettre au panier le projet de réforme malgré les démarches entreprises par Fontanet pour qu’il soit poursuivi180. Selon sa veuve, cet abandon du projet aurait constitué le plus grand regret de sa vie politique181.
Face aux manifestations de « centralisme »
128René Rémond, de par la fonction qu’il occupe à la CPU, a surtout influé sur les réformes relatives aux diplômes et aux formations. Dans ce secteur, qui constitue le cœur de la politique universitaire de la période, il défend l’autonomie, même s’il lui arrive de réclamer davantage de réglementation nationale. Cet engagement pour ce qui constitue le premier pilier de la loi d’orientation se traduit dans d’autres prises de position.
La réforme du CCU
- 182 La CCU établit aussi une liste d’aptitude à la fonction de maître-assistant (LAFMA).
- 183 J. Minot, Quinze Ans d’institutions universitaires‚ mai 1968-mai 1983, Paris, Ministère de l’Éducat (...)
129René Rémond s’exprime notamment sur la question de la réforme du Comité consultatif des universités (CCU). Créé à la Libération, cet organe est principalement chargé d’examiner tous les problèmes ayant trait à la carrière des personnels de l’enseignement supérieur. Concrètement, ses membres décident ou non de l’inscription sur la liste d’aptitude à l’enseignement supérieur des docteurs d’État182. Elle évalue donc la qualité des thèses soutenues, distinguant celles jugées dignes d’ouvrir à leur auteur les portes de l’enseignement supérieur. Pour les enseignants du supérieur en poste, elle gère l’avancement de la carrière en évaluant principalement leurs publications. Le CCU est composé d’universitaires dont la majorité est élue par leurs pairs et la minorité nommée par le ministre. L’administration n’est pas représentée dans le comité et se borne à en assurer le secrétariat183.
- 184 Le Monde,22 novembre 1972, p. 13.
130En 1969, suite à la loi d’orientation, un décret a réformé le CCU en répartissant les disciplines non plus en cinq grandes divisions correspondant aux cinq facultés mais en un grand nombre de sections susceptibles elles-mêmes de se diviser en sous-sections. Cela permet de faire face au développement de nouvelles disciplines et de prendre en compte les enseignants travaillant aux frontières entre différents domaines. Le décret permet aussi une représentation des assistants, jusqu’alors exclus, dans les sections de sciences exactes et de pharmacie, non pour les questions de carrière mais pour les questions concernant l’orientation générale des disciplines184.
- 185 Ibid.
- 186 No 72-1016, publié le 10 novembre 1972 au JORF.
131Le décret étant jugé administrativement irrégulier par le Conseil d’État en mai 1971185, la direction de l’enseignement supérieur se remet au travail et produit un arrêté signé par Fontanet le 6 novembre 1972186. Par rapport au décret de 1969, il apporte trois innovations. L’article2 prévoit que le nombre d’inscrits sur la liste d’aptitude est déterminé par le ministère en fonction des postes à pourvoir. Cela revient à transformer le CCU en jury chargé non plus de départager les thèses valables et non valables mais de classer les candidats en fonction d’un nombre de postes disponibles. L’article 5 supprime la représentation des assistants. Enfin, l’article 6 prévoit que, lors de la création d’une section nouvelle, le ministre de l’Éducation nationale puisse nommer l’ensemble de ses membres, supprimant ainsi le caractère électif de la fonction.
- 187 Selon P. Fridenson (lettre à l’auteur, 17 août2011), le texte a été rédigé « certainement sur consi (...)
- 188 Le Monde,22 novembre 1972, p. 13.
132Le texte, qui a été élaboré par l’administration sans consultation187, provoque des réactions très vives dans une bonne partie de la communauté universitaire. Le Snesup juge la réforme « inique » et organise une semaine d’action et de grèves la première semaine de décembre 1972188. Malgré cette levée de boucliers, Le Bris enjoint le ministre de rester ferme sur la réforme, en lui expliquant tous les « inconvénients » qu’il y aurait au statu quo, notamment concernant la liste d’aptitude :
- 189 Note de R.-F. Le Bris à J. Fontanet, 6 décembre 1972, AN, 19910759, 1.
Le fonctionnement actuel du CCU constitue pour les syndicats et notamment pour les plus engagés d’entre eux un moyen idéal d’extension de leur « clientèle ». En effet, les différentes sections du CCU procèdent à l’inscription des candidats sur les listes en se fondant uniquement sur les qualités scientifiques des postulants telles que les révèle la liste de leurs travaux ou publications. Tout naturellement les nouveaux inscrits interviennent alors pour demander à être nommés sur un emploi budgétaire correspondant à la qualification scientifique reconnue par le CCU […]. Cela signifie en clair que sur un total de 40 000 enseignants du Supérieur, environ près du tiers se trouvent inscrits sur des listes nationales d’aptitude sans pouvoir disposer de l’emploi budgétaire correspondant189
- 190 Il le reste jusqu’en 1977. Voir sa notice individuelle dans Who’s who… ‚ op. cit.
- 191 PV de la séance plénière de la CPU du 10 janvier 1973, cité supra, p. 13.
133René Rémond, qui est membre du CCU depuis 1970190, se montre très opposé à la réforme qui lui apparaît contradictoire avec l’autonomie des universités de par la procédure adoptée pour réformer : l’administration n’a pas consulté les universités pour écrire l’arrêté et s’est ainsi privée d’avis qui auraient évité certaines erreurs ou permis certaines améliorations191. Il pointe notamment le fait qu’il aurait fallu, à l’occasion de cette réforme, modifier les critères de promotion des enseignants pour ne plus les faire reposer uniquement sur leur production scientifique mais prendre aussi en compte leur investissement dans l’université.
134La réforme entre aussi en contradiction avec le principe d’autonomie par son contenu, non seulement parce qu’elle permet au ministre de nommer tous les membres de certaines sections mais aussi parce que, par le système de la liste d’aptitude courte, elle transfère le pouvoir de sélectionner le personnel enseignant des universités vers le CCU. Néanmoins, sur ce point, René Rémond ne semble pas forcément hostile à une liste courte. Il semble considérer que la trop grande autonomie du recrutement par les universités ne favorise pas forcément sa qualité. En témoignent ces propos tenus devant la CPU :
Les Présidents tiennent à l’existence d’un organe qui soit l’expression libre des enseignants, son rôle est capital pour l’homogénéité, l’harmonisation, pour éviter tous les inconvénients du particularisme du recrutement local. Du bon fonctionnement du CCU dépend l’épanouissement des établissements universitaires.
135Comme pour les troisièmes cycles et pour la réforme de la formation des maîtres, on retrouve ici les limites de l’adhésion de René Rémond au principe d’autonomie. En effet, selon ce principe, des établissements véritablement autonomes auraient tout intérêt à recruter de bons enseignants et seraient plus à même de sélectionner les candidats adéquats qu’un organisme centralisé. René Rémond semble tenir davantage au respect de l’autonomie dans les procédures d’élaboration des projets que dans leur contenu.
- 192 PV de la séance du conseil d’université du 14 décembre 1972, AD 92, 1208W, 18.
136Quoi qu’il en soit, Rémond ne se contente pas de manifester ses réticences à la CPU. À Nanterre, il s’associe à une motion adoptée à l’unanimité par le conseil d’université réuni en formation restreinte (sans les étudiants) qui rejette l’arrêté. Il va plus loin et décide de la faire diffuser à tous les enseignants de l’université : « Il appartient à l’Université, explique-t-il, d’insister sur ce qui risque de mettre en cause son fonctionnement même et son autonomie192. »
Les pesanteurs administratives
137La réforme du CCU illustre le maintien ou le retour de réflexes jacobins de la part de l’administration centrale du ministère. Cette attitude semble s’accentuer dans les mois qui suivent la difficile réforme du Deug.
- 193 PV de la séance privée de la CPU du 17 octobre 1973, AN, 19810110, 9.
- 194 Il s’agit des présidents Dominique Taddeï (Amiens), Max-Alain Chevallier (Strasbourg II) et Jacque (...)
138En témoignent les plaintes qui s’expriment à la CPU : « L’administration centrale fait preuve d’un centralisme excessif à l’égard des universités » , peut-on lire dans le compte rendu d’une séance privée d’octobre 1973. On déplore « le temps que les présidents doivent consacrer à régler des questions mineures auprès des bureaux »193. Les présidents semblent avoir l’impression que le poids de leur charge n’est pas pris en compte par la direction des enseignements supérieurs : « Il serait souhaitable que l’on ait une meilleure compréhension du caractère écrasant de la charge de la présidence » , dit l’un d’entre eux. Désabusés, les présidents de Strasbourg II, Amiens et Tours annoncent leur démission194.
139Par rapport aux tentations jacobines de l’administration, René Rémond apparaît très vigilant, avant même le tournant d’avril 1973. En février 1973, il avait relayé la mauvaise humeur des présidents sur les délais tardifs de publication des arrêtés du Deug. À cette occasion, il s’était livré à une critique du fonctionnement de l’administration centrale qui, par sa gestion à trop court terme du calendrier, ruinait le principe d’autonomie :
- 195 PV de la séance plénière de la CPU du 27 février 1973, cité supra.
Il conçoit fort bien que, lorsqu’on n’a pas la pratique quotidienne de la responsabilité d’une Université, on sous-estime les délais nécessaires pour faire aboutir à une décision. Mais ces délais ne sont pas compressibles car les Présidents doivent convaincre, informer, au besoin rallier leurs collègues […]. Il est indispensable qu’ils disposent d’un délai suffisant pour étudier les textes, en découvrir les implications (ce qu’ils ne font jamais à la première ni même à la seconde lecture). Il faut avoir le temps de dissiper les malentendus. Or les délais impartis ne permettent pas de mener à bien cette opération psychologique et pédagogique […]. De deux choses l’une, ou bien l’on vide les instances responsables des attributions que leur a confiées la loi d’orientation, ou bien on entend que la loi soit respectée et on ne peut alors imposer des délais aussi courts. M. Rémond souhaite que l’Administration centrale prenne conscience de ce que représentent les délais minima, pour que puissent fonctionner les instances de manière utile195.
140En septembre 1973 il avait protesté contre la volonté de l’administration centrale de prendre en main la consultation relative aux deuxièmes cycles, considérant que la CPU était court-circuitée. On sent poindre chez Rémond, une certaine forme d’agacement devant la facilité avec laquelle Raymond-François Le Bris semble s’être coulé dans les habits de directeur d’administration centrale.
Le fait du prince
141Cette recentralisation n’est pas l’apanage de l’administration centrale. Le ministre lui-même participe à cette dynamique, notamment à propos de la gestion des velléités de scission dans les universités de Lyon II, d’Aix-Marseille I et d’Aix-Marseille II.
La scission d’Aix-Marseille et de Lyon
- 196 Note d’A. Casadevall, 19 juin 1972, AN, 19870193, 9.
- 197 Le Monde, 10 juillet 1973, p. 9. Les tensions résultent en partie d’une stratégie des milieux unive (...)
142À Lyon II, université juridico-littéraire, la revendication sécessionniste remonte aux origines. Devant les mécontentements liés au regroupement des UER, le décret de constitution prévoyait la création ultérieure d’une, puis de deux nouvelles universités196. Quand les juristes demandent à partir fonder une nouvelle université, le principe en est accepté par le conseil d’université de Lyon II. Une majorité y voit un moyen pour mettre un terme aux tensions internes très vives qui paralysent la vie de l’établissement et considère que le nombre d’étudiants est de toute façon trop élevé197.
- 198 Voir Le Monde, 10 juillet 1973, p. 9, 17 juillet 1973, p. 6, et 29-30 juillet 1973, p. 5.
143À Marseille, la situation est différente en cela que la création d’une troisième université n’a pas été prévue lors de la constitution des deux existantes. La personne à l’origine de la scission est un professeur de droit, Charles Debbasch. Directeur de l’UER de droit et de sciences politiques d’Aix-Marseille II, c’est un membre actif du Syndicat autonome. En opposition avec l’orientation politique de gauche de l’université, considérant que ses étudiants ne peuvent pas travailler sérieusement dans un cadre « sale » et perturbé par les grèves, Debbasch développe une stratégie sécessionniste en refusant de participer aux conseils et d’appliquer les décisions de l’université. Pour se séparer des autres UER, il monte le projet de constituer une troisième université, en regroupant les juristes et certains enseignants scientifiques d’Aix-Marseille I (université de Provence), également en décalage avec l’orientation dominante de leur université. Contrairement à Lyon, le projet suscite la très vive opposition des instances des deux universités. Elles considèrent que le redécoupage est lié à des rancœurs individuelles et qu’il met gravement en danger le potentiel humain et scientifique des deux établissements198.
- 199 PV de la séance plénière de la CPU du 4 juillet 1973, AN, 1981010, 9, p. 11.
- 200 Le Monde, 28 juillet 1973, p. 8.
144En juin 1973, le ministère, qui avait jusqu’alors refusé tout redécoupage, accède aux demandes et agit rapidement, sans consultation. Les présidents d’Aix-Marseille I et II et de Lyon II ne sont pas reçus par le ministre pour être informés des projets. La CPU n’est pas saisie de la question mais son premier vice-président, Jean Frézal, fait quand même savoir au ministre son inquiétude et son étonnement199. Lors de la séance du 4 juillet 1973, Michel Alliot (Paris VII) et Fernand Borel (Aix-Marseille I) mettent en garde solennellement le ministre pour lui dire que sa décision risque d’encourager les forces centrifuges : « S’il est payant de se mettre en état de sécession et d’attendre un an ou deux que cela explose, je ne vois pas comment vous pourrez garantir que cela ne se reproduira pas » , déclare ce dernier au ministre qui se contente de le rassurer en disant que les deux cas sont exceptionnels et ne créeront pas de précédent. Persévérant dans son projet, il réunit le Cneser en plein mois de juillet, dans des conditions jugées contestables. Avec le renfort des personnalités extérieures venues pour l’occasion et le vote unanime des représentants du Syndicat autonome, le projet du ministre est validé. Par un décret publié dans le Journal officiel le 27 juillet 1973, Aix-Marseille III et Lyon III voient le jour200.
145La procédure utilisée par le ministre semble marquer le retour à des pratiques autoritaires. À Aix-Marseille, il a imposé une solution qui bafoue l’autonomie des deux universités concernées, imposant arbitrairement une solution réclamée par une minorité qui fait partie de la clientèle politique du pouvoir pompidolien (enseignants du Syndicat autonome et de l’UNI notamment). Dans cette affaire, la décision publique ne résulte pas de la consultation du monde universitaire, ni même de la recherche de l’intérêt général mais du « fait du prince » qui, passant outre les instances représentatives, impose une solution partiale :
- 201 Maurice Duverger, « La grande joie des bien-pensants », art. cité, p. 5.
Les controverses publiques, à propos du cas aixois, révèlent au grand jour ce que les initiés savaient depuis longtemps, note Maurice Duverger : qu’on va démanteler une université plutôt orientée à gauche au profit d’une nouvelle université plutôt tournée vers la droite. À Lyon aussi, l’opération comble les vœux des gens situés du bon côté201.
- 202 PV de la séance privée de la CPU du 19 septembre 1973, cité supra.
146Ces décisions font planer une menace sur l’autonomie des universités. Si le gouvernement, qui détient les moyens financiers et matériels, avantage les tendances qui lui sont favorables, les structures représentatives n’ont plus d’utilité ni de poids. S’il s’ingère dans les affaires internes des établissements pour satisfaire des factions, le pouvoir des présidents n’est plus que formel. Ces derniers sont conscients du danger et, en septembre 1973, ils se plaignent d’être court-circuités par le ministère « au profit d’organes particularistes et corporatistes202 » .
Les motifs d’une décision
147L’attitude de Fontanet est paradoxale. Devant les présidents réunis en septembre 1973, il vante l’intérêt de leur conférence pour éclairer le ministère dans ses décisions, alors que leurs remarques concernant les scissions ont été balayées du revers de la main :
- 203 PV de la séance plénière de la CPU du 19 septembre 1973, cité supra, p. 3.
Il est certain que cette institution, que la loi n’avait pas prévue mais dont la nécessité est apparue à l’expérience, est une de celles sur lesquelles nous comptons le plus. Au cours d’une année fertile en événements mais aussi féconde en réalisations, elle a prouvé toute sa valeur, sa valeur représentative d’une part, mais aussi la capacité de prise de responsabilités qui était la sienne aussi bien quand il fallait nous mettre en garde contre certaines difficultés que vous ressentiez de par le contact étroit que vous avez avec vos universités que quand il fallait savoir surmonter certains obstacles pour affirmer une volonté de progrès et de réforme203.
- 204 Maurice Duverger, « La grande joie des bien-pensants », art. cité.
- 205 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cité supra.
148Comment expliquer cet écart manifeste entre le discours et les actes ? Maurice Duverger qui, en octobre 1973, consacre un article dans Le Monde aux récentes décisions ministérielles qui ont avantagé la droite universitaire, considère que le ministre et son administration n’en sont pas les initiateurs et qu’ils ont agi sous pression204. Jean-Claude Casanova, interrogé en 2010, met également hors de cause Fontanet : « Ce qui s’est passé à Lyon ou à Aix se serait passé quel que soit le ministre205. »
- 206 Descripteur de l’enregistrement de G. Léoutre réalisé par l’association Georges-Pompidou (AGP, 1 A (...)
149La pression vient tout d’abord, selon Duverger, de l’Élysée : « On a dépassé le stade des impulsions isolées pour atteindre le niveau d’une action constante, générale, insistante. Elle ne concerne pas seulement les grandes orientations, comme aux temps gaulliens, mais les détails les plus menus. » On peut établir un lien avec le changement du conseiller à l’Éducation de Pompidou en mai 1973. Jean-François Saglio a en effet été remplacé par Gilbert Léoutre. Né en 1938 en Algérie, ce dernier a intégré l’ENS en 1960, a été professeur de lycée à Orléans, puis censeur, proviseur et inspecteur d’académie206. Contrairement à son prédécesseur, Gilbert Léoutre connaît donc de l’intérieur l’Éducation nationale. Il a l’habitus du fonctionnaire d’autorité et est sans doute moins familiarisé avec le concept d’autonomie. Il est plus proche des recteurs d’académie que des présidents d’université, qu’il voit peu.
150Pour Duverger, la pression vient aussi du gouvernement et du Premier ministre. Suite à la victoire des législatives en mars 1973, ce dernier se sent raffermi et n’hésite pas à mener une politique plus conservatrice. Les décisions de Fontanet s’inscrivent donc de manière plus ou moins contrainte dans une droitisation de la politique du gouvernement de Pierre Messmer qui s’exprime dans tous les domaines.
- 207 Sur l’analyse des motivations de la scission de Lyon, voir H. Rousso (dir.), « Commission sur le r (...)
- 208 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cite supra.
151L’analyse de Duverger peut être complétée : d’autres motifs rendent compte de la politique de Fontanet concernant le problème des scissions. En premier lieu, ses relations personnelles et celles des membres de son cabinet ont joué. Selon Casanova, le ministre était très proche d’un professeur de droit démocrate-chrétien de l’université de Lyon II, Maurice-René Simonnet, qui était le fer de lance de la séparation207. Pour Aix-Marseille, Michel-Henry Fabre, qui avait été doyen de la faculté de droit d’Aix, et qui était responsable, au sein du cabinet, des établissements, aurait joué un rôle décisif208. Ces informations nuancent l’idée de pressions qui ne viendraient que de l’Élysée ou de Matignon. En second lieu, il faut avoir à l’esprit que le ministre et son cabinet sont inondés de courriers, émanant la plupart du temps du Syndicat autonome ou de l’UNI, qui dénoncent la situation de désordre dans laquelle se trouveraient les universités. Le flot est particulièrement abondant au moment de la grève des Deug. Citons à titre d’exemple la lettre de François Bluche, professeur d’histoire moderne à Nanterre, secrétaire de la section Nanterre-lettres du Syndicat autonome :
- 209 Lettre de F. Bluche à J. Fontanet, 27 avril 1973, AN, 19870193, 9, dossier « Ordre dans les univer (...)
Monsieur le Ministre, je prends la liberté de m’adresser à vous personnellement et de vous adresser ci-inclus copie de deux lettres, envoyées l’une et l’autre à M. le Président de l’Université de Nanterre. Elles vous montreront combien les libertés fondamentales du citoyen – et en particulier la liberté du travail – sont actuellement peu respectées dans l’enseignement supérieur209.
- 210 AN, 19870193, 9, dossier « Ordre dans les universités » , cité supra.
- 211 Fabre rédige à ce propos une note à Fontanet, le 7 mai 1973, pour lui suggérer de rappeler aux prés (...)
152À l’université Paul-Valéry de Montpellier, le Syndicat autonome photocopie une lettre type à adresser au ministère à chaque fois qu’un cours ne peut avoir lieu210. Tous ces courriers ont pu donner au cabinet une image anarchique des universités ayant une composante littéraire ou scientifique et légitimer les demandes de sécession des juristes ou des médecins211.
153En dernier lieu, il semble que le fait de prendre des décisions favorables à la droite universitaire révèle, à la fois rue de Grenelle et à l’Élysée, la crainte d’une montée en puissance du Parti communiste à l’université. Cette peur, relayée par le Syndicat autonome, est attestée par ce document anonyme, envoyé par Jean-Claude Casanova à René Rémond au cours de l’été 1973, à son domicile :
- 212 Document confidentiel intitulé « L’influence communiste et gauchiste au sein des Conseils d’univers (...)
Depuis la mise en œuvre de la loi d’orientation du 12 novembre 1968, le Parti communiste n’a cessé de tenter d’élargir son audience et d’accroître son influence au sein des UER et des Universités par l’intermédiaire des mouvements qui lui sont inféodés comme le SNESup et l’UNEF-Renouveau. De nombreux conseils d’université sont aujourd’hui contrôlés ou animés par des personnes dévouées à sa cause. En outre, quelques conseils d’université sont directement influencés par des enseignants ou étudiants de gauche, marxisants mais proches du gauchisme […]. La liste exacte de ces divers Conseils est difficile à déterminer du fait du caractère fragmentaire des informations ; cependant, nous avons tenté d’en dresser un bilan approximatif bien que non exhaustif […]. Paris X est susceptible, comme indiqué précédemment, de poser de sérieux problèmes dans un proche avenir, en cas de retrait de son président actuel René Rémond qui est parvenu à réaliser une coexistence stable entre les éléments procommunistes et libéraux. Parmi les communistes en mesure de briguer la présidence, figurent MM. Dubois et Mandrou, tous deux membres du SNESup212.
- 213 Mot non daté envoyé par J.-C. Casanova à R. Rémond, BnF, Manuscrits, NAF 28390, boîte 5, dossier 6
154Le petit mot qu’écrit J.-C. Casanova montre qu’il n’est pas en accord avec la teneur du document mais que celui-ci a reçu de l’écho au ministère : « Voilà le genre de documents qui circulent et (hélas) influencent213. » Dans une lettre suivante, du 16 août, il dépeint ainsi l’ambiance qui règne rue de Grenelle : « Ce qui est grave, ce ne sont pas tellement les pressions mais le manque d’information et d’intelligence politique qui dominent : de même dans la note [sur l’influence communiste et gauchiste] que vous critiquez. L’ennuyeux est que je n’en sais pas l’origine. Le directeur de cabinet me l’a passée à titre confidentiel. » De la réponse de Rémond, nous n’avons retrouvé que le brouillon mais il suffit à constater qu’il ne partage pas, pour Nanterre, le diagnostic et le pronostic des auteurs de la note confidentielle : « [Les] f[ai]ts cités ne sont pas faux mais erreur : raisonner comme si représentation étudiante était seule/ leur absentéisme/ ne tient aucun compte de personnalité des présidents, leurs pouvoirs […]/ comme si le Conseil de l’U. était le seul lieu de décision. »
- 214 R. Soubie, né en 1940, a été précédemment conseiller technique de J. Fontanet au ministère du Trav (...)
155Cette peur d’un basculement politique des universités pourrait expliquer le retour d’une politique centralisatrice et autoritaire, qui semble avoir été également envisagée dans le domaine électoral. Vers la toute fin du ministère Fontanet, une réforme des modalités d’élection des conseils d’université paraît avoir été à l’étude. En mars 1974, Raymond Soubie, alors chargé de mission auprès de Joseph Fontanet214, fait demander confidentiellement à Raymond-François Le Bris quel aurait été l’impact d’une réforme conditionnant le nombre d’élus étudiants à une participation électorale supérieure à 60 %. Sa demande d’information porte sur trois points :
- Quel nombre de postes aurait été attribué globalement aux étudiants ?
- Quel nombre de postes aurait été attribué globalement à l’UNEF ?
- Si possible le nombre des Conseils d’université dont la composition politique aurait été modifiée215
156Le Bris lui répond deux mois plus tard, le 22 mai. Il se base sur l’évolution des répartitions des sièges dans les universités de Dijon et de Perpignan qui, entre l’année 1971 et l’année 1972, ont modifié les règles d’élection au conseil d’université :
- 216 R.-F. Le Bris, « Note à l’attention de Monsieur Fabre » , 22 mai 1974, AN, 1980304, 20, p. 3.
Par une extrapolation des résultats obtenus à Dijon et à Perpignan, l’on serait conduit à penser que :
a/ le quart ou un peu moins du quart des étudiants en moyenne aurait voté. Les étudiants auraient perdu 40 % des sièges qui leur ont été attribués (55 % au lieu des 93 % de sièges pourvus) et n’auraient que 720 sièges environ au lieu de 1 247 sièges (soit en moins 500 sièges) [à l’échelle nationale] ;
b/ pour sa part l’UNEF, suivant la même méthode d’évaluation, aurait forcément subi une diminution du nombre de sièges qui lui sont attribué. C’est ainsi qu’à Dijon, l’UNEF a obtenu en 1970-1971 (suffrage indirect) 30,4 % des sièges du C.U. [Conseil d’université], en 1972-1973 (suffrage direct) elle a obtenu 20 % des sièges du CU […]216.
- 217 Ibid., p. 4.
Sur la modification de la composition politique des conseils, Le Bris se montre prudent, considérant que toute prospective est « très difficile217 » .
La réaction de René Rémond
157René Rémond essaye de résister à ce tournant centralisateur, en particulier au sujet des découpages d’université. Il est absent lors de la séance de la CPU qui aborde cette question, le 4 juillet 1973. On ne peut donc pas savoir comment il intervient sur la question à cette date mais il ne fait pas de doute qu’il est hostile à la mesure, comme il l’explique clairement dans l’entretien accordé à l’INRP en 2000 :
- 218 R. Rémond, entretien avec D. Bernard et F. Lépagnot-Leca, cité supra.
Il s’agissait de permettre à des enseignants qui n’avaient pas envie d’être ensemble de se séparer. Cela me paraissait aller à l’encontre de l’idée d’une université parce qu’en fait ces partitions ont toutes obéi à des considérations politiques et non pas scientifiques […]. Si on s’engageait dans cette voie-là, on allait multiplier les universités. Il y en avait déjà plutôt trop. Il aurait fallu plutôt les regrouper. Si on faisait des opérations, il fallait le faire avec des préoccupations qui étaient scientifiques et non pas uniquement pour permettre aux juristes du Syndicat autonome de ne pas être avec les géographes qui étaient du SNESup. C’était ça ! C’étaient les seules considérations qui les motivaient ! Le rôle de la puissance publique était de leur imposer de vivre ensemble [René Rémond commence à s’enflammer]. Si vous permettez dans une commune que les gens créent une nouvelle commune à partir du moment où ils ne veulent pas vivre ensemble, vous auriez cent mille communes françaises218 !
- 219 Les pièces du dossier sont conservées dans : AN, 19870193, 33.
158Son opposition est liée à des considérations d’efficacité et de cohérence scientifique, à son attachement au principe d’autonomie mais aussi aux risques de sécession que cela fait courir à sa propre université. De fait, dès la rentrée 1973, René Rémond se retrouve confronté à des tentatives de dissidence de la part de juristes, emmenés par Dominique Carreau, suite à un conflit entre le conseil d’université et le conseil d’UER quant à la définition des maquettes du Deug en droit219. Le 18 octobre 1973, le conseil d’UER « mandate son directeur pour entreprendre toutes démarches utiles afin que l’UER de Sciences juridiques obtienne aussitôt que possible un statut garantissant l’autonomie pédagogique et administrative lui permettant de remplir convenablement sa mission traditionnelle » . Dominique Carreau écrit cinq jours plus tard, le 23 octobre 1973, à Michel-Henry Fabre pour lui relayer cette demande d’émancipation.
- 220 G. Léoutre, entretien avec l’auteur, 5 février 2011.
159Sur ce dossier, il est donc urgent pour Rémond d’agir, alors que sa marge de manœuvre est plus limitée depuis le changement du conseiller à l’éducation de Pompidou. Autant ses relations avec Saglio étaient développées, autant celles avec Léoutre sont très ténues220. Sa principale initiative va consister à s’adresser au ministre, lors de la séance d’octobre 1973 de la CPU, pour lui faire entendre le point de vue des présidents. Il a sans doute été choisi pour relayer les craintes et les mécontentements exprimés en séance privée, en raison de sa proximité connue avec Fontanet.
- 221 PV de la séance plénière de la CPU du 17 octobre 1973, cité supra.
160Rémond commence par placer son intervention sous le signe d’une proximité qui autorise à se parler en vérité et à ne pas taire les contentieux : « Nous avons été unanimes à penser que nous devions à la confiance que vous nous faites et à la franchise que nous vous devons et qui est la règle de nos rapports de vous faire part de ces préoccupations221 ». Évitant d’accuser des personnes précises, ou de donner l’impression d’être en possession de la vérité, il diagnostique un réveil des particularismes qu’il explique notamment par la réforme des Deug. Celle-ci, obligeant la mise en œuvre réelle de la pluridisciplinarité, provoque des crispations disciplinaires ou facultaires. L’explication est habile en cela qu’elle fait comprendre au ministre qu’en favorisant les UER sécessionnistes, il risque de mettre à bas sa réforme des Deug qui repose sur la pluridisciplinarité. Vient le temps de la demande, formulée avec beaucoup de déférence :
Ce que nous vous demandons avec instance et respectueusement, Monsieur le Ministre, c’est que rien ne soit fait pour ôter de la crédibilité aux chances de développement des institutions universitaires et pluridisciplinaires.
161Il finit par lire le projet d’avis élaboré le matin en séance plénière. Gage des relations de confiance qu’il veut avoir avec le ministre, il renonce à faire pression sur lui, via l’opinion publique, en décidant de ne pas le rendre public :
À la commission permanente, nos collègues avaient souhaité que Jean-Louis Quermonne et moi rédigions un texte. Nous avons donc commis un texte qui ne pourrait avoir qu’une valeur indicative […] et d’ailleurs, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne procédure ; il paraît plus important de le porter à votre connaissance.
162Reprenant les doléances exprimées par Rémond, elle invite le ministre à repousser toute perspective de changement de la structure des établissements.
163Joseph Fontanet réagit positivement aux conseils que vient de formuler Rémond, disant qu’il est tout à fait d’accord pour le recevoir, avec ses collègues, quand il le souhaitera, pour s’entretenir plus précisément du problème. Il assure les présidents de ce que « d’ores et déjà, [il a] écouté avec la plus grande attention ce que M. Rémond vient de dire en [leur] nom ». Il poursuit son allocution en disant que leur initiative de s’ouvrir de leurs inquiétudes, loin de l’avoir irrité, l’a satisfait : « J’apprécie d’ailleurs cette démarche de votre part et M. Rémond l’a placée sous le signe d’une franchise et, si j’ose le dire, d’une confiance réciproques. Je crois que c’est bien ainsi qu’il faut que nous continuions de travailler. »
164Suite à cette séance, Rémond s’est donc sans doute rendu, avec d’autres présidents, rue de Grenelle, pour exposer à Fontanet les craintes de la CPU concernant les éventuels remodelages universitaires et, sur un plan plus personnel, ses propres difficultés à Nanterre. L’initiative de Rémond est couronnée de succès puisque Fontanet écrit à Michel-Henry Fabre pour lui demander de bloquer les tentatives sécessionnistes à Nanterre et dans toute autre université :
- 222 Lettre de J. Fontanet à M.-H. Fabre, datée du 25 octobre 1973 AN, 19870193, 33.
M. René Rémond m’a fait part des difficultés qu’il a dans son université, à la suite des pressions exercées par certains professeurs de droit, pour faire sécession. Il demande que rien ne soit fait pour encourager ces candidats à la dissidence et, en particulier, qu’ils ne soient reçus ni par les recteurs-chanceliers, ni au Cabinet. J’en suis tout à fait d’accord. J’ai, en effet, pris une position très catégorique au sujet de telles velléités, parce que nous avons considéré que, s’il fallait trancher les cas de Marseille et de Lyon, qui étaient anciens, aucun nouveau dossier ne devait être ouvert. Je vous demande de veiller à ce que rien ne laisse accréditer une modification de cette position à laquelle j’entends me tenir fermement et, si vous le jugez nécessaire, de prévenir notamment les membres du Cabinet, des services et du rectorat intéressés222.
165La décision prise au sommet est répercutée, conformément aux vœux du ministre, au recteur de l’académie de Paris mais aussi à Dominique Carreau, à qui Michel-Henry Fabre écrit :
- 223 Lettre de M.-H. Fabre à D. Carreau, datée du 18 octobre 1973, AN, 19870193, 33.
Monsieur le Directeur et cher collègue,
Vous venez de me faire part des graves problèmes de fonctionnement qui affectent actuellement l’Université de Paris X. Je vous remercie de cette information. Je tiens cependant à vous préciser que le Ministre, mis au courant par le président Rémond, tient à réaffirmer très fermement la position catégorique qu’il a prise naguère devant la conférence des présidents d’Université : à savoir qu’hormis les cas de Marseille et Lyon qui étaient anciens et exceptionnels, aucun dossier de redécoupage des universités ne sera ouvert.
Je vous prie de croire, Monsieur le Directeur et cher collègue, à mes sentiments cordiaux223.
- 224 M.-H. Fabre, note pour Mlle Jeambrau, 20 décembre 1973, AN, 19870193, 33.
166Les juristes de Nanterre, qui ne désarment pas et demandent au cabinet de trancher le contentieux relatif aux prérogatives respectives du conseil d’université et au conseil d’UER, se heurtent à la protection dont Rémond bénéficie auprès de Fontanet. Une note écrite par Michel-Henry Fabre en décembre 1973 pour répondre à une autre personne du cabinet l’interrogeant sur la conduite à tenir vis-à-vis des juristes nanterrois en témoigne. Après avoir expliqué que, sur le fond, les juristes n’ont pas totalement tort, Fabre conseille à sa correspondante de ne pas oublier « l’amitié personnelle du Ministre pour le président Rémond224 » .
167Dans un contexte où les relations personnelles avec les décideurs haut-placés prennent plus d’importance que les décisions des assemblées universitaires représentatives, c’est en court-circuitant les tentatives de court-circuit que Rémond parvient à maintenir l’autonomie de son université.
***
- 225 Habiba S. Cohen, Elusive Reform : The French Universities‚ 1968-1978‚ op. cit., p. 163-165.
168Dans son livre consacré aux universités françaises entre 1968 et 1979, l’universitaire américaine Habiba S. Cohen considère que l’autonomie universitaire établie par la loi Faure a été peu à peu étouffée par le gouvernement et l’administration dans les années qui suivirent sa promulgation. Pour l’expliquer, elle met en avant la culture nationale et les pesanteurs historiques. La France a vécu depuis Napoléon une expérience de très fort contrôle de l’État sur le système éducatif. Cet habitus centralisateur ferait que les ministres et leur administration ne pourraient, malgré leur idéologie autonomiste, s’empêcher d’établir dans les faits un contrôle des établissements et des initiatives225.
- 226 PV de la séance de la CPU du 13 juin 1973, cité supra., p. 11.
169L’étude précise des presque deux ans que Joseph Fontanet passe à la tête du ministère de l’Éducation nationale confirme en un sens cette conclusion tout en la nuançant. Tout d’abord, le ministère ne nous paraît pas mener une politique uniformément centralisatrice. On a plutôt l’impression que la décentralisation de la décision dans le domaine des diplômes s’accompagne d’un contrôle accru dans d’autres domaines, par exemple dans la composition et le fonctionnement du Comité consultatif des universités. Par ailleurs, les impulsions centralisatrices viennent parfois du monde universitaire lui-même, qui refuse toute perspective de désengagement de l’État, vu pour certains comme le début d’une mise en concurrence des établissements, pour d’autres comme la fin du gage de qualité des formations. Sur le dossier des diplômes, la direction des enseignements supérieurs dirigée par Le Bris est plus autonomiste que le Cneser et que les principaux syndicats universitaires. Plus généralement, le décalage entre les valeurs auxquelles se réfèrent les discours, favorables à la liberté et à la responsabilité des universités, et les actes concrets semble partagé par tous les acteurs du système universitaire : le président de la République bien sûr, mais aussi les universitaires eux-mêmes. René Rémond ne fait pas exception. On le surprend à plaider pour que l’administration revienne sur son projet d’arrêté concernant les troisièmes cycles en le rendant plus contraignant afin que la qualité des thèses de doctorat ne soit pas remise en cause. En ce sens, le conflit de valeurs, mis en lumière par Rémond226, entre ceux qui pensent que l’exercice de la liberté entraîne dégradation et nivellement par le bas et ceux qui considèrent au contraire qu’elle permet d’améliorer le système, cache de secrètes connivences centralisatrices.
170Aller trop loin dans cette direction serait néanmoins un non-sens. Rémond n’est pas Vedel et son engagement n’est pas dirigé dans la même direction. Sauf exceptions, Rémond, en cela représentatif de la tendance majoritaire de la CPU, travaille au renforcement de la liberté des universités, incarnée par leurs conseils et leur président.
171Établir un bilan de son action propre apparaît fort difficile tant elle s’inscrit dans un cadre collégial, la CPU, au sein duquel le consensus est privilégié. Rémond insère ses initiatives dans un mouvement plus large, ce qui leur donne une certaine efficacité. Certes, à la fin de la période, l’autonomie pédagogique des universités n’a pas forcément beaucoup progressé. Seuls les textes des premiers et troisièmes cycles ont été publiés. S’ils accordent plus d’initiatives aux universités, ils régularisent dans les faits des pratiques qui s’étaient instaurées depuis 1968. C’est peut-être plus sur le plan des rapports entre le pouvoir central et les établissements que l’impact de l’action de Rémond est plus marqué : la procédure de consultation des universités qu’il a mise en place apparaît, à la fin de la période, incontournable pour toute réforme d’envergure. René Rémond réussit par ailleurs à limiter les pratiques d’ingérence du ministère dans la vie des universités. Sur ce point, ses liens avec Fontanet sont décisifs.
- 227 R. Rémond, J.-D. Durand et R. Ladous, Valeurs et politique… ‚ op. cit., p. 15.
172L’influence grandissante de Rémond dans le champ universitaire sur la période semble en effet tenir autant à la consolidation de sa position à la CPU (élection à la troisième vice-présidence) qu’à sa proximité de plus en plus grande avec Joseph Fontanet, qui lui propose d’ailleurs de devenir directeur des enseignements supérieurs227. Du développement de cette affinité personnelle avec le ministre, on trouve une trace dans les lettres que Rémond lui envoie au moment où il quitte le ministère après la victoire de Valéry Giscard d’Estaing :
- 228 Lettre de R. Rémond à J. Fontanet, datée du 9 juin 1974, archives privées J. Fontanet.
Monsieur le Ministre,
Si je n’avais pas été retenu éloigné de France jusqu’à hier par la mission des Présidents d’université que je conduisais en Union soviétique, je n’aurais pas attendu vingt-quatre heures pour vous adresser l’expression des sentiments que m’inspire votre départ de la rue de Grenelle.
Le regret d’abord, très vif, de perdre un ministre dont tous mes collègues ont apprécié l’attention qu’il portait à leurs préoccupations, estimé le courage, admiré la volonté d’innovation. Vous me permettrez d’ajouter, à titre personnel, que votre présence à la tête de notre Ministère a été pour moi pendant deux ans un motif de confiance et une précieuse assurance.
La reconnaissance ensuite. À toutes les raisons que mes collègues ont de vous devoir des remerciements s’en adjoignent pour moi de plus personnelles pour la confiance dont vous m’avez multiplié les témoignages, en me proposant de travailler à vos côtés à la tête de la Direction générale, en m’appelant à faire partie du Comité chargé d’organiser le colloque national, en d’autres circonstances encore. Des vœux enfin. Je n’ose espérer que d’autres occasions se présenteront pour moi de collaborer à nouveau avec vous, mais je forme des vœux fervents pour que le pays puisse bientôt retrouver le concours de votre compétence, de votre dévouement, de vos qualités d’esprit et de caractère.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le ministre, l’expression de ma reconnaissance et de mon fidèle et déférent attachement228.
- 229 V. Giscard d’Estaing fait présenter un candidat républicain indépendant dans la circonscription de (...)
- 230 Carte de R. Rémond à J. Fontanet, datée du 24 décembre 1974, archives privées J. Fontanet.
- 231 Carte de R. et de J. Rémond à H. Fontanet, datée du 1er février 1980, archives privées J. Fontanet
- 232 Carte de R. Rémond à H. Fontanet, datée du 1er février [1981], archives privées J. Fontanet.
173Les relations entre les deux hommes se maintiennent malgré les changements de fonction de l’un puis de l’autre. À l’approche de l’année 1975, le président de Nanterre envoie une carte à l’ancien ministre, renvoyé à la vie civile par le nouveau locataire de l’Élysée229, en le priant d’accepter « les vœux amicalement déférents » qu’il forme avec son épouse230. En 1976, Rémond lui envoie son livre d’entretiens Vivre notre histoire. Fontanet en accuse réception avec un bristol très amical. Nous n’avons pas d’autres traces de correspondance avant l’assassinat de Joseph Fontanet, dans la rue, devant son domicile, en janvier 1980. Dans ces circonstances dramatiques, le couple Rémond assure Hélène Fontanet de sa respectueuse sympathie231. Un an plus tard, à l’occasion d’une messe anniversaire à laquelle il ne peut se rendre, René Rémond lui écrit à nouveau pour l’assurer de son union dans la prière. Il lui dit aussi que le souvenir de son époux perdure dans son esprit : « Je n’oublie pas l’amitié dont m’honorait votre mari ; je garde un très profond souvenir de nos années de collaboration232. »
- 233 R. Rémond, La Règle et le Consentement…, op. cit., p. 436.
174Ces lettres montrent la qualité de la relation entre les deux hommes, qualité qui n’empêchait pas les divergences. Rémond mentionne, tout en subtilité, en 1979, dans La Règle et le Consentement, des points sur lesquels il souhaite se démarquer du bilan de Fontanet233.
Notes
1 R. Rémond, entretien avec D. Bernard et F. Lépagnot-Leca, 20 février 2000, cité supra.
2 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010 ; R. Rémond, La Règle et le Consentement…, op. cit., p. 436.
3 H. Fontanet, entretien avec l’auteur, 9 février 2011.
4 Ibid.
5 « Notice biographique » , France-Forum, 185-186, février-mars 1981, p. 85.
6 H. Fontanet, entretien avec l’auteur, 9 février 2011, cité supra.
7 Le Monde, dimanche 3-lundi 4 février 1980, p. 6.
8 H. Fontanet, entretien avec l’auteur, 9 février 2011, cité supra.
9 R. Rémond, La Règle et le Consentement…, op. cit., p. 436.
10 Voir J. Fontanet, Le Social et le Vivant…‚ op. cit.
11 La rencontre a lieu pendant les études à HEC. Les Équipes sociales étaient un mouvement d’amitié et d’échanges entre jeunes étudiants et ouvriers animé par un universitaire catholique, Robert Garric. Selon H. Fontanet (entretien avec l’auteur, 9 février 2011, cité supra), Garric constitua une sorte de père pour son mari. Toujours selon H. Fontanet, J. Fontanet a été secrétaire de la JEC de la faculté de droit de Lyon en 1939.
12 Rapprocher J. Fontanet, propos recueillis et présentés par C. Chabanis (éd.), Dieu existe-t-il ? Oui répondent…, Paris, Fayard, 1985, p. 215-217 et R. Rémond et A. Savard, Aimé Savard interroge René Rémond…‚ op. cit.‚ p. 14.
13 J. Fontanet, cité dans dans C. Chabanis (éd.), Dieu existe-t-il ?…‚ op. cit., 1985, p. 215.
14 R. Rémond et A. Savard, Aimé Savard interroge René Rémond…‚ op. cit., p. 14.
15 J. Fontanet, cité dans C. Chabanis (éd.), Dieu existe-t-il ?…‚ op. cit., p. 230 et A. Savard et R. Rémond, Aimé Savard interroge René Rémond…‚ op. cit., p. 386.
16 J. Fontanet, cité dans C. Chabanis (éd.), Dieu existe-t-il ?…‚ op. cit., p. 224 et A. Savard et R. Rémond, Aimé Savard interroge René Rémond…‚ op. cit., p. 181.
17 J. Fontanet, cité dans C. Chabanis (éd.), Dieu existe-t-il ?…‚ op. cit., p. 222-223. Sur les réserves de René Rémond par rapport au gauchisme chrétien, voir C. Mercier, René Rémond‚ Nanterre et l’université…‚ op. cit., p. 777-798.
18 H. Fontanet, entretien avec l’auteur, 9 février 2011, cité supra.
19 R. Rémond et A. Savard, Aimé Savard interroge René Rémond…‚ op. cit., p. 84.
20 F. Crouzet, entretien avec l’auteur, mercredi 30 avril 2008. F. Crouzet situe cet épisode à l’été 1944.
21 R. Rémond et A. Savard, Aimé Savard interroge René Rémond…‚ op. cit., p. 83.
22 « Notice biographique » , art. cité, p. 85.
23 Sa création en 1957 avait pour but de renouer le dialogue avec les intellectuels séduits par le mendésisme ou par le marxisme et d’alimenter intellectuellement le MRP, même si la revue ne lui est pas organiquement liée (J. Mallet, « Libres propos » , France-Forum, 317, 1997, p. 5-6).
24 R. Rémond a tenu la liste des conférences qu’il avait données entre 1977 et 2006. On y trouve six conférences destinées à France-Forum. On peut supposer qu’il en est de même pour la période antérieure à 1977. Mallet le cité parmi les grands intellectuels qui ont participé à l’aventure de France-Forum (France-Forum, 317, 1997, p. 5).
25 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra.
26 Né en 1919, il était en poste dans le Tarn avant d’être appelé par Fontanet. Voir sa notice dans le Who’s who…‚ op. cit., 2008.
27 Fabre (1916-2007) était professeur de droit constitutionnel, ancien recteur de l’université de Madagascar et ancien doyen de la faculté de droit d’Aix-en-Provence, il reste dans le cabinet de Fontanet jusqu’à la fin. (L. Philip, « In memoriam : Michel-Henry Fabre, 29 septembre 1916- 2 mai 2007 », Revue française de droit constitutionnel, 75, 2008, p. 665-666.)
28 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010.
29 Notice Who’s who…‚ op. cit., 2008, p. 451.
30 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cité supra.
31 Ibid.
32 Ibid. La première rencontre entre Casanova et Rémond est antérieure et remonte à l’année universitaire 1956-1957, à l’époque où Casanova, inscrit au troisième cycle de la FNSP, suit le séminaire de Rémond, Touchard et Girardet.
33 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra. Né le 18 septembre 1935, Le Bris était en réalité dans la seconde moitié de sa trente-septième année.
34 Note datée du 4 avril 1972, AN, 5AG2 267.
35 R.-F. Le Bris, Les Universités à la loupe‚ op. cit., p. 84.
36 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra.
37 Lettre de R. Rémond à R.-F. Le Bris, 13 mars 1973, AD 92, 1208W, 162.
38 PV de la séance de la CPU du 20 septembre 1972, AN,1981010, 9.
39 Pour l’élection à la première vice-présidence, trois noms sortent : J. Frézal (président de Paris V), qui est vraisemblablement le nom qui a fait consensus et qui obtient 39 voix sur les 63, F. Luchaire (président de Paris I), qui obtient 17 voix et R. Rémond qui n’obtient que 2 voix. Pour la deuxième vice-présidence, c’est G. Ourisson (Strasbourg I) qui est élu avec 54 voix, pour la troisième C. Champaud (Rennes I) avec 38 voix. Les élections des vice-présidents semblent précédées de consultations internes qui permettent de faire émerger un certain consensus que le vote vient formaliser.
40 Voir notamment le PV de la séance privée de la CPU du 4 juillet 1973 et celui de la séance plénière du 19 septembre 1973 (AN, 1981010, 9).
41 PV de la séance plénière de la CPU du 19 septembre 1973, cité supra.
42 F. Gaussen, « À quoi sert le Conseil national de l’enseignement supérieur ? », Le Monde, 10-11 avril 1972.
43 La formule est utilisée par René Rémond lors de la séance de la CPU du 13 juin 1973 (PV de la séance, AN, 1981010, 9, p. 8).
44 F. Gaussen, « À quoi sert le Conseil national de l’enseignement supérieur ? », art. cité.
45 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra.
46 Le Monde, 21 mars 1972, p. 10.
47 R. Rémond, « Préface », art. cité, 1975.
48 PV de la séance de la CPU du 10 janvier 1973, AN, 19810110, 9, p. 13.
49 PV de la séance plénière de la CPU du 19 septembre 1973, AN, 1981010, 9, p. 2.
50 PV de la séance plénière de la CPU du 19 septembre 1973, cité supra, p. 6.
51 Voir notamment l’intervention de R. Rémond sur cette question lors de la séance plénière de la CPU du 19 septembre 1973, ibid., p. 26.
52 F. Gaussen, « À quoi sert le Conseil national de l’enseignement supérieur ? » , art. cité.
53 PV de la séance de la CPU du 20 septembre 1972, cité supra, 9. On notera au passage que les trois dossiers à reprendre relèvent de la commission Pédagogie et formation permanente présidée par Rémond.
54 Le Monde, 18 octobre 1972, p. 14.
55 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra. Ailleurs au cours de l’entretien, Raymond-François Le Bris déclare : « C’est moi qui ai fait la réforme du Deug, on m’a appelé d’ailleurs le père du Deug. »
56 Le dossier fourni aux intéressés comporte un projet d’arrêté général relatif au Deug, huit projets d’arrêtés particuliers et une note sur les orientations générales sur le second cycle.
57 PV de la séance de la CPU du 10 janvier 1973, cité supra.
58 G. Marty, né en 1905, décédera quelques mois plus tard, en octobre 1973. Il est professeur de droit comparé (voir « Gabriel Marty [1905-1973] », Revue internationale de droit comparé,25/4, 1973, p. 911-913).
59 PV de la réunion du Cneser du vendredi 19 janvier 1973 après-midi, AN, 19810110, 2, p. 17.
60 Ibid., p. 2.
61 Le Monde, 21-22 janvier 1973, p. 6.
62 « Rapport de M. Vedel » , 17 janvier 1973, conservé dans AN, 19810110, 2, dossier 1973.
63 PV de la séance de la CPU du 21 février 1973 et de la séance du Cneser du 19 janvier 1973 après-midi, cités supra.
64 P. Fridenson, « La politique universitaire depuis 1968 » , art. cité, p. 52.
65 Voir M. Duverger, « La grande joie des bien-pensants » , Le Monde, 7 août 1973, p. 5.
66 Le Bris s’en explique ainsi devant les présidents (PV de la séance de la CPU du 21 février 1973, cité supra).
67 Arrêté du 27 février 1973, publié au JORF du 3 mars 1973, p. 23657.
68 Le Monde, 25-26 février 1973, p. 7.
69 Le Monde, 8 mars 1973, p. 14.
70 Le Monde, 17 mars 1973, p. 40 et 23 mars 1973, p. 8.
71 À Nanterre, l’Union corporative et syndicale, qui rassemble quatre associations modérées ou de droite, a appelé les étudiants à la grève.
72 Le Monde, 18-19 mars 1973.
73 Le Monde, 20 mars 1973, p. 1.
74 Cette mesure votée à l’unanimité par l’Assemblée était destinée à rétablir l’égalité de tous les jeunes Français devant le Service national. La réforme des sursis avait aussi pour but de supprimer une mesure qui n’était plus viable dans un contexte d’accroissement de la proportion des étudiants.
75 Le Monde, 23 mars 1973. La réforme rend nécessaire l’interruption des études à bac + 2 dans la mesure où fort peu de jeunes gens ont passé leur baccalauréat assez jeunes pour achever une licence ou une maîtrise avant l’âge limite d’incorporation.
76 Le Monde, 23 mars 1973, p. 8.
77 Le Monde, 13 mars 1973, p. 19.
78 Le Monde, 22 mars 1973, p. 8.
79 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra.
80 PV de la séance de la CPU du 21 mars 1973, AN, 19810110, 9.
81 Ibid., p. 2. Pour fonder ce diagnostic, Rémond a pu s’appuyer sur le déroulement du conseil de l’université qui s’est tenu la veille. Un représentant étudiant, syndiqué à l’Unef, a annoncé que la grève allait être votée en lettres et que « la majorité des étudiants vont faire une opposition à ce sujet » (PV de la séance du conseil de l’université, 20 mars 1973, AD 92, 1208W, 19).
82 Ibid., p. 3-4. Pour ce qui est du dernier point, René Rémond a pu s’en rendre compte lors de la séance du conseil de son université la veille. Le conseil a voté une motion dont le début condamne l’attitude du ministère par rapport au Cneser : « Le Conseil de l’Université de Paris X-Nanterre, ayant pris connaissance du texte de l’arrêté concernant le DEUG : manifeste sa désapprobation devant les méthodes employées, et en particulier du peu de cas qui a été fait des avis du Cneser ; approuve la prise de position de la majorité des membres de cet organisme qui ont estimé ne pouvoir dans ces conditions poursuivre la discussion. »
83 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra.
84 PV de la séance de la CPU du 21 mars 1973, cité supra, p. 51.
85 Le Monde, 25-26 mars 1973, p. 7.
86 PV de la séance du conseil d’université du 20 mars 1973, cité supra.
87 Le Monde, 27 mars 1973, p. 11; 29 mars 1973, p. 13.
88 Le Monde, 4 avril, p. 10 et 11.
89 De cette expérience de la grève de 1973 relative à la mise en place des Deug et à la réforme des sursis militaires, confrontée à celle de la grève de 1972 sur la formation des enseignants, Rémond a rédigé un petit « bréviaire » à destination des responsables universitaires qui pourrait s’intituler « Comment mettre fin à une grève » , inséré dans La Règle et le Consentement (op. cit., p. 334-335). Il y a du Machiavel dans ces passages qui s’apparentent à un traité de gouvernement des universités.
90 Le Monde, 29 mars 1973, p. 13.
91 Ibid.
92 Le Monde, 31 mars 1973, p. 12.
93 Lettre de J. Frézal à ses collègues présidents d’université, 6 avril 1973, AN, 20080235, 17.
94 Lettre de J. Frézal à J. Fontanet, 6 avril 1973, AN, 20080235, 17.
95 PV de la séance du Conseil d’université du 6 avril 1973, AD 92, 1208W, 19, p. 11.
96 PV de la séance de la CPU du 9 mai 1973, AN, 19810110, 9, p. 3.
97 Le Monde, 5 avril 1973, p. 13.
98 Le Monde, samedi 7 avril, p. 42.
99 Ibid.; Le Monde, 10 avril 1973, p. 8.
100 Le Monde, 11 avril 1973 ; 27 avril 1973, p. 1 et 12; 3 mai 1973, p. 1.
101 Voir notamment l’intervention de M. Alliot, PV de la séance privée de la CPU du 9 mai 1973, AN, 20080235, 9.
102 Le Monde, 12 avril 1973, p. 3.
103 PV de la séance privée de la CPU du 9 mai 1973, AN, 20080235, 9, p. 3.
104 Annexe 1 au PV de la séance privée de la CPU du 9 mai 1973, cité supra.
105 Annexe 2 au PV de la séance privée de la CPU du 9 mai 1973, cité supra.
106 PV de la séance privée de la CPU du 9 mai 1973, cité supra, p. 4.
107 Pour calmer les irritations et les inquiétudes, le premier vice-président de la CPU se désolidarise également de l’exploitation qui a été faite de sa position par le gouvernement et affirme son intention de ne pas être dans le suivisme vis-à-vis du pouvoir politique (PV de la séance privée de la CPU du 9 mai 1973, cité supra, p. 2).
108 PV de la séance plénière de la CPU du 9 mai 1973, AN, 19810110, 9, p. 12-13.
109 PV de la séance du conseil d’université du 11 mai 1973, AD 92, 1098W, 20.
110 PV de la séance du conseil d’université du 21 mai 1973, AD 92, 1098W, 20, p. 4-5.
111 R. Rémond, La Règle et le Consentement…, op. cit., p. 417.
112 J.-C. Casanova le considère comme « un homme très distingué, très fin, qui a joué un grand rôle » . Avec Vedel et Rémond, il considère que c’est l’un des trois universitaires qui ont des rôles clés sur la période (J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cité supra).
113 Rémond met cet aspect en avant : « Nous sortons d’une crise et beaucoup d’entre nous ont connu des orages, et ce n’est pas terminé, mais nous ne pouvons pas mesurer quelle part ont eues, dans la résolution progressive de la crise, les consultations antérieures » (PV de la séance plénière de la CPU du 9 mai 1973, cité supra, p. 38).
114 Il faut néanmoins signaler que G. Vedel, principal rédacteur des premiers projets du Deug, le défend même en pleine crise. Voir notamment son article : « Le DEUG en question : naissance de l’Iliade » , Le Monde, 11 avril 1973, p. 1 et 13.
115 Cité par F. Gaussen, « À quoi sert le Conseil national de l’enseignement supérieur ? » , art. cité.
116 Voir l’intervention du ministre lors de la séance du 9 mai 1973 (PV de la séance, cité supra).
117 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cité supra.
118 PV de la séance plénière de la CPU du 21 février 1973, cité supra, p. 22-25.
119 Ibid., p. 25.
120 Ibid., p. 26.
121 PV de la séance plénière de la CPU du 9 mai 1973, cité supra, p. 31.
122 R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra.
123 PV de la séance plénière de la CPU du 9 mai 1973, cité supra, p. 29 et 44.
124 Le Monde, 19 mai 1973, p. 13.
125 PV de la séance plénière de la CPU du 9 mai 1973, cité supra, p. 33-34.
126 Ibid., p. 34.
127 Rapport au Cneser du doyen Vedel, 5 juin 1973, AN, 19810110, 2.
128 Le Monde, 15 juin 1973, p. 14.
129 Le Monde, 19 mai 1973, p. 13.
130 Le Monde, 15 juin 1973, p. 14.
131 PV de la séance plénière de la CPU du 13 juin 1973, cité supra., p. 9-11.
132 Le Monde, 19 mai 1973, p. 13.
133 PV de la séance plénière de la CPU du 13 juin 1973, cité supra, p. 45 et PV de la séance privée de la CPU du 19 septembre 1973, AN, 19810110, 9, p. 1.
134 Ibid., p. 1.
135 PV de la séance du conseil d’université du 27 juin 1973, AD 92, 1298 W, 20.
136 PV de la séance du conseil d’université du 29 octobre 1973, AD 92, 1298 W, 21.
137 PV de la séance plénière de la CPU du 13 juin 1973, cité supra, p. 45 et suiv.
138 PV de la séance plénière de la CPU du 17 avril 1974, AN, 19800110, 10.
139 Décret no 54-770 du 20 juillet 1954, publié au JORF du 29 juillet 1958, p. 7208-7209.
140 Décret du 19 avril 1958, publié au JORF du 26 avril 1958, p. 4061.
141 Décret no 63-618 du 26 juin 196, publié au JORF du 30 juin 1958, p. 5813.
142 C. Jolly, « La thèse de lettres aux xixe et xxe siècles : les principaux textes législatifs et réglementaires », Mélanges de la bibliothèque de la Sorbonne, 12, 1993, « Éléments pour une histoire de la thèse » , p. 114.
143 Ibid., p. 120-121, 143 et 145-146.
144 Et également, dans la plupart des universités, au conseil scientifique de l’université, chargé d’examiner toutes les questions relatives à la recherche.
145 PV de la séance plénière de la CPU du 25 octobre 1972, AN, 1981010, 9.
146 Voir le document « Réforme des doctorats » élaboré par l’université de Nanterre (AD 92, 1208W, 18, pochette de la séance du 23 octobre 1972) et PV de la séance plénière de la CPU du 25 octobre 1972, AN, 1981010, 9.
147 PV de la séance du conseil d’université du 23 octobre 1972, AD 92, 1208W, 18.
148 PV de la séance plénière de la CPU du 25 octobre 1972, cité supra, p. 7.
149 Rémond déclare au nom de la commission : « Les projets risquent de renforcer la centralisation parisienne : ils risquent de tuer les universités de province […] en y provoquant le laxisme. »
150 P. Fridenson, entretien avec l’auteur, 19 mars 2011.
151 Voir PV de la séance plénière de la CPU du 25 octobre 1972, cité supra, p. 25-26.
152 Voir l’article de F. Gaussen, dans Le Monde, 27 octobre 1972, p. 15.
153 PV de la séance plénière de la CPU du 9 mai 1973, cité supra, p. 9.
154 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cité supra.
155 Le PhD signifie Philosophiae doctor. Dans le système anglo-saxon, c’est l’intitulé le plus courant pour désigner le doctorat, quelle que soit la discipline, philosophie étant entendu comme l’étude générale des connaissances.
156 Les graduate schools correspondent aux cycles supérieurs de l’université, délivrant maîtrises et doctorats.
157 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cité supra.
158 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cité supra. R.-F. Le Bris, entretien avec l’auteur, 11 septembre 2008, cité supra, confirme que J.-C. Casanova « était très proche de René Rémond ».
159 Le Monde, 25-26 février 1973, p. 7.
160 Voir A. Prost, L’École et la famille dans une société en mutation, op. cit., p. 348-349.
161 Le projet est examiné au cours des séances du 30 janvier, du 27 février et du 17 avril 1974 (voir les PV de ces séances aux AN, 19810110, 10).
162 Sur l’utilisation des commissions consultatives en politique, voir A. Van Zanten, Les Politiques d’éducation, Paris, Puf (Que sais-je ?),2004, p. 72.
163 Ministère de l’Éducation nationale, « Note d’information sur le colloque », 3 octobre 1973, conservée à la BnF, Manuscrits, NAF 28390, boîte « Colloque national sur l’Éducation » .
164 Pochette imprimée distribuée aux participants du colloque, citée supra, boîte « Colloque national sur l’Éducation ».
165 R. Rémond, Colloque national sur l’Éducation, t. 5, Les Enseignants : mission‚ formation et condition, Paris, La Documentation française, 1973, p. 4.
166 Ibid., p. 10.
167 Voir Le Monde, 23 novembre 1973, p. 13 et Le Figaro, 24-25 novembre 1973, p. 21.
168 Actes du colloque national sur l’Éducation‚ Paris‚ 21-22-23 novembre 1973, Paris, La Documentation française, 1974, t. 2, p. 183-184.
169 Actes du colloque national sur l’Éducation, op. cit., p. 220.
170 Le Figaro, 24-25 novembre 1973, p. 21.
171 Jacques Delors et Pierre Piganiol font notamment part de leur amertume.
172 Ministère de l’Éducation nationale‚ informations rapides, 16 janvier 1974 (conservé dans les archives privées de J. Fontanet).
173 PV de la séance plénière de la CPU du 30 janvier 1974, AN, 19810110, 10, p. 10-11.
174 Ibid., p. 58.
175 PV de la séance plénière de la CPU du 27 février 1974, AN, 19810110, 10, p. 36.
176 C’est ce qui advient effectivement. La CPU adopte un texte qui valide les principes généraux de l’avant-projet tout en émettant quelques souhaits (ibid.).
177 Il met notamment en avant son expérience acquise durant le colloque pour dire que la réforme lui paraît améliorer les choses (ibid., p. 34).
178 Ibid., p. 36-37.
179 PV de la séance plénière de la CPU du 17 avril 1974, AN, 1981010, 10, p. 26.
180 J. Fontanet écrit notamment en ce sens à J. Chirac, qui vient d’être nommé Premier ministre le 28 mai 1974 (archives privées J. Fontanet).
181 H. Fontanet, entretien avec l’auteur, 9 janvier 2011.
182 La CCU établit aussi une liste d’aptitude à la fonction de maître-assistant (LAFMA).
183 J. Minot, Quinze Ans d’institutions universitaires‚ mai 1968-mai 1983, Paris, Ministère de l’Éducation nationale, 1983, p. 51-52.
184 Le Monde,22 novembre 1972, p. 13.
185 Ibid.
186 No 72-1016, publié le 10 novembre 1972 au JORF.
187 Selon P. Fridenson (lettre à l’auteur, 17 août2011), le texte a été rédigé « certainement sur consignes du cabinet du ministre et avec l’accord des dirigeants du Syndicat autonome, dont il reprend certaines idées ».
188 Le Monde,22 novembre 1972, p. 13.
189 Note de R.-F. Le Bris à J. Fontanet, 6 décembre 1972, AN, 19910759, 1.
190 Il le reste jusqu’en 1977. Voir sa notice individuelle dans Who’s who… ‚ op. cit.
191 PV de la séance plénière de la CPU du 10 janvier 1973, cité supra, p. 13.
192 PV de la séance du conseil d’université du 14 décembre 1972, AD 92, 1208W, 18.
193 PV de la séance privée de la CPU du 17 octobre 1973, AN, 19810110, 9.
194 Il s’agit des présidents Dominique Taddeï (Amiens), Max-Alain Chevallier (Strasbourg II) et Jacques Body (Tours). Voir le PV de la séance plénière de la CPU du 17 octobre 1973, cité supra.
195 PV de la séance plénière de la CPU du 27 février 1973, cité supra.
196 Note d’A. Casadevall, 19 juin 1972, AN, 19870193, 9.
197 Le Monde, 10 juillet 1973, p. 9. Les tensions résultent en partie d’une stratégie des milieux universitaires proches de l’extrême droite, dans lesquels le juriste André Decocq et l’italianisant Jacques Goudet, tous deux membres de l’UNI et du Service d’action civique (SAC), jouent un rôle important. Voir N. Mohraz, « L’UNI : un mouvement de droite en guerre contre la loi d’orientation (années 1979- 1980) », dans B. Poucet et D. Valence (dir.), Réformer l’université après Mai 68 : la loi d’orientation de l’enseignement supérieur et son application (1968-1984), Rennes, Presses universitaires de Rennes, à paraître [2015].
198 Voir Le Monde, 10 juillet 1973, p. 9, 17 juillet 1973, p. 6, et 29-30 juillet 1973, p. 5.
199 PV de la séance plénière de la CPU du 4 juillet 1973, AN, 1981010, 9, p. 11.
200 Le Monde, 28 juillet 1973, p. 8.
201 Maurice Duverger, « La grande joie des bien-pensants », art. cité, p. 5.
202 PV de la séance privée de la CPU du 19 septembre 1973, cité supra.
203 PV de la séance plénière de la CPU du 19 septembre 1973, cité supra, p. 3.
204 Maurice Duverger, « La grande joie des bien-pensants », art. cité.
205 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cité supra.
206 Descripteur de l’enregistrement de G. Léoutre réalisé par l’association Georges-Pompidou (AGP, 1 AV 887).
207 Sur l’analyse des motivations de la scission de Lyon, voir H. Rousso (dir.), « Commission sur le racisme et le négationnisme à l’université Jean-Moulin Lyon III, rapport à Monsieur le ministre de l’Éducation nationale » , septembre 2004, p. 24-26 (http://www.educpros.fr/uploads/media/16774_Rapport_HRousso, consulté le 22 septembre 2011).
208 J.-C. Casanova, entretien avec l’auteur, 28 septembre 2010, cite supra.
209 Lettre de F. Bluche à J. Fontanet, 27 avril 1973, AN, 19870193, 9, dossier « Ordre dans les universités » .
210 AN, 19870193, 9, dossier « Ordre dans les universités » , cité supra.
211 Fabre rédige à ce propos une note à Fontanet, le 7 mai 1973, pour lui suggérer de rappeler aux présidents leurs missions en termes de maintien de l’ordre (AN, 19870193, 9).
212 Document confidentiel intitulé « L’influence communiste et gauchiste au sein des Conseils d’université » , BnF, Manuscrits, NAF 28390, Boîte 5, dossier 6.
213 Mot non daté envoyé par J.-C. Casanova à R. Rémond, BnF, Manuscrits, NAF 28390, boîte 5, dossier 6.
214 R. Soubie, né en 1940, a été précédemment conseiller technique de J. Fontanet au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Population entre 1969 et 1972. Il a été le conseiller social de N. Sarkozy entre mai 2007 et novembre 2010.
215 M.-H. Fabre, « Note pour M. Le Bris, DGESUP », 14 mars 1974, AN, 1980304, 20.
216 R.-F. Le Bris, « Note à l’attention de Monsieur Fabre » , 22 mai 1974, AN, 1980304, 20, p. 3.
217 Ibid., p. 4.
218 R. Rémond, entretien avec D. Bernard et F. Lépagnot-Leca, cité supra.
219 Les pièces du dossier sont conservées dans : AN, 19870193, 33.
220 G. Léoutre, entretien avec l’auteur, 5 février 2011.
221 PV de la séance plénière de la CPU du 17 octobre 1973, cité supra.
222 Lettre de J. Fontanet à M.-H. Fabre, datée du 25 octobre 1973 AN, 19870193, 33.
223 Lettre de M.-H. Fabre à D. Carreau, datée du 18 octobre 1973, AN, 19870193, 33.
224 M.-H. Fabre, note pour Mlle Jeambrau, 20 décembre 1973, AN, 19870193, 33.
225 Habiba S. Cohen, Elusive Reform : The French Universities‚ 1968-1978‚ op. cit., p. 163-165.
226 PV de la séance de la CPU du 13 juin 1973, cité supra., p. 11.
227 R. Rémond, J.-D. Durand et R. Ladous, Valeurs et politique… ‚ op. cit., p. 15.
228 Lettre de R. Rémond à J. Fontanet, datée du 9 juin 1974, archives privées J. Fontanet.
229 V. Giscard d’Estaing fait présenter un candidat républicain indépendant dans la circonscription de J. Fontanet, à l’occasion de la législative partielle provoquée par son départ du gouvernement. Fontanet se retrouve sans aucun mandat électif (H. Fontanet, entretien avec l’auteur, 9 février 2011).
230 Carte de R. Rémond à J. Fontanet, datée du 24 décembre 1974, archives privées J. Fontanet.
231 Carte de R. et de J. Rémond à H. Fontanet, datée du 1er février 1980, archives privées J. Fontanet.
232 Carte de R. Rémond à H. Fontanet, datée du 1er février [1981], archives privées J. Fontanet.
233 R. Rémond, La Règle et le Consentement…, op. cit., p. 436.
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.