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Recherche et développement régional

 | 
Jeanine Cohen
, 
Douglas Hart
, 
James Simmie

Introduction

Texte intégral

1En ce milieu des années 1990 où les grands équilibres de l’après-seconde guerre mondiale se sont vus remettre fortement en cause et où les turbulences persistent, s'accélèrent même pour certaines, l'on s'interroge dans les deux grands pays de l'Europe de l'Ouest que sont la France et le Royaume-Uni.

2Les phénomènes d'internationalisation et de mondialisation de l'économie, l'ouverture toujours plus grande à la concurrence et notamment l'intégration européenne, avec la suppression des barrières internes à ce qui est devenu l'Union Européenne, ont contribué au déclin d'activités industrielles traditionnelles. La crise de l'emploi qui en est résultée est allée de rebondissements en approfondissements.

  • 1 Voir notamment :
    —GSP-STRATES, UP1-C.N.R.S. : P. Beckouche, L. Carroué, J. Cohen, F. Damette, et J. (...)

3En revanche, dans les années 1960 à 1980, les industries à fort contenu de recherche et de haute technologie se sont développées, au Royaume-Uni comme en France1. Cette mutation était clairement liée, elle aussi, à la mondialisation : les firmes ont pu croître et se redéployer en tirant parti des spécificités des nouveaux territoires qui s'offraient à leurs investissements, réservant les régions-capitales, de grandes régions urbaines, et parfois d'autres lieux, au travail hautement qualifié et en particulier à la fonction de recherche et de recherche-développement (R&D)

4Phénomène remarquable que cette multiplication des emplois d'ingénieurs, de cadres et de techniciens, souvent sur des espaces périurbains de grandes métropoles, notamment à proximité d'implantations universitaires. A tel point que bien des régions sous-industrialisées ou confrontées à la crise des industries traditionnelles se sont tournées résolument vers la prise en mains de leur propre développement régional et local, et vers l'attraction d'emplois des branches concernées, avec un souci de compétitivité et de qualité. Ces branches étaient l'industrie électronique professionnelle, l’industrie du matériel de transmission et audio-visuel, des machines de bureau et de l'informatique, l'industrie aéronautique, l'instrumentation, l’industrie pharmaceutique, les services...

5Mais à présent, ces branches elles-mêmes ne sont pas épargnées :

6Leur recherche bénéficiait souvent de commandes militaires de l’Etat. Or, aujourd'hui, après l'amorce d'un processus de désarmement, après l'éclatement du bloc du Pacte de Varsovie et la fin théorique des antagonismes Est-Ouest, après l'effacement des frontières internes de l'Union Européenne, et aussi à cause des économies nécessitées par l'endettement des Etats, les dépenses militaires tendent à être remises en cause, diminuées.

7Sans les protections et préférences précédentes des Etats nationaux, la confrontation des firmes à la concurrence totale et aux logiques de marché amène d'incessantes remises en cause de leurs gains et de leur place dans la compétition. Les restructurations qui s'ensuivent se soldent souvent par des fermetures d'établissements et des suppressions d'emplois, qui ne sont certes pas favorables au développement régional.

8A leur tour, les régions technopolitaines connaissent certains effets de ces logiques, qu'elles peuvent avoir à subir durement. Par ailleurs, ceci ne les empêche pas de réussir de nouvelles adaptations, notamment par le tissage de réseaux, très souvent internationaux. Dans une phase d'aiguisement de la concurrence, ces réseaux n'ont actuellement que peu de vertus de diffusion sur le reste du tissu régional. Au contraire, dans un premier temps, ils monopolisent le développement, accentuant les phénomènes d'abandon qui atteignent les autres espaces et acteurs économiques et sociaux. Mais, non seulement en permettant à ceux qui en font partie de s'approprier et de mettre en valeur la part de science et technique à laquelle ils donnent accès, mais également en étant partie prenante du processus de production de la science et de la technologie, ils peuvent, seuls le plus souvent, devenir les supports des futurs développements.

9En ce sens, la recherche et l'innovation jouent un rôle très important dans le développement économique en général, et dans le développement des territoires en particulier. Même si les territoires environnant les technopoles ne reçoivent pas encore l'innovation parce qu'elle est retenue, ou parce qu'ils ne sont pas prêts à la recevoir, ce manque ne pourra être un jour comblé que si des avancées ont pu être produites.

10La première partie de cet ouvrage s'attache à cerner la relation entre le développement économique territorialisé et la fonction de recherche. La région française où cette fonction est la plus présente est l’Ile-de-France, région-capitale de la France : une présentation du fonctionnement actuel du système francilien d’innovation est mise en regard d’une réflexion sur le développement des régions britanniques les plus éloignées de la capitale, par la décentralisation des politiques industrielles et la promotion de la recherche, au Pays de Galles, en Ecosse et en Irlande du Nord, s'inspirant de ce qui se fait depuis longtemps en Allemagne et, plus récemment, en France, dans la Région Rhône-Alpes.

11La deuxième partie examine le rôle joué jusque là par l'Etat national, ses financements militaires ou ses garanties sanitaires et sociales, dans l'accélération de la recherche. On y analyse la manière dont cette accélération a joué en faveur de quelques grandes firmes et de quelques branches de pointe, jeu qui s'est traduit par un développement inégal, d'ailleurs évolutif, des régions. On y expose la manière dont la compétition sur des marchés de plus en plus ouverts a amené des spécialisations, des restructurations, et les conséquences actuelles du déroulement de ces logiques, éventuellement retardées ou atténuées, dans le cas de la France, par l'existence d'un fort secteur public industriel, par la relance de l'aménagement du territoire et du développement local.

12Les effets de ces logiques sur les dynamiques régionales en Grande-Bretagne, et sur les dynamiques de deux technopoles françaises, Toulouse et Grenoble, sont exposés dans la troisième partie. On y évoque les progressions du grand chantier des coopérations scientifiques et techniques internationales, notamment européennes. On y montre aussi les limites d'un modèle de développement fondé avant tout sur la compétition et le profit à court terme, s'il ne peut être assorti des investissements nécessaires pour le futur et d'une réallocation judicieuse des ressources, visant à atteindre un équilibre optimal entre la reproduction de ce système de promotion de l'excellence et la réduction des inégalités sociales qu'il contribue actuellement à creuser.

13Dans la dernière partie, cette question de la contribution de la science et de la technologie à un développement régional durable est discutée sur les deux points suivants : comment les réseaux scientifiques produisent-ils, traduisent-ils et s'approprient-ils ce qui devient ensuite le contenu de la « boîte noire de la science et de la technique », comment l'organisent-ils, dans le cadre de stratégies de pouvoir ? comment des fertilisations croisées, qui demandent au contraire un cadre non hiérarchique, ouvert, coopératif, et une entente réciproque entre recherche et entreprises peuvent-elles continuer ?

  • 2 Les textes anglais ont été traduits par Jeanine Cohen (chapitres 3, 4, 6, 9) et par Florence Huber (...)

14Témoignage autant que contribution à la réflexion théorique et à la discussion, cet ouvrage a pour ambition de donner un aperçu aussi exact et riche que possible du bouillonnement intellectuel international sur la question du rôle de la recherche dans le développement régional, tel qu'il s'est traduit en Grande-Bretagne et en France dans les années 1990. A l'exception de quelques légères modifications de forme, nécessitées par la présentation sous forme d'un livre collectif, l'expression littérale des auteurs a donc été conservée2, privilégiant une diversité et une liberté d'expression qui interdisent toute interprétation réductionniste de leurs réflexions sur la relation entre recherche et développement régional.

Notes

1 Voir notamment :
—GSP-STRATES, UP1-C.N.R.S. : P. Beckouche, L. Carroué, J. Cohen, F. Damette, et J. Scheibling, 1987, La crise de l'industrie française, Etude géographique, Régions et villes, Paris, Rapport pour le C.N.R.S., ATP « Histoire industrielle de la France ».
—P. Hall, M. Breheny, R. McQuaid, D. Hart, 1987, Western Sunrise, The Genesis and Growth of Britain's Major High Tech Corridor, Londres, Allen & Unwin.
—G. Jalabert et Ch. Thouzellier, éds, 1990, Villes et technopoles, Toulouse, PUM.

2 Les textes anglais ont été traduits par Jeanine Cohen (chapitres 3, 4, 6, 9) et par Florence Hubert et Jeanine Cohen (chapitre 2).

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