Version classiqueVersion mobile

Les centres sidérurgiques des rivages de la mer du Nord et leur influence sur l’organisation de l’espace

 | 
Jacques Malézieux

Introduction. Présentation générale thématique et méthodologique

Texte intégral

LA PROBLEMATIQUE

1D'une façon générale, la présente recherche se propose d'effectuer une étude géographique de l'industrie et de son rôle sur l'organisation de l'espace à partir de l'analyse de l'établissement industriel.

2Les objectifs principaux sont l'appréhension des inter-relations complexes entre l'industrie et l'espace géographique et la connaissance des mécanismes qui régissent leurs rapports respectifs ; c'est-à-dire, avant tout, la compréhension du rôle simultané de l'espace géographique comme élément déterminant du système industriel et de l'industrie comme facteur structurant de l'espace géographique.

3Concernant la méthode, cette problématique est abordée par le traitement privilégié de l'établissement industriel. L'usine est non seulement l'unité technique de production par laquelle fondamentalement l'activité économique qu'est l'industrie se concrétise dans l'espace géographique, s'imposant ainsi par ses caractères à la fois fonctionnels et spatiaux, elle est aussi l'élément de base du système industriel. Celui-ci s'organise, en niveaux emboîtés et interdépendants, d'une part, sur le plan sectoriel, de l'établissement au secteur d'activité en passant par l'entreprise, le groupe industriel ou financier et la branche d'activité, et d'autre part, sur le plan spatial, avec des discontinuités fréquentes dans le cadre local et régional, national et international. L'usine intervient également de manière décisive dans la définition de l'espace industriel qui peut être saisi de diverses façons, particulièrement comme espace de travail, espace de production, espace de relations humaines, techniques et économiques, financières et décisionnelles. Pour ces raisons, elle est enfin l'articulation principale entre l'activité économique et l'espace géographique, par laquelle s'opèrent, à toutes les échelles, les influences réciproques les plus nombreuses et les plus riches entre l'industrie et les milieux qui l'environnent.

LE SUJET ET SA JUSTIFICATION

4Ces orientations générales, thématique et méthodologique, ont déterminé la sélection des établissements industriels sur lesquels s'est appliquée la recherche approfondie : les centres sidérurgiques qui ont été implantés sur les rivages continentaux de la Mer du Nord successivement à Ijmuiden, Brême, Dunkerque et Gand.

5Ce choix s'explique, par la convergence d'un grand nombre de facteurs qui donnent à ces usines, malgré leur spécificité, une valeur d'exemple et de symbole. Par leurs caractères particuliers, elles expriment, en les accentuant, les aspects les plus généraux de l'activité industrielle qu'il s'agisse de sa nature, de son importance, de ses structures techniques et financières, de ses conditions de création et de développement, de la signification enfin dont elle est chargée à tous les points de vue, technique, économique, social, écologique voire politique.

6Ces caractères particuliers tiennent tout d'abord à la sidérurgie elle-même. Activité située à l'amont de la chaîne technique la plus longue et la plus ramifiée, activité entretenant, comme le montrent les tableaux d'échanges inter-industriels de tous les pays développés, les relations techniques les plus nombreuses avec l'ensemble des autres branches industrielles, la sidérurgie est une industrie de base longtemps considérée comme déterminante de la puissance industrielle et de l'indépendance économique d'un pays. Suscitant le déplacement de masses considérables de matières et de produits pondéreux, la sidérurgie reste, malgré la diminution constante de son indice matériel, une industrie lourde très liée pour sa localisation et par son fonctionnement à la géographie et à l'économie des transports. La profonde modernisation des techniques de production et surtout les progrès rapides de l'automatisation n'ont que fort peu modifié la sidérurgie comme industrie de main d'oeuvre, tout en la renforçant comme industrie de capitaux : dans le prix final du produit, la part du coût social de la main d'oeuvre a augmenté, même si ses caractéristiques quantitatives et qualitatives se sont modifiées ; la part de la rémunération du capital investi s'est également renforcée, même si dans tous les domaines ont été réalisés des gains exceptionnels de productivité. Grande industrie, la sidérurgie l'est sans cesse davantage, non seulement par l'augmentation de la puissance technique, économique et financière des entreprises et des groupes qui la structurent et la dirigent, mais aussi par l'ampleur et l'intensité des implications de leur politique et de leur stratégie à l'échelle nationale et internationale. Classée industrie polluante par les multiples nuisances qu'elle peut entraîner, la sidérurgie est également considérée, à l'échelle locale et régionale, comme industrie motrice sur laquelle sont fondés bien des programmes de croissance économique et d'aménagement régional dans des espaces aussi différents que les régions de Port Talbot, de Fos, de Tarente, de Jdanov en URSS ou d'Annaba en Algérie.

7Des usines sidérurgiques littorales ont été choisies autant parce qu'elles sont la manifestation très achevée des grandes transformations qu'a connu récemment, à tous les points de vue, technique, économique et géographique, l'une des plus anciennes industries de l'histoire, que parce qu'elles sont l'expression de ce qui peut apparaître, même s'il est un peu excessif, comme l'archétype de toutes les branches industrielles.

8Comme établissements sidérurgiques, en effet, elles rassemblent au niveau de chaque équipement et au niveau de l'organisation d'ensemble des unités de production tout ce qui a contribué à la mutation technologique de la sidérurgie : ainsi occupent-elles souvent les premières places dans le palmarés mondial, qu'il s'agisse par exemple des ateliers de pelletisation de la KNHS à Ijmuiden, du haut-fourneau no 4 d'USINOR à Dunkerque, du train de laminage à larges bandes à chaud de KLÖCKNER à Brême ou encore de l'exceptionnelle intensité de la gestion informatique de l'usine SIDMAR à Gand. Sur le plan économique, elles sont à la fois le résultat et le moteur du processus de concentration financière qui n'est pas encore achevé dans cette partie de l'Europe occidentale comme le montrent la constitution récente du groupe germano-hollandais ESTEL ou la transformation du groupe luxembourgeois ARBED. Sur le plan spatial enfin, elles sont, par leur importance et surtout par leur croissance, un facteur décisif du déplacement géographique et de la modification de l'organisation spatiale de la sidérurgie de la Communauté Economique Européenne, ainsi que le prouvent les correspondances chronologiques répétées entre les décisions d'investissement sur le littoral de la Mer du Nord et celles de ralentissement, voire de cessation d'activité dans les zones d'implantation traditionnelles, comme par exemple dans les vallées de l'Escaut, de la Sambre, de la Meuse ou des affluents de la Ruhr.

9Le choix des centres sidérurgiques littoraux s'explique également par le fait que ces usines ont possédé, jusqu'à la fin de 1974, trois caractéristiques essentielles qui permettent d'espérer une appréhension commode et une appréciation satisfaisante des modalités d'interrelation entre l'activité industrielle et l'espace géographique : leur nouveauté, leur puissance et leur dynamisme. Si l'allumage du premier haut-fourneau a eu lieu à Ijmuiden en 1924, à Brême en 1959, à Dunkerque en 1963 et à Gand en 1967, c'est, pour toutes ces usines, de la fin des années 1960 au milieu des années 1970 que s'affirme brutalement leur importance. Celle-ci est évidente quels que soient les critères utilisés : espace occupé, effectif employé, production réalisée, masse et valeur des matières et des produits manipulés, investissements effectués... etc. Les indications contenues dans le tableau suivant qui concernent d'une part, l'usine la plus ancienne et la plus imposante et d'autre part, l'usine la plus récente et la plus modeste, montrent avec netteté pour l'année la plus faste avant la crise la force du fait industriel que ces usines représentent. (Tableau No 1).

10Cette force est encore soulignée par la vigueur, jusqu'en 1974, de leur rythme de développement dont la figure No 1, concernant USINOR-DUNKERQUE, donne une représentation qui a valeur d'exemple. La tendance générale est celle d'une progression exceptionnellement rapide dans une industrie d'une telle nature. Celle-ci apparaît dans la courbe "production d'acier brut" malgré son irrégularité qui exprime les influences, parfois contradictoires, parfois conjointes, des impératifs techniques, des mouvements sociaux et des fluctuations économiques. Elle apparaît également dans la courbe "effectifs" avec plus de constance et de stabilité du fait des inévitables états de sureffectif temporaire précédant le fonctionnement normal des nouveaux équipements ou accompagnant les fléchissements de l'activité.

11Pour l'essentiel, l'étude a été menée durant la période de très haute conjoncture, d'euphorie économique dont la croissance accélérée des usines est une excellente illustration. La nouveauté de la création l'actualité du développement, l'intensité du fonctionnement, même si elles présentaient l'inconvénient de ne pas permettre aux phénomènes de se décanter et de se bien hiérarchiser, ont donné la possibilité d'observer les faits dans leur spécificité à l'instant précis où ils se révélaient et ainsi de saisir les mécanismes qui les déterminaient. L'analyse la plus complète a été faite à un moment où les usines littorales atteignaient un niveau qui, pour toutes, devait être à la base d'une nouvelle et spectaculaire progression que la crise économique générale puis la crise particulière de la sidérurgie ont suspendue, sinon remise en question, pour de nombreuses années. Le renversement de tendance a été pris en compte pour l'année 1975 où l'affaiblissement est le plus sensible et pour les années suivantes en particulier dans l'examen de la signification géographique en fonction des disponibilités d'information.

12La découverte et la compréhension des mécanismes qui règlent les interférences entre l'industrie et l'espace sont facilitées et sans aucun doute améliorées par l'utilisation des comparaisons approfondies. Cependant, pour que cette méthode puisse valablement être employée il faut que la confrontation s'applique à des situations à la fois proches et différentes. Les centres sidérurgiques d'USINOR-DUNKERQUE, de SIDMAR GAND, de KNHS-IJMUIDEN et de KLÖCKNER-BREME furent précisément choisis parce qu'ils présentent de telles caractéristiques.

13Dans une optique temporelle, si toutes ces usines ont pour point commun d'avoir été conçues et d'être réalisées dans la même période historique actuelle, chacune d'entr'elles possède une chronologie de création et de développement qui lui est personnelle et qui lui donne une évidente originalité, compte tenu du rythme précipité ayant caractérisé à la fois le changement des conditions propres à la sidérurgie et l'évolution de ses environnements techniques et économiques, comme l'indiquent, par exemple, les expressions couramment utilisées de "mutation de la sidérurgie", de "révolution des transports maritimes", de "crise économique mondiale".

14Dans une optique spatiale, les comparaisons seront d'autant plus riches que les lieux où furent effectuées les implantations et les milieux où s'inscrivent les relations de fonctionnement ont à la fois de nombreuses ressemblances et de multiples différences.

15Appréciées en termes de géographie physique, les situations générales présentent beaucoup de similitudes : l'éloignement des usines s'apprécie en quelques dizaines ou en quelques centaines de kilomètres pour les points extrêmes, et le littoral sur ces faibles distances offre une grande homogénéité tant par ses caractéristiques nautiques que continentales ; partout la même côte basse et sableuse, le même sous-sol sans résistance, partout la même platitude sous les mêmes ciels très souvent mouvementés.

16Il en va également ainsi lorsque le jugement est porté en termes de géographie humaine et économique : les points et les espaces concernés appartiennent aux régions comptant parmi les plus densément peuplées, les plus intensément industrialisées et les plus fortement urbanisées d'Europe occidentale. Bordières de l'une des mers les plus actives du monde, elles sont aussi toutes fortement intégrées à la vie économique de l'intérieur de leurs pays respectifs qui se sont associés d'abord dans le cadre de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, puis dans celui de la Communauté Economique Européenne dont elles représentent des éléments qui sont parmi les plus développés, sinon toujours parmi les plus dynamiques.

17Les facteurs d'individualisation sont aussi divers et aussi importants, quelle que soit l'échelle où ils s'expriment.

18Sur le plan local, chaque unité de production industrielle a une position originale relativement au port, à l'agglomération, à la région où elles sont implantées et qui ont eux-mêmes des particularités bien affirmées. En effet les différences sont grandes, par exemple entre les ports de front de mer de Dunkerque et d'Ijmuiden, celui de Brême au fond de l'estuaire de la Weser et celui de Gand au bord de son canal maritime. Des distinctions sont également à faire entre ces villes de Brême et de Gand, anciennes, riches et puissantes, organisant de façon cohérente un vaste ensemble régional et les agglomérations de l'Ijmond et de Dunkerque, à la croissance rapide certes, mais aux structures mal établies et au pouvoir de commandement encore peu affirmé.

19La nature et le niveau de développement économique et social sont des critères intéressants de différenciation au niveau régional. Les aspects statiques et dynamiques de l'organisation spatiale où s'intégre chaque centre sidérurgique sont d'une grande diversité : le littoral allemand, à l'exception des concentrations industrielles de Brême ou de Hambourg, semble avoir été délaissé quand on le compare à la façade maritime de la Randstad Holland qui durant des décennies a accaparé l'essentiel du dynamisme néerlandais ; les problèmes de conversion économique et d'aménagement régional ne se posent pas en termes identiques dans la Région du Nord qui, malgré ses insuffisances et ses vicissitudes, a toujours compté parmi les régions les plus industrialisées de France et les provinces de Flandres belges cherchant par l'industrialisation non seulement à s'assurer une plus grande puissance économique mais aussi à affirmer une plus nette indépendance politique dans l'ensemble national.

20Les réglementations de la C.E.E. ne font qu'estomper les différences considérables à enregistrer au niveau national. Chaque Etat par ses interventions directes dans l'industrie en général voire dans la sidérurgie en particulier et surtout par ses interventions indirectes, entre autres dans les domaines très variés de l'énergie, des transports de la législation sociale ou de la protection de l'environnement, place chaque unité de production dans un cadre particulier. Chaque entreprise ou chaque groupe, industriel ou financier, contribue en outre à renforcer l'individualisation de ce cadre. L'usine de Dunkerque n'occupe pas dans la stratégie d'USINOR la même place que l'usine de Gand dans celle de SIDMAR ou dans celle du groupe sidérurgique ARBED qui la contrôle, ou encore dans celle de la Société Générale de Belgique qui les dirige comme holding financier. De même l'usine de Brême ne joue pas le même rôle dans le groupe KLOCKNER, ayant longtemps échoué dans ses tentatives visant à la prise de direction d'un regroupement majeur au sein de la sidérurgie allemande, que celui qu'est appelée à jouer l'usine d'Ijmuiden, pièce maîtresse de la Société ESTEL, une des plus importantes sociétés sidérurgiques d'Europe Occidentale provenant de la fusion entre la Société néerlandaise KNHS et la Société allemande HOESCH.

21C'est l'existence de ces très nombreux facteurs concourant à assurer à la fois la communauté et l'individualité des centres de production et des milieux d'insertion et permettant ainsi de saisir les caractères généraux et particuliers de leurs interrelations qui a fixé le choix des situations sur lesquelles s'est appliquée la recherche et a déterminé les principaux caractères de la méthode utilisée.

LES PRINCIPES METHODOLOGIQUES

22Partir des établissements industriels considérés comme unités élémentaires pour dégager les relations d'interdépendance entre l'industrie et l'espace impose de façon rigoureuse l'utilisation d'une méthode essentiellement inductive. La recherche dans la dimension micro-économique et micro-géographique des fondements et des mécanismes généraux s'exprimant dans les dimensions supérieures implique de baser la réflexion sur une analyse très précise de la réalité la plus concrète et la plus riche, sur le terrain, c'est-à-dire dans les établissements industriels et dans les milieux où s'expriment les relations multiples qu'ils déterminent. Chaque étape de l'analyse qui est développée en fonction de la complexité croissante des phénomènes et de l'extension progressive de leur aire d'expression spatiale, est effectuée en suivant un schéma issu d'une réflexion préalable dont on s'assure progressivement de la validité, et non à partir de postulats, de modèles ou de théories, d'ailleurs peu nombreux à avoir été définis à ce niveau, en géographie comme en économie de l'industrie, et ne permettant pas de ce fait une utilisation par analogie qui multiplie les risques de simplification et de systématisation abusives.

23L'étude des unités élémentaires et la volonté d'utiliser prioritairement, malgré les limites ultérieurement évoquées, l'information brute et originelle, n'ont pas rendu nécessaire le renvoi systématique à des références bibliographiques précises et ont permis d'éviter le recours aux notes infrapaginales. La bibliographie de fin de thèse rend compte de la totalité de la documentation employée, en particulier de la documentation livresque qui a davantage servi à enrichir la réflexion générale qu'à nourrir directement la démonstration.

24Le thème, le sujet et le niveau d'étude ont conduit à préférer une méthode qualitative aux méthodes quantitatives de traitement de l'information. Si ces méthodes sont très intéressantes pour dégager les correspondances et les corrélations existant entre un grand nombre de faits caractérisant des unités multiples, elles sont inadaptées pour l'étude approfondie de quelques unités complexes par lesquelles l'information est riche mais manque de cohérence en nature ou en valeur, selon les lieux et les moments.

25La mise en évidence et l'explication des mécanismes et des processus est recherchée par l'emploi d'une méthode comparative s'appliquant à tous les stades de l'analyse, c'est-à-dire à chaque critère de description, d'explication et d'appréciation de chaque élément et de chaque rapport entre plusieurs éléments. Le caractère parfois fastidieux de cette technique est heureusement atténué par ses avantages qui sont de permettre de dégager le général du particulier sans passer par la définition plus ou moins discutable de types et de respecter la spécificité des cas qui sont, la plupart du temps, seuls à poser les véritables problèmes dans les termes les plus vrais.

26De ces différentes options découle la nécessité d'employer une méthode synchronique. L'étude s'applique en effet à une situation et non pas à une évolution ; le recours à l'historique des faits n'est pas utilisé comme moyen d'investigation mais seulement comme élément d'explication. C'est que la problématique essentielle de la thèse n'est pas celle de la localisation et de ses facteurs, ni celle de la distribution et de ses inégalités, mais celle du fonctionnement de l'industrie et de ses manifestations spatiales. Le caractère heurté de l'évolution conjoncturelle, une crise profonde succédant à une croissance rapide, a fait apparaître la nécessité de nuancer ce mode d'appréhension, en particulier pour l'étude des conséquences spatiales des phénomènes industriels dont certaines peuvent être d'une grande sensibilité, parfois immédiate, parfois retardée, aux fluctuations économiques.

27Comme tous les établissements industriels, mais de façon plus complète et plus apparente, les usines sidérurgiques littorales sont des lieux où s'exécute un processus de production industrielle et des points centraux à partir desquels s'organisent de manière plus ou moins autonome les systèmes de relations complexes et variées qu'implique directement ce processus de production : convergence de flux de matières premières, de sources d'énergie, de capitaux, de main d'oeuvre, de services, d'informations et de décisions... divergence de produits, de salaires et de patentes, de pollutions et de nuisances... En elles-mêmes et par ces flux qui sont autant de vecteurs de leur influence, les usines sont des facteurs de création d'espaces industriels c'est-à-dire d'espaces dont la personnalité est dominée par l'industrie et des facteurs plus ou moins déterminants, à différentes échelles, d'organisation de l'espace en général.

28Pour juger les interdépendances entre l'espace et l'industrie, on a choisi d'analyser successivement l'expression puis la signification géographiques de l'activité industrielle.

29Dans la première partie de l'étude, les usines littorales sont caractérisées comme centres de production et centres de relations techniques et économiques, financières et décisionnelles.

30Comme centres de production, les usines littorales se définissent avant tout par leurs caractéristiques techniques, à la fois statiques et fonctionnelles, concernant leur potentiel et leur production. Dans leurs aspects généraux, ces caractéristiques sont le reflet de la logique industrielle qui en période de forte croissance est développée en vue de tirer le meilleur parti possible de l'évolution des conditions techniques et économiques de la fabrication de l'acier : une logique de la technologie qui joue ici un rôle aussi déterminant que la logique du capital à laquelle elle est d'ailleurs intimement liée. La première cherche la plus grande efficacité dans la conception et l'utilisation d'un moyen de production, la seconde cherche la plus grande rentabilité de l'investissement représenté par ce même équipement.

31Dans leurs aspects particuliers, ces caractéristiques sont le reflet des contraintes apportées à l'application de cette logique par les exigences économiques, financières et spatiales des différents systèmes dans lesquels s'inscrit chaque usine sidérurgique. L'étude de ces caractéristiques concernant soit le potentiel, principalement la localisation, la spécialisation, l'intégration, l'importance et l'équilibre des capacités, le modernisme de l'organisation... soit la production elle-même, particulièrement ses composantes, la productivité et leur évolution, permet de saisir la personnalité technique de chaque usine littorale qui est à la base des autres aspects de son individualité et surtout de son influence sur l'organisation de l'espace. Cette personnalité s'exprime, avec le plus d'intensité, dans l'espace de production que l'on peut définir comme l'espace fonctionnel s'organisant du poste de travail à l'environnement immédiat de l'usine et l'espace péjoré regroupant l'aire d'extension des pollutions et l'aire de perception des nuisances.

32L'analyse du fonctionnement conduit nécessairement, et dans un second temps, à l'étude des établissements sidérurgiques comme centres de relations complexes qu’ils suscitent et qui les influencent. Si l'on excepte les flux humains dont la nature et l'importance justifient le traitement particulier qui fait l'objet de la seconde partie de la thèse, deux ensembles de flux peuvent être distingués : les flux techniques et économiques, les flux financiers et décisionnels. Les premiers concernent principalement les intrants et les extrants matériels et forment les systèmes d'approvisionnement et de distribution des usines ; les seconds placent les usines au sein des politiques et des stratégies définies par les entreprises, les groupes industriels et financiers, les associations d'intérêts professionnels et les pouvoirs publics, au niveau local, régional, national et international. Ces différents flux constituent des systèmes et des réseaux s'inscrivant dans l'espace : leur étude permet de définir un second niveau d'organisation spatiale de l'activité industrielle, celui des espaces de relations qui se nouent à partir des centres de production. C'est à l'intérieur de ces aires de relations privilégiées que l'on pourra envisager d'appréhender l'influence des usines sur le plan économique et par là sur l'organisation de l'espace à différentes échelles.

33Dans la seconde partie de l'étude, les usines littorales sont caractérisées comme centre d'emploi et centres de relations humaines. Comme elle l'est sur le plan technique, chaque usine est dotée, sur le plan social, d'une personnalité humaine qui s'exprime dans l'espace du travail par les caractéristiques sectorielles de sa main d'oeuvre. Ces composantes sont les diverses formes que revêt la réponse du milieu humain, modulée par les politiques d'entreprise et d'établissement, aux exigences du travail sidérurgique dans ses aspects généraux et spécifiques. Elles sont appréhendées par l'étude des effectifs et de leurs variations, des différentes compositions et surtout des comportements internes et externes : l'absentéisme, les grèves et la mobilité professionnelle.

34Par l'intermédiaire de cette main d'oeuvre, l'usine sidérurgique est un centre de relations humaines qui s'inscrivent, à travers l'aire de recrutement et l'aire de résidence, dans le bassin de main d'oeuvre et éventuellement dans la zone de domination sociale de l'établissement industriel. C'est à l'intérieur de ces cadres spatiaux que l'on doit rechercher l'influence des usines sur le plan humain et, par là également, sur les structures et le fonctionnement, la personnalité et l'organisation de l'espace géographique.

35Les vecteurs d'influence réciproque entre l'industrie et l'espace étant définis et leurs aires d'extension limitées, il devient possible d'étudier la signification géographique de l'activité industrielle, objet de la troisième partie de la thèse. L'approche est alors différente dans la mesure où le phénomène industriel n'est plus abordé de façon intrinsèque mais dans ses relations sectorielles et spatiales. Les usines littorales sont successivement analysées comme facteur de croissance économique et comme facteur de développement régional.

36En eux-mêmes, éléments essentiels de la vie économique à l'échelle locale et régionale, les centres sidérurgiques littoraux exercent sur les milieux économiques environnants une influence d'intensité très variable, qu'elle soit directe ou indirecte, par les modifications qu'ils entraînent des infrastructures, des équipements en services et des marchés. Ils peuvent alors être considérés comme éléments moteurs de pôles de croissance et être chargés d'une fonction importante à assumer dans l'aménagement d'une agglomération et d'une région.

37Suivant les caractéristiques respectives de l'établissement industriel et de l'organisme urbain concerné, l'influence du centre sidérurgique sur la ville est très différente selon les cas, qu'il s'agisse de la détermination des structures démographiques et socio-économiques de la population, de la transformation des structures spatiales et du cadre de vie ou de la modification des fonctions urbaines. La domination plus ou moins affirmée de l'industrie sur la ville, la coïncidence plus ou moins assurée entre le réseau industriel et le réseau urbain, la convergence plus ou moins grande entre les exigences de l'activité et les besoins des collectivités, nuancent quantitativement et qualitativement le rôle régional des centres sidérurgiques littoraux.

38L'appréhension et la compréhension des mécanismes qui régissent les relations d'interdépendance entre l'activité industrielle et l'espace géographique exigent des études de cas très précises ; chaque établissement et chaque milieu d'implantation possédant une personnalité et une organisation qui leur sont propres. Si la logique de la technologie et la logique du capital transparaissent dans les caractéristiques communes des centres sidérurgiques littoraux, peu nombreuses sont les règles générales qui peuvent être établies concernant leurs effets spatiaux. Dans cette faiblesse, qui s'explique par la complexité et la pesanteur de l'espace concret, réside sans doute l'explication du petit nombre d'études consacrées à la signification géographique de l'activité industrielle et par là l'explication de l'ampleur des problèmes d'aménagement et des difficultés éprouvées pour les résoudre dans tous les cas de création et de développement rapide des grandes unités de production.

39Les avantages de la recherche comparative au niveau des unités élémentaires sont quelque peu affaiblis par les difficultés rencontrées pour obtenir une information suffisante et satisfaisante.

40Ces difficultés tiennent d'abord au fait qu'un grand nombre de critères significatifs, particulièrement sur le plan économique et financier, comme par exemple la valeur ajoutée et la rentabilité du capital, ne peuvent être utilisés pour caractériser l'établissement industriel mais seulement l'entreprise qui est une structure englobante ne permettant pas la dissociation de ses éléments.

41En outre, si l'entreprise est tenue par la loi à communiquer, ne serait-ce qu'à ses actionnaires, un certain nombre de renseignements, rien ne l'oblige à donner la moindre information sur l'une de ses usines. Refusée au nom du secret des affaires ou sans autres explications, la réponse à des demandes pourtant considérées par le chercheur comme sans implication négative possible pour l'entreprise, ne pourra pas être obtenue auprès d'autres sources que l'originelle, soit parce que l'information n'est pas communiquée à l'extérieur, soit parce qu'elle est tenue cachée au nom du secret statistique.

42Les difficultés sont encore renforcées quand la recherche s'applique à quatre pays différents : très différents par les obligations et les habitudes en matière d'information économique comme ils le sont par le contenu et la périodicité de leurs recensements les plus généraux.

43Aux limites qu'imposent les particularités de l'information et la méthode de raisonnement, s'ajoutent celles de la recherche individuelle qui éprouve des difficultés à étudier des phénomènes d'une extrême variabilité évoluant non seulement avec rapidité mais aussi de façon contradictoire dans une courte chronologie, qu'il s'agisse des phénomènes économiques et des faits géographiques, l'espace se révélant dans les régions choisies d'une grande malléabilité sous les effets d'une action humaine qui s'y est exercée avec une exceptionnelle intensité.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search