Version classiqueVersion mobile

Être Parisien

 | 
Claude Gauvard
, 
Jean-Louis Robert

Un peuple?

Droit, Société Et Politique

La confusion des concepts et des identités pendant la période pré-révolutionnaire à Paris

Laurence Croq

Texte intégral

  • 1 Pour un autre exemple, voir R. Blaufarb, « Conflits autour de la représentation dans les États de (...)
  • 2 F. Furet, La Révolution, 1770-1880, Paris, 1988, p. 66.
  • 3 Ch.-L. Chassin. Les Élections et les Cahiers de Paris en 1789, Paris. 1888-1889, t. 1. p. XXI.
  • 4 Ils avaient été choisis par une assemblée générale composée du prévôt des marchands, des échevins, (...)

1Les débats sur les modalités de la convocation des états généraux en 1789 s’inscrivent dans l’espace français à plusieurs niveaux. La dimension nationale est bien connue. Les distinctions entre les ordres ont en effet été soulignées comme le problème du vote par ordre ou par tête. Les publications de Sieyès (l’Essai sur les privilèges en novembre 1788, Qu’est ce que le tiers-état ? en janvier 1789) ont formulé de façon polémique le clivage qui opposait les privilégiés aux non-privilégiés. D’autre part, les débats ont partout aussi une forte dimension locale, interrogeant l’articulation entre, d’une part, les hiérarchies et structures sociales locales, d’autre part les institutions nationales1. A Paris, la distinction de la population entre les trois ordres n’était pas évidente, à cause du droit de bourgeoisie hérité du Moyen Âge et partagé entre les nobles et les roturiers. « Il n’existe aucun corps de doctrine ou de textes réglementaires qui puissent aider l’administration royale à définir les règles du jeu électoral... Aussi par l’arrêt du Conseil du 5 juillet 1788, le roi demande t-il à ses sujets d’envoyer à la cour "des mémoires, des renseignements et des éclaircissements" sur la tenue des États »2. La monarchie accepte dès janvier 1789 que Paris soit la seule ville à députer comme telle aux états généraux3, mais les modalités concrètes de la convocation du corps électoral restent encore à déterminer, car celles qui avaient été mises en œuvre en 1614 (les députés avaient été choisis sous l’étroit contrôle de l’Hôtel de Ville4) sont inacceptables. La municipalité y renonce d’elle-même, elle accepte l’ouverture du corps électoral. Mais, contre le Châtelet, elle revendique l’exclusivité de la convocation des Parisiens, au nom de leur statut commun de « bourgeois de Paris ». Elle reçoit le soutien du duc de Brissac, gouverneur de Paris, et de Laurent de Villedeuil, secrétaire d’État chargé du département de Paris.

  • 5 Ch.-L. Chassin, Les Élections..., op. cit., t. l, p. 329-335 et 402.

2Les règlements du 28 mars et du 13 avril 1789 ne la satisfont pas. En effet, ils répartissent les différentes étapes des élections entre la municipalité et le Châtelet, mais inégalement, et ils font des choix qui parfois respectent les traditions municipales, parfois innovent. Le prévôt de Paris et le Châtelet sont chargés de l’organisation des assemblées de la noblesse et du clergé, de la réunion des électeurs qui choisira les quarante représentants de la capitale aux états généraux (vingt du tiers, dix du clergé et dix de la noblesse) ainsi que de la rédaction des cahiers des trois ordres. La convocation du tiers-état de la ville est confiée au prévôt des marchands ; d’autre part, les quarante députés rédigeront à l’Hôtel de Ville et avec le corps municipal un cahier particulier concernant « les propriétés, les privilèges et les droits de la Cité », lequel sera remis directement aux états généraux. La définition du corps électoral est étrangère à la culture municipale : les assemblées du tiers doivent réunir des hommes « nés François ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans et domiciliés » qui peuvent « justifier d’un titre d’office, de grades dans une Faculté, d’une commission ou d’un emploi, de lettres de maîtrise » ou, à défaut, d’une « quittance ou avertissement de capitation montant au moins à la somme de six livres en capital »5 Mais les soixante districts qui servent de cadre aux assemblées du tiers s’inscrivent dans les seize quartiers de l’Hôtel de Ville (trois ou quatre districts par quartier), tandis que les vingt quartiers du Châtelet servent de cadre à la convocation du clergé et des nobles. La ville se sent désavouée, le prévôt des marchands, Le Peletier de Mortefontaine, démissionne, remplacé sans aucun trouble par Flesselles.

  • 6 R. Halévi, « La monarchie et les élections : position des problèmes », dans The French revolution (...)
  • 7 Ces mois pré-révolutionnaires ont déjà été étudiés sous d’autres angles, particulièrement par F. F (...)

3La publication des règlements électoraux marque une étape dans les débats de la période prérévolutionnaire, mais certains thèmes continuent d’être développés, « nombre de privilégiés - villes, groupes, individus -tiennent en effet les dispositions réglementaires pour de simples instructions dénouées de tout caractère obligatoire »6. Ainsi la revendication d’une représentation commune aux trois ordres apparue à la fin de l’année 1788 perdure jusqu’au mois de mai-juin 1789. Celle-ci emprunte au vocabulaire juridique de l’Ancien Régime ses deux expressions favorites, dans sa version individuelle (les Parisiens sont tous des « bourgeois de Paris »), comme dans son expression collective (il faut respecter l’« unité de la commune »)7. Ces notions expriment les tensions qui traversent l’identité de certains hommes du tiers-état et de la noblesse parisienne, tiraillée entre leur condition locale et leur appartenance à un ordre, entre des références historiques et l’aspiration à une société plus égalitaire. Enfin certains discours utilisent ces notions dans un sens politique qui peut être différent selon l’identité du locuteur, ou selon la période où ils sont tenus, car les enjeux des prises de position n’ont pas le même sens selon qu’elles sont antérieures ou postérieures à la publication des règlements royaux.

THÉORIE ET PRATIQUE DU DROIT DE BOURGEOISIE À PARIS EN 1788-1789

  • 8 « Officiers que les bourgeois de la commune élisoient pour les gouverner », Encyclopédie, table Pa (...)

4Certains acteurs de la crise prérévolutionnaire mélangent dans leurs revendications les références concrètes et abstraites, juridiques et idéelles. Ils se revendiquent comme « bourgeois de Paris », autant pour rappeler leur statut juridique latent, commun à nombre de Parisiens, que pour se présenter comme des acteurs politiques, à l’instar des « bourgeois de Paris » du Moyen Âge au xviie siècle8. Ils en appellent à l’idéal de l’« unité de la commune », sans pour autant défendre les droits de la municipalité contre le Châtelet. Autant dire qu’ils ne perçoivent plus l’Hôtel de Ville comme la maison commune. Pourtant, c’est ce thème qui justifie la volonté de la municipalité de convoquer l’ensemble des Parisiens. Il est nécessaire d’en comprendre la faillite. La prévôté des marchands a juridiquement vocation à représenter l’ensemble des Parisiens (même si Paris n’a jamais été une commune), mais, dans la pratique, les roturiers sont plus « bourgeois de Paris » que les nobles, et le gouvernement de la ville ne joue plus de rôle politique.

  • 9 « Non seulement les nobles domiciliés sont irrégulièrement présents dans la ville, mais plusieurs (...)

5« Bourgeois de Paris » est un statut dont les Parisiens jouissent à titre individuel, auquel des droits et des devoirs sont afférents. D’après la Coutume de Paris, il suffit d’habiter Paris depuis un an et un jour pour être juridiquement « bourgeois de Paris », il n’est pas nécessaire de s’inscrire sur un registre de bourgeoisie, ni de payer une taxe pour le devenir. Il s’agit donc d’un statut latent dont jouissent les nobles, les bourgeois comme les membres des catégories populaires qui sont établis dans la capitale (mais pas les domestiques ni ceux qui vivent en garni). La durée du séjour annuel à Paris est aussi prise en compte quand il y a litige sur le domicile réel : sont considérés comme « bourgeois de Paris » les individus qui résident à Paris au moins six mois dans l’année et qui y font leurs Pâques. Cette exigence n’est pas forcément respectée par les nobles qui sont très mobiles9.

6Les « bourgeois de Paris » bénéficient par ailleurs de privilèges qui ont évolué du Moyen Âge au xviiie siècle, privilèges dont ils jouissent collectivement (municipalité) et à titre individuel (exemptions fiscales), mais qui progressivement ne bénéficient plus qu’aux bourgeois.

La municipalité est une administration bourgeoise

  • 10 L. Croq, « La municipalité parisienne à l’épreuve des absolutismes : démantèlement d’une structure (...)

7Depuis les années 1740, la municipalité est devenue une administration sans pouvoir de négociation et chargée de missions techniques, elle n’est plus comme un interlocuteur par la monarchie, en particulier quand le pouvoir royal crée un nouvel impôt ou entreprend de supprimer un privilège des « bourgeois de Paris »10. Or, parallèlement, la participation des nobles au gouvernement de la ville diminue. En 1788-1789, nobles et roturiers sont encore mélangés aux différents niveaux de l’institution municipale, mais les premiers se font rares.

  • 11 Fraguier et Jérôme-Pelagie Masson de Meslay présidents en la chambre des comptes, Alexandre Rémy e (...)
  • 12 Ce sont Bernard, Guyot de Chenizot, Delamouche et Henry.

8La ville est dirigée par un prévôt des marchands qui est choisi par le roi dans la noblesse de robe parisienne (puis élu). Les échevins sont des bourgeois (avocats, notaires... pour moitié, marchands pour l’autre moitié), ils sont élus par une assemblée comprenant outre ces cinq individus, seize quartiniers, trente-deux bourgeois mandés (soit deux par quartier) et vingt-six conseillers de ville. Ces derniers sont répartis en deux groupes : outre seize bourgeois, il y a dix membres de cours souveraines. Ces conseillers de ville nobles ont acquis leur charge pour une somme allant de 14 à 16 000 livres11. Deux d’entre eux (Goudin et Remy) sont des fils d’échevins qui ont réussi leur ascension sociale. Cinq sont membres de la chambre des comptes, deux de la cour des aides, mais aucun parlementaire n’est conseiller de ville (le dernier conseiller au parlement qui ait acquis une charge de conseiller de ville est François-Vincent Guyot de Chenizot en 1764, il est maître des requêtes et conseiller d’Etat en 1789). Quatre de ces nobles de robe seront choisis par la ville pour présider des assemblées du tiers en mai 178912.

  • 13 C. Junges, Les échevins parisiens au xviiie siècle, thèse de l’Ecole nationale des Chartes, 1996. (...)

9La réussite des familles Goudin et Remy ne doit pas par ailleurs masquer la stabilité sociale qui caractérise la grande majorité des familles échevinales au xviiie siècle. D’après Catherine Junges, « une petite moitié des fils et gendres restait dans les mêmes catégories que leurs pères (marchands, notaires, avocats et officiers ministériels des cours supérieures...) », soit 41 fils sur 79, 38 gendres sur 75. Il n’y a qu’une vingtaine de fils sur 85 pour lesquels on puisse vraiment parler de promotion sociale, et l’hypergamie féminine est rare13 La noblesse des échevins est donc avant tout personnelle, même si elle est juridiquement transmissible depuis un édit de novembre 1706.

  • 14 Arch. nat.. K 996 25, 997, 101 à 115.
  • 15 Barbier, avocat au Parlement, est mandé en 1750, il commente ainsi l’appartenance sociale des autr (...)

10Par ailleurs, les nobles se raréfient parmi les bourgeois mandés. Les magistrats des cours souveraines et les secrétaires du roi qui représentaient un tiers des mandés entre 1684 et 1694 ne sont plus, depuis les années 1720, que 12-15 % à y participer. Après 1730, les professions des bourgeois mandés sont mentionnées exceptionnellement. Mais celles qui figurent dans les procès-verbaux des élections des échevins en 1777 et du nouveau prévôt des marchands Flesselles en avril 1789 montrent clairement la désaffection de la noblesse pour les cérémonies électorales municipales. En 1777, les bourgeois mandés comprennent encore, outre d’anciens échevins, onze nobles (trois secrétaires du roi, deux maîtres et trois auditeurs des comptes...), en 1789, il n’y a plus que trois nobles dont au moins deux parents d’anciens échevins14. La mixité sociale flatte les bourgeois au xviiie siècle15 mais les nobles n’y trouvent plus leur compte, la municipalité n’attire plus guère que ceux dont la noblesse est récente, elle ne peut se présenter comme un creuset des élites parisiennes. Elle n’est plus un espace politique commun aux roturiers et aux nobles, un laboratoire d’expériences partagées où les Parisiens puiseraient des références, des modèles.

Le statut de « bourgeois de Paris », ancêtre du citoyen ou statut privilégié ?

  • 16 L. Croq, « Privilèges fiscaux et hiérarchie sociale : le déclassement des "bourgeois de Paris" du (...)

11La monarchie a aussi accordé aux « bourgeois de Paris », du xiie siècle au règne de Louis XIII, de nombreux privilèges, en particulier fiscaux, peu ou prou identiques à ceux des nobles : diverses exemptions (de la taille, du franc-fief, de taxes sur les importations de produits de la campagne...), droit de porter des armoiries... Mais à partir des années 1640, certains privilèges sont supprimés (exemption du franc-fief) ou très limités (l’exemption des droits d’aides est ainsi limitée, pour la majorité des produits, aux bourgeois propriétaires-exploitants d’une ferme qui en font venir pour leur consommation personnelle). Les nobles ne tirent plus profit de leur condition de « bourgeois de Paris » à titre personnel après 1674 (exemption de l’arrière-ban). Le statut de « bourgeois de Paris », qui a donc connu une dévalorisation, un déclassement, s’est éloigné de celui de la noblesse. S’il est latent pour la grande majorité des Parisiens, seuls des roturiers jouissent concrètement des privilèges fiscaux qu’il confère16. En effet, les nobles jouissent de privilèges personnels et non réels comme les « bourgeois de Paris », et ils sont beaucoup plus étendus. Un seul exemple : les « bourgeois de Paris » ne jouissent en 1788 de l’exemption de la taille que pour une maison et un clos attenant (donc pas pour des terres labourables), alors que les nobles bénéficient du même privilège pour une ferme de quatre charrues.

  • 17 F. Furet. « Les élections de 1789 à Paris... », art. cit., p. 196.

12La résidence parisienne est, pour les nobles, source d’un nombre infime de privilèges par rapport aux roturiers, encore les nobles n’en profitent-ils pas toujours puisqu’on a vu leur faible participation aux assemblées de ville. Par ailleurs, si « bourgeois de Paris » peut renvoyer à l’idée d’égalité à l’intérieur de la ville, il est perçu au niveau national comme un statut privilégié. S’il est doté de privilèges moins nombreux et plus fragiles que celui du noble, il en détient davantage qu’un roturier de la campagne. On peut ainsi mieux comprendre le faible soutien que la municipalité a trouvé dans l’opinion publique, sans avoir été rejetée brutalement : quarante des soixante présidents de districts choisis par la municipalité ont été conservés par les assemblées du tiers, mais seulement quatorze électeurs ont été choisis parmi ses membres17. La ville est réduite à jouer un rôle secondaire en 1788-1789 car elle ne peut être le moteur du changement.

Les choix du pouvoir royal sont cohérents avec sa politique au xviiie siècle

  • 18 Ibid., p. 189.
  • 19 Ch.-L. Chassin, Les Élections..., op. cit., t. 1, p. 333-334, 359-360, 453-455.

13Les choix faits par la monarchie dans les règlements électoraux montrent que pour elle, « bourgeois de Paris » est un statut roturier, ce qui est cohérent avec l’évolution de ses privilèges et du fonctionnement de la municipalité depuis plus d’un siècle. Ils représentent aussi un compromis entre le respect de la division de la société en ordres qui structure la représentation de la nation et le respect de la tradition locale de l’unité de la commune. L’attribution de la majorité des tâches électorales au Châtelet est peut-être la marque d’une fidélité « à une ligne centralisatrice »18, elle ne doit pas faire oublier la participation de la ville. Or le partage des attributions entre ces deux pouvoirs urbains est aussi dans la continuité des pratiques monarchiques antérieures : l’administration royale avait ainsi confié depuis près d’un siècle la levée de la capitation des corporations au Châtelet, tandis que les autres Parisiens relevaient de la municipalité. La monarchie assume dans ce cadre la logique nationale qui prévaut pour la convocation des autres députés en privilégiant la séparation des trois ordres : les députés qui seraient choisis « dans leur qualité de représentants de la Commune, ne seroient admissibles aux États généraux que dans l’Ordre du Tiers »19 La monarchie appréhende le droit de bourgeoisie comme un statut secondaire, qui n’a aucune prétention à dépasser le cadre local, elle ne le prend en compte que de façon limitée, mais sans le nier.

REVENDIQUER L’« UNITÉ DE LA COMMUNE » ET LE STATUT DE « BOURGEOIS DE PARIS »

  • 20 Nous n’avons trouvé qu’une seule allusion à une protestation du clergé : l’assemblée du clergé dom (...)

14L’« unité de la commune » et le statut de « bourgeois de Paris » ont été revendiqués par des Parisiens, de façon collective ou individuelle, avant et après les règlements de mars-avril 178920.

Les contradictions de la double brochure de la fin décembre 1788

  • 21 La liste des signataires publiée par Chassin n’est pas tout à fait identique à celle figurant dans (...)
  • 22 D. L. Wick, A conspiracy of Well-Intentioned Men. The Society of Thirty and the French Revolution,(...)
  • 23 L’identification des signataires a été possible essentiellement grâce aux ouvrages suivants : Asse (...)
  • 24 L’âge moyen est de 46 ans pour 28 d’entre eux : les plus jeunes, le prince de Léon et La Borde de (...)
  • 25 Sur la formation de coalitions autour de consensus politiques temporaires dans les premiers mois d (...)

15Dès la fin décembre 1788, parmi les brochures qui nourrissent le débat sur les modalités de la convocation des Parisiens, est publiée une double brochure d’initiative privée et extra-municipale ayant pour titre « Mémoire et consultation sur la question suivante : "Quels sont les moyens que doivent employer les habitants de Paris pour obtenir de nommer eux-mêmes leurs Représentans aux prochains États généraux, et n’en pas laisser la nomination aux Officiers de l’Hôtel de Ville et à un petit nombre de notables, que les Officiers de l’Hôtel de Ville sont dans l’usage de s’associer arbitrairement dans cette fonction" ». En fait, une consultation de onze avocats (dont Target), qui comprend trente et une pages, précède un mémoire signé d’une centaine d’habitants21. L’initiative de ce document est généralement attribuée à la Société des Trente. De fait, le premier signataire de la consultation des avocats est Target, et parmi la centaine de signatures figurent celles des porte-parole de la noblesse libérale, Mirabeau et La Fayette, ainsi que celles de Destutt de Tracy et Laborde Méréville22. Mais le chef de file de la Société des Trente, Duport, n’a pas signé la consultation ; sa fonction de parlementaire l’a-t-elle empêché de signer à cette date une brochure publique (celle rédigée par Guillotin et publiée peu de temps auparavant avait fait l’objet d’une enquête et d’interrogatoires au parlement, d’autres ont été brûlées sur son ordre) ? Par ailleurs, parmi les 65 signataires identifiés23, figure une grande majorité de bourgeois, alors que ceux-ci sont très minoritaires dans la Société des Trente. L’éventail social est même très large : des nobles (dix-neuf au minimum, dont quinze sont titrés), quasiment tous des militaires (Brouillard de Bel-Air, conseiller à la cour des aides, est le seul membre d’une cour souveraine) ; huit marchands (deux négociants, un épicier, un mercier, un de vin, un libraire, un imprimeur,...), six financiers (dont trois agents de change), un notaire et trois procureurs, deux architectes, deux graveurs, plusieurs auteurs (Morellet, Bailly...)24, mais aussi un maître maçon, un maître peintre et un maître menuisier. Les réseaux qui ont été mobilisés sont multiples25. Neuf d’entre eux sont membres d’académies : hormis Cadet de Vaux de l’académie des Sciences, et Garnier de l’académie des Inscriptions, sept sont membres de l’Académie française (six y sont entrés après 1772, c’est-à-dire après l’élection de d’Alembert au poste de secrétaire perpétuel et que l’Académie française est devenue un fief philosophique : Saint-Lambert donc, Suard, La Harpe, Chabanon, Chamfort, Bailly, Morellet). Nombre des signataires fréquentent des salons parisiens. Laborde-Méréville, de Vaisnes, Garat, Lenoir, et Dufresne se réunissent chez Morellet ; Demeunier est un de ses collaborateurs pour la rédaction de son Dictionnaire de Commerce, et Piscatory est probablement un de ses parents. Chabanon, La Harpe, Suard, Saint-Lambert et Morellet fréquentent le salon de Mme Necker, dont Bernardin de Saint-Pierre est proche. Chez Mme Helvétius, à Auteuil, se retrouvent Morellet, Destutt de Tracy et Chamfort. Certains sont aussi francs-maçons, mais aucune loge ne domine. Une partie des signataires partage donc les mêmes lieux de sociabilité où les écarts sociaux sont atténués, mais pas supprimés, par les pratiques culturelles communes. Le clivage Paris-province est sans doute plus pertinent pour ces hommes que les distinctions d’ordre.

  • 26 Ch.-L. Chassin, Les Élections..., op. cit., t. 1. p. 92-93.

16A cet égard, si la consultation des avocats est indifférente à l’institution qui convoque les Parisiens, elle souhaite que les hommes de plus de vingt-cinq ans payant au moins 6 livres de capitation soient consultés par quartier, les trois ordres confondus. Elle fait allusion très explicitement au droit de bourgeoisie : « Dans les communes, on n’a jamais distingué plusieurs Ordres ; l’unique qualité est celle d’habitant ou de bourgeois ; ce qui est si vrai, notamment à Paris, que c’est dans leur qualité de bourgeois de Paris que les plus grands Seigneurs, et les Princes même, puisent, comme les simples Plébéiens, leur droit d’entrée en partage des privilèges qui appartiennent à la Ville... Ecclésiastiques, Nobles, gens du Tiers, tous ensemble... composent [les communes] et, lorsqu’il s’agit d’en nommer les représentants, toutes les classes y doivent concourir... »26

17En revanche, le mémoire des habitants n’évoque ni la division en ordre ni l’unité de la commune, sa revendication est formulée négativement dans la mesure où il demande simplement que la municipalité soit évincée du processus électoral.

  • 27 R. Descimon, « Le discours de la représentation bourgeoise... ». art. cit.

18Le discours des habitants apparaît très différent de celui des avocats. On peut rattacher à ce dernier le seul texte qui propose, au début du mois de mars 1789, de modifier les institutions municipales et non de les réformer en profondeur, c’est-à-dire le projet d’adresse du juriste Peuchet27.

Les déclarations des nobles

  • 28 Ibid.

19La publication du premier règlement royal en mars est suivie de peu par la publication de deux brochures où l’égalité entre les Parisiens est affirmée, mais sans protestation contre l’éviction partielle de la municipalité. Les Réflexions d’un marchand mercier adressées au tiers-état de la ville de Paris affirment même leur indifférence à la question28. Quant au discours d’un des conseillers au parlement, peut-être Duport, il exprime son attachement à l’originalité du statut du « bourgeois de Paris » : « Conserver à l’Assemblée de la capitale le caractère de Commune, et l’union qui en est la conséquence, est le principe... Je ne vois aucune raison d’introduire la distinction des ordres dans une Ville où les mœurs, l’usage et l’intérêt général s’accordent pour l’exclure... Il n’est aucun Noble, quel que soit son rang, qui ne soit habitué à s’entendre appeler Bourgeois de Paris, et il n’en est aucun qui pût se trouver offensé de siéger auprès de l’homme du Tiers-État jugé digne de sa confiance ».

20Mais ce texte avait d’abord été transcrit sur les registres secrets du parlement. Comment expliquer sa publication tardive ? Outre les craintes de censure déjà évoquées, son auteur craignait peut-être que sa prise de position soit interprétée comme un soutien implicite à la municipalité, et il a préféré attendre que le roi ait tranché pour prendre position publiquement. Par ailleurs, cette proclamation de principe qui n’est pas signée ne préjuge pas de la position de la majorité des parlementaires dans l’affaire.

  • 29 Ch.-L. Chassin, Les Élections..., op. cit.. t. 1, p. 359-360, 453-455.

21De la même façon, le projet d’adresse du comte de Lauraguais n’exprime que son opinion personnelle, puisque son texte est refusé par l’assemblée du troisième département. 11 y affirme que « les Nobles domiciliés dans la Ville de Paris ne jouissent des privilèges attachés à leur domicile dans ladite Ville qu’au titre de « Bourgeois de Paris » et « le titre du requérant à présenter cette requête est sa qualité de Bourgeois de Paris »29.

  • 30 Ibid, t. 1, p. 459 : « Et nous aussi nous sommes citoyens ! [...] Le droit de nous réunir, si nous (...)
  • 31 Ibid., t. 2, p. 239-240. Les nobles du district des Petits Pères devant le Tiers du district de Sa (...)

22Ces discours individuels sont relayés partiellement par les délégations de nombreuses assemblées de noblesse auprès des assemblées du tiers pour protester contre la violation des droits de la Commune, c’est-à-dire concrètement contre la réunion séparée des membres des trois ordres, et pour réclamer le respect du statut commun des Parisiens. Les députés de la noblesse reçus par l’assemblée du tiers du district du Petit-Saint-Antoine protestent ainsi en des termes plus concrets que les autres, qui rappellent ceux de Gouy d’Arsy30, par ailleurs un des signataires du mémoire de 1788 : ils « ont assuré que c’était avec douleur qu’ils avaient vu les assemblées de la Commune séparées des leurs ; qu’ils se regardaient particulièrement comme citoyens et bourgeois de Paris »31. L’identification de la bourgeoisie à la citoyenneté met ainsi l’accent sur l’unité du corps social dont tous les membres ont des droits politiques.

Pour le tiers, la primauté des solidarités nationales

  • 32 Ibid., t. 2, p. 217, articles 1 et 2 du Cahier particulier et local du Tiers-État de la ville de P (...)

23Le tiers parisien a une perception très différente de la situation. Il déplore que la revendication de l’Hôtel de Ville de convoquer tous les « bourgeois de Paris » ait retardé la convocation des assemblées primaires, partant l’élection des électeurs des députés aux états généraux, et la rédaction des cahiers de doléances. Il a vu dans l’initiative de la municipalité la démarche égoïste d’une institution surtout soucieuse de préserver ses privilèges, il réclame donc « la réforme complète de l’organisation municipale »32.

24Pour se présenter, les roturiers font référence tantôt à leur domicile, tantôt à leur statut local, tantôt à leur ordre. On relève bien « les bourgeois et habitants du 4e district des Halles », les « bourgeois de Paris, domiciliés dans ledit quartier ». Mais les expressions comme « habitants du Tiers État de la Ville et Fauxbourgs de Paris », ou « habitants domiciliés dans l’arrondissement du district » sont aussi nombreuses.

  • 33 Ibid., t. 2. p. 241-242. Saint-Nicolas des Champs a le discours le plus audacieux dans ce sens : « (...)
  • 34 Exemples ibid, t. 2, p. 238-241.

25Les assemblées du tiers affirment parfois leur attachement à la commune comme à un droit fondamental, mais elles ne revendiquent pas sa réunion au nom de l’égalité des bourgeois et d’un idéal de concorde33. Le plus souvent, elles se contentent de témoigner leur reconnaissance pour les propositions d’union que leur transmettent les députés des assemblées de la noblesse34, passant de l’approbation de principe au refus de fait de s’assembler ensemble.

  • 35 Ibid., t. 2, p. 252. Dans rassemblée du tiers du district des Filles-Saint-Thomas, Brissot proclam (...)

26Les raisons qui motivent la mise à distance de la noblesse sont aussi bien pratiques et conjoncturelles que théoriques. Des craintes relatives au déroulement des réunions, des élections et des votes aux états généraux, sont souvent exprimées, à moins qu’elles ne soient que des prétextes : la déférence habituelle envers la noblesse, les problèmes de préséance et les liens économiques entre les fournisseurs du tiers et les clients nobles risquent par exemple de priver les roturiers de leur liberté de parole. D’autre part, le statut de « bourgeois de Paris » est sans doute perçu comme un masque que les nobles prennent pour mettre en avant leurs ressemblances avec les roturiers, mais l’égalité juridique entre les roturiers et les nobles est un leurre. Ils ne sauraient donc faire cause commune aux états généraux35. Les arguments s’enchevêtrent, mais ils traduisent tous une grande méfiance vis-à-vis du second ordre. Les membres du tiers estiment, à l’instar de la monarchie, que le statut de bourgeoisie est secondaire et que finalement les règlements royaux protègent le tiers à la fois contre lui-même et contre la noblesse.

  • 36 Ibid., t. 2, p. 217 : « Une protestation contre la désunion de la Noblesse d’avec la Commune pourr (...)

27Le respect de l’« unité de la commune » est incompatible avec le système de représentation nationale, les roturiers acceptent la logique d’ordre, car l’essentiel et l’urgent sont ailleurs. En refusant de s’identifier au statut de « bourgeois de Paris », le tiers ne prend pas le risque de se couper des autres représentants du tiers-état français, il privilégie les solidarités nationales au lien local36, il rejette aussi une conception de la société hiérarchisée en fonction des privilèges octroyés par la monarchie à ses sujets.

DES NOTIONS JURIDIQUES AU VOCABULAIRE POLITIQUE

28Interroger les notions de « bourgeois de Paris » et d’« unité de la commune » au regard du droit de l’Ancien Régime n’est qu’une étape dans la compréhension des débats des Parisiens. Les registres de langage dans lesquels elles sont employées sont en effet différents selon qu’ils émanent de la municipalité, de la monarchie, des membres du tiers qui sont des juristes ou qui ne le sont pas, ou bien de la noblesse.

  • 37 Extrait des Mémoires de Bailly, t. 1, ch. 1, cité dans Ch.-L. Chassin, Les Élections..., op. cit.,(...)

29La monarchie, la municipalité, ainsi que les roturiers juristes, emploient ces expressions dans un sens juridique. C’est le cas par exemple des avocats de la consultation de la fin du mois de décembre. En revanche, le lexique du mémoire des habitants, de la brochure du marchand mercier et des revendications des nobles est très différent, il est politique. Ces publications jouent donc sur différents registres. Le témoignage de Bailly rédigé bien après les événements évoque cette éphémère mutation du sens de « bourgeois », même si l’opposition entre « bourgeois de Paris » et citoyen semble une reconstruction un peu factice de l’évolution de sa conscience politique : « Quand je me trouvai au milieu de l’assemblée du district (des Feuillants) : je crus respirer un air nouveau : c’était un phénomène que d’être quelque chose dans l’ordre politique et par sa seule qualité de citoyen, ou plutôt de bourgeois de Paris ; car à ce jour, nous étions encore bourgeois et non citoyens. Les hommes rassemblés depuis plusieurs années dans des clubs s’y étaient occupés des affaires publiques, mais comme conversations, sans aucun droit et sans aucune influence. Ici, l’on avait une influence éloignée, mais obtenue pour la première fois depuis un siècle et demi... »37 Une partie des acteurs de la pré-Révolution utilise le statut du « bourgeois de Paris » comme une référence politique porteuse d’égalité entre les Parisiens du tiers et de la noblesse, alors qu’en droit, il est porteur d’égalité autant que d’inégalité. De la même façon, ceux qui se réfèrent à l’« unité de la commune » n’ont pas soutenu l’institution qui l’incarne juridiquement, c’est-à-dire la municipalité, dans ses démarches pour obtenir l’exclusivité de la convocation. Enfin, si l’on dépasse le cadre local du débat, les proclamations des nobles doivent être évaluées à l’aune des affirmations de nombreuses brochures selon lesquelles la nation, c’est le tiers. Le droit de bourgeoisie et l’unité de la commune permettent en effet aux nobles d’affirmer leur place dans la cité, partant dans la nation. De la petite à la grande patrie, ils tentent d’affirmer leur existence et leur identité politique.

30Mais le terme de « commune » a fait l’objet d’autres appropriations pendant les années 1788-1789. 11 est même employé avec des usages contradictoires qui permettent de mesurer les conséquences des usages politiques du vocabulaire juridique. Un extrait des Mémoires de Bailly à propos de l’appellation de « communes » adoptée par l’assemblée du tiers-état aux états généraux en témoigne :

  • 38 38 J.-S. Bailly, Mémoires d’un témoin de la Révolution (1821), Genève, t. 1, 1975, p. 97-98 (4 jui (...)

« La noblesse a réclamé contre le mot communes... 11 a été répondu à la réclamation, que les députes des bonnes villes, appelés seuls d’abord aux états généraux, avaient été intitulés communes, parce que seules, elles avaient la liberté et des corps municipaux : mais que cette liberté et ces droits ayant été partagés successivement par les campagnes, leurs députations devaient porter le même titre. Que le mot communes indique la nation, abstraction faite du clergé et de la noblesse, et que le nom tiers-état n’est que nom ordinal et de préséance.
Il est évident, par plusieurs titres d’établissemens de communes, que ce ne sont que des associations formées des hommes sortis des liens et de la servitude de la féodalité, et pour se défendre en commun contre les vexations des puissans ; ces puissans étaient alors les nobles et les prélats : ils ne pouvaient donc pas être compris dans l’acception originaire du mot communes... Mais, comme ces puissans ne l’étaient que comme possesseurs de fiefs, et qu’il y en avait peu dans les villes, les communes de ces villes renfermaient les trois ordres sans aucune distinction.
A cela, M. de Boutillier opposait que les communes des villes comprenaient toujours les trois ordres, que les assemblées primaires des trois ordres avaient été convoquées séparément, et que celles du tiers ayant intitulé et leurs assemblées et leurs cahiers du nom de tiers, ces députés ne pouvaient prendre un nom que leurs commettans ne prenaient pas. Il ignorait que dans plusieurs bailliages, et entre autres, dans celui d’Angers, le cahier du tiers portait que le nom de tiers-état serait aboli, et qu’on y substituerait celui de communes... On ne peut pas se dissimuler qu’à cette question et de nom et de la vérification des pouvoirs, de petite conséquence en apparence, tenaient toutes les grandes questions relatives à l’unité de l’Assemblée nationale... »38

  • 39 Ainsi, Boucher d’Argis dans l’article « lettres de bourgeoisie » de l’Encyclopédie (vol. IX, p. 41 (...)

31L’assemblée du tiers a donc donné aux « communes » un sens contraire à celui des nobles parisiens. Elle renvoie à la notion de « bourgeoisie du roi », statut qui unifie les régimes différents de bourgeoisie dans un modèle. Ce concept a été construit autour d’une ordonnance de 1287, la question est devenue théorique depuis le xve siècle, mais la bourgeoisie lui est encore identifiée par nombre de juristes du xviiie siècle39. Dans ce cadre, la relation privilégiée des bourgeois au roi se double d’une hostilité aux nobles et aux clercs. Implicitement aussi, cette interprétation s’appuie bien sûr sur la référence à la chambre des communes anglaise.

  • 40 Y. Durand, « Les privilèges selon Sieyès ou le triomphe de la désinformation », Histoire, Économie (...)
  • 41 B. Manin, « Rousseau », dans Dictionnaire critique de la Révolution française, F. Furet et M. Ozou (...)

32Les glissements sémantiques du juridique au politique ne sont pas des phénomènes nouveaux - dans la seconde moitié du xviiie siècle, plusieurs procès privés étaient passés du droit pénal à la sphère politique -, ils sont nombreux dans la période prérévolutionnaire. Ainsi, Sieyès fait de la notion de « privilège » l’attribut exclusif des nobles et du clergé, alors qu’en droit, tous les Français avaient des privilèges à un titre ou à un autre. Or on sait le succès de ce concept politique réduit au sens de privilège personnel40. Plus généralement, les hommes de la Révolution font souvent un usage réducteur des références qu’ils ont à leur disposition pour leurs discours politiques, ce que l’on observe par exemple dans la façon dont l’œuvre de Rousseau est utilisée par les révolutionnaires. Robespierre comme ses ennemis citent Rousseau, chacun y prend ce qui conforte son argumentation : « L’œuvre de Rousseau fournit aux acteurs un instrument leur permettant de nommer et de penser les réalités nouvelles dans lesquelles l’histoire les projette, de se repérer parmi elles et de donner du sens à leurs actions »41.

***

33La convocation des états généraux a suscité l’expression des tensions qui parcouraient la société parisienne. Le statut de « bourgeois de Paris », intégré dans la hiérarchie des privilèges, détonait dans un temps où l’appartenance à un ordre prévalait comme critère de distinction sociale. Quant à l’« unité de la commune », la municipalité ne pouvait plus l’incarner. La fusion des élites, dont témoigne le mémoire des habitants de 1788, apparaît comme un phénomène marginal, elle ne résiste guère aux enjeux de la réunion des états généraux. Des nobles mettent l’accent sur leur identité locale pour exister dans l’ordre politique, mais le tiers parisien revendique avant tout son appartenance nationale à un ordre non privilégié.

34Les Parisiens de la pré-Révolution empruntent le langage du droit de bourgeoisie et de l’unité de la commune sans être des juristes, comme les révolutionnaires feront des emprunts à l’œuvre de Rousseau sans être des philosophes. Ils font certes un usage souvent peu rigoureux de leurs références, mais au-delà, ils créent un discours politique autonome.

Notes

1 Pour un autre exemple, voir R. Blaufarb, « Conflits autour de la représentation dans les États de Provence pendant la pré-révolution française », dans Études réunies en l’honneur de Jean Chagniot, Combattre, gouverner, écrire, Paris, 2003, p. 121-130.

2 F. Furet, La Révolution, 1770-1880, Paris, 1988, p. 66.

3 Ch.-L. Chassin. Les Élections et les Cahiers de Paris en 1789, Paris. 1888-1889, t. 1. p. XXI.

4 Ils avaient été choisis par une assemblée générale composée du prévôt des marchands, des échevins, des conseillers de ville, de l’évêque de Paris, de 16 quartiniers, des députés des chapitres et communautés ecclésiastiques, de dix notables de chacun des seize quartiers, ainsi que les gardes et maîtres de la marchandise et des métiers. D. Richet. « Paris et les états de 1614 », dans Représentation et vouloir politique. Autour des états généraux de 1614, R. Chartier et D. Richet dir., Paris. 19X2, p. 63-88.

5 Ch.-L. Chassin, Les Élections..., op. cit., t. l, p. 329-335 et 402.

6 R. Halévi, « La monarchie et les élections : position des problèmes », dans The French revolution and the creation of modem political culture, t. l, The political culture of the old régime, K.M. Baker dir. 1987, p. 389.

7 Ces mois pré-révolutionnaires ont déjà été étudiés sous d’autres angles, particulièrement par F. Furet et R. Descimon. F. Furet, « Les élections de 1789 à Paris, le Tiers État et la naissance d’une classe dirigeante », dans Vom Ancien Regime zur Franzözischen Revolution. Forschungen und Perspektiven, A. Cremer dir., Göttingen, 1978, p. 188-206. R. Descimon, « Le discours de la représentation bourgeoise et l’Hôtel de Ville de Paris. Aperçus synoptiques du xvie au xviiie siècle », dans Le prince, la ville et le bourgeois (xive-xviiie siècle), L. Croq dir., Paris, 2004.

8 « Officiers que les bourgeois de la commune élisoient pour les gouverner », Encyclopédie, table Panckoucke, art. « Commune ».

9 « Non seulement les nobles domiciliés sont irrégulièrement présents dans la ville, mais plusieurs nobles extérieurs présentent des caractéristiques véritablement parisiennes, que ce soit par la filiation ou la fonction », M. Marraud, La noblesse de Paris au xviiie siècle, Paris, p. 104.

10 L. Croq, « La municipalité parisienne à l’épreuve des absolutismes : démantèlement d’une structure politique et création d’une administration (1660-1789) », dans Le prince, la ville et le bourgeois..., op. cit.

11 Fraguier et Jérôme-Pelagie Masson de Meslay présidents en la chambre des comptes, Alexandre Rémy et Lourdet maîtres ordinaires de la chambre des comptes, de la Mouche auditeur des comptes ; Ange-François-Charles Bernard président en la cour des aides, Velut de la Crosniere de Popin conseiller honoraire des aides, François-Vincent Guyot de Chenizot maître des requêtes et conseiller d’État, Alexandre-Pierre Henry greffier en chef de la chambre des comptes et secrétaire du roi, Mathias-Bernard Goudin conseiller au grand conseil (Almanach royal, 1789).

12 Ce sont Bernard, Guyot de Chenizot, Delamouche et Henry.

13 C. Junges, Les échevins parisiens au xviiie siècle, thèse de l’Ecole nationale des Chartes, 1996. t. 1, p. 245 et 257.

14 Arch. nat.. K 996 25, 997, 101 à 115.

15 Barbier, avocat au Parlement, est mandé en 1750, il commente ainsi l’appartenance sociale des autres mandés : « Il y avait, dans les mandés, M. de Blair, conseiller de grand’chambre ; plusieurs magistrats de différentes juridictions ; M. Moreau, procureur du roi au Châtelet ; des curés de Paris et autres notables ; ce qui est bien la preuve que les magistrats de cour souveraine ne sont autres que notables bourgeois. Quoiqu’ils aient la noblesse, cela ne fait que de la noblesse bourgeoise, ainsi que celle des échevins et secrétaires bourgeois », E.-J.-F. Barbier, Journal..., t. 3, août 1750, p. 161.

16 L. Croq, « Privilèges fiscaux et hiérarchie sociale : le déclassement des "bourgeois de Paris" du milieu du xviie siècle à la Révolution », Études et documents, t. XI, 1999, p. 55-95.

17 F. Furet. « Les élections de 1789 à Paris... », art. cit., p. 196.

18 Ibid., p. 189.

19 Ch.-L. Chassin, Les Élections..., op. cit., t. 1, p. 333-334, 359-360, 453-455.

20 Nous n’avons trouvé qu’une seule allusion à une protestation du clergé : l’assemblée du clergé domicilié sur la paroisse Saint-Gervais proteste « qu’elle regardera toujours comme le plus précieux de ses titres, celui de bourgeois de Paris, que les plus grands personnages de la capitale ont toujours pris avant leur dignité... qu’ils tiennent pour vérité de fait que le privilège des bourgeois de Paris est d’être assemblés en Commune », dans Ch.-L. Chassin, Les Élections..., op. cit., t. 2, p. 234.

21 La liste des signataires publiée par Chassin n’est pas tout à fait identique à celle figurant dans deux brochures originales conservées à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris (960226 et 6460 n° 1). Indépendamment des doublons et des transcriptions différentes de certains noms (ex : de Mocques devient Roques), on peut formuler l’hypothèse que deux brochures ont circulé, les documents de la BHVP correspondant à la première brochure, Chassin ayant publié la seconde.

22 D. L. Wick, A conspiracy of Well-Intentioned Men. The Society of Thirty and the French Revolution, New York-Londres, 1987, p. 342-344.

23 L’identification des signataires a été possible essentiellement grâce aux ouvrages suivants : Assemblée électorale de Paris... Procès-verbaux de l’élection, E. Charavay éd.. 1890-1905, 3 vol. pour 1789-1793 ; Dictionnaire de biographie française ; Hoefer, Dictionnaire de biographie générale ; Mémoires de l’abbé Morellet sur le xviiie siècle et sur la Révolution, 1988 et 2000 ; P. Robiquet, Le personnel municipal de Paris pendant la Révolution. Période constitutionnelle, Paris, 1890 ; A. R. Robinet et J. Le Chaplain. Dictionnaire historique et biographique de la Révolution et de l’Empire. 1789-1815, s.d.

24 L’âge moyen est de 46 ans pour 28 d’entre eux : les plus jeunes, le prince de Léon et La Borde de Méréville ont 28 ans, Saint-Lambert a 73 ans.

25 Sur la formation de coalitions autour de consensus politiques temporaires dans les premiers mois de l’Assemblée nationale, voir T. Tackett. Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Paris, 1997.

26 Ch.-L. Chassin, Les Élections..., op. cit., t. 1. p. 92-93.

27 R. Descimon, « Le discours de la représentation bourgeoise... ». art. cit.

28 Ibid.

29 Ch.-L. Chassin, Les Élections..., op. cit.. t. 1, p. 359-360, 453-455.

30 Ibid, t. 1, p. 459 : « Et nous aussi nous sommes citoyens ! [...] Le droit de nous réunir, si nous le voulons, à tous les Bourgeois de la cité, pour délibérer ensemble des intérêts municipaux, nous est commun avec tous les citoyens, parce qu’à Paris, nous sommes incontestablement tous membres de la Cité. D’après ce droit [...] l’abolition de la Commune est inadmissible ».

31 Ibid., t. 2, p. 239-240. Les nobles du district des Petits Pères devant le Tiers du district de Saint-Nicolas des Champs disent de même qu’ils ne veulent « avoir dans les assemblées libres de [la] capitale, d’autre qualité que celle de Bourgeois de Paris » (p. 242).

32 Ibid., t. 2, p. 217, articles 1 et 2 du Cahier particulier et local du Tiers-État de la ville de Paris : « Que la Ville soit réintégrée dans son ancien droit naturel d’élire elle-même son Prévôt des marchands ; que ce premier Magistrat municipal soit pris indistinctement dans la Noblesse, la Robe & la Bourgeoisie... » ; « Que tout bourgeois de Paris puisse être nommé Échevin, sans être obligé de passer par les grades de Dixainier, de Quartinier, &c. & que l’autorité municipale, presque nulle à Paris, soit rétablie dans ses antiques droits ».

33 Ibid., t. 2. p. 241-242. Saint-Nicolas des Champs a le discours le plus audacieux dans ce sens : « Le Règlement a fait de la Commune de Paris un partage qui tend à la détruire et à rendre illusoire la double députation qui a toujours appartenu à Paris ; par des distinctions nouvelles entre les bourgeois de Paris, qualité devant laquelle tout devrait s’évanouir, il peut s’allumer des discordes mal éteintes entre des ordres dont l’intérêt est de réunir leurs forces pour assurer la liberté commune ».

34 Exemples ibid, t. 2, p. 238-241.

35 Ibid., t. 2, p. 252. Dans rassemblée du tiers du district des Filles-Saint-Thomas, Brissot proclame clairement son hostilité : « Il ne peut y avoir de réunion là où il n’y a ni unité d’intérêts, ni unité de principes ».

36 Ibid., t. 2, p. 217 : « Une protestation contre la désunion de la Noblesse d’avec la Commune pourrait être regardée comme un vœu secret de former une coalition entre les trois Ordres, à Paris, propre à opérer un isolement particulier de la capitale du reste du royaume, et à lui conserver ses privilèges... » J. Egret, La pré-révolution française, 1787-1788, Paris, 1962, p. 334 : « Le procès des privilèges est ouvert : Devise de Mirabeau dès le 16 août 1788 : "Guerre aux privilégiés et aux privilèges, voilà ma devise [...] les privilèges sont utiles contre les Rois, mais ils sont détestables contre les Nations [...]" Et Target répète : "Provinces, villes, tribunaux, Compagnies, Ordres de l’État, opposez au Roi vos privilèges ; abaissez les devant la France assemblée [...]" Cette répudiation formelle de tout esprit de corps est l’article fondamental du programme d’un parti qui se déclare national ».

37 Extrait des Mémoires de Bailly, t. 1, ch. 1, cité dans Ch.-L. Chassin, Les Élections..., op. cit., t. 2, p. 307-308.

38 38 J.-S. Bailly, Mémoires d’un témoin de la Révolution (1821), Genève, t. 1, 1975, p. 97-98 (4 juin 1789).

39 Ainsi, Boucher d’Argis dans l’article « lettres de bourgeoisie » de l’Encyclopédie (vol. IX, p. 416) a présenté seulement « le régime organisé en 1297 ». Pour d’autres références, voir P. Bonin, Bourgeois, bourgeoisie et habitanage dans les villes du Languedoc sous l’Ancien Régime, thèse d’histoire du droit, Paris II-Assas, 2000, vol. 1, p. 319 et suiv.

40 Y. Durand, « Les privilèges selon Sieyès ou le triomphe de la désinformation », Histoire, Économie et Société, 1992, n° 2, p. 295-323.

41 B. Manin, « Rousseau », dans Dictionnaire critique de la Révolution française, F. Furet et M. Ozouf dir., Paris, 1988, p. 885.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search