Innovation et tradition de la Renaissance aux Lumières
| ,I. De l’ancien au neuf dans la fiction
Strange Newes : Thomas Nashe entre tradition et innovation
Résumé
Strange Newes, Thomas Nashe's reply to Gabriel Harvey's Foure Letters focuses on the question of literary authority and writing modes. Nashe who has a keen sense of the social constraints on the two writers and of their dependence on authorities mercilessly points out how they lead Harvey to indulge in fuzzy speculations expressed in ponderous rhetoric. The two Works straddle the border of the public and private spheres; Harvey does not play by the rules and Nashe tries to push them and his inventiveness involves a kind of brinkmanship, a transgression of accepted codes. Nashe finds new uses for the written word, he writes for the common man and speaks for the rabble whose voice creeps into Strange Newes. As in later productions the readers'response fashions his text.The spoken word is turned into the written, the written word is oralised. Nashe's self-conscious aim is literary innovation and we already see the newspaper as a mosaic in Nashe's dream to use all languages under Heaven. Communication is polyphonic with wildly shifting addresses and perspectives, with improvisation, quotation and reflexivity. This was a text to chew and savour as modem readers do those of their favourite columnists.
Texte intégral
1Thomas Nashe ne semblait pas destiné à faire œuvre quand il entama sa querelle avec Gabriel Harvey en 1592 mais il écrivit alors au fil de la plume un texte mémorable tant par les principes qui l'inspirent que par son écriture. Strange Newes, ce premier pamphlet, aborde toutes sortes de questions : qu'est-ce que la littérature, pourquoi lit-on un texte en percevant des qualités littéraires, comment des ruminations privées peuvent-elles prendre une valeur publique, des pensées éphémères peuvent-elles être consignées de façon plus permanente dans l'écrit et trouver des lecteurs, les écrivains de la Renaissance doivent-ils s'inscrire dans une tradition et suivre des exemples anciens ou y a-t-il au contraire nécessité d'innover ? La double question de la nouveauté des conditions d’écriture et de l'innovation en matière d'écriture est sous-jacente à toutes ces interrogations et alimente la polémique des deux auteurs sans en constituer cependant le point de départ. L'affrontement avait plutôt pour origine les tempéraments divergents, les convictions religieuses et les allégeances opposées d'un écrivain jeune et d'un écrivain vieillissant, mais l'affrontement leur a permis de s'exprimer sur cette question essentielle de l'autorité littéraire et les modes d'écriture. C'est à elle que notre analyse se limitera et nous laisserons donc dans l'ombre tous les autres aspects d'une querelle complexe que Nashe et Harvey poursuivirent dans leurs publications ultérieures et qui mit aux prises plusieurs autres écrivains avant et après la publication de Strange Newes et Foure Letters.
- 1 Harvey accuse : “Our new-new writers, the Loadstones of the Press, are wonderfully beholginge to t (...)
- 2 p. 317.
2En fait, l'épithète nouveau est souvent un terme d'opprobre1. Les deux écrivains innovent donc souvent à leur corps défendant. Le titre même de Nashe en témoigne : il annonce que Nashe récuse le texte de Harvey, Foure Letters, qui apporte de fausses nouvelles et qui même fait la part trop belle aux nouvelles. Son hostilité tient pour une part à ce que la nouveauté porte sur des domaines différents dans les deux œuvres. Harvey s'intéresse aux idées nouvelles alors que la nouveauté de Nashe est purement littéraire. Notre perspective qui est aussi littéraire a quelque chose d'injuste pour Harvey qui par son savoir et son intérêt pour les débats intellectuels était un homme de la Renaissance et de la Réforme plus averti que Nashe, plus marquant pour l'histoire des idées. Mais c'était un piètre écrivain à la visée et aux aspirations confuses. Nashe est, lui, un conservateur, mais un conservateur qui va innover dans la forme ; il est d'ailleurs conscient de cette double visée puisqu'il cite une devise d'Aulu-Gelle qui la justifie “utere moribus praeteritis, loquere verbis praesentibus”2. Nashe produit donc un écrit d'un genre nouveau : Strange Newes est un texte complexe, polymorphe, qui tient du journal intime, de l'essai littéraire et de l'article de presse, et nous verrons que l'innovation de Nashe va plus loin puisqu'elle est aussi de l'ordre de l'écriture.
- 3 Être autorisé, c'est à la fois faire oeuvre d'auteur, se placer parmi les auteurs, et donc dans un (...)
- 4 Pour l'origine sociale voir p. 322, 35 sq. Nashe se moque des prétentions de Harvey : “He thinks t (...)
- 5 “Judge the world, judge the highest Courts of appeale from the miscarried worlds judgement (Cambri (...)
- 6 p. 310.
3La controverse mène à une réflexion sur la nature de la langue et sur l'utilisation de la langue : au nom de quoi Harvey et Nashe parlent-ils ? Strange Newes est d'abord une apostrophe à Harvey :“qui es-tu pour écrire ainsi et m'attaquer ?” menant vite à une deuxième question : “qui t'autorise à écrire ?”3 Nashe qui a une vue lucide de sa place sociale et intellectuelle sait que la hiérarchie Tudor des serviteurs et des maîtres est encore très contraignante pour les clercs. Ils sont au service des autorités et des grands mais ne peuvent gagner une notoriété d'écrivain s'ils se réduisent à cette condition. “Homer and Vergil, two valorous Authors, yet were they never knighted” remarque-t-il (299). Il explique que lui-même et son adversaire ont en commun l'origine sociale, le statut universitaire et leur dépendance du pouvoir et il reproche à Harvey de s'efforcer d'oublier ces attaches. À cet égard, Nashe pointe l'échec social cuisant et l'existence désormais marginale de Harvey : selon lui le docteur n'est pas si loin des réprouvés et des cancres qu'il invective, Greene et Nashe4. Cette origine, ce statut et cette dépendance entraînent pour tous des tensions et des contradictions qui affectent leur façon d'écrire. Car l’université qui fut leur source de savoir et de réflexion, qui fut aussi une école d'écriture, qui est encore juge de leur querelle et de leurs écrits n'est pas le seul arbitre : les écrivains s'émancipent du modèle académique ; l'université est soumise aux autorités politiques et les sert, mais elle sert aussi la rue à laquelle Nashe et Harvey fournissent du papier et des textes, ces “lettres” de Harvey et ces “nouvelles” de Nashe5. Nashe introduit donc d'autres juges que le pouvoir et l'université et d'autres terrains d'apprentissage. Mes écoles, dit-il, ce sont à la fois Cambridge et la taverne, la pauvreté et la prison pour dettes. Dans une apologie de la prison pour dettes, il jure que s'il avait un fils ce serait la première école à laquelle il l'enverrait6. La place sociale, le passé universitaire et la dépendance du pouvoir ont leur importance mais le statut d'écrivain des deux hommes passe par la reconnaissance de lecteurs qui eux ne sont pas nécessairement affectés par ces trois paramètres. Nashe montre que les autorités de l'écrit sont multiples parce que l'écrivain de l'imprimé écrit dans un milieu où les liseurs et les écrivains se mêlent aux gens du commun et qu'il parle par conséquent à un public nouveau. Les liseurs décident du sort de l'imprimé, autorisent l'écrit : “List, Pauls Churchyard (the peruser of everie mans works, and Exchange of all Authors), you are a many of you honest fellows, and favour men of wit” (278).
4Nashe engage ainsi une réflexion sur qui peut parler après la Renaissance et la Réforme. Et en la matière, tout en prenant acte de sa dépendance, il est du côté de l'indépendance et de la multiplicité des autorités. En cela il a quelque chose de moderne.
- 7 Selon Nashe Harvey fut un universitaire contesté (il eut des difficultés à obtenir son doctorat, p (...)
- 8 Il n'aurait pas trouvé preneur pour ses ouvrages universitaires (p. 297, 17) et ses productions se (...)
- 9 Cette accusation porte sur la question de qui est orateur, Nashe dans Pierce Penilesse ou Harvey. (...)
5C'est en posant la question du public pour lequel écrit Harvey que Nashe aborde la question de son propre public, défini dans un miroir inversé. De sa plume acérée il pointe l'ambiguïté de l'écrivain Harvey qui de fait frappe dans Foure Letters et Pierces Supererogation. Il fait en particulier observer que Harvey se veut à la fois orateur universitaire, ami d'intellectuels influents, personnage dans la mouvance du pouvoir7 et écrivain à Londres, mais, nous apprend Nashe, il a échoué dans son utilisation des réseaux sociaux et intellectuels, il est piètre écrivain universitaire et son pamphlet montre son incapacité à rebondir comme écrivain pour le grand public de Londres8. Par un de ses jeux de mots prêtant des noms burlesques à Harvey pour lui dénier l'autorité dont il se drape, Nashe rappelle ses démêlés avec l'université pour obtenir son doctorat puis un poste d'orateur. Oratorship entraîne toute une série de noms en -ship où GN parti de Doctorship aboutit à Truantship en passant par “this indigested Chaos of Doctourship”9. Nashe signifie par là que Harvey n'a pas la parole autorisée, mais qu'il n'a pas non plus l'autre, celle de la rue. Toutes ces critiques soulignent que pour ce public nouveau de Londres il faut des écrits nouveaux.
- 10 Ed. Grosart, p. 174 sq.
- 11 Richard Harvey écrivait des almanachs (pp. 298, 308 et 311) et dans Have With You to Saffron Walde (...)
- 12 Nashe renvoie dos à dos les pseudo-nouvelles militaires nobles et les fausses annonces catastrophi (...)
6Deux conceptions du public de la nouveauté s'affrontent. Dans Foure Letters Harvey tourne en dérision la production vulgaire de Nashe et de Greene et se tourne avec ostentation vers une nouveauté noble, la nouvelle diplomatique et les combats de la guerre civile en Flandre et en France. Certes, il s'intéresse au paysage intellectuel de son temps à travers les avancées militaires et idéologiques. Mais sur cette nouveauté, noble par le contenu qu'elle appellerait et par les interlocuteurs sociaux qu'elle présuppose, Harvey spécule assez vaguement10 et de façon un peu dérisoire, et son propos se perd dans des envolées pompeuses et contradictoires. Ce flou montre que Harvey échoue à penser du côté des grands et du pouvoir ou à leur hauteur et lui attire les sarcasmes de Nashe. Mais, selon Nashe, sa production pour le bon peuple n'est pas meilleure. Harvey fut naguère écrivain populaire honteux quand il écrivait des almanachs et s'en défendait11 : Nashe se gausse des informations sensationnelles et obscurantistes (astrologiques), donc des pseudo-nouvelles, qu'il fournissait alors au vulgaire. Désormais, les autres livres de Harvey pour ce même public sont édités à compte d'auteur et ne se vendent pas. Se gardant de l'élitisme et de la démagogie12, Nashe vise au contraire un large public auquel il adresse les premiers textes en prose écrits comme tels.
- 13 ergo, pp. 274, 278, 299, 305, 313 et ergonist, p. 285.
- 14 p. 317. Voir aussi la contestation du savoir de Harvey (pp. 315, 29 ; 328, 34 sq.) et de la lourde (...)
7Nashe se place constamment sur ce terrain de la lettre conçue comme une expresssion originale et proclame que l'écriture appelle la nouveauté. Toutefois, son œuvre, pour novatrice qu'elle soit, se définit par parodie de celle de Harvey et se constitue au prix du déni de sa dépendance envers le docteur. C'est aussi toujours à propos de Harvey qu'on apprend les principes littéraires de Nashe et sa théorie de l'écriture. Ainsi, Nashe raille le tic de Harvey qui ponctue ses propos de “ergo” ; Harvey est un “ergoniste”, il ergote13 ; ce tic est un signe d'argumentation pesante, de fausse démonstration ; il montre aussi qu'il se méprend sur son public et se croit toujours devant un auditoire universitaire : le public de l'imprimé n'appelle ni ce message ni cette forme. La contestation est intellectuelle, pragmatique et surtout littéraire : Nashe attaque le mauvais écrivain, lourd, empêtré, sans style. Le prosateur doit être, comme Sénèque, “all lime and no sande” quand Harvey est “the short shredder out of sandy sentences without lime”; il doit être “all matter and no circumstance”14. Pour la littérature Nashe rêve de légèreté, de liant, de pétillant, d'une substance qui ne pèse jamais. Tel est son propre texte, celui de Harvey se traîne et n'emporte pas la conviction :
Squeise thy heart into thy inkehorne, and it shall but congeal into clodderd garbage of confutation, thy soule hath no effects of a soule, thou canst not sprinkle it into a sentence, and make everie line leape like a cup of neat wine new powred out, as an Oratour must doe that lies aright in wait for mens affections.
Whome hast thou wonne to hate mee by light crawling over my Text like a Cankerworme? (307)
- 15 Pour l'hexamètre voir pp. 277, 278, 295, 298, 300. Nashe récuse aussi le théoricien en attaquant l (...)
- 16 Nous trouvons dans la liste des mots reprochés à Harvey (p. 316) egregious, ingenuity, jovial, put (...)
8La controverse se poursuit à propos de la vieille histoire de l'héxamètre anglais, dont Harvey se vanterait d'être l'inventeur. Harvey se voit comme arbitre de l'humanisme et ipso facto le garant d'une norme littéraire15. Pour Nashe le premier critère est l'intelligence de la littérature et de la langue grâce à quoi l'écrivain fait sienne la langue et l'écriture prend forme. Il dénonce l'intelligence de la langue et l'absence de forme due à un mauvais usage de l'imitation des auteurs : Harvey est “the galimafrier of all stiles in one standish, as imitating everie one, and having no seperate forme of writing of [his] owne” (317), “abusing the Queenes English without pittie or mercie” (261). Une troisième divergence concerne les néologismes acceptables. Les deux auteurs dressent des listes de termes ridicules à leurs yeux employés par l'adversaire. Telle quelle, la liste de néologismes dressée par Nashe nous montrerait que Harvey, appelé Imperour of inkehornisme (317, 320), a plutôt raison dans cette querelle des Anciens et des Modernes ; nous y voyons Harvey à l'affût de concepts nouveaux16. Mais pour quiconque a lu Foure Letters dans son entier et vu l'utilisation des mots en contexte, la contestation de Nashe faisant observer que le docteur est plus pédant que penseur est fondée. Les mots nouveaux sont souvent pour le docteur un moyen de manifester sa maîtrise du savoir plus que des outils de réflexion.
- 17 Gabriel Harvey aurait souhaité répondre à l'équipe de Marprelate de façon sérieuse. Il le fait dan (...)
9“Au nom de quoi parle-t-il ?” Derrière des attaques ad personam des positions religieuses, des choix politiques et de la valeur et des principes littéraires de Harvey, Nashe s'interroge sur la légitimité des écrivains, celle de Harvey et la sienne propre. Après son écrit burlesque sur les diables de la vie londonienne et son activité de pourfendeur irrévérencieux mais efficace de puritains, Nashe a été attaqué par Harvey sur ces deux points17 ; fort de ses succès il contre-attaque dans une invective où il juge tout livre à l'aune de la Bible :
- 18 p. 325.Cette interpellation des instruments de l'écriture reprend Foure Letters (p. 217) dans une (...)
Did I exhort inke and paper to pray that they might not bee troubled with him any more? Inke and paper, if they bee true Protestants, will pray that they may not be contaminated any more with such abhomination of desolation, as the three brothers Apocripha pamphleting.18
- 19 La confession, 314, 26 sq. ; le baptême, 315, 10 ; la bénédiction, 317, 34. Nous relevons une allu (...)
- 20 Ainsi les frères Harvey sont décrits comme “a sinode of Pispots” (298, 14) : ils croient qu'ils on (...)
- 21 p. 307, 34 et 320, 23 explicité dans Have With You to Saffron Walden, vol. III, 95, 33.
10Que dit Nashe par ces figures ? D'abord, que Harvey croit sa parole sacrée, alors qu'il est apocryphe, hétérodoxe ; certains livres n'entreront jamais dans le canon (que les puritains combattus par Nashe et défendus par Richard Harvey, rejettent les Apocryphes ajoute à la plaisanterie). Ensuite, que pour Nashe l'écriture a encore quelque chose de sacré, mais qu'il reste à prouver que Harvey serve cette écriture-là. Par ailleurs, dans tout son texte, Nashe montre l'existence d'une écriture consacrée par le public à côté des écritures sacrée et autorisée. À ce propos, les nouvelles (news) de la page 289 finissent par une nouvelle parodique (1. 25) où Gabriel est choisi, comme Joseph dans le rêve que rapporte la Genèse, c'est-à-dire qu'il s'auto-proclame le plus grand et l'élu du ciel entre tous ses frères et dans la fraternité des écrivains et des clercs. La parodie a valeur ironique et fait entendre que Harvey n'est ni sacré ni consacré. Inversement, par plusieurs jeux de mots sur la confession, le baptême, la bénédiction19, Nashe avoue l'ambiguïté de la consécration qu'il a gagnée, contrairement à Harvey, mais gagnée peut-être par la transgression20. Abhomination of desolation est dans la citation de la page 325 une allusion à la destruction et à la profanation du Temple qui se fait l'écho de l'ébranlement de l'autorité, même dans l'Angleterre de 1592. L'espace étroit où Nashe évolue, ce domaine du consacré entre le sacré et le profane est problématique et il a conscience que cette consécration d'un nouveau type d'auteur par l'imprimé ne fait que commencer. L'allusion aux libertés de la page 281 semble bien porter à la fois sur les libertés que prennent les écrivains et celles qui se développent pour les dramaturges et les autres auteurs dans les espaces ainsi appelés, au prix d'une existence hors des limites spatiales, sociales, intellectuelles et morales de la ville. Nashe nous apprend d'ailleurs que Harvey vient d'intervenir auprès du Lord Mayor pour qu'il le fasse taire21.
- 22 Une remarque de Harvey dans Pierces Supererogation illustre cette confusion : “My writing is but a (...)
- 23 Nous relevons une allusion à Stowe, p. 317, 35 qu'on peut relier aux propos tenus sur les chronigr (...)
- 24 La reine (p. 276), Burghley (p. 295), son employeur ou son protecteur et les précédents (pp. 329, (...)
- 25 p. 285-286.
11Une autre accusation de Nashe éclaire un autre changement affectant les deux auteurs : ils se situent dans un espace qui se crée entre écrit public et écrit privé et témoignent de la frontière mouvante à cette jointure. Harvey dévoie les lettres privées quand il les publie. Il publie des lettres privées sur n'importe quoi, le trivial sans intérêt et l'intime trop précieux. On lui donne un pot de beurre ou un bout de fromage, il publie une lettre, il utilise le nom de ses amis, ou pire de ceux qui l'honorèrent de leur amitié et il attaque son ami Spenser ou le met, une fois de plus, en position difficile22. C'est l'occasion pour Nashe de réfléchir à la différence entre nouvelle publique et nouvelle privée, à ce qu'on peut discuter en public et publier. Sa propre œuvre se situe aussi sur la frontière entre lettre privée et œuvre publique, mais son emploi des codes sociaux et littéraires est beaucoup plus maîtrisé même quand il les transgresse. À une époque où faire œuvre publique c'est produire un texte lié à une fonction sociale, où les autorités stipulent ce qu'on peut inscrire, où l'œuvre littéraire légitime est une construction ou un monument, seuls sont mémorables les panégyriques du prince et la célébration de la cité23. Or les pamphlets des antagonistes sont d'un autre ordre. Sont-ils acceptables dans un tel contexte ? Nashe rend à César l'hommage qui lui est dû, par périphrase ou antonomase : en dépit de ses insolences, il sait parler des grands comme il se doit, sans les nommer, la Reine, Burghley et celui qui l'emploie, “my Lord”24. Mais, dans un autre passage, alors qu'il s'interroge une fois de plus sur les services dûs par l'écrivain, il trouve le moyen d'indiquer à mots couverts qu'une autre hiérarchie que celle du pouvoir existe, celle des auteurs consacrés par la postérité. Invoquant les exemples de Cicéron et d'Ovide, il trouve ainsi l'occasion de revendiquer sa parenté avec les plus grands et de se replacer dans la tradition tout en revendiquant un droit à l'expression personnelle. À propos de Cicéron, il souligne les dangers de la flatterie qui fait écrire de moins bons textes que l'attaque satirique, alors que l'exil d'Ovide signale inversement le danger de critiquer le prince. Ses lecteurs savaient d'ailleurs fort bien, sans qu'il doive le rappeler, que la flatterie n'avait pas sauvé Cicéron25. Ces références montrent qu'il se sait marginal et avec une marge de manoeuvre étroite, mais revendique cette position complexe :
The Spanyards cald their invasive fleete agaynst England the Navie invincible, yet it was overcome. [..] Gabriell and Richard, I proclaime open warres with you: March on, Jocus, Ludus, Lepos, my valiaunt men at armes, and forrage the frontiers of his Fantasticallitie as you have begun. (298)
12Il se sert des armes de l'humour (lepos) et du burlesque pour exprimer une revendication sérieuse : il se présente dans cette déclaration comme un écrivain illustrant son pays ou sa langue, même en se livrant à un combat privé, même sans être poète officiel.
- 26 Les acteurs Armin (p. 280), Will Kempe (p. 287), Ned Allen (p. 296) ; les compositeurs Hugh Coplan (...)
- 27 Par exemple dans Foure Letters (p. 195, 1. 4), réfuté par Nashe (p. 305, 25).
13À cette époque seules sont connues et célébrées certaines étapes de l'existence de personnages importants dans les fêtes royales et civiques, et le commun doit se contenter de l'information éphémère et pragmatique du crieur public et du bouche à oreille, mais il n'y a pas d'annonces, de faire-part, de faits divers, de potins ni de chroniques anecdotiques écrites et publiées, c'est-à-dire tout ce qui sera ensuite la substance du journal. Or, l'écrit de Nashe fait allusion à ce qui arrive aux gens du commun, à ce type de nouvelle. Nous lisons des allusions aux acteurs comiques, aux compositeurs de ballades, aux danseurs, aux ours de Paris Garden, aux bistrotiers, aux fous ou aux excentriques, aux condamnés et au bourreau, aux prédicateurs de la rue et à tous les personnages de la rue d'une façon générale26. Nous voyons là que son écrit reflète la force de la transmission orale mais nous devons surtout remarquer la nouveauté de cette allusion aux gens ordinaires. L'attachement des lecteurs et des critiques que Nashe s'est acquis depuis l'édition de McKerrow tient à cet aspect-là de l'œuvre et témoigne de l'importance de ce développement. Ce qui fait aujourd'hui la force de Nashe faisait alors sa faiblesse : il est pour ces allusions attaqué par Harvey27, mais il récidive, il insiste, il revendique cette parenté avec le peuple, à l'opposé des relations dont se targait Harvey :
Most voices, most voices, most voices; who is on my side, who? Whether is the Astrologicall Discouse a better booke than Pierce Pennilesse? Gabriel hangtelow saies it is; I am the Defendant, and denie it, and yet I doe not overcull my owne workes. (308)
- 28 pp. 288-289. Une existence littéralement comptée quand elle se résume aux habits de Greene, leur c (...)
14Les gens du commun s'insinuent dans le livre ; la vie privée du vulgaire va donc accéder à une expression publique et le journal qui remplit ces fonctions va devenir possible. L'individu aura un sens et son existence éphémère sera comptée (et contée) dans la temporalité du journal. L'exemple le plus frappant est ce que les deux écrivains, mais surtout Nashe, détaillent de Greene, ses habits, son dernier repas, ses trois dames, son fils illlégitime Infortunatus28.
- 29 Nous pouvons décrire, schématiquement, la situation ainsi : Pierce Penilesse est attaqué dans les (...)
- 30 Voir pour Greene, p. 279, 25 et ed. McKerrow, vol. V, supplément p. 75 ; pour Harvey voir pp. 327, (...)
15Avec Nashe et Harvey la satire se rapproche des conditions du journal. La satire et le journal sont définis par le triangle qui met en présence locuteur, allocutaire et public, mais le journal s'adresse à plusieurs allocutaires et sa dimension temporelle permet l'intervention du public et d'opérer des changements au cours d'éditions successives. Dans cette controverse, le besoin d'un tel fonctionnement apparaît quand les réactions des lecteurs affectent la réécriture des œuvres. Nous ne pouvons que mentionner en passant le tissage des textes, la façon dont les deux auteurs à travers quatre textes utilisent les mots de l'autre pour l'attaquer (mettant en jeu cinq textes)29 et souvent même se font l'écho du texte de leur ennemi citant leur propre texte : ils créent ainsi un réseau inextricable d'échos, d'autant plus inextricable qu'ils font allusion à d'autres textes ou aux positions d'autres écrivains et au résultat de discussions orales, avec toutes sortes de périphrases et de références plus ou moins cryptées. À chaque fois, le public est pris à témoin. Cette réutilisation a une dimension argumentative, où ressassement et variation se mêlent, cette réutilisation est aussi un exercice littéraire et quasi esthétique, et de ce jeu proprement littéraire Nashe sort vainqueur. Mais, pour nous en tenir à une vue extérieure des pamphlets, nous savons que les textes ont connu plusieurs rédactions qui ont annulé ou ajouté des passages. Nous savons désormais que l’attaque de Greene a eu deux versions publiées avec des modifications auxquelles Nashe fait allusion. La connaissance de propos et d'écrits de Nashe a conduit Harvey à modifier brutalement l’inflexion de sa troisième lettre, qui est vraisemblablement la réécriture partielle d’un texte antérieur.30 Par ailleurs, le texte de la deuxième lettre de Harvey a dû être publié séparément, il y en a eu au moins deux versions, sans compter les manuscrits antérieurs. Rappelons un troisième facteur de rapprochement : la forme de la première page qui servant à l'affichage publicitaire était proche à la fois du placard et de la une du journal et, comme elle, commentée par le public. Nashe en appelle à ce public, au jugement de la rue. Il se livre à une réflexion sur le cycle de l'information quand il utilise des métaphores de digestion et de consommation. Son texte est du consommable et donc du jetable et du recyclable. Alors qu'il veut utiliser tout le papier (315, 5), cet écrit risque au contraire de devenir déchet ou papier de toilette (300, 8 ; 281, 1), papier d'emballage (258, 10), papier pour boucher les pots de moutarde (265), papier pour lèche-frite (Have With You to Saffron Walden, vol. III, p. 14, 21). Derrière la rumination sur la matérialité du texte se dessine une méditation sur la réception ; il y aura soit consubstantialité, soit dissociation de la lettre d'avec le papier. Son texte peut être jeté ou au contraire être lu, c'est-à-dire parlé et commenté.
- 31 p. 313, 15 sq.
16 Strange Newes prend comme des œuvres postérieures la forme d'un tribunal improvisé, qui semble appeler et rappeler la lecture publique dans les tavernes et les commentaires collectifs des badauds de Paul's Churchyard, et les descriptions de Nashe nous renseignent sur les pratiques de lecture en commun et de lectures du commun : “Heigh, drawer, fil us a fresh quart of new-found phrases, since Gabriell saies we borrow all our eloquence from the Taverns : but let it be of the mighty Burdeaux grape, purevino de monte, I conjure thee” (305). Se pose alors la question de ce qui fait un bon orateur. Avec l'imprimerie l'écrit se délocalise et se diffuse à un public divers, mais on est encore dans le système rhétorique qui va de l'Antiquité au XVIe siècle. Les bons auteurs sont d'abord, depuis les débuts de l'écrit, de bons orateurs dans ce sytème de la rhétorique active, prononcée du haut de la chaire ou du rostre pour un public restreint à la définition géographique et sociale étroite. Nashe prend à témoin ce public restreint quand il rappelle “j'ai entendu Richard Harvey parler, on n'a pas besoin d'être bien savant pour parler mieux que Richard”31. Il dit comment se placent les frères Harvey dans la fratrie des bons orateurs : ils sont tous plus mauvais les uns que les autres. Dans cette période transitoire ces deux fonctionnements, l'ancien et le nouveau, sont présents. Un troisième mode de fonctionnement, transitoire, est propre à l'époque : la lecture collective, puisque peu savent lire ; le texte écrit, lu à haute voix, devient un oral ruminé par ses auditeurs. Pour ce public, l'accent doit être mis sur une nouveauté qui n'est pas intellectuelle. Il s'agit de viser juste, penser juste et parler juste. C'est pourquoi Nashe veut écrire un texte qui se consomme rapidement, mais un texte distillé et un texte fort. La lettre doit conserver la liquidité de l'oral pour se communiquer en coulant comme l'ivresse ; l'éloquence visée par Nashe n'est pas la copia dont on a beaucoup parlé ni l'écrit monumental.
- 32 Ces jeux de l'énoncé et de l'énonciation sont constants dans un texte qui est rythmé par ces alter (...)
17Le public lisant Strange Newes réagit à cet écrit, tout comme réagissent Nashe lui-même et son public lisant le texte de Harvey ; tous font alors de l'oral avec l'écrit. Inversement, Nashe fait de l'écrit avec l'oral, avec les paroles de cet échange. Le public n'est plus seulement allocutaire et arbitre, il devient locuteur au moins intertextuel, c'est-à-dire énonciateur. Nous voyons plus seulement la réception influer sur la production, nous voyons l'écrit adopter certains traits de l'oral. Le texte est constamment stoppé dans son élan par des exclamations qui interpellent les lecteurs dans le style même de l'oral : “Quiet your selves a litle, my Maisters, and you shal see me dispearse all those cloudes well enough” (313, 9). Certaines exclamations réunissent tous les personnages du triangle de l'interlocution ; l'ennemi est pris à partie tandis que le public est pris à témoin et appelé à l’aide :“Why, thou arrant butter whore, thou cotqueane and scrattop of scoldes, wilt thou never leave afflicting a dead Carcasse, continually read the rethorick lecture of Ramme-Allie ? a wispe, a wispe, a wispe, rippe, rippe you kitchinstuffe wrangler” (299)32. Nashe cite les genres dont usent la rue pour attaquer Harvey, notamment le théâtre des saltimbanques, “Aih me, Quoth Wit in lamentable sort” (278, 24) ou improvise une ballade chantée par le Vice qui parodie les mauvais vers de Harvey (275, 30). C’est dans cette intertextualité subversive que Nashe se découvre sans-culotte, pour reprendre le mot de C.S. Lewis. Il devient plus grand écrivain que l'auteur à succès de Pierce Penilesse et des tracts contre Marprelate. Il est déjà celui qui oppose les mendiants aux gens de qualité dans une parenthèse saisissante de Have With You to Saffron Walden, où il revendique pour les humbles le droit à étaler leurs différends comme les puissants, un droit exorbitant puisqu'il se compare à cet autre très marqué d'Altérité que sont les potentats italiens :
Harvey and I (a couple of beggars) take upon us to bandie factions, and contend like the Ursini and the Coloni in Roome; or as the Turkes and Persians about Mahomet and Mortus Alli, which should bee the greatest [...] (III, 19)
18Dans les improvisations énonciatives de Strange Newes Nashe se fait le porte-parole des va-nu-pieds et tous sont emportés dans l'élan de son texte et de son invective contre Harvey :
Revenge, revenge on course paper and want of matter, that hath most sacrilegiously contaminated the divine spirit and essence of a penny a quart.
Helter skelter, feare no colours, course him, trounce him, one cup of perfect bonaventure licour will inspire you with more wit and Schollership than hee hath thrust in his whole packet of Letters [...] Broome boyes and cornecutters (or whatsoever trade is more contemptible), corne not in his way, stand fortie foote from the execution place of his furie, for else in the full tide of his standish, he will carrie your occupations handsmooth out of towne betore him, besmeare them, drowne them: downe the river they goe Privily to the Ile of Dogges with his Pamphlets. (280)
- 33 Le rêve de maîtriser toutes les langues apparaît p. 305: “the Danish tongue, or any Turks, or hogs (...)
- 34 “Text, stand to the Barre. Peace there belowe”, p. 293. “Ink and paper, if they bee true Protestan (...)
- 35 Les ruptures énonciatives visent à arrêter le docteur tout en lançant Nashe dans des improvisation (...)
- 36 Il s'adresse à lui-même, pp. 297, 33 et 315, 18. Il s'adresse au texte de Harvey qui devient aussi (...)
19Nashe pratique donc une nouvelle rhétorique qui consiste à se mettre en scène et à mettre en scène l'adversaire dans un ballet très mobile, métamorphique, polysémique, dans un déploiement et redéploiement vertigineux. 11 adopte partiellement la texture de l'oral mais un oral complexe qui suppose un passage par l'écrit pour en apprécier les replis et les ruptures et les reprises : les incises, les exclamations, les citations, la pluralité des langues, la réflexivité, l'hétérogénéité de l'interlocution. Le rêve de parler toutes les langues qui le saisit alors est celui du journal, miroir du monde comme l'indiqueront certains titres, le Temps, l'Univers, le Monde. Ce rêve d'un texte mosaïque, qui trouve sa pleine expression dans les parlers étranges de Have With You to Saffron Walden, débute dans les improvisations enfiévrées de Strange Newes33. Strange Newes est écrit dans la hâte et proclame l'excellence de l'improvisation de l'urgence et l'auteur y rêve d'un texte qui parlerait de lui-même34. Il touche aux limites proprement littéraires de cette préfiguration du journal quand il évolue dans cette direction et que la polyphonie, la polylalie deviennent vertigineuses, ont quelque chose de Finnegans Wake. Ce vertige, très marqué dans la deuxième œuvre, apparaît déjà dans le renversement des perspectives et l'hétérogénéité de l'interlocution de Strange Newes35. Nashe s'adresse aux allocutaires et aux instances les plus diverses : transcendantes et immanentes, sacrées et profanes, éternelles et éphémères. Emporté dans ce mouvement, il s'adresse par deux fois à lui-même ; il s'adresse aussi à l'hexamètre, à l'humour (Jocus, Ludus, Lepos ou Wit, 298 et 278). Il s'adresse enfin à son propre texte, à ce texte en train de s'écrire grâce à des citations de Harvey citant lui-même Pierce Penilesse ou à ce texte qui n'est encore matérialisé que par le papier et l'encre36. Son ennemi est aussi affecté par cet éclatement de la vision ; il est un souverain magnifique et dérisoire de ce charivari, tout à la fois a contemptible under-foote ennemie ou thy olde Trewantship et néanmoins invité à régner : “raigne sole Emperour of inkhomisme [...] the Nunparreille of impious epistlers” (317). De même, Richard Harvey est dénoncé, avec l'aide des lecteurs, comme âne patenté, âne insigne mais traité avec compassion et absout sacrementellement :
Hold the candie, and you shall see me cast a figure for him extempore: Oh hoh,
I have founde him without any further seeking. Give me your eares, Io Paean;
God save them, they are long ones.
Novv, betweene you and me declare, as if you were at shrift, whether you be not a superlative blocke, for al you readd the Philosophie Lecture at Cambridge;
Brieflie, brieflie; let mee not stand all daie about you. (314)
- 37 “I have written in all sorts of humors privately, I am perswaded, more than any yoong man of my ag (...)
20Le pamphlet de Nashe n'a jamais la structure de la réflexion construite, il est marqué par des ruptures énonciatives et des changements de perspective parce qu'il est, jusque dans sa structure, un écrit de réaction, écrit au fil de la plume en une nuit, sur un coin de table, comme le journal. Nashe se vante de produire un texte d'humeur et d'humour37, et de fait c'est un texte où il passe encore pour nous quelque chose de l'homme et de ses biais, de ses travers. En cela Strange Newes tient de l'éditorial, de la rubrique d'auteur, de la column, production où le lecteur cherche à retrouver une voix, quand il se demande ce que va dire l'auteur sur ce dont tous parlent. C'est une attente complexe à laquelle répondent encore nos journaux. Les éditoriaux reviennent sur les événements et ils se relisent, ils se rééditent même, parce qu'ils mettent en scène, ils représentent une histoire (story ou history) qui se remâche et qui se savoure : on veut lire du nouveau, mais on veut aussi entendre à nouveau.
Notes
1 Harvey accuse : “Our new-new writers, the Loadstones of the Press, are wonderfully beholginge to the Asse” in Foure Letters, The Works of Gabriel Harvey. Ed. Grosart. The Huth Library, 1884, vol. I, p. 233. Nashe parle de “newesmungrie” in Strange Newes, The Works of Thomas Nashe. Ed. McKerrow. 1903. Oxford, Blackwell, 1958, vol. I, p. 308. Ces deux éditions seront nos éditions de référence. Pour nos références au texte de Nashe, nous indiquerons la page, suivie si nécessaire de la ligne.
2 p. 317.
3 Être autorisé, c'est à la fois faire oeuvre d'auteur, se placer parmi les auteurs, et donc dans une lignée d'écrivains, ce qui implique de se sentir en droit de le faire mais aussi que les conditions, et notamment celles prescrites par les autorités intellectuelles, sociales et morales, le permettent. On voit dans les expostulations de la fin du texte (p. 330) qu'écrire son nom sur un texte, c'est pour Nashe à la fois être un bon écrivain, avoir une place sociale et avoir la caution du nom d'un patron auquel on fait allusion mais qu'on ne nomme pas dans le texte. Harvey ayant dit que Nashe s'attaquait aux autorités (ed. Grosart, p. 233), Nashe s'explique à plusieurs reprises sur ses rapports avec ses employeurs et protecteurs (“my Lords”) pp. 320, 34 ; 329, 21-27 ; 330, 36.
4 Pour l'origine sociale voir p. 322, 35 sq. Nashe se moque des prétentions de Harvey : “He thinks to over-beare us as poore beggers with the great ostentation of [...] rich acquaintance”, p 276; “yet for all that the adversitie of universall obloquy hath laide a heavie hande on him, still he retaineth [...] some part of his proud mind in a beggers purse”, p. 294. Ce serait un homme désormais tourmenté de n'avoir pu avoir sa place à la cour ou auprès du pouvoir, raillé par Nashe qui le décrit comme “thy excellent out-cast selfe that liv'dst at Cambridge unmounted”, p. 304, 10-19, à court d'argent, p. 261, 32.
5 “Judge the world, judge the highest Courts of appeale from the miscarried worlds judgement (Cambridge and Oxford) wherein I have trespassed in Pierce Pennilesse” proclame Nashe, p. 302, répondant à Harvey qui se voit comme le porte-parole des autorités : “the Universitie, the cittie, the whole Reaime, all good Learning, and civil government, be their Judge, and my mouth especially in this Martinish and Counter-martinish age” et en appelle à Dieu et au bon Ordre (ed. Grosart, p. 203). Les lecteurs ont d'autres critères : “those that will winne liking and grace of the readers must set before them continually that which shall cheare them and revive them” dit Nashe, p. 322.
6 p. 310.
7 Selon Nashe Harvey fut un universitaire contesté (il eut des difficultés à obtenir son doctorat, p. 278-79, et fut empêché par le Dr Perne et Burghley d'obtenir le poste d'Orateur, p. 295) ; il échoua comme secrétaire de Leicester (voir Have With You to Saffron Walden, p. 79) qui n'est plus là pour le protéger (p. 322, 31) ; il n'a pas plus de succès comme juriste (p. 294, 9 et 332, 27).
8 Il n'aurait pas trouvé preneur pour ses ouvrages universitaires (p. 297, 17) et ses productions seraient publiés à compte d'auteur (pp. 258, 1 ; 261,29 sq. ; 300, 5).
9 Cette accusation porte sur la question de qui est orateur, Nashe dans Pierce Penilesse ou Harvey. Elle commence p. 268. Harvey est thy Doctourship (p. 277) ; l'interrogation se poursuit avec Captaineship (p. 278), Doctourship (p. 279), Schollership (p. 280), Oratourship (p. 294), Doctourship et schollership (p. 302) et divinitiship (p. 311). L'attaque apparaît avec scurrilitiship (p. 298) et thy olde Trewantship (p. 317), citation du texte de Harvey (pp. 207 et 235) de Foure Letters qui lui-même reprend une attaque d'un adversaire du docteur.
10 Ed. Grosart, p. 174 sq.
11 Richard Harvey écrivait des almanachs (pp. 298, 308 et 311) et dans Have With You to Saffron Walden, Gabriel Harvey est accusé d'y avoir collaboré (vol. III, p. 70).
12 Nashe renvoie dos à dos les pseudo-nouvelles militaires nobles et les fausses annonces catastrophiques des almanachs : “hee will have at you with a cap-case full of French occurrences, that is, shape you a messe of newes out of the second course of his conceit, as his brother is said out of the fabulous abundance of his braine to have invented the newes out of Calabria (John Doletas prophesie of flying dragons, commets, Earthquakes, and inundations). I am sure it is not yet worne out of mens scorn, for every Miller made a comment of it, and not an oyster wife but mockt it”, p. 289.
13 ergo, pp. 274, 278, 299, 305, 313 et ergonist, p. 285.
14 p. 317. Voir aussi la contestation du savoir de Harvey (pp. 315, 29 ; 328, 34 sq.) et de la lourdeur de ses arguments (pp. 282, 31 et 302, 8). Selon Nashe l'invention doit ne pas se faire sentir, les mots doivent toujours rebondir : “his invention is overweapond; he hath some good words, but he cannot writhe them and tosse them to and fro nimbly”, p. 282, 27.
15 Pour l'hexamètre voir pp. 277, 278, 295, 298, 300. Nashe récuse aussi le théoricien en attaquant les mauvais vers de Harvey le meetermunger qui rêve de meeterdome (pp. 265, 275, 288 et 289, 29). 11 définit la nature du vers de langue anglaise tout en poursuivant son combat contre les prétentions littéraires et sociales du docteur : ‘The Hexamiter verse I graunt to be a Gentleman of an auncient house (so is many an english begger), yet this Clyme of ours hee cannot thrive in; our speech is too craggy for him to set his plough in; hee goes twitching and hopping in our language like a man running upon quagmiers, up the hill in one Syllable, and down the dale in another, retaining no part of that stately smooth gate, which he vaunts himselfe among the Greeks and Latins”, p. 298-299. La poéticité et la vérité sont du côté des gueux, ici comme dans tout le texte de Nashe.
16 Nous trouvons dans la liste des mots reprochés à Harvey (p. 316) egregious, ingenuity, jovial, putative, materiality, artificiality, fantasticality, perfidy, addicted to theory, abundant, cordial liquor, abyss, perfunctory, amnesty, amicable, notoriety et negociation dont la carrière ultérieure fut fort honorable.
17 Gabriel Harvey aurait souhaité répondre à l'équipe de Marprelate de façon sérieuse. Il le fait dans une section de Pierces Supererogation tout à fait convaincante, ed. Grosart, vol. II, pp. 131 à 231.
18 p. 325.Cette interpellation des instruments de l'écriture reprend Foure Letters (p. 217) dans une citation qui reprend Pierce Penilesse, ed. McKerrow, vol. 1, p. 199.
19 La confession, 314, 26 sq. ; le baptême, 315, 10 ; la bénédiction, 317, 34. Nous relevons une allusion à la canonisation, p. 317, 23.
20 Ainsi les frères Harvey sont décrits comme “a sinode of Pispots” (298, 14) : ils croient qu'ils ont une parole sacrée, mais Nashe leur prête une identité scatologique. Harvey est donné dès le départ comme “no Angell but Angelos”, messager colporteur de nouvelles douteuses (p. 265). Voir Jonathan W. Crewe, Unredeemed Rhetoric : Nashe and the Scandai of Authorship, Baltimore, Johns Hopkins U. P., 1982 et Marie Couton, “Nashe, l'écriture et les avatars de la paternité”, Études Anglaises, avril 1996, pp. 133-143.
21 p. 307, 34 et 320, 23 explicité dans Have With You to Saffron Walden, vol. III, 95, 33.
22 Une remarque de Harvey dans Pierces Supererogation illustre cette confusion : “My writing is but a private note for the publique advertisement of some fewe”, vol. II, p. 109. Le pot de beurre et le fromage, p. 297 ; l'utilisation des amis, p. 276 ; pour Spenser voir notamment pp. 281-282 ; 283, 30 ; 289, 32 ; 291, 15 et 321 : les allusions aux animaux de Nashe, qui débutent p. 260, rappellent les problèmes qu'entraînèrent la circulation et la publication de Mother Hubbard's Tale ; elles sont retravaillées pour alimenter la polémique : le renard c’est Burghley pour Spenser et Perne pour Harvey et le singe (ape) c'est Harvey pour Nashe et Simier ou Alençon pour Spenser. Les jeux de mots de Nashe sur bear (p. 280-281) et sur ragged sleeve rappellent les liens de Harvey avec Leicester.
23 Nous relevons une allusion à Stowe, p. 317, 35 qu'on peut relier aux propos tenus sur les chronigraphers dans Pierce Penilesse, p. 194.
24 La reine (p. 276), Burghley (p. 295), son employeur ou son protecteur et les précédents (pp. 329, 21 sq. et 330, 36). Voir aussi p. 291, 31.
25 p. 285-286.
26 Les acteurs Armin (p. 280), Will Kempe (p. 287), Ned Allen (p. 296) ; les compositeurs Hugh Copland (p. 285), Elderton et Tarlton ; les saltimbanques (pp. 262, 20 et 284, 3) ; les ours (p. 281) ; les bistrotiers John Davies (p. 258), Jack of the Falcon (p. 283), Mistress Isam, la logeuse (p. 288) ; le bourreau (p. 319) et les condamnés (pp. 297 et 302) ; les prédicateurs (p. 295 et 327) et enfin Mother Livers (p. 274) et Meg Curtis (p. 265).
27 Par exemple dans Foure Letters (p. 195, 1. 4), réfuté par Nashe (p. 305, 25).
28 pp. 288-289. Une existence littéralement comptée quand elle se résume aux habits de Greene, leur couleur (“a grave goose turd greene”), leur tissu et leur prix, posant la question de quel est le prix d'un homme, de l'homme dépouillé, mais aussi rhabillé par Nashe ; une description en forme d'inventaire que les critiques, qui en ont perçu le côté poignant, citent souvent.
29 Nous pouvons décrire, schématiquement, la situation ainsi : Pierce Penilesse est attaqué dans les deux oeuvres de Harvey Foure Letters et Pierces Supererogation, Pierce Penilesse est défendu dans Strange Newes qui attaque Foure Letters; Pierces Supererogation qui répond à Strange Newes est attaqué dans Have With You to Saffron Walden, chaque attaque relance les citations des oeuvres antérieures.
30 Voir pour Greene, p. 279, 25 et ed. McKerrow, vol. V, supplément p. 75 ; pour Harvey voir pp. 327, 4 et 263, 12 et ce que dit McKerrow, notamment vol. IV, pp. 152-153 et vol. V, p. 80 sq. et le supplément p. 18.
31 p. 313, 15 sq.
32 Ces jeux de l'énoncé et de l'énonciation sont constants dans un texte qui est rythmé par ces alternances d'emportements et d'interruptions et qui procède donc constamment par rupture et suture. Voir par exemple celles des exclamations qui prennent la terre et le ciel à témoin et qui sont dans la ligne de notre analyse du sacré et du consacré : “the body of mee”, p. 293, 8 ; “Marry, God forfend”, p. 292, 16 ; “Lord that men shoulde bee so malitiously bent”, p. 297, 28 ; “Sancta Maria, ora pro nobis”, p. 286, 26.
33 Le rêve de maîtriser toutes les langues apparaît p. 305: “the Danish tongue, or any Turks, or hogs, or dogs tongue whatsoever, would I rather learne rather than bee put downe by such a ribauldry Don Diego as thou art.” Ce rêve prend des allures plus positives et plus inventives dans Have With You to Saffron Walden.
34 “Text, stand to the Barre. Peace there belowe”, p. 293. “Ink and paper, if they bee true Protestants, wil pray [...]”, p. 325.
35 Les ruptures énonciatives visent à arrêter le docteur tout en lançant Nashe dans des improvisations frénétiques, voir par exemple p. 281: “Holla, holla, holla, flurt, fling, what reasty Rhetoricke have we here? certes, certes, brother hoddy doddy, your pen is a coult by cockes body”. C'est une expostulation à la limite de la littérature et du cri, très personnelle et très impersonnelle, compulsive et maîtrisée : “From this day forward shall a whole army of boies corne wondring about thee, as thou goest in the Street, and cry kulleloo, kulleloo, with whup hoo, there goes the Ape of Tully : tih he he, steale Tully, steale Tully, away with the Asse in the Lions skinne.
Nay, but in sadnesse, is it not a sinfull thing for a Scholler and a Christian to turne Tully? A Turke would never doe it” (p. 290).
36 Il s'adresse à lui-même, pp. 297, 33 et 315, 18. Il s'adresse au texte de Harvey qui devient aussi son texte p. 293, 5 : “Text, stand at the Barre. Peace there belowe” et 305, 36: “but you, my approoved good friends, four Letters, and certain Sonnets”. Pour le papier et l'encre (p. 325, 15), voir ci-dessus. Voir aussi le travestissement de l'argument de Harvey en personnage de Marlowe, p. 293.
37 “I have written in all sorts of humors privately, I am perswaded, more than any yoong man of my age in England”, p. 320.
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