Figures de la royauté en Angleterre de Shakespeare à la Glorieuse Révolution
| ,II. La royauté anglaise : représentations esthétiques, politiques et idéologiques
Le masque de la royauté
Résumé
The Elizabethan mask is an avatar of the Elizabethan mirror. As such the portraits of Queen Elizabeth exhibit specific semiotic features all attributable to the aesthetics of the Queen’s Court Miniaturist Nicholas Hillliard.
Queen Elizabeth I’s mask is an embodiment of genealogy and identity. It is a dynastic mirror: it echoes other European court portraits and it uses the emblem of the tree. It is also a reflexive mirror borrowing from social rituals (progresses, gifts) and political theory (body politic/body natural) for the patterns of its style.
The genesis of the royal mask shows Hilliard’s aesthetics spring from hybrid models which all have in common a classical conception of the portrait as the representation of a privileged time — as in drama.
The royal image dramatizes the sovereign in images of immanence: kingship, justice, peace and prosperity, as well as of transcendance: chastity and love, glory and eternity. This is done in two specifc masks, the “imperial mask” and the “mask of beauty”.
Images are not a mere reflection of the world which would have produced them. Images are masks: they collect fragments from the world and rearrange them into significant and specific symbolic patterns. The two masks of Queen Elizabeth examined in this paper show the very essence of kingship lies in its icons.
Texte intégral
Was this face the face
That every day under his household roof
Did keep ten thousand men? Was this the face
That like the sun did make beholders wink?
Richard II, IV.1.278-283.
1Lorsqu’il prononce les paroles citées en exergue, le roi Richard II contemple son visage. Il vient de procéder à sa propre destitution en récitant l’une après l’autre les phrases du sacrement de couronnement comme s’il avait le pouvoir de défaire ce que Dieu a fait. Cet abus de pouvoir manifeste, dont il rejette aussitôt la responsabilité sur ses sujets, est théâtralisé pour deux spectateurs différents mais conjoints dans le même instant, les sujets de sa majesté, d’une part, auxquels il s’adresse à la fois directement et indirectement (par la mise en scène de sa destitution), et, d’autre part, le spectateur élisabéthain qui assiste impuissant à une scène à la fois irrémédiable — vieille de deux cents ans et fondatrice de sa destinée nationale (Richard II/Élisabeth I).
2Dans ces vers, l’état de la royauté est mis en parallèle avec l’état du roi par le truchement de cette pièce dans la pièce, et le miroir où cette comparaison prend corps est le substitut d’une confession publique que le roi refuse de lire. Or le rituel du couronnement auquel il s’est soumis au début de son règne comporte déjà un acte d’humilité. Ce n’est donc pas la confession elle-même mais ce qu’elle dit sur l’état de la royauté en déclinant les fautes du roi qui importe. Le miroir substitue à cet exercice d’humilité un autre texte, mais en ce faisant n’offre au lecteur — Richard II en l’occurrence — qu’un masque impénétrable, ce dont témoignent ses interrogations. Le miroir-masque joue de ce fait au moins deux rôles distincts. D’une part, il est texte substitué à un texte (le parchemin) et se présente comme une page vide, un masque où le lecteur peut inscrire lui-même son texte — ce que Richard II fait en lui restituant un texte de circonstance, le texte médiéval sur la vanité, vanitas, auquel il ajoute le texte maniériste, vanitas vanitatis : c’est le masque-page ou palimpseste. D’autre part, en tant que masque-écran, il opacifie un texte implicite tout aussi symbolique, lieu d’ambiguïtés, d’interdits, mais aussi d’échanges multiples.
3Nous étudierons les miniatures élisabéthaines de Nicolas Hilliard dans ce contexte : consacrées pour la plupart au portrait de la reine Élisabeth I, elles constituent selon nous un ensemble de masques à la fois au sens de page vide où le lecteur inscrit son propre texte dû aux circonstances, et au sens d’écran représentant implicitement à la fois des stéréotypes et des symboles inédits.
4En ce sens le masque démasque la royauté tout en l’affichant de multiples manières.
1. Le masque royal d’Élisabeth I : héritage et identité ou la problématique des circonstances
1.1. Le masque : miroir dynastique
5Les portraits d’Élisabeth I offrent une grande homogénéité, comme s’ils étaient pour la plupart des copies de copies dont on peut se demander où est l’original. Nous pensons que loin d’être une copie du modèle réel, ces portraits sont l’expression d’un héritage culturel et d’une définition de la royauté européenne en général.
- 1 Rappelons ici l'ambivalence de ce motif ; c'est Chaucer qui rapporte par le biais des paroles de Th (...)
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- 3 Whitney Emblemes 1586, p. 53 : le figuier orgueilleux ; p. 59 : le pin orgueilleux ; p. 118 : la no (...)
6Le masque est en effet un miroir dynastique, comme en témoigne l’importance du motif de l’arbre, emblème de la pérennité qui définit la royauté en Occident. Il s’agit bien entendu de l’arbre généalogique1 dont nous ne donnerons ici que deux exemples, celui de George Clifford, Earl of Cumberland par Hilliard et celui de Herbert of Cherbury par Isaac Oliver2. Dans la première miniature, l’arbre sert à cadrer le champion de la reine dans le premier plan de la miniature, mais il est aussi motivé diégétiquement puisque le chevalier y a suspendu son écusson orné de ses armoiries. Sur ce blason, l’on reconnaît sinon sa propre lignée, du moins l’insigne de la féodalité qui le lie à son souverain, Élisabeth I en l’occurrence. Sur la miniature de Cherbury en Arcadie rappelant le grand roman de Sidney, l’arbre s’est transformé en forêt et le blason est devenu ornemental, porté sur le bras. Mais le contexte même du roman de chevalerie suffit à rappeler son sens premier. L’arbre est fréquent dans les emblèmes et illustre toujours l’idéal élevé de la noblesse, ou bien son image inversée, l’orgueil3.
- 4 Roy Strong, The Cult of Elizabeth : Elizabethan Portraiture and Pageantry, Londres, Thames & Hudson (...)
- 5 Artists, no 105-108.
- 6 Artists, no 249.
7Le masque royal d’Élisabeth I a donc un héritage iconographique qui sert de référence à plusieurs niveaux : la famille impériale, tout d’abord, Maximilien Ier par Dürer ; ou Charles Quint et Isabelle de Portugal par Le Titien ; la famille proche, d’autre part, avec François Ier et Henri II par Clouet ; et enfin la famille légitime et directe, avec Henry VIII par Holbein. Cette famille impériale est représentée par l’aubépine des Tudors dans certains portraits d’Élisabeth I. Il existe en effet un pendentif ajouré montrant l’effigie d’Élisabeth I dont le cadre circulaire est orné d’un entrelacs de tiges fleuries. Le motif de l’arbre et sa valeur symbolique essentielle, la légitimité royale, sont ainsi représentés à la manière d’une couronne d’aubépine rappelant l’union consacrée par le mariage des familles ennemies de la Guerre des Deux Roses4. Il existe aussi un ensemble de quatre petites miniatures circulaires commandées à Hilliard vers 1600-10 et représentant la dynastie Tudor. Il s’agit non seulement de la famille directe mais aussi, implicitement, de la famille qui garantit la légitimité royale tant pour Élisabeth I que pour Jacques I. On y reconnaît Henry VII, Henry VIII, Jane Seymour et Edward VI, peints dans la première manière d’Hilliard des années 1572-85, à savoir sur le fond bleu outremer qui était réservé aux rois5. Hilliard dut aussi exécuter une miniature de Marie Stuart ainsi que de nombreux portraits en miniature de Jacques I dont il fut le peintre attitré — comme pour garantir par la continuité de son style la légitimité de la nouvelle dynastie, celle des Stuarts. Enfin, il existe un ensemble de portraits des Stuarts par Hilliard, assemblés dans un cadre commun en bois dont il n’est pas impossible que le matériau ait symbolisé pour Charles Ier auquel ils appartenaient l’arbre sacré de la généalogie6.
- 7 On retrouve la même idée dans la série de médaillons sur fond bleu consacrés aux preux de Marignan (...)
8Ainsi que nous le verrons ci-après, ces miniatures familiales sont toutes dans le même style, créé à l’origine par Horenbout imitant une miniature par Clouet donnée à Henri VIII : même échelle, même angle, fond bleu “royal”, comme si ce style commun tissait entre ces personnages historiques un réseau de ressemblances symboliques beaucoup plus riches que le sens très limité que nous donnons aujourd’hui à ce mot7. Le masque est donc une copie au second degré et cet effet citationnel est affiché car il garantit la lecture d’un texte sur la royauté en toutes circonstances.
9L’observateur de ces portraits, ceux de la dynastie Tudor, par exemple, est mis en situation de spectateur et de lecteur par cette duplication du modèle normatif. La royauté nous est désignée par l’effet de pétrification monumentale qui caractérise ces portraits. Un inventaire rapide donnera ici une idée préliminaire des codes visuels dont il faudrait traiter et qui contribuent à créer cette attitude “monumentale” que nous appellerions aujourd’hui “impériale” : angle de profil, tête et épaules, ou au contraire angle frontal, portrait en pied, jambes écartées, geste suspendu, regard posé sur l’observateur ou derrière lui. Le masque royal qui se transmet sur l’arbre dynastique est bien un miroir au sens littéral du terme, car il recopie à l’infini un seul et même modèle. Or ce modèle n’est pas seulement le fruit de l’autorité ancestrale, il est également l’oeuvre de la vie en société.
1.2. Le masque : miroir spéculaire
- 8 Strong, 1977, pp. 84-112.
- 9 F. Boucher Le Costume en Europe occidentale, Paris, Flammarion, 1965, no 474 et Strong, 1977, p. 14 (...)
10On connaît plusieurs peintures consacrées à des scènes de la vie quotidienne sous les Tudors, des scènes de fête ou de repas comme le fameux tableau illustrant la vie de Sir Henry Unton8. Mais il existe peu de scènes de la vie de la cour. Nous en évoquerons pourtant deux : un bal à la cour d’Élisabeth I, qui ressemble fortement à une scène de bal à la cour des Valois, et Élisabeth I en procession à Blackfriars9. La société dans ces deux peintures se fait le miroir de la royauté ; la vie quotidienne est ritualisée par un événement exceptionnel, celui de la présence royale. Cela se voit au plan du contenu, par les icônes connotant le luxe telles que l’étoffe scintillante des vêtements, leur couleur vive, ou encore leur ampleur démesurée ; cela se voit aussi à l’organisation spatiale des personnages. Ils forment un défilé, ou un groupe géométrique de danseurs et de spectateurs, ce qui connote donc la dépense somptuaire extravagante et son antithèse, l’ordre géométrique idéal. Le miroir de la royauté est matérialisé par une société prise au piège de ses propres normes. Le monarque y arbore un masque signalant que le temps ordinaire est suspendu, à la manière du temps spectaculaire au théâtre, et que les règles du jeu sont provisoirement changées ; au lieu de s’appliquer au monde matériel, elles s’appliquent au monde plus abstrait du pouvoir et de l’ordre social. La lecture du masque royal est donc ici liée à une circonstance particulière, la présence du monarque au milieu de ses sujets ; elle véhicule deux règles de comportement qui permettent de l’identifier : la dépense et la hiérarchie sociale, toutes deux figures d’une promesse de prospérité.
- 10 Voir notre “Le motif du don culturel à la Renaissance dans quelques enluminures et portraits, en pa (...)
- 11 Artists, no 126 Unknown Lady, c. 1600 Nicholas Hilliard, Coll. The Duke of Buccleuch.
- 12 Strong, 1977, no 71, The Ermine Portrait et Strong, Painting in England 1540-1620 : The Elizabethan (...)
11L’art élisabéthain comporte également deux autres métaphores visuelles de la ritualisation du masque royal par la société : la figure du don de l’image royale10 et, corollairement, celle du vol de cette image. Citons par exemple un portrait en miniature par Hilliard d’une dame inconnue avec un pendentif au cou (miniature donnée)11, et, par ailleurs, un portrait d’Élisabeth I par Hilliard et celui, fort semblable, de Lettice Knollys (image volée)12.
12Dans le premier cas, celui de la miniature, l’image royale a fait l’objet d’un don : elle est portée à la manière d’un objet sacré, c’est-à-dire enfermée dans un médaillon aux connotations religieuses, mais également exhibée sur la poitrine, siège du coeur de l’amoureux. De plus, l’objet que tient la dame dans la main lui fait écho car il s’agit d’une fleur coupée, connotant la nature, c’està-dire une image inversée du médaillon connotant la culture. Par ailleurs, le médaillon est étoilé, ce qui donnera lieu ci-après à une discussion du bijou comme masque symbolique ; sa forme très ouvragée évoque le rayonnement d’un astre, et contraste vivement avec l’aspect lisse et rond de la perle par laquelle se termine le bijou. Rappelons par ailleurs le symbolisme de la perle dont l’éclat rehausse la blancheur de la gorge de la dame chez Pétrarque comme chez Hilliard (outre la prouesse technique du reflet de la perle).
13Le masque est ici socialisé non plus seulement comme rituel de comportement normatif mais aussi comme texte caché et individualisé. Le masque-page s’efface devant le masque-écran qu’il désigne : le portrait royal en miniature (ou son avatar, le portrait de l’aimé[e]) s’exhibe sur la peau, quoiqu’indirectement (cordon noir auquel il est suspendu, écrin où il est tenu à l’abri de la lumière mais aussi des regards). Le rite social ne désigne plus l’image directement mais indirectement, c’est-à-dire peut-être la royauté davantage que le roi.
14Quant au portrait à l’huile d’Élisabeth I par Hilliard et son avatar, celui de Lettice Knollys, femme de Robert Dudley et rivale d’Élisabeth, ils célèbrent tous par la beauté du costume chamarré de broderies d’or et d’argent autant que par la chevelure rousse frisée ornée de bijoux et le teint éclatant, une beauté hautaine et impassible. Mais tandis que l’une est à la fois chaste et reine des coeurs (y compris de celui de Dudley), l’autre est exilée loin de la cour et se fait le miroir éloquent de la première.
- 13 Marie-Madeleine Martinet, Le Miroir de l'esprit dans le théâtre élisabéthain, Paris, Didier Éruditi (...)
15C’est bien cette dialectique entre l’image présente ou masque-page d’un texte de circonstance et l’image absente ou masque-écran d’un texte pluriel qui donne à la miniature élisabéthaine ses traits si caractéristiques. Autrement dit, la propriété du masque est utilisée par la culture élisabéthaine de la même manière que celle du miroir13. Il n’est que de voir l’importance que ces deux figures occupent dans le théâtre shakespearien pour s’en convaincre.
2. La genèse du masque ou l’état comme instant de célébration
2.1. L’image de la royauté et la mise en scène
- 14 Mary Edmond, Hilliard and Oliver, Londres, Haies, 1983 ; Roy Strong, The Renaissance Miniature, Lon (...)
- 15 Jim Murrell, The Way Howe to Lymne Tudor Miniatures Observed, Londres, Victoria and Albert Museum, (...)
16Le fait qu’Hilliard ait été choisi par Élisabeth I pour élaborer le premier masque royal ne demande plus à être démontré14. Le modèle de la miniature royale était déjà bien établi lors de l’accession d’Élisabeth au pouvoir en 1558 mais ce n’est qu’en 1572 que le premier masque est créé par Hilliard. Il s’agit d’un buste de trois-quarts (fig. 1) sur le modèle de la miniature de Henry VIII par Horenbout, éclairé de face ce qui atténue le relief ; le portrait est exécuté sur un parchemin préalablement teinté de sorte que les traits du visage sont ajoutés sans cependant pour autant imiter le modelé d’Holbein15. L’effet général a pu rappeler l’école française à certains, mais une comparaison avec la miniature par Clouet dans la Collection de la reine d’Angleterre à Windsor montre une différence essentielle : la carnation chez Clouet, tout comme celle d’Holbein, recouvre toute la surface et modèle le visage, ce qui suggère que l’effet d’optique — lumière reflétée sur une surface arrondie — a été minutieusement transposé en pigments colorés (pointillisme et non hachures).
17Or, au contraire, chez Horenbout et Hilliard, l’effet du masque est beaucoup plus littéral : il ne s’agit pas de renvoyer à un volume, mais à une surface où se lit un texte consacré à l’idée de royauté. Les hachures chez Hilliard sont d’autant plus soulignées qu’elles prennent pour modèle celles des gravures de Dürer et sont visibles à l’œil nu ; la calligraphie prime sur le fondu. L’idée d’un masque de la royauté est donc présente d’entrée de jeu, c’est-à-dire dès la miniature de 1572 ; nous l’appellerons ici le “masque impérial” (fig. 1), pour le distinguer du “masque de beauté” (fig. 2) de la fin du règne dont il sera question plus loin.
- 16 Collection royale, Hampton Court.
18Une deuxième caractéristique du masque de la royauté d’Élisabeth I est le choix d’un miniaturiste et non d’un peintre de chevalet comme portraitiste en titre. En cela Élisabeth I ne faisait que suivre la tradition établie par Henry VU et Henry VIII. En effet, la miniaturisation fait partie de la genèse du masque royal élisabéthain. La comparaison entre deux portraits d’Anne de Clèves par Holbein, l’un une peinture à l’huile, l’autre une miniature16, montre que le cadre ne sélectionne ici des fragments du corps que pour leur valeur symbolique et ornementale. Le cadre rectangulaire du premier, le tableau à l’huile fait référence au mur où il sera affiché ; il est public et sa valeur symbolique est collective ; le corps est montré jusqu’aux hanches, le ventre se fait le reflet de la gorge et du visage, et l’angle frontal ainsi que le cadrage serré éliminant tout décor renforce le caractère monumental du tableau. Quant au petit cadre circulaire du second, à savoir la miniature, il fait référence à la main où il sera tenu, ou encore à la boîte en ivoire où il sera maintenu à l’abri de la lumière. Il possède un caractère privé et sa valeur symbolique est individuelle ; seuls la gorge et le visage du personnage sont visibles, et le fond bleu outremer souligne le caractère céleste du symbolisme. L’angle frontal donne au visage une valeur ornementale plus que documentaire, et le cadrage serré est de l’ordre du confidentiel.
19De même, le masque royal réalisé par Hilliard en miniature (fig. 1) et transposé par lui ensuite dans les codes du tableau de chevalet (fig. 2 et la miniature dont il est question plus loin) se caractérise par une énonciation très particulière : d’une part, il s’agit (on l’a vu) d’une écriture davantage que d’une peinture ; d’autre part, la confidentialité du message sollicite une fascination que vient renforcer la miniaturisation.
- 17 Artists, 78, no 89 Sir Christopher Hatton, Hilliard, 1588-1591 ; la première miniature d’Isaac Oliv (...)
20Une autre miniature qui n’est certes pas royale, mais qui représente un courtisan de haut rang, à savoir le portrait en pied de Christopher Hatton17, illustre bien ce type de vision en abyme. Il s’agit d’une miniature de très petites dimensions où le détail est repoussé jusqu’aux limites extrêmes de la perception visuelle. L’oeil y est attiré par l’objet alors même que la surface peinte lui interdit toute pénétration autre que celle de l’imagination. En outre, cette miniature étant un portrait en pied, elle pose donc en même temps le problème de la troisième dimension, à savoir la profondeur, à un moment où les théories sur la perspective commençaient tout juste à être discutées à la cour d’Élisabeth. Par exemple, Élisabeth I refusait de poser pour son miniaturiste ailleurs qu’au soleil de midi alors que la perspective des ombres portées commence à apparaître dès 1586 avec Isaac Oliver. La miniaturisation est donc, avec Hilliard, le substitut imaginaire à cette troisième dimension alors que l’utilisation de mises en abyme spectaculaires et spéculaires tout à la fois au théâtre témoigne d’un intérêt grandissant pour la perspective réaliste.
2.2. La miniaturisation et les états spectaculaires de la royauté
- 18 E. H.Kantorowicz, The King's Two Bodies : A Study in Medieval Political Theology, 1957 ; Marie Axto (...)
- 19 Notre Nicholas Hilliard, pp. 223-260.
- 20 Artists, no 187.
21Les remarques qui précèdent montrent à l’évidence que la royauté est théâtralisée par la miniature. Il semble en particulier que cette théâtralisation, qui entraîne la transformation de l’observateur en spectateur compétent selon les codes de la mise en abyme théâtrale, ait pour effet de représenter dans les miniatures d’Élisabeth I par Hilliard le double état du corps royal (“body politic” et “body natural”18). Le corps politique est mis en scène par le masque puisque celui-ci renvoie au rituel de comportement lié à la présence exceptionnelle du monarque dont il a été question plus haut. Avec la miniature royale, le rituel de la royauté (transposé simultanément dans le code amoureux, comme en témoigne le parallèle entre les miniatures et les sonnets)19 est donc répété au quotidien, et cela d’une manière qui n’est pas sans rappeler les tabernacles portables. Ce corps politique a pour propriété d’être a-temporel, à la manière d’un texte. Tout au contraire, le portrait d’Élisabeth I jouant du luth20 renvoie davantage au corps naturel. Mais ce corps naturel est l’objet d’une autre forme de sublimation, par le choix de l’instrument de musique en particulier, et, plus tard, par le choix d’une échelle différente où seuls le visage et le col de dentelle sont visibles.
22En effet, le choix d’échelles différentes pour le portrait royal en miniature témoigne d’une recherche de la sublimation du corps naturel, dès lors que la valeur conventionnelle du “corps politique” est pleinement établie. La comparaison entre différentes miniatures par Hilliard montre en particulier un lien entre l’échelle et le costume, de sorte qu’ils deviennent synonymes (fraise + coiffure = cadre ovale). L’effet produit est celui d’une proximité maximale.
- 21 Nous pensons que l'image n'est pas un reflet du monde où elle est produite ; Hilliard ne peint pas (...)
- 22 Roy Strong, Gloriana : The Portraits of Queen Elizabeth I, Londres, Thames & Hudson, 1987, no 104, (...)
23Par ailleurs, la préférence distinctive, voire maniériste, d’Hilliard pour le cadre ovale attire l’attention sur le rôle symbolique de l’encadrement lui-même et l’espace bi-dimensionnel du plan de l’image. Cette dénudation de l’énonciation transforme ce qui pourrait passer pour un simple reflet du monde21 en un acte théâtral au sens plein, puisque c’est l’espace de la représentation qui est ainsi mis en relief. Nous en citerons trois exemples, trois miniatures d’Élisabeth I par Hilliard : l’une où le plan de l’image et celui du personnage se rejoignent par l’élimination du fond au profit de la fraise de dentelle ; une autre où la duplication de ce même plan est soulignée par le port de deux fraises relevées sur la nuque au lieu d’une ; une troisième enfin montrant que le plan de l’image est souligné par un cadre imitant la dentelle du col22.
24Ici, les rondeurs de l’ovale contrastent fortement avec le rayonnement d’un contour étoilé, la proximité magique contraste avec la mise à distance tragique, et l’oeil de l’observateur est pris en flagrant délit de contradiction dans ce qui est peut-être un oxymore visuel alliant, grâce à la magie poétique du discours pictural, le corps “politique”, rayonnant et éloigné, et le corps “naturel”, arrondi, lisse et tout proche.
25Les deux états du corps royal, l’état “politique” et l’état “naturel”, à la fois contraires et complémentaires, se rejoignent donc chez Hilliard, l’espace bidimensionnel où ils se produisent devenant en quelque sorte le lieu privilégié d’un temps théâtral, c’est-à-dire à la fois suspendu et présent pour le spectateur. Cet espace-temps de la représentation permet de mettre en scène les valeurs symboliques du masque royal.
3. La royauté dans tous ses états : le masque comme miroir des états du souverain
3.1. Les masques de l’immanence23
- 23 G. Genette, L'OEuvre de l'art, t.I, L'immanence et la transcendance, Paris, Seuil, 1994.
- 24 Ema Auerbach, Nicholas Hilliard (1961), Boston, Mass., Boston Book & Art Shop, 1964, 80, pl. 42. Vo (...)
26Nous tenterons ici une taxinomie des masques de la royauté en fonction de leur symbolisme, en nous appuyant sur quelques exemples précis. Le masque de la royauté qui vient aussitôt à l’esprit est bien entendu celui de la Justice. On en trouve des traces dans l’effigie royale sur les Plea Rolls, ainsi que sur le frontispice de l’Atlas de Saxton24, ou encore sur la charte d’Emmanuel College. Plus frappant encore est le sceau royal, puisqu’il s’agit de la signature royale à l’aide de son effigie, de son masque comme page à écrire la transparence et l’intégrité.
- 25 Strong, Gloriana, no 56.
27Un cas intéressant vient de se présenter qui servira à illustrer l’importance capitale de l’effigie royale dans l’exercice et la validité d’un discours judiciaire. Un parchemin original de 1585 est venu sur le marché des antiquaires français voici quelques années et il est actuellement en la possession d’un particulier. Or ce parchemin est accompagné du sceau de la reine Élisabeth I, mais ce sceau est celui de 1559 ; le deuxième sceau, celui inaugurant le masque de beauté, fut frappé en 1584-86 selon les experts25 ; on peut donc imaginer que ce cachet de cire est l’un des derniers à avoir été utilisé, à moins qu’il ne soit la preuve que le nouveau sceau n’est pas de 1584 mais plutôt de 1586.
- 26 Le parchemin et le sceau ont été exposés lors du colloque IRIS de 1997, et de l'avis général mérita (...)
- 27 Ema Auerbach, Tudor Artists, Londres, The Athlone Press, 1954.
28Outre l’intérêt documentaire de cette pièce d’archive26, il faut en souligner le lien étroit avec la tradition de l’emblème, puisque, tout comme l’effigie de l’emblème, il est la translation en image d’une idée abstraite, ici la royauté, translation qui transforme la parole (la devise, par exemple) en acte, matérialisant l’opposition entre “words” et “deeds” qui est au centre du théâtre shakespearien comme nous le rappellent Macbeth ou Hamlet. D’autant plus que, dans ce cas précis, le parchemin utilise aussi un dessin emprunté aux Plea Rolls27. Le rapport entre le masque de la royauté et l’écriture est de ce fait une fois de plus établi d’une manière indiscutable.
- 28 Strong, Gloriana, pp. 147-148.
- 29 Auerbach, Nicholas Hilliard, pp. 78-79, pl. 39 & 40.
29Un deuxième domaine où le masque de la royauté se matérialise par un texte est celui de la politique étrangère. Outre le rôle des portraits en miniature comme objet de réconciliation ou d’amitié entre les monarques, nous citerons un livre de prières en miniature (perdu, celui-ci, hélas !) écrit par la reine Élisabeth I à l’intention du duc d’Alençon, car celui-ci comporte deux miniatures attribuées à Hilliard. Celle située à la fin représente la reine sous son second masque, celui de la jeunesse, créé par Hilliard dans les années 1594-16 0 028. Quant à l’autre, au début du petit livre destiné à être porté à l’extrémité de la ceinture, il s’agit d’Alençon lui-même29. Le rapport amoureux est matérialisé par les prières, chacune dans une langue différente, et le lien entre le corps politique et le corps naturel prend ici un aspect tout à fait inattendu et inédit.
- 30 A. Belsey & C. Belsey, “Icons of Divinity : Portraits of Elizabeth I”, in Lucy Gent, ed., Renaissan (...)
30Cependant, l’œuvre la plus connue parmi celles qui commémorent la politique extérieure d’Élisabeth I est le portrait célébrant sa victoire sur l’Armada (dans le style d’Hilliard). Une étude récente de ce tableau a souligné le symbolisme à la fois des détails et de la composition générale qui s’y trouvent, de sorte que la royauté y occupe une place médiatrice. Élisabeth I est ici médiatrice, en effet, entre les éléments : le vent et l’eau (figure de la sirène) opposés à la terre (le globe) ; entre les périodes : la tempête et le calme, la guerre et la paix, ou encore entre la terre et le ciel. Tous ces symboles sont situés, sémiotiquement parlant, à mi-chemin entre la vignette emblématique et le décor diégétisé30.
- 31 Auerbach, Nicholas Hilliard, p. 196, pl. 186.
- 32 Strong, Gloriana, p. 147, no 157.
- 33 R. Costa de Beauregard, “Rhétorique du rouge et de la lumière dans I Henri IV”, in M.T. Jones-Davie (...)
31L’état de royauté est aussi représenté par la lévitation et l’apothéose, autant dans la gravure posthume attribuée à F. Delaram31 que dans un bijou orné d’un phénix et enfin dans la miniature d’Élisabeth I, cheveux dénoués recouvrant en partie une gorge dénudée, fond rouge, baptisée Stella Britannis32. Cette miniature est sans doute celle pour laquelle le masque de la jeunesse fut composé par Hilliard vers 1594. Ce masque d’éternité (jeunesse + contre-plongée + proportion allongée) apparaît en même temps que deux autres nouveautés, la coiffure qui devait devenir une mode pour les femmes sous Jacques Ier (cheveux dénoués), et le fond rouge, qui tranche fortement avec le fond bleu habituel33. Nous y reviendrons à propos du portrait du couronnement.
3.2. Les masques de la transcendance
- 34 Pour un essai de définition de l'observateur d'une image à la Renaissance, voir Clark Hulse, The Ru (...)
32Or il semble que l’on puisse inverser l’argument et suggérer que la royauté est elle-même utilisée comme signe des valeurs absolues. Certes, Élisabeth I est souvent décrite par les poètes sous les traits d’une divinité, Cynthia, Britomart, ou encore Astraea, mais la lecture de ces masques de la royauté peut s’inverser et prendre la forme d’une initiation à ces mêmes vertus par la contemplation ou la méditation devant eux34. Ce qui explique la présence d’animaux emblé matiques tel que l’hermine, ou d’objets tel que le tamis ou l’arc-en-ciel. On remarquera en outre que, dans les exemples d’emblèmes figuratifs que nous venons de citer, il s’agit de peintures à l’huile.
- 35 Strong, 1987, no 85, pp. 111, 117-21, 141 et 172.
33De plus, ces tableaux, le portrait à l’hermine, le portrait à l’arc-en-ciel, ou encore le Ditchley Portrait35, certains d’entre eux étant posthumes, marquent non seulement l’inversion de la lecture du masque de la royauté dont nous parlons, mais aussi la transition historique entre la miniature de cour qui s’est popularisée au tournant du siècle, et le masque de cour qui se développe sous Jacques Ier.
34Ces tableaux sont en effet, à eux seuls, un masque public impliquant une sorte de contemplation collective non plus du monarque mais de celui-ci comme icône religieuse symbolisant une valeur par définition irreprésentable. L’icône religieuse est elle-même masque immuable, sacralisé par les copies qui en sont faites.
35Si l’on accepte pour un moment l’idée de cette inversion qui nous paraît caractéristique du masque royal, le “masque de beauté” (fig. 2) dont il a été question plus haut, et qui remplace à la fin du règne d’Élisabeth I le “masque impérial” (fig. 1) des premières années, occupe une place particulière puisqu’il symbolise les valeurs de la transcendance telles que l’éternité, la beauté et la chasteté. C’est dans cette perspective que le masque d’Élisabeth I à la fin de son règne mérite d’être commenté quelque peu.
- 36 Artists, no 111.
- 37 Nous ne partageons par sur ce point l'opinion de Ellen Chirelstein, auteur d’un article par ailleur (...)
36Rappelons que la miniature de Welbeck Abbey36 dont le tableau à l’huile (fig. 2) est issu, est la seule miniature d’Hilliard où un diamant véritable est serti sur la miniature même, c’est-à-dire dans le plan de la représentation37 Cet événement oblige à repenser le masque créé par Hilliard en termes métatextuels, à savoir ce qu’il déclare avoir lui-même créé en tant qu’orfèvre.
- 38 Nicholas Hilliard, The Arte of Limning (ca. 1600), ed. R.K.R. Thomton & T.G.S. Cain, Ashington, The (...)
37Selon Hilliard, en effet38, l’art de la miniature est d’abord l’art d’un orfèvre : les sept couleurs qu’il utilise à l’exclusion de toute autre ont leur équivalent dans la nature, c’est-à-dire dans la catégorie des sept pierres précieuses. Les associations esthétiques des miniatures sont en effet très fertiles dans ce domaine. Il n’est que d’examiner les pendentifs et en particulier les médaillons qui ont été créés pour servir d’écrins protecteurs aux miniatures de la reine
- 39 Pour une étude détaillée des rapports entre l'orfèvrerie et les miniatures, voir notre Hilliard, pp (...)
38Élisabeth I. Leur très grande beauté et leur variété témoignent de la richesse des connotations poétiques libérées par le masque de la royauté39.
Le masque royal élisabéthain : supercherie ou révélation ?
39En conclusion, sans doute y a-t-il lieu de se demander si le masque de la royauté est une supercherie ou une révélation. Il suffit de voir la transposition en tableau à l’huile (fig. 2), sous le nom de Coronation Portrait, de 1610 environ, de la miniature de Welbeck Abbey, celle où brille le diamant véritable dont il vient d’être question, pour comprendre à quel point ces deux aspects, ou états, du masque élisabéthain de la royauté sont inextricablement liés.
- 40 Hilliard, p. 85.
40D’une part, la miniature de Welbeck Abbey est elle-même une sorte d’imposture. En effet, Hilliard écrit dans son traité, à peu près au moment où il exécute cette oeuvre, qu’il reproduit toujours la réalité telle qu’elle est (code de la vérité), mais ajoute plus loin qu’il connaît le visage de Sa Majesté Élisabeth I si bien qu’il peut le reproduire même en son absence (code de la compétence technique)40.
- 41 Auerbach, Hilliard, p. 57, pl. 13 ; la miniature serait de 1569 environ, antérieure par conséquent (...)
- 42 Murrell, The Way, p. 28 : “The source for Hilliard's Queen Elizabeth in robes of State was a patter (...)
41.Par ailleurs, la datation de la miniature a toujours intrigué les spécialistes. Elle a d’abord été datée du début de la carrière d’Hilliard41. Mais elle a du être redatée d’environ 1600 par Jim Murrell, une fois que l’étude des pigments utilisés et de la “main” d’Hilliard par des moyens plus scientifiques en eut fourni la preuve absolue. Cette miniature d’une qualité tout à fait exceptionnelle serait donc une commande, et une copie tardive par Hilliard d’une oeuvre perdue attribuée à Levina Teerlinc42.
42Comme le montre le problème de la datation, tout désigne cette miniature comme une oeuvre hors du commun. Non seulement elle comporte un vrai diamant, mais encore le fond est en outremer véritable. Rappelons qu’il s’agit dans ce cas de lapis-lazuli, dont le prix était devenu inabordable à la fin du siècle, Hilliard l’ayant remplacé par une laque rouge. Cette miniature a également un format rectangulaire, ce qui est tout fait unique chez Hilliard, et enfin un angle frontal tout aussi inhabituel. En outre, on trouve dans les proportions du visage, l’angle en légère contre-plongée et la petite dimension de la tête par rapport au corps les trois traits caractéristiques du masque de beauté de la fin du règne. L’échelle, quant à elle, est celle de l’enluminure des documents officiels, ce qui marie l’intime à l’officiel, le secret au public.
- 43 Strong, Gloriana, p. 163 : “More intriguing are the two portraits in which she wears her coronation (...)
43Il est donc incontestable que la miniature de Welbeck Abbey serait une supercherie si l’on définissait l’art du portrait comme l’art d’une copie fidèle de la réalité. Si l’on accorde au contraire au portrait en miniature, et à celui-ci plus qu’à tout autre — puisqu’il constitue une sorte de chef d’oeuvre au sens littéral du terme — le statut d’un masque de la royauté dans les différentes acceptions proposées ci-dessus, on comprend mieux, semble-t-il, l’événement considérable que constitue la transposition de cette miniature en peinture à l’huile. Cette transposition ne serait pas le fait d’Hilliard, mais n’en est pas moins contemporaine de la miniature elle-même. La très grande beauté de l’oeuvre est incontestable, surtout si l’on compare ce tableau à d’autres peintures à l’huile symbolisant la royauté telles que le Rainbow Portrait cité plus haut. Il se peut que ce portrait ait été nécessaire pour l’enterrement d’Élisabeth I, son deuxième couronnement ou son apothéose, motif qui se trouve dans ses portraits posthumes43.
44L’inextricable labyrinthe des lectures qu’engendre cette huile sur bois témoigne en tout cas du pouvoir des images de nous faire parler et rêver, et plus encore lorsqu’il s’agit d’une image de la royauté.
45En outre, et inversement, grâce à cette peinture dont l’origine reste à ce jour inexpliquée, nous comprenons mieux le statut spectatoriel du masque de la royauté, image machiavélique au sens propre, à la fois truquée et divine.
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Figure 1 : Le masque impérial
Nicholas Hilliard, Élisabeth I d’Angleterre (1572)
Miniature, gouache sur vélin.
Reproduit grâce à l’aimable autorisation
de la National Portrait Gallery
Londres
Notes
1 Rappelons ici l'ambivalence de ce motif ; c'est Chaucer qui rapporte par le biais des paroles de The Wife of Bath les vers de Dante sur la gentillesse et la charité, vers par lesquels il précise que l'une et l'autre vertus ne sont pas héréditaires mais sont des grâces accordées par Dieu. Le champ sémantique de la grâce témoigne de la laïcisation progressive du concept de grâce divine en gentillesse, trait distinctif du gentilhomme, lequel est éduqué par la vieille fée, “The Loathly Lady”, chez Chaucer, et produit sous la reine Élisabeth le stéréotype du “gentleman-courtier” s'efforçant de suivre le modèle du Courtisan de Castiglione (Chaucer, Canterbury Taies, Harmondsworth, Penguin, 1958, p. 306, 11. 274-77). Sur ce sujet, voir notre Nicholas Hilliard et l'imaginaire élisabéthain, Paris, CNRS, 1991.
2 Artists of the Tudor Court : The Portrait Miniature Rediscovered 1520-1620, Londres, Victoria & Albert Museum, 1983, no 216 et 273.
3 Whitney Emblemes 1586, p. 53 : le figuier orgueilleux ; p. 59 : le pin orgueilleux ; p. 118 : la noblesse et la générosité ; p. 205 : le cyprès et la vie étemelle.
4 Roy Strong, The Cult of Elizabeth : Elizabethan Portraiture and Pageantry, Londres, Thames & Hudson, 1977, no 47.
5 Artists, no 105-108.
6 Artists, no 249.
7 On retrouve la même idée dans la série de médaillons sur fond bleu consacrés aux preux de Marignan dans Les Commentaires des Guerres Galliques, Chantilly, Musée Condé, et Bibliothèque Nationale.
8 Strong, 1977, pp. 84-112.
9 F. Boucher Le Costume en Europe occidentale, Paris, Flammarion, 1965, no 474 et Strong, 1977, p. 14-55.
10 Voir notre “Le motif du don culturel à la Renaissance dans quelques enluminures et portraits, en particulier ceux du Strabon de la bibliothèque municipale d'Albi”, Cahiers de l'Europe classique et néo-latine no 4, Toulouse-Le Mirail, 1998.
11 Artists, no 126 Unknown Lady, c. 1600 Nicholas Hilliard, Coll. The Duke of Buccleuch.
12 Strong, 1977, no 71, The Ermine Portrait et Strong, Painting in England 1540-1620 : The Elizabethan Image, Londres, Tate Gallery 1969, no 102 Lettice Knollys.
13 Marie-Madeleine Martinet, Le Miroir de l'esprit dans le théâtre élisabéthain, Paris, Didier Érudition, 1981.
14 Mary Edmond, Hilliard and Oliver, Londres, Haies, 1983 ; Roy Strong, The Renaissance Miniature, Londres, Thames and Hudson, 1983.
15 Jim Murrell, The Way Howe to Lymne Tudor Miniatures Observed, Londres, Victoria and Albert Museum, 1983.
16 Collection royale, Hampton Court.
17 Artists, 78, no 89 Sir Christopher Hatton, Hilliard, 1588-1591 ; la première miniature d’Isaac Oliver utilisant l’ombre portée d’un chapeau sur un visage féminin date de 1586. Artists, no 137 Unknown Lady, Isaac Oliver, 1587.
18 E. H.Kantorowicz, The King's Two Bodies : A Study in Medieval Political Theology, 1957 ; Marie Axton, The Queen's Two Bodies, 1977, cités en note par A. Gurr, ed., King Richard II, Cambridge, Cambridge University Press, 1984, pp. 19-20.
19 Notre Nicholas Hilliard, pp. 223-260.
20 Artists, no 187.
21 Nous pensons que l'image n'est pas un reflet du monde où elle est produite ; Hilliard ne peint pas ce qui existe devant lui, mais ce qu'il voit en tant qu'artiste. L'image est un ensemble de fragments du monde recomposés en un discours inédit et spécifique à la manière d'un texte littéraire. L'image est représentation, organisation, système signifiant à part entière, quoi qu'en dise Roland Barthes pour qui, soit dit en passant, la sémiologie de l'image est d'abord iconoclasme méthodique.
22 Roy Strong, Gloriana : The Portraits of Queen Elizabeth I, Londres, Thames & Hudson, 1987, no 104, Elizabeth in a rose ; no 165, The Mask of Youth ; no 159, The Heneage Jewel.
23 G. Genette, L'OEuvre de l'art, t.I, L'immanence et la transcendance, Paris, Seuil, 1994.
24 Ema Auerbach, Nicholas Hilliard (1961), Boston, Mass., Boston Book & Art Shop, 1964, 80, pl. 42. Voir aussi notre “La Dame de coeur : étude de quatre portraits d'Élisabeth I", Caliban, no XXI (1984), pp. 49-62, et “Isis en Angleterre”, Cahiers de l'Europe classique et néo-latine, no 2 (1983).
25 Strong, Gloriana, no 56.
26 Le parchemin et le sceau ont été exposés lors du colloque IRIS de 1997, et de l'avis général méritaient une analyse détaillée, en ce qui concerne le texte, en particulier. (Collection privée).
27 Ema Auerbach, Tudor Artists, Londres, The Athlone Press, 1954.
28 Strong, Gloriana, pp. 147-148.
29 Auerbach, Nicholas Hilliard, pp. 78-79, pl. 39 & 40.
30 A. Belsey & C. Belsey, “Icons of Divinity : Portraits of Elizabeth I”, in Lucy Gent, ed., Renaissance Bodies The Human Figure in English Culture c. 1540-1660, Londres, Reaktion Books, (1990), 1995, pp. 11-35.
31 Auerbach, Nicholas Hilliard, p. 196, pl. 186.
32 Strong, Gloriana, p. 147, no 157.
33 R. Costa de Beauregard, “Rhétorique du rouge et de la lumière dans I Henri IV”, in M.T. Jones-Davies, ed., Shakespeare - Rhétoriques du texte et du spectacle, Paris, Les Belles Lettres, 1992, pp. 39-52.
34 Pour un essai de définition de l'observateur d'une image à la Renaissance, voir Clark Hulse, The Rule of Art, Chicago, University of Chicago Press, 1990, p. 15 : “Harington's transformation of Ariosto suggests in the most vivid way that the artifacts of a culture cannot be understood apart from the circumstances of their production and their consumption”, p. 51, no 11, et pp. 115-56, “Sidney and Hilliard”. Voir aussi D. Arasse, Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture (1992), Paris, Flammarion, 1996.
35 Strong, 1987, no 85, pp. 111, 117-21, 141 et 172.
36 Artists, no 111.
37 Nous ne partageons par sur ce point l'opinion de Ellen Chirelstein, auteur d’un article par ailleurs remarquable, “Lady Elizabeth Pope : The Heraldic Body”, in Gent, Renaissance Bodies, pp. 36-59.
38 Nicholas Hilliard, The Arte of Limning (ca. 1600), ed. R.K.R. Thomton & T.G.S. Cain, Ashington, The Mid Northumberland Arts Group & Manchester, Carcanet New Press, 1981, pp. 101 sq.
39 Pour une étude détaillée des rapports entre l'orfèvrerie et les miniatures, voir notre Hilliard, pp. 75-121. Pour une étude de la symbolique des couleurs chez Hilliard, voir, du même auteur, Silent Elizabethans. The Language of Colour of Two Miniaturists : N. Hilliard and I. Oliver (sous presse), Montpellier, Université de Montpellier, collection Astrea.
40 Hilliard, p. 85.
41 Auerbach, Hilliard, p. 57, pl. 13 ; la miniature serait de 1569 environ, antérieure par conséquent à la miniature du masque impérial, comme nous l'avons appelée, de 1572. Le parallèle avec l'enluminure de Levina Teerlinc a été la cause de l'erreur de date ; quant au tableau à l'huile qui orne le mur de la National Portrait Gallery, il avait aussi été daté de 1569, ce qui est impossible, ainsi que l'a démontré Jim Murrell.
42 Murrell, The Way, p. 28 : “The source for Hilliard's Queen Elizabeth in robes of State was a pattern created by Levina Teerlinc in illuminations such as that on Queen Elizabeth's Indenture for the Foundation of the Poor Knights of Windsor”.
43 Strong, Gloriana, p. 163 : “More intriguing are the two portraits in which she wears her coronation robes, one a miniature by Hilliard and the second a painting on a panel. The latter, Janet Arnold establishes, was derived from a lost portrait painted about 1559 or soon after. The panel, on the evidence of dendrochronology, can be dated to the first decade of the seventeenth century, which leads to speculation as to why the picture was painted, for whom and for what occasion. It is conceivable that by then the original had fallen in disrepair and that a copy was necessary, but it has even been suggested that such a picture could have played a part in the Queen's funeral ceremonies, celebrating as it were her second coronation in heaven. The miniature is even more puzzling, for although the robes are the same, the jewellery is different and both are very precisely observed as they could be only by Hilliard”. Cf. Janet Arnold, “The Coronation Portrait of Queen Elizabeth I”, Burlington Magazine, CXX, 1978, p. 7.
Table des illustrations
Légende | Figure 1 : Le masque impérialNicholas Hilliard, Élisabeth I d’Angleterre (1572)Miniature, gouache sur vélin.Reproduit grâce à l’aimable autorisationde la National Portrait GalleryLondres |
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URL | http://books.openedition.org/psn/docannexe/image/4300/img-1.jpg |
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Légende | Figure 2 : Le masque de beauté.Artiste inconnu,La reine Élisabeth I d’Angleterre le jour de son couronnement(1610 environ) ; huile sur boisReproduit grâce à l’aimable autorisationde la National Portrait GalleryLondres |
URL | http://books.openedition.org/psn/docannexe/image/4300/img-2.jpg |
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