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Devenirs urbains

 | 
Maryse Carmes
, 
Jean-Max Noyer

L’urbain trans-formé par Internet et les TIC

Alexandre Rigal

Abstract

On découvre en pensant leurs pratiques dans l’espace urbain que les Technologies de l’Information et de la Communication sont probablement mal nommées. Il n’y aurait pas de mise en forme unilatérale et fixe, d’information, mais bien des trans-formations des acteurs et des pratiques des outils entre eux, en particulier par la communication. De la prise en compte de ces pratiques variées, des mélanges de codages spatiaux et digitaux qui s’interrelient en certains acteurs, en certains lieux et à certains moments, émerge l’importance du concept de trans-formation pour comprendre l’agencement des espaces urbains que nous habitons. L’urbain est en pleine morphogenèse. Il est fluidifié et complexifié par les TIC interconnectés par Internet. L’urbanisation avec Internet porte en elle les formes d’à venir possibles. L’urbanisation se conçoit alors dans un au-delà de la ville, en partie contre la ville, en partie sans ville, c’est-à-dire que l’espace urbain contemporain est bien plus qu’une ville. Urbain et Internet sont en trans-formation.

Testo integrale

1On découvre en pensant leurs pratiques dans l’espace urbain que les Technologies de l’Information et de la Communication sont probablement mal nommées. Il n’y aurait pas de mise en forme unilatérale et fixe, d’information, mais bien des trans-formations des acteurs et des pratiques des outils entre eux, en particulier par la communication. De la prise en compte de ces pratiques variées, des mélanges de codages spatiaux et digitaux qui s’interrelient en certains acteurs, en certains lieux et à certains moments, émerge l’importance du concept de trans-formation pour comprendre l’agencement des espaces urbains que nous habitons. L’urbain est en pleine morphogenèse. Il est fluidifié et complexifié par les TIC interconnectés par Internet. L’urbanisation avec Internet porte en elle les formes d’à venir possibles. L’urbanisation se conçoit alors dans un au-delà de la ville, en partie contre la ville, en partie sans ville, c’est-à-dire que l’espace urbain contemporain est bien plus qu’une ville. Urbain et Internet sont en trans-formation.

TRANS-FORMATION, INTERNET, URBANISATION, MORPHOGENESE, URBAIN SANS VILLE, CONTRE-VILLE, POUVOIR

2Vous emménagez dans un nouvel appartement, à une nouvelle adresse dans une aire urbaine inconnue, et cherchez à acheter un lit. Une fois connecté à Internet vous trouvez des magasins de meubles par mots-clés sur Google. De liens hypertextes en liens hypertextes, vous comparez les prix, la proximité des magasins, le style des meubles… Une fois choisi le lit observé sous toute les coutures, vous vous rendez au magasin, après avoir consulté l’itinéraire et l’horaire du bus sur votre smartphone. Sur place, grâce au plan situé à l’entrée, vous trouvez votre lit. Il est livré le soir même, le livreur vous a téléphoné pour vous prévenir de son arrivée. Il a trouvé l’adresse correspondante sur son GPS. Vous signez un reçu électronique au stylet, lisez le plan du montage, regardez un tutoriel, écoutez la radio. Vous avez monté votre lit. Auriez-vous dormi par terre sans les TIC ?

L’urbain était l’agencement, composé entre autres d’humains, le plus proche du chaos ; Internet est l’agencement, composé entre autres d’humains, le plus proche du chaos

  • 1 En appuyant un peu moins sur l’action d’un acteur individuel et plus sur celle d’un collectif : «  (...)
  • 2 « Réalité potentielle non encore advenue », Lévy Jacques, « Virtuel », p. 996 in ibid.

3Ce cours d’action anodin révèle à la fois la complexité de l’urbain et de nos actions dans ce type d’espace, et l’importance des outils reliés par Internet – les dites techniques de l’information et de la communication – dont nous usons quotidiennement pour gérer cet enchevêtrement avec agilité. Nous semblons de plus en plus à l’aise pour nous déplacer, faire des recherches, et réaliser toutes sortes d’opérations dans nos lieux de vie urbains grâce à Internet. Et pourtant l’urbain, composé entre autres d’humains, était l’agencement1 le plus proche du chaos ; et Internet, composé entre autres d’humains, est le nouvel agencement le plus proche du chaos. La densité et la diversité des cours d’action, des existants actuellement et virtuellement2 mis en présence dans l’urbain et sur Internet est fabuleuse. Comment poursuivons-nous alors des chemins qui apparaissent tout sauf chaotiques sur de tels entrelacs ?

4Découvrir une nouvelle aire urbaine c’est être exposé presque aveugle à une densité et une diversité gigantesque d’existants et de relations. Toute la difficulté réside non dans cette exposition à tout un tas de relations, seulement dans la détermination d’un cours d’action, de bonnes mises en relation. Pour le dire autrement : comment se repérer, agir, prévoir dans le plus foisonnant, le moins prévisible avec des outils reliés en un agencement encore plus foisonnant, moins lisible, moins prévisible ? En peu de mots : comment habite-t-on l’urbain avec Internet ?

Urbanisation galopante et imprévisible

5Il s’agit d’explorer les tris effectués sur l’un et l’autre agencements, à leurs interfaces, pour suivre l’évolution des formes urbaines en relation avec les TIC, et en particulier avec Internet qui semble devenir le lieu de connexion de toutes ces « techniques ». Plus les agencements sont riches, plus l’action de trier voit son importance et sa récurrence grandir. Pour ce qui nous concerne – les effets d’Internet sur l’urbain et non les effets de l’urbain sur Internet – Internet fournit l’occasion d’établir les dynamiques d’urbanisation à l’œuvre aujourd’hui.

  • 3 Lussault Michel, « Urbain », pp. 949-951 in Lévy Jacques, Lussault Michel, Dictionnaire de la géog (...)
  • 4 Pour une fois on ne pourra pas suivre Michel Lussault, la ville n’est-elle pas urbaine (dense et d (...)
  • 5 Même une aire urbaine qui ne change pas doit sans cesse être rénovée, nourrie de nouveaux objets s (...)

6Dire que l’urbain est proche du chaos, c’est prétendre a fortiori que l’urbanisation est une dynamique de chaotisation. Seulement c’est aussi risquer d’opérer suivant un raisonnement tautologique : l’urbain est dense et divers selon un certain degré3, à un instant t, ce qui est observable, donc l’urbanisation serait un processus de densification et diversification. Nous serions peu éclairés sur la non-linéarité des chemins pris par l’urbanisation, par les contradictions de ceux-ci, et finalement sur le propre de l’urbanisation en nous arrêtant dès ce point. Cela masquerait la diversité des processus en cours qui constituent l’état actuel de nos agencements urbains. L’urbanisation ne se comprend pas à partir d’un résultat qui serait l’agencement urbain contemporain4, sauf à se mordre la queue. En revanche, l’agencement urbain en tant qu’actualisation se comprend à partir de l’urbanisation. On ne saurait décrire l’urbanisation, les mises en forme permanentes et successives de l’agencement de type urbain d’un point de vue trop rétrospectif et téléologique. Là, Internet va nous aider à entreprendre le questionnement. C’est en spéculant sur les processus d’urbanisation à partir d’Internet que nous y saisirons vraisemblablement quelque chose. L’urbain est à comprendre par l’urbanisation5 et non l’inverse.

  • 6 « Votre » étant ici une façon de parler masquant la diversité de cet agencement.

7Reprenons votre exemple. Vous avez relié des lieux entre eux (votre appartement, le magasin de meubles), des objets entre eux (le lit, la camionnette, la radio, le plan du magasin, le plan de montage, le reçu, le smartphone, etc.), des acteurs et des objets entre eux en direct (vous-mêmes, le chauffeur de la camionnette) et d’autres indirectement (le créateur du site web, les ouvriers et les ingénieurs à l’origine du smartphone, etc.). Vous les avez synchronisés en profitant des stockages facilités par Internet et les entrepôts. Vous auriez pu rencontrer d’autres personnes, choisir un autre magasin, d’autres objets. Il semble que l’urbanisation ait à voir avec l’assemblage d’objets, d’acteurs. Il semble que votre6 assemblage urbain, et qui est aussi relatif à votre lit, soit une résolution partielle et relative d’un processus plein de potentialités non advenues et non encore advenues – les autres rencontres et actions que vous n’avez pas réalisées alors que vous auriez pu le faire : de grimper aux arbres à prendre le métro. Et ces virtualités paraissent résulter de l’agencement dans lequel vous agissez, et des outils reliés entre eux que vous utilisez en passant par Internet. Alors, on peut tenter que pratiques d’Internet et urbanisation ne semblent pas contradictoires, mais plutôt compatibles dans nos actions de triage dans des réalités foisonnantes. Deux mises en réseau d’objets et d’acteurs suivant des codages différents – spatial et digital – participent à la réussite d’un cours d’action, tout en créant beaucoup d’autres cours d’action possibles, au moins dans votre cas.

TIC et Internet, de l’information à la trans-formation

  • 7 « La petite souris des ordinateurs nous habitue à prendre l’information pour un transport immédiat (...)
  • 8 « Nous ne vivons pas dans des « sociétés de l’information » pour la raison excellente qu’il n’y a (...)
  • 9 Ce qui serait plus frappant si vous aviez mentionné votre fréquentation de sites culinaires, de re (...)

8Si les TIC sont des techniques de l’information, commençons par nous demander ce que signifierait informer dans votre cas. Repartons de votre anecdote : que se passe-t-il pour votre cours d’action lorsque vous utilisez Internet pour trouver le bon magasin ? Vous en trouvez bien plus d’un. Ensuite, vous pensez à acheter un type de lit, par exemple un blanc, sans savoir où vous rendre, et de liens en liens, vous optez pour un lit noir. Vous pensiez acheter telle marque, et finalement vous en privilégiez une autre. En chemin vers l’un des magasins sélectionné, vous avez calculé votre itinéraire, et en plus de l’achat vous avez commencé à explorer votre nouveau lieu de vie. Est-ce être informé ? Est-ce un simple transfert de données qui attendaient sagement votre prise de conscience de leur existence ? Cela ressemble plutôt à une suite de minuscules métamorphoses de votre cours d’action, de vos choix, de vos goûts, de ce que vous appelez « moi »7. Concrètement, même la composition de votre ordinateur est changée : de nouvelles données y sont stockées, il est possible qu’il soit infecté par virus. Et vous avez développé une nouvelle connaissance de votre aire urbaine, des magasins de meubles, avez attrapé des ampoules aux doigts en montant le lit, vous êtes rendu compte de votre myopie grandissante. La trivialité de l’exemple n’empêchera pas de noter les changements opérés. Au fond, il confirme même que la mobilité – au sens classique de changement d’état social et spatial pour un acteur – est permanente selon des degrés divers, et sans aucun doute bien plus forte quand il s’agit d’autre chose que de sommiers. On est alors bien loin par la pratique d’Internet d’une société de l’information8… quand bien même la plupart de ces actions et modifications sont invisibles : la mobilité ne s’appréhende pas seulement avec les yeux, Internet non plus. Loin d’être immatériel, Internet, les outils qui y donnent accès, ses réseaux, ses serveurs, ses images, ses sons, ses habitants vous travaillent. Internet n’informe pas, plutôt il travaille la chair même9. Internet et l’urbain trans-forment.

  • 10 Rigal Alexandre, « Concevoir l’urbain en figures. », EspacesTemps. net, Laboratoire, 12.11.2013 ht (...)

9Que retirer de cet exemple quant à l’urbanisation et aux effets d’Internet ? Il semble qu’Internet permette à travers des outils interreliés de trier, de traiter sélectivement dans des ensembles complexes et mouvants. Les outils reliés à Internet permettent un tri, même à celui qui ne connaît pas l’agencement urbain. Ils font perdre au moins partiellement son handicap à l’émigré, au nouvel arrivant, à celui qui est inconnu et ignorant, s’il peut et sait se connecter à Internet. En clair, Internet crée des possibilités pour l’habitant sans qu’il ait à connaître la carte de son lieu d’habitation par cœur. Internet et les outils qui conditionnent son accès donnent toutes leurs existences à des virtualités contenues dans l’urbain – vous avez découvert les magasins de meubles. Internet participe à rendre visibles ces virtualités. Par des cartes, des photos, des enregistrements, des vidéos, vous avez pu sélectionner tel ou tel magasin, tel ou tel itinéraire. Sur Internet, l’urbanisation est figurée10, en mouvement en temps réel. Il ne s’agit pas d’un miroir, mais de présentations d’objets reliés qui permettent de relier des objets et des personnes entre elles et de constituer un agencement. Internet est traversé et fait passer les éléments mis en forme et en relation au cours de l’urbanisation.

  • 11 Isolation remplace avantageusement « ancrage » qui n’exprime pas les efforts nécessaires à la séle (...)

10De ce petit exemple, on peut tirer quelques traits pour commencer à comprendre l’urbanisation : vous avez relié – votre besoin et les magasins –, vous avez trié – tels ou tels magasins, lits –, vous avez exploré – Google, suivant l’itinéraire –, vous avez assemblé – le lit et votre appartement. Autrement dit, vous avez établi un très grand nombre de relations parmi un nombre de relations virtuelles encore bien plus importantes, puis par votre sélection vous avez actualisé certaines relations, les autres s’évanouissant ou bien attendant sagement dans les limbes. À la suite, l’urbanisation pourrait se définir au travers de deux processus en apparence contradictoire : la mise en relation et la sélection dans un agencement qui recèle le plus grand nombre possible de virtualités s’il est interrelié à Internet. Ces deux processus se traduisent en « codage spatial » : par connexion et isolation11. À ces deux codages qui interprètent en connaissance de cause les relations aux autres, s’ajoutent les codages spatiaux qui s’établissent sans visée par rapport aux autres en présence : contiguïté et localisation.

11Internet semble donc encourager et favoriser des processus déjà à l’œuvre dans l’urbanisation, tout en renforçant les virtualités interreliables et les éléments interreliées. Bref, Internet par ses outils accroît l’espace actuel et virtuel disponible. Internet accélère et intensifie l’urbanisation, c’est-à-dire les trans-formations. Le début de notre petite exploration nous donne pour définition de l’urbanisation contemporaine : le processus de mise en relations d’un grand nombre d’existants en particulier par Internet, ce qui donne forme et trans-forme dans le même temps selon une vitesse qui varie.

Communication : synchronisation et synchorisation

12L’urbanisation comme les pratiques d’Internet lient les humains entre eux par la communication. La communication peut avoir lieu lors d’une rencontre, comme avec votre livreur de meubles, ou bien au travers de panneaux ou autre indications qui vous permettent d’obtenir des renseignements nécessaires à la poursuite de votre itinéraire en choisissant la bonne ligne de bus. Sur Internet, de même, vous avez pu réserver votre lit en remplissant un petit formulaire à envoyer, puis vous avez pu skyper avec un ami pour comprendre quelle pièce rentre dans quel autre pièce de votre lit.

13La communication en direct nécessite une synchronisation. La synchronisation est un moment unique, qui occupe un espace déterminé et un temps déterminé.

  • 12 « En cela, Internet n’est pas tant un lieu de synchronisation, mais surtout un lieu de synchorisat (...)
  • 13 « Bombardements continuel d’offres d’existence qui viennent vers lui (le moi) sous forme de rayonn (...)
  • 14 « d’une seconde à l’autre, des régimes d’action différents se relaient pour me faire passer d’une (...)

14Un autre type de communication est indirecte, on peut la tenir grâce à la synchorisation12. Il s’agit d’une communication différée permise par un stockage (mail, panneau, etc.). L’événement de la communication peut se répéter dans le temps, grâce à la stabilité de l’espace de communication. Par là, Internet accentue le « bombardement continuel d’offres d’existence »13 produit par l’urbanisation. Le mobilier urbain, les places de parking, les quilles qui barrent un passage, la forme des sièges de votre métro, la taille des appartements, etc. constituent des stocks d’usages plus ou moins flexibles, une mémorisation de petites possibilités d’existence activées par leur mise en relation dans nos cours d’action14. Dans notre exemple, vous avez pu vous déplacer jusqu’au magasin grâce au bus, vous êtes arrêté cent mètres plus haut, avez marché sur le trottoir, évité un plot, traversé sur les clous, etc. Vous avez fait l’expérience d’un grand nombre de pratiques rendues possibles, et d’un grand nombre de pratiques défendues ou rendues impossibles. Sur Internet, c’est grâce au moteur de recherche que vous avez pu circuler, moteur qui sélectionne plus ou moins indépendamment de vous les critères de classement des réponses allouées. C’est grâce au développement d’un logiciel que vous avez pu discuter, etc. Toutes ces communications sont simultanées ou/et successives. Elles participent à la trans-formation, processus clé de l’urbanisation qui se produit par la mise en relation d’acteurs et d’objets différents, selon des cours d’action différents et qui modifie votre état selon des degrés de mobilité. Les acteurs urbains changent plus souvent d’état que lors de n’importe quel autre type de mise en relation du fait de la multiplicité et de l’hétérogénéité de l’urbanisation : ils sont plus mobiles.

  • 15 « Avec le pliage des êtres techniques, fait donc irruption dans le monde un déhanchement de l’acti (...)

15Comme l’écriture, Internet rend présent le distant dans l’agencement urbain habité et la communication possible. La communication ne se résume pas aux influences mutuelles entre humains, elle doit inclure tous les porteurs de messages avec lesquels nous entrons en interaction. Ces porteurs de messages ont le rôle de remplacer les acteurs et de persister une fois la trans-formation produite, même s’ils subissent aussi toutes sortes de réparations pour subsister15. Tout ceci repose sur des outils légers et des infrastructures très lourdes. Les infrastructures possèdent un débit une fois bâties – réseau routier qu’emprunte votre bus – alors que les outils permettent repérage et tri – panneau, smartphone.

* « Morris and Ogan (1994), for example, discuss the way in which the Internet disrupts tradtional source-message-receiver features of traditional media of communication, sometimes retaining the same configuration, sometimes using different configurations. They group producers and audiences into four categories : (1) one-to-one asynchronous-communication, such as email ; (2) many-to-many asynchronous communication, such as bulletin boards or mailing lists ; (3) synchronous communications on a one-to-one, one-to-few and one-to-many in which the receiver seeks out information from a provider, such as websites, gopher and FTP. », p. 20 in in Dodge Martin et Kitchin Rob, Mapping cyberspace, Routledge, London and New York, 2001, 260 p.

De la différence de malléabilité d’Internet et de l’urbain

  • 16 « Même le courriel, pratique la lus élémentaire d’Internet, serait impossible sans la permanence. (...)
  • 17 C’est pourquoi Boris Beaude décrit la non-pertinence de la distance – et non de l’espace – pour co (...)
  • 18 Seul l’argent semble avoir une telle capacité à réduire objets et acteurs en chiffres pour lubrifi (...)
  • 19 « À la différence d’une ville, la croissance des lieux réticulaires augment leur potentiel d’inter (...)
  • 20 Koolhaas Rem, New York Delirious, The Monacelli Press, New York, 1994, 317 p.
  • 21 On rappellera la métaphore éclairante de la « communication orchestrale » proposée par Yves Winkin (...)

16La communication est rendue possible par la synchorisation, quand la distance dans l’agencement urbain est trop grande pour qu’elle ait lieu autrement et où la synchronisation serait trop coûteuse. Là réside la grande nouveauté d’Internet pour l’urbanisation : les frontières de l’urbain sont encore plus repoussées et repoussables par la synchorisation. En plus de faciliter la communication en direct et de relier des objets et des acteurs de plus en plus lointains du fait du peu de pertinence des distances pour cet agencement, Internet offre une capacité de stockage16 que l’urbain, malgré tout un tas de potentialités ne peut atteindre. Ici réside donc la différence la plus frappante entre Internet et l’urbain : la prégnance de la distance pour le premier agencement est beaucoup moins forte que pour le second17. Internet contient donc plus de renseignements et de possibilités d’existence d’un accès plus facile. Cependant, Internet contrairement à l’urbain ne peut contenir d’objets que reliables sous une forme numérisée, d’où cette impression d’immatérialité. Cela réduit énormément la taille et la protéiformité des acteurs et des objets en liens, tout en leur permettant d’interagir à des distances inimaginables s’ils n’étaient pas délestés par la traduction numérique, devenus fluides légers. En numérisant l’urbain, Internet code de la même manière objets et acteurs. Par cette équivalence obtenue par codage la communication se trouve facilitée entre objets et acteurs18. Internet est plus fluide, meilleur marché, il réduit les problèmes de distance, les filtres, la difficulté des archivages, il supporte moins de contraintes hiérarchiques dans la communication du fait de son codage et sa mise en équivalence19. De ce fait Internet est à la fois plus fluide et plus léger et correspond aux relations, objets et acteurs qui peuvent soutenir cette fluidification. Internet ne souffre pas de la congestion, limite tendancielle et à franchir par diverses inventions pour l’urbanisation20. Par là, Internet fluidifie le processus d’urbanisation. Communiquer, donc, c’est faire passer des fluides variés qui modifient et qui sont modifiés plus ou moins selon les existants en interaction21.

17Internet n’est pas un miroir de la société et l’urbain un miroir d’Internet : ces deux strates ne sont pas peuplées de la même manière par les mêmes existants, les mêmes acteurs, qui ne sont pas aussi fluides, ni agencés de la même manière, même si les deux réalités tendent à définir des figures rhizomatiques et polycentrées. Ces deux agencements obéissent à des codages différents qui trouvent à leurs interfaces des moyens de faire passer de l’un à l’autre code, par décodage – perte : impossible de dormir sur le lit du magasin de meuble en ligne – et recodage – il fut plus difficile de ramener ce même lit jusqu’à chez vous une fois dans l’agencement urbain. Ces interfaces fonctionnent entre Internet et l’urbain comme des postes-frontières qui font passer toutes sortes de migrants pour étendre et enrichir et l’un et l’autre agencement, pour leur modification plus ou moins grande. Suivant ce raisonnement, les TIC reliées par Internet deviennent alors des techniques de trans-formation et de communication.

Communiquer par Internet : sélection pour une réalité urbaine en extension

18Internet par le biais des outils de trans-formation et de communication multiplie les possibilités de communiquer. Par-là, Internet tend à augmenter la réalité disponible, sans accroître la congestion. Dans cette réalité agrandie, les outils de trans-formation et de communication sont paradoxalement responsables à la fois de l’extension de la réalité et de la capacité à circuler et à s’orienter dans ce gros nœud. Votre smartphone a augmenté le nombre de magasins de meubles que vous pouvez visiter, mais a réduit d’autant la longueur de votre déambulation en quête du lit. Pour agir dans les agencements urbains étendus, nous utilisons à la fois des outils pour nous repérer – itinéraire en ligne, panneau indiquant le magasin de meubles – et des outils pour circuler – bus, moteur de recherche. Ce qui rend possible la vie quotidienne c’est ce tri permanent, cette réduction du champ des possibles dans l’espace urbain et dans l’espace d’Internet. Si pour vous les sélections et les extensions sont successives, le grand nombre d’opérations suivant le même déroulé produit une simultanéité de sélections et d’extensions : vers des acteurs différents, dans des sens différents. L’urbanisation prend par conséquent un tour paradoxal, entre processus d’extension et de sélection, comme Internet.

  • 22 Et si le terme « transport » était finalement plus adapté que « mobilité », en tant qu’il dit et l (...)
  • 23 La matière se définit alors comme ce qui peut être modelé, possédant un potentiel de plasticité.
  • 24 On reconnaîtra dans tout cet article et d’autant plus dans cette section les références au travail (...)
  • 25 Beaude Boris, Internet, changer l’espace, changer la société, Les logiques contemporaines de synch (...)
  • 26 Ibid, p. 214.

19Les TIC, techniques de trans-formation de l’urbain et de mobilité22 des acteurs fabriquent des agencements en tension, in-finis. Si ces processus peuvent avoir lieu c’est du fait de la plasticité si forte de l’urbain, et d’Internet, espaces peuplés de tant de virtualités. S’ils sont si malléables, c’est d’ailleurs parce qu’ils sont habités, et non simplement le résultat du bâti ou des outils en présence. L’urbanisation est un processus de trans-formation d’une des matières23 les plus malléables : l’humain. Les formes urbaines apparues et à paraître sont des moments ponctuels de ce processus spatial en équilibre métastable24. Cet équilibre résultant de l’équilibre de processus contradictoires d’urbanisation. Les modifications de ces « rapports de force » ont pour résultat de nouvelles trans-formations, et l’apparition de nouvelles formes urbaines. Bref, Internet comme l’urbain sont inépuisables pour nous. Et cela ne s’arrange pas à mesure que les pratiques d’Internet croissent et que l’urbanisation se poursuit pour toucher et mettre en relation de plus en plus d’existants, Internet et l’urbanisation réticularisent et donc se réticularisent. Cette réticularisation se produit donc à partir de deux types d’interface, celles qui « assurent la relation entre le dispositif technique de connexion et l’infrastructure d’Internet »25 et celles qui « se caractérisent par leur capacité à permettre l’interaction, une fois cette connexion établie. »26.

Morphogenèse

20L’urbanisation résulte des actions plus ou moins cohérentes, ou bien contradictoires, d’acteurs dont le pouvoir varie selon les trans-formations à l’œuvre. Elle produit des formes diverses suivant les potentiels de malléabilité des éléments mis en tension. Ainsi, l’urbanisation est-elle une morphogenèse en tant qu’elle produit des formes si variées et si multiples, horizontalement et verticalement, que son potentiel formel paraît presque sans limite. L’urbain est protéiforme et en trans-formation.

  • 27 « Pour donner une forme, il faut construire tel moule défini, préparé de telle façon, avec telle e (...)

21Comment prend-on une forme, pour un certain temps ? Reprenons un peu autrement la métaphore émise par Simondon du moule27. On aurait pu comprendre le bâti en tant que moule des acteurs. On aurait ensuite étudié l’action des humains sur le bâti. Mais cela ne ferait guère de sens puisque l’urbanisation se caractérise par la simultanéité des mises en forme et des assemblages. Le bâti, pas plus que l’humain, ne sont moules, bien que la malléabilité de l’un soit moins forte que celle de l’autre. Le bâti et l’humain sont pris dans un moulage l’un avec l’autre selon diverses connexions. Les deux portent des potentiels de malléabilité qui leur permettent sous l’effet de certaines actions et de leurs anticipations de prendre forme – notamment par des synchorisations et des synchronisations.

  • 28 Telle ou telle « grid » ou damier.

22Figurons-nous les liens fabuleux d’une toile tantôt rigide, tantôt souple, et les connexions foisonnantes entre ses fils. Selon des types de connexion parfois pluricentenaires28 émergent, se connectent et se superposent de nouveaux fils d’une nouvelle toile. Voici la morphogenèse. Chaque point de l’ancienne toile déjà en interaction avec une multitude d’autres, voit ses liens se décupler – virtuellement et actuellement. Les formation de ces réseaux s’influencent mutuellement, continuellement, quelles que soient leurs formes pour en donner d’autres si une connexion est possible à établir.

  • 29 Pour reprendre le mot de Niklas Luhmann. Luhmann Niklas, Systèmes sociaux, Esquisse d’une théorie (...)
  • 30 « Dans l’expression « éternel retour », nous faisons un contresens quand nous comprenons : retour (...)
  • 31 « It was necessary to destroy those early manifestations in order to preserve them. In Manhattan’s (...)
  • 32 « L’espace urbain est donc, en ce sens, auto-organisé (multi-auto-organisé, plus exactement) à tou (...)

23Il a fallu détruire bien des chaussées pour quelques câbles qui vous ont permis de trouver un lit par Internet. Parfois les formes anciennes stabilisent et limitent, d’autres fois elles sont prolongées par Internet – l’antenne qui domine votre immeuble et vous a permis de téléphoner au livreur. Et nous avons seulement pris, sciemment, les exemples les plus visibles et aussi les plus simples. Former, déformer, trans-former la matière, urbaniser, la morphogenèse fonctionne grâce à la libération d’attentes inhibées29, de virtualités stagnantes pour produire l’urbain : l’agencement le plus malléable et le plus trans-formé après Internet. Toutes ces trans-formations ne sont pas visibles, et vous pourriez être dubitatif devant ces débauches verbales. Il n’empêche que tous les matériaux possèdent des cycles de vie, des persistances et des solidités plus ou moins fortes, et que l’érosion est un silencieux travail de sape. Pour conserver une forme – celle de votre immeuble –, il faut que celui-ci résiste aux intempéries, aux ingénieurs peu méticuleux, aux ondes de votre connexion wi-fi, etc. On dira que c’est le cas partout, non seulement dans l’urbain. Vrai, néanmoins l’urbanisation est le processus qui travaille avec les matières les plus malléables et qui les trans-forme en produisant le plus de nouveauté. Sans doute en poursuivant ce raisonnement, la ruralisation pourraitelle se définir à l’extrême par la répétition du même, et l’urbanisation à la suite, par la répétition du différent30, même si les deux répétitions ont lieu dans chacun des agencements. Urbaniser signifierait donc : connecter des acteurs, des objets selon des connexions préétablies, – un peu comme acheter votre lit en ligne plutôt qu’au magasin comme vous auriez pu le faire ailleurs –, connecter de manière différente sans suivre de sconnexions déjà établies – vous avez exploré une nouvelle aire urbaine –, cesser de connecter pour mieux reconnecter – lorsque vous vous êtes endormi pour « recharger vos batteries ». Cela se traduit d’un point de vue formel par la reproduction d’une forme initiale, par l’exploration de nouvelles formes, par l’arrêt de la formation, c’est-à-dire la destruction, parfois pour d’autres formations31. Et ces formes évoluent selon des rythmes plus ou moins longs et plus ou moins puissants selon les actions et les forces en jeu, à toutes les échelles. La nuit les trans-formations seront bien différentes – installation de votre lit et sommeil –, que le jour – déplacement, wi-fi, etc., pour reprendre votre exemple individuel. Et s’il y a bien succession, il y a aussi simultanéité des actions complémentaires : vous avez usé la chaussée avec de nombreux autres passagers du bus ; neutres : vous n’avez empêché personne d’accéder au moteur de recherche en y accédant vous-même ; et contradictoires : vous avez frôlé un cycliste avec ce bus. L’urbanisation si elle est sans metafinalité, est cependant un processus soumis à toutes sortes de finalités tantôt complémentaires, tantôt neutres, tantôt contradictoires32. La limite de l’urbanisation réside donc dans la capacité à trans-former sans détruire ou à détruire pour former ; et dans le même élan à survivre à la congestion par la fluidification.

État contemporain de l’urbanisation : deux dynamiques contradictoires

  • 33 « En effet, contrairement à une idée reçue, la quantité de l’espace social s’accroît dans le Monde(...)

24Nous avons vu que l’urbanisation trans-forme et réticularise, amplifiée par Internet. Nous avons dit qu’elle pouvait être contradictoire. Reprenons avec nos agencements urbains contemporains. Ils semblent se réticulariser, à la fois par la multiplication des réseaux et par la multiplication des lieux disponibles33. La lutte contre la congestion y passe entre autres par plus d’espace urbain. Les agencements grandissent en longueur et en nombre d’éléments en relation. S’ils croissent c’est que certains acteurs ne pourraient s’insérer dans l’agencement urbain sans habiter sa périphérie, et que dans le même temps d’autres habitants s’éloignent vers d’autres périphéries limitant les relations aux autres. Les premiers étendent pour participer malgré la distance – passant souvent du rural à l’urbain –, les seconds pour éviter de trop participer – changeant du plus urbain au périurbain. Les premiers augmentent la densité des aires plus denses, les seconds densifient des aires peu denses tout en évitant la congestion. On définit là un peu cavalièrement et l’expansion des quartiers informels et la périurbanisation. D’un autre côté, certains habitants de l’agencement partagent et/ou se plaisent à partager le maximum de proximité avec les autres, ils densifient et/ou diversifient. Deux processus émergent de ce court raisonnement : extension et intensification. Et les motifs de l’extension sont grandement relatifs à l’intensification de l’urbanité. La congestion empêche l’habitat aux pôles, et les fait fuir. La congestion des pôles entraîne parfois aussi ses effet pervers, la gentrification, c’est-à-dire la dédiversification par l’attraction. Les agencements urbains et tous les attracteurs dont ils se composent sont donc déf inis autrement par les acteurs, ce qui entraîne des effets différents et chaotise le tout.

  • 34 Comme le développement des moyens de transport : « Les nouveaux moyens de communication et les tra (...)

25Si deux processus contradictoires sont à l’œuvre cependant il n’y a pas de scission en vue, la tension nourrissant différemment l’urbanisation. La réduction de la complexité de ces processus opérée ici va tout de même être compliquée par Internet. Internet facilite la communication de ceux qui étendent l’agencement : les rapprochant des autres tout en permettant leur éloignement dans l’agencement urbain34, comme il rapproche ceux qui intensifient l’activité de l’agencement tout en leur permettant d’entretenir des relations lointaines, et permet aux nouveaux arrivants de garder le contact avec les ruraux. Internet permet de penser l’absence d’uniformité du repli sur soi, qu’Internet vient déranger, tout en faisant tomber une dernière fois les fantasmes de la vie de quartier. Quand vous avez skypé avec votre ami, vous auriez tout aussi bien pu vous rendre chez lui, le faire venir chez vous pour qu’il aide, ou bien ne pas le voir. Pourtant, c’est aussi grâce à votre smartphone que la rencontre avec le livreur fut possible à agender. Par là on perçoit qu’Internet participe à l’urbanisation de manière paradoxale, au moins théoriquement : il éloigne et rapproche à la fois, néanmoins même lorsqu’il rend possible l’éloignement, il encourage aussi la communication. Internet participe donc à la fois à l’extension et à l’intensification des agencements urbains, renforçant à nouveau les dynamiques urbaines.

26L’urbanisation encourt aujourd’hui moins le risque des processus d’isolation, plutôt l’effet de la diminution potentielle de la contiguïté grâce au vecteur de communication qu’est Internet : ce qui diminue sa richesse actuelle et virtuelle. Décrire l’urbanisation c’est parcourir les virtualités à naître de ces contradictions.

Complémentarité des tensions : entre Contre-ville et Urbain sans ville

27Si nous sommes loin de rompre nos agencements urbains respectifs, cette dualité entraîne la description des deux formes différentes. La cassure est bien improbable parce qu’Internet accroît autant les possibilités de rencontre face-à-face, qu’il permet l’éloignement tout en conservant la possibilité du contact. Improbable aussi, parce que l’extension réduit la congestion et lui permet de se poursuivre en tant que processus, tandis que l’extension est tenable si et seulement si les pôles la nourrisse. Simplement, à partir de cette contradiction se disjoignent théoriquement deux mises en forme auxquelles nous participons.

  • 35 « En matière d’image, l’urbain diffère radicalement de la ville, pour l’instant en tout cas, en ce (...)

28Longtemps urbaniser a signifié construire des villes. De ce fait, on dira que les villes sont urbaines. Les villes urbaines sont le contraire des villes fantômes dont les relations entre éléments n’ont pas disparu pour laisser place à des acteurs et des objets sans liens. Cependant, les villes urbaines, comme cela a été maintes fois énoncé, ont tout de même tendance à disparaître. La ville urbaine sous l’effet de l’urbanisation relancée s’est décristallisée, en explosion et en implosion, vers l’intérieur et vers l’extérieur. La ville urbaine définit par ses frontières stables les a perdues. La ville urbaine définit par son centre unique a été multipolarisée. Puisque l’urbanisation ne peut déboucher que sur l’urbain, et que « ville » énonce un agencement disparu dans de nombreuses aires urbaines, il faut trouver des mots pour dire les états successifs et en tension de l’urbanisation35. Ces mots ont à énoncer le démantèlement de la ville, par l’isolation en des lieux multiples et discontinues, et par le rapprochement en des lieux multiples et interreliés. C’est pourquoi j’ai choisi d’utiliser « urbain sans ville » pour exprimer la première mise en forme, et « urbain contre-ville », qu’on raccourcira en contre-ville, pour explorer la deuxième.

  • 36 Eric Charmes connaît les deux potentiels, mais ne voit qu’une actualité : « Plutôt que l’affirmati (...)

29L’isolation a pour corrélat le filtrage, l’éloignement de l’autre, la fermeture par des frontières multipliées. Tous ces actes rendent la ville caduque, et nous donnent à penser un urbain sans ville. La densité est là, car si nombreux sont les isolats on s’isole souvent à plusieurs. Cependant la diversité propre à la place centrale a bien disparu. On obtient alors une figure d’archipel, archipel d’îles. Entre ces îles, ceux qui se rapprochent le plus, se trans-forment et fluidifient le plus les relations, forment un archipel de mers, de courants et de vaguelettes qui caressent et abreuvent les îles. Si ces courants, certes, emportent aux aussi la ville urbaine, c’est pour mieux multiplier ses places, sa densité et sa diversité dans des flux plus rapides. C’est ce que j’appelle la contre-ville. Les deux réalités sont figurées par la dualité de l’archipel, cette figure qui rend l’agencement entre ces deux dynamiques d’urbanisation. Voir seulement les îlots c’est tomber dans le catastrophisme à la Mike Davis36, suivre seulement les flux, pêcher par excès d’optimisme pour rendre l’urbain invivable.

  • 37 « L’urbanité permet de caractériser un état de l’organisation des réalités de société au sein d’un (...)
  • 38 Il n’y aura bientôt plus que des métèques dans certains pôles.

30L’urbain sans ville réduit l’urbanité (quotient densité/diversité)37, cependant il participe à l’urbanisation en densifiant des aires peu denses et en tant que ses acteurs sont reliés à des pôles plus importants. L’urbain sans ville est une ville à l’urbanité en chute. Au contraire, la contre-ville accroît bien trop l’urbanité pour la ville38. C’est en cela qu’elle est différente de la ville : elle la déforme en démultipliant son centre et son urbanité. Elle est « contre- », toute proche de la ville et pourtant toute différente. Ainsi l’urbain sans ville distend-il l’agencement urbain par division, ainsi la contre-ville distend-elle l’agencement par multiplication. On oppose là, pour le dire vite, périurbain/pôles et quartiers informels.

  • 39 Eric Charmes montre que certains ménages pauvres sous-estiment le coût de leur déplacement, ce qui (...)

31Au contraire d’Internet, ces deux agencements craignent la congestion : pour rejoindre les pôles et pour rejoindre les isolats, pour vivre dans les flux. La congestion, le résultat de cet « excès » paradoxal de dédensification qui bouche les autoroutes, et mène à l’extrême à l’écueil de l’auto-enfermement39 ; cette fuite en avant vers les trop pleins de diversification et de densification qui tendent à la chute dans le festival permanent et à la déchetterie. Enfin, les deux agencements réagissent assez bien à la vitesse accrue, soit pour s’éloigner, soit pour se rassembler. Urbain sans ville et contre-ville en tension sont pris dans un moulage l’un de l’autre, dans la réticularisation de la ville urbaine accrue par Internet.

Deux pouvoirs de trans-former

  • 40 Qu’on rassure les effrayés : l’État et les pouvoirs dits « publics » comme les communes restent de (...)
  • 41 « Le pouvoir produit une opération de transmission dans la mesure où il peut influencer la sélecti (...)
  • 42 On retrouverait là l’intuition du passage d’un rapport à l’autre disciplinaire à un exercice du po (...)

32Deux mises en forme en tension révèlent l’opposition d’un grand nombre de finalités qui leur donnent naissance. Ces finalités nombreuses trans-forment plus ou moins les restes de l’agencement ville urbaine selon le pouvoirs des acteurs qui les suivent40. Qu’est-ce que le pouvoir de trans-former ? Définissons le pouvoir dans les processus incertains d’urbanisation : capacité à influer sur l’opération de sélection des trans-formations par rapport à d’autres possibilités dans l’agencement urbain. Le pouvoir maximal reviendra à celui qui détermine le plus les transformations41. Le plus puissant serait alors celui qui a le plus d’influence sur les déterminations possibles des trans-formations – virtuellement. Pour le dire plus clairement, le pouvoir s’exprime par l’orientation, le tri qu’il produit dans vos possibilités d’actions : il limite le réseau des possibles et des mises en forme. Le pouvoir canalise et catalyse. Le pouvoir n’est pas ici considéré comme la capacité à contraindre, à trancher le nœud comme Alexandre42.

33Ni l’urbain sans ville, ni la contre-ville ne semblent l’emporter l’une sur l’autre, sans doute est-ce le résultat de rapports de pouvoir à peu près équilibrés entre les finalités débordantes qui composent ces trans-formations. Des polarités plus élevées, des pôles plus nombreux, des frontières plus nombreuses, des frontières moins fortes, tout ceci est le résultat partiel d’actions possibles pour certains acteurs. Il est sûr que votre magasin de meubles possède un pouvoir plus grand quant à sa propre localisation et à l’obtention par vous d’un lit en un lieu précis, que vous-même n’en avez sur ce magasin. Cependant vous avez pu par votre pouvoir d’acheter faire venir à vous un élément de ce magasin jusqu’à votre nouvel appartement. Par sa localisation le magasin a réduit vos possibilités de trouver un lit en concentrant tous les achetables, quand vous-même avez réduit les destinations possibles de ce lit une fois installé dans le coffre de la camionnette du livreur. Trier entre des possibles c’est indirectement modifier le cours des actions d’autres acteurs, le pouvoir. Faire trier c’est directement modifier le cours des actions possibles d’autres acteurs.

  • 43 « Le « paradoxe » d’Internet réside en cela : il est structurellement décentralisé et fonctionnell (...)
  • 44 Internet accroît une fois de plus cette dynamique : « Pourtant, malgré ce potentiel structurel de (...)

34Urbain sans ville et contre-ville semblent réagir de manière opposée aux attracteurs : fuis ou rejoints, exercés vers les autres ou vers soi. La contre-ville fabrique des attracteurs variés. Pour simplifier, la forme de pouvoir qui correspond à sa mise en forme est celle qui oriente vos actions selon l’intensité des attracteurs et de l’offre qu’ils proposent. Comme un papillon de nuit, vous calcinez vos ailes trop proches du lampadaire. Le pouvoir exercé de la sorte est celui d’une stimulation, d’une excitation qui diminue les possibles qui vous polarisent : les autres papillons brillent moins fort. Et Internet participe à l’exposition de ces événements auxquels nous sommes incités à nous rendre. À la fois multipliant l’exposition d’une grande variété d’attracteurs et intensifieurs du halo des attracteurs les plus puissants43. Pour vous, l’attracteur fut le magasin de meubles, et votre appartement. Comme dans la contre-ville vous avez été attiré vers le magasin – mobilisé : été mis en mouvement – et vous être déplacé, comme dans l’urbain sans ville vous avez attiré – mobilisé : mis en mouvement – et déplacé le livreur. Dans les deux cas, un déplacement se produit. Contre-ville et urbain sans ville constituent alors par rapport à Internet deux mises en forme paradoxales au regard du pouvoir : la contre-ville multipliant les lieux de rassemblement augmente le nombre des attracteurs puissants par rapport à la place centrale unique de la ville, mais l’urbain sans ville multipliant les lieux de stockage et de vie domestique accroît en nombre encore plus fort les attracteurs beaucoup moins puissants. Cependant malgré l’attraction grandissante de ces pôles, la contre-ville a le fonctionnement paradoxal de réduire comparativement leurs intensités en les multipliant. Si vous avez un pôle peu puissant, cependant unique – la place centrale –, vous voilà attiré fortement. Si vous avez au contraire une multiplicité de lieux, même plus attracteurs, alors vous réduisez comparativement d’autant l’attraction de chacun des pôles. Ainsi l’exercice du pouvoir peut être à la fois plus fort, mais moins unificateur pour les cours d’action. Nous voici papillons flâneurs, battant de l’aile de lampadaires en lampadaire, même s’il y a toujours trop peu de lampadaires qui brillent fort44.

  • 45 Lussault Michel, De la lutte des classes à la lutte des places, Mondes vécus, Grasset, Paris, 2009 (...)

35Après la catalyse, premier mode d’exercice du pouvoir, un second est constitué par la canalisation. On note au passage que les deux modes d’exercice du pouvoir prennent en compte la fluidification massive, et s’exercent sur les flux sans les enfermer. La contre-ville attire par ses lieux de rassemblement, en revanche elle ne canalise pas directement. Elle multiplie les chemins et la variété des modes de transport – ce qui pose problème différemment autant dans les quartiers gentrifiés que dans les baraquements. Au contraire, la canalisation est le mode d’exercice du pouvoir dominant dans l’urbain sans ville. Canaliser c’est à la fois limiter les voies d’accès, les modes d’accès – le tout voiture –, et l’accès lui-même45. À ce jeu, les TIC que nous appelons désormais techniques de trans-formation et de communication prennent des fonctions ambiguës, reliés ou non à Internet. Elles rendent possible la sélection des entrées par mots de passe, par reconnaissance corporelle, ouverture automatique, vidéosurveillance, etc. Et Internet peut aussi renforcer cette logique par la création de groupes de discussion privés, de mots de passe, de renseignements non accessibles aux autres, etc. Dans les deux cas, Internet augmente la puissance et le pouvoir des acteurs, selon deux modes d’exercice différents qui définissent des possibilités d’accès : catalysation/attraction et canalisation/filtrage.

Capture paradoxale

  • 46 « La capture détermine le mode par lequel des individus (biologiques, sociaux, noétiques) entrent (...)
  • 47 Une forme d’entre-capture négative : « On parle en revanche d’entre-capture lorsque se produit un (...)
  • 48 « A la différence de ce qu’on a toujours pensé (mais plus supposé que justifié) l’opposition est d (...)
  • 49 Serait-ce l’horizon du réchauffement climatique ?

36Ces oppositions déstabilisent la ville en la trans-formant, mais pas l’agencement qui en naît. Au contraire, chaque mode d’exercice du pouvoir dans le sens de la congestion, accroît l’exercice du pouvoir en vue de la décongestion, et inversement. Ainsi, urbain sans ville et contre-ville se renforcent l’une l’autre. On retrouve là l’idée deleuzienne de capture46, qui ne tend pas pour cette fois à la complémentarité par la symbiose. Il s’agit pour l’urbain sans ville et la contre-ville d’une sorte d’auto-amplification, de capture paradoxale : des exercices du pouvoir et leurs trans-formations inhérentes, arrangés au sein de deux mises en forme, qui s’opposent l’une à l’autre dans un processus de renforcement de l’opposition par la différenciation de l’une par rapport à l’autre47. Cette opposition est paradoxale en tant que c’est sa fuite qui entraîne l’appariement, les tentatives de dépassement qui font le jeu de son affirmation. Plus vous périurbaniser, plus vous accroissez l’importance des pôles pour les périurbains. Plus vous polarisez, plus vous les faites fuir. Plus vous dédensifié, plus vous accroissez le nombre d’acteurs qui souhaitent densifier. Développer des ramifications vers les pôles, c’est autant permettre le rassemblement que la fuite. L’opposition joue alors un rôle intégrateur qui explique la difficulté à penser une brisure dans cet agencement48 et sans introduction d’un terme nouveau le devenir urbain49. Voici donc venu l’agencement des transformations intégrées et opposées.

  • 50 Rigal Alexandre, « Expérience urbaine : Remix », Espacetemps.net, (à paraître).

37Peut-être pour finir, lever une ambiguïté de cette spéculation : prendre pour exemple vous-même nouvel arrivant permet de mettre l’accent sur la vigueur des trans-formations et des nouveautés furieuses. Quand bien même l’urbanisation reproduit, et forme sans cesse, donc trans-forme, la mobilité prétendue des acteurs peut paraître exagérée. Elle l’est si l’on oublie la trans-formation pour la répétition des cours d’action, bien qu’elle soit rendue invisible par leur banalité, et si l’on passe à côté du piège dans lequel peut faire glisser votre exemple : rester aveugle aux forces de l’habitude dans notre expérience de l’agencement urbain50.

Urbanisation future imprévisible et horizon certain

38Ligne d’horizon : au-dessus du amas de virtualités constitué par Internet et l’urbanisation, plane le réchauffement climatique et l’obsolescence non-programmée des agencements ici décrits. Cet horizon brûlant, s’il est pris en compte dans nos actions, entraînera, avec un pouvoir suffisant, une modification radicale de l’urbanisation : non plus des trans-formations qui ne modifient l’agencement que pour le renforcer – capture paradoxale –, mais une métamorphose complète du processus, qui modifie le devenir de l’agencement et les mises en relation et en forme qui s’y tiennent – fin de capture paradoxale –. Est-ce la fin de l’urbanisation du fait de la découverte de la moindre malléabilité de la matière terrestre ? Est-ce seulement la profusion d’objets et la débauche énergétique qu’il faut diminuer ? N’est-ce pas plutôt la manière de lier les êtres et les choses – capture symbiotique – qui reste à découvrir ?

  • 51 Deleuze Gilles, Différence et répétition, Bibliothèque de philosophie contemporaine, PUF, Paris, 1 (...)

39L’optimisme semble tout de même tenable : les réponses sont peut-être déjà-là, prises dans les mailles des agencements urbains, virtualités dont les conditions d’actualisation sont à découvrir dans ce foisonnement agrandi par Internet. Si elles n’y sont pas encore, elles y seront sûrement car les agencements les plus proches du chaos sont aussi les lieux les plus riches pour souffler les nuages qui viennent. Internet avec ses outils a pour force de limiter au maximum les destructions nécessaires à l’extension de son agencement. Internet n’est pas moderne, il n’est pas le résultat d’une destruction créatrice mais plutôt une « différenciation créatrice »51. Il lie les vivants et les choses avec un code particulier, pour les réduire et les lubrifier, leur faire subir tous les transports possibles dans et hors les agencements urbains, comme l’urbanisation avant lui et comme l’argent. Internet et l’urbanisation de la Terre nous donne une nouvelle échelle : le monde empli de virtualités. Finalement dans ce monde, retour au tri dans la profusion, pour quels mondes virtuels à naître ?

Note

1 En appuyant un peu moins sur l’action d’un acteur individuel et plus sur celle d’un collectif : « Ainsi, un agencement est un ensemble spatialisé, circonstanciel et labile, d’objets, de choses, de personnes, d’idées, de langages, configuré à l’occasion d’une activité d’un acteur. Cet assemblage met en forme l’espace dans et pour une action. » Lussault Michel, « Agencement », p. 46 in Lévy Jacques, Lussault Michel, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Belin, Paris, 2003

2 « Réalité potentielle non encore advenue », Lévy Jacques, « Virtuel », p. 996 in ibid.

3 Lussault Michel, « Urbain », pp. 949-951 in Lévy Jacques, Lussault Michel, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Belin, Paris, 2003.

4 Pour une fois on ne pourra pas suivre Michel Lussault, la ville n’est-elle pas urbaine (dense et diverse) ? : « L’urbanisation est un processus de remplacement d’un mode d’organisation spatiale des réalités sociales (la ville industrielle) par un autre – l’urbain, dont la diffusion contribue à et exprime la mondialisation. » p. 64 in Lussault Michel, L’avènement du Monde, Essai sur l’habitation humaine de la Terre, Seuil, 2013, 296 p.

5 Même une aire urbaine qui ne change pas doit sans cesse être rénovée, nourrie de nouveaux objets semblables, de nouveaux acteurs. La patrimonialisation et ses rénovations sont un bel exemple du « tout change pour que rien ne change ».

6 « Votre » étant ici une façon de parler masquant la diversité de cet agencement.

7 « La petite souris des ordinateurs nous habitue à prendre l’information pour un transport immédiat et sans déformation, pour un double click ; or il n’y a pas plus d’information qu’il n’y a de panorama : des trans-formations, oui, et à foison, as des in-formations, jamais. », Latour Bruno, Hermant Emilie, Paris ville invisible, Les Empêcheurs de tourner en rond, La Découverte, Paris, 1998, 159p., p. 3.

8 « Nous ne vivons pas dans des « sociétés de l’information » pour la raison excellente qu’il n’y a ni société ni information. Des transformations, oui, des associations, oui ; mais des transferts de données sans transformation, jamais. » Ibid, p. 45

9 Ce qui serait plus frappant si vous aviez mentionné votre fréquentation de sites culinaires, de rencontres ou pornographiques.

10 Rigal Alexandre, « Concevoir l’urbain en figures. », EspacesTemps. net, Laboratoire, 12.11.2013 http://www.espacestemps.net/articles/concevoir-lurbain-en-figures/

11 Isolation remplace avantageusement « ancrage » qui n’exprime pas les efforts nécessaires à la sélection et au filtrage, ni à l’immobilité. On oublie parfois qu’il faut tout le travail d’une ancre, pour être ancré…

12 « En cela, Internet n’est pas tant un lieu de synchronisation, mais surtout un lieu de synchorisation, à savoir un espace qui rend possible une action en commun : l’interaction. » p. 9 in Beaude Boris, Internet, changer l’espace, changer la société, Les logiques contemporaines de synchorisation, Collection Société de la connaissance, Editions Fyp, France, 2012, 256 p.

13 « Bombardements continuel d’offres d’existence qui viennent vers lui (le moi) sous forme de rayonnement, de pulsations, de flashs : vitrines remplies de moi possibles, visages chargés d’intentions, panneaux saturés d’occasions. », p. 104 in Latour Bruno, Hermant Emilie, Paris ville invisible, Les Empêcheurs de tourner en rond, La Découverte, Paris, 1998, 159 p.

14 « d’une seconde à l’autre, des régimes d’action différents se relaient pour me faire passer d’une compétence à une autre compétence. Je ne suis ni aux commandes ni sans commandes : je suis formaté. On m’offre des possibilités d’existence qui reposent dans des dispositifs épars, fourmillant à travers la ville. Je vais d’une offre à l’autre. Je saisis, pour avancer plus loin, le petit morceau de programme d’action que d’autres ont collecté pour moi sur chaque dispositif, comme nous le faisions, enfants, lors des jeux de pistes, sans savoir le ut ni l’intention, mais en discernant de proche en proche les messages cryptés qui nous dirigeaient vers le message suivant. », p. 103 in Ibid.

15 « Avec le pliage des êtres techniques, fait donc irruption dans le monde un déhanchement de l’action qui permet de différencier deux plans, le plan de départ et celui vers lequel on a justement débrayé en installant d’autres acteurs qui possèdent une résistance, une durée, une dureté différente. » p. 233 in Latour Bruno, Enquête sur les modes d’existence : une anthropologie des Modernes, La Découverte, Paris, 2012, 498 p.

16 « Même le courriel, pratique la lus élémentaire d’Internet, serait impossible sans la permanence. Le courriel suppose en effet l’existence d’une étape intermédiaire entre l’émission et la réception, de telle sorte que le message puisse parvenir à son destinataire alors que celui-ci n’est pas nécessairement connecté à Internet lors de l’envoi. La permanence est probablement l’un des aspects les plus importants d’Internet, quoique largement sous-estimé. Volontiers qualifié de réseau, Internet serait pourtant peu de choses sans contenu. C’est précisément parce qu’Internet est à la fois ce qui relie et une grande partie de ce qui est relié qu’il représente des enjeux considérables. » p. 55 in Beaude Boris, Internet, changer l’espace, changer la société, Les logiques contemporaines de synchorisation, Collection Société de la connaissance, Editions Fyp, France, 2012, 256 p.

17 C’est pourquoi Boris Beaude décrit la non-pertinence de la distance – et non de l’espace – pour comprendre l’espace internet dans son ouvrage Internet, changer l’espace, changer la société, Les logiques contemporaines de synchorisation, Collection Société de la connaissance, Editions Fyp, France, 2012, 256 p.

18 Seul l’argent semble avoir une telle capacité à réduire objets et acteurs en chiffres pour lubrifier l’échange.

19 « À la différence d’une ville, la croissance des lieux réticulaires augment leur potentiel d’interaction sans accroître leur distance interne. Quelle que soit leur taille, la distance entre leurs parties est toujours potentiellement nulle. Facebook peut ainsi accueillir 800 millions de personnes sans affecter son potentiel d’interaction. » pp. 86-87, in Beaude Boris, Internet, changer l’espace, changer la société, Les logiques contemporaines de synchorisation, Collection Société de la connaissance, Editions Fyp, France, 2012, 256 p.

20 Koolhaas Rem, New York Delirious, The Monacelli Press, New York, 1994, 317 p.

21 On rappellera la métaphore éclairante de la « communication orchestrale » proposée par Yves Winkin, qui n’a rien à voir avec la « communication télégraphique ». Le concept d’agencement rend aussi cette différence entre connexions multiples, et linéarité binaire.
Winkin Yves, Anthropologie de la communication, de la théorie au terrain, Points, Essais, 1996, 239p.

22 Et si le terme « transport » était finalement plus adapté que « mobilité », en tant qu’il dit et le déplacement et le changement d’état émotionnel ?

23 La matière se définit alors comme ce qui peut être modelé, possédant un potentiel de plasticité.

24 On reconnaîtra dans tout cet article et d’autant plus dans cette section les références au travail de Gilbert Simondon, quelles que soient mes erreurs et mes travestissements malhabiles de sa pensée. Simondon Gilbert, L’individu et sa genèse physico-biologique, PUF, Paris, 1964, 271p.

25 Beaude Boris, Internet, changer l’espace, changer la société, Les logiques contemporaines de synchorisation, Collection Société de la connaissance, Editions Fyp, France, 2012, 256 p., p. 213

26 Ibid, p. 214.

27 « Pour donner une forme, il faut construire tel moule défini, préparé de telle façon, avec telle espèce de matière ; quant à l’argile, elle est soumise elle aussi à une préparation ; en tant que matière brute, elle est ce que la pelle soulève du gisement au bord du marécage, avec des racines de jonc, des grains de gravier. […] Il y a dans l’argile brute une aptitude à devenir masse plastique à la dimension de la future brique en raison des propriétés colloïdales des hydrosilicates d’alumine […]. L’argile préparée est celle en laquelle chaque molécule sera effectivement mise en communication, quelle que soit sa place par rapport aux parois du moule, avec l’ensemble des poussées exercées par ces parois. » p. 31 in Simondon Gilbert, L’individu et sa genèse physico-biologique, PUF, Paris, 1964, 271p., pp. 31-32

28 Telle ou telle « grid » ou damier.

29 Pour reprendre le mot de Niklas Luhmann. Luhmann Niklas, Systèmes sociaux, Esquisse d’une théorie générale, traduit de l’allemand par Lukas K. Sosoe, Intersophia, Presses Universitaires de Laval, Québec, 2011, 560 p,. pp. 420-421.

30 « Dans l’expression « éternel retour », nous faisons un contresens quand nous comprenons : retour du même. Ce n’est pas l’être qui revient, mais le revenir lui-même constitue l’être en tant qu’il s’affirme du devenir et de ce qui se passe. », p. 55 in Deleuze Gilles, Nietzsche et la philosophie, Quadrige, PUF, 1999, 232 p.

31 « It was necessary to destroy those early manifestations in order to preserve them. In Manhattan’s Culture of Congestion, destruction is another word for preservation. » p. 151, in Koolhaas Rem, New York Delirious, The Monacelli Press, New York, 1994, 317p.

32 « L’espace urbain est donc, en ce sens, auto-organisé (multi-auto-organisé, plus exactement) à toutes les échelles (locale, intermédiaire et globale), fabriqué et habité par des acteurs sociaux en interaction, globalement assez prompts à n’en faire qu’à leur tête. Cela ne signifie pas qu’il soit sans organisation et sans ordre, car il est aussi multi-régulé de manière partielle à toutes les échelles et via des actes qui en général ne convergent pas. Ce qui participe de l’auto-organisation de cette machine spatiale complexe, qui échappe pour une bonne part à tous ceux qui contribuent à la construire. » p. 111 in Lussault Michel, L’avènement du Monde, Essai sur l’habitation humaine de la Terre, Seuil, 2013, 296 p.

33 « En effet, contrairement à une idée reçue, la quantité de l’espace social s’accroît dans le Monde, alors que l’étendue terrestre est finie. » p. 76 in Lussault Michel, L’avènement du Monde, Essai sur l’habitation humaine de la Terre, Seuil, 2013, 296 p.

34 Comme le développement des moyens de transport : « Les nouveaux moyens de communication et les transports motorisés n’affectent pas seulement l’insertion sociale mais conduisent aussi à changer la relation entretenue entre la mobilité et l’espace. Cette « réversibilisation », c’est l’utilisation de ces moyens de transports et de communication pour annuler au maximum les effets du déplacement sur la vie sociale. » p. 20 in Kaufmann Vincent, Les paradoxes de la mobilité, Bouger s’enraciner, Presses Polytechniques Universitaires Romandes, 2008, 115p.

35 « En matière d’image, l’urbain diffère radicalement de la ville, pour l’instant en tout cas, en ce qu’il n’est pas présentable, il ne fait pas bonne figure. » p. 290 in Lussault Michel, L’homme spatial : la construction sociale de l’espace humain, La couleur des idées, Seuil, Paris, 2007, 363 p.

36 Eric Charmes connaît les deux potentiels, mais ne voit qu’une actualité : « Plutôt que l’affirmation d’un réseau de polarités multiples sans véritable lien hiérarchique, on voit l’affirmation de la prééminence d’un pôle urbain principal avec la mise sur orbite des centres secondaires voisins. » p. 15 in Charmes Eric, La ville émiettée, Essai sur la clubbisation de la vie urbaine, PUF, 2011, 288p.

37 « L’urbanité permet de caractériser un état de l’organisation des réalités de société au sein d’une société urbaine donnée, considérée du point de vue spécifique de l’arrangement spatial de la densité et de la diversité. » p. 324 in Lussault Michel, L’homme spatial : la construction sociale de l’espace humain, La couleur des idées, Seuil, Paris, 2007.

38 Il n’y aura bientôt plus que des métèques dans certains pôles.

39 Eric Charmes montre que certains ménages pauvres sous-estiment le coût de leur déplacement, ce qui a pour effet de les fixer un peu plus.

40 Qu’on rassure les effrayés : l’État et les pouvoirs dits « publics » comme les communes restent des acteurs très puissants, même si sur Internet ils peinent à lutter contre les grandes entreprises spécialisées.

41 « Le pouvoir produit une opération de transmission dans la mesure où il peut influencer la sélection des actions (ou des omissions) face à d’autres possibilités. Le pouvoir est plus grand lorsqu’il est en mesure de s’imposer face à des alternatives attirantes pour l’action ou l’inaction. Et le pouvoir ne peut être accru que s’il s’accompagne d’une accroissement des libertés du côté de ceux qui sont soumis au pouvoir. » pp. 10-11. in Luhmann Niklas, Le pouvoir, traduction par Stéphane Bouchard, Intersophia, Presses Universitaires de Laval, Québec, 2010, 156 p.

42 On retrouverait là l’intuition du passage d’un rapport à l’autre disciplinaire à un exercice du pouvoir de contrôle. « Contrôle et devenir », pp. 229-279 in Deleuze Gilles, Pourparlers : 1972-1990, Reprise, Les Editions de Minuit, Paris, 2003, 249 p.

43 « Le « paradoxe » d’Internet réside en cela : il est structurellement décentralisé et fonctionnellement hypercentralisé. Il est possible de multiplier les lieux sans augmenter significativement les distances et, pourtant, les pratiques se concentrent de plus en plus au sein de quelques lieux. » pp. 86-87 in Beaude Boris, Internet, changer l’espace, changer la société, Les logiques contemporaines de synchorisation, Collection Société de la connaissance, Editions Fyp, France, 2012, 256 p.

44 Internet accroît une fois de plus cette dynamique : « Pourtant, malgré ce potentiel structurel de décentralisation, nous assistons depuis quelques années à une hiérarchisation très forte des lieux réticulaires : une centaine de sites à peine regroupe la grande majorité des pratiques (cf. figure 3). Selon un processus comparable à celui des villes, les espaces d’intermédiation tendent peu à peu à hiérarchiser l’espace à mesure qu’ils se renforcent et s’imposent à la force des pratiques individuelles. Mais à la différence des villes, le processus de hiérarchisation y sont nettement plus intenses, puisque les lieux de synchorisation réticulaires peuvent s’étendre potentiellement au monde entier. Ce constat n’est pas sans conséquence. C’est toute une conception territoriale de l’espace qui se trouve débordée par cette évolution. » p. 85 in Ibid.

45 Lussault Michel, De la lutte des classes à la lutte des places, Mondes vécus, Grasset, Paris, 2009, 220 p.

46 « La capture détermine le mode par lequel des individus (biologiques, sociaux, noétiques) entrent dans des rapports variables qui les transforment. L’exemple princeps en est la symbiose qui lie la guêpe et l’orchidée […] : la série animale (guêpe) « captée » par l’apparence de l’orchidée, assure la fonction d’organe reproducteur pour la série végétale. » p. 17 in Deleuze Gilles, Guattari Felix, Mille Plateaux, Editions de Minuit, Paris, 1980, 645 p.

47 Une forme d’entre-capture négative : « On parle en revanche d’entre-capture lorsque se produit un double processus de constitution d’identité : sur un mode ou sur un autre, et usuellement sur des modes tout à fait différents, les identités qui se co-inventent intègrent chacune leur propre compte une référence à l’autre. Dans le cas symbiose, cette référence se trouve être positive : chacun des êtres co-inventés par la relation d’entre-capture à intérêt, pour se maintenir, à ce que l’autre se maintienne à l’existence. » pp. 64-66 in Isabelle Stengers, Cosmopolitiques : Tome 1 : La guerre des sciences, La Découverte/Les empêcheurs de tourner en rond, Paris, 1997, 138p.

48 « A la différence de ce qu’on a toujours pensé (mais plus supposé que justifié) l’opposition est donc un facteur d’intégration de premier rang et elle est donc problématique précisément à cause de cela. Elle regroupe des actions, peu importe l’hétérogénéité de leur contenu, sous la perspective de la double contingence négative et les intègre au système : chacun peut actualiser toutes les possibilités qui portent préjudice à l’autre, et plus cela arrive, plus cela devient plausible. » p. 463 in Luhmann Niklas, Systèmes sociaux, Esquisse d’une théorie générale, traduit de l’allemand par Lukas K. Sosoe, Intersophia, Presses Universitaires de Laval, Québec, 2011, 560 p.

49 Serait-ce l’horizon du réchauffement climatique ?

50 Rigal Alexandre, « Expérience urbaine : Remix », Espacetemps.net, (à paraître).

51 Deleuze Gilles, Différence et répétition, Bibliothèque de philosophie contemporaine, PUF, Paris, 1968, 409 p., p. 274

Indice delle illustrazioni

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Legenda * « Morris and Ogan (1994), for example, discuss the way in which the Internet disrupts tradtional source-message-receiver features of traditional media of communication, sometimes retaining the same configuration, sometimes using different configurations. They group producers and audiences into four categories : (1) one-to-one asynchronous-communication, such as email ; (2) many-to-many asynchronous communication, such as bulletin boards or mailing lists ; (3) synchronous communications on a one-to-one, one-to-few and one-to-many in which the receiver seeks out information from a provider, such as websites, gopher and FTP. », p. 20 in in Dodge Martin et Kitchin Rob, Mapping cyberspace, Routledge, London and New York, 2001, 260 p.
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